« Michel-Ange et le Jugement Dernier » : différence entre les versions
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Il y a deux mois environ que ''le Jugement dernier'' a été offert aux curieux. Dans cet espace de temps, les journaux ont trouvé bien peu de place pour parler de l'impression de ce chef-d'
A qui faut-il s'en prendre de cette indifférence coupable? Doit-on se dire que les beaux ouvrages ne sont pas faits pour le public et ne sont pas appréciés par lui, et qu'il ne garde ses admirations privilégiées que pour de futiles objets? Serait-ce qu'il se sent pour toute production extraordinaire une sorte d'antipathie, et que son instinct le porte naturellement vers ce qui est vulgaire et de peu de durée? Y aurait-il, dans toute
Et s'il en était ainsi, ne serait-ce pas le plus saint devoir du critique de se tenir comme une sentinelle avancée, tout prêt à signaler les beaux ouvrages et à les recommander de toutes ses forces à l'admiration de la multitude? Bien loin de à, les artistes eux-mêmes, qui devraient être plus particulièrement touchés de l'apparition du ''Jugement dernier'', n'ont montré qu'un empressement médiocre dans cette circonstance. Ils ont reçu la copie avec des préventions injustes quant à l'original lui-même, il a été l'objet de critiques audacieuses qui attestent plus que jamais cette disposition anarchique des esprits qui anéantit toute autorité et nous conduit à une nouvelle barbarie, par le mépris des grands noms que l'admiration des siècles avait consacrés. On ne peut nier l'impression sans cesse décroissante des ouvrages qui s'adressent à la partie la plus enthousiaste de l'esprit; c'est une espèce de refroidissement mortel qui nous gagne par degrés, avant de glacer tout-à-fait la source de toute vénération et de toute poésie.
C'est aux artistes qu'il appartenait d'expliquer l'
Tous les artistes, et je parle des plus célèbres, ont échoué quand ils ont voulu peindre le jugement dernier. Ils se sont presque toujours épuisés à rendre palpable et, pour ainsi dire, possible la représentation d'une scène qui est tout imaginaire. Dans son tableau, si admirable d'ailleurs, de la chute des anges rebelles, Rubens a entassé et multiplié tous les moyens de la composition et de la couleur pour exprimer la confusion et le désespoir des damnés; il nous a montré la chute effroyable de tous ces réprouvés précipités les uns sur les autres dans des gouffres embrasés où des monstres les attendent et les saisissent; mais tout en admirant la prodigieuse force d'invention du peintre, on reconnaît que le mérite, je dirai même le charme de l'exécution, a trop de part dans l'effet de son ouvrage. Tout cela est trop près de nous, par la vérité de l'imitation, pour agir sur l'ame comme le feraient des objets surnaturels. La chair de ses personnages est si palpitante, elle semble tellement animée par le sang qu'on voit circuler dans ces veines gonflées et à travers ces muscles tendus par la douleur, qu'il nous semble presque que nous pourrions assister à une scène pareille, comme serait par exemple la chute d'un édifice ou d'une montagne entraînant sous ses ruines une foule de malheureux.
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Parmi ces ames fortunées qui s'élèvent jusqu'au sommet de la composition et semblent faire autour du Christ comme une céleste couronne, on voit des amis qui se retrouvent et qui s'embrassent divine et touchante espérance! Au-dessous de ce groupe, Michel-Ange a personnifié les péchés capitaux et leur inflige à chacun une espèce de supplice analogue à la nature du péché. L'une de ces représentations est d'une crudité et en même temps d'une simplicité qui doit effaroucher la susceptibilité de notre siècle hypocrite, mais que les Italiens du XVIe siècle ont trouvée à sa place dans un pareil tableau et dans une église. J'en dirai autant de l'espèce de punition que Michel-Ange a jugé à propos d'infliger à un de ses ennemis qu'il place dans l'enfer à côté de la figure d'Ugolin.
