« Les Livres d’étrennes, 1881 » : différence entre les versions

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Entre autres obligations que la succession de l’année nous ramène, s’il en est quelquefois de pénibles, il en est d’agréables aussi, comme de feuilleter de beaux livres, et même d’en parler. On sait quel aspect de luxe élégant, depuis quelques années, ou plutôt quelle valeur d’art ont pris les livres d’étrennes, et, n’étaient quelques cartonnages encore trop épais, mais surtout trop dorés, il n’y aurait qu’à se féliciter des progrès du goût public, dont la plupart de ces volumes nous viennent périodiquement renouveler le témoignage. Nous ajouterons que, cette aimée tout particulièrement, il nous paraît y avoir dans le nombre de ces beaux volumes quelques ouvrages dont le texte est plus remarquable encore que l’illustration; — qui ne sont livres d’étrennes que pour être tombés, comme de rencontre, en décembre ; — et dont le contenu, pour son importance, ou pour son intérêt, ou pour sa nouveauté, mériterait en tout temps d’être signalé.
 
Nous ne disons pas cela, comme on pense, pour les deux magnifiques volumes que nous placerons, d’ailleurs, entre tous au premier rang, le ''Deuxième Récit des temps mérovingiens'' et ''l’Histoire d’Esther''. On en pourra prendre occasion, sans doute, pour relire des textes dignes, en effet, d’être relus, mais il est bien certain que ce qu’on y cherchera, ce sont les grandes compositions de M. Jean-Paul Laurens et les eaux-fortes de M. Bida. Le ''Deuxième Récit des temps mérovingiens'' <ref> ''Le Deuxième Récit des temps mérovingiens'', texte d’Augustin Thierry; compositions de M. Jean-Paul Laurens, 1 vol. in-f° Hachette.</ref>, — non pas
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précisément moins dramatique, mais moins serré que le premier, et plus dispersé, pour ainsi dire, en épisodes, — n’a pas moins heureusement inspiré M. Jean-Paul Laurens. Nous avons dit déjà l’année dernière comme la nature de son talent convenait à l’interprétation de ces scènes de violence et de deuil, de ces tragédies à la fois splendides et sanguinaires, de ce mélange enfin d’insolente magnificence et de simplicité barbare qui est la sombre, mais incontestable poésie de l’époque mérovingienne. Il ne s’agit pas, après cela, de savoir ou non si le caractère de l’interprétation est vraiment mérovingien, mais uniquement, s’il nous donne une sensation que nous ne puissions confondre avec nulle autre, et si cette sensation est légitime, je veux dire, s’il n’y a pas d’anachronisme grave dans la disposition générale des architectures, dans la mise en place des détails de costume ou d’ameublement, enfin dans ce que nous nous imaginons que devait être l’expression physionomique d’un Sigebert ou d’un Chilpéric. Je crois que l’on reconnaîtra ces mérites certains dans les compositions de M. Jean-Paul Laurens, et que le ''Deuxième Récit des temps mérovingiens'' ne sera pas accueilli moins favorablement que le premier. Les effets surtout que l’artiste a tirés de l’ampleur flottante et de la tristesse lugubre du costume monacal sont extraordinaires. L’expression n’est pas trop forte pour louer la troisième et la sixième de ces compositions, — les moines de Saint Martin essayant d’éloigner de leur monastère le débarquement des Francs, et l’évêque Salvius répondant à Grégoire de Tours le mot devenu légendaire : « Je vois le glaive de Dieu suspendu sur cette maison. »
 
''l’Histoire d’Esther'' <ref> ''L’Histoire d’Esther'', traduction de Lemaistre de Sacy, eaux-fortes de M. Bida, 1 vol. in-f° ; Hachette.</ref> comptera sans doute aussi, sauf peut-être une ou deux planches, la troisième, par exemple, et la huitième, qui sont mesquines d’aspect, parmi les meilleurs fragmens de cette vaste illustration de la Bible que M. Biffa poursuit depuis déjà, plusieurs années, et qui tient sa remarquable originalité d’une habitude, et d’une connaissance, et d’une science approfondie de l’Orient. M. Bida part de ce principe que, l’Orient, mais l’Orient véritable, non pas celui de certains peintres, étant le pays de l’immobilité, c’est à la lumière de ses coutumes, demeurées les mêmes jusqu’à nous et depuis le temps de Ruth ou d’Esther, qu’il faut interpréter la Bible. Aussi ne se contente-t-il pas de jeter un vêtement oriental sur les épaules de quelque modèle européen, mais chez lui les physionomies, les attitudes, les gestes sont visiblement d’une autre race, d’une autre contrée, d’un autre état social que les nôtres. Il a, de plus, ici, très ingénieusement fait servir à l’illustration de l’''Histoire d’Esther'' ce que les antiquités dites assyriennes lui fournissaient de renseignemens archéologiques. Nous
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en dirions davantage si nous pensions qu’il fût besoin d’aider à la fortune de l’œuvre de M. Bida. Mais ce serait en vérité comme si nous nous attardions à louer l’exécution typographique de ces deux volumes. Elle est ce qu’elle était l’an dernier, large, simple, sévère, correcte, et pour dire quelque chose de plus, elle n’est pas en caractères elzéviriens. Je ne comprends pas le succès du caractère elzévdirien.
 
