« Le Râmâyana (trad. Fauche)/Tome 1 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
transclusion p 105, 106, 107
m chasse aux celtes fructueuse
Ligne 333 :
À ces paroles de son fils bien-aimé, elle répondit ces mots, noyés dans ses larmes : « Je n’ai pas la force d’habiter au milieu de mes rivales. Emmène-moi, mon fils, avec toi dans les bois, infestés par les animaux des forêts, si ta résolution d’y aller, par égard pour ton père, est bien arrêtée dans ton esprit. »
 
À ce langage, il répondit en ces termes : « Tant que son mari vit encore, c’est l’époux, et non le fils, qui est le Dieu pour une femme. Ta grandeur et moi pareillement, nousavons maintenant pour maître l’auguste monarque : je ne puis donc t’emmener de celtecette ville dans les forêts. Ton époux vit ; par conséquent, tu ne peux me suivre avec décence. En effet, qu’il ait une grande âme, ou qu’il ait un esprit méchant, la route qu’une femme doit tenir, c’est toujours son époux. À combien plus forte raison, quand cet époux est un monarque magnanime, reine, et bien-aimé de toi ! Sans aucun doute, Bharata lui-même, la justice en personne, modeste, aimant son père, deviendra légalement ton fils, comme je suis le tien naturellement. Tu obtiendras même de Bharata une vénération supérieure à celle dont tu jouis auprès de moi. En effet, je n’ai jamais eu à souffrir de lui rien qui ne fût pasd’un sentiment élevé. Moi sorti une : fois de ces lieux, il te sied d’agir en telle sorte que les regrets donnés à l’exil de son fils ne consument pas mon père d’une trop vive douleur.
 
« Tu ne dois pas m’accorder, à moi dans la fleur nouvelle éclose de la vie, un intérêt égal à celui que réclame un époux courbé sous le poids de la vieillesse et tourmenté de chagrins à cause de mon absence.
Ligne 349 :
Alors et tout à coup, dans ses chambres pleines de serviteurs dévoués, voici Râma, qui entre, sa tête légèrement inclinée de confusion, l’esprit fatigué et laissant percer un peu à travers son visage abattu la tristesse de son âme. Quand il eut passé le seuil d’un air qui n’était pas des plus riants, il aperçut, au milieu du palais, sa bien-aimée Sîlâ debout, mais s’inclinant à sa vue avec respect, Sitâ, cette épouse dévouée, plus chère à lui-même que sa vie et douée éminemment de toutes les vertus qui tiennent à la modestie.
 
À l’aspect de son époux, cette reine à la taille si gracieuse alla au-devant, le salua et se mit à son côté ; mais, remarquant alors son visage triste, où se laissait entrevoir la douleur cachée dans son âme : « Qu’est-ce, Râma ? fit-elle anxieuse et tremblante. Les brahmes, versés dans ces connaissances, t’auraient-ils annoncé que laplanètede Vrihaspati opère à cette heure sa conjonction avec l’aslé-risme Poushya, influence sinistre, qui afflige ton esprit ? Couvert du parasol, zébré de cent raies et tel que l’orbe entier de la lune, pourquoi ne vois-je pas briller sous lui ton charmant visage ? O toi, de qui les beaux jeux ressemblent aux pétales des lotus, pourquoi ne vois-je pas le chasse-mouche et l’éventail récréer ton visage, qui égale en splendeur le disqueplein de l’astre des nuits ? Dis-moi, noble sang de Raghou, pourquoi n’entends-je pas les poètes, les bardes officiels et les panégyristes à la voix éloquente te chanter, à celtecette heure de ton sacre, comme le roi de la jeunesse ? Pourquoi les brahmes, qui ont abordé à la rive ultérieure dans Vélude sainte desVédas, ne versent-ils pas sur ton front du miel et du lait caillé, suivant les rites, pour donner à ce noble front la consécration royale ?
 
« Pourquoi ne vois-je pas maintenant s’avancer derrière toi, dans la pompe du sacre, un éléphant, le plus grand de tous, marqué de signes heureux, et versant par trois canaux une sueur d’amour sur les tempes ? Pourquoi enfin, devant toi, ne vois-je marcher, nous apportant la fortune et la victoire, un coursier d’une beauté non pareille, au blanc pelage, au corps doué richement de signes prospères ? »
Ligne 470 :
Il dit ; à ces mots de son père affligé, Râma joignit les mains et répondit au sage monarque agile par le chagrin : « J’ai chassé de ma présence le plaisir, je ne puis donc le rappeler. Demain, qui me donnerai ! ces mets délicieux, dont ta royale table m’aurait offert le régal aujourd’hui ? Aussi aimé-je mieux partir à l’instant, que m’abslenir jusqu’à demain.
 
« Qu’elle soit donnée àBharata, cette terre que j’abandonne, avec ses royaumes et ses villes ! moi, sauvant l’honneur de ta majesté, j’irai dans les forêts cultiver la pénitence. Que cette terre, à laquelle je renonce, Bharata la gouverne heureusement, dans ses frontières paisibles, avec ses montagnes, avec ses villes, avec ses forêts ! qu’il en soit puissant monarque, comme tu l’as dit ! Prince, mon cœur n’aspire pas tant à vivre dans les plaisirs, dans la joie, dans les grandeurs même, qu’à rester dans l’obéissance à tes ordres : loin de toi celtecette douleur, que fait naître en ton âme ta séparalion d’avec moi ! »
 
Ensuite le monarque, étouffé sous le poids de sa promesse, manda son ministre Soumantra et lui donna cet ordre, accompagné de longs et brûlants soupirs : « Que l’on prépare en diligence, pour servir de cortège au digne enfant de Raghou, une armée nombreuse, divisée en quatre corps, munie de ses flèches et revêtue ’de ses cuirasses. Quelque richesse qui m’appartienne, quelque ressource même qui soit affectée pour ma vie, que tout cela marche avec Râma, sans qu’on en laisse rien ici ! Que Baratha soit donc le roi dans cette ville dépouillée de ses richesses, mais que le fortuné Râma voie tous ses désirs comblés au fond même des bois ! »
Ligne 580 :
Ce fut donc ainsi que, parvenu sur les rives de la Tamasà, qui voit les troupeaux et les génisses troubler ses limpides tirthas, Râma fit halte là cette nuit avec les sujets de son père. Mais, s’élant levé au milieu de la nuit et les ayant vus tous endormis, il dit à son frère, distingué par des signes heureux : « Vois, mon frère, ces habitants de la ville, sans nul souci de leurs maisons, n’ayant que nous à cœur uniquement, vois-les dormir au pied des arbres aussi tranquillement que sous leurs toits.
 
