« L’Institut de France et les sociétés savantes » : différence entre les versions

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Mairan, secrétaire de l’Académie des Sciences et membre de l’Académie française, écrivait à l’académie de Bordeaux, où bien jeune encore il avait débuté avec éclat :
 
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Nous montrerons l’impuissance de divers essais tentés pour les rattacher à un autre centre que l’Institut et la nécessité de revenir à, la voie indiquée par les traditions de l’ancienne France et consacrée par le programme de l795. La question en elle-même ne nous a paru manquer ni d’importance ni d’intérêt; mais elle reçoit encore un véritable à propos des récens développemens donnés à l’enseignement supérieur et de la fondation des grandes
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universités dont les membres vont accroître et enrichir les principales académies des départemens. Une grande académie doit être le couronnement naturel d’une grande université; toutes deux doivent se soutenir et se vivifier l’une par l’autre.
 
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En parcourant la France littéraire, qui est l’annuaire des sociétés savantes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, on peut voir combien étaient alors recherchés les honneurs et les sièges académiques de la province. Les plus grands personnages, des princes du sang, des ministres, des gouverneurs, des cardinaux, et le roi lui-même, figurent en tête des listes de leurs membres comme protecteurs, directeurs ou membres honoraires. Je remarque aussi le nombre des académiciens de Paris qu’elles contiennent. Les plus illustres étaient flattés d’appartenir comme associés à telle ou telle
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académie de province ; ils demandaient par lettres l’honneur d’en faire partie, ils répondaient, comme Voltaire à l’académie de Marseille ou Buffon à celle de Lyon, par les remercîmens les plus vifs et les plus flatteurs. Quelques-uns même ne dédaignèrent pas d’y venir prendre séance et de partager leurs travaux, comme Voltaire à Lyon, Montesquieu à Bordeaux; Fléchier à Nîmes, pour ne citer que les plus illustres.
 
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D’autres contrats unissaient encore plus intimement la province académique à Paris. Il y avait en effet autrefois, ce que nous voudrions encore aujourd’hui, des traités particuliers d’alliance, des affiliations de quelques académies de la province avec l’Académie française ou avec l’Académie des Sciences. Ainsi, en 1692, l’académie de Nîmes, par l’entremise de Fléchier, qui en était le protecteur, fut reçue en alliance de l’Académie française, selon les expressions du procès-verbal. Un de ses délégués, Joseph de la Baume, député des états du Languedoc, eut l’honneur d’y siéger en 1695 et de complimenter l’Académie. Arles, avant Nîmes, avait eu la même faveur; L’académie de Soissons eut aussi une liaison particulière avec l’Académie française, grâce à Colbert, qui en était le fondateur et qui assista à la séance où ses délégués furent reçus. En 1715, l’Académie des Sciences s’affilia l’académie de Bordeaux qui était alors présidée par Montesquieu. En 1726, par l’influence du maréchal de Villars; son illustre protecteur, l’académie de Marseille fut alliée à l’Académie française. Fontenelle présidait la séance où furent reçus les députés de Marseille, qui exprimèrent avec
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chaleur leurs sentimens de gratitude. Sa réponse, dont nous citerons un seul passage, est un modèle de grâce, d’élégance et de finesse. « Votre académie, dit-il, sera plutôt une sœur de la nôtre qu’une fille. Cet ouvrage que vous vous êtes engagés à nous envoyer tous les ans, nous le recevrons comme un présent que vous nous ferez, comme un gage de notre union, semblable à ces marques employées chez les anciens pour se faire reconnaître d’amis éloignés. » On voit que l’Académie mettait pour condition à son alliance la redevance d’un tribut annuel, d’un ouvrage en prose ou en vers. Bordeaux, Montpellier, Soissons et sans doute d’autres académies étaient assujetties à la même condition. Le tribut pour l’Académie des Sciences était un mémoire. Nous voyons, dans l’histoire de l’académie de Marseille, quelques discussions au sujet de la nature et de la forme de ce tribut; cependant il fut payé, au moins dans les premiers temps.
 
