« Revue littéraire de l’Allemagne — 31 janvier 1843 » : différence entre les versions
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On serait dans une grande erreur si, en essayant de caractériser le mouvement intellectuel et les
Il n’est plus permis aux étrangers de juger cet heureux pays, et aux Français moins qu’à tous autres. Ces ''légers Français'', disent les docteurs d’Allemagne en affectant un air de grave supériorité, et par cette épithète ils condamnent d’avance toutes nos observations. Si on les loue, ils acceptent avec une royale bienveillance l’éloge comme un hommage qui leur est dû, et daignent même quelquefois témoigner qu’ils sont satisfaits. Si on les critique, oh! alors il se fait parmi ces régens de la pensée un terrible mouvement. Tous les journaux, grands et petits, sonnent le tocsin; tous les folliculaires courent aux armes. C’est une levée de drapeaux générale, une vraie croisade. L’Allemagne, divisée en tant de petits états et de petites villes, ne forme plus qu’un seul empire dès qu’elle se croit attaquée par l’étranger, et la presse, soumise à tant d’entraves, bâillonnée par tant de règlemens sévères, s’en donne à
En reprenant cette revue littéraire de l’Allemagne, nous devons nous attendre à soulever contre nous les invectives de la presse allemande, mais nous nous résignons d’avance à nous voir traduits à la barre de la ''Gazette de Leipzig'', injuriés dans les journaux de M. Kühn et de ses adhérens. Que nous importe la colère de cette école vaniteuse et stérile, qui n’a pas su respecter même le génie de ses maîtres, et qui, après avoir porté une main sacrilège à l’immortelle couronne de Goethe et de Schiller, s’est posée comme la régénératrice de l’art et des lettres en montrant au public, d’une main triomphante, quelques chansons immorales et quelques romans imités de ''Candide''? Il est au milieu de cette jeune Allemagne, qui a pris son orgueil pour de la force et son scepticisme pour du génie, il est une autre Allemagne laborieuse et féconde, réfléchie et puissante. C’est celle de tous ces graves professeurs d’université, qui continuent patiemment dans leur retraite austère leur cours d’enseignement et d’étude, de tous ces philologues qui se dévouent aux recherches les plus pénibles de l’érudition, de tous ces historiens qui font revivre à nos yeux, sous un jour nouveau, des annales inconnues ou défigurées. Cette Allemagne-là, nous l’aimons, nous la respectons. Les hommes qui lui appartiennent ont plus d’une fois éclairé la France par leurs travaux et n’ont pas nié ce qu’ils devaient à la France. Nous aimons leurs
Avant de suivre dans ses phases nouvelles le mouvement de la littérature allemande, nous devions faire cette réserve, afin qu’on ne nous’ accusât pas de confondre dans la même critique les esprits sérieux et les prétendus réformateurs modernes, le savoir et la jonglerie, l’honnête modestie et la fatuité. Nos paroles s’adressent en ce moment à cette tourbe inquiète et mercantile d’écrivains qui se jettent comme des frelons sur les fruits qui tentent leur convoitise, et portent partout la piqûre de leur aiguillon. Depuis plusieurs années, il existe un fait affligeant qui a déjà été signalé dans cette ''Revue'', et que nous devons livrer encore au jugement des honnêtes gens. Des hommes qui, soit pour suspicion de délit politique, soit pour quelque autre motif que nous ne voulons point rechercher, ont été forcés de quitter leur pays, sont venus se réfugier en France et y ont trouvé un asile libéral. Ils sont là, au milieu de nous, à l’abri des poursuites dirigées contre eux, accueillis avec tous les égards que la France a coutume de montrer à ceux qui invoquent son secours, protégés et en partie même salariés par notre gouvernement. Il semble que tout, dans leur situation, devrait leur inspirer un sentiment de sympathie pour la France, que si nos
