« Itinéraire de Paris à Jérusalem/Voyage/Notes » : différence entre les versions

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Voici la description que le Père Babin fait du temple de Minerve :
 
" Ce temple, qui paraît de fort loin, et qui est l'édifice d'Athènes le plus élevé au milieu de la citadelle, est un chef-d'oeuvreœuvre des plus excellents architectes de l'antiquité. Il est long d'environ cent vingt pieds et large de cinquante. On y voit trois rangs de voûtes soutenues de fort hautes colonnes de marbre, savoir, la nef et les deux ailes : en quoi il surpasse Sainte-Sophie, bâtie à Constantinople par l'empereur Justinien, quoique d'ailleurs ce soit un miracle du monde. Mais j'ai pris garde que ses murailles par dedans sont seulement encroûtées et couvertes de grandes pièces de marbre, qui sont tombées en quelques endroits des galeries d'en haut, où l'on voit des briques et des pierres qui étaient couvertes de marbre.
 
" Mais quoique ce temple d'Athènes soit si magnifique pour sa matière, il est encore plus admirable pour sa façon et pour l'artifice qu'on y remarque : ''Materiam superabat opus''. Entre toutes les voûtes, qui sont de marbre, il y en a une qui est la plus remarquable, à cause qu'elle est tout ornée d'autant de belles figures gravées sur le marbre qu'elle en peut contenir.
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" Le vestibule est long de la largeur du temple, et large d'environ quatorze pieds, au-dessous duquel il y a une longue voûte plate, qui semble être un riche plancher ou un magnifique lambris, car on y voit de longues pièces de marbre, qui semblent de longues et grosses poutres, qui soutiennent d'autres grandes pièces de même matière, ornées de diverses figures et personnages avec un artifice merveilleux.
 
" Le frontispice du temple, qui est fort élevé au-dessus de ce vestibule, est tel que j'ai peine à croire qu'il y en ait un si magnifique et si bien travaillé dans toute la France. Les figures et statues du château de Richelieu, qui est le chef-d'oeuvreœuvre des ouvriers de ce temps, n'ont rien qui approche de ces belles et grandes figures d'hommes, de femmes et de chevaux, qui parais sent environ au nombre de trente à ce frontispice, et autant à l'autre côté du temple, derrière le lieu où était le grand autel du temps des chrétiens.
 
" Le long du temple, il y a une allée ou galerie de chaque côté, où l'on passe entre les murailles du temple, et dix-sept fort hautes et fort grosses colonnes cannelées qui ne sont pas d'une seule pièce, mais de diverses grosses pièces de beau martre blanc, mises les unes sur les autres. Entre ces beaux piliers, il y a le long de cette galerie une petite muraille qui laisse entre chaque colonne un lieu qui serait assez long et assez large pour y faire un autel et une chapelle, comme on en voit aux côtés et proche des murailles des grandes églises.
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" A peine, dit Massillon, l'âme sainte du Sauveur a-t-elle ainsi accepté le ministère sanglant de notre réconciliation, que la justice de son Père commence à le regarder comme un homme de péché. Dès lors il ne voit plus en lui son Fils bien aimé, en qui il avait mis toute sa complaisance ; il n'y voit plus qu'une hostie d'expiation et de colère, chargée de toutes les iniquités du monde, et qu'il ne peut plus se dispenser d'immoler à toute la sévérité de sa vengeance. Et c'est ici que tout le poids de sa justice commence à tomber sur cette âme pure et innocente : c'est ici où Jésus-Christ, comme le véritable Jacob, va lutter toute la nuit contre la colère d'un Dieu même, et où va se consommer par avance son sacrifice, mais d'une manière d'autant plus douloureuse que son âme sainte va expirer, pour ainsi dire, sous les coups de la justice d'un Dieu irrité, au lieu que sur le Calvaire elle ne sera livrée qu'à la fureur et à la puissance des hommes. (…)
 
" L'âme sainte du Sauveur, pleine de grâce, de vérité et de lumière ; ah ! elle voit le péché dans toute son horreur ; elle en voit le désordre, l'injustice, la tache immortelle ; elle en voit les suites déplorables : la mort, la malédiction, l'ignorance, l'orgueil, la corruption, toutes les passions, de cette source fatale nées et répandues sur la terre. En ce moment douloureux, la durée de tous les siècles se présente à elle : depuis le sang d'Abel jusqu'à la dernière consommation, elle voit une tradition non interrompue de crimes sur la terre ; elle parcourt cette histoire affreuse de l'univers, et rien n'échappe aux secrètes horreurs de sa tristesse ; elle y voit les plus monstrueuses superstitions établies parmi les hommes : la connaissance de son père effacée ; les crimes infâmes érigés en divinités ; les adultères, les incestes, les abominations avoir leurs temples et leurs autels ; l'impiété et l'irréligion devenues le parti des plus modérés et des plus sages. Si elle se tourne vers les siècles des chrétiens, elle y découvre les maux futurs de son Eglise : les schismes, les erreurs, les dissensions qui devaient déchirer le mystère précieux de son unité, les profanations de ses autels, l'indigne usage des sacrements, l'extinction presque de sa foi, et les moeursmœurs corrompues du paganisme rétablies parmi ses disciples. (…)
 
