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{{TitrePoeme|[[Les Chansons des rues et des bois]]|Victor Hugo|Clôture}}
[[Catégorie:Poèmes de Victor Hugo]]
 
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<div class="verse">
<pre>
 
À mon ami ****
 
I
 
La sainte chapelle
 
Tu sais ? tu connais ma chapelle,
C'est la maison des passereaux.
L'abeille aux offices m'appelle
En bourdonnant dans les sureaux.
 
Là, mon coeur prend sa nourriture.
Dans ma stalle je vais m'asseoir.
Oh ! quel bénitier, la nature !
Quel cierge, l'étoile du soir !
 
Là, je vais prier ; je m'enivre
De l'idéal dans le réel ;
La fleur, c'est l'âme ; et je sens vivre,
À travers la terre, le ciel.
 
Et la rosée est mon baptême.
Et le vrai m'apparaît ! je crois.
Je dis : viens ! à celle que j'aime.
Elle, moi, Dieu, nous sommes trois.
 
(Car j'ai dans des bribes latines
Lu que Dieu veut le nombre impair.)
Je vais chez l'aurore à matines,
Je vais à vêpres chez Vesper.
 
La religion naturelle
M'ouvre son livre où Job lisait,
Où luit l'astre, où la sauterelle
Saute de verset en verset.
 
C'est le seul temple. Tout l'anime.
Je veux Christ ; un rayon descend ;
Et si je demande un minime,
L'infusoire me dit : Présent.
 
La lumière est la sainte hostie ;
Le lévite est le lys vermeil ;
Là, resplendit l'eucharistie
Qu'on appelle aussi le soleil.
 
La bouche de la primevère
S'ouvre, et reçoit le saint rayon ;
Je regarde la rose faire
Sa première communion.
 
II
 
Amour de l'eau
 
Je récite mon bréviaire
Dans les champs, et j'ai pour souffleur
Tantôt le jonc sur la rivière,
Tantôt la mouche dans la fleur.
 
Le poète aux torrents se plonge ;
Il aime un roc des vents battu ;
Ce qui coule ressemble au songe,
Et ce qui lave à la vertu.
 
Pas de ruisseau qui, sur sa rive
Où l'air jase, où germinal rit,
N'attire un bouvreuil, une grive,
Un merle, un poète, un esprit.
 
Le poète, assis sous l'yeuse,
Dans les fleurs, comme en un sérail,
Aime l'eau, cette paresseuse
Qui fait un si profond travail.
 
Que ce soit l'Erdre ou la Durance,
Pourvu que le flot soit flâneur,
Il se donne la transparence
D'une rivière pour bonheur.
 
Elle erre ; on dirait qu'elle écoute ;
Recevant de tout un tribut,
Oubliant comme lui sa route,
Et, comme lui, sachant son but.
 
Et sur sa berge il mène en laisse
Ode, roman, ou fabliau.
George Sand a la Gargilesse
Comme Horace avait l'Anio.
 
III
 
Le poète est un riche
 
Nous avons des bonnes fortunes
Avec le bleuet dans les blés ;
Les halliers pleins de pâles lunes
Sont nos appartement meublés.
 
Nous y trouvons sous la ramée,
Où chante un pinson, gai marmot,
De l'eau, du vent, de la fumée,
Tout le nécessaire, en un mot.
 
Nous ne produirions rien qui vaille
Sans l'ormeau, le frêne et le houx ;
L'air nous aide ; et l'oiseau travaille
À nos poèmes avec nous.
 
Le pluvier, le geai, la colombe,
Nous accueillent dans le buisson,
Et plus d'un brin de mousse tombe
De leur nid dans notre chanson.
 
Nous habitons chez les pervenches
Des chambres de fleurs, à crédit ;
Quand la fougère a, sous les branches,
Une idée, elle nous la dit.
 
L'autan, l'azur, le rameau frêle,
Nous conseillent sur les hauteurs,
Et jamais on n'a de querelle
Avec ces collaborateurs.
 
Nous trouvons dans les eaux courantes
Maint hémistiche, et les lacs verts,
Les prés généreux, font des rentes
De rimes à nos pauvres vers.
 
Mon patrimoine est la chimère,
Sillon riche, ayant pour engrais
Les vérités, d'où vient Homère,
Et les songes, d'où sort Segrais.
 
Le poète est propriétaire
Des rayons, des parfums, des voix ;
C'est à ce songeur solitaire
Qu'appartient l'écho dans les bois.
 
Il est, dans le bleu, dans le rose,
Millionnaire, étant joyeux ;
L'illusion étant la chose
Que l'homme possède le mieux.
 
C'est pour lui qu'un ver luisant rampe ;
C'est pour lui que, sous le bouleau,
Le cheval de halage trempe
Par moments sa corde dans l'eau.
 
Sous la futaie où l'herbe est haute,
Il est le maître du logis
Autant que l'écureuil qui saute
Dans les pins par l'aube rougis.
 
Avec ses stances, il achète
Au bon Dieu le nuage noir,
L'astre, et le bruit de la clochette
Mêlée aux feuillages le soir.
 
Il achète le feu de forge,
L'écume des écueils grondants,
Le cou gonflé du rouge-gorge
Et les hymnes qui sont dedans.
 