A force d’entendre répéter les mêmes fables et de relire les mêmes récits répandus de toutes parts avec tant de persistance et d’audace, l’Allemagne, et cette fois je le dirai, l’Allemagne la plus honnête et la plus judicieuse ne doit-elle pas finir par en être impressionnée? Ne doit-elle pas à la longue nous croire entachés de tous les ridicules et livrés sans défense à toutes les mauvaises passions dont ses écrivains nous dotent si généreusement? On a beaucoup parlé de l’animosité que l’Allemagne manifesta contre nous en 1840; eh bien! j’ose l’affirmer, cette animosité était en grande partie le résultat de ces infidèles correspondances. L’Allemagne, unie à nous par tant de rapports d’intérêts matériels et de sympathies morales, par une longue communauté de travaux intellectuels, l’Allemagne ne pouvait en un jour briser tant de liens fraternels et s’éveiller un beau matin le
Un autre écrivain, après avoir inséré dans le ''Phénix'' et dans quelques autres journaux, dont il s’était fait le rédacteur, ces précieux articles datés de Paris, veut à son tour jouir des honneurs de la correspondance. Il arrive en France, y passe quelques semaines, et publie deux volumes, deux petits volumes il est vrai, qui, par l’exiguïté de leurs dimensions, font un singulier contraste avec ces massifs et honnêtes in-8° qui semblent inhérens à l’Allemagne. Mais ces petits volumes, si légers en apparence, renferment la quintessence des pensées les plus graves et des considérations les plus élevées. Ils touchent à toutes les questions qui nous agitent le plus vivement, et traitent avec une parfaite assurance du mérite et des défauts de nos hommes les plus éminens. Si, après cela, nous ne connaissons pas très bien notre situation, notre valeur et notre avenir, en vérité c’est notre faute.
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M. Gutzkow, qui est venu de Hambourg pour nous présenter, à nous et à l’Europe entière, ce fidèle tableau de notre pays, M. Gutzkow est l’un des novateurs les plus intrépides qui existent de par-delà les montagnes de la Thuringe et les plaines de Saxe. D’abord il a innové dans le style, ce qui, à vrai dire, n’est pas une tache sans mérite, car la langue littéraire allemande ne ressemble que trop d’ordinaire à un épais fourré mêlé de broussailles, de bruyères, où la lumière du soleil descend difficilement, et il faut savoir gré à celui qui y pénètre avec un instrument tranchant quelconque, ne fût-ce qu’une serpette, pourvu qu’il élague les branches parasites, les rameaux touffus, les longues lianes tortueuses qui, dans les récits des historiens et les contes des romanciers, entravent et voilent le chemin de la pensée. M. Gutzkow s’est fait une façon de langage souple et léger, parfois affecté et souvent prétentieux, mais net et transparent, chose assez rare avant lui. Une fois qu’il a eu atteint par sa légèreté de style cette innovation dans la forme, M. Gutzkow, fidèle à son système, en a imaginé une plus importante et plus profonde: ç’a été de mettre à la place de ces graves et pieuses croyances que l’Allemagne conservait comme le plus pur héritage de son génie national, tous les paradoxes irréligieux et les fantaisies immorales empruntés aux boutades misanthropiques de Rousseau et aux contes de Voltaire. Cette fois, la grave Allemagne, atteinte jusque dans la paix de son sanctuaire, a crié à la profanation; M. Menzell, qui d’abord avait exalté le génie naissant du jeune athlète, est entré dans une sainte colère et, abdiquant tout à coup l’erreur de son enthousiasme, a lancé contre le spoliateur de l’arche germanique un réquisitoire en forme. La censure s’en est mêlée, les gouvernemens ont pris parti pour la censure, et M. Gutzkow a expié dans la prison de Mannheim les témérités de son roman de ''Wally''.