« Nous donc, pendant qu’ils dorment, montons vite dans le char et gagnons par celtecette route le bois des mortifications. Ainsi les habitants de la ville fondée par Ikshwâkou n’iront pas maintenant plus loin, et ces hommes si dévoués à moi ne seront plus réduits à chercher un lit au pied des arbres. »
 
Aussitôt Lakshmana répondit à son frère , qui était là devant ses yeux comme le devoir même incarné : « J’approuve ton avis, héros plein de sagesse ; montons sans délai sur le char. »
Ligne 711 :
« Dans la ville, dans le royaume, entre les habitants de la cité, parmi ceux des campagnes, je ne vois pas un être, ô mon roi, qui ne s’afflige pour ton fils !
 
« Cette ville sans joie, sans travail, sans prières ni sacrifices, celtecette ville, résonnante d’un bruit larmoyant et qui n’a plus d’autre son que des sanglots ou des gémissements ; ta cité, avec ses hommes tristes, malades, consternés, avec les arbres fanés de ses jardins, elle, est sans aucun resplendissement depuis l’exil de Râma ! »
 
Après qu’il eut écoulé ces paroles touchantes et d’autres encore de Soumantra, le monarque, saisi par une subite défaillance de son esprit, tomba de son trône une seconde fois, semblable à un corps d’où s’est retiré le souffle de la vie. —Mais, tandis que le prince gémissait ainsi d’une façon touchante, et que, tombé de nouveau, il gisait hors de lui-même sur la terre, la mère de Râma se plaignait sur un ton plus déplorable encore, tout affaissée sous un poids beaucoup plus lourd de chagrin et d’excessive douleur.
Ligne 729 :
« Alors et comme il n’était rien que mes yeux pussent distinguer entre les objets sensibles, j’entendis le son d’une cruche qui se remplissait d’eau, bruit tout semblable même au barit que murmure un éléphant. Moi aussitôt d’encocher à mon arc une flèche perçante, bien empennée, et de l’envoyer rapidement, l’esprit aveuglé par le Destin, sur le point d’où m’était venu ce bruit.
 
« Dans le moment que mon trait lancé toucha le but, j’entendis une voix jetée par un homme qui s’écria sur un ton lamentable : « Ah ! je suis mort ! Comment se peut-il qu’on ait décoché une flèche sur un ascète de ma sorte ? À qui est la main si cruelle, qui a dirigé son dard contre moi ? J’étais venu puiser de l’eau pendant la nuit dans le fleuve solitaire : qui est cet homme, dont le bras m’a blessé d’une flèche ! À qui donc ai-je fait ici une offense ? CelteCette flèche va pénétrer, à travers le cœur expiré de son fils, dans le sein même d’un anachorète vieux, aveugle, infortuné, qui vit d’aliments sauvages au milieu de ce bois ! Cette fin malheureuse de ma vie, je la déplore avec moins d’amertume que je ne plains le sort de mon père et de ma mère, ces deux vieillards aveugles. Ce couple d’aveugles, chargé d’ans et nourri longtemps par moi, comment vivra-t-il aprèsmon trépas, ce couple misérable et sans appui ? Qui est l’homme au cœur méchant, de qui la flèche nous a frappés tousles trois, eux. et moi, d’un même coup, infortunés, qui vivions innocemment ici de racines, de fruits et d’herbes ? » « Il dit ; et moi, à ces lamentables paroles, l’âme troublée et tremblant de la crainte que m’inspirait cette faute, je laissai échapper les armes que je tenais à la main. Je me précipitai vers lui et je vis, tombé dans l’eau, frappé au cœur, un jeune infortuné, portant la peau d’antilope et le djatà des anachorètes. Lui, profondément blessé dans une articulation, il fixa les yeux sur moi, non moins infortuné, et me dit ces mots, reine, comme s’il eût voulu me consumer par le feu de sa rayonnante sainteté : « Quelle offense ai-je commise envers loi, kshatrya, moi, solitaire, habitant des bois,pour mériterque tu me frappasses d’une flèche, quand je voulais prendre ici de l’eau pour mon père ? Ces vieux auteurs de mes jours, sans appui dans la forêt déserte, ils attendent maintenant, ces deux pauvres aveugles, dans l’espérance de mon retour. Tu as tué par ce trait seul et du même coup trois personnes à la fois, à mon père, ma mère et moi : pour quelle raison ? n’ayant jamais reçu aucune offense de nous ! Sans doute que ni la pénitence, ni la science sainte ne produisent, je pense, aucun fruit sur la terre, puisque mon père ne sait pas, homme insensé, que tu m’as donné la mort ! Et même, quand il le saurait, que ferait-il dans l’état d’impuissance où le met sa triste cécité ? Il en est de lui comme d’un arbre, qui ne peut sauver à ses côtés un autre arbre que sape la hache du bûcheron. Va promptement, fils de Ra-ghou, va trouver mon père et raconte-lui cet événement fatal, de peur que sa malédiction ne te consume, comme le feu dévore un bois sec ! Le sentier, que tu vois, mène à l’ermitage de mon père : hâte-toi de t’y rendre et fléchis-le, de peur que, dans sa colère, il ne vienne à te maudire ! Mais, avant, retire-moi vite la flèche ; car ce trait au contact brûlant comme le feu de la foudre, ce trait, lancé par toi dans mon cœur, ferme la voie à ma respiration. Arrache-moi ce dard ! Que la mort ne vienne pas me saisir avec cette flèche dans ma poitrine ! Je ne suis pas un brahme ; ainsi, mets de côté la terreur qu’inspire le meurtre commis sur un brahmane. Un brahme, il est vrai, un brahme qui habite ces bois, m’a engendré, mais dans le sein d’une coudra. »
 
