« Satires (Juvénal) » : différence entre les versions

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{{Titre|[[Juvénal]]|Satires|<small>Traduction Henri Clouard</small>}}
 
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===Satire PREMIÈREI===
 
1-44. Toujours je ne serai donc qu’auditeur ? Ne prendrai-je jamais une revanche, moi qu’un Cordus enroué a exaspéré tant de fois avec sa Théséide ? Est-ce impunément qu’un de ces maudits lecteurs de séances publiques m’aura récité ses comédies, l’autre ses élégies ? impunément aussi que ma journée se sera volatilisée dans un Oreste qui occupe à plein le volume, recto et verso ? ; et qui n’est pas encore fini ? Personne ne connaît mieux sa demeure dans les coins que je ne connais le bois sacré de Mars et l’antre de Vulcain, voisin des rochers d’Eole. Les vents qui soufflent, les ombres qu’Éaque martyrise, la contrée d’où cet autre emporta une toison d’or volée, les ormes gigantesques que lançait Monychus, voilà ce que racontent à grands éclats de voix les platanes de Fronton, ses marbres et ses colonnes qu’un sempiternel lecteur ébranle et fait se lézarder. Grand poète ou poétaillon, l’effet est le même, toujours. Et nous aussi, ma foi, nous avons connu la férule, nous aussi dans notre apprentissage d’orateur, nous avons conseillé à Sylla de redevenir simple citoyen pour dormir d’un sommeil profond. Il serait sottement clément, puisqu’on se heurte partout à tant de poètes, d’épargner un papier qui trouverait toujours à se souiller. On me demandera toutefois pourquoi j’ai choisi la carrière où déjà l’illustre fils d’Aurunca a lancé ses chevaux. Eh bien, si vous avez du temps et le goût de m’écouter, voici mes raisons. Comment ! Un mol eunuque prend femme ; Mevia va transpercer un sanglier toscan, elle porte l’épieu, elle a les seins à l’air ; un homme écrase de sa richesse les sénateurs, c’est lui qui me faisait jadis la barbe, au temps de ma jeunesse ; un produit de la racaille du Nil, un esclave de Canope, un Crispinus, se débarrassant de son manteau de pourpre tyrienne, fait montre de bagues d’été à ses doigts en sueur, incapable de supporter des anneaux plus lourds, et vous voudriez qu’on écrive autre chose que des satires ! Qui donc pourrait se résigner au spectacle des hontes romaines ? Quel coeur serait d’airain devant elles ? L’avocat Mathon apparaît dans sa litière neuve, il est à plein dedans ; derrière lui, voici le délateur d’un ami, homme considérable, tout prêt à avaler les restes d’une noblesse déjà presque dévorée. Ah, Massa le redoute, celui-là ; Carus le flatte de cadeaux, Latinus affolé lui envoie sa Thymélé. Le haut du pavé appartient à ceux qui gagnent des héritages avec leurs nuits, qui savent la meilleure route pour faire leur fortune, c’est-à-dire qui passent par la vulve d’une vieille richarde. Proculéien n’obtient qu’un petit douzième, mais Gillon dix fois plus ; ainsi chaque héritier reçoit une part proportionnée à son calibre ! Eh bien, qu’il touche le prix de son sang, au point d’en pâlir comme le malheureux qui met les pieds sur un serpent ou comme le rhéteur candidat au concours d’éloquence devant l’autel lyonnais...