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Où le procédé chromolithographique est encore bien à sa place, c’est quand on le fait servir, comme dans l’''Histoire du gentil seigneur de Bayard'' <ref> ''Histoire du gentil seigneur de Bayard'', édition rapprochée du français moderne, par M. Lorédan Larchey, avec une introduction, les notes et des éclaircissemens, 1 vol. in-8° ; Hachette.</ref>, à la reproduction des laides, mais caractéristiques miniatures de nos anciens manuscrits. Dans ce volume, ordonné sur le plan
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du ''Froissart'' publié l’an dernier par les soins de Mme de Witt, nous n’avons pas constaté sans plaisir que, tout en rapprochant le vieux texte du français moderne, l’éditeur, M. Lorédan Larchey, s’était acquitté de la tâche avec autant de discrétion que possible, se bornant à ''moderniser'' uniquement l’orthographe, ce qui ne laisse pas d’altérer toujours un peu la figure entière des mots, mais enfin ce qui ne désagrège pas, pour ainsi dire, le tissu de la prose originale ni n’enlève au texte authentique, du même coup que sa date, le meilleur de sa personnalité. Parmi les illustrations très abondantes et qui s’offrent presque à chaque page comme le commentaire animé du récit, nous avons particulièrement remarqué, sous la signature de M. Poirson, quelques petits bois d’une facilité de verve et d’une légèreté d’exécution singulière. En leur faveur, — comme en faveur aussi du caractère général de l’illustration, — nous ne tiendrons pas autrement rancune à quelques bois moins heureux et moins bien venus.
 
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Ne quittons pas les ouvrages où la chromolithographie se mêle
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aux autres procédés d’illustration sans signaler le troisième volume des ''Oiseaux dans la nature'' <ref> ''Les Oiseaux dans la nature'', par MM. E. Rambert et L.-Paul Robert, 1 vol. in-f° ; Lebet.</ref>, un ouvrage que nous avons eu déjà plusieurs fois l’occasion de recommander à nos lecteurs, à mesure même de sa publication. Les ''bois'' en sont toujours très remarquables et les chromolithographies aussi, — compositions originales, non plus simples reproductions, — dont nous ne saurions dire d’ailleurs si le procédé d’exécution est sensiblement différent de ce qu’il est d’ordinaire, mais qui, du moins, ont ce mérite à nos yeux de n’être pas, comme tant d’autres, assez désagréablement brillantées, gommées, vernies,.. c’est aux éditeurs à mettre ici le mot juste, et à nous épargner une autre fois l’embarras de le chercher.
 
Nous arrivons maintenant à des ouvrages où l’illustration, sans perdre de son importance ou de sa beauté, commence pourtant plus humblement à se subordonner au texte. Mettons ensemble les récits de voyages. Il n’en est pas moins de quatre, en 1881, qui, pour des qualités diverses, nous paraissent des plus intéressans que l’on ait publiés depuis longtemps. ''La Terre-Sainte'' <ref> ''La Terre-Sainte, son histoire, ses souvenirs, ses sues, ses monumens'', par M. Victor Guérin, 1 vol. in-f° ; Plon.</ref>, par M. Victor Guérin, n’est pas précisément ce qu’on appelle un récit de voyage, noté comme au jour le jour, sous la brusque impression du moment, mais plutôt un livre savamment composé, repris sur les souvenirs de l’auteur et didactiquement écrit. Le voyage, M. Guérin l’a fait, même il l’a fait plus d’une fois, à titre officiel, et chargé d’importantes missions scientifiques. Son nom, d’ailleurs, est connu pour celui de l’un des plus habiles explorateurs de la Terre-Sainte. Nous louerons donc volontiers l’exécution typographique de ce volume, qui est très belle; nous ne marchanderons pas l’éloge aux ''bois'', qui n’ont de défaut que d’être un peu plus noirs qu’il ne faudrait ; mais c’est au texte principalement que nous adresserons le lecteur. Il y trouvera l’une des descriptions les plus amples et les plus détaillées qu’il y ait d’une contrée toujours nouvelle à décrire, quoique si souvent décrite; de curieuses discussions d’histoire et d’archéologie, pour ne pas dire d’exégèse, sur les questions qui lèvent en quelque façon à chaque pas que l’on fait sur le sol de la Palestine; et si par hasard le style, un peu pompeux parfois, de M. Victor Guérin le choquait dans le goût que nous lui supposons ou plutôt que nous lui connaissons pour la mesure, il n’aurait qu’à relire le ''Voyage en Syrie'' de M. Gabriel Charmes et l’équilibre serait rétabli. Je ne pense pas que l’observation soit pour rien diminuer du très vif et très sérieux intérêt qu’on ne saurait manquer de prendre à la lecture du beau volume de M. Victor Guérin.
 