Il achète le vent qui râle,
Les lichens du cloître détruit,
Et l'effraction sépulcrale
Du vitrail par l'oiseau de nuit,
 
Et l'espace où les souffles errent,
Et, quand hurlent les chiens méchants,
L'effroi des moutons qui se serrent
L'un contre l'autre dans les champs.
 
Il achète la roue obscure
Du char des songes dans l'horreur
Du ciel sombre, où rit Épicure
Et dont Horace est le doreur.
 
Il achète les rocs incultes,
Le mont chauve, et la quantité
D'infini qui sort des tumultes
D'un vaste branchage agité.
 
Il achète tous ces murmures,
Tout ce rêve, et, dans les taillis,
L'écrasement des fraises mûres
Sous les pieds nus d'Amaryllis.
 
Il achète un cri d'alouette,
Les diamants de l'arrosoir,
L'herbe, l'ombre et la silhouette
Des danses autour du pressoir.
 
Jadis la naïade à Boccace
Vendait le reflet d'un étang,
Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse,
Pour un sonnet, payé comptant.
 
Le poète est une hirondelle
Qui sort des eaux, que l'air attend,
Qui laisse parfois de son aile
Tomber des larmes en chantant.
 
L'or du genêt, l'or de la gerbe,
Sont à lui ; le monde est son champ ;
Il est le possesseur superbe
De tous les haillons du couchant.
 
Le soir, quand luit la brume informe,
Quand les brises dans les clartés
Balancent une pourpre énorme
De nuages déchiquetés,
 
Quand les heures font leur descente
Dans la nue où le jour passa,
Il voit la strophe éblouissante
Pendre à ce Décroche-moi-ça.
 
Maïa pour lui n'est pas défunte ;
Dans son vers, de pluie imbibé,
Il met la prairie ; il emprunte
Souvent de l'argent à Phoebé.
 
Pour lui le vieux saule se creuse.
Il a tout, aimer, croire et voir.
Dans son âme mystérieuse
Il agite un vague encensoir.
 
IV
 
Notre ancienne dispute
 
Te souviens-tu qu'en l'âge tendre
Où tu n'étais qu'un citadin,
Tu me raillais toujours de prendre
La nature pour mon jardin ?
 
Un jour, tu t'armas d'un air rogue,
Et moi d'accents très convaincus,
Et nous eûmes ce dialogue,
Alterné, comme dans Moschus :
 
TOI
 
" Si tu fais ce qu'on te conseille,
" Tu n'iras point dans ce vallon
" Affronter l'aigreur de l'oseille
" Et l'épigramme du frelon.
 
MOI
 
" J'irai.
 
TOI
 
La nature est morose
" Souvent, pour l'homme fourvoyé.
" Si l'on est baisé par la rose,
" Par l'épine on est tutoyé.
 
MOI
 
" Soit.
 
TOI
 
Paris à l'homme est propice.
" Perlet joue au Gymnase, vois,
" Ravignan prêche à Saint-Sulpice.
 
MOI
 
" Et la fauvette chante aux bois.
 
TOI
 
" Que viens-tu faire dans ces plaines ?
" On ne te connaît pas ici.
" Les bêtes parfois sont vilaines,
" L'herbe est parfois mauvaise ; ainsi
 
" Crois-moi, n'en franchis point la porte.
" On n'y sait pas ton nom.
 
MOI
 
Pardon !
" Vadius l'a dit au cloporte,
" Trissotin l'a dit au chardon.
 
TOI
 
" Reste dans la ville où nous sommes,
" Car les champs ne sont meilleurs.
 
MOI
 
" J'ai des ennemis chez les hommes,
" Je n'en ai point parmi les fleurs. "
 
V
 
Ce jour-là, trouvaille de l'église
 
Et ce même jour, jour insigne,
Je trouvai ce temple humble et grand
Dont Fénelon serait le cygne
Et Voltaire le moineau-franc.
 
Un moine, assis dans les coulisses,
Aux papillons, grands et petits,
Tâchait de vendre des calices
Que l'églantier donnait gratis.
 
Là, point d'orangers en livrée ;
Point de grenadiers alignés ;
Là, point d'ifs allant en soirée,
Pas de buis, par Boileau peignés.
 
Pas de lauriers dans des guérites ;
Mais, parmi les prés et les blés,
Les paysannes marguerites
Avec leurs bonnets étoilés.
 
Temple où les fronts se rassérènent,
Où se dissolvent les douleurs,
Où toutes les vérités prennent
La forme de toutes les fleurs !
 
C'est là qu'avril oppose au diable,
Au pape, aux enfers, aux satans,
Cet alléluia formidable,
L'éclat de rire du printemps.
 
Oh ! la vraie église divine !
Au fond de tout il faisait jour.
Une rose me dit : Devine.
Et je lui répondis : Amour.
 
VI
 
L'hiver
 
L'autre mois pourtant, je dois dire
Que nous ne fûmes point reçus ;
L'église avait cessé de rire ;
Un brouillard sombre était dessus ;
 
Plus d'oiseaux, plus de scarabées ;
Et par des bourbiers, noirs fossés,
Par toutes les feuilles tombées,
Par tous les rameaux hérissés,
 
Par l'eau qui détrempait l'argile,
Nous trouvâmes barricadé
Ce temple qu'eût aimé Virgile
Et que n'eût point haï Vadé.
 
On était au premier novembre.
Un hibou, comme nous passions,
Nous cria du fond de sa chambre :
Fermé pour réparations.
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[[Catégorie:Victor Hugo]]