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La première, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, ne finit guère qu'à Charlemagne. Les anciens monumens, que Tacite résume, nous montrent les différentes peuplades germaniques répandues sur la surface d'un vaste territoire qu'elles occupent plutôt qu'elles ne le fertilisent. Accoutumées à une vie errante, toujours combattues par les Romains, jamais domptées, nous les voyons attendre dans leurs forêts que l'heure soit venue de refouler chez eux les conquérans, et d'attaquer leurs agresseurs. Jusqu'au moment où les peuples septentrionaux deviennent conquérans à leur tour, et quelque temps même après la conquête, ils ont une civilisation, une forme de gouvernement, une religion, une poésie qui leur est propre. Leur esprit politique consiste à ne reconnaître en général que des chefs élus par eux, à laisser une autorité presque arbitraire aux supériorités physiques ou morales, de sorte qu'on y voit tantôt l'anarchie de la faiblesse, quand le chef a peu de force, tantôt le despotisme d'un guerrier habile et heureux. Ouvrez l’''Edda'' et les ''Niebelungen''; la lecture la plus superficielle y découvre un goût de rêverie et des sentimens profonds, sombres ou exaltés qui nous rappellent sans cesse que les héros et les bardes de ces vieilles poésies n'ont pas vu le ciel de l'Italie ou celui de l'Espagne. Ils ont beau s'agiter dans le monde extérieur, ils le revêtent toujours de formes empruntées à la vie intime. Cette époque a aussi sa philosophie, une philosophie à la manière des barbares, vague et indéterminée, parce qu'elle n'est qu'un développement instinctif, un fruit de la spontanéité et non pas de la réflexion, qui seule constitue la vraie philosophie. Cette philosophie primitive est la religion. Dans la mythologie de l’''Edda'' et des ''Niebelungen'', la supériorité de l'homme sur la nature est partout exprimée, et là est déjà une sorte de théorie philosophique. Sigurd, Sigefried, Attila, les héros du Nord, se jouent des accidens naturels; ils se plaisent au milieu des tempêtes de l'Océan, soupirent après les combats comme après des fêtes, sourient à la mort comme à une amie, et joignent à un profond mépris de la vie un sentiment énergique du devoir, et le goût d'un amour infiniment plus pur que celui des peuples du midi. Ce sont là, dans le berceau même de l'Allemagne, des germes féconds de la philosophie de l'avenir.
 
Pendant cette première époque, le Nord est païen, guerrier, libre et poétique; cette première forme de la civilisation germanique commence à s'altérer avec la conquête. Lorsque les peuples du Nord franchirent les barrières qui les séparaient des Gaules et de l'Italie, tout en détruisant la forme romaine, ils furent bien forcés d'en retenir quelque chose. Plusieurs de ces conquérans rapportèrent dans leur patrie les habitudes de la conquête; le despotisme militaire suivit les chefs victorieux et s'établit à la faveur même de leurs services et de leur gloire. Ainsi la conquête enfante toujours le despotisme, non-seulement pour les vaincus, mais aussi pour les vainqueurs. Bientôt la religion des conquérans succomba sous la religion des peuples conquis. Le christianisme, avec son culte et ses pratiques de sacrifice et d'amour, gagna ces grands coeurscœurs barbares, et repassant successivement toutes les barrières que les vainqueurs avaient eux-mêmes franchies, il pénétra jusqu'au sein de la Germanie. Le polythéisme scandinave et germanique, attaqué à la fois par l'épée, par la science, et par l'héroïsme jusqu'alors inconnu de la charité, ne put résister et fut vaincu; avec le paganisme périt la poésie qui naissait de cet état politique et religieux. Charlemagne, plus Franc que Gaulois, en remettant définitivement à l'église le soin de fixer et d'organiser la société barbare, termine cette première époque et commence la seconde.
 
