« Où nous en sommes » : différence entre les versions

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AVANT-PROPOS
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Dans chaque peuple, les sept ou huit poètes créateurs d’un temps, — nous sommes larges —jusqu’aux trois ou quatre trouveurs mathématiciens, forment, avec les espèces intermédiaires, ce conglomérat de minorités qui soutient tout et sans lequel l’univers passerait comme s’il n’était point.
 
Ces minorités peuvent se méconnaître, côte à côte, dans une parfaite ignorance mutuelle : il est presque indifférent, quand il n’est pas nuisible, qu’elles se pénètrent ; il suffit, pour leur union, que les agrège la grande force souveraine de l’esprit ; pour leur puissance,
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que chacune n’arrête de se concentrer sur soi.
 
Il y a des minorités qui occupent les points de surface, toujours prêtes à s’effriter, à se dissoudre au contact de la foule, pendant que demeurent vierges, à l’intérieur du conglomérat, les noyaux précieux. Sans ces intangibles, il n’aurait aucune solidité.
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Exposer les œuvres ne suffit donc pas : la critique positive a le devoir de démasquer les naufrageurs, — ces pilleurs, ces fossoyeurs.
 
LA
LA VICTOIRE DU SILENCE (« ).
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VICTOIRE DU SILENCE (« ).
 
Ou concentre-toi ou meurs.
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#
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le fumier n’est lourd !... Ah !que c’est donc lourd que pas un de vos membres ne bouge 1 Pas un cri !... le silence... t
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Je crois toutefois que sur un certain nombre de traits principaux, j’exprimerai asseç fidèlement une pensée commune ; mait pour le reste il est bien entendu que j’aventurerai des idées particulières, lorsque je ne me bornerai pas à dépouiller de nos œuvres le grain nourricier.
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et une direction d’ensemble. Le résultat littéraire de leurs idées n’a pas été tangible, il est avorté. L’allégorie (/) n’est pas un élément fondamental de création. »
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l’admirable création
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du vers libre, pour l’usage exalté et vivant des jeunes hommes qui le suivent.
 
« Il faut qu’à présent nous entendions courir aux échos de tous les rivages le cri nouveau : « Le mystère, le grand mystère est mort ! »
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Mais l’année de la foire passa, et les morts gardèrent le silence...
 
L’année 1901 fut marquée par des événements considérables. Il
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y eut d’abord le voyage en Amérique de M. Gaston Deschamps qu’illustrèrent des incidents de ce genre :
 
« Je trouve, dans la bibliothèque de Yale, une curieuse collection d’ouvrages français, notamment les Illuminations d’Arthur Rimbaud, le Pèlerin du Silence, beaucoup de cantilènes « mallarmistes », et enfin les chansons d’Aristide Bruant... Pourquoi ces choix imprévus ?... La très illustre université de Yale se doit à elle-même d’étendre un peu plus loin ses curiosités dans le domaine des lettres françaises.
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Puis éclata, comme les « Tuba » du Dies irce, le Testament poétique de M. Sully-Prudhomme. Ce testament provoqua un nombre extraordinaire de codicilles par lesquels on indiquait que nos cadavres n’étaient pas même dignes d’un legs aux
 
hôpitaux.
hôpitaux. Dans une ode somptueuse au poète, M. Albert Mérat chantait « après une lecture du Testament poetique » :
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Dans une ode somptueuse au poète, M. Albert Mérat chantait « après une lecture du Testament poetique » :
 
Tu dédaignes dans tes algèbres
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Le grand événement de l’année fut le Congrès des Poètes, (ô souvenir bruyant du Congrès de la Jeunesse !) qui pour la première fois s’efforça d’appliquer le parlementarisme à la
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résolution des questions d’art. On avait bien essayé déjà, par un Collège d’esthétique moderne, de le soumettre au progrès des nouvelles méthodes pédagogiques, et M. Maurice Leblond y devait traiter ainsi les Origines de l’art contemporain :
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Mais combien ce « Congrès » dépassait ce « Collège » par la nouveauté et la logique des moyens, « respectueux des volontés de la majorité... » On vota immédiatement la formation d’un syndicat des poètes. « Le vers français aux Français ! » cria quelqu’un. Un vote unanime de blâme, sous la présidence de M. Catulle Mendès, fut lancé contre M. Gustave Kahn
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pour n’avoir pas vivifié suffisamment de poèmes jeunes les matinées Sarah-Bernhardt. « Cinq cents vers à copier ! » finit par jeter un impatient. Et le congrès s’acheva dans le délire du devoir parlementaire accompli.
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« Mais, depuis, ce dernier est mort, et comme il devait sa réputation à l’attrait un peu morbide que sa personne exerçait, avec lui sa gloire s’est éteinte à tout jamais.
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« D’ailleurs, aux doctrines littéraires qu’il avait alors contribué à p ropager S autres se sont substituées à" une façon triomphante : « La seule école en vogue aujourd’hui, écrivait récemment Maurras dont il faut apprécier les témoignages, c’est celle des naturistes, »
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Dernièrement « un groupe de dix-huit jeunes poètes rédigeait un manifeste pour annoncer le ferme propos d’ « exprimer la vie dans sa splendeur et dans sa force », et de « réintégrer la santé dans l’art ». Je sais bien qu’en fait de poésie les intentions ne suffisent pas. Mais les signataires de ce document blâment l’« incohérence » de leurs prédécesseurs, et constatent, avec regret, que « les préoccupations des groupements antérieurs se sont surtout portées vers les caractères d’exception, la singularité, l’anomalie, le conventionnel, le morbide ». Les dix-huit poètes de la Foi nouvelle se déclarent résolus à
 
réconcilier
réconcilier la raison avec la rime et le public avec les rimeurs. Ils sont pleins d’allégresse et de bonne volonté. Enregistrons cet excellent symptôme. »
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la raison avec la rime et le public avec les rimeurs. Ils sont pleins d’allégresse et de bonne volonté. Enregistrons cet excellent symptôme. »
 
Il y eut la Renaissance classique (nous avions déjà la Renaissance latine), dont le protagoniste, un vague Louis Bertrand, disait : « Nous n’interrogerons le Mystère et l’Infini que dans la mesure où il convient à des hommes éphémères et bornés ( !) » Il y eut enfin l’Humanisme qui, au bord de notre fosse, provoqua entre les fossoyeurs d’étranges combats. L’équilibriste M. Fernand Gregh avait écrit :
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« Mais enfin la poésie des symbolistes — et les meilleurs d’entre eux l’avouent ( ?) — a exprimé des rêves abscons et froids, et non la vie. Ils ont créé tout un décor de glaives, d’urnes, de cyprès, de chimères et de licornes qui s’en va déjà rejoindre au magasin des accessoires surannés le décor romantique, les nacelles, les écharpes, les gondoles, les seins brunis et les saules, les cimeterres et les dagues qui en 1850 avaient déjà cessé de plaire. Ils ont abusé du bizarre, de l’abstrus, ils ont souvent parlé un jargon qui n’avait rien de français, ils ont épaissi des ténèbres factices sur des idées qui ne valaient pas toujours les honneurs du mystère. Ils avaient d’abord arboré le nom de décadents sous lequel on lésa trop facilement ridiculisés et qu’ils ont vite abandonné pour celui plus relevé de symbolistes ; mais on aurait dit parfois qu’ils voulaient donner un sens rétrospectif à leur première dénomination. Leur inspiration fut trop souvent byzantine. Ils se sont d’abord interdit comme trop vile ( ?) toute poésie à tendances philosophiques, ou religieuses, ou sociales. Ensuite, même ce qui est individuel chez les symbolistes s’exprime d’une façon si indirecte que l’obscurité en voile souvent l’émotion. Jamais, chez eux, un aveu personnel, un cri, un battement de cœur. Tout est secret,
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enveloppé, allégorique. Les symbolistes ont fait un rêve irréalisable, celui d’exprimer le pur mystère ( ?) et la beauté pure. Le mystère sans un peu de clarté, c’est le néant absolu, et la beauté sans la vie, c’est une forme inconsistante qui échappe à l’étreinte de l’artiste.
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« Cette époque n’est pas lointaine de nous, et pourtant comme elle nous paraît reculée, extravagante et fabuleuse ! C’était l’âge héroïque de l’art décadent et du symbolisme. Une mentalité inférieure
 
à
à celle du moyen âge régnait parmi l’élite des esprits juvéniles. En plein xixe siècle, quand la société moderne faisait retentir son fracas, tout sonore des prodiges futurs et des possibilités inconnues, dans l’instant que vivaient Pasteur et Berthelot, on assista à cet extraordinaire spectacle de toute une génération s’adonnant subitement aux pires perversions intellectuelles, au mépris de la vie, au culte du mysticisme le plus étrange et le plus malsain.
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celle du moyen âge régnait parmi l’élite des esprits juvéniles. En plein xixe siècle, quand la société moderne faisait retentir son fracas, tout sonore des prodiges futurs et des possibilités inconnues, dans l’instant que vivaient Pasteur et Berthelot, on assista à cet extraordinaire spectacle de toute une génération s’adonnant subitement aux pires perversions intellectuelles, au mépris de la vie, au culte du mysticisme le plus étrange et le plus malsain.
 
« On put voir des jeunes hommes intelligents méconnaître Us notions les plus élémentaires de la science et de la philosophie contemporaines, tirer vanité d’une érudition illusoire, occupés uniquement à s’assimiler les fantaisies cérébrales, les anomalies de pensées, les démences superstitieuses, les bizarreries littéraires, tout ce que la folie humaine avait pu produire de scories et de monstres depuis trente siècles que nous nous exprimons ( ! ! !)
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« Certes, nous fûmes bien ridicules et nous eussions mieux fait de
 
lécher
lécher les bottes de MM. Zola, Gustave Charpentier et Rostand, ou même de tourner des compliments en vers au ministre de l’Instruction publique comme M. de Bouhélier. Oui, certes, nous sommes bien ridicules. Néanmoins, nous nous enorgueillissons d’avoir mis en lumière et porté sur les pavois de la gloire Villiers de l’Isle-Adam, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé et Léon Dierx. Nous n’attendons pas les gros tirages et les grosses recettes pour découvrir le génie. » La Plume, 15 janvier 1903).
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les bottes de MM. Zola, Gustave Charpentier et Rostand, ou même de tourner des compliments en vers au ministre de l’Instruction publique comme M. de Bouhélier. Oui, certes, nous sommes bien ridicules. Néanmoins, nous nous enorgueillissons d’avoir mis en lumière et porté sur les pavois de la gloire Villiers de l’Isle-Adam, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé et Léon Dierx. Nous n’attendons pas les gros tirages et les grosses recettes pour découvrir le génie. » La Plume, 15 janvier 1903).
 
