« Consuelo/Chapitre XLIV » : différence entre les versions

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— Vous me demandez le secret de ma vie, le mot de ma destinée, et vous le savez mieux que moi, Consuelo ! C’est de vous que j’attendais la révélation de mon être, et vous m’interrogez ! Oh ! je vous comprends ; vous voulez m’amener à une confession, à un repentir efficace, à une résolution victorieuse. Vous serez obéie. Mais ce n’est pas à l’instant même que je puis me connaître, me juger, et me transformer de la sorte. Donnez-moi quelques jours, quelques heures du moins, pour vous apprendre et pour m’apprendre à moi-même si je suis fou, ou si je jouis de ma raison. Hélas ! hélas ! l’un
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et l’autre sont vrais, et mon malheur est de n’en pouvoir douter ! mais de savoir si je dois perdre entièrement le jugement et la volonté, ou si je puis triompher du démon qui m’obsède, voilà ce que je ne puis en cet instant. Prenez pitié de moi, Consuelo ! je suis encore sous le coup d’une émotion plus puissante que moi-même. J’ignore ce que je vous ai dit ; j’ignore combien d’heures se sont écoulées depuis que vous êtes ici ; j’ignore comment vous pouvez y être sans Zdenko, qui ne voulait pas vous y amener ; j’ignore même dans quel monde erraient mes pensées quand vous m’êtes apparue. Hélas ! j’ignore depuis combien de siècles je suis enfermé ici, luttant avec des souffrances inouïes, contre le fléau qui me dévore ! Ces souffrances, je n’en ai même plus conscience quand elles sont passées ; il ne m’en reste qu’une fatigue terrible, une stupeur, et comme un effroi que je voudrais chasser… Consuelo, laissez-moi m’oublier, ne fût-ce que pour quelques instants. Mes idées s’éclairciront, ma langue se déliera. Je vous le promets, je vous le jure. Ménagez-moi cette lumière de la réalité longtemps éclipsée dans d’affreuses ténèbres, et que mes yeux ne peuvent soutenir encore ! Vous m’avez ordonné de concentrer toute ma vie dans mon cœur. Oui ! vous m’avez dit cela ; ma raison et ma mémoire ne datent plus que du moment où vous m’avez parlé. Eh bien, cette parole a fait descendre un calme angélique dans mon sein. Mon cœur vit tout entier maintenant, quoique mon esprit sommeille encore. Je crains de vous parler de moi ; je pourrais m’égarer et vous effrayer encore par mes rêveries. Je veux ne vivre que par le sentiment, et c’est une vie inconnue pour moi ; ce serait une vie de délices, si je pouvais m’y abandonner sans vous déplaire. Ah ! Consuelo, pourquoi m’avez-vous dit de concentrer toute ma vie dans mon cœur ? Expliquez-vous vous-même ; laissez-moi ne m’
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occuperne m’occuper que de vous, ne voir et ne comprendre que vous… aimer, enfin. Ô mon Dieu ! j’aime ! j’aime un être vivant, semblable à moi ! je l’aime de toute la puissance de mon être ! Je puis concentrer sur lui toute l’ardeur, toute la sainteté de mon affection ! C’est bien assez de bonheur pour moi comme cela, et je n’ai pas la folie de demander davantage !
 
— Eh bien, cher Albert, reposez votre pauvre âme dans ce doux sentiment d’une tendresse paisible et fraternelle. Dieu m’est témoin que vous le pouvez sans crainte et sans danger ; car je sens pour vous une amitié fervente, une sorte de vénération que les discours frivoles et les vains jugements du vulgaire ne sauraient ébranler.
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— Femme généreuse, dit Albert en pâlissant, tu comptes bien sur mon courage, et tu connais bien mon amour, en me demandant une pareille promesse. Je serais capable de mentir pour la première fois de ma vie ; je pourrais m’avilir jusqu’à prononcer un faux serment, si tu l’exigeais de moi. Mais tu ne l’exigeras pas, Consuelo ; tu comprendras que ce serait mettre dans ma vie une agitation nouvelle, et dans ma conscience un remords qui ne l’a pas encore souillée. Ne t’inquiète pas de la manière dont je t’aime, je l’ignore tout le premier ; seulement, je sens que retirer le nom d’amour à cette affection serait dire un blasphème. Je me soumets à tout le reste : j’accepte ta pitié, tes soins, ta bonté, ton amitié paisible ; je ne te parlerai que comme tu le permettras ; je ne te dirai pas une seule parole qui te trouble ; je n’aurai pas pour toi un seul regard qui doive faire baisser tes yeux ; je ne toucherai jamais ta main, si le contact de la mienne te déplaît ; je n’effleurerai pas même ton vêtement, si tu crains d’être flétrie par mon souffle. Mais tu aurais tort de me traiter avec cette méfiance, et tu ferais mieux d’entretenir en moi cette douceur d’émotions qui me vivifie, et dont tu ne peux rien craindre. Je comprends bien que ta pudeur s’alarmerait de l’expression d’un amour que tu ne veux point partager ; je sais que ta fierté repousserait les témoignages d’une passion que tu ne veux ni provoquer ni encourager. Sois donc tranquille, et jure sans crainte d’être ma sœur et ma consolatrice : je jure d’être ton frère et ton serviteur. Ne m’en demande pas davantage ; je ne serai ni indiscret ni importun. Il me suffira que tu saches que tu peux me commander et me gouverner despotiquement… comme on ne gouverne pas un frère, mais comme on dispose
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d’un être qui s’est donné à vous tout entier et pour toujours. »
 
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