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Un voyageur qui ne pèche point par excès d’enthousiasme, c’est le voyageur italien dont on nous donne cette année, très bien imprimé, très bien illustré, le ''Voyage au Maroc'' <ref> ''Le Maroc'', par M. Edmondo de Amicis, traduction de M. Henri Belle, i vol. in-4° ; Hachette. </ref>, M. Edmondo de Amicis. Peu de voyageurs sont plus faciles, plus amusans, et plus profitables à suivre. C’est que tous ses récits sont marqués au même coin d’humoristique sincérité. M. de Amicis a cette rare qualité qu’il ne voit pas comme tout le monde et qu’il ne se croit pas tenu de sentir sur la foi de Murray, de Bædecker ou de Joanne. Homme d’esprit, observateur pénétrant, parfois même profond, metteur en œuvre très habile et conteur animé, persuasif, entraînant, ce qui ne va pas sans beaucoup d’imagination, les récits de M. de Amicis sont-ils toujours d’une rigoureuse exactitude? C’est de quoi, ne connaissant ni Tanger ni même Constantinople, nous ne pouvons répondre. Mais ce que nous dirons, c’est qu’en aucun état de cause nous ne voudrions que ces récits mêmes fussent autres qu’ils ne sont. Tant pis pour le Maroc et tant pis pour Constantinople, si, par hasard, ils ne ressemblaient pas au portrait que nous en a tracé le voyageur! Le Maroc est dans son tort. C’est le voyageur qui a raison. Ce qui d’ailleurs nous fait croire aisément que les impressions de M. de Amicis doivent être aussi vraies qu’amusantes, c’est que M. de Amicis a visiblement ce don, si rare, de communiquer sa sensation telle qu’il l’a reçue, simplement et fortement. Nous engageons donc tous nos lecteurs à lire non-seulement ''le Maroc'', mais aussi les autres voyages de M. de Amicis, en nous excusant d’avoir attendu jusqu’au temps des étrennes pour les leur signaler.
 
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Le très original voyage du major de Serpa Pinto : ''Comment j’ai traversé l’Afrique'' <ref> Comment j’ai traversé l’Afrique, par le major Serpa Pinto, traduction de M. Belin de Launay, 2 vol. in-8°; Hachette. </ref> rentre dans la catégorie des voyages d’exploration de cette terre, toujours mystérieuse, en dépit de ce que le siècle y a déjà dépensé d’efforts vraiment héroïques, de courage trop souvent malheureux, et de dévoûment mal récompensé. Le voyage de M. de Serpa Pinto, du
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moins, bien commencé, bien terminé, comptera parmi les plus heureux en même temps que parmi les plus importans. C’est presque de bout en bout, de l’Atlantique à l’Océan indien, de Saint-Paul-de-Loanda jusqu’à Port-Natal et par des contrées où nul Européen n’avait encore posé le pied que l’habile et courageux explorateur a traversé l’Afrique méridionale, se conciliant la faveur des plus gros potentats par des moyens qui n’avaient pas encore été, que je sache, employés jusqu’à présent, comme par exemple en leur faisant confectionner des culottes par ses noirs serviteurs, recueillant des observations scientifiques dont la difficulté même qu’il y avait à les faire nous garantit la valeur, et tenant un journal d’une absolue sincérité, dont nous laisserons au lecteur à juger maintenant quel peut être l’intérêt.
 