Ce qui n’avait pas empêché la même revue d’avoir inscrit, le 15 juillet précédent, sous la signature de M. Paul Souchon :
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Mais, à part le geste du mort Stuart Merrill rappelé plus
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haut, rien n’émut nos cadavres, ni « Centenaire », ni batailles d’écoles, rien : les morts s’obstinaient dans leur silence.
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Celui-ci avait oublié qu’hélas ! nous étions privés définitivement de toute monture et même de nos jambes. Mais MM. Poinsot etNormandy, les organisateurs du « Congrès des Poètes », écrivaient pour mieux faire comprendre les Tendances de la Poésie nouvelle :
 
« Il
« Il serait puéril de nier qu’un esprit nouveau, depuis quelques années, anime notre poésie. Et M. Gustave Kahn aura beau échafauder d’ingénieux arguments pour prouver que le Symbolisme continue son évolution et que nous vivons sur son épanouissement, rien n’ira contre ce fait que le Symbolisme est bien mort et pompeusement enterré... Il est mort en tant que symbolisme et surtout que vers-librisme ; il est mort en tant qu’expression surannée d’états d’âmes rares généralement motivés par de curieuses maladies dont les moindres sont la jobardise et l’obsession des typographies mystérieuses et des métaphores incohérentes ; il est mort en tant que recherche vaine de rythmes extraordinaires, de musiques infiniment subtiles, de vocabulaires étranges et abscons ; il est mort en tant que poésie éperdument égotiste, en tant qu’individualisme excessif et rétif à toute discipline ; il est mort enfin en tant qu’inintelligible et illusoire beauté. Quelques obstinés s’évertueront sans doute encore à clamer du plus profond de ses ténèbres. Ils sont semblables au trompette de la légende allemande qui, mort, sonnait encore la charge pour entraîner des soldats-fantômes. »
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serait puéril de nier qu’un esprit nouveau, depuis quelques années, anime notre poésie. Et M. Gustave Kahn aura beau échafauder d’ingénieux arguments pour prouver que le Symbolisme continue son évolution et que nous vivons sur son épanouissement, rien n’ira contre ce fait que le Symbolisme est bien mort et pompeusement enterré... Il est mort en tant que symbolisme et surtout que vers-librisme ; il est mort en tant qu’expression surannée d’états d’âmes rares généralement motivés par de curieuses maladies dont les moindres sont la jobardise et l’obsession des typographies mystérieuses et des métaphores incohérentes ; il est mort en tant que recherche vaine de rythmes extraordinaires, de musiques infiniment subtiles, de vocabulaires étranges et abscons ; il est mort en tant que poésie éperdument égotiste, en tant qu’individualisme excessif et rétif à toute discipline ; il est mort enfin en tant qu’inintelligible et illusoire beauté. Quelques obstinés s’évertueront sans doute encore à clamer du plus profond de ses ténèbres. Ils sont semblables au trompette de la légende allemande qui, mort, sonnait encore la charge pour entraîner des soldats-fantômes. »
 
Et M. Léon Vannoz (Revue bleue, 23 mai), pour opposer Deux Poétiques, d’affirmer :
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Mais il faut s’arrêter un peu plus longtemps sur :
 
Le Rapport De
Le Rapport De M. Mendès. — Je ne suis pas encore revenu de la stupéfaction où vient de me plonger la lecture de ce rapport imprimé aux frais de l’Etat et intitulé : Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. Ah ! c’était bien la peine de se moquer des critiques et des normaliens pour en arriver à un produit aussi vide ou aussi poncif quand il n’est pas vénéneux ! Que de lourdes véhémences et d’enthousiasmes gonflés ! Quelle pauvreté d’érudition quand le rapporteur traite des origines qu’on ne lui demandait pas ! et quel luxe de parenthèses hypocrites et de concetti cruels quand il en vient à l’époque contemporaine qu’on lui réclame ! Que d’efforts pour ne pas comprendre ! et quand il feint d’avoir compris que de pirouettes pour ridiculiser ses révérences ! Explique-t-il congrûment — croit-il — le symbolisme ?il termine par ces mots :
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M. Mendès. — Je ne suis pas encore revenu de la stupéfaction où vient de me plonger la lecture de ce rapport imprimé aux frais de l’Etat et intitulé : Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. Ah ! c’était bien la peine de se moquer des critiques et des normaliens pour en arriver à un produit aussi vide ou aussi poncif quand il n’est pas vénéneux ! Que de lourdes véhémences et d’enthousiasmes gonflés ! Quelle pauvreté d’érudition quand le rapporteur traite des origines qu’on ne lui demandait pas ! et quel luxe de parenthèses hypocrites et de concetti cruels quand il en vient à l’époque contemporaine qu’on lui réclame ! Que d’efforts pour ne pas comprendre ! et quand il feint d’avoir compris que de pirouettes pour ridiculiser ses révérences ! Explique-t-il congrûment — croit-il — le symbolisme ?il termine par ces mots :
 
« Eh bien, je ne verrais à ce système aucun inconvénient ; je trouverais même admirable, jusqu’à un certain point, que les mots ne signifiant plus ce qu’ils signifient ou ne le signifiant qu’à peine, éveillassent non par le sens, mais par le son des syllabes, ou par la couleur des lettres, — il y a là-dessus, vous le savez, un sonnet d’Arthur Rimbaud — etc. »
 
Aborde-t-il la technique ? Il a soin d’insinuer — oh ! en disant que c’est pour rire mais que pourtant... — que ses nouveautés proviendraient bien peut-être des imaginations péruviennes d’un M. Delia Rocca de Vergalo, un lieutenant d’artillerie, inventeur des« VersNicarins »... Quand, pendant deux ans, au rez-de-chaussée du Figaro, M. Catulle Mendès découpe d’avance son rapport, suivez un peu la suite de non-sens perfides qui composent ses citations préférées :
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« Pour M"" Kikio Mussayoshi.
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Et voilà ce qu’un universitaire respectable, M. Gustave Lanson, appelait « un effort fait avec un double souci de sincérité et d’impartialité » !...
 
Quelle détente de prendre le rapport de Théophile Gautier sur les Progrès de la Poésie française depuis 1830 jusqu’en i86y ! On est comme dulcifié par une bonhomie bienfaisante,
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un tact exquis, une sympathie large qui ne se laisse jamais amoindrir par de faciles malices et par des sentiments personnels, atrabilaires et avantageux. Ah ! ce n’est pas Gautier qui se pique d’être « complet », serait-ce aux dépens des poètes d’abord, de la poésie ensuite ! Il sait qu’il rédige un rapport officiel et que l’argent de l’Etat n’est pas fait pour payer des mots satiriques sur des confrères dont on ne sait s’ils vous déplaisent parce que vous ne voulez pas les comprendre ou parce qu’ils ne daignent plus vous lire !
 
Plaignons M. Mendès de sa Critique alimentaire, selon le trait cinglant de M. Charles Maurras qui notait l’incroyable courtisanerie (puisque ce ne peut être une ironie inconvenante) des dernières lignes de la dédicace à M. Georges Leygues :
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Avec 1904, les glas retentissant toujours, s’espacent. Rien
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n’est plus communicatif que le silence... Il y a bien des interviews çà et là, mais impossible de découvrir des injures nouvelles, et nos échantillons me semblent très suffisants, la série bien que monotone est complète. Citons toutefois cette opinion catégorique du contremaître Ernest-Charles :
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« ... La création poétique ne consiste qu’à déterminer jusqu’aux subtilités du frisson les limites extrêmes d’une somme d’infiniment
 
’petits de nature fort complexe qui sont nos aperceptions de toutes sortes.
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petits de nature fort complexe qui sont nos aperceptions de toutes sortes.
 
