« Christel (éd. RDDM) » : différence entre les versions
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Amour, Amour, qui pourra sonder un seul de tes mystères? Depuis la naissance du monde et son éclosion sous ton aile, tu les suscites toujours inépuisés dans les
::Ah ! qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,
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::Tout me vint de l'aveugle habitude et du temps.
::Au lieu d'un dard au
::J'eus le venin caché que le miel insinue,
::Les tortueux délais d'une plaie inconnue,
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Pourquoi Christel aima-t-elle le comte Hervé? Pourquoi du second jour l'admirait-elle si passionnément? Il vient, il entre et salue, et n'est que froidement poli; pas une parole inutile, pas un regard. Elle ne le connaît que de nom et par une simple information dérobée aux propos voisins. Elle l'admire par ce besoin d'admirer qui est dans l'amour. Qu'a-t-il donc fait pour cela? Comme si, pour être aimé, il était besoin de mériter. Il est beau, jeune, ému, fidèle évidemment, et peut-être malheureux : que faut-il de plus? Il a de la grâce à cheval quand il repasse devant les fenêtres et qu'elle le voit monter. Il lui semble qu'elle connaisse tout de lui : oh ! combien elle compterait fermement sur lui, si elle était celle qu'il aime !
Ces lettres perpétuelles faisaient comme un feu qui circulait par ses mains et qui rejaillissait dans son
Elle n'avait pas tardé non plus à distinguer, entre toutes, les lettres qu'il écrivait, tantôt mises dans la boîte par lui-même, qui revenait exprès pour cela, tantôt apportées par un domestique qu'elle eut vite reconnu. Son coup d'œil saisissait, sans qu'un seul mot fût dit. Ses lettres, à lui, étaient simples, sous enveloppe, sans cachet, adressées à Paris poste restante à un nom de femme qui ne devait pas être le véritable; il semblait qu'elles fussent au fond bien plus sérieuses. Avec quelle émotion elle les pressait, quand elle y imprimait le timbre voulu!
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Vers ce temps, un jeune homme, fils d'un riche notaire de l’endroit, pour lequel Mme M... avait eu en arrivant quelque lettre, mais qu'elle n'avait pas cultivé, parut désirer d'être présenté chez elle et d'obtenir le droit de la visiter. L'intention était évidente. Mme M... en toucha un soir quelque chose à sa fille; dès les premiers mots, celle-ci coupa court et, se jetant dans les bras de sa mère, la supplia avec un baiser ardent de ne jamais lui en reparler ni de rien de pareil. La mère n'insista pas; mais, à la chaleur du refus et à mille autres signes que son oeil silencieux depuis quelque temps saisissait, elle avait compris.
Pourtant; depuis drs mois déjà que le comte Hervé venait plusieurs fois par semaine, il ne s'était rien passé au dehors entre Christel et lui, rien qui fût le moins du monde appréciable sinon à la sagacité d'un
::Sur ce pays si vert, en tous sens déroulé,
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Il y avait assez de monde le long de la route; de loin on vit venir, à cheval, le comte Hervé; c'était l'heure ordinaire de sa visite, et une lettre au bureau l'attendait. Christel trembla; elle pria, à ce moment, sa mère de s'appuyer plus fort sur son bras, sans crainte de la lasser, Hervé passa bientôt sur la chaussée devant elles au petit trot; il les regarda d'une façon assez marquée; mais ne les ayant jamais vues au dehors, ne s'étant jamais demandé apparemment ce que pouvait être Christel avec sa souple et fine taille en plein air, il ne les reconnut pas à temps et ne les salua pas. Dix minutes après, au retour, les rencontrant encore et ayant deviné sans doute (à ne voir que la domestique au bureau), que ce pouvaient être elles, il les salua. Juste image du degré d'attention de sa part et d'indifférence!
Que fait donc, à certains momens, le
Christel avait d'affreux momens, des momens durs, humiliés, amers; la langueur et la rêverie premières étaient bien loin; le souvenir de ce qu'elle était la reprenait et lui faisait monter le sang au front; elle se demandait, en se relevant, pour qui donc elle se dévorait ainsi. Elle faisait appel dans sa détresse, oh! non plus à ses goûts anciens, à ses gracieux amours de jeune fille, à ses lectures chéries (tout cela était trop insuffisant et dès long-temps flétri pour elle), mais à des sentimens plus mâles et plus profonds, comme à des ressources désespérées,.... à son culte de la patrie par exemple. Elle se représentait son père, le drapeau sous lequel il avait combattu, le deuil de l'invasion; elle excitait, elle provoquait en elle l'orgueil blessé des vaincus; elle cherchait à impliquer, dans l'inimitié de ses représailles, le jeune noble royaliste, le mousquetaire de 1814, mais en vain; le ressort sous sa main ne répondait pas; l'amour, qui aime à brouiller les drapeaux, se riait de ces factices colères. L'Empereur évoqué en personne sur son rocher n'y pouvait rien. - Elle voulait voir du mépris de la part d'Hervé, de la fierté insolente dans cette inattention soutenue, et tâchait de s'en irriter; mais non, c'était moins et c'était pis, elle le sentait bien; ce prétendu dédain s'enfonçait plus cruel, précisément en ce qu'il était plus involontaire; c'était de l'oubli.
