« L’Art romantique/L’Œuvre et la vie d’Eugène Delacroix » : différence entre les versions

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== Eugène Delacroix ses oeuvres, ses idées, ses moeurs ==
salu tou le monde sa va je DELACROIX et je sui mor
 
 
Messieurs, il y a longtemps que j'aspirais à venir parmi vous et à faire votre connaissance. Je sentais instinctivement que je serais bien reçu. Pardonnez-moi cette fatuité. Vous l'avez presque encouragée à votre insu.
 
Il y a quelques jours, un de mes amis, un de vos compatriotes, me disait: C'est singulier! Vous avez l'air heureux! Serait-ce donc de n'être plus à Paris?
 
En effet, Messieurs, je subissais déjà cette sensation de bien-être dont m'ont parlé quelques-uns des Français qui sont venus causer avec vous. Je fais allusion à cette santé intellectuelle, à cette espèce de béatitude, nourrie par une atmosphère de liberté et de bonhomie, à laquelle nous autres Français, nous sommes peu accoutumés, ceux-là, surtout, tels que moi, que la France n'a jamais traités en enfant gâtés.
 
Je viens, aujourd'hui, vous parlez d'Eugène Delacroix. La patrie de Rubens, une des terres classiques de la peinture, accueillera, ce me semble, avec plaisir le résultat de quelques méditations sur le Rubens français; le grand maître d'Anvers peut, sans déroger, tendre une main fraternelle à notre étonnant Delacroix.
 
Il y a quelques mois, quand M. Delacroix mourut, ce fut pour chacun une catastrophe inopinée; aucun de ses plus vieux amis n'avait été averti que sa santé était en grand danger depuis trois ou quatre mois. Eugène Delacroix a voulu ne scandaliser personne par le spectacle répugnant d'une agonie. Si une comparaison triviale m'est permise à propos de ce grand homme, je dirai qu'il est mort à la manière des chats ou des bêtes sauvages qui cherchent une tanière secrète pour abriter les dernières convulsions de leur vie.
 
Vous savez, Messieurs, qu'un coup subit, une balle, un coup de feu, un coup de poignard, une cheminée qui tombe, une chute de cheval, ne cause pas tout d'abord au blessé une grande douleur. La stupéfaction ne laisse pas de place à la douleur. Mais quelques minutes après, la victime comprend toute la gravité de sa blessure.
 
Ainsi, Messieurs, quand j'appris la mort de M. Delacroix, je restai stupide et deux heures après seulement, je me sentis envahi par une désolation que je n'essaierai pas de vous peindre, et qui peut se résumer ainsi: Je ne le verrai plus jamais, jamais, jamais, celui que j'ai tant aimé, celui qui a daigné m'aimer et qui m'a tant appris. Alors, je courus vers la maison du grand défunt, et je restai deux heures à parler de lui avec la vieille Jenny, une de ces servantes des anciens âges, qui se font une noblesse personnelle par leur adoration pour d'illustres maîtres. Pendant deux heures, nous sommes restés, causant et pleurant, devant cette boîte funèbre éclairée de petites bougies, et sur laquelle reposait un misérable crucifix de cuivre. Car je n'ai pas eu le bonheur d'arriver à temps pour contempler, une dernière fois, le visage du grand peintre-poète. Laissons ces détails; il y a beaucoup de chose que je ne pourrais pas révéler sans une explosion de haine et de colère.
 
Vous avez entendu parler, Messieurs, de la vente des tableaux et des dessins d'Eugène Delacroix. Vous savez que le succès a dépassé toutes les prévisions. De vulgaires études d'atelier, auxquelles le maître n'attachait aucune importance, ont été vendues vingt fois plus cher qu'il ne vendait, lui vivant, ses meilleures oeuvres, les plus délicieusement finies. M. Alfred Stevens me disait, au milieu des scandales de cette vente funèbre: Si Eugène Delacroix peut, d'un lieu extranaturel, assister à cette réhabilitation de son génie, il doit être consolé de quarante ans d'injustice. Vous savez, Messieurs, qu'en 1848, les républicains qu'on appelait républicains de la veille, furent passablement scandalisés et dépassés par le zèle des républicains du lendemain; ceux-là d'autant plus enragés qu'ils craignaient de n'avoir pas l'air assez sincère.
 