« ... C’est donc des limites mêmes de l’âme dans l’âme universelle qu’il s’agit ici. Tout poème qui se réalise ne tend qu’à résoudre une part du problème éternel de l’individualisation. »
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Cependant, par un raffinement d’élégance, quelques-uns, comme pourbien prouver qu’ils étaient morts, publièrent leurs souvenirs. — « Vous voulez que nous soyons morts ? c’est convenu 1 —Du temps de notre vie... » Ce qui permit à M. Adolphe Retté, auquel il sera beaucoup pardonné de ses soubresauts inutiles pour ces quelques pages, d’écrire son
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introduction et une conclusion à ses Anecdotes, d’où nous extrayons ces justes lignes :
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« Parmi les grands poètes symbolistes, je ne mentionnerai, pour abréger, que ceux-ci : Gustave Kahn, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Maurice Maeterlinck, Henri de Régnier. Voilà cinq noms tels que, peut-être, nulle école contemporaine n’en trouverait
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cinq aussi beaux à citer. Gustave Kahn, inventeur étonnant, imagination fastueuse, apte à susciter les plus neuves visions, à créer les plus ensorcelantes musiques ; Emile Verhaeren, halluciné, hanté de fantasmagories redoutables et belles, terrifié du spectacle que son rêve lui suggère, évocateur des féeries qui dorment au fond des ténèbres de l’âme ; Vielé-Griffin, subtil, sage et mélodieux, métaphysicien délicat, penseur attentif, incertain quelquefois entre l’allégresse de la vie et la mélancolie du souvenir ; Maurice Maeterlinck qui trouva des phrases imprévues pour rendre évident et palpable le mystère essentiel du Destin, de la Mort, de l’Existence et de toute réalité ; Henri de Régnier, dont c’est le privilège merveilleux de n’apercevoir les idées que sous la forme plastique, et dont l’œuvre est toute en images, parfaites de grâce ou de majesté !...
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« Equivoque sur« l’emprisonnement des techniques », alors que ce n’est que par le scrupule des techniques que l’art d’âge en âge se libère de la tyrannie des formules... Equivoque sur « la séparation de l’artiste et de la foule », sur l’art « retiré de la vie », et rabâchages de réunions publiques sur la « tour d’ivoire », alors que la « tour d’ivoire » du poète comme du savant est ce laboratoire de la
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solitude où se concentre plus de vie, et de vie utile, qu’en toutes les agitations d’un altruisme désorbité... — Equivoque sur « la beauté de vivre » qui est si loin d’être « la vie en beauté ». — Equivoque sur l’hostilité de la poésie contre le peuple, alors que jamais plus intime fraternisation n’exista qu’entre la poésie populaire et le lyrisme sentimental d’une récente période. — Equivoque sur ce sens du mystère qui exalte les natures les plus différentes, depuis Maurice Denis jusqu’à Rodin, depuis Claude Debussy jusqu’à Verhaeren, et qui rendrait « stérile » parce qu’il n’y aurait « aucun mystère dans la nature, mais des évidences calmes... » (1).
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Question de simple dignité, d’abord : avant 1900 déjà, tout avait été dit et redit sur la plupart des points qui remuaient la bile des critiques journalistes et de nos confrères. On ne pouvait plus se commettre avec des gens qui, au lieu de poursuivre la création désintéressée de l’art, sans laquelle (nous le verrons) l’existence de l’art même est atteinte, ne pensaient qu’à se produire en acteurs qui cherchent leurs planches. Puis, il fallait laisser manœuvrer et s’épuiser les uns les autres tous ces petits « syndicats » de la courte échelle, si différents des groupements libres de notre génération. Nous étions bien tranquilles. Leur arrivisme portait en lui-même des germes morbides plus dangereux pour les œuvres que ceux dont ils nous reprochaient la culture. Néanmoins, puisqu’ils se prétendaient seuls « vivants », de très bonne foi nous attendions qu’ils prouvent leur vie. Vous le savez : là
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est le difficile ; vivre n’est rien, il s’agit de prouver sa vie pour réellement vivre...
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Nous ne craignons paS de le dire tout net : il ne s’en est pas produit.
 
Ce qui se produisit fut un affaissement extraordinaire des moyens d’expression d’une part, sous couleur de simplicité ou d’humanité ; de l’autre, ce fut la reconfusion de l’art lyrique et de l’art oratoire comme aux temps des plus mauvaises tirades romantiques. Si des poèmes témoignaient de qualités précieuses, il se trouvait qu’en dépit sans doute des auteurs eux-mêmes, elles empruntaient à divers sens du symbolisme leur caractère. Quelques femmes symétriques (qui développérentdéveloppé
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rent d’ailleurs l’art de la réclame à un point que l’intelligence ménagère des hommes ne connaîtra jamais) firent preuve d’une langue aiguë ou savoureuse, mais d’une musicalité pauvre. Partout, partout, plus les barbares hurlaient à la mort, plus on pouvait constater, dans toutes les branches de l’expression artistique, la vie intense du symbolisme et ses victoires pénétrantes sous les bannières les plus bigarrées.
 
C’est qu’en effet le symbolisme, qu’on s’est efforcé en vain de rétrécir, est tout autrement que ne le fut le romantisme même, infixable ; et ce qui est si particulier dans notre art lyrique, la précision émotive du détail et le sens du général, est, dans tous les autres arts, son œuvre.
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Aussi est-on obligé de reconnaître que les poèmes symbolistes volontairement plus rares de ces quatre dernières années, après la magnifique abondance du lustre précédent, sont parmi les plus neufs et les plus parfaits dont une époque puisse s’enorgueillir. Il n’y eut pas un livre lyrique qui en 1900 ait égalé Les Quatre saisons de Stuart Merrill ; il n’y eut pas un livre, en 1901, qui ait atteint la beauté des Petites légendes d’Emile Verhaeren et des Stances de Jean Moréas (car il faut bien comprendre que le classicisme des Stances loin de contredire le symbolisme en découle) ; il n’y eut pas un livre, en 1902, qui ait surpassé Clartés d’Albert Mockel ; il n’y en eut pas un, en 1903, qui se soit affirmé au-dessus d’Amour sacré de Francis Vielé-Griffin ; il n’y en eut pas un, en 1904, qui ait approché la’ pureté de la Chanson d’Eve de Charles van Lerberghe. Et il va sans dire que sans Maeterlinck dans Le Figaro pour cette dernière, aucune de ces œuvres n’aurait provoqué un article sérieux dans les grands périodiques.
 
(
(Et en 1902, les soirées inoubliables de Pelléas et Mélisande !... Cette prodigieuse union des deux arts fraternels !... la surprise jamais lassée du public qui semblait dire : « Comme on nous a trompés ») !
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Et en 1902, les soirées inoubliables de Pelléas et Mélisande !... Cette prodigieuse union des deux arts fraternels !... la surprise jamais lassée du public qui semblait dire : « Comme on nous a trompés ») !
 
Ce qu’il y a de remarquable est qu’avec une égale entente du sens lyrique aucun de ces cinq livres de poèmes n’a quelque communauté de ton ou de couleur avec le voisin ; ils sont, chacun, aussi originaux que s’ils n’étaient pas alliés. Ouvrez les chefs-d’œuvre de nos pourfendeurs, des Gregh, Bouhélier, Magre, etc., vous serez frappés combien leur hybridité, malgré la différence des tempéraments, a des points de contact trop étroits.
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Serait-ce que nous aurions tort d’accorder aux négations mal ordonnées des critiques officiels, aux timidités bourgeoises de certains ou aux cris de nos petits sauvages une importance qui ne leur viendrait que de notre attention ? Mais cette liquidation faite, nous ne leur en accorderons aucune. Seulement il n’est point vrai que les œuvres parlent toutes seules ; ce sont les idées mêmes qui se mangent comme des habits dans le silence, — ces bonnes laines réchauffantes des œuvres...
 
Il importe du reste d’aller plus avant dans l’avenir, de découvrir
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toute l’étendue où l’art lyrique peut nous porter, d’enfoncer plus profondément nos jalons d’or.
 
Puis l’on ne s’imagine pas ce qu’il y a de jeunes esprits isolés qui s’ouvraient à la révélation d’art du symbolisme comme à une liberté nouvelle vraiment pure et qu’ont révoltés les pantalonnades dernières. Je viens, ces années passées, de parcourir la France dans tous les sens. Partout j’ai rencontré des fidèles étranges aussi passionnés de lyrisme et d’art que dégoûtés de la littérature. Ils ne nous comprenaient pas : notre mutisme les étonnait, un peu même les décourageait.
 
C’est que les œuvres ne peuvent pas être les seuls « faits » d’un art ; que ces faits soulèvent des actes extérieurs qui doivent provoquer une action. Négliger cette action est trahir l’œuvre même. Et toute négligence désoriente, alors que l’on attend pour assurer sa confiance l’affirmation des croyants. Ainsi les élastiques injures que nous venons de sentir sous nos pieds doivent nous être comme autant de petits tremplins qui ne permettent pas de rester sur place... Rebondissons. Il n’est rien de tel pour se reconnaître. On ne se dérobe pas à l’occasion d’un examen de conscience : d’une de ces actions pratiques qui sont comme les étais de la critique spéculative, qui lui donnent sa solidité. Toutes les manifestations de la vie, et les plus élevées, obéissent à la même loi : l’impossibilité de se soustraire, sans déchéance, à l’action correspondante des actes qui vous atteignent. Il n’est point de dignité plus fausse que d’ossifier notre patience, longtemps nécessaire pour plus de force, mais ainsi rendueimpuissante. Les œuvres existent autant par les idées dont on les enveloppe dont on les réchauffe que par elles-mêmes. Et l’action critique, pour les
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soutenir dans cette chaleur de la vie, ne doit croire indigne d’elle aucun des menus soins d’une vraie sollicitude.
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II
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Un peu d’apologétique.
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D’André Beaunier :
 
« Il
« Il y a deux manières essentiellement en art, dont l’une consiste dans l’expression directe et dont l’autre procède par symboles. Un symbole est une image que l’on peut employer pour la représentation d’une idée, grâce à de secrètes condescendances dont on ne saurait rendre compte analytiquement.
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y a deux manières essentiellement en art, dont l’une consiste dans l’expression directe et dont l’autre procède par symboles. Un symbole est une image que l’on peut employer pour la représentation d’une idée, grâce à de secrètes condescendances dont on ne saurait rendre compte analytiquement.
 
