« Le musée étrusque du Vatican » : différence entre les versions

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Ces tombeaux, ces vases et tous ces divers objets sont de différentes époques. Ceux qui les ont classés se sont efforcés, autant que le leur permettait l'emplacement dont ils pouvaient disposer, de suivre dans leur arrangement l'ordre le plus naturel, c'est-à-dire de prendre l'art et la civilisation à leur enfance, et d'en montrer, par des productions de chaque époque, le développement, la maturité et la décadence. Malheureusement cette classification n'est encore qu'ébauchée pour l'ensemble de la collection; dans les seules salles des urnes funéraires, des tombeaux et des terres cuites, elle a été suivie avec quelque rigueur.
 
Les premières salles du musée contiennent naturellement les monumens des premiers temps de l'art étrusque. Ce sont des tombeaux du travail le plus simple, pour ne pas dire le plus grossier, en pierre brute, et recouverts de longues figures en péperin, en terre cuite, quelquefois en marbre. Ces statues naïves rappellent d'une manière étonnante, dans leur incorrecte simplicité, les statues gothiques ou byzantines qui décorent les porches de nos cathédrales. C'est le même travail mesquin et cependant ''cherché'' dans les draperies, disposées comme les rochets de nos prêtres, et dont les plis droits et parallèles semblent creusés avec un râteau de fer ; la même incorrection et le même manque de science dans les attaches et le modelé, les mêmes formes pauvres et allongées qui donnent à l'ensemble de la figure l'apparence d'une quenouille. Ces rudes ébauches d'un art à son enfance remontent à l'origine de la société étrusque, à cette période où la nouvelle colonie, naturellement commerçante, en relation avec les Égyptiens, alors à l'apogée de leur puissance, les imitait dans ses moeursmœurs et dans ses arts. Les statuettes en glaise noire trouvées en si grand nombre dans les premiers tombeaux de la nation semblent, à la coiffure près, calquées sur les modèles égyptiens de l'époque des Pharaons. Vous retrouvez dans l'ensemble de ces personnages les positions contraintes et raides des statues égyptiennes, la forme ovale et oblongue de leurs têtes, leurs yeux tirés en haut vers les coins, toujours obliquement à l'os du nez, leur bouche large et souriante et leurs pommettes saillantes. Les cheveux réunis derrière la tête dans une espèce de poche qui ressemble étonnamment aux bourses de nos coiffures du dernier siècle, ou séparés en longues tresses qui forment deux crochets sur la poitrine et tombent le long des reins jusqu'aux talons, diffèrent seuls des modèles de l'Égypte. Le travail des statues de péperin ou d'argile qui décorent les tombeaux est plus indépendant de l'imitation égyptienne; elles se rapprochent davantage des sculptures chinoises et mexicaines, et plus encore, comme nous venons de le dire, des premières statues gothiques. L'enfance de l'art est partout la même.
 
On voit, dans ces salles des tombeaux, un grand nombre de petites urnes d'albâtre destinées sans doute à renfermer des cendres et ornées de figurines et de bas-reliefs d'un travail plus incorrect que celui des statues des grands tombeaux. Ces urnes sont encore de l'école archaïque étrusque, mais ce travail fort imparfait est cependant facile, et facile jusqu'à la négligence. Ce sont autant d'ouvrages qu'on pourrait appeler ''de pacotille'', Chiusi, Pérouse et surtout Volterre étaient les principales fabriques de ces tombeaux. Les ateliers de Volterre surtout étaient fameux; leurs nombreux ouvriers trouvaient d'abondans matériaux dans les riches veines d'albâtre que renferment les contreforts de l'Apennin voisins de la ville. Cette école fut transitoire ; elle remplit l'espace intermédiaire entre l'école archaïque et l'école hellénienne qui suivit. Les groupes et les bas-reliefs qui accompagnent ces tombeaux offrent la représentation de sujets nationaux, retracent des actions héroïques dont l'histoire ne nous a pas conservé le souvenir, ou ont trait à d'antiques superstitions locales. Le sujet le plus répété de ces bas-reliefs, c'est la lutte du bon et du mauvais principe, telle que la concevaient les anciens Étrusques d'après les Orientaux. Leurs artistes d'ordinaire se montrent peu scrupuleux sur l'exactitude et la réalité des détails des scènes qu'ils représentent. Par une sorte d'anachronisme commun à toutes les écoles primitives, ils donnent leurs vêtemens et leurs armes aux personnages d'autres nations et d'époques antérieures, ou bien ils décorent le fond de leurs compositions d'édifices et de monumens empruntés à leurs villes; ainsi, dans un bas-relief représentant la mort de Capanée, l'artiste, au lieu de la porte de Thèbes, a figuré la porte de Volterre, telle qu'elle subsiste encore de nos jours (3).
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Le style grec ou hellénien, qui remplaça le style toscan, ne commença guère à régner qu'après Phidias. L'influence de cette grande école athénienne devait se faire sentir chez tous les peuples qui s'occupaient d'art, et les Étrusques étaient au premier rang de ces peuples. Déjà, du temps de Phidias, on les regardait comme les plus habiles potiers du monde connu, et les meubles, les ustensiles et tous ces objets d'usage domestique qu'ils fabriquaient, jouissaient, dans toute la Grèce et l'Asie mineure, d'une réputation méritée d'élégance. Les Grecs, si adroits eux-mêmes, en étaient fort curieux. Le vieux comique athénien Phérécrates, contemporain de Periclès, voulant vanter le travail d'un candélabre, se contente de dire qu'il est tyrrhénien (4). Cet éloge prononcé à Athènes, en plein théâtre, était d'un grand prix. Phidias lui-même avait donné à sa Minerve des sandales étrusques (an de Rome 322); enfin, quand les Grecs voulaient faire l'éloge d'un ouvrier habile et appliqué, ils disaient C'est un Toscan.
 
