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III. ZARKA (LA DALMATIE). <ref> Voyez la ''Revue'' du 15 juin. </ref>
 
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Aujourd’hui, le soleil darde ses rayons brûlans sur toute l’étendue de ces rochers escarpés que n’ombrage aucun arbre, où ne végètent que des herbes chétives, alternant avec des mousses jaunâtres. Avec leurs murs noircis par le temps, les deux villages sont comme des oasis dans le désert pierreux où, en été, semble régner le simoun, en hiver le vent polaire glacial.
 
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Au pied de ces rochers, s’étend un autre désert, mais, celui-là, brillant, étincelant, murmurant, plein de vie et de mouvement, c’est l’Adriatique azurée.
 
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Pour combattre, ces rudes pasteurs, espèce de chevaliers vêtus de toile grossière, méprisaient les armes vulgaires ; ils ne luttaient ni à coups de poing ni à coups de couteau. Après s’être provoqués par quelques apostrophes pleines de fureur, ils ôtèrent brusquement, comme à un signal donné, leurs manteaux velus et tirèrent leurs handjars de leur ceinture. Puis, ils se ruèrent l’un sur l’autre en poussant une sorte de cri de guerre.
 
Au moment où la lutte s’engageait, Spalatine, le fils de Dragalitsch, était éloigné de son père d’environ deux cents pas ; il se mit à courir, mais, quand il arriva, Anaclète était, étendu sur le sol, râlant. Chytran avait disparu.
 
Trois jours après ce duel, tous les parens des Dragalitsch étaient réunis dans la maison mortuaire, et lorsqu’ils l’eurent enterré avec toute la solennité usitée, Spalatine, gravement, dignement, prit possession du titre de chef de famille. Il faut dire que,
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désormais, toute sa famille se composait de lui et de sa sœur Zarka, qui, d’un couvent de Raguse, où elle était élevée par des nonnes, accourut pour assister aux funérailles de son père.
 
— Mais qui vengera la mort du père ? demanda-t-elle au moment de monter dans la barque qui devait la reconduire à Raguse.
 
— Qui ? répliqua sourdement Spalatine d’un air menaçant, tu le sauras bientôt ; bientôt, tu entendras parler de moi.
 
En effet, un soir, que Chytran Valentak, au milieu du brouillard argenté de la lune, longeait, le fusil sur l’épaule, le bord du ravin qui séparait les deux villages, dans l’intention de tirer la zibeline, il s’entendit tout à coup s’appeler de l’autre bord.
 
— Qui m’appelle ?
 
— C’est moi, Spalatine.
 
Chytran comprit de quoi il s’agissait. — Je t’attends ! cria-t-il.
 
— As-tu ton fusil ?
 
— Oui.
 
— Penses-tu que la balle arriverait jusqu’ici ?
 
— Tu aurais tort d’en douter.
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Le combat fut long, et tellement acharné que leur sang coulait de plusieurs blessures, et que les forces commençaient à leur manquer. Enfin, Spalatine tomba frappé à mort. Faisant ensuite un dernier effort, Lazar Valentak se traîna jusqu’à la frontière monténégrine, qui se trouvait à une centaine de pas du lieu du combat, la franchit, et s’affaissa, en perdant connaissance, sur le sol étranger. Il fut trouvé dans cet état par un chasseur qui, avec l’aide d’une bergère, le porta dans le village monténégrin le plus proche.
 
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Zarka vint aux funérailles de son frère, puis elle retourna à Raguse pour faire ses adieux définitifs au couvent. Quand elle revint à Mladoska pour entrer en possession de la maison abandonnée, il n’existait plus, des deux familles ennemies, que Lazar Valentak et elle.
 
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— Non.
 
— Tu le connais ?
 
— Si je le connais !
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Quelques jours plus tard, dans une de ses pérégrinations, elle se trouva sur le territoire monténégrin. Là, dans un bois de sapins, elle vit tout à coup un jeune chasseur s’approcher d’elle. Tous deux
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s’arrêtèrent surpris et se regardèrent quelques instans avec une sorte d’admiration.
 
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Son cœur se mit à battre plus vivement dès que son regard se rencontra avec le regard ardent du bel inconnu. Elle se demanda, toute troublée, si ce n’était pas Lazar.
 
— Qui es-tu ? s’écria-t-elle, d’un ton qui semblait contenir une menace.
 
— Vak Marjewitsch est mon nom, et j’habite le village, ici tout près, où s’élève la maison de mon père.
 
— Tu es donc Monténégrin ?
 
— Certainement ; ne sommes-nous pas en pays monténégrin ? Zarka baissa la tête en pâlissant et comme saisie d’une terreur subite.
 
— Qu’as-tu donc, ô charmante fille ?
 
— Rien,.. rien.
 
De nouveau elle leva ses yeux sur lui, mais en rougissant cette fois. Puis elle se disposa à s’éloigner en murmurant : « Adieu ! que Dieu te protège ! »
 
— Nous ne devons pas nous séparer ainsi, dit le jeune homme, surtout sans que tu m’aies appris ton nom et celui de ton père.
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Si elle n’avait pas baissé les yeux en parlant, elle aurait pu voir pâlir l’inconnu en entendant le nom qu’elle venait de prononcer.
 
— Tu es belle, Zarka ! s’écria-t-il en reprenant presque aussitôt son sang-froid, tu es belle comme l’aube d’un beau jour, comme la rose à peine éclose, comme la lune dans sa robe nuptiale argentée ! Aussi, je t’aime déjà, et je ne te laisserai pas partir ainsi.
 