« La valeur expressive du symbole est dans une certaine mesure mystérieuse... L’art est réaliste ou symboliste.
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... « Pour être un poète symboliste, il n’est pas nécessaire de faire proprement ce qu’on appelle des symboles ; il suffit d’exprimer les secrètes affinités des choses avec notre âme. Mais une poésie qui a ces affinités pour objet sera le plus souvent symbolique ; car, dès que nous les suivons avec quelque teneur, elles revêtent la forme du symbole. Qu’est-ce donc que le symbole ? Distinguons-le de la comparaison et de l’allégorie. Tandis que la comparaison considère deux termes en les maintenant éloignés l’un de l’autre, le symbole associe ces deux termes intimement, ou, pour mieux dire, les confond. Quant à l’allégorie, elle se rapproche beaucoup moins du symbole que de la comparaison même. A une idée déjà conçue par l’esprit en
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dehors de toute forme sensible, elle superpose une image tirée du monde extérieur ; elle n’est guère qu’une comparaison qui se prolonge. Le symbole est tout autre chose. Le symbole a pour caractère essentiel d’éclore spontanément, sans réflexion, sans analyse, dans une âme simple qui ne distingue même pas entre les apparences matérielles et leur signification idéale. A vrai dire, les poètes n’ont guère plus, de nos jours, cette simplicité d’âme. Mais ils s’efforcent de revenir à la candeur primitive. Ils réagissent par là contre la poésie critique et analytique des Parnassiens, contre leur philosophie, plus ou moins consciente, qui est le positivisme. Enfin le symbole, beaucoup moins précis que l’allégorie, est aussi beaucoup plus complexe ; les similitudes qu’il exprime, étant peu rigoureuses, peuvent s’étendre à plus d’objets unis ensemble et fondre plus de significations diverses. (VEvolution de la poésie dans ce dernier quart de siècle. — Revue des Revues, 15 mars 1901).
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4° Le symbolisme et l’impressionnisme semblent, d’abord, être des
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doctrines contraires : le premier visant l’objectivité, le second s’avouant subjectif. Mais cette contrariété n’est qu’apparente, l’impression la plus aiguë, la plus sincère étant la plus générale et la plus vraie, (La Fronde, 26 mai 1901).
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Certes qu’on aurait le droit de s’en lasser ! Outre nos défenses au jourlejouren d’incessantes revues de batailles, il n’a pas paru moins de dix ouvrages de critique générale qui offraient toutes les réponses possibles. Après La Littérature de tout à l’heure de Charles Morice parue en 1889, l’année 1891 nous donne le Traité du Narcisse (Théorie du Symbole) d’André Gide ; 1893, L’Idéalisme de Remy de Gourmont ; 1894, les excellents Propos de littérature d’Albert Mockel ; 1895, La Poésie populaire et le lyrisme sentimental (dans la revue La Société nouvelle, paru en librairie en 1899) ; 1896, Le /" Livre des Masques de Remy de Gourmont ; 1897, La Poésie contemporaine, de Vigié-Lecocq ; 1898, Le IIe Livre des Masques ; 1901, Le Tourment de tunité, d’Adrien Mithouard ; 1902, La Poésie nouvelle, d’André Beaunier. Puis, seuls entre tous dans les revues de poids, sans les acidités de MM. Anatole France et Jules Lemaître, M. Brunetière, par ses études
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loyales à la Revue des Deux-Monde et M. Georges Pellissier, en divers recueils avaient éclairci le nécessaire.. Mais M. Brunetière, le 31 mai 1893, dans une leçon spéciale à la Sorbonne, sur le symbolisme, avait eu beau dire :
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Réponse. — Le début d’une invention est presque toujours une réinveniion. Nous ne demandons pas mieux que de nous rattacher au passé avec lequel on a voulu, d’autre part, que nous rompions non sans brusquerie... (Ne faudrait-il choisir ?) Eh oui ! le symbolisme a des racines profondes dans tout ce que la poésie de tous les siècles a conçu de poésie vraie. Il se
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rattache très bien, par exemple, à cette strophe de Tristan l’Hermite dans Le Promenoir des deux amants :
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Réponse, — On sait de reste que cet en deçà des choses est
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l’opposé du par delà symboliste, et que pour éterniser la vie, ils l’arrêtent là où nous la prolongeons. Le document, fût-il métaphorique, n’est pas plus de la poésie que le discours. La question est, si en effet toutes les formes mêlent sur quelques points l’ « éloquence », la « philosophie » et l’ « anecdote », qu’aucune de ces expressions, chacune ou tour à tour, ne les régisse en mode dominateur. Il faut en somme que le poème soit construit autrement qu’une harangue, une dissertation ou un récit. Or, jusqu’aux symbolistes, Il Ne L’avait Jamais été. Quelques vers, quelques strophes échappaient seuls au prosaïsme de la composition sous le poétique de la conception ; — des détails, pas un ensemble. Les poètes n’avaient jamais obéi que momentanément et inconsciemment à leur mode : l’idée lyrique, c’est-à-dire à cette fusion parfaite de l’idée et de l’image, qui sans dissociation possible, sans développement extérieur à la synthèse de l’unité première, devrait être le seul élément générateur du poème, et qui commande un ordre spontané dont le caractère suffit pour que l’éloquence et autres expressions restent sous-jacentes. Les poètes entendaient peu cet ordre, parce que leur pensée même, absente ou trop nue, était insuffisamment lyrique de ce qu’elle n’avait pas été pénétrée de l’idéalisme symbolique, qui en donnant le « par delà » ne l’abstrait point des choses comme il ne restreint pas les choses de leur pouvoir spirituel.
 
Cliché III. — Vous ne vous êtes pas contentés de dégager le mode poétique, vous l’avez épuré par une idéalisation excessive ; les choses dont vous prétendez ne pas vous abstraire se sont évanouies par l’abus de signification que le symbolisme en tire. M. Maurice Barrés qui est, avec M. Paul Adam à l’autre bout du symbolisme, votre romancier, vous
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en avertit récemment dans son Voyage de Sparte. Il dit au « cheval ailé » sur l’Acro-Corinthe : « ... Où veux-tu courir ? Hors de toutes limites ? C’est courir au délire. Tu cherches ton propre songe. Tu veux, dis-tu, toujours plus d’azur. Il n’y a pas d’azur, il n’y a que notre amitié. » Entendez bien : « Il n’y a que notre amitié... » Cependant vous la dédaignez, puisque votre art est un art de volonté mentale qui volatilise la vie qu’elle domine, la vie dont le sens quotidien nous tient le plus au cœur, source de la plus haute poésie et des plus prenantes émotions.
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La volupté des soirs et les biens du mystère. Puis admettons vos négations ;— le symbolisme est formé
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de deux affluents : cet « idéalisme constructif » qui lui vient de Stéphane Mallarmé et la source instinctive de Paul Verlaine qui lui donna le réalisme sentimental. Ces eaux de nature adverse sont mêlées dans le même fleuve, elles ne peuvent se désunir, pas plus que les poètes ne les distinguaient jadis dans leurs bons jours. La même pièce de Tristan l’Hermite dont plus haut nous tirions une strophe, nous offre cette autre :
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Les songes de Veau qui sommeille
 
disent bien commeon peut remonter notre courant double presque dès l’origine uni. — Ensuite par le réalisme sentimental, « l’expression directe » ne s’oppose pas au symbole ainsi que l’avance justement à un point de vue d’ensemble M. André Beaunier. Rien n’est plus « direct » que l’expression du détail chez les symbolistes ; ils ont toujours eu des sens précis pour soutenir leur imaginative, comme de purs poètes populaires qu’ils sont dans une autre sphère que la paysanne. Les vrais symbolistes, et là est leur originalité grande, ne se filient uniquement ni à Mallarmé ni à Verlaine ; ils les confondent en eux, à la fois ou tour à tour, avec les atavismes de Vigny et de Musset. Verlaine est de la lignée de Musset. Et l’un des premiers
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symbolistes qui sema beaucoup d’idées esthétiques fécondes, M. Edouard Dujardin, se réclamait de Musset en tête de ses poésies. On peut juger du dernier aboutissement de cette union dans un poème admirable de Jehan Rictus, en langue populaire parisienne, Le Revenant, qui est célèbre et que sans pudeur, sous le titre de Le roi sans couronne, un « naturiste »vientde délayer etde fausser en quelques actes forcenés. —Le caractère d’universalité de la poésie symboliste rend plus intense sa force d’action personnelle et directe.
 
Cliché V. — Tout cela fait du réalisme bien compliqué. Ce réalisme-là a encore quelque chose d’artificiel pour les vrais sentimentaux, ceux qui composent la grande phalange poétique et qui ne veulent point que des imaginations traversent leurs souffrances ou leurs joies. Le « par delà » dépasse moins les choses qu’il ne les dépasse eux-mêmes. Ils n’en ont aucun besoin. Ils sentent simplement dans leur cœur et dans leur chair. Personnelle, mais subordonnée, tandis que la muse verlainienne ramène toujours à elle seule les éléments de son décor, leur action est avant tout soumise ; il n’ya point de sincérité pour eux sans soumission ; il s’agit de s’abandonner à la nature comme dans un pré qu’on fane, de se rouler dans les herbes chaudes. Une poésie qui ne les satisfait point se prive de la moitié de ses forces.
 
Réponse. — Vous voulez dire que l’accent personnel doit se soumettre à la vérité, que les poètes ne se conçoivent plus que sincères, et que pour la profondeur même de leur émotion leur exaltation vers la beauté ne doit point déformer la nature, sentie, embrassée pour elle-même. Or un jeune écrivain vient de prouver dans un remarquable Essai sur le symbolisme que les symbolistes étaient les seuls poètes vrais, parce
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qu’ils savaient non seulement se soumettre aux choses, mais s y « incorporer ». S’appuyant sur une théorie de M.Bergson, M. Tancrède de Visan constate que des deux manières de connaître l’obj.et : l’une qui consiste « à tourner autour », l’autre « à entrer en lui », la première « analytique » n’atteint que le relatif, la seconde « intuitive » touche à t’absolu, parce que en effet « le monde, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence ». — Ainsi, dirons-nous, en traduisant esthétiquement, de même que notre idéalisme symbolique est vivifié par notre sensibilisme mystique, notre réalisme sentimental est enrichi par un sensibilisme naturien qui ne laisse perdre aucune des soumissions les plus abandonnées, mais avec cet immense progrès sur celles du passé et du présent négatif que « l’idéalisme symbolique » initial les situe — identifiant notre moi aux choses — dans la vraie vérité.
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Il ne faut pas oublier que Lamartine, qui se connaissait mal, écrivait : « La poésie est de la raison chantée » ; et hier encore M. Faguet n’attendait de nous qu’un grand poème platonicien, — à la fois trop et trop peu. Que voilà un rêve d’abstracteur ! Nous retrouvons cette marotte de la connaissance chez tous ceux en qui l’art n’a jamais réellement habité, qui ne veulent pas que le poète, comme tout artiste, soit celui qui pense par les sens. Rien ne peut être étranger au poète, si toutefois le magasin de sa raison reste, dans l’instant qui le
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soulève, attaché comme un banc de coquilles obscures au fond des eaux ingénues de son âme.
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Non seulement cette influence « fut heureuse », mais, nous l’avons indiqué dans la première partie de cette étude, elle fut, elle reste considérable. Il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir n’importe quel livre de vers paru depuis quinze ans et de feuilleter non moins au hasard un volume
 
de la période précédente ;
de la période précédente ; chez le poète le plus vieillottement classique, romantique ou parnassien, on aperçoit vite que l’air a été renouvelé par quelques « pages » de Mallarmé, quelques plaintes de Verlaine, quelques « lignes inégales », de Laforgue, par la sensibilité pittoresque ou pénétrante de Gustave Kahn, de Verhaeren, de Maeterlinck, de Henri de Régnier et de Vielé-Griffin, — pour nommer les plus évidents.
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chez le poète le plus vieillottement classique, romantique ou parnassien, on aperçoit vite que l’air a été renouvelé par quelques « pages » de Mallarmé, quelques plaintes de Verlaine, quelques « lignes inégales », de Laforgue, par la sensibilité pittoresque ou pénétrante de Gustave Kahn, de Verhaeren, de Maeterlinck, de Henri de Régnier et de Vielé-Griffin, — pour nommer les plus évidents.
 
