« Notes sur le foot-ball » : différence entre les versions

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On maudissait le foot-ball avant de le connaître. La malédiction fut bien plus énergique quand on le connut. Les journalistes, horrifiés, en firent de terribles descriptions, propres à donner la chair de poule aux parents les moins craintifs ; des listes de tués et de blessés, importées d’Angleterre, circulèrent comme pièces à l’appui ; certains proviseurs prirent sur eux de l’interdire aux lycéens. Rien n’y fit : la marée monta avec une parfaite régularité. Les jeunes gens mirent, à vaincre tous les obstacles, une persévérance dont nul ne les aurait crus capables. Les prairies manquaient ; ils jouèrent sur la terre battue, dans le sable, au risque de se rompre les os ; ils auraient pour un peu joué sur des tas de cailloux. Je me rappelle des parties épiques au Bois de Boulogne sur la pelouse de Saint-Cloud. L’endroit était fort dangereux ; un arbre était planté tout au milieu ; les joueurs pouvaient à tout instant être précipités sur cet arbre et s’y frapper durement aux tempes. C’était un chêne rabougri et très laid. J’ai bien fait dix démarches pour obtenir qu’on l’enlevât ; mais on sait ce qu’il en coûte pour toucher à un arbre du Bois de Boulogne ! et l’état civil de ce personnage était si compliqué que je ne réussis jamais à trouver à l’Hôtel de Ville le supérieur hiérarchique qui avait droit de décider de sa vie, en dernier ressort ! Deux beaux terrains furent aménagés au Champ-de-Mars, de chaque côté de la Galerie de trente mètres, lorsque les bâtiments de l’Exposition de 1889 eurent eté démolis : M. Alphand nous les avait destinés, mais ils furent réclamés pour les pupilles du Conseil municipal ; les petits bambins des écoles primaires, vêtus de jerseys rayés qu’ils s’obstinaient à porter ''pardessus'' leurs chemises et coiffés de « polos » à la dernière mode, s’en vinrent gravement, pendant deux saisons, occuper ces pelouses et y prendre leurs puérils ébats pendant que les lycéens, arrivés à l’âge où les jeux athlétiques sont si nécessaires à l’épanouissement viril, se voyaient relégués dans des préaux trop étroits et exposés à des accidents graves.
 
En province, la question des terrains n’était pas si difficile à résoudre. Avec de l’ingéniosité et de la persévérance, on trouva des champs inoccupés que les propriétaires consentirent à prêter ou à louer à bas prix ; ou bien l’autorité militaire, la société des courses, la compagnie du chemin de fer concédèrent aux lycéens et aux sociétés athlétiques l’usage des terrains dont elles pouvaient disposer. Mais un autre inconvénient se présenta : l’absence d’émulation. L’émulation est l’essence du foot-ball. Il n’y a pas d’intérêt à y jouer entre camarades qui se connaissent trop bien, qui vivent ensemble depuis longtemps ; à Paris, il y a dix lycées : chaque ville de province n’en a qu’un... On voit, par ce rapide exposé, toutes les chances qu’avait le foot-ball d’expirer, faute de foot-ballers. Or, depuis dix ans, le mouvement athlétique a subi bien des vicissitudes, bien des arrêts ; il y a eu parfois des enthousiasmes exagérés, plus souvent encore des découragements injustifiés. L’aviron n’a pas prospéré comme on s’y attendait : ce sport si parfait au point de vue du travail musculaire, si captivant par « l’ivresse de nature » qu’il procure à ses adeptes, n’a encore séduit qu’une portion relativement infime de notre jeunesse. Quant au jeu de longue-paume, si intéressant et qui a l’avantage supérieur d’être pour la France un exercice traditionnel, un exercice vraiment national, nous avons en vain travaillé à lui rendre son ancienne popularité. Impossible de faire prendre la boxe, même la boxe « française », qui est un art tout parisien... A de certains moment les courses à pied ont fléchi ; les maîtres de manège, les professeurs d’escrime et de gymnastique se plaignent sans cesse de la concurrence que leur fait la bicyclette : leur clientèle diminue... Un seul sport n’a connu ni arrêts ni reculs : le foot-ball. A quoi cela peut-il tenir ―― du moment que les circonstances lui ont toujours été adverses ―― sinon à la valeur intrinsèque du jeu lui-même, aux émotions qu’il procure, à l’intérêt qu’il présente ?
 
Si les règlements du foot-ball sont assez complexes, on peut toutefois les ramener à quatre ou cinq règles fondamentales qui sont simples. Que cherche le joueur ? Il vise à s’emparer du ballon, à l’amener près de la ''ligne de but'' de l’adversaire et à lui faire toucher terre derrière cette ligne et le plus près possible du ''but'' que marquent deux grands piquets réunis à mi-hauteur par une barre transversale. S’il y parvient, il marque un ''essai'', lequel se chiffre par un certain nombre de points pour son camp : le ballon est alors placé sur une ligne perpendiculaire à la ligne de but et partant de l’endroit où l’essai a été fait ; on pose le ballon à terre sur un point quelconque de cette ligne et d’un coup de pied savamment donné, un joueur s’efforce de le faire passer entre les deux piquets, et au-dessus de la barre transversale ; l’essai est alors « transformé en but » et de nouveaux points sont comptés : c’est leur total qui tout à l’heure établira la victoire. Le football, en effet, se joue, à la différence de la plupart des jeux,en quatre-vingts minutes ; la partie se divise en deux portions de quarante minutes chacune : pendant l’entracte qui les sépare, les camps changent de côté. A la fin de la partie on additionne les points ; plus les équipes sont fortes, moins élevés seront les totaux : si rien n’a été marqué d’aucun côté, le match est nul.