Ainsi glorifié par une triple innovation de style, de scandale et d’emprisonnement, M. Gutzkow a dû nécessairement se croire appelé à de hautes destinées, et, dans le radieux sentiment de sa puissance et de sa mission, il a voulu voir, il a vu la France et l’a jugée. Ce qui semble à tant d’esprits sérieux une
Le 17 mars de l’année 1842, M. Gutzkow entre à Paris. Il y entre le
Cette première découverte doit faire pressentir tout ce qu’il y a d’aperçus ingénieux et de merveilleuses révélations dans le livre de M. Gutzkow. Nous ne suivrons pas ce profond observateur dans le cours incessant de ses visites et de ses pérégrinations. Il faudrait des volumes entiers pour commenter dignement les singuliers traits d’esprit qu’il sème dans ses petits livres. Que n’a-t-il pas vu pendant le peu de temps qu’il a employé à connaître Paris! Il a vu M. J. Janin, et il affirme que le talent de l’auteur de l’''Ane mort'' baisse de jour en jour, et que le critique ne conserve sa place aux ''Débats'' que par ses complaisances pour les propriétaires de ce journal. Il a vu quelques-unes de nos célébrités parlementaires et de nos hommes politiques. « Un jour, dit-il, un jeune professeur français, aujourd’hui conseiller d’état, arriva à Berlin dans le but d’apprendre l’allemand, et je lui donnai des leçons. Je lui expliquai l’Allemagne, et il m’expliqua la France. » La gasconnade hambourgeoise dépasse celle des bords de la Garonne. Le professeur dont il est ici question a trop d’esprit et de bon goût pour se faire expliquer l’Allemagne par un homme tel que M. Gutzkow, et s’il a jamais daigné parler de la France au pamphlétaire allemand, M. Gutzkow a certainement bien mal profité de son honorable entretien.
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M. Wasselrode parle ensuite du peuple allemand et le caractérise ainsi: « Voyez ce gros masque à la rude charpente, qui, pressé de tous côtés, froissé, mutilé, supporte tout avec un flegme patient. Essayons de le voir de plus près. Ah! je le reconnais, c’est notre cher Michel, la meilleure figure qui existe dans le carnaval de la vie, le pauvre bouc émissaire qui a pris sur lui toutes les fautes de l’humanité, et qui reçoit des coups quand les autres peuples se conduisent mal. Quoiqu’il soit doué par la nature du caractère le plus sérieux et le plus moral, le bon Michel est pourtant mis en tutelle pour toute sa vie, de peur qu’il ne se laisse aller à quelque légèreté. Du haut de la chaire, on lui fait de longs discours sur les voluptés effrénées de Sodome et de Gomorrhe, de Babylone et de Ninive; le pieux Michel se recueille tout repentant, se promet à lui-même de ne point s’abandonner à de tels plaisirs et de se mettre régulièrement au lit chaque soir à dix heures. Si, par hasard, Michel, en buvant un cruchon de bière avec son voisin, a eu le courage de calculer qu’il est assez injuste de lui faire payer un impôt considérable pour l’éclairage des rues, lorsqu’il est bien prouvé que les réverbères ne sont pas allumés pendant les trois quarts de l’année, à l’instant même les feuilles politiques et les historiens conseillers intimes lui retracent les horreurs de la révolution française, et le bon Michel, qui pourrait prouver parfaitement son alibi dans cette révolution ainsi que dans toute autre, baisse les yeux et rougit comme s’il avait pris place dans un club de jacobins, et dîné avec Marat et Robespierre. Si par hasard quelque peuplé s’avise un beau jour de remplacer la lourde coiffure de l’absolutisme par le léger bonnet phrygien, Michel peut être sûr qu’à l’instant même la police lui défendra de porter son chaud et agréable bonnet de nuit en laine, parce que ce bonnet ressemble beaucoup à celui des Grecs.
« L’homme le plus timide peut aussi avoir un moment d’oubli, et, s’il arrive que Michel essaie une fois de s’adresser à un de ses nombreux instituteurs dans ces termes respectueux : Votre excellence daignera-t-elle excuser et permettre... quoique... sans doute.., mais pourtant si j’osais très humblement avant qu’il ait achevé sa phrase, il est saisi sur place par les gendarmes et conduit en lieu de sûreté comme un tribun populaire et un démagogue dangereux. Et cependant voyez quelle figure rayonnante de santé et quels muscles nerveux! Il a gardé la force de l’ancienne race teutonique et pourrait, comme Goetz de Berlichingen, abattre d’un coup de poing un
M. Wasselrode passe tour à tour en revue les érudits qui écrivent commentaires sur commentaires, les poètes qui se donnent des airs mélancoliques de Byron et regardent chaque soupir qu’ils exhalent comme un élan de leur génie; puis il arrive aux pompes impériales de l’Autriche et au diplomate habile qui, depuis quarante ans, gouverne cet empire.