Le caractère de cette nouvelle période de l'histoire de l'Allemagne est d'être profondément chrétienne et à la fois monarchique et libre. Les électeurs et les princes de l'empire choisissent leur chef tantôt dans une maison, tantôt dans une autre; le chef, l'empereur ainsi élu, reconnaît les limites de son autorité dans des lois grossières, mais religieusement observées, et surtout dans l'esprit électif qui n'était point alors un vain simulacre. Les peuples avaient eux-mêmes des droits défendus par les princes contre les usurpations du pouvoir impérial, et garantis contre les princes eux-mêmes par des institutions qui n'ont jamais été entièrement détruites : civilisation rude encore, il est vrai, mais pleine de force; la liberté germanique, appuyée sur une unité religieuse qui trouvait dans tous les coeurscœurs et dans tous les esprits une croyance absolue, fait alors de l'Allemagne une nation vraiment grande, respectée et redoutée de l'Europe entière.
 
La poésie de ces temps se trouve dans les chants des ''minnesangers'' et dans ceux des ''meistersangers'', qui ont beaucoup de ressemblance avec nos troubadours de Provence, et qui peut-être en tirent leur origine, Déjà le nom de ''meister'' indique qu'ils formaient école; cette poésie paraît d'abord, par cela même, moins originale et moins populaire que celle de la première époque. Toutefois, elle est populaire encore en ce sens qu'elle est en harmonie avec l'esprit général du temps; en effet, elle est accueillie et fêtée, surtout, il est vrai, dans les châteaux. Eh bien ! même dans cette poésie plus artificielle se retrouve ce charme de rêveries mélancoliques inconnu à l'Espagne et à l'Italie, et ce parfum de mysticité dans la religion et dans l'amour qui rappelle l'ancienne Allemagne.
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La philosophie de cette époque est la scholastique, qui méritait alors autant de respect qu'elle s'est attiré plus tard de mépris, lorsque, voulant garder un empire que les siècles lui avaient ôté, de souveraine légitime qu'elle était, elle se fit tyrannique et persécutrice. La scholastique n'était autre chose que l'ensemble des formules plus ou moins scientifiques dans lesquelles la réflexion naissante, appuyée sur l'''Organum'' d'Aristote, avait arrangé les doctrines chrétiennes à l'usage de l'enseignement. Les théologiens sont les philosophes d'alors, et ils se recommandent par un caractère de naïveté et de gravité, par une profondeur de sentimens et une hauteur d'idées qui leur assigne un rang très élevé dans l'histoire de la philosophie. Antérieurement aux universités, de grandes écoles florissaient de toutes parts en Allemagne, à Fulde, à Mayence, à Ratisbonne, et surtout à Cologne. La scholastique d'Allemagne est sans doute moins originale et moins féconde que celle de France, qui n'a ni égale ni rivale; toutefois elle présente de grands noms, dont le plus grand est celui d'Albert. Ne dédaignez pas cette philosophie, malgré sa forme quelque peu barbare; car la foi des docteurs et celle des disciples la vivifiait. Ainsi, d'un côté foi vraie dans le peuple, et liberté par conséquent, puisque le peuple croyait d'une croyance aussi libre que l'amour qui en était le principe; d'autre part, ferme autorité dans le gouvernement, parce que cette autorité se fondait sur le libre assentiment des peuples et sur de nobles croyances. Tel fut l'état philosophique, religieux, littéraire et politique de cette seconde époque. Ce sont là les beaux jours de l'empire germanique, dont de grands écrivains invoquent encore le souvenir avec enthousiasme.
 
Cette forme passa comme l'autre, comme passent toutes les formes. Ce qui contribua à l'énerver d'abord et à la dégrader ensuite, ce fut la trop grande influence de la domination étrangère en politique et en religion. Peu à peu les étrangers jouèrent en Allemagne un plus grand rôle que les gens du pays. Une ville d'Italie finit par dicter les croyances, les moeursmœurs et les moindres pratiques qui devaient s'observer au fond de la Thuringe. Un jour il arriva que sur le trône d'Allemagne se rencontra un prince dont la domination, s'étendant aussi sur les Pays-Bas, sur les Espagnes et sur la moitié de l'Italie, ne représentait plus aux peuples un gouvernement national. Charles Quint, Belge et Espagnol bien plus qu'Allemand, était parvenu au faîte d'une puissance qui, ne pouvant s'accroître, devait décliner. L'Allemagne peut se soumettre dans l'ordre extérieur et politique mais elle ne peut obéir qu'à son propre génie dans l'ordre intellectuel et moral ; elle réclama quelque liberté de détail sur un point de médiocre importance : elle ne fut pas entendue; elle résista donc, et .l'énergie de la résistance appelant la violence de la répression, et celle-ci redoublant celle-là, ainsi éclata et se répandit cette réformation religieuse et politique qui brisa l'unité de l'Europe et arracha le sceptre de l'Allemagne à la maison d'Autriche et à la cour de Rome.
 