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Nous ne dissimulerons pas une prédilection toute particulière pour les ouvrages on nous voici : ce sont les ouvrages qui traitent de l’histoire de l’art. Ils manquaient à notre littérature. Et encore aujourd’hui, tandis qu’il existe en Allemagne, par exemple, je ne sais combien de ''Manuels de l’histoire de l’art'', nous attendons toujours en France qu’il plaise à quelque éditeur de nous en donner un qui compte et où l’on puisse apprendre. II y a bien à la vérité quelque chose de ce que nous demandons là dans le livre de M. Henry Havard : ''l’Art à travers les mœurs'' <ref> ''L’Art à travers les mœurs'', par M. Henry Havard, 1 vol. in-8° ; Quantin. </ref>. C’est dommage qu’il se rencontre dans la première partie de ce livre, sous prétexte d’esthétique et de philosophie de l’art, beaucoup de confusion. La seconde est plus intéressante, mais sans être tout à fait, même pour l’art français, dont M. Havard a voulu traiter uniquement, ce que le titre semblait promettre, une histoire de
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l’influence des révolutions des mœurs sur l’évolution de l’art ou encore une histoire de l’art déduite pour ainsi dire de l’histoire des mœurs.
 
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Il nous faudrait ici pouvoir signaler quelque ouvrage — fût-il de bien moindre importance et de proportions infiniment plus modestes — où quelqu’un eût eu l’heureuse idée de faire pour le moyen âge ce que MM. Perrot et Chipiez font pour l’antiquité. Nous n’en voyons malheureusement pas. Résignons-nous donc à franchir brusquement un intervalle de bien des siècles et venons au livre de M. Müntz sur ''les Précurseurs de la renaissance'' <ref> ''Les Précurseurs de la renaissance'', par M. Eugène Müntz, 1 vol. in-4° ; Librairie de l’Art.</ref>. Il fait partie d’une ''Bibliothèque internationale de l’art'' dont nous ne saurions trop applaudir l’intention, mais dont nous ne voyons pas bien, sur les titres que l’on nous donne, ce
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que sera la composition. Était-il, par exemple, urgent d’écrire l’''Histoire de la miniature byzantine'', et voire du ''Péplos d’Athéné Parthénos''? Il est certain que tout tient à tout, mais voilà bien des affaires ensemble. Quant au livre lui-même de M. Müntz, conçu d’après un plan que M. Müntz pouvait seul remplir, parce que, en général, les érudits sont assez étrangers aux questions d’art, mais les artistes, en revanche, plus étrangers encore aux questions d’érudition, il est digne du ''Raphaël'' que M. Müntz nous avait donné l’an dernier. Sous le nom de ''Précurseurs de la renaissance'', M. Müntz a donc compris non-seulement les artistes, — Nicolas de Pise, Giotto, Brunellesco, Donatello, Ghiberti, Masaccio, fra Angelico, — mais aussi les archéologues, amateurs et collectionneurs du XIVe et du XVe siècles. Au fond, c’est une tentative, une tentative heureuse, que nous croyons qui doit aboutir, pour restituer à l’étude de l’antiquité, dans le grand mouvement de la renaissance, la part d’influence, et d’influence décisive, que certains admirateurs excessifs du moyen âge essaient depuis quelques années de lui disputer. Il ne serait rien sorti du moyen âge, en Italie, non plus qu’ailleurs, sans le contact revivifiant de l’antiquité, ou du moins il en serait sorti tout autre chose que ce que la civilisation moderne en a vu sortir ; et l’art florentin lui-même, comme le prouve élégamment M. Müntz, par une simple distinction d’époques, aurait chu dans le naturalisme.
 
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Je ne sais si M. Charles Blanc n’est pas pour quelque chose dans la diffusion de ces idées barbares, mais peut-être que ce n’est pas le temps de le lui reprocher à l’occasion de sa ''Grammaire des arts décoratifs'' <ref> ''Grammaire des arts décoratifs'', par M. Charles Blanc, 1 vol. in-8° ; Loones.</ref>.
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Quelques théoriciens de l’art ont soutenu cette thèse qu’il n’y aurait point, à proprement parler, de division tranchée entre le grand art et l’art décoratif ou même industriel, mais qu’insensiblement, toutes les parties de l’art étant solidaires, le grand art, sous la seule condition du génie de l’artiste, se dégageait naturellement de l’art industriel comme de son enveloppe. A l’appui de leur opinion, ils invoquaient ces temps heureux de l’histoire de l’art où la poterie grecque marquait ses œuvres au coin de la même élégance ou de la même beauté sévère que la statuaire elle-même des Phidias ou des Praxitèle, ces temps encore où Benvenuto Cellini n’était pas plus fier d’avoir conçu son ''Persée'' que de l’avoir pu couler en bronze, ces temps enfin où l’on retrouvait dans l’ameublement et le costume français le même air de dignité de convenance, de majesté que dans la peinture de Lebrun ou de Poussin. Si nous entendons bien cette ''Grammaire des arts décoratifs'', ce doit être aussi là l’idée de M. Charles Blanc. Il ne resterait plus qu’à la discuter.
 