— Pourquoi ? que me veux-tu ? demanda-t-elle en tressaillant.
 
— Je veux te prendre pour femme. Elle secoua tristement la tête.
 
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— Pourquoi ne voudrais-tu pas de moi ? fit-il en enlaçant de son bras vigoureux la taille svelte de Zarka, est-ce que je te déplais ? te sens-tu incapable de m’aimer ?
 
Elle leva sur lui ses beaux yeux remplis de larmes, et, de sa jolie tête, fit signe que non.
 
— Alors, tu veux bien m’aimer ?
 
— Oui, car je t’aime déjà.
 
— Pourquoi donc ne veux-tu pas être ma femme ?
 
— Ce n’est, de ma part, ni mépris, ni dédain ; je n’ai aucun motif de te mépriser, et quelle est la jeune fille qui serait assez aveugle pour te dédaigner ? Ne m’oblige pas à te dire mon secret ; il ne pèse déjà que trop sur mon cœur.
 
— Est-ce que tu ne portes pas un nom honorable ?
 
— Hélas ! je n’ai rien fait pour ternir ce nom. Je suis une innocente victime de la folie des hommes.
 
— Eh bien ! répliqua l’inconnu avec hauteur, laisse-moi le soin de réparer le mal que l’on t’a l’ait, je saurai, moi, te faire respecter, toi et ton nom, et tu pourras relever fièrement la tête. Adieu ! bientôt tu auras de mes nouvelles.
 
— Adieu ! répondit-elle.
 
Elle fixa sur lui un regard ardent, puis, de ses mains hâlées, elle le saisit par les boucles noires de sa chevelure, non avec la douceur et les transports attendris d’une amante civilisée, mais avec l’emportement et la fureur d’une belle bête fauve de la souple race des félins quand elle s’élance sur sa proie. Elle pressa ses lèvres brûlantes sur celles du jeune homme et s’enfuit.
 
— Zarka ! cria-t-il en courant après elle.
 
— Que me veux-tu ?
 
— Donne-moi la bague que tu portes à ton doigt.
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La première fois qu’elle le rencontra de nouveau, il venait de tuer un aigle. Ils allèrent s’asseoir côte à côte sur une pente douce, à l’ombre d’un gros pin qui s’élevait solitaire sur la hauteur, étreignant de ses puissantes racines les rochers éternels, et baignant ses branches d’un vert sombre dans la lumière dorée du soleil. Le jeune chasseur tenait la bergère entre ses bras, lui murmurant à l’oreille de douces paroles d’amour, tandis que le troupeau paissait paisiblement autour d’eux.
 
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Ils étaient devenus pensifs. Tout à coup, Zarka leva la tête ; sa figure avait pris un air sévère, son regard était devenu sombre.
 
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— Tout ce que ton cœur voudra.
 
— Eh bien ! je veux que, pour cadeau de noces, tu m’apportes la tête de Lazar Valentak.
 
— Tu l’auras, dit le jeune homme avec un sourire ; il ne tiendra même qu’à toi de la voir se prosterner à les pieds, car Lazar Valentak...Valentak… c’est moi.
 
A cet aveu inattendu, Zarka se détacha brusquement des bras qui l’enlaçaient et bondit sur ses pieds. — Toi ! Lazar ? Tu m’as donc menti ?
 
— Oui, je t’ai menti ; oui, je me suis présenté à toi sous un nom étranger, parce que, dès que je t’ai vue. je t’ai aimée. Est-ce qu’entre nous il n’a pas coulé assez de sang des deux côtés ? Désormais, nous devons vivre en paix. C’est Dieu qui le veut !
 
— Jamais ! s’écria Zarka, pâle et tremblante. Le sang de mon frère est encore sur tes mains. La mort seule pourrait nous réconcilier.
 
— Tu sais bien, Zarka, ma bien-aimée, que rien ne t’oblige à continuer la vendetta.
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— Pourtant, je te tuerai si tu ne me tues pas avant.
 
— Tu me hais donc bien ?
 
— Non, Lazar, je t’aime, répondit tristement Zarka ; mais, entre nous se dressent les ombres de tous ceux qui ont péri victimes de la vieille haine. Nous ne serions jamais heureux.
 
Lazar inclina la tête : — Tu as raison, dit-il. Il réfléchit un instant.
 
— Alors, tue-moi, ajouta-t-il en se redressant.
 
— Soit, je vais te tuer ! fit-elle en s’efforçant d’être énergique. Lazar prit son pistolet à sa ceinture et le lui tendit. Elle visa la poitrine de son fiancé, puis laissa tomber sa main. — Je ne peux pas ! dit-elle à moitié défaillante.
 
— Alors, mourons ensemble ! s’écria Lazar, le veux-tu ?
 
— Oui, je le veux !
 
Lazar la prit dans ses bras, appuya une dernière fois ses lèvres sur celles de la malheureuse jeune fille et lui enfonça son handjar dans le sein : — Tire maintenant sur moi, lui dit-il en la couchant doucement par terre et en dirigeant vers lui le canon du pistolet qu’elle n’avait pas abandonné. Un coup retentit ; plusieurs fois répété par l’écho le long de la montagne et Lazar tomba foudroyé à côte de Zarka. La jeune fille laissa aller sa tête déjà toute pâle sur la poitrine de son fiancé, qu’elle inonda de sang chaud et pourpre, et mourut.
 
 
SACHER-MASOCH
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