Cette influence ne fut pas restreinte à l’art particulier de la poésie. Si elle imprégna profondément les autres arts, le théâtre et toute la littérature, c’est que les poètes, à coups de petites revues craintes et bafouées, opposèrent peu à peu victorieusement à la doctrine courte du naturalisme la doctrine autrement forte et autrement vaste de leur « idéoréalisme ». La lutte fut prodigieuse entre ces deux pôles : l’Académie française, patronne alors des résultats périmés, et la future Académie des Goncourt, par son fondateur (ne l’oublions pas) proscrite d’avance aux poètes.
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Son expansion hors des frontières témoigne de toute l’étendue de son influence. Elle est si indéniable que nos critiques trouvèrent le moyen de découvrir et d’admirer chez des étrangers ce qu’ils se refusaient à voir ou dénigraient systématiquement chez nous, les inspirateurs, en même temps qu’au nom des saines traditions, les œuvres inspiratrices étaient condamnées comme antifrançaises !... Si de toute la poésie de ces vingt dernières années, les étrangers, en dépit des Mendès, Deschamps, Dorchain et consorts, retiennent de préférence les œuvres symbolistes, c’est qu’elles sont les plus significatives,
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les plus vivantes, au sens foncier du mot, non par des gestes extérieurs, mais par leur force de vie lyrique indépendante et fraîche.
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Surtout, nous ne pouvions disposer de leurs moyens publics. Le romantisme profita d’abord, sous la Restauration, de ses opinions gouvernementales, puis juste à point, pour la Révolution de 1830, de ses principes de « liberté proclamés à grand fracas, deux ans avant, dans la préface de Cromwell et rapprochés des principes politiques de cette manière : « Après tant de grandes choses que nos pères ont faites et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? A peuple nouveau, art nouveau. » (Préface d’Hernani). Toutes les portes officielles s’ouvrirent, malgré l’Académie et les goûts classiques de la majorité bourgeoise. De là, Hernani à la Comédie-Française ! Voyez-vous aujourd’hui la Comédie-Française risquant pareille bataille ?et maintenant sur la scène une pièce à scandale. Car Hernani, malgré les amputations les plus conciliantes, ne fut pas autre chose : un beau tapage, — transformé, déformé’par les intéressés en une victoire dont la date, illusion de notre recul, se répartit sur les années de trois générations.
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La preuve nous en est donnée par Victor Hugo lui-même dans une note de la nouvelle série des Choses vues :
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« ... Le public des livres est bien différent du public des spectacles, et l’on pouvait craindre de voir le second repousser ce que le premier avait accepté. Il n’en a rien été(IH). Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n’a pas été moins complètement adopté par cette immense foule ( !), avide des pures émotions d’art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. »
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Et en 1831, dans la préface de Marion Delorme, il concluait :
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La courageuse entreprise de l’Œuvre produisit, avec les drames de Maeterlinck, de très belles choses comme l’Image de Maurice Beaubourg et le Roi Candaule d’André Gide, qui en ce moment même est sur le point d’être joué dans toute l’Europe ; et nous devons à M. Lugné Poë la plus grande reconnaissance pour sa vaillance à défendre le drame symboliste.
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Mais ce n’est pas amoindrir notre gratitude que de déplorer la faiblesse de ses moyens d’action et de ne pouvoir comparer les rires de l’Œuvre avec les « rares vacarmes » officiels et répétés qui, à la Comédie-Française, travestirent Hernani en triomphe retentissant.
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De deux choses l’une : ou nos œuvres ne valaient point qu’on s’en occupât, et alors pourquoi les critiquer ? ou elles
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méritaient l’attention, et ces revues ne devaient séparer l’œuvre de sa critique. La Revue des Deux-Mondes elle-même l’avait observé dans la période du romantisme, quand Gustave Planche grillait à petit feu ses écrivains, tous collaborateurs de la revue. Il est vrai lorsqu’une œuvre est connue de tous, qu’il n’est pas nécessaire, pour l’examiner,de la produire ; étaitce le cas des symbolistes ? Les deux études plutôt sympathiques de M. Brunetière concluaient à l’attente des œuvres ; ces dernières parurent nombreuses, la troisième étude ne vint point...
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t nombre d’exemplaires et la seule foi des poètes déterminèrent-elles donc tant d’influence ? L’examen de ce problème fort instructif pour le jeune
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homme pressé déborderait cette simple liquidation. Mais c’est un fait : l’influence du romantisme fut celle d’une source de montagne suisse à grand apparat de cascades et de torrents rocheux ; l’influence du symbolisme est celle d’une source de prairie, qui filtre sous l’herbe, à cet endroit touffue et plus brillante... On la distinguerait mal sans les petits miroirs d’eau que laisse dans le pré chacun de nos pas. Un peu plus de brume, le matin, signale sa nappe souterraine ; mais des fuites invisibles circulent ; plus loin un ruisselet sort on ne sait d’où, le fleuve qui enfle et gagne le monde...
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Ce détestable esprit, que notre génération n’a pas encore bien filtré, empoisonne parfois l’intelligence, alors que le tempérament même lui est hostile. On sait qu’il a comme principe exclusif la liberté, non pas la liberté d’approfondir nos moyens d’art et par conséquent de nous recréer une œuvre organique, mais la liberté de l’empirisme par où il fausse l’inspiration. Les résultats sont connus : cassures artificielles prises pour des nouveautés, petits désordres à travers les mêmes entraînements inconscients, dans ce qu’elle a de plus mécanique, d’une tradition tout extérieure.
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Et puis l’on ne se méfie pas assez que le public condamne le poète aux aveux de l’artisan, que la poésie s’éclaire d’une publicité technique impuissante à servir les autres arts. Musique, peinture, sculpture, architecture doivent se passer de tout étalage professionnel, parce que chacun de ces arts emploie une langue dont le public ignore les éléments. Dans la poésie, il s’imagine au contraire les avoir appris, dès l’école communale, avec l’orthographe ; il se fait juge peut-être moins de nos œuvres que de nos moyens. Son illusion est légitime : la poésie rentre dans ses premiers exercices de lecture et de mémoire. Sa juridiction appelle donc notre défense contre un enseignement de l’école qui n’a pu rien lui apprendre, et duquel cependant il croit tenir tous nos droits avec sa langue qui est celle de tous.
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Aucuns de nos petits sauvages, comme on l’a vu, ne s’accordent sur le fameux vers libre. Pour les uns, il reste la seule trouvaille du symbolisme ; pour les autres, il en accentue l’abomination. Avec M. Mauclair, les nouveaux venus en assureront le triomphe ; avec M. Ernest-Charles, les symbolistes mêmes y ont renoncé. A la vérité, les uns et les autres parlent du « vers libre » comme des sourds.
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Il serait bon de nous étendre sur certains points et de les fixer, sans entrer dans les détails, sans chercher dans cette revue d’ensemble à préciser ainsi ces graves et primordiales questions de Yunité Du temps rythmique et de Y unitéDe temps métrique, trop imparfaitement résolues encore. Et nous craindrons d’autant moins l’éternel reproche de nous arrêter avec plus de complaisance sur ces points que sur le reste, que ce sont ces points mêmes qui retiennent davantage l’attention injurieuse de nos critiques.
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Cette appellation n’est donc qu’une étiquette qui ne définit rien, même si l’on a soin d’employer le pluriel pour les vers de La Fontaine et le singulier pour les modernes. On est obligé de s’en servir puisqu’elle a passé dans l’usage, mais en sachant bien qu’elle est absurde, et d’autant plus qu’elle semble donner le droit d’être libre au hasard.
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Or, il n’y a pas plus de hasard dans levers libre que dans le plus rigide alexandrin : il ne tend qu’à substituer une loi organique interne à une loi extérieure mécanique.
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Cliché I. — Le vers libre, quoi qu’il fasse, quelque perfection qu’il atteigne, est condamné à l’avortement, parce qu’il se manifeste en dehors de toutes les conditions historiques où se soient jamais produites des modifications dans l’art des vers. Il ne tient aucun compte de la physionomie originelle et indépendante du vers qui, en admettant qu’il évolue, a, dans toutes les littératures, toujours évolué sur lui-même, sans perdre les deux ou trois caractères essentiels de sa structure. La condition première d’une forme d’art, surtout lorsqu’elle est attachée comme notre poétique à la naissance d’une langue, a des racines qu’il n’est au pouvoir d’aucun génie de brutalement couper. Ces racines sont d’autant plus fortes, longues et profondes que l’arbre a grandi et qu’il épanouit un plus vaste feuillage.
 