Deux hommes commencèrent cette révolution, deux Allemands, deux hommes du Nord, dont l'un protesta avec une éloquence passionnée contre le despotisme religieux, et l'autre appuya cette protestation de son épée : je veux parler de Luther et de Gustave-Adolphe. Les discours de Luther minèrent le catholicisme; l'épée de Gustave abattit la maison d'Autriche et émancipa l'Allemagne. Mais, je dois le dire, ces deux grands hommes, en détruisant une forme qui ne convenait plus à l'esprit général, ne la remplacèrent par aucune forme nouvelle ferme et durable. De là l'anarchie qui dura long-temps et qui dure encore. Quand l'unité du saint-empire eut péri, et que le titre d'empereur fut devenu un titre vain qui n'était plus en réalité que celui d'empereur d'Autriche, les électeurs et les princes, rendus à l'indépendance, devinrent peu à peu des monarques absolus, et au despotisme régulier d'un seul succéda une foule de despotismes particuliers. De même, quand Luther eut détruit l'influence de Rome dans une grande partie de l'Allemagne, les esprits une fois sortis de la vieille autorité, n'en surent plus reconnaître aucune ; le luthéranisme eut aussi ses schismes, le calvinisme ses bûchers, et ce qui restait de foi ne sut plus à quelle forme se prendre et s'arrêter. La poésie, consacrée à chanter les croyances, les sentimens, les évènemens nés d'une forme religieuse et politique qui n'était plus, cessa d'être populaire; et comme une révolution n'est pas une situation, et que la poésie vit de formes déterminées, cette absence de formes ne fit pas éclore de poètes, et c'en fut fait de la poésie allemande. La philosophie du protestantisme suivit sa fortune. On vit s'élever en Allemagne une infinie variété d'écoles où la vieille scholastique subit des améliorations, c'est-à-dire des altérations continuelles; mais au milieu de cette confusion on ne trouve rien de grand, rien d'original, rien qui soit digne d'occuper sérieusement l'histoire.
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Ainsi donc, nulle loi, nulle liberté, nulle poésie nationale; des gouvernemens despotiques soudoyant des sophistes étrangers pour la destruction du vieil esprit germanique; une théologie fléchissant sous l'incrédulité et sous le sarcasme, et ne se défendant même plus; et, pour toute philosophie, une espèce de frivolité dogmatique ne dictant plus que des épigrammes et des brochures de quelques pages à la place des in-folio, respectables témoignages de la vieille science théologique; tel est l'état dans lequel Kant trouva l'Allemagne.
 
Je me trompe; un homme précéda Kant, et c'est aussi à lui qu'il faut attribuer l'honneur de s'être élevé le premier avec courage contre les frivolités serviles et despotiques de la cour de Berlin. Klopstock, homme de province, simple et grave, chrétien et Allemand au XVIIIe siècle, trouva dans son ame des chants inspirés qui, d'un bout de l'Allemagne à l'autre, furent accueillis comme l'aurore d'une poésie vraiment nationale. La cour de Berlin seule n'en fut point émue. En vain Klopstock présenta à Frédéric, en vers sublimes, l'apologie de la muse germanique : le grand roi ne comprit pas le loyal patriote; mais l'Allemagne l'entendit. La littérature tout entière entra dans la route que le génie de Klopstock lui avait ouverte, et, même avant la mort de Frédéric, on vit éclore un certain nombre de poésies nationales que tout le monde apprit par coeurcœur. Or, quel fut le caractère de cette poésie nouvelle? Avec le sentiment patriotique reparut l'esprit religieux, le génie rêveur et mélancolique de l'ancienne et immortelle Allemagne, et ces amours suaves et purs qui, dans Klopstock et dans Bürger, contrastent si noblement avec la fadeur ou la grossièreté de la poésie anacréontique des salons et des cours du XVIIIe siècle.
 