Les Étrusques étaient un peuple essentiellement commerçant, et tout nous porte à croire que l'art chez eux n'était qu'une branche de commerce de plus. Il est vrai qu'ils étendaient indéfiniment les applications de l'art; aussi, comme nous venons de le voir, leurs vases, leurs meubles et les ustensiles qui sortaient de leurs fabriques, étaient-ils très recherchés. Leurs statues, mais surtout leurs bas-reliefs, également appréciés, trouvaient des acheteurs dans toute l'Italie et même en Grèce. Phidias ayant opéré dans l'art une révolution complète, et donné à la statuaire grecque une prépondérance décidée, le culte de la nature fit place au culte de la beauté, et l'on rechercha plutôt la noblesse, la pureté et le grand caractère de la forme, que sa parfaite et naïve vérité. Les artistes toscans de la précédente école durent se soumettre au goût dominant; commerçans avant tout, ils se conformèrent aux caprices des acheteurs. Cette révolution dans l'art ne fut donc pas désintéressée, mais eut lieu sous l'influence d'un esprit mercantile qui ne nuisit cependant pas à son excellence. Cette révolution ne fut du reste parfaitement accomplie que du jour où Rome, déjà victorieuse des Étrusques, conquit la Sicile et puisa dans Syracuse les modes grecques (an de Rome 541). Dès-lors l'hellénisme domina dans la littérature, les arts, et même dans les moeursmœurs des peuples qui lui étaient soumis. Cette école étrusque hellénienne fut la plus durable et la plus féconde peut-être de toutes celles qui se succédèrent sur le sol de l'Italie. Pline rapporte que Marcus Flavius, général romain, s'étant rendu maître de Vulcinium (Bolsena), fit transporter de cette seule ville dans Rome deux mille statues, dont l'une de cinquante pieds de haut. Cet évènement se passait vers l'an 489 de la fondation de Rome, et par conséquent aux débuts de l'école hellénienne, qui fleurit du IVe au VIIe siècle de Rome. Sa décadence ne commença que vers le milieu du premier siècle de l'ère chrétienne. Les chefs-d'oeuvreœuvre de ce style sont ces belles statues de bronze qu'on croirait grecques au premier aspect, mais chez lesquelles, avec un peu d'étude, on distingue quelque chose de la vérité et du naturel primitif, et peut-être de la dureté de l'ancienne école toscane : les formes sont en effet plus anguleuses, les méplats plus larges et plus hardis, la charpente osseuse plus accusée, et en même temps les détails plus travaillés que dans les ouvrages des sculpteurs grecs. Le ''Harangueur étrusque'' de Florence, le ''Mercure barbu'' de la villa Borghèse, et les statues du ''Mercure sans ailes'', du ''Jeune garçon'' (Putto) et du ''Guerrier'' du Vatican, dont nous parlerons tout à l'heure, sont de précieux ''specimen'' de cette manière à laquelle appartint sans aucun doute cet ''Apollon'' toscan colossal de la bibliothèque du temple d'Auguste, si fameux dans l'antiquité (5).
 