" Aussi cette âme sainte, ne pouvant plus porter le poids de ses maux, et retenue d'ailleurs dans son corps par la rigueur de la justice divine, triste Jusqu'à la mort, et ne pouvant mourir, hors d'état et de finir ses peines et de les soutenir, semble combattre, par les défaillances et les douleurs de son agonie, contre la mort et contre la vie ; et une sueur de sang qu'on voit couler à terre est le triste fruit de ses pénibles efforts : ''Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram''. Père juste, fallait-il encore du sang à ce sacrifice intérieur de votre Fils ? N'est-ce pas assez qu'il doive être répandu par ses ennemis ? Faut-il que votre justice se hâte, pour ainsi dire, de le voir répandre ? " (N.d.A.)
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Note
 
" On verra, dit encore Massillon, le Fils de l'Homme parcourant des yeux, du haut des airs, les peuples et les nations confondus et assemblés à ses pieds, relisant dans ce spectacle l'histoire de l'univers, c'est-à-dire des passions ou des vertus des hommes : on le verra rassembler ses élus des quatre vents, les choisir de toute langue, de tout état, de toute nation. réunir les enfants d'Israël dispersés dans l'univers ; exposer l'histoire sécrète d'un peuple saint et nouveau ; produire sur la scène des héros de la foi jusque là inconnus au monde ; ne plus distinguer les siècles par les victoires des conquérants, par l'établissement ou la décadence des empires, par la politesse ou la barbarie des temps, par les grands hommes qui ont paru dans chaque âge, mais par les divers triomphes de la grâce, par les victoires cachées des justes sur leurs passions, par l'établissement de son règne dans un coeurcœur, par la fermeté héroïque d'un fidèle persécuté.
 
" La disposition de l'univers ainsi ordonnée ; tous les peuples de la terre ainsi séparés ; chacun immobile à la place qui lui sera tombée en partage ; la surprise, la terreur, le désespoir, la confusion, peints sur le visage des uns ; sur celui des autres la joie, la sérénité, la confiance ; les yeux des justes levés en haut vers le Fils de l'Homme, d'où ils attendent leur délivrance, ceux des impies fixés d'une manière affreuse sur la terre, et perçant presque les abîmes de leurs regards, comme pour y marquer déjà la place qui leur est destinée. " (N.d.A.)
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C'étoit déjà un coup assez surprenant de la fortune que d'avoir livré un des plus grands rois que la France ait eus aux mains d'un jeune soudan d'Egypte, dernier héritier du grand Saladin. Mais cette fortune, qui dispose des empires, voulant, pour ainsi dire, montrer en un jour l'excès de sa puissance et de ses caprices, fit égorger le roi vainqueur sous les veux du roi vaincu.
 
" Et ce voyant le soudan, qui estoit encore jeune, et la malice qui avoit été inspirée contre sa personne, il s'enfuit en sa haute tour, qu'il avoit près de sa chambre, dont j'ay devant parlé. Car ses gens mesme de la Haulequa lui avoient jà abattu tous ses pavillons, et environnoient cette tour, où il s'en estoit fui. Et dedans la tour il y avoit trois de ses évêques, qui avoient mangé avec lui, qui lui escrivirent qu'il descendist. Et il leur dit que volontiers il descendroit, mais qu'ils l'assurassent. Ils lui répondirent que bien le feroient descendre par force, et malgré lui ; et qu'il n'estoit mye encore à Damiète. Et tantôt ils vont jecter le feu gregeois dedans cette tour, qui estoit seulement de perches de sapins et de toile, comme j'ay devant dit. Et incontinent fut embrasée la tour. Et vous promets que jamais ne vis plus beau feu ne plus soudain. Quand le sultan vit que le feu le pressoit, il descendit par la voie du Prael, dont j'ay devant parlé, et s'enfuit vers le fleuve ; et en s'enfuyant, l'un des chevaliers de la Haulequa le férit d'un grand glaive parmi les costes, et il se jecte à tout le glaive dedans le fleuve. Et après lui descendirent environ de neuf chevaliers, qui le tuerent là dans le fleuve, assez près de notre gallée. Et quand le soudan fut mort, l'un desdits chevaliers, qui avoit nom Faracataie, le fendit, et lui tira le coeurcœur du ventre. Et lors il s'en vint au roi, sa main toute ensanglantée, et lui demanda : " Que me donneras-tu, dont j'ay occis ton ennemi qui t'eust fait mourir s'il eust vécu ? " Et à ceste demande ne lui répondit oncques un seul mot le bon roi saint Louis. " (N.d.A.)
 
