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Cet aplatissement général de l’esprit public en Allemagne, cette complicité des plus libres intelligences, des Mommsen, des Sybel, des Strauss, sera dans l’avenir une cause d’étonnement pour les historiens de cette guerre. J’y ai trouvé, quant à moi, pendant mes quatre mois de captivité et au milieu des plus cruelles tortures, un sujet de consolation et des raisons de ne pas abandonner tout espoir. Un pays où la libre pensée se laisse asservir aussi complètement n’est pas destiné à régner sur le monde. Un pays qui se vante d’être le plus civilisé, le plus humain, le plus savant qui fut jamais, et qui pendant six mois assiste froidement à l’exécution militaire qui s’appelle la campagne de France, n’est pas fait pour dominer par le rayonnement de ses idées et par l’attraction de son génie. En France, après Marengo, même après Austerlitz, Napoléon trouvait encore des contradicteurs ; il était forcé d’exiler M. de Chateaubriand, Mme de Staël, et de bâillonner la presse, dont l’opposition gênait ses desseins. Si M. de Bismarck est reconnaissant, il donnera la croix de fer à M. Mommsen, à l’historien de Rome, devenu le courtisan du nouveau césar, et les feuilles de chêne à M. de Sybel « pour services rendus pendant la guerre : » ce sera leur châtiment.
Cet aplatissement général de l’esprit public en Allemagne, cette complicité des plus libres intelligences, des Mommsen, des Sybel, des Strauss, sera dans l’avenir une cause d’étonnement pour les historiens de cette guerre. J’y ai trouvé, quant à moi, pendant mes quatre mois de captivité et au milieu des plus cruelles tortures, un sujet de consolation et des raisons de ne pas abandonner tout espoir. Un pays où la libre pensée se laisse asservir aussi complètement n’est pas destiné à régner sur le monde. Un pays qui se vante d’être le plus civilisé, le plus humain, le plus savant qui fut jamais, et qui pendant six mois assiste froidement à l’exécution militaire qui s’appelle la campagne de France, n’est pas fait pour dominer par le rayonnement de ses idées et par l’attraction de son génie. En France, après Marengo, même après Austerlitz, Napoléon trouvait encore des contradicteurs ; il était forcé d’exiler M. de Chateaubriand, Mme de Staël, et de bâillonner la presse, dont l’opposition gênait ses desseins. Si M. de Bismarck est reconnaissant, il donnera la croix de fer à M. Mommsen, à l’historien de Rome, devenu le courtisan du nouveau césar, et les feuilles de chêne à M. de Sybel « pour services rendus pendant la guerre : » ce sera leur châtiment.


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ALBERT DURUY.