« Voilà en quels termes me parla ce jeune homme, que j’avais percé d’une flèche. À la vue de ce faible adolescent qui se lamentait de cette manière, gisant ainsi dans la Çarayoû, le corps mouillé de ses ondes, poussant de longs soupirs et déchiré par l’atteinte mortelle de ma flèche, je tombai dans un extrême abattement. — Ensuite, hors de moi, je retirai à contre-cœur, mais avec un soin égal à mon désir extrême de lui conserver la vie, cette flèche entrée dans le sein de ce jeune ermite languissant. Mais à peine mon trait fut-il ôté de sa blessure, que le fils de l’anachorète, épuisé de souffrances et respirant d’un souffle, qui s’échappait en douloureux sanglots, se con-vulsa un instant, roula hideusement ses yeux et rendit son dernier soupir.
Ligne 845 :
« Puisse être ce monde pour toi,, puisse être même pour toi l’autre monde stérile de bonheur, homicide fatale de ton mari ! Va dans les enfers, Kêkéyî, écrasée par la malédiction de ton époux ! Hélas ! je suis foudroyé, je suis anéanti par ton avide ambition du royaume ! Qu’ai-je besoin maintenant ou de l’empire ou des voluptés, quand tu m’as consumé dans le feu de l’ignominie ? Séparé de mon père, séparé de mon frère, qui était un second père à lues yeux, qu’ai-je à faire de la vie même, à plus forte raison d’un empire ? »
 
Dès qu’ils virent arrivée la fin de cette nuit, les chefs de l’armée, les brahmes et tous les collèges des conseillers divers s’étant réunis, entrèrent dans le château royal, veuf d’un souverain qui, vivant, ressemblait au grand Indra lui-même. CelteCette illustre assemblée s’assit autour de Bliarata, qu’elle voyait affligé, ses yeux remplis de larmes, plongé dans le chagrin, étendu sur la terre et semblable à un homme qui n’a plus sa connaissance.
 
Vaçishtha, le vénérable saint, dit à cet enfant désolé de Raghou, qui, le front baissé, traçait des lignes sur le sol avec la pointe du pied : « L’homme ferme qui, sans perdre la tête dans l’adversité, remplit comme il faut les obligations qu’il doit nécessairement acquitter est appelé un sage par les maîtres de la science. Ainsi, revêts-toi de fermeté, rejette le chagrin de ton cœur, et veuille bien célébrer sans délai, d’une âme rassise, les obsèques de ton père. Oui ! il a fini comme un être sans appui, ce vigoureux appui du monde, ton père, juste comme la justice elle-même. Alors, nous avons agité cette question : « N’y aurait-il pas un moyen de procéder aux funérailles sans Bharata ? » et nous avons déposé le corps du feu roi, ton père, dans un vaisseau d’huile exprimée du sésame. Veuille donc, ô mon ami, célébrer ses royales obsèques.
Ligne 968 :
Dos que Vaçishtlia se fut mis face à face avec lui et que Bharata Veut salué, le solitaire à la splendeur éclatante reconnut derrière le pourohita ce fils du roi Daçaratha. Le saint, qui était le devoir, pour ainsi dire, en personne, leur offrit à tous les deux sa corbeille hospitalière, de l’eau pour laver, de l’eau pour boire, des fruits, et répondit par à’aulres politesses aux respects de toute leur suite.
 
« Permets que je t’offre, dit le solitaire au fils de Kê-kéyî, les rafraîchissements qu’un hôte sert devant son hôte. — Ta sainteté ne l’a-t-elle pas déjà fait, lui répondit Baratha, en m’offrant de l’eau pour laver, cette corbeille de l’arghya et ces fruits mêmes, présents hospitaliers que l’on trouve dans les forêts ? — Je te connais, reprit l’anachorète d’une voix affectueuse : de quelque manière que tu sois traité chez nous, il plaira toujours à ton amitié pour moi d’en être satisfait. Mais je veux offrir un banquet à toute celtecette armée, qui marche à ta suite : ce me sera une joie de penser, noble prince, qu’elle a reçu de moi ce bon accueil.
 
« Pourquoi donc as-tu jeté loin d’ici ton armée ? »
Ligne 978 :
« Que la lune me donne ici les plus savoureux des aliments, toutes les choses que l’on mange, que l’on savoure, que l’on suce, que l’on boit, en nombre infini et dans une grande variété, toutes les sortes de viandes et de breuvages, toute la diversité des bouquets ou des guirlandes ; et qu’elle fasse couler de mes arbres le miel, la sourà et toutes les espèces de liqueurs spiritueuses ! »
 
Tandis que l’ermite, ses mains jointes, sa face tournée au levant, tenait encore son âme plongée dans la contemplation, toutes ces divinités arrivèrent dans son ermitage, famille par famille. Enivrante de ses parfums naturels mêlés aux célestes senteurs des Immortels, une brise, embaumée de sandal, hôte accoutumé des monts Dardoura et Malaba, vint souffler la délicieuse odeur de son haleine douce et fortunée. Ensuite, les nuages avec des pluies de fleurs couvrent la voûte du ciel : on entend à tous les points cardinaux résonner les concerts des Dieux et des Gandharvas. Le plus suave des parfums *cireule au sein des airs, les chœurs des Apsaras dansent, les Dieux chantent, et les Gandharvas font parler en sons mélodieux la vînâ. Formée de cadences égales et liées entre elles avec art, celtecette musique, allant jusqu’au faite du ciel, remplit tout l’espace éthéré, la terre et les oreilles de tous les êtres animés.
 
Quand la divine symphonie eut cessé de couler par le canal enchanté des oreilles, on vit au milieu des armées Viçvakarma donner à chacune sa place dans ces lieux fortunés. La terre s’aplanit d’elle-même par tous les côtés dans un circuit de cinq yodjanas et se couvrit de jeune gazon, qui semblait un pavé de lapis-lazuliau fond d’azur. Là, s’entremêlèrent des vilvas, des kapitthas, des arbres à pains, des citroniers, des myrobolans emblics, des jambons et des manguiers, parés tous de leurs beaux fruits.
Ligne 1 028 :
À ces mots, des guerriers tenant leurs javelots à la main pénètrent dans la forêt, où} peu de temps après, ils aperçoivent de la fumée. À peine ont-ils vu le sommet de cette colonne fumeuse qu’ils reviennent et disent à leur jeune souverain : « Ce feu n’a pas été allumé d’une autre main que celle des hommes : certainement, les deux enfants de Raghou sont là. Mais, si l’on n’y trouve pas les deux nobles fils de roi à la force puissante, du moins on y verra d’autres pénitents, qui pourront, habitués de ces bois, te fournir quelque renseignement. »
 
Ces paroles entendues, Bharata, qui tient la vertu en grand honneur, ce héros, qui écrase une armée d’ennemis : « Restez ici, attentifs à mon ordre ; vous ne devez pas quitter ce lieu, dit-il à tous les guerriers : je vais aller seul avec Soumantra et Dhrishthi. » Alors cette grande armée fit halte là, regardant celtecette fumée qui s’élevait devant elle par-dessus les bois ; et l’espérance de se réunir dans un instant au bien-aimé Râma augmentait encore la joie de Ions les cœurs.
 