Une autre cause de la prédominance du style grec, ce fut le manque d'épopée nationale chez les Etrusques. Obligés de prendre aux Grecs leur mythologie et leurs fables héroïques, ils durent leur emprunter aussi la façon de les exprimer. Cette observation nous ramène aux bas-reliefs en terre cuite dont les plus importans représentent, sur une surface de dix pieds carrés environ, les divers travaux d'Hercule : ''Hercule tuant le lion de Némée, combattant l'hydre de Lerne'', etc. C'est là surtout que l'on peut voir combien les Étrusques excellaient dans la représentation des animaux en mouvement. Pline nous apprend en effet que leurs artistes possédaient de profondes connaissances anatomiques, et qu'ils étudiaient la victime sous le couteau de l'aruspice. L'art grec n'a rien produit de plus achevé que ces bas-reliefs, et cependant ce n'était là qu'une décoration, que les pièces d'un lambris destiné à recouvrir une muraille. Quelques-uns de ces morceaux portent en effet des frises, des corniches et de petits entablemens; ce sont ceux qui formaient l'encadrement du lambris.
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On voit aussi des braisières (''focone'') tout-à-fait semblables à celles dont on se sert encore de nos jours pour se chauffer en Toscane et dans les environs de Rome, pays sans cheminées. Nous remarquerons encore une toilette de femme, de forme ovale, ornée de bas-reliefs et de statuettes en bronze d'une charmante exécution. Ce coffre, qui renferme les pinces, les miroirs, les peignes, et tous les ustensiles de toilette d'une petite maîtresse étrusque, est porté sur quatre pieds de griffon. Ces miroirs étrusques sont très singuliers. Ce peuple, plein de goût voulait de l'art jusque sur la surface de ses miroirs; des figures semblables à celles de ses vases et de ses coupes y sont burinées légèrement; ces détails devaient, ce me semble, nuire au poli et à la réflexion.
 
Nous ne savons pas pourquoi l'on a placé dans cette salle, consacrée à la bijouterie, aux meubles et ustensiles de toute espèce, plusieurs statues et fragmens de statues qu'à leur excellence on croirait grecques et du meilleur temps. La seule raison à donner, c'est que ces statues sont de bronze, et qu'on a voulu les réunir aux bronzes, dût-on placer côte à côte une marmite et un héros. Dans la salle des marbres étrusques, nous avions déjà remarqué la statue du Mercure sans ailes, qui est du meilleur goût et traitée avec cette finesse et en même temps cette largeur de modelé qui trompent l'oeil et lui font prendre le marbre pour de la chair. Nous avions aussi admiré dans les bas-reliefs plusieurs torses d'une souplesse et d'une passion qui rappellent les plus précieux ouvrages grecs. Notre surprise n'a cependant pas été moins complète, lorsque dans cette salle des bronzes, après avoir examiné une foule d'objets secondaires, nous nous sommes tout à coup trouvé en présence de la statue d'un guerrier étrusque. Cette statue, de la pose la plus naturelle, est revêtue d'une armure grecque, ou peu s'en faut, qui ne laisse voir que le cou, les jambes et les bras; mais ces seules parties nues peuvent lutter avec les chefs d'oeuvreœuvre de la statuaire antique du musée des Studi à Naples ou du Vatican. Ce bronze se meut et palpite. Ces jarrets se tendent et vont plier; le doigt s'enfoncerait dans ces chairs fermes et vivantes. Nous avons vu à Naples et à Florence d'autres statues étrusques fort vantées, mais aucune qui puisse le disputer pour la vérité, la perfection, l'idéal même, dans son repos et son apparente froideur, avec le guerrier étrusque du Vatican. Ce bronze est digne d'être placé à côté des plus beaux morceaux de la sculpture grecque, du Faune, de l'Hercule, ou des admirables bronzes d'Herculanum. Il leur est cependant antérieur de plusieurs siècles. Son style simple, naïf et précis, indique en effet le passage du style étrusque à l'époque hellénienne. Peut-être même un oeil exercé retrouverait-il quelque chose d'égyptien dans cet ensemble si calme de la statue, dans ses membres rapprochés du corps et d'un mouvement un peu anguleux. Cette statue a été trouvée à Todi; on lit à sa base une longue inscription en langue étrusque.
 
Non loin de la statue du guerrier, on voit un bras colossal pêché dans le port de Civita-Vecchia. Ce bras est-il étrusque? Il est permis d'en douter. Il appartenait à une statue de dix-huit à vingt pieds de haut. Il est, du reste, admirable de force et de grandeur. C'est beau comme Phidias, et cependant ceux qui coulèrent la statue à laquelle il appartenait, ne connaissaient que la partie extérieure de leur art et étaient de très mauvais fondeurs, comme on peut le voir par l'inégalité d'épaisseur des diverses parties de ce fragment et par les scories grossières dont l'intérieur est tout rempli. Mais j'ai tort de dire qu'ils ignoraient leur art, car il fallait déjà l'avoir poussé presque à ses limites pour arriver à cette perfection; la dimension colossale de la statue était peut-être la seule cause de ces imperfections, invisibles du reste, puisqu'elles étaient intérieures. Ces gens-là savaient leur art, ils en ignoraient seulement les procédés matériels et économiques.