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a dit un poète; mais il est doux de se reconnaître, de faire pas à pas des découvertes dans une vie amie comme dans un pays sûr, de jouir jour par jour de ce nouveau, à peine imprévu, qui ressemble à des réminiscences légères d'une ancienne patrie et à ces songes d'or retrouvés du berceau. En peu de temps ils mirent ainsi bien du passé dans leur amour. La famille d'Hervé avait des alliances en Allemagne : lui-même en savait parfaitement la langue. Quelle joie pour Christel, quel attendrissement pour la mère de s'y rencontrer avec lui comme en un coin libre et vaste de la forêt des aïeux ! La petite bibliothèque de Christel possédait quelques livres favoris, venus de là-bas par sa mère; il leur en lisait parfois, une ode de Klopstock, quelque poème de Matthisson, une littérature allemande déjà un peu vieillie, mais élevée et cordiale toujours. Un livre alors tout nouveau, et qu'il leur avait apporté, enchanta fréquemment les heures; c'était les ''Méditations poétiques''; plus d'une fois, en lisant ces élégies d'un deuil si mélodieux, il dut s'arrêter par le trop d'émotion et comme sous l'éclair soudain d'une allusion douloureuse. Cette harpe immobile dans un angle de la chambre attirait aussi son regard, et il eût désiré que Christel y touchât; mais la faiblesse de la jeune fille ne le lui eût pas permis sans une extrême fatigue. On se disait que ce serait pour le printemps, et qu'elle le saluerait d'un chant plus joyeux après tant de silence. Ils eurent ainsi des soirs de bonheur, sans rien presser, sans trop prévoir.
Hervé, certes, aimait Christel : l'aimait-il de véritable amour, c'est-à-dire de ce qui n'est ni voulu ni motivé, de ce qui n'est ni la reconnaissance, ni la compassion, ni même l'appréciation profonde, raisonnée et sentie de tous les mérites et de toutes les graces? Car l'amour en soi n'est, rien de tout cela, et, en de certains momens étranges, il s'en passerait. Je n'ose affirmer tout-à-fait pour Hervé ; mais il l'aimait avec tendresse, il la chérissait plus qu'une
Le printemps revenait ; avril, dès le matin, perçait avec sa pointe égayée, et les rayons autour des bourgeons, et les oiseaux à la vitre, se jouaient comme au jour où Christel, il y avait juste un an, avait remarqué les lettres fatales pour la première fois. L'horizon champêtre du petit salon s'arrangeait au loin déjà vert , et présageait peu à peu l'ombrage et les fleurs. Christel ne quittait plus cette chambre; on y avait placé à un bout son lit si modeste, qui, sans rideaux, sous un châle jeté, paraissait à peine. Elle se levait pourtant, et restait sur sa chaise toute l'après-midi et les soirs comme auparavant. Malgré sa faiblesse croissante, depuis quelques jours, elle semblait mieux; je ne sais quel mouvement de physionomie et de regard, plus de couleur à ses joues, avaient l'air de vouloir annoncer l'influence heureuse de la jeune saison. Hervé se disait qu'il fallait croire, ses discours aussi le disaient, et depuis deux heures, aux rayons du soleil baissant, on parlait de l'avenir. Christel s'était prêtée à l'illusion et en avait tiré parti pour tracer à Hervé, avec un détail rempli tout bas de
Dès le lendemain, Hervé emmena la mère et la conduisit au château de sa famille, où tous les égards délicats, et de sa part un soin vraiment filial, l'environnèrent. Ce ne fut pas pour long-temps, et, avant la fin du prochain automne, elle avait rejoint, sous les premières feuilles tombantes du cimetière, l'unique trésor qu'elle avait perdu.
Et qu'est devenu Hervé? Oh! ceci importe moins; les hommes, mêmes les meilleurs souvent, et les plus sensibles, ont tant de ressources en eux, tant de successives jeunesses! Il a souffert, mais il a continué de vivre. Le monde l'a repris; les passions politiques l'ont distrait, peut-être aussi d'autres passions de
- « C'est trop vrai, dit alors une jeune et belle femme, et déjà éprouvée, qui avait écouté jusque-là en silence toute cette histoire; ô hommes, combien vous faut-il donc ainsi de ces existences cueillies en passant pour vous tresser un souvenir! »
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