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La place va nous manquer : cependant nous nous reprocherions
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d’omettre l’élégant volume de M. André Lemoyne. M. André Lemoyne est un poète et un paysagiste. Il se révèle à nous aujourd’hui comme romancier. Son ''Idylle normande'' <ref> ''Une Idylle normande'', par M. André Lemoyne, illustrations de M. A. Duplais-Destouches, 1 vol. in-4° ; Charpentier.</ref>, très richement illustrée par M. Duplais-Destouches, est une délicate nouvelle, pleine de détails charmans et de fines observations. On y retrouve tout le talent du poète; peut-être pourrait-on reprocher au paysagiste d’y montrer trop souvent le bout de l’oreille. La partie descriptive y tient parfois une place trop importante, mais les personnages, se fondent si bien dans le paysage qu’ils forment avec lui un tout harmonieux. Ce livre, où le dessinateur a très habilement interprété la pensée de l’auteur, est sincèrement et spirituellement écrit. Il exhale un bon et sain parfum de nature, il est imprégné d’une émotion discrète, et, ce qui devient assez rare en ce temps de naturalisme à outrance, l’auteur a su s’y maintenir dans une région sereine où l’on respire un air pur et salubre comme celui de ces plages normandes qu’il décrit avec amour. Une autre idylle encore, — après la mer, les grandes bois, et la montagne après la plage, — ce pouvait être l’''Histoire d’un forestier'' <ref> ''Histoire d’un forestier'', par M. Prosper Chazel, 1 vol. in-8° ; Hennuyer.</ref>, de M. Prosper Chazel. Et, de fait, cela. d’abord en. avait la tournure; des chasseurs d’insectes, des pêcheurs de truites; mais, vers le milieu du volume, les Prussiens et Badois s’y sont mis et l’idylle s’est évanouie dans la fumée des batailles. Si d’ailleurs. nous n’adressons pas le volume aux mêmes lecteurs que l’''Idylle normande'', il ne laissera pas de trouver aussi son public.
 
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Il nous reste quelques mots à dire dés livres qui s’adressent plus
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particulièrement à la jeunesse. On nous les présente comme tels, et comme on nous les présente nous les prenons. Le fait est cependant que jeunes gens ou jeunes filles ne sont pas les seuls lecteurs qui puissent y trouver à la fois plaisir et profit. Je ne connais au moins personne qui ne puisse ou qui ne doive être heureux d’une occasion de relire ''Madeleine'', le délicat récit de M. Jules Sandeau, que la maison Hetzel nous donne cette année très agréablement illustré. ''Les Vieux de la vieille'' aussi, d’Erckmann-Chatrian, qui marquent un retour des auteurs à leur première ou plutôt à leur seconde manière, — la manière de leurs ''Romans nationaux'', — est un de ces récits que nous ne consentirons pas d’abandonner à la jeunesse, sous ce prétexte assurément étrange, mais caractéristique du temps présent, que tout le monde peut les lire en sûreté de conscience. Je ne crois pas enfin que ''l’Histoire d’un ruisseau'', par M. Elisée Reclus, ou ''la Vie de collège en Angleterre'', par M. André Laurie, soient ouvrages qui ne conviennent qu’à des collégiens. Le nom de M. Reclus recommande assez le nouvel ouvrage qu’il nous donne. Quant à celui de M. André Laurie, qui nous est offert comme le premier de toute une série, parce que au lieu de nous donner des renseignemens utiles sous forme de dissertation, il nous les donne encadrés dans les lignes d’une légère intrigue et sous la fiction d’une fable qui persuade plus agréablement la leçon, ce n’est pas une raison pour qu’il soit moins instructif et moins intéressant. Tous ces volumes nous viennent de la maison Hetzel. il convient d’y joindre le dernier récit de M. Jules Verne, ''la Jangada'', où les lecteurs habituels de l’auteur des ''Voyages extraordinaires'' ne manqueront pas de retrouver sa verve accoutumée d’invention et son amusante habileté d’arrangeur; ''le Secret de José'', de M. Lucien Biart, toujours aussi vif et spirituel conteur, et ''les Chasseurs de girafes'', du capitaine Mayne-Reid.