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Assurément l’Institut n’a pas été entièrement infidèle à cette partie de sa mission et à l’attente des législateurs. Il suffît de rappeler les correspondans qu’il choisit en dehors de Paris, dans toutes les régions de la France, les questions qu’il met au concours, les prix, les récompenses qu’il décerne solennellement aux meilleurs ouvrages scientifiques et littéraires, les lectures que les étrangers sont
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admis à faire dans ses séances, la publicité qu’il donne à leurs travaux par ses bulletins, par ses comptes-rendus et par les insertions dans ses mémoires. Mais, dans l’intérêt de la vie intellectuelle de la province et de la science elle-même, l’Institut ne pourrait-il pas interpréter plus largement cette correspondance qui est dans ses attributions? Ne pourrait-il l’étendre non-seulement à des travailleurs et des savans isolés, mais aux compagnies elles-mêmes, aux principales académies des départemens ? Seraient-elles donc moins dignes aujourd’hui qu’autrefois de cette confraternité dont elles étaient si fières, et l’Institut ne pourrait-il donc plus sans déroger leur tendre une main amie? A considérer la nature de leurs travaux, leurs publications, la liste de leurs membres, elles me semblent en voie de progrès plutôt qu’en décadence. Peut-être contiennent-elles moins de grands seigneurs et moins de beaux esprits, peut-être y fait-on moins de fables, d’épigrammes, de madrigaux, de petits vers, peut-être y déclame-t-on moins sur les droits et la félicité des peuples, mais assurément on y trouve plus d’historiens, d’archéologues, d’économistes, de naturalistes, de botanistes, de géologues, c’est-à-dire plus de savans sérieux, de travailleurs zélés, d’observateurs patiens et habiles.
 
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Nous ne sommes pas les premiers à signaler les inconvéniens de cette dissémination, de cet isolement, de cet abandon, à déplorer tant de bonnes volontés qui demeurent plus ou moins stériles, tant
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de découragemens, de recherches vaines, faute d’une bonne-direction, ou bien tant d’utiles travaux perdus, faute de publicité. Diverses tentatives ont été faites pour y porter remède, soit par le gouvernement, soit par l’initiative de quelques hommes dévoués au progrès du mouvement académique de la province. Parlons d’abord de ce qu’a voulu faire le gouvernement.
 
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Après M. Guizot, M. de Salvandy, dans ses deux ministères, adresse aux sociétés savantes les mêmes appels et leur fait les mêmes promesses. Rendons-lui cette justice qu’à la différence de M. Guizot il avait fait une place à l’Institut dans le plan qu’il s’était d’abord proposé et qui a même reçu un commencement d’exécution. « Il avait eu, dit-il, la pensée de les rattacher à l’Institut
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lui-même, comme au centre des lumières et de l’activité intellectuelle, au moyen de cinq comités qu’un des fonds du budget permettait de doter richement pour qu’ils pussent servir d’intermédiaires à cette action nouvelle et féconde <ref> Circulaire du 12 octobre 1845.</ref> » Voilà certes une bonne pensée, la meilleure et même la seule vraie, selon nous, celle-là même que nous nous proposons de reprendre pour notre propre compte. Malheureusement M. de Salvandy l’a gâtée par sa prétention d’enlever à l’Institut et de garder pour lui-même la nomination des membres de ces cinq comités; aussi ce projet d’organisation a-t-il bien vite échoué.
 