Réponse. — Nous pourrions aisément répondre qu’il n’est pas de conditions historiques qui ne doivent céder à la nécessité vitale de conditions physiologiques et scientifiques nouvelles, que l’œuvre
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du xrxe siècle a été dans tous les ordres de l’esprit, dans les arts comme dans les sciences, de les substituer à des bases historiques trompeuses, et que justement la prétention du vers libre est de redonner à notre expression rythmique toute la force physiologique qu’une routine mauvaise lui a fait perdre. Mais nous n’avons pas besoin de cet argument péremptoire ; nous acceptons le terrain historique le plus limité.
 
i° Le vers libre dans ses rapports avec l’élément premier, la langue, en utilise vraiment la matière vivante, dans toute sa valeur de parole, conformément aux origines populaires de notre métrique, valeur qu’une syllabation graphique, depuis le XVIIe siècle, outrancière, dénaturait chaque jour davantage.
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4° Le droit pour le vers libre de dépasser la mesure de l’alexandrin est rigoureusemnt traditionnel comme celui de ne pas s’inquiéter si l’accent détermine des mesures impaires. Les vers les plus anciens de la poésie lyrique sont des vers de 15 et de 11 syllabes ; il y en a fréquemment de 13 ; l’on en
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trouve de 17. Et ils existent bien dans leur longueur sans qu’on puisse les croire une réunion de deux petits vers.
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Cliché II. — Si l’alexandrin, même sous sa seule forme
 
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épique, a pris une place prépondérante, c’est que l’on a reconnu combien sa souplesse rendait inutile une variété de vers ou de combinaisons moins heureuses ; or, vous ne tendez qu’à le déformer qtiand vous ne le détruisez pas. Et vous, vous ne pouvez détruire l’alexandrin, fruit de l’expérience séculaire, instrument admirable parce que la science se trouve d’accord avec la tradition (12 : le plus grand commun diviseur ; 12 : limite du temps respiratoire ; 12 : dernière unité perceptible à la série ; etc..) pour qu’il constitue notre mètre par excellence ; des chefs-d’œuvre l’ont consacré.
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pique, a pris une place prépondérante, c’est que l’on a reconnu combien sa souplesse rendait inutile une variété de vers ou de combinaisons moins heureuses ; or, vous ne tendez qu’à le déformer qtiand vous ne le détruisez pas. Et vous, vous ne pouvez détruire l’alexandrin, fruit de l’expérience séculaire, instrument admirable parce que la science se trouve d’accord avec la tradition (12 : le plus grand commun diviseur ; 12 : limite du temps respiratoire ; 12 : dernière unité perceptible à la série ; etc..) pour qu’il constitue notre mètre par excellence ; des chefs-d’œuvre l’ont consacré.
 
Réponse. — Le vers libre n’a jamais voulu détruire et ne détruit pas l’alexandrin. Dès l’origine symboliste, aux temps confus où l’on ne parlait que de liberté, on soutenait l’usage de cette complète résolution rythmique. Le vers libre lui permet seulement de profiter de toutes ses ressources et de prendre toute sa force à une place choisie. —L’alexandrin classique est un « accord parfait », on ne compose pas des suites harmoniques avec des successions ininterrompues d’accords parfaits. Trop de plénitude arrête l’action ; loin de renforcer l’expression, elle l’appauvrit. De là, l’hostilité sans cesse renouvelée contre le vers de grands ou notables prosateurs, et non pas seulement des écrivains analystes fermés à la beauté verbale, mais des plus expressifs. La perfection racinienne ne seraitelle pas une faiblesse devant les centuples trésors d’un Pascal ou d’un Bossuet ? •
 
Cliché III. — Que le vers libre garde par places l’alexandrin et n’en rejette que des suites trop uniformes, on ne doit pas en effet le contester, car il semble à beaucoup que le meilleur des vers libres est dans les alexandrins qui s’y emmêlent,
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Cela prouve sans doute que la cadence de ces derniers reste la seule bonne.
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Autrement dit : Le vers libre brise sans utilité une tradition remplie jusqu’aux bords par le génie du grand poète ; on n’a plus qu’à boire après lui. Il suffit que de boire on ait des manières diverses, et chacun son cru.
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Réponse. — Le vers libre ne brise rien. Hugo se contente encore le plus souvent des apparences graphiques et syllabiques. Le vers libre n’entend user que d’éléments vrais. Il est plus traditionnel que le vers de Hugo pris sous certains aspects rompus ; notamment, il met d’accord la phrase et le rythme (sauf toujours les exceptions légitimes) et, d’autre part, il développe seul les conséquences logiques des rénovations du poète lorsqu’elles existent réellement. Car Hugo ne prétendait pas à autre chose qu’au vers brisé, comme il l’écrivait à Wilhem Tennint (1843) > ses nouveautés sont presque toujours moins d’homogènes figures nouvelles que des rejets sur l’hémistiche ; surtout, surtout les concordances sont rares ou fortuites entre les coupes d’un vers et les suivantes : la symétrie machinale extérieure reste maîtresse. Au contraire, le vers libre tient liée chaque onde du mouvement. Les vers-libristes fécondent la tradition ; M. Sully-Pru
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Cliché y.—Le vers-libriste ne peut être différent des autres artistes qui doivent plier leur volonté particulière à des règles impersonnelles que dictent les conditions physiques de nos sens et l’expérience générale. Cependant chaque vers-libriste a sa règle propre qui, faute d’un guide impersonnel, n’a point de direction évidente pour tous. Il s’ensuit qu’il retombe dans les virtualités de la prose.
 
Réponse. — Quelle est « la direction évidente pour tous » dans les moyens employés par la musique, la peinture, la sculpture ? pourquoi la poésie, seule de tous les arts et contrairement à sa liberté originelle, souffrirait-elle la pauvreté de moyens qui, comme la versification, imposent* iavance des rapports égaux et constants ? et les « règles impersonnelles
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picturales ou musicales en quoi sont-elles autre chose que des « principes généraux » sans cesse transformés par la mise en œuvre personnelle ?Le vers libre à son tour obéit à de véritables lois analogues, phoniques et rythmiques, indépendantes des recherches propres à chaque poète, tandis que l’impersonnalité de l’ancien vers ne tient qu’à des procédés. Les académiques ne le voient point, parce qu’ils ont toujours pris de simples recettes historiques pour des lois physiologiques. Ces formules ne furent jamais que subies des bons poètes. Ils en tiraient des beautés, mais par l’application de lois d’équilibre et de correspondances, soit d’harmonie, soit de rythme, toutes différentes des symétries arbitraires, lois véritables celles-là, et générales, suivant les phénomènes naturels de la parole rythmée, jeux d’accents, d’agglutinations et de timbres, sans lesquels n’eussent jamais pu naître à la poésie, comme disait André Chénier en un vers qui est un exemple,
 
Les nombres tour à tour turbulents et faciles.
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Cliché VI. — Cette période, il nous semble, se prolonge beaucoup... Ne demandez-vous pas à notre ouïe plus qu’elle ne peut supporter à la fois ? L’oreille comme tous les organes de l’homme prend des habitudes dont elle ne triomphe que lentement. Vous avez sans doute cent fois raison, mais c’est trop
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de quatre-vingt-dix-neuf ; il ne faut avoir raison qu’une fois, c’est la bonne. Voilà pourquoi les anciens poètes en sachant subir des lois mauvaises triomphaient tout de même : ils n’avaient raison que de loin en loin... Au surplus, la beauté poétique comme les autres est moins faite d’invention qui surprend notre goût que d’imitation qui le flatte.
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Cliché VIL—Il ne suffit pas d’indiquer des « jeux d’accents, d’agglutinations et de timbres » pour parler de lois analogues à celles de la perspective, par exemple, dans la représentation picturale, ou de la proportion dans la sculpture, lois qui ont une force de « généralisation » et de « direction évidente » auxquelles vos « jeux » n’atteignent guère. — En réalité, de tout ce que les poètes symbolistes ont écrit sur le vers libre,
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il n’a jamais pu être extrait deux ou trois « principes généraux » sur lesquels vous vous accordiez tous. Dès lors, nous revenons au même point, nous retombons dans la virtualité ; et si les bons poètes sont parvenus à développer les « lois intérieures traditionnelles » dans le moule ancien même, à quoi bon le vers libre ?
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3° Un vers ou mètre n’a plus que fortuitement d’existence isolée ; il existe dans ses rapports avec ce qui le précède et le
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suit. Composé lui-même de groupes rythmiques, il n’est qu’unemaille d’une chaîne où tout se tient.
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4° Ni par leur nature, ni par leur ordre, les rimes n’exigent dans leur succession une disposition préétablie.
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5° L’assonance ni la rime ne sont continuement nécessaires à la détermination des rythmes.
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Réponse. — M. Remy de Gourmont a été certainement distrait le jour où il a établi cette distinction avec tant de rigoureuse symétrie. Elle pourrait convenir — et encore ! — aux
 
langues
langues qui supportent des vers mesurés, dont les mots ont des syllabes de quantité qui leur restent propres en se combinant avec d’autres, quelle que soit leur position dans le groupement grammatical. Mais dans ces langues mêmes, ce n’est le cas que des versifications d’origine savante ; toute versification d’origine populaire n’est pas mesurée, elle est accentuée, la française plus que toute autre. Or, l’accent rythmique populaire a toujours été déterminé, en vers comme en prose, par le « sens »,puis par des accords du « son » et du « sens », et par un choix instinctif entre ces accords ; il n’y a pas plus d’« indépendance » pour l’un que pour l’autre. Le sens n’a cessé de gouverner les vers français non seulement selon les préceptes de Boileau (car l’on pourrait prétendre, d’après eux, que si le sens doit s’accorder avec le rythme, il en dépend, qu’en réalité le rythme gouverne au contraire, si l’on peut dire que le sens règne), mais selon l’affranchissement même de Victor Hugo. Cet affranchissement est le triomphe définitif de la « phrase grammaticale ». « Nous voudrions un vers, dit le poète dans la préface de Cromwell, plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille. » C’était donc remplacer un compromis syntaxique qui gardait intacte la figure du vers par une liberté qui la défait.
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qui supportent des vers mesurés, dont les mots ont des syllabes de quantité qui leur restent propres en se combinant avec d’autres, quelle que soit leur position dans le groupement grammatical. Mais dans ces langues mêmes, ce n’est le cas que des versifications d’origine savante ; toute versification d’origine populaire n’est pas mesurée, elle est accentuée, la française plus que toute autre. Or, l’accent rythmique populaire a toujours été déterminé, en vers comme en prose, par le « sens »,puis par des accords du « son » et du « sens », et par un choix instinctif entre ces accords ; il n’y a pas plus d’« indépendance » pour l’un que pour l’autre. Le sens n’a cessé de gouverner les vers français non seulement selon les préceptes de Boileau (car l’on pourrait prétendre, d’après eux, que si le sens doit s’accorder avec le rythme, il en dépend, qu’en réalité le rythme gouverne au contraire, si l’on peut dire que le sens règne), mais selon l’affranchissement même de Victor Hugo. Cet affranchissement est le triomphe définitif de la « phrase grammaticale ». « Nous voudrions un vers, dit le poète dans la préface de Cromwell, plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille. » C’était donc remplacer un compromis syntaxique qui gardait intacte la figure du vers par une liberté qui la défait.
 