Au milieu de ce grand mouvement, un homme né à Kœnisberg, et qui, comme Socrate, ne sortit guère des murs de sa ville natale, publia un ouvrage de philosophie qui, d'abord peu lu et presque inaperçu, puis, pénétrant peu à peu dans quelques esprits d'élite, produisit, au bout de huit ou dix ans, un grand effet en Allemagne, et finit par renouveler la philosophie, comme ''la Messiade'' avait renouvelé la poésie. Kant étudia d'abord la théologie et les langues savantes; il avait un génie extraordinaire pour les mathématiques; il a fait même des découvertes en astronomie. Mais la philosophie présida à tous ses travaux et finit par absorber tous ses goûts : elle devint sa vraie vocation et sa principale gloire. Son caractère distinctif était un vif sentiment de l'honnête, une conscience droite et ferme qui fut révoltée des honteuses conséquences de la philosophie à la mode. D'un autre côté, Kant était de son siècle, et il redoutait, presque à l'égal du sensualisme, les conclusions, selon lui hasardées, de la métaphysique des écoles. On peut dire que Hume est le fantôme perpétuel de Kant : dès que le philosophe allemand est tenté de faire un pas en arrière dans l'ancienne route, Hume lui apparaît et l'en détourne, et tout l'effort de Kant est de placer la philosophie entre l'ancien dogmatisme et le sensualisme de Locke et de Condillac, à l'abri des attaques du scepticisme de Hume.
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Non seulement on peut distinguer la connaissance en matérielle et formelle, objective et subjective; mais on peut aussi la considérer par rapport à son origine, et rechercher si toutes nos connaissances viennent ou ne viennent pas de l'expérience.
 
A cette question, Kant répond avec l'esprit de son siècle entier que toutes nos connaissances présupposent l'expérience. On ne peut pas se prononcer plus nettement. « Nul doute, dit-il, que toutes nos connaissances ne commencent avec l'expérience; car par quoi la faculté de connaître serait-elle sollicitée à s'exercer, si ce n'est par les objets qui frappent nos sens, et qui d'une part produisent en nous des représentations d'eux-mêmes, et de l'autre mettent en mouvement notre activité intellectuelle et l'excitent à comparer ces objets, à les unir ou à les séparer, et à mettre en oeuvreœuvre la matière grossière des impressions sensibles pour en composer cette connaissance des objets que nous appelons expérience? Nulle connaissance ne précède l'expérience; toutes commencent avec elle. »
 