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De M. de Salvandy à M. Fortoul, les ministres de l’instruction publique, dans leur court passage aux affaires et pendant des jours d’orage, n’eurent guère le loisir de songer aux sociétés savantes. Mais M. Fortoul reprit et chercha à perfectionner l’œuvre de ses prédécesseurs. En créant de vastes circonscriptions universitaires et des grands recteurs, il recommande à ces hauts fonctionnaires de se mettre en rapport avec les sociétés savantes de leur ressort. « Vous trouverez dans ces sociétés, spécialement vouées à l’étude de la science locale, des centres où se conservent, avec le culte intelligent des traditions particulières à la province, l’amour sincère du pays. Je vous invite à vous mettre en rapport avec leurs présidens, à leur assurer le concours de leurs lumières et de votre autorité <ref> Circulaire du 10 janvier 1856. </ref>. » S’adressant ensuite aux présidens des sociétés savantes,
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il réclame leur concours pour le ''Comité de la langue, de l’histoire et des arts''. Tel est en effet le nom nouveau que donne M. Fortoul au Comité historique comme plus en rapport avec la diversité des travaux qu’il devait désormais embrasser. On peut remarquer que l’histoire a passé du premier au second rang. Cependant les sciences n’avaient pas encore leur place à côté de la langue, de l’histoire et de l’art, bien que cultivées, presque autant que l’histoire ou la langue, dans toutes les académies. C’est M. Rouland qui le premier les a comprises dans les travaux du comité. De là le nom nouveau qu’il lui a donné de Comité des travaux historiques et des sociétés savantes. Cette dénomination, bien que bizarre, subsiste encore aujourd’hui. Ajoutons que M. Fortoul a fondé la ''Revue des sociétés savantes'' a pour servir de lien aux académies dispersées dans les départemens et donner la publicité à leurs travaux. » Ce recueil continue de paraître, mais seulement tous les deux mois. Avec quelques bons travaux de savans de la province, il contient les procès-verbaux des séances des comités et des rapports généralement secs et insignifians, non moins que tardifs, sur les publications et les mémoires des sociétés savantes. Quant à la publicité promise, il en est lui-même trop complètement dépourvu pour la donner, hors d’un bien petit cercle, même aux recherches et aux découvertes qui mériteraient le mieux d’être mises en lumière.
 
Nul ministre plus que M. Rouland ne s’est montré jaloux de tenir les sociétés savantes dans la dépendance de son ministère. C’est lui qui a institué cette distribution solennelle de prix et de récompenses qui a lieu, chaque année à la Sorbonne, sous la présidence du ministre de l’instruction publique. Bien que fort épris de son œuvre, M. Rouland dans le discours qu’il a prononcé à la première de ces solennités, n’a pu s’empêcher d’avouer que quelque chose y manquait, à savoir le concours de l’Institut, a Assurément, disait-il, un tel hommage n’atteindrait tout son prix que s’il était rendu par l’Institut de France, car c’est à lui qu’il appartient, des hauteurs où il réside, de proclamer avec une autorité toujours respectée des jugemens souverains; mais nous savons tous combien l’illustre compagnie est attentive aux œuvres que les travailleurs des départemens soumettent à ses appréciations, et combien elle aime à voir se développer autour et loin d’elle-même les mérites et les talens dont elle possède les plus parfaits modèles. Elle vous apporte d’ailleurs ses sympathies par la présence de ses membres les plus éminens. Ainsi je ne fais que suivre l’exemple de l’Institut en rendant à la province savante et lettrée l’hommage qui lui est si légitimement acquis. » Il semble vraiment que l’orateur prenne ici plaisir à se contredire lui-même. Si l’Institut, comme le proclame M. Rouland en termes si pompeux, est la seule autorité légitime, la seule souveraine,
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pourquoi en vouloir mettre une autre à sa place? Cette cérémonie de la Sorbonne n’est qu’une bien faible et imparfaite image, une contrefaçon en quelque sorte de ces séances publiques où l’Institut décerne ses couronnes. Aussi les savans sérieux deviennent-ils de plus en plus rares au sein de cette foule mélangée qu’attirent chaque année à la Sorbonne les vacances de Pâques et les prix réduits des chemins de fer, non moins que l’amour de la science. Comment se fait-il que, parmi les nombreux ministres qui ont succédé à M. Rouland et dont plusieurs appartenaient à l’Institut, il ne s’en soit pas encore rencontré un seul qui ait compris qu’il fallait remettre le soin de couronner les savans à la seule autorité légitime et souveraine, comme a si bien dit M. Rouland? Nous venons de voir ce qu’a tenté le gouvernement pour relier les sociétés savantes des départemens, voyons maintenant ce qui est l’œuvre de simples particuliers.
 