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«Silence! une assemblée nombreuse apparaît. L’empereur romain et sa suite vont se montrer dans un quadrille historique. Le peuple accourt de tous côtés et se dispute une place pour voir ce spectacle; il se presse, il s’entasse avec une sorte de frénésie. On entend les cris d’angoisse, le râlement des femmes et des enfans écrasés dans le tourbillon; mais les masses sont sans pitié. N’importe qui tombera, pourvu que nous puissions dire à nos enfans et petits enfans : Nous avons vu le manteau rouge de l’empereur romain, les officiers impériaux portant sur leur tête des casques étincelans et sur la poitrine les armoiries de l’état, ouvrant avec leurs hallebardes une rue au milieu de la foule. Le cortége est aussi pompeux qu’un intendant de la cour a pu le faire; hommes et chevaux sont couverts d’étoffes splendides; tout est brodé, armorié, empanaché à la façon du moyen-âge. Les historiens, qui, non contens de prêcher la contre-révolution, demandent encore le contraire de la révolution, affirment que ces costumes du moyen-âge sont non-seulement très poétiques, mais qu’on doit les regarder comme une garantie du repos social. En vérité ils n’ont pas tort, les hommes du moyen-âge ressemblaient à des dômes ambulans avec des façades architectoniques, des flèches, des volutes, des chapiteaux. Tous leurs vêtemens criaient, grinçaient, sifflaient; ils portaient dans ces vêtemens leur cachot avec eux et ne pouvaient prendre aucun élan physique ni intellectuel. Un homme de nos temps, avec ses cheveux courts, son habit étroit, sa cravate plissée, du haut de laquelle sa tête tourne librement de côté et d’autre, appartient au mouvement et ne peut être trop surveillé.
« Parmi les hauts fonctionnaires de l’état, nous distinguons un courtisan richement galonné: c’est le conseiller intime de son maître; il marche auprès de lui et lui souffle à l’oreille de pieuses maximes de gouvernement. Voyez quel caractère a ce masque, comme tout y est fortement empreint et gravé! qui pourrait démêler, dans les hiéroglyphes de ses rides, les passions d’un homme de
« Les autres masques peuvent encore, après leur travail journalier, leurs efforts honnêtes ou leur hypocrisie fatigante, reprendre dans le sommeil leur figure humaine; on a vu de vieux maîtres d’école, pauvres souffre-douleurs du monde grammatical, sourire dans leur repos quand leur rêve heureux leur rappelait l’âge d’or de la fable grecque. Les censeurs peuvent aussi sourire dans leur sommeil en songeant qu’ils boivent dans le même vase que la littérature démocratique. La reine Mab visite la couche de tous les hommes qui souffrent, et assoupit dans un baiser les souffrances de leurs veilles; le malheureux conseiller de l’empereur dort, quand il peut dormir, avec son lourd masque de fer et l’expression de son hypocrisie diplomatique. »
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« L’amour ne peut nous secourir, l’amour ne peut nous sauver. Commence tes mortels jugemens, ô haine! brise nos fers, conduis-nous là où les tyrans imprudens nous bravent. Nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.
« Que celui qui sent encore son
« Combattez sans relâche les tyrans de la terre, et notre haine deviendra plus sacrée que notre amour. Gardons, gardons l’épée jusqu’à ce que notre main se dessèche. Nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.