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Note
 
J'aurais pu piller les Mémoires de l'abbé Guénée sans en rien dire, à l'exemple de tant d'auteurs qui se donnent l'air d'avoir puisé dans les sources quand ils n'ont fait que dépouiller des savants dont ils taisent le nom. Ces fraudes sont très faciles aujourd'hui, car dans ce siècle de lumières l'ignorance est grande. On commence par écrire sans avoir rien lu, et l'on continue ainsi toute sa vie. Les véritables gens de lettres gémissent en voyant cette nuée de jeunes auteurs qui auraient peut-être du talent s'ils avaient quelques études. Il faudrait se souvenir que Boileau lisait Longin dans l'original, et que Racine savait par coeurcœur le Sophocle et l'Euripide grecs. Dieu nous ramène au siècle des pédants ! Trente Vadius ne feront jamais autant de mal aux lettres qu'un écolier en bonnet de docteur.
 
Je ne puis cependant m'empêcher de donner ici un calcul qui faisait partie de mon travail ; il est tiré de l' ''Itinéraire'' de Benjamin de Tudèle. Ce juif espagnol avait parcouru la terre au XIIIe siècle pour déterminer l'état du peuple hébreu dans le monde connu [Il n'est pourtant pas bien clair que Benjamin ait parcouru tous les lieux qu'il a nommés. Il est même évident, par des passages du texte hébreu, que le voyageur juif n'a souvent écrit que sur des Mémoires. (N.d.A.)] . J'ai relevé, la plume à la main, les nombres donnés par le voyageur, et j'ai trouvé sept cent soixante-huit mille cent soixante-cinq juifs dans l'Afrique, l'Asie et l'Europe. Il est vrai que Benjamin parle des juifs d'Allemagne sans en citer le nombre, et qu'il se tait sur les juifs de Londres et de Paris. Portons la somme totale à un million d'hommes ; ajoutons à ce million d'hommes un million de femmes et deux millions d'enfants, nous aurons quatre millions d'individus pour la population juive au XIIIe siècle. Selon la supputation la plus probable, la Judée proprement dite, la Galilée, la Palestine ou l'Idumée, comptaient du temps de Vespasien environ six ou sept millions d'habitants ; quelques auteurs portent ce nombre beaucoup plus haut : au seul siège de Jérusalem par Titus il périt onze cent mille Juifs. La population juive aurait donc été au XIIIe siècle le sixième de ce qu'elle était avant sa dispersion. Voici le tableau tel que je l'ai composé d'après l' ''Itinéraire'' de Benjamin. Il est curieux d'ailleurs pour la géographie du moyen âge ; mais les noms des lieux y sont souvent estropiés, par le voyageur : l'original hébreu a dû se refuser à leur véritable orthographe dans certaines lettres ; Arias Montanus a porté de nouvelles altérations dans la version latine, et la traduction française achève de défigurer ces noms :
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" Dans les angles de ce parvis il y avait des tours extrêmement élevées, du haut desquelles, à certaines heures, les prêtres des Sarrasins avaient coutume et inviter le peuple à la prière. Quelques-unes de ces tours sont demeurées debout jusqu'à présent ; mais les autres ont été ruinées par différents accidents. On ne pouvait entrer ni rester dans le parvis sans avoir les pieds nus et lavés. (…).
 
" Le Temple est bâti au milieu du parvis supérieur ; il est octogone et décoré, en dedans et en dehors, de carreaux de martre et d'ouvrages de mosaïque. Les deux parvis, tant le supérieur que l'inférieur, sont pavés de dalles blanches pour recevoir pendant l'hiver les eaux de la pluie qui descendent en grande abondance des bâtiments du Temple, et tombent très limpides et sans limon dans les citernes au-dessous. Au milieu du Temple, entre le rang intérieur des colonnes, on trouve une roche un peu élevée ; et sous cette roche il y a une grotte pratiquée dans la même pierre. Ce fut sur cette pierre que s'assit l'ange qui, en punition du dénombrement du peuple, fait inconsidérément par David, frappa ce peuple jusqu'à ce que Dieu lui ordonnât de remettre son épée dans le fourreau. Cette roche, avant l'arrivée de nos armées, était exposée nue et découverte ; et elle demeura encore en cet état pendant quinze années ; mais ceux qui dans la suite furent commis à la garde de ce lieu la recouvrirent, et construisirent dessus un choeurchœur et un autel pour y célébrer l'office divin. "
 
Ces détails sont curieux, parce qu'il y a huit cents ans qu'ils sont écrits ; mais ils nous apprennent peu de chose sur l'intérieur de la mosquée. Les plus anciens voyageurs, Arculfe dans Adamannus, Willibaldus, Bernard de Moine, Ludolphe, Breydenbach, Sanut, etc., n'en parlent que par ouï-dire, et ils ne paraissent pas toujours bien instruits. Le fanatisme des musulmans était beaucoup plus grand dans ces temps reculés qu'il ne l'est aujourd'hui, et jamais ils n'auraient voulu révéler à un chrétien les mystères de leurs temples. Il faut donc passer aux voyageurs modernes et nous arrêter encore à Deshayes.