Alors je répondis à M. Alfred Stevens: Il est possible que l'ombre de Delacroix soit, pendant quelques minutes, chatouillée dans son orgueil trop privé de compliments; mais je ne vois dans toute cette furie de bourgeois entichés de la mode, qu'un nouveau motif pour le grand homme mort de s'obstiner dans son mépris de la nature humaine.
 
Quelques jours après, j'ai composé ceci moins pour faire approuver mes idées que pour amuser ma douleur.
 
2 mai 1864.
 
 
 
== L'oeuvre et la vie d'Eugène Delacroix ==
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===I===
 
QuestceQu'est-ce que Delacroix? Quels furent son rôle et son devoir en ce monde? Telle est la première question à examiner. Je serai bref et jaspirej'aspire à des conclusions immédiateimmédiates. La Flandre a Rubens, lItaliel'Italie a Raphaël et Véronèse; la lFranceFrance a Lebrun, David et Delacroix.
 
Un esprit superficiel pourra être choqué, au premier aspect, par laccouplementl'accouplement de ces nomnoms, qtésqui représentent des qualités et des méthodes si différentes. Mais un oeil spirituel plus attentif verra tout de suite qu'il y a entre tous une parenté commune, une espèce de fraternité ou de cousinage dérivant de leur amour du grand, du national, de l'immense et de l'universel, amour qui s'est toujours exprimé dans la peinture dite décorative ou dans les grandes machines.
Questce que Delacroix Quels furent son rôle et son devoir en ce monde Telle est la première question à examiner Je serai bref et jaspire à des conclusions immédiate La Flandre a Rubens lItalie a Raphaël et Véronèse lFrance a Lebrun David et Delacroix
 
Beaucoup d'autres, sans doute, ont fait de grandes machines, mais ceux-là que j'ai nommés les ont faites de la manière la plus propre à laisser une trace éternelle dans la mémoire humaine. Quel est le plus grand de ces grands hommes si divers? Chacun peut décider la chose à son gré, suivant que son tempérament le pousse à préférer l'abondance prolifique, rayonnante, joviale presque, de Rubens, la douce majesté et l'ordre eurythmique de Raphaël, la couleur paradisiaque et comme d'après-midi de Véronèse, la sévérité austère et tendue de David, ou la faconde dramatique et quasi littéraire de Lebrun.
Un esprit superficiel pourra être choqué au premier aspect par laccouplement de ces nom qtés et des méthodes si différentes. Mais un oeil spirituel plus attentif verra tout de suite qu'il y a entre tous une parenté commune, une espèce de fraternité ou de cousinage dérivant de leur amour du grand, du national, de l'immense et de l'universel, amour qui s'est toujours exprimé dans la peinture dite décorative ou dans les grandes machines.
 
BeaucoupAucun de ces hommes ne peut être remplacé; visant tous à un but semblable, ils ont employé des moyens différents tirés de leur nature personnelle. Delacroix, le dernier venu, a exprimé avec une véhémence et une ferveur admirables, ce que les autres navaientn'avaient traduit que duned'une manière incomplète. Au détriment de quelque autre chose peut-être, comme eux-mêmes avaient fait d'ailleurs? CestC'est possible; mais ce nestn'est pas la question à examiner.
 
Bien d'autres que moi ont pris soin de s'appesantir sur les conséquences fatales d'un génie essentiellement personnel; et il serait bien possible aussi, après tout, que les plus belles expressions du génie, ailleurs que dans le ciel pur, c'est-à-dire sur cette pauvre terre où la perfection elle-même est imparfaite, ne pussent être obtenues qu'au prix d'un inévitable sacrifice.
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L'oeuvre de Delacroix m'apparaît quelquefois comme une espèce de mnémotechnie de la grandeur et de la passion native de l'homme universel. Ce mérite très particulier et tout nouveau de M. Delacroix, qui lui a permis d'exprimer, simplement avec le contour, le geste de l'homme, si violent qu'il soit, et avec la couleur ce qu'on pourrait appeler l'atmosphère du drame humain, ou l'état de l'âme du créateur, - ce mérite tout original a toujours rallié autour de lui les sympathies de tous les poètes; et si, d'une pure manifestation matérielle il était permis de tirer une vérification philosophique, je vous prierais d'observer, monsieur, que, parmi la foule accourue pour lui rendre les suprêmes honneurs, on pouvait compter beaucoup plus de littérateurs que de peintres. Pour dire la vérité crue, ces derniers ne l'ont jamais parfaitement compris.
 
 
===II===