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« Nous ne voulons pas les avoir, ces despotes venus de l’Angleterre. Que chaque peuple garde sa richesse et sa honte. Nous ne voulons pas les avoir, ces princes qui nous écrasent; que le diable les emporte, et nous prierons pour eux. »
Évidemment l’Allemagne est en proie à une agitation morale et littéraire à laquelle elle n’entrevoit encore point de terme. Exaltée par son orgueil, et pénétrée cependant du sentiment de sa misère, elle cherche les hommes de génie qui lui ont donné aux yeux du monde une auréole de gloire et ne les trouve plus. Chaque fois qu’un nouvel écrivain apparaît dans ses steppes frappées de stérilité, elle crie au miracle, et annonce, à grand renfort d’éloges emphatiques et de fanfares, l’aurore d’une nouvelle ère; elle tresse une couronne et se hâte de la poser, tout humide encore de la rosée du jour, sur le front de celui qu’elle proclame son Messie; mais le lendemain, cette couronne tombe feuille à feuille. Alors l’Allemagne, fatiguée de ses inutiles efforts pour produire une
C’est assez guerroyer cependant contre les défauts actuels d’un pays que nous voudrions pouvoir louer sans réserve. Essayons de retracer quelques-uns de ses titres littéraires. Voici venir, sous le titre d’''Atta Troll'', un nouveau poème de M. Henri Heine. A en juger par ce que nous en connaissons, ce doit être une
Le peuple allemand a, dans son caractère même, les élémens essentiels de la poésie. Il est rêveur, superstitieux, tendre et ardent. Au fond de son
C’était après la guerre de trente ans. L’Allemagne, épuisée, accablée par cette lutte désastreuse, abdiqua pour ainsi dire son sentiment de nationalité littéraire, et se mit patiemment à marcher à la suite des écrivains étrangers. Le présent ne pouvait éveiller en elle qu’une pensée d’humiliation; le moyen-âge faisait pitié à ses savans elle se tourna vers l’antiquité; mais la France était là, qui prétendait reproduire dans ses bergeries et ses drames, dans les entretiens de l’hôtel de Rambouillet et les romans de Mlle de Scudéry, la quintessence de l’antiquité, et L’Allemagne n’alla pas plus loin. Elle copia nos Catons galans et nos Brutus damerets, elle eut ses Lucrèces langoureuses, ses héros en perruques, ses Tircis soupirant au pied des hêtres, et ses Chloés suivies d’un charmant troupeau. Le labeur mythologique étouffa l’inspiration; les termes de convention remplacèrent le trait senti et naturel. Au lieu de se laisser aller, comme les Minnesingers, aux douces et naïves rêveries, de peindre avec abandon l’image qui frappait leurs regards et l’émotion qui agitait leurs
On sait quelle réforme éclatante Klopstock, Voss, Lessing, Wieland, opérèrent, vers le milieu du XVIIIe siècle, dans cette prétendue imitation de l’antiquité. Après eux vinrent Goethe et Schiller, ces deux nobles poètes qui surent si bien allier le génie de l’école grecque avec celui des temps modernes. Déjà on commençait à revenir des préjugés qui avaient détourné l’attention des
Quand on voit comment l’école du moyen-âge s’est formée et sur quelles bases elle repose, on comprend l’éclat qui l’entoure et l’ascendant qu’elle exerce. Cette école tient à tout ce qu’il y a de plus profond et de plus vivace dans le caractère des Allemands, à leur gloire littéraire et historique, à leur sentiment de nationalité. Elle compte, du reste, parmi ses prosélytes, les hommes les plus distingués de l’Allemagne moderne. Grimm, Van der Hagen, Goerres, ont mis à son service le fruit de leurs laborieuses études; Burger lui e donné deux de ses chants les plus populaires; Goethe et Schiller lui doivent quelques-unes de leurs plus charmantes inspirations; Auguste et Frédéric Schlegel ont été ses apôtres ardens, Novalis son interprète religieux, Uhland son chantre chevaleresque. Tieck son poète le plus fécond et son conteur.