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Il nous est cependant impossible de ne pas parler avec quelque sympathie de tant d’efforts pour un noble but et d’une association qui, bien que défectueuse, subsiste déjà depuis un certain nombre d’années, sans aucun secours de l’état, chose rare en France, par ses propres ressources et par l’initiative de simples particuliers. Nous estimons d’ailleurs que cette sorte d’agitation littéraire et
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scientifique produite par les congrès qui siègent tour à tour dans les villes de toutes les parties de la France qui offrent les sujets d’études les plus nombreux et les plus intéressans n’a pas été sans produire quelque bien. Il y a eu des rapprochemens utiles entrée les hommes voués aux mêmes études; certaines discussions sur divers points d’histoire locale, d’antiquités nationales, de botanique, d’agriculture et de géologie, n’ont pas été sans quelques bons résultats ; les études archéologiques surtout y ont gagné, grâce à M. de Caumont. Mais que de critiques à faire, dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer, de cette organisation, tumultueuse des congrès, et comment y voir une représentation sérieuse des sociétés savantes de la province qui la plupart, surtout les plus considérables, ne nomment point de délégués? C’est à bon marché que s’obtient le titre démembre d’un congrès scientifique; le premier venu, sans nul diplôme, sans nulle élection ou délégation, en fait partie moyennant une légère cotisation. Au milieu de cette foule, si peu choisie au point de vue de la science, et composée d’élémens si divers, les travailleurs sérieux sont comme perdus et trouvent difficilement à se faire une place. Que dire d’ailleurs de ces longues et prétentieuses listes de questions sur toutes choses qui doivent être résolues en dix jours, terme fatal de la durée de tout congrès scientifique!? Encore faut-il retrancher le temps donné aux fêtes, aux ''Te Deum'', aux réceptions à la préfecture ou à l’hôtel de ville, et aux harangues emphatiques échangées avec les principaux personnages de l’endroit.
 
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Pour rallier à lui les sociétés savantes par l’intermédiaire du ministère de l’instruction publique, le gouvernement a des ressources et des avantages qui manquaient à M. de Caumont. Il dispose d’un budget pour l’encouragement des sciences et des lettres, il a les distinctions honorifiques et les décorations, il a pu avoir le concours d’hommes haut placés dans la science et même de
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membres de diverses classes de l’Institut. On ne peut nier la compétence et l’autorité de ceux dont se composent ses comités; leur seul tort à nos yeux est de relever du ministère et non de l’Institut. En outre, malgré les changemens beaucoup trop rapides de ministres, il y a une permanence et une suite dans l’organisation et les traditions administratives où les sociétés savantes peuvent trouver un point de ralliement plus fixe et plus stable que dans l’Institut des provinces. Aussi devons-nous tout d’abord reconnaître que tout ici non plus n’a pas été stérile. La province, surtout dans les commencemens, n’a pas été insensible à ces témoignages de sollicitude auxquels elle n’était guère accoutumée; une certaine impulsion a été donnée et même une utile direction, grâce aux savantes instructions adressées par le Comité historique pour les méthodes à suivre, les procédés à employer dans les études archéologiques. Il y a eu des encouragemens bien placés ; d’importantes publications ont mis en lumière des documens et des faits précieux pour notre histoire.
 
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Suffit-il donc, pour qu’une société soit vraiment affiliée, qu’un de ses membres, sans nulle délégation ou même à son insu, envoie quelques pages au comité ou soit pris de l’envie de faire un voyage économique à Paris? De son côté, l’Institut des provinces n’a pas une moins longue liste de délégués et de correspondans. Il y a des sociétés et des correspondans qui figurent à la fois sur les deux listes. Dans tout cela, il y a beaucoup de désordre et de confusion. D’ailleurs en général, des deux côtés, ce sont les sociétés les plus minces, les plus récentes, les plus facilement ouvertes à
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tout venant qui se montrent le plus empressées. Celles-là n’ont pas le droit d’être bien fières; elles peuvent s’enorgueillir même d’une médaille de bronze et enregistrer ce succès dans leurs courtes annales; elles peuvent facilement prendre leur parti d’un échec. Il n’en est pas de même des grandes académies provinciales qui ont un passé, des traditions, une certaine renommée, où n’entre personne qu’avec quelques titres, et qui comptent dans leurs rangs un certain nombre de membres plus ou moins connus, même au dehors, dans les sciences ou dans les lettres. Ces compagnies se sont généralement tenues à l’écart par un légitime sentiment de dignité et d’indépendance. Il en est même qui ont protesté contre l’abus fait de leur nom dans les hasards, l’arbitraire et la confusion de ces concours, où on prétendait leur donner des places, comme au collège sur les bancs. Quelques-unes ont émis le vœu de n’avoir que l’Institut pour juge. L’une d’elles, sollicitée de concourir, a répondu, à notre connaissance, qu’elle donnait des prix et qu’elle n’en recevait pas. Assurément l’Institut de France n’aurait pas été exposé à recevoir une pareille réponse.
 