L’on va nous avancer tout de suite que cette conquête de la phrase grammaticale en allongeant le vers ne le défait pas, qu’elle nous donne justement une de « ces beautés particulières » qui résultent de ses conflits avec le rythme, — et c’est ce que cette même phrase grammaticale en prose ne pourrait nous offrir. Eh bien, l’on se tromperait aussi fortement sur ce point que sur le reste.
 
Nous étonnerons sans doute, car les phénomènes rythmiques de ce
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qu’on appelle la prose n’ont presque pas été étudiés, mais le « rejet » existe en prose comme en vers. Ce qui détermine le rejet est en effet, — outre V « enjambement » d’un mot sur la césure, d’un vers sur l’autre, ou la chute du sens après le sursaut de la rime, le brusque arrêt d’un rythme très court d’accents forts fermant un membre de phrase à rythme discontinu, comme dans cet exemple admirable de Pascal : « Le silence de ces espaces infinis m’effraie. »
 
Il n’y a pas dans tout Hugo d’ « enjambement » plus beau que celui-là. — Cependant le vers libre ne se contente pas d’utiliser ainsi plus rationnellement tels genresde « beautés », il ne se prive pas des manières anciennes, parce qu’il ne faut pas cesser de le redire : il ne supprime rien, absolument rien. Il ajoute, il ajuste, il affine. Il se contente de ne pas faire d’un accident, comme du rejet par exemple, une base prosodique indéfendable, contraire à la nature de notre versification comme de toute versification librement accentuée.
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Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que là où la prose est impuissante d’y parvenir à cause de sa virtualité, et les vers par l’abstraction et l’illogisme de leur cadre, le vers libre réussit souvent à soutenir une phrase musicale au-dessus de l’ordre syntaxique, parce que « les coupes logiques du sens » ne sont ses « génératrices » que suivant « les accents passionnels ». Toute la portée de notre loi du mouvement est dans ces mots.
 
Cliché IX. — Soit ! admettons votre principe ; il reste une objection de fait : vous avez soutenu tout à l’heure que notre préférence pour les alexandrins purs mêlés aux vers libres provenait de notre impuissance à sentir rythmiquement ; comment est-il donc possible, suivant les remarques de plusieurs
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critiques, qu’on reconstruise métriquement avec le vers libre le plus dégagé de simples suites d’alexandrins ?M. Remy de Gourmont à réussi cette opération avec des vers de La Clarté de Vie de cette manière :
 
Car vois, / les marbres d’or aux cannelures fines /
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Réponse. — Rien ne peut être objecté de moins sérieux. On peut toujours faire ce qu’on veut avec n’importe quoi et, en particulier, de deux petits nombres un plus grand. Dans tous les arts du mouvement, danse, musique, poésie, il est facile de constituer une grande figure de plusieurs petites détachées, et vice versa : il suffit de changer la direction initiale. Tout ce qui agit dans le temps est susceptible d’être à volonté unifié ou redoublé, ramassé ou distendu sans modification dans les éléments mêmes, si l’on substitue une direction à une autre. L’on sait qu’avec peu d’efforts un adagio devient une polka. La fortune du nombre douze, comme après lui du nombre huit, a grandi justement de sa faculté prédominante sur celle des autres nombres d’agglomérer, d’attirer inconsciemment pour sa formation les groupes inférieurs les plus divers. Aussi, par un retour naturel pour les besoins de l’expression fraîche, les progrès des arts du mouvement
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témoignent-ils aujourd’hui d’une lutte constante contre leur dangereuse facilité.
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Réponse. — Il faudrait d’abord prouver, dans le cas d’indépendance, que le vers libre ne se sert des éléments ni de l’un ni de l’autre ; ou que les éléments métriques et rythmiques du langage peuvent être d’une nature en prose et d’une autre
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en vers, ce qui n’est point, puisque vous prenez au hasard dans une page de prose des éléments versifiés et dans une page de vers des éléments prosés.
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Tels sont les principaux clichés qu’il importait, sans entrer dans les développements, de réduire comme il convenait. M. Sully-Prudhomme s’est plaint que, si l’on n’acceptait pas son Testament poétique, on n’ait pas pris la peine de lui répondre avec précision. On ne le fit point uniquement par déférence. CarM. Sully-Prudhomme ne cesse de prendre pour des lois absolues, en dehors de généralités acceptées de
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tous, des habitudes livresques, ou des routines de métier. M. Sully-Prudhomme est notre Saint-Saëns.
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Voilà qui est parfait. Eh bien, cela n’est rien du tout, — en étant excellent... (Je ne discute pas les timidités irraisonnées de plusieurs paragraphes). C’est excellent, parce que maintenant la route est grande ouverte à la véritable composition du vers libre que certains vers libérés feront d’ici peu mieux comprendre ; cela n’est rien, parce que cela ne présente que tes facilités, et que nos libéristes les pratiquent bien comme telles. Lorsque Gœthe disait à Eckermann en 1831 : « Si j’étais assez jeune et assez osé, je violerais à dessein toutes les lois de fantaisie ;
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j’userais des allitérations, des assonances, des fausses rimes et de tout ce qui me semblerait commode... » ; il ne veut pas dire plus « facile », mais « commode » pour une plus large étendue d’expression.
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On s’apercevra qu’avec le « libéré » on obéit toujours à une syllabation mécanique et aux artifices pédants, aux « lois de fantaisie », de ces abominables « rhétoriqueurs » du xv° siècle, reprises dans un autre sens par les poétiqueurs du xvi« , qui sont les vrais patrons de la versification française. Ces rhétoriqueurs démarquèrent simplement les traités languedociens du xive siècle. Les pauvres poètes français n’y furent pour rien et se sont laissé faire, parce qu’il faut des circonstances bien spéciales pour que les poètes ne se contentent pas de l’ins
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trument qu’on leur impose. La poésie lyrique francaise ne suivit donc pas le développement naturel de ses origines, tel que l’alliance du vers rythmique latin et des rythmes de nos danses populaires l’avait préparé. En réalité, elle subit les martellements et les rivets métriques de la langue d’oc. Nos défenseurs de la vieille prosodie soutiennent avec de simples pédantismes de grammairiens les empiétements d’une versification étrangère !...
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Quoi qu’il en soit, un des grands honneurs des symbolis
 
tes
tes fut le scrupule technique de leur art, ce qui est pour les artisans probes le souci de la matière, non dans la voie superficielle d’une tradition académique, mais dans le sens profond d’une tradition organique.
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fut le scrupule technique de leur art, ce qui est pour les artisans probes le souci de la matière, non dans la voie superficielle d’une tradition académique, mais dans le sens profond d’une tradition organique.
 
Le Décadentisme, Le Byzantinisme, L’obscurité, Etc. — Il n’en fallait pas davantage pour être traités de décadents, terme dont on a le plus étrangement abusé.
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Le langage des fleurs et des choses muettes,
 
et des Correspondances avec les deux strophes célèbres :
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avec les deux strophes célèbres :
 
La Nature est un temple où de vivants piliers
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Ce drapeau de Gribouille ne fut guère suivi que de l’éditeur Vanier qui cherchait moins des œuvres que des curiosités de « bibliopole », bien que sans s’inquiéter du titre certains collaborèrent à la revue.
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A la vérité, les décadents de cette époque s’appelaient Huysmans ou Rollinat.
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Si de fâcheux accès de personnalisme morbide ont pu induire nos jeunes agités à se servir contre nous, en dépit de toute vérité, du terme « décadents », cela présente un certain intérêt psychologique. Que M. Gaston Deschamps continue à user de ce terme péjoratif, qu’il le porte même à l’étranger pour déprécier des œuvres françaises, cela n’est pas d’une importance extrême. Mais ce qui est déplorable, c’est que des romanistes, des linguistes et des philologues du plus haut mérite comme M. Alf. Jeanroy dans ses Origines de la Poésie lyrique en France au Moyen Age ou M. Brunot, dans son Histoire de la Langue française ou tout récemment M. Maurice Grammont, dans son étude Le Vers français, etc., amenés par leur habitude des textes et leur connaissance des évolutions organiques à reconnaître l’intérêt d’une partie de nos efforts, emploient toujours ce terme de « décadents ». Ce qui est déplorable, c’est que leur investigation si scrupuleuse pour le passé perd
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toute méthode scientifique dès qu’elle atteint nos œuvres et l’histoire de leur formation.
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On doit moins que sur le vers libre s’étendre sur cette question ; elle est presque vierge, et son examen obligerait à entrer
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dans des détails dont les éléments même exigeraient une longue étude. Les simples littéraires n’y comprirent goutte ; certains scientifiques y virent plus clair, linguistes ou autres. Tandis que nos normaliens journalistes s’esclaffaient sur des vers de Jules Laforgue comme ceux-ci :
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Mais notre effort pour que la langue rende à fond, alliée aux véritables rythmes émotionnels, tout le synthétisme physiologique de l’émoi poétique contribua moins que notre préoccupation du mystère à estampiller les symbolistes de l’épithète « décadents ». Et au nom de quoi ?au nom de la science ! alors que les problèmes psychiques sont de ceux que la science
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scrute de nos jours, sans trop de bonheur, avec le plus d’acuité. Qui donc eussent dû être les plus émus du mystère de tant d’incompréhensibles transmissions mentales et de tant de « correspondances » d’âmes, plus subtiles que celles des « parfums, des couleurs et des sons », si ce n’est les poètes ? Qui, sinon les poètes, doivent transposer dans leur art l’immense inconnu qui se mêle à toutes nos communications du sentiment ?Par cette conscience qu’ils prirent de l’indéterminé où se baignent tant de nos actes, il se fait que justement les symbolistes sont les seuls artistes en accord avec la conscience scientifique de notre époque qui ne précise plus ses limites. Loin de trop accorder au mystère, ils ne « plongèrent » pas assez loin.
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Cette conscience féconde du mystère, si elle peut s’accorder à la plus stricte croyance religieuse, ne se lie pas nécessairement au vulgaire mysticisme. Elle n’écarte point la nature,
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puisqu’elle l’agrandit. On n’en fit pas moins des symbolistes de simples religiosâtres, négateurs des beautés et des joies quotidiennes dont toutes leurs œuvres sont débordantes. Au surplus, le symbolisme n’accepta la servitude d’aucune doctrine. Chaque poète choisit l’armature morale ou philosophique qui lui convenait, la poésie, redisons-le toujours, n’étant pas dans cette armature. On ne cessa de l’affirmer : peine perdue ! tout symboliste était un mystique plus ou moins rosecroix, occultiste et déliquescent. M. GustaveKahn raconte à ce sujet dans ses Origines du Symbolisme, trop peu impersonnelles, une anecdote piquante : malgré une épigraphe de La Mettrie, le matérialiste pur, à un de ses livres de poèmes, des interviewers « conclurent que plein de mysticisme religieux, M. Kahn le prouvait en parant sa couverture d’une phrase de La Mettrie, éminemment religieuse et occultiste » l
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La vérité est que, malgré notre haute admiration pour certains, parnassiens et naturalistes nous étouffèrent d’injures dès nos premiers livres, ou se tinrent dans une méconnaissance systématique de nos efforts. Ayant eu à lutter contre les injustices les plus grossières, on fut obligé d’armer de petits
 