Après qu’il eut demeuré là un long espace de temps, comme le plus noble ami de cette montagne, tantôt amusant de propos aimables sa chère Vidéliaine, tantôt absorbé dans la contemplation de sa pensée, le Daçarathide, semblable à un immortel, fit voir à son épouse les merveilles du mont Tchitrakoùta, comme le Dieu qui brise les cités en eût montré le tableau à sa compagne, la divine Çatchî. » Depuis que j’ai vu cette délicieuse montagne, Sitâ, ni la perte de cette couronne tombée de ma tête, ni cet exil même loin de mes amis ne tourmente plus mon âme. Vois quelle variété d’oiseaux peuple cette montagne, parée de hautes crêtes, pleines de métaux et plus élevées que le ciel même, pour ainsi dire. Les unes ressemblent à des lingots d’argent, celles-ci paraissent telles que du sang, celles-là imitent les couleurs de la garance ou de l’opale, les autres ont la nuance de l’éme-raude. Telle semble un tapis de jeune gazon, et telle un diamant, qui s’imbibe de lumière. Partout enfin cette montagne, embellie déjà par la variété de ses arbres, emprunte encore l’éclat des joyaux à ses hautes crêtes, parées de métaux, hantées par des troupes de singes et peuplées d’hyènes, de tigres ou de léopards.
Ligne 1 046 :
Quand Râma eut fait voir à la fille du roi Djanaka les merveilles du mont Tchitrakoûta et de ce fleuve, agréable champ de lotus, il s’en alla d’un autre côté. Au pied septentrional de la montagne, il vit une grotte charmante sous une voûte de roches et de métaux, secret asile, peuplé d’une multitude d’oiseaux ivres de joie ou d’amour, ombragé par des arbres aux branches courbées sous le poids des fleurs, à la cime doucement balancée par le souffle du vent. À l’aspect de cette grotte faite pour captiver les regards et l’âme de toutes les créatures, l’anachorète issu de Raghou dit à Sitâ, dont les beautés de ce bois tenaient les yeux émerveillés :
 
« Ma Vidéhaine chérie, ta vue s’arrête enchantée devant celtecette grotte de la montagne : eh bien ! asseyons-nous là maintenant pour nous délasser de noire fatigue. C’est en quelque sorte pour toi-même que ce banc de pierre fut disposé là devant toi : à côté, la cime de cet arbre le couvre de ses rameaux pendants comme d’une crinière embaumée, d’où s’écoule une pluie de fleurs. »
 
Il dit ; et Sitâ, que la nature seule avait faite toute belle, répondit à son époux avec le plus doux langage et d’une voix saturée d’amour : « Il m’est impossible de ne pas obéir à ces paroles de toi, noble fils de Raghou !
Ligne 1 070 :
Aussitôt Lakshmana se hâte de monter sur un arbre fleuri, d’où il observe l’un après l’autre chaque point de l’espace. Il promène sa vue sur la région orientale, il tourne sa face au nord, et fixant là son regard attentif, il voit une grande année toule pleine de chevaux, d’éléphants, de chars, et dont les flancs étaient protégés par une infanterie vigilante. Le tigre des hommes, Laksh-mana, qui terrasse les héros ennemis, revint dire à son frère : « C’est une armée en marche ! » Puis, il ajouta ces paroles : « Donne trêve au plaisir, noble fils de lla-ghou ; fais entrer Si(à dans une caverne ; attache la corde à deux solides arcs et couvre-toi de la cuirasse. »
 
Quand Râma eut appris que c’était uoe armée toute pleine de chevaux, d’éléphants et de chars : « À qui penses-tu que soit cette armée ? » demanda-t-il au fils de Soumitra. Est-ce un monarque ou le fils d’un roi, qui vient chasser dans celtecette forêtV Ou, si quelque autre chose, Lakshmana, te semble être la vérité, dis-le-moi. »
 
À ces mots, Lakshmana, flamboyant ’dans sa colère comme un feu impatient de brûler tout, répondit à Râma ces paroles : « Assurément, c’est ton rival, c’est le fils de Kékéyî, ce Bharata, qui s’est déjà fait sacrer et qui vient, nous immolera la fureur de son ambition. Je vois briller sur les épaules de cet éléphant un arbre au tronc énorme, à l’immense ramure : on dirait un ébénier des montagnes, le drapeau de Bharata ! Ces coursiers bien dressés, qui vont au gré du cavalier, sont de rapides chevaux, nés dans le Yànâyou ; ces guerriers ont pris tous l’arc au poing : ainsi, prépare-toi, homme sans péché ! Ou bien cours te cacher toi-même avec ton épouse dans une caverne de la montagne ; carie drapeau de l’ébénier vient nous livrer bataille et nous tuer. »
Ligne 1 094 :
L’aîné des Raghouides mit un baiser au front de Bharata, le serra dans ses bras, le fit asseoir sur le haut de sa cuisse et lui adressa même ces questions avec intérêt :
« Où ton père est-il, mon ami, que tu es venu dans ces forêts ? car tu ne peux y venir sans lui, quand ton père vit encore. Va-t-il bien ce roi Daçaratha, fidèle observateur delà vérité, ce prince continuellement occupé de sacrifices, soit ràdjasoûyas, soit açvamédhas, et ’qui sait le devoir dans sa vraie nature ? Ce brahme savant, inséparable de la justice, le précepteur des lkshwàkides, est-il honoré comme il doit l’être, mon ami, cet homme riche en mortifications ? Kâauçalyà est-elle heureuse avec son illustre compagne Soumitrà ? Est-elle aussi dans la joie celtecette Kêkéyî, l’auguste reine ?
 
« Tes ministres sont-ils pleins de science, mon ami, remplis de courage, maîtres de leurs sens, attentifs à ton moindre geste, l’âme toujours égale, reconnaissants et dévoués ?
Ligne 1 154 :
Quand Bharata eut cessé de lui parler ainsi, Râmà, continuant à marcher d’un pied ferme sur le chemin du devoir, lui répondit ce discours plein de vigueur au milieu de l’assemblée : « L’homme ici-bas n’est pas libre dans ses actes ni maître de lui-même ; c’est le Destin, qui le traîne à son gré çà et là dans le cercle de la vie. L’éparpilleraient est la fin des amas, l’écroulement est la fin des élévations, la séparation est la fin des assemblages et la mort est la fin de la vie. Comme ce n’est pas une autre cause que la maturité qui met les fruits en péril de tomber : ainsi le danger de la mort ne vient pas chez les hommes d’une autre cause que la naissance.
 