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D’ailleurs, comme on peut le voir par les dernières années de la Bévue des sociétés savantes, le comité, se laissant de plus en plus envahir par l’Ecole des Chartes, ne donne plus accès qu’à l’histoire locale du moyen âge et aux études ou même, osons le dire, aux minuties de l’archéologie. Non-seulement la littérature et la philosophie, mais l’étude de l’antiquité, la législation, l’économie politique, l’histoire générale et même l’histoire moderne, qui tiennent aussi une grande place dans les travaux des facultés et académies de la
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province, sont aujourd’hui comme non avenues. Comment donc pourrait-il avoir la prétention de rattacher à lui le mouvement intellectuel dans les départemens?
 
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Le ministère redouterait-il en y renonçant d’éprouver quelque diminution ou amoindrissement? Tout le monde pensera sans doute qu’il reste encore une part assez belle à l’activité et à l’ambition d’un ministre, quel qu’il soit, avec le gouvernement de l’instruction publique dans toutes ses branches, à tous ses degrés, sans compter les cultes et les beaux-arts. Fera-t-on intervenir la politique en faveur de cette ingérence si .fâcheuse, à notre avis, de l’administration, des ministres et des directeurs dans le domaine des sciences et des lettres? Un ministre peut bien se flatter de s’attacher plus ou moins quelques individus par l’appât des distinctions et des récompenses, mais non pas des sociétés qui, en général, se composent des
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hommes les plus indépendans par le caractère comme par la position. Maîtresses d’elles-mêmes, libres de toutes leurs démarches et de toutes leurs alliances, vivant de leur propre vie et de leurs propres ressources, les académies de la province ne se laissent pas facilement enchaîner et séduire. Elles ont toujours été de petites républiques dans la grande république des lettres, même sous une monarchie; elles ne cesseront pas de l’être sous un gouvernement républicain. Je m’imagine donc que, tout en gardant leur liberté, elles entreraient plus volontiers dans une alliance où la politique et les influences administratives ne seraient rien, où les intérêts de la science seraient tout. Je comprends bien que tous les ministres, en les engageant à venir à eux, en leur promettant aide et protection, prennent tant de soin de les rassurer au sujet de leur indépendance; mais, à l’égard de l’Institut, elles ne sauraient avoir les mêmes alarmes. Il ne s’agit pas d’un vasselage, mais d’une coopération toute volontaire qui n’enlève rien à l’originalité de leurs propres travaux, tout en les appelant à prendre librement part à une œuvre et à des recherches communes.
 
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Il ne suffit pas de montrer que les sociétés savantes des départemens ne sont pas indignes d’entrer en rapport avec l’Institut, il faut au moins indiquer quels seraient les conditions et les liens de cette confédération entre Paris et la province. D’abord nous ne voudrions pas d’une adoption en masse, à l’exemple de l’Institut des provinces ou du Comité historique, des deux ou trois cents sociétés savantes qui sont en France ; il faut tenir compte du degré
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de leur importance, de l’inégalité de leurs titres scientifiques ou littéraires. De la part d’une académie, il y aurait préalablement une demande avec des titres et des pièces à l’appui, et, de la part de l’Institut, il y aurait un vote après examen et délibération. Les affiliations seraient particulières et successives, en commençant par les anciennes académies royales situées aux chefs-lieux des grandes universités. Viendraient ensuite les sociétés qui justifieraient leur prétention au même honneur par leurs travaux et leurs publications. Les sociétés savantes spéciales pourraient être plus particulièrement adoptées par la classe de l’institut d’où elles relèvent par la nature de leurs travaux.
 