Tieck a écrit une vingtaine de volumes en prose et en vers, et la plus grande partie de ses
Dans la sympathie profonde que Tieck éprouvait pour le moyen-âge, il ne l’a pas seulement étudié en Allemagne, il l’a cherché en Angleterre, en France, en Espagne, partout où il trouvait dans une tradition populaire, dans un livre d’art ou de science, une manifestation originale du génie de cette époque. Il s’est passionné pour Calderon et Cervantes, pour les mystères et les fabliaux. Du récit poétique il a passé à la critique; il a publié sur le théâtre anglais antérieur à Shakspeare une
Toute cette longue étude du moyen-âge n’a pas été pour Tieck une tâche systématique entreprise dans le but de se faire un nom et de se donner, aux yeux de ses compatriotes, un caractère d’originalité en s’éloignant de la voie commune pour prendre une route abandonnée. C’est une
Tieck a publié une trentaine de nouvelles fort recherchées en Allemagne. Quelques-unes ont été traduites en français et ont eu parmi nous peu de succès. Il est facile d’en comprendre la raison. Ces nouvelles ne sont point du genre de celles qui ont le privilège de nous émouvoir; ce sont pour la plupart des études psychologiques fines et senties, mais dépourvues d’action. Son roman de ''Sternbald'', qui est sans contredit l’un de ses meilleurs, s’adresse surtout aux artistes. Sa ''Révolte dans les Cévennes'' aurait parmi nous un succès plus général; malheureusement l’auteur n’en a encore écrit que la première partie. Un de nos journaux a publié, il y a quelques années, la traduction d’une nouvelle de Tieck intitulée ''Le Voyage dans le Bleu'', qui renfermait des attaques assez vives contre plusieurs de nos écrivains. C’est une erreur de l’illustre poète, une erreur qui, à la distance où il se trouve de Paris, et avec les fausses idées que l’Allemagne se fait de notre littérature, nous paraît excusable.
Dans les derniers temps, l’activité littéraire de Tieck s’est un peu ralentie. Il y a plus de cinquante ans qu’elle dure. Cependant, chaque automne, il enrichit encore quelque ''Taschenbuch'' d’une ou deux nouvelles; il travaille à la publication de ses
Les premières pièces du recueil de Tieck datent de 1793, les dernières de 1840. C’est d’un bout à l’autre un concert de pensers d’amour et de religion, de rêves tendres et mélancoliques, sans une seule satire, sans un seul sentiment de haine et d’envie. Heureux le poète qui, après avoir sillonné pendant quarante ans les difficiles sentiers de la littérature, rassemble un jour les fleurs qu’il a cueillies le long de sa route, et ne trouve pas dans sa gerbe odorante une seule ronce, une plante amère, une épigramme!
Ah! si l’Allemagne, au lieu de s’abandonner aux vagues et aventureux systèmes qui l’égarent, au lieu de se laisser agiter, dominer, tromper par les vaniteuses et arides ambitions de ses jeunes écrivains, voulait rentrer dans ce domaine de la poésie candide et pieuse, chevaleresque et pure, qui est son vrai domaine, si elle voulait reprendre cette vie d’études et de recueillement dont ses grands maîtres lui ont donné l’exemple, quelle force ne trouverait-elle pas encore en elle-même, et quelles
Malheureusement, nous regardons en vain à l’horizon. A part un petit nombre
Au théâtre, on ne joue plus que de loin en loin les pièces de Goethe, Schiller, Lessing. Depuis la mort des deux grands poètes de Weimar, beaucoup de tentatives ont été faites pour prendre leur place; beaucoup de jeunes esprits, déployant leurs ailes au sortir du gymnase, se sont crus appelés à régénérer l’art. Qu’est-il résulté de toutes ces présomptions extravagantes, de toutes ces audaces d’écoliers soutenues par des acclamations de coteries? Rien, à part quelques drames, assez habilement conçus et élégamment écrits, mais longs et froids, de M. Grillparzer, à part la ''Griseldis'' de M. Munch Bullinghausen; rien, n’en déplaise à