« Telle que s’affaisse une maison devenue vieille, bien qu’épaisse et jusque-là solide, tels s’affaissent les hommes arrivés au point où la mort peut jeter sur eux son lacet. La mort marche avec eux, la mort s’arrête avec eux, et la mort s’en retourne avec eux, quand ils ont l’ait un chemin assez long. Les jours et les nuits de tout ce qui respire ici-bas s’écoulent et tarissent bientôt chaque durée de la vie, comme les rayons du soleil au temps chaud tarissent l’eau des étangs. Pourquoi pleures-tu sur un autre ? Pleure, hélasl sur toi-même, car, soit que tu reposes ou soit que tu marches, la vie se consume incessamment. Les rides sont venues sillonner vos membres, l’hiver de la vie a blanchi vos cheveux, la vieillesse a brisé l’homme, quelle chose nîainlcnant peut-il faire d’où lui vienne du plaisir. Les hommes se réjouissent, quand l’astre du jour s’est levé sur l’horizon : arrive-t-il à son couchant, on se réjouit encore, et personne, à celtecette heure comme à Vautre, ne s’aperçoit qu’il a marché lui-même vers la fin de sa vie ! Les êtres animés ont du plaisir à voir la fleur nouvelle, qui vient succéder à la fleur dans le renouvellement des saisons, et ne sentent pas que leur vie coule en même temps vers sa fin en passant avec elles par ces mêmes successions.
 
« Tel qu’un morceau de bois flottant se rencontre avec un morceau de bois promené dans l’Océan ; les deux épaves se joignent, elles demeurent quelque peu réunies et se séparent bientôt pour ne plus se rejoindre : ainsi, les épouses, les enfants, les amis, les richesses vont de compagnie avec nous dans cette vie l’espace d’un instant, et disparaissent ; car ils ne peuvent éviter l’heure qui les détruit Nul être animé n’est entré dans la vie sous une autre condition : aussi, tout homme ici-bas, qui pleure un défunt, lui consacre des larmes qui ne sont point dues à son trépas. La mort est une caravane en marche, tout ce qui respire est placé dans sa route et peut lui dire : « Moi aussi, je suivrai demain les pas de ceux que tu emmènes aujourd’hui ! » Comment donc l’homme infortuné pourrait-il se désoler au sujet d’une route qui existait avant lui, sur laquelle ont passé déjà son père et ses aïeux, qui est inévitable et dont il n’est aucun moyen d’éluder la nécessité ? L’oiseau est fait pour voler et le fleuve pour couler rapidement : mais l’âme est donnée à l’homme pour la soumettre au devoir ; les hommes sont appelés avec raison les attelages du Devoir.
Ligne 1 208 :
Non loin du solitaire Tchitrakoûta, il aperçut l’ermitage que Bharadwâdja, le pieux ermite, avait choisi pour son habitation. Le fils de race, le prince éminent par l’intelligence s’approche alors de la hutte sainte, descend de son char et vient toucher de sa tête les pieds de Bharadwâdja. Tout joyeux à la vue du jeune monarque : « As-tu vu Râma ? lui dit l’homme saint. As-tu fait là, mon ami, ton affaire ? »
 
À ces paroles du sage anachorète, Bharata, si attaché au devoir, fit celtecette réponse à l’ermite, qui chérissait le devoir : « Malgré toutes mes supplications jointes aux prières mêmes des vénérables, ce digne enfant de Rag-hou, ferme dans sa résolution, nous a tenu chez lui ce langage au comble d’une joie suprême : « Je veux tenir sans mollesse la parole que j’ai donnée à mon père dans la vérité : je reste donc ici les quatorze années, suivant la promesse que j’ai faite à mon père. »
 
« Quand ce prince à la vive splendeur eut achevé ces paroles, Vaçishlha, qui sait manier le discours, répondit en ces mots solennels à ce fils de Raghou, habile dans l’art de parler : « Tigre des hommes, ô toi, qui es ferme dans tes vœux et comme le devoir incarné, donne tes souliers à ton frère ; car ils mettront la paix et le bonheur dans les affaires au sein d’Ayodhyâ. » À ces mots de Vaçishtha, le noble Râma se tint debout, la face tournée à l’orient, et me donna, comme symbole du royaume, les deux souliers bien faits et charmants. J’acceptai ce don et maintenant, congédié par le très-magnanime Râma, je m’en retourne sur mes pas à la ville d’Ayodhyâ. »
Ligne 1 226 :
Assis dans son char, Bharata, de qui l’âme prenait toutes ses inspirations dans le devoir et dans l’amour fraternel, arriva bientôt à Nandigrâma, portant les deux souliers avec lui. Il entra dans le village avec empressement, descendit à la hâte de son char et tint ce langage aux vénérables : « Mon frère m’a donné lui-même cet empire comme un dépôt, et ces deux souliers, jolis à voir, qui sauront le gouverner sagement. »
 
À ces mots, Bharata mit sur sa tête, reposa ensuite les deux chaussures, et, consumé de sa douleur, il adressa ce discours à tous les sujets, répandus en couronne autour de lui : « Apportez l’ombrelle ! Hâtez-vous d’en couvrir celtecette chaussure, qu’ont touchée les pieds du noble anachorète ! Les souliers, ornés de cet emblème, exerceront ici la royauté. Ma fonction à moi, c’est de veiller, jusqu’au retour de ce digne enfant de Raghou, sur le cher dépôt que son amitié même a remis dans mes mains. Un jour, quand j’aurai pu rendre au noble Râma les souliers saints qu’il m’a confiés, et ce vaste empire dont je suis investi, c’est alors que je serai lavé de mes souillures dans Ayodhyà. Une fois l’onction royale donnée à cet illustre fils de Kakoutstha et le monde élevé au comble de la joie par son couronnement, quatre royaumes comme celui-ci ne payeraient pas mon bonheur et ma gloire ! »
 