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C’est ainsi que les travaux des académies de la province obtiendraient une publicité que ne sauraient donner ni le comité, ni la ''Berne des sociétés savantes''. L’Institut, qui ne décerne aujourd’hui de prix que pour ses concours particuliers, y ajouterait des prix, des médailles, des mentions pour les sociétés affiliées qui s’en rendraient dignes par leurs contributions à ses travaux, par leur
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correspondance assidue. C’est de lui aussi qu’elles recevraient des subventions proportionnées à l’importance de leurs publications ou destinées à leur venir en aide pour telle ou telle série d’expériences et de recherches. Je suppose enfin qu’il pourrait bien aussi être admis à faire quelques présentations pour les distinctions honorifiques et les décorations méritées par les membres des académies associées. Il a d’ailleurs seul en main une récompense, celle du titre de correspondant, plus enviée que toutes les autres. Ses ressources, aujourd’hui si insuffisantes, devraient s’accroître de tous les fonds d’encouragement du budget pour les sciences et pour les lettres. Avec une dotation moins mesquine, que ne pourrait-il pas faire pour aider les savans, pour multiplier les expériences, pour provoquer les travaux et les découvertes autour de lui et loin de lui !
 
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Nous devrions songer à nous rapprocher davantage, sans l’imiter cependant en toutes choses, de l’Institut de Salomon, de cette académie idéale dont Bacon, dans sa Nouvelle Atlantide, a tracé le plan grandiose. Laissons de côté les crosses, les mitres, cet appareil presque sacerdotal, et tout cet éclat extérieur dont il veut environner les représentans, les magistrats suprêmes de la science
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pour rehausser leur dignité aux yeux de la multitude. Que de choses d’ailleurs nous aurions à envier et nous pourrions emprunter à cette merveilleuse académie! L’autorité, l’argent, tous les moyens les plus puissans d’expérimentation, sont prodigués à l’Institut de Salomon pour arracher à la nature ses secrets. Il a des tours sur les plus hautes montagnes et sur ces tours des ermites chargés d’observer les météores et tous les phénomènes des hautes régions de l’air. Pour étudier les entrailles de la terre, il dispose de cavités profondes creusées dans les plus profondes vallées ; il a des fours, des étuves de toutes les formes et de toutes les grandeurs, des maisons d’optique et d’acoustique. N’oublions pas des maisons spécialement consacrées à faire des expériences qui peuvent tromper les sens et produire des effets en apparence miraculeux. L’histoire naturelle n’est pas moins richement pourvue que l’astronomie, la géologie, la physique et la chimie. Autour du palais de l’Institut de Salomon s’étendent des étangs d’eau douce, des étangs d’eau salée, des parcs immenses, où sont rassemblés tous les êtres vivans de la création et en comparaison desquels nos aquariums et nos jardins zoologiques ne sont que jouets d’enfans. « Voilà, s’écrie Condorcet, ce qu’un esprit créateur a osé concevoir dans un siècle couvert encore des ténèbres d’une superstitieuse ignorance, ce qui n’a paru longtemps qu’un rêve philosophique, ce que les progrès rapides des sociétés et des lumières donnent aujourd’hui l’espoir de voir réaliser par les générations prochaines et peut-être commencer par nous-mêmes <ref> Fragment à la suite des ''Progrès de l’esprit humain''. </ref>. » A en croire Macaulay, non moins enthousiaste que Condorcet de la conception de Bacon, « quelques portions, et ce ne sont pas les moins extraordinaires, de cette glorieuse prophétie se sont déjà accomplies même à la lettre, et la prophétie tout entière, à ne consulter que son esprit, s’accomplit chaque jour autour de nous <ref> ''Essais politiques et philosophiques'', trad. par Guillaume Guizot.</ref>. »
 