Au sommet de la composition, dans deux espaces arrondis séparés par un ornement d'architecture, on voit des anges dans des postures diverses qui portent en triomphe les instrumens de la passion, ces gages du salut pour les ames fidèles, condamnation éternelle des ames perverses pour qui le sang du Christ a été répandu en vain. On pourrait y critiquer plus qu'ailleurs une grande recherche dans les poses et quelques gestes contournés à l'excès, si quelque chose pouvait avec raison être critiquée dans une
Qui croirait, si l'histoire ne nous l'apprenait, que cet ouvrage si plein de hardiesse dans la conception et d'une exécution si virile, est l'ouvrage d'un vieillard? Michel-Ange avait passé soixante ans quand il entreprit cet immense travail. La diversité de ses travaux, jointe aux contrariétés qu'il rencontra dans leur exécution, fut cause qu'il ne mit pas moins de sept ou huit ans pour l'achever; ce qui rend encore plus surprenante l'unité qu'on voit régner dans toutes ses parties, dont aucune ne trahit l'effort ou la fatigue.
Tel est l'étonnant ouvrage que nos yeux ont vu sans passion. Beaucoup d'artistes ont prétendu que la copie ne rendait qu'imparfaitement l'effet de l'original. Je suis loin de penser qu'elle soit en effet la reproduction exacte de tant de beautés. Je regarde même un pareil résultat comme tout-à-fait impossible. Outre la difficulté de s'identifier avec la manière libre et vigoureuse d'un peintre dont l'originalité est si vive, M. Sigalon a dû éprouver des embarras de toute espèce dans l'exécution de son travail. Tout le monde sait que la fresque est exposée plus que tout autre genre de peinture aux ravages du temps. De plus, les cérémonies religieuses qui ont lieu dans la chapelle Sixtine à diverses époques de l'année, y tiennent allumés très souvent une multitude de cierges dont la fumée a endommagé particulièrement toute la partie basse du tableau, celle où se trouvent la résurrection des corps et la chute des damnés entraînés dans la barque. Il a fallu des prodiges de constance et d'étude pour retrouver tous ces contours obscurcis et perdus dans une ombre qui n'est pas l'effet de la volonté du maître. Nous devons donc savoir un gré infini à M. Sigalon de n'avoir pas désespéré du succès au milieu des difficultés qu'il a dû rencontrer à chaque pas; ce serait aussi le lieu de remercier le ministre vraiment ami des arts qui a ordonné et suivi ce magnifique travail. Il n'a pas cru que ''l'argent du peuple'' fût trop mal employé à une simple copie, laquelle sauvera au moins d'un anéantissement qui semble prochain le souvenir d'un chef d'
Michel-Ange est le père de l'art moderne. On peut reprendre et blâmer les bizarreries, les extravagances même dans lesquelles l'imitation de son style a entraîné ceux qui s'en sont inspirés sans posséder une originalité propre; mais enfin, c'est à lui que s'arrête définitivement ce que j'appellerai l'art gothique, l'art naïf, si l'on veut, mais l'art qui ne se connaît pas et qui entrevoit à peine cette vive lumière qui ne brille qu'à des temps marqués. L'importance que l'on a voulu donner de nos jours à ces essais dans lesquels le génie de l'art se cherchait encore lui-même, a été l'effet d'une réaction louable sans doute contre une autre sécheresse et une autre raideur, celle de l'école française pendant les quarante dernières années, laquelle ramenait l'art à une espèce d'enfance par l'oubli systématique de tous les progrès que les grands maîtres lui avaient fait faire. Si l'on excepte quelques ouvrages d'un très petit nombre d'hommes privilégiés, les monumens de l'art pendant cette époque resteront comme un exemple singulier des aberrations auxquelles peut porter l'intelligence maladroite des meilleurs principes. L'imitation de l'antique, c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus noble dans l'invention et de plus simple dans les détails, avait conduit à l'absence entière d'invention et à l'exécution la plus étroite. Aussi les artistes de cette école se sont-ils presque toujours montrés peu sympathiques pour le talent de Michel-ange. Cette force et cette indépendance les subjuguent peut-être malgré eux; mais comme ce style renverse toutes leurs idées sur l'imitation, ils ont beau jeu contre l'exagération, la convention, si l'on veut, qui en sont inséparables.
On n'a pas craint d'affirmer que la vue du chef-d'
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