Après que Bharata, l’homme à la grande renommée, eut exhalé ces paroles du fond de sa tristesse, il établit le siège de l’empire dans Nandigrâma, qu’il honora de sa résidence avec ses ministres. Dès lors on vit l’infortuné Bharata habiter dans Nandigrâma avec son armée, et ce maître du monde y porter l’habit d’anachorète, ses cheveux en djatà et le valkala fait d’écorces. Là, fidèle à l’amour de son frère aîné, se conformant à la parole de Râma, exécutant sa promesse, il vivait dans l’attente de son retour. Ensuite le beau jeune prince, ayant sacré les deux nobles chaussures, fit apporter lui-même auprès d’elles le chasse-mouche et l’éventail, insignes de la royauté. Et quand il eut donné l’onction royale aux souliers de son frère dans Nandigràma, devenu la première des villes, ce fut au nom des souliers qu’il intima désormais tous les ordres.
Ligne 1 372 :
À ce langage do Çoùrpanakhà, le fils de Soumitrà, habile dans l’art de parler, fixa les yeux sur la Rakshasî et lui répondit en ces termes : « Est-ce qu’il te siérait, devenant mon épouse, de servir un serviteur ? car je suis, ma haute dame, soumis à la volonté de mon noble frère aîné. À toi, femme de la plus éminente perfection, il te faut un homme de la plus haute fortune ; il n’y a qu’un sage qui soit digne de toi, douée entièrement des vertus que l’on désire : unie à ce noble personnage, sois donc ici, femme aux grands yeux, la plus jeune de ses deux épouses. »
 
Il dit ; à ces mots de Lakshmana, qui semblait deviner, sous la métamorphose de la méchante fée, ses dents longues et saillantes avec son ventre bombé, elle prit sottement pour la vérité même ce qui était une plaisanterie. Aussi courut-elle une seconde fois vers ce Da-çarathide à la grande splendeur, assis avec Sitâ ; et, folle d’amour, elle dit ces mots à l’invincible : « J’ai pour toi de l’amour, et c’est toi que j’ai vu même avant ton frère : sois donc mon époux un long temps ! Que t’importe celtecette Sitâ ? »
 
Alors, avec desyeux semblables à deux tisons allumés, elle fondit sur la Vidéhaine, qui la regardait avec ses yeux doux , comme ceux du faon de la gazelle : on eût dit un grand météore de feu qui se rue dans le ciel contre la belle étoile Rohinî. Aussitôt que Râma vit la Rakshasî lancée comme le nœud coulant de la mort, il arrêta la furie dans sa course, et ce héros à la grande force dit avec colère à Lakshmana : « Fils de Soumitrà, il ne faut pas jouer d’aucune manière avec des gens féroces et bien méchants : vois, bel ami ! c’est avec peine si ma chère Vidéhaine échappe à la mort ! Chasse à l’instant cette Rakshasî difforme, au gros ventre , infâme dans sa conduite et folle au plus haut degré. »
Ligne 1 467 :
Aussitôt le général des armées, plein de colère, Doû-shana à la vigueur épouvantable saisit une massue horrible à voir et pareille à une cime de montagne. Armé de cette grande massue toute revêtue de feuilles d’or et parée de bracelets d’or, mais toute semée de clous en fer à lapointe aiguë, terreur enfin de toutes les créatures et qui, semblable à un grand serpent, frappe d’un toucher écrasant comme la foudre même du tonnerre, pile et broie les membres de ses ennemis, le vigoureux Doûshana fondit, pareil au Trépas, sur le vaillant Râma, tel que jadis on vit le démon Vritra s’élancer contre le puissant Indra. Voyant Doûshana, enflammé de colère, s’avancer encore, impatient de lui donner la mort, le prompt guerrier de trancher avec deux flèches les deux bras armés et décorés de ce fier Démon, qui se précipitait sur lui dans le combat. L’épouvantable massue, échappant à la main coupée, tomba sur le champ de bataille avec le bras mutilé comme un drapeau deMahendra tombe du faîte de son temple ; et Doûshana lui-même fui abattu mourant sur le sol avec ses deux bras coupés, tel qu’un éléphant de l’Himâlaya, qui a perdu ses défenses. Alors, voyant Boû-shana étendu sur la terre avec sa massue, toutes les créatures d’applaudir au Kakoutsthide, en lui criant : « Bien ! bien ! »
 
Le champ de bataille était vide de combattants, car le feu des flèches de Râma les avait tous dévorés ; et, tel que dans le Niraya <ref>Le Tartare indien. </ref>, le sang et la chair en avaient détrempé l’argile. Les uns, percés d’une flèche, gisent privés de vie sur la terre : les autres se lamentent ; ceux-là fuient comme des insensés devant les dards qui les poursuivent. Râma, dans celtecette journée, immola quatorze milliers de Rakshasas aux exploits épouvantables ; et cependant il était seul, il était à pied, et ce n’était qu’un homme.
 
Le Rakshasa nommé Triçiras, ou le Démon aux trois têtes, se jeta devant le roi de l’armée défaite, Khara, qui s’avançait le front tourné vers le vaillant Raghouide, et lui tint ce langage : « Confie-moi ta vengeance, roi valeureux, et va-t’en d’ici promptement : tu verras bientôt le vaillant Râma tomber sous mes coups dans le combat. Ou je serai sa mort dans le combat, ou il sera mon trépas dans la bataille : mets donc un frein à ton ardeur belliqueuse et reste spectateur un instant. »
Ligne 1 493 :
Khara, tout bouillant de colère, jette à Râma, comme un tonnerre enflammé, sa massue ornée de bracelets d’or, énorme, ardente, horriblement effrayante, enveloppée de flammes, comme un grand météore de feu. Des arbrisseaux et même des arbres, dans le voisinage desquels cette arme passa, fl ne resta plus que des cendres. En effet, le monstre avait conquis par les efforts d’une violente pénitence cette massue divine, que lui donna jadis le magnanime Kouvéra.
 
Aussitôt le rejeton fortuné de Raghou, qui voulait détruire cette massue, prit dans son carquois le trait du feu, semblable à un serpent, et décocha celtecette flèche resplendissante comme la flamme. Le trait d’Agni, tout pareil au feu, arrêta la grande massue dans son vol au milieu des airs et la fit tournoyer plusieurs fois sur elle-même.
 