Nous en sommes encore à l’espérance qu’avait Condorcet de voir se réaliser par les générations prochaines ce que Fontenelle a appelé le roman d’un sage. Si la prophétie déjà s’accomplit, comme le dit Macaulay, c’est sans doute plutôt au sein de la Société royale de Londres que dans l’Institut national de Paris. Il y a certainement des moyens de travail à la disposition des membres de notre Académie des Sciences; ils ont des laboratoires particuliers, ou bien ils ont accès dans ceux de quelques grands établissemens scientifiques, à la Sorbonne, au Collège de France, à l’École normale. Mais l’Institut n’a pas un laboratoire à lui, un laboratoire qui devrait être le modèle de tous les autres, qui les dépasserait par les ressources
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et les moyens d’expérimentation, par la puissance des machines, et où tous les savans étrangers, comme ceux des académies affiliées, auraient leur entrée, pour faire ou voir faire les plus difficiles, les plus grandes et les plus coûteuses expériences. L’Académie des Sciences avait au XVIIIe siècle quelques salles pour l’anatomie, la chimie, les machines; elle n’a rien de tout cela aujourd’hui, malgré la prophétie de Bacon et les espérances de Condorcet.
 
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Sans doute toutes les classes de l’Institut ne seraient pas appelées à jouer un aussi grand rôle dans cette association et à en retirer les mêmes avantages, mais j’estime que toutes devraient plus ou moins y entrer, même l’Académie des Beaux-Arts et l’Académie française. Il est vrai que la poésie, l’éloquence, les œuvres de l’imagination, le génie de l’artiste, pas plus que la vertu elle-même, ne se forment ni se perfectionnent avec l’aide d’autrui, par une mise en commun de travaux et d’efforts. Mais là où la collaboration n’est pour rien, les conseils, les critiques, les encouragemens, les modèles proposés peuvent être pour beaucoup. L’Académie des Beaux-Arts exercerait une intendance officieuse, au point de vue purement esthétique, sur tous les monumens qui se construisent ou se restaurent.
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Elle serait, pour toute la France, ce que sont pour quelques villes d’Italie les commissions ''dell’ornato''. Combien d’objets d’art, de richesses artistiques de tout genre à signaler, à protéger, à recueillir! Le Comité des sociétés savantes a compris, quoiqu’un peu tardivement, l’importance d’une correspondance artistique et s’est adjoint, depuis peu de temps, une section nouvelle des Beaux-Arts.
 
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Quelle vendange, pour parler comme Bacon, de tous les phénomènes de l’ordre physique, d’observations et d’expériences, ne récolterait pas l’Académie des Sciences, grâce à ce concours des sociétés savantes! Un ensemble coordonné de recherches sur tel ou tel ordre de phénomènes aboutirait à son comité de correspondance; il y aurait un concert des expériences à faire sur divers points et simultanément. Qu’il s’agisse de saisir quelque phénomène au passage, de comparer ce qui se passe au nord avec ce qui se passe au midi, dans la vallée et sur la montagne, partout, jusque dans les
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cantons les plus reculés, par l’intermédiaire et le rayonnement des sociétés affiliées, elle trouverait des auxiliaires intelligens et dévoués, empressés de répondre à son appel. Combien d’observations importantes qui ne se font pas ou qui, une fois faites, se perdent, faute d’instructions données ou faute d’un centre où elles devraient aboutir !
 
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Accroissement de ressources et d’influence par une association
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des académies les unes avec les autres, voilà donc ce que nous voudrions, non pas seulement pour l’Institut de France, mais, selon le vœu de Bacon, pour toutes les grandes académies du monde civilisé, pour Londres, Vienne, Berlin, Saint-Pétersbourg, etc. Ne serait-il pas à souhaiter qu’elles fussent unies entre elles par des liens plus intimes et plus forts qu’un échange de mémoires et de comptes-rendus ou la nomination de loin en loin de quelque associé ou correspondant? Pourquoi ne délégueraient-elles pas tour à tour dans chaque grande capitale quelques députés pour former un véritable concile œcuménique de la science où seraient discutées les questions qui divisent le monde savant? « De même, dit encore Bacon, que le progrès des sciences dépend beaucoup de la sagesse du régime et des institutions des diverses académies, on aurait aussi de grandes facilités pour arriver à ce but, si les académies qui sont répandues en Europe contractaient entre elles l’union et l’amitié la plus étroite. » Il exhorte donc toutes les universités, tous les collèges du monde civilisé à s’unir par des relations régulières, à lier ensemble alliance et amitié <ref> Fin du second livre du ''De Augmentis scientiarum.</ref>.