M. Gutzkow, qui a voulu transporter sur la scène l’excentrique immoralité de ses romans. Il y a pourtant à Berlin, dans cette ville qui se pose aujourd’hui comme la reine toute puissante, l’arbitre intellectuel et le mobile de l’Allemagne, il y a là un homme qui a fait à lui seul plus de drames et de comédies que Goethe et Schiller. Dans l’espace de vingt ans, M. Raupach a rempli les ''Taschenbücher'' allemands et inondé le théâtre royal prussien de ses productions. La Grèce, l’Italie, le monde réel et le monde imaginaire ont tour à tour attiré sa fantaisie, occupé ses loisirs. S’il reste quelque sujet à traiter après lui, ce n’est pas sa faute, il a fait tout ce qui dépendait de lui pour ne pas laisser une situation neuve, une passion intacte à ses successeurs. Le voilà maintenant qui dépèce l’histoire des Hohenstaufen, la découpe en silhouette, la groupe par scènes; quelques petites inventions çà et là, quelques monologues philosophiques, quelques légers anachronismes, saupoudrés du vernis de l’hexamètre, et toute une grande et chevaleresque époque se dresse sur le théâtre pour l’édification des Allemands. Shakspeare n’est à côté de M. Raupach qu’un petit garçon. Fi de ''Richard II'', de ''Henri IV'', du ''roi Lear''! Lisez les ''Hohenstaufen'' de M. Raupach. Voilà comment on fait revivre une histoire nationale. Le malheur est que l’infatigable dramaturge n’a point les qualités nécessaires pour justifier son étonnante fécondité; que, de l’aveu même des critiques d’outre-Rhin, les sujets historiques qu’il a choisis sont d’une trop haute taille pour les dimensions de son esprit; que s’il a réussi parfois, dans ses incessantes tentatives, à revêtir d’un style agréable une situation intéressante, le plus souvent il n’a produit que des scènes communes, languissantes, inanimées, et des pièces fastidieuses. Mme Crelinger, que l’Allemagne proclame à juste titre sa première actrice, Mme Crelinger, condamnée à jouer ces pièces sur le théâtre royal de Berlin, leur a donné quelque peu de vie par la puissance de son jeu; mais là se bornait la magie de son talent, et M. Raupach, malgré l’énorme quantité de ses drames et de ses comédies, n’a jamais pu jouir d’un instant de vogue générale, d’un succès populaire.
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Dans cet état de pénurie, l’Allemagne en est revenue au point où elle était il y a quelque cinquante ans. Alors on traduisait Racine et Molière, Voltaire et Beaumarchais; maintenant on traduit nos vaudevilles et nos opéras-comiques. La musique d’Auber, d’Halévy, résonne, avec celle de Meyerbeer, dans tous les théâtres, et avec les valses de Strauss sur toutes les places et dans tous les ''lustgarten'' de l’Allemagne. De Mannheim à à Koenigsberg, le nom de M. Scribe est imprimé chaque soir en grosses lettres sur les affiches de spectacle, et non-seulement on nous traduit, mais on réimprime à Stuttgard, à Berlin, toutes les pièces de notre nouveau répertoire dramatique depuis les drames de MM. Hugo et Dumas jusqu’aux bouffonneries des Variétés. C’est une autre contrefaçon qui laisse peu de chances de succès à celle de Belgique.
Si de
De temps à autre, une voix grave et sévère s’élève du milieu de ces traducteurs faméliques et lance contre eux un arrêt de réprobation. Je lis dans le ''Deutsche vierteijahres Schrift'' les lignes suivantes : Pourquoi traduit-on plus mal en Allemagne que partout ailleurs?Pourquoi le sérieux Allemand, chaque fois qu’il s’occupe d’un idiome étranger, traite-t-il si légèrement sa propre langue? Qu’on pénètre dans cet amas de soi-disant journaux des beaux esprits, ''journaux de modes, chroniques du monde élégant''; qu’on regarde toutes ces feuilles qui se parent de l’écume des littératures étrangères et qui ont la prétention d’introduire au milieu de la nation allemande le raffinement des
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