La massue rakshasî tomba, précipitée sur la terre, fendue et consumée avec ses ornements et ses bracelets, comme un globe de feu allumé.
Ligne 1 569 :
Le monstre aux dix visages repoussa, dans son orgueil, les bonnes paroles que lui adressait Màrîtcha, comme le malade qui veut mourir se refuse au médicament :
« Comment donc viens-tu me jeter ici, Mâritcha, ces discours sans utilité et qui ne peuvent absolument fructifier, comme le grain semé dans une terre saline ? Il est impossible que tes paroles m’inspirent la crainte de livrer une bataille à ce fils de Raghou, enchaîné à des observances religieuses, esprit stupide, et qui d’ailleurs n’est qu’un homme ; à ce Mma, qui, désertant ses amis, son royaume, sa mère et son père lui-même, s’est jeté d’un seul bond au milieu des bois sur l’ordre vil d’une femme. Il faut nécessairement que j’enlève sous tes yeux à cet homme, qui a tué Khara dans la guerre, celtecette belle Sitâ, aussi chère à lui-même que sa vie ! C’est une résolution bien arrêtée ! elle est écrite dans mon cœur : les Asouras et tous les Dieux, Indra même à leur tête ne pourraient l’y effacer !
 
« Si tu ne fais pas la chose de bon gré, je te forcerai même à la faire malgré toi : quiconque, sache-le, se met en opposition avec les rois ne grandit jamais en bonheur ! Mais si, grâces à toi, mon dessein réussit, Màrîtcha, je donne en récompense à la grandeur et d’une âme satisfaite la moitié de mon royaume. Tu agiras de telle sorte, ami, que j’obtiendrai la belle Vidéhaine : le plan de cette affaire est arrêté de manière que nous devons manœuvrer de concert^ mais séparés. Si tu jettes un regard sur ma famille, mon courage et ma royale puissance, comment pourras~tu voir un danger redoutable dans ce Râma, de qui ¥ univers a déserté la fortune ?
Ligne 1 611 :
« De cette gazelle, mon noble époux, que j’aimerais à m’asseoir doucement sur la peau étalée dans ma couche et brillante comme l’or ! J’exprime là un atroce désir, malséant à la nature des femmes ; mais cet animal ravit mon âme jusqu’à l’envie de posséder son corps si charmant. »
 
À ces mots de son épouse bien-aimée, Rflma, ce noble taureau du troupeau des hommes, dit alors, tout rempli de joie, au fils de Soumitrâ : « Vois, Lakslimana, le désir que cette gazelle fit naître à ma Vidéhaine : la beauté supérieure de son pelage est cause, vraiment ! que bientôt cette bête aura cessé d’être. Fils du monarque des hommes, il te faut resler sans négligence auprès de celtecette fille des rois jusqu’à ce que j’aie abattu cette gazelle avec une de mes flèches. Après que je l’aurai tuée et que j’aurai enlevé sa peau, je reviendrai, Lakshmana, d’un pied hâté ; mais, toi, ne bouge pas, que je ne sois de retour ici !
 
Voyant cette gazelle d’une splendeur égale à celle de l’Antilope céleste <ref>La tête d’Orion, appelée MBIGAÇIRAS, têle de gazelle, qui est la forme de cette constellation dans la sphère indienne. </ref>, Lakshmana, plein de soupçon, ayant roulé plus d’une fois cette pensée en lui-même, tint ce langage à son frère : « Héros, voilà cette forme prestigieuse dont se revêt souvent un Démon appelé Mârîtcha, comme jadis il nous fut raconté par de saints anachorètes, semblables au feu. Beaucoup de rois, armés d’arcs et montés sur des chars qui s’en allaient joyeux à la chasse furent tués dans le bois par ce Rakshasa, métamorphosé en gazelle.
Ligne 1 625 :
« Si elle se laisse prendre vivante par tes mains, cette jolie bête, elle fera naître ici l’admiration de ta grandeur à chaque instant, comme un être merveilleux. Et, quand, un jour, le temps de notre exil dans les bois révolu, nous aurons été rétablis sur le trône, elle servira encore, cette gazelle, d’ornement au sein même du gynœcée. Mais, s’il arrive que ce quadrupède, le plus merveilleux des animaux à quatre pieds, ne se laisse pas saisir tout vivant, sa peau du moins nous prêtera un brillant tapis. J’ai bien envie de m’asseoir dans mon humble siège d’herbes sur la peau, telle que l’or, de cet animal, abattu sous ta flèche. »
 
Elle dit ; et le beau Râma, à l’ouïe de ces paroles et à la vue de cette gazelle merveilleuse, adresse, fasciné lui-même, ces mots à Lakshmana : « Si la gazelle que je vois maintenant, fils de Somnitni, est une création de la magie, j’emploierai tous les moyens pour la tuer, car elle est fortement l’objet de mes désirs. Ni dans les bosquets charmants du Nandana, ni dans les bocages du ïchaîtraratha, il est impossible de voir une gazelle qui ait une beauté égale à la beauté de celtecette gazelle : combien moins, fils de Soumitrâ, n’en pourrait-on voir sur la terre !
 
« Cette gazelle ressemble à de l’or épuré : on dirait que ses pieds sont de corail : des étoiles d’argent sont peintes sur l’or de son pelage et deux lunes demi-pleines s’argententsurses flancs. En effet, de qui ne séduirait-elle point l’âme par sa beauté nonpareille, cette gazelle au corps infiniment gracieux, au visage de nacre et de perle ?
Ligne 1 770 :
À peine Djatâyou eut-il achevé ces belles paroles, que le robuste volatile se précipita avec impétuosité sur le dos même du Rakshasa. Il déchira tout l’entre-deux des épaules du monstre aux dix têtes avec ses ongles per^-çants et semblables aux aiguillons du cornac. Le bec et les serres de l’oiseau couvraient de blessures et mettaient le noctivague en morceaux. Saisi par les ongles acérés, le Démon s’agitait de tous les côtés, comme un éléphant se remue avec impatience, quand le conducteur est monté dessus et lui fait sentir sa pointe. Avec ses griffes, le roi des oiseaux lui sillonna tout le dos ; avec ses griffes et les blessures de son bec tranchant, Djatâyou laboura le cou entièrement. Avec les armes que lui donnaient son bec, ses pattes crochues et ses grandes ailes, il arracha les rudes cheveux du monstre et lui fit sentir la douleur dans tous les yeux de ses dix têtes.
 