Mais Kant distingue entre commencer avec l'expérience et venir de l'expérience (''mit, aus''). Toutes nos connaissances présupposent l'expérience ; mais l'expérience seule ne suffit pas à les expliquer toutes. Prenons l'exemple déjà employé : un meurtre suppose un meurtrier. Si l'expérience n'avait jamais montré de meurtre, l'esprit n'aurait jamais eu l'idée d'un meurtrier; c'est donc l'expérience et l'expérience seule qui peut ici avoir fourni la matière de la connaissance. Mais en même temps la partie formelle et subjective qui s'exprime ainsi : tout changement suppose une cause de ce changement, cette partie formelle, tout en présupposant l'expérience de tel ou tel changement, surpasse cette expérience. Elle n'a pu commencer sans elle, mais elle ne dérive pas d'elle, car il est démontré que l'expérience d'aucun fait ne peut donner à l'esprit humain la notion de cause. L'esprit humain recherche des causes, parce que telle est sa nature, et il les recherche à l'occasion de telle ou telle circonstance. D'où il suit que la proposition: un meurtre suppose un meurtrier, et celle-ci qui la renferme, tout changement suppose une cause, contient en même temps et quelque chose d'expérimental et quelque chose qui ne vient pas de l'expérience.
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''L'introduction'' expose clairement les principaux traits de cette branle entreprise. Ce qui y frappe, au premier coup d'oeil, comme dans le ''Discours de la Méthode'', c'est la hardiesse et l'énergie de la pensée. Kant s'y donne ouvertement comme un véritable révolutionnaire. Comme Descartes, il dédaigne tous les systèmes antérieurs à sa ''critique''; il s'exprime sur le passé de la philosophie du ton tranchant et superbe des philosophes du XVIIIe siècle. En parlant avec ce dédain de tous les systèmes qui ont précédé, et en les présentant comme un amas d'hypothèses arbitraires, qui contiennent à peine quelques vérités comme par hasard, il ne lui vient pas une seule fois à l'esprit que les auteurs de ces systèmes, ce sont des hommes ou ses égaux ou ses supérieurs, Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz. Mais pourquoi serait-il respectueux envers le génie? Il ne l'est pas même envers la nature humaine. Il lui accorde bien une disposition innée à la métaphysique, mais c'est une disposition malheureuse, et qui jusqu'ici n'a produit que des chimères, et il se flatte, lui, à la fin du XVIIIe siècle, de commencer pour la première fois la vraie métaphysique, après trois mille ans d'efforts inutiles. On serait tenté de supposer, dans un tel dessein, sous de telles paroles, un orgueil immense. Pas le moins du monde. Kant était le plus modeste et le plus circonspect des hommes ; mais l'esprit de son temps était en lui. Et puis on ne fait pas les révolutions avec de petites prétentions, et Kant voulait faire une révolution en métaphysique. Comme toute révolution, celle-là devait donc proclamer l'absurdité de tout ce qui avait précédé, sans quoi il n'aurait fallu songer qu'à améliorer, et non pas à tout détruire pour tout renouveler. Kant, comme Descartes, auquel il faut sans cesse le comparer, préoccupé de sa méthode, ne voit qu'elle partout. Ce n'est pas de son propre génie qu'il a une grande opinion, c'est de celui de sa méthode.
 
C'est de là qu'il se relève, c'est de là qu'il triomphe. Descartes a dit quelque part qu'en se comparant aux autres hommes, il s'était trouvé supérieur à très peu et inférieur à beaucoup, et qu'il devait tout à sa méthode. Socrate aussi, deux mille ans avant Kant et Descartes, rapportait tout à sa méthode qui, au fond, était la même que celle du philosophe français et du philosophe allemand. Cette méthode est la vraie, c'est la méthode psychologique qui consiste à débuter par l'homme, par le sujet qui connaît, par l'étude de la faculté de connaître, de ses lois, de leur portée et de leurs limites. Elle naît avec Socrate, se développe avec Descartes, se perfectionne avec Kant, et avec tous les trois elle produit chaque fois une révolution puissante. Mais il n'appartient pas au même homme de commencer une révolution et de la finir. Socrate n'a été ni Platon ni Aristote, mais le père de l'un et de l'autre. Descartes à son tour n'est point Leibnitz, et Kant, qui a commencé la philosophie allemande, ne l'a ni gouvernée ni terminée. Cette philosophie marche encore, et ne paraît pas avoir atteint son dernier développement. Plus heureuse, la révolution française, née en même temps que la révolution philosophique de l'Allemagne, partie à peu près du même point, de la déclaration des droits primitifs et éternels de l'homme indépendamment de toute société, de toute histoire, comme l'autre des lois pures de la raison humaine indépendamment de toute expérience, proclamant également et le mépris du passé et les espérances les plus orgueilleuses, a parcouru, en quelques années, ses vicissitudes nécessaires, et nous la voyons aujourd'hui arrivée à son terme, tempérée et organisée dans la charte qui nous gouverne. La charte de la philosophie du XIXe siècle n'est pas encore écrite. Kant n'était pas appelé à cette oeuvreœuvre; la sienne était bien différente : il devait faire une révolution contre tous les faux dogmatismes, et contre les grandes hypothèses de l'idéalisme du XVIIe siècle, et contre les hypothèses mesquines et tout aussi arbitraires du sensualisme de son temps ; et cette entreprise, il l'a accomplie, grace à cette méthode dont je viens de faire connaître le caractère d'après les deux ''préfaces'' et l’''introduction'' de la ''Critique de la raison pure''. Peut-être une autre fois essaierons-nous d'aborder cette ''Critique'' elle-même, et d'introduire les lecteurs de la ''Revue'' dans l'intérieur de ce grand monument.