Enfin, le noctivague prit la Vidéhaineà son flanc gauche et se mit lestement à frapper de sa main droite le volatile avec fureur. De son côté, enflammé de colère, Djatâyou, blessant à coups redoublés avec les serres, le bec et les ailes, fit passer Ràvana dans celtecette guerre à la couleur éclatante dvuii açoka en fleurs. Mais le vigoureux Daçagrîva furieux, s’armant de ses poings et de ses pieds, abandonne laVidéhaine et fait pleuvoir une grêle de coups sur le roi des vautours.
 
Ce nouveau combat entre ces deux athlètes d’une force prodigieuse, ne dura qu’un instant. En effet, Râvana, dég*ngé, *e’a son épée, il perça le flanc, il coupa les deux pieds, il trancha les deux ailes de l’oiseau, qui luttait si vaillamment pour la cause de Râma. Ses ailes abattues par le Rakshasa aux féroces exploits, le vautour tomba rapidement sur la terre, n’ayant plus qu’un souffle de vie.
Ligne 1 953 :
Hanoûmat eut à peine entendu ces grandes paroles de Sougrîva, qu’il s’élança de la montagne, où les racines des arbres puisaient leur nourriture, et se porta d’un saut jusqu’au lieu où marchaient les deux Raghouides.
 
Le noble singe, qui possédait la force de la vérité, ce messager à la grande vigueur dépouilla ses formes de singe ; il revêtit les apparences d’un religieux mendiant, et, commençant par les flatter suivant l’étiquette, il adressa aux deux héros ce langage insinuant : « Pénitents aux vœux parfaits, vous qui ressemblez au roi des Immortels, comment, anachorètes des bois, vos grandeurs sont-elles venues dans celtecette contrée où vos pas jettent l’épouvante parmi les troupes des gazelles et les aulres habitants des forêts ; vous, ascètes, de qui les yeux contemplent de tous côtés les arbres nés sur les rives de la Pampa, et qui n’êtes pas en ce moment le moins bel ornement de cetle rivière aux ondes fraîches ? Qui êtes-vous donc, vous, qui, remplis de force, êtes revêtus d’un val-kala ; vous, héros à la couleur d’or, qui, avec le regard du lion, ressemblez encore a » lion par une vigueur sans mesure et tenez à vos longs bras des arcs pareils à l’arc même d’Indra ?
 
« Vous, qui possédez la beauté, la richesse des formes et la splendeur, vous, les plus magnanimes des hommes, qui ressemblez aux plus magnifiques éléphants, et de qui la démarche fière me rappelle ces nobles animaux dans l’ivresse de rut ?
 
« Cette reine des montagnes rayonne de votre lumière ! Comment êtes-vous arrivés dans celtecette contrée, vous, qui méritez un empire et me semblez être des Immortels ? Vous, qui avez des yeux comme les pétales du lotus ; vous au front du qui vos cheveux en djàta forment un diadème ; vous, de qui l’un est le portrait vivant de l’autre, et qui paraissez venir du monde des grands Dieux ?
 
« Quand je vous parle ainsi, pourquoi ne me regardez-vous pas ? Et pourquoi ne me parlez-vous pas, à moi, que le désir de vous parler a conduit auprès de vous ? Un roi du peuple singe, âme héroïque et juste, nommé Sou-grîva, erre affligé dans le monde, fuyant les violences de son frère. Je suis un conseiller de ce monarque ; le Vent, sachez-le, est mon père ; j’ai la faculté d’aller en quelque lieu qu’il me plaise ; je prends à mon gré toutes les apparences ; j’ai changé tout à l’heure mes formes naturelles sous l’extérieur d’un religieux mendiant, et je viens du Malaya, conduit par l’envie de servir les intérêts de Sougrîva. »
Ligne 2 045 :
« Persuadé qu’il assurait nies derrières, je m’engageai dans cette grande caverne, et j’y passai toute une année à chercher la porte d’une calacombe intérieure.
 
« Enfin, je vis cet Asoura, de qui l’arrogance avait semé tant d’alarmes, et je tuai sur-le-champ mon ennemi avec toute sa famille. Cet antre fut alors inondé par un fleuve de sang, vomi de sa bouche ; et, râlant sur le sein de la terre, il exhala son âme dans un cri de désespoir. Après que j’eus tué Mâyâvi, mon rival, si cher à Doundoubhi, je revins sur mes pas et je vis fermé l’orifice de la caverne. J’appelai Sougriva mainte et mainte fois ; puis, n’ayant reçu de lui nulle réponse, la colère me saisit ; je brisai à coups de pied redoublés ma prison, et, sorti de celtecette manière, je revins chez moi sain el sauf, comme j’en étais parti. Il m’avait donc enfermé là ce cruel, à qui la soif de ma couronne fit oublier l’amitié qu’il devait à son frère ! »
 
« Sur ces mots, le singe Bàli me réduit au seul vêlement, que m’a donné la nature, et me chasse de sa cour sans ménagement. Voilà, fils de Raghou, la cause des persécutions répétées qu’il m’a fait subir. Privé de mon épouse et dépouillé de mes honneurs, je suis maintenant comme un oiseau, à qui furent coupées ses deux ailes.
Ligne 2 103 :
« Qu’Angada, noire fils, s’en aille, emportant avec lui tous les joyaux qui sont ici dans ton palais : qu’il offre de ta part ces richesses à Râma et signe un traité de paix avec ce héros d’une splendeur égale aux clartés du feu à la fin d’un youga. Ou bien abandonnons cette caverne et sauvons-nous dans une solitude des bois. Car, de concert avec Sougriva, le Daçarathide va s’étudier à nous enfermer dans un insurmontable danger. Avant que n’arrivent les infortunes, sache donc employer les moyens qui doivent les prévenir. »
 
Après que sa compagne au visage radieux, comme la reine des étoiles, eut parlé de cette manière, Bàli railla ses craintes et lui répondit en ces termes : « Comment puis-je dans celtecette colère, qu’il fit naître en moi, comment puis-je endurer, mon amie, les cris d’un ennemi qui vient rugir à ma porte avec une telle arrogance, et qui n’est après tout que le voleur de ma couronne ? Pour des héros, qui ne reculent jamais dans les combats et qui n’ont pas un front accoutumé à l’injure, tolérer une offense, ma chérie, est plus difficile que la mort !
 
« Ce noble fils de Raghou ne doit pas t’inspirer de la crainte à mon égard : s’il a de la reconnaissance et s’il connaît le devoir, il ne peut commettre une mauvaise, action. Quitte donc ce souci ! je vais sortir, combattre avec Sougriva et lui arracher son arrogance, mais je ne veux pas lui ôter la vie.