brûlots,
brûlots, et il en a cuit à quelques-uns qui n’étaient ni des vrais poètes, ni des artistes. Mais notre pitié pour les maîtres de notre élection n’en fut que plus émue, si notre religion indépendante se gardait de la servilité ostentatoire où se complaît envers Hugo le culte mortuaire de M. Catulle Mendès.
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et il en a cuit à quelques-uns qui n’étaient ni des vrais poètes, ni des artistes. Mais notre pitié pour les maîtres de notre élection n’en fut que plus émue, si notre religion indépendante se gardait de la servilité ostentatoire où se complaît envers Hugo le culte mortuaire de M. Catulle Mendès.
 
Cette indépendance, cette volonté d’être nous-mêmes n’enlevait rien à notre vénération. « Effacement de rien qui ait été beau dans le passé », recommandait Stéphane Mallarmé. Et non seulement nous n’avons rien effacé, mais nous avons ressuscité les victimes des romantiques. C’est autant aux symbolistes qu’à M.Jules Lemaître que le culte de Racine doit d’avoir revécu. Nous pouvions dire comme André Chénier :
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Et nous inscrivions sur nos livres ces paroles de Victor Hugo : « Admirons les grands maîtres, ne les imitons pas.
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Faisons autrement. Si nous réussissons, tant mieux ; si nous échouons, qu’importe ? », paroles que nous interprétions ainsi : « Tout poète se réclame des morts, sachant toutefois que si, d’abord, il n’est lui-même, il ne sera pas. » (Ancœus.— Francis Vielé-Griffin, janvier 1888).
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« Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rythme (Baudelaire veut dire sans mètre régulier) et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience. » (Ch. Baudelaire, Petits Poèmes en prose, préface).
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Et nous avons vu (note de la page 104) que Théophile Gautier en reproduisant le passage l’accentuait de ses remarques sur la structure « rocailleuse » de notre alexandrin. Enfin, si les conseils précis de Théodore de Banville ne s’accordaient guère avec ses aspirations générales, il est impossible de ne pas reconnaître que les symbolistes obéirent mot pour mot à ses aspirations :
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AinsH’on est obligé de conclure que non seulement notre
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respect des maîtres ne peut être mis en doute, mais qu’on ne vit jamais une génération plus fidèle exécutrice des souhaits de son aînée...
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« Ce salon était-il tendu de rouge, de bleu, de rose ou de vert ? Avait-il deux ou trois fenêtres, une ou deux portes ? Son ameublement était-il Henri IV, Louis XVI ou Empire ?Je l’ignore, n’ayant pu détacher mes regards d’une table ronde où était posé le Tombeau de
 
Théophile
Théophile Gautier. Ni cette table, ni ce volume, ne m’intéressaient particulièrement. Mais à mon esprit chaviré il fallait quelque détail précis où il pût se raccrocher. Ce fut grâce à cette table secourable que je ne tombai pas en syncope. Peu à peu, cependant, je me remis et mon attention fut attirée par un magnifique chat qui rôdait autour de nous. Je le désignai du doigt à Quillard qui paraissait aussi pâle et décomposé que moi. Cependant il eut l’audace inouïe de s’emparer du chat, et d’une voix rauque il me demanda : « Stuart, as-tu sur toi des ciseaux ? » Ne supposant pas qu’il désirât émasculer le noble animal, je lui soufflai :« Non, mais pourquoi veux-tu des ciseaux ? » « Pour couper une touffe de poils au chat de Victor Hugo et la garder en souvenir ! »
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Gautier. Ni cette table, ni ce volume, ne m’intéressaient particulièrement. Mais à mon esprit chaviré il fallait quelque détail précis où il pût se raccrocher. Ce fut grâce à cette table secourable que je ne tombai pas en syncope. Peu à peu, cependant, je me remis et mon attention fut attirée par un magnifique chat qui rôdait autour de nous. Je le désignai du doigt à Quillard qui paraissait aussi pâle et décomposé que moi. Cependant il eut l’audace inouïe de s’emparer du chat, et d’une voix rauque il me demanda : « Stuart, as-tu sur toi des ciseaux ? » Ne supposant pas qu’il désirât émasculer le noble animal, je lui soufflai :« Non, mais pourquoi veux-tu des ciseaux ? » « Pour couper une touffe de poils au chat de Victor Hugo et la garder en souvenir ! »
 
« Je vous assure que je ne songeai pas à rire, d’autant moins que la panique me reprenait. J’entendais dans l’escalier des pas lourds qui descendaient. C’était Victor Hugo, sans aucun doute. Les pas se rapprochaient. Quillard suait d’émotion, mon cœur battait la chamade. Les pieds mystérieux touchaient à la porte, une main en tour nait le bouton. Nous sentions sur nos tempes le souffle de la petite mort. La porte s’ouvrit lentement, très lentement... C’était la servante qui venait nous dire que monsieur Victor Hugo n’était pas chez lui. O mensonge béni I Nous dégringolâmes quatre à quatre l’escalier, sansattendre Guillaumet, et nous courûmes boire un vulnéraire chez le marchand de vin du coin. » (La Plume, 15 déc. 1903).
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« Deux fois nous montâmes l’escalier lentement, lentement, comme si nos bottes eussent eu des semelles de plomb. L’haleine nous manquait ; nous entendions notre cœurbattre dans notre gorge et des moiteurs glacées nous baignaient les tempes. Arrivés devant la porte, au moment de tirer le cordon de la sonnette, pris d’une
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terreur folle, nous tournâmes les talons et nous descendîmes les degrés quatre à quatre, poursuivis par nos acolytes qui riaient aux éclats.
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Mais M. Catulle Mendès existait et à deux reprises les journaux transcrivirent des paroles nobles et dignes dont voici le premier échantillon :
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« Voyez-vous, les jeunes sont trop injustes... Ils éreintent tous ceux qui atteignent à la gloire ( ?), même si le nouveau glorieux est des leurs ; nous n’étions pas ainsi : nous avons mieux aimé Coppée après le Passant qu’avant, et nous nous en faisions honneur. Les jeunes d’aujourd’hui n’exaltent que ceux qu’ils ne peuvent pas craindre... Ils ont exalté Mallarmé, parce qu’ils savaient bien que Mallarmé ne donnerait jamais l’œuvre retentissante... Ils ont surfait Verlaine, qui n’était qu’un bon poète de second ordre, Desbordes-Valmore en pantalon ; et, quand ils ont vu que Verlaine allait devenir célèbre, ils ont commencé à chercher une autre gloire dans la pénombre ( ? ?). Voyez le cas de Maeterlinck, ils l’ont applaudi après Pelléas et Mêlisande ; ils le débinent depuis Monna Vanna »( ! ?) (La Presse, 26 mai 1903).
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Que la honte de ces lignes demeure 1 Elle dévoile que le brillant auteur de Cyrano cul-de-jatte n’a aucune conscience de l’idéal sans lequel il n’est pas aujourd’hui pour nous
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d’art ni d’artistes ; et elle nous affirmera dans le choix de nos maîtres...
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Ce n’est pas que notre génération fut différente des autres. Toutes se ressemblent, toutes renferment le même nombre
 
d’égoïstes
d’égoïstes roublards, d’indécis fuyants, d’ignorants tapageurs, de vaniteux puérils, d’orgueilleux ridicules, de sceptiques calculés, d’indolents vagues, d’envieux sournois, de cervelles creuses, de cœurs lâches, de volontés faibles, de casseurs d’assiettes et de cabotins. Mais suivant l’idéal de telle ou telle génération, idéal qui compose son atmosphère, chacun de ces mauvais éléments reste plus ou moins en devenir ou se manifeste sous une enveloppe plus ou moins laide ou flatteuse.
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roublards, d’indécis fuyants, d’ignorants tapageurs, de vaniteux puérils, d’orgueilleux ridicules, de sceptiques calculés, d’indolents vagues, d’envieux sournois, de cervelles creuses, de cœurs lâches, de volontés faibles, de casseurs d’assiettes et de cabotins. Mais suivant l’idéal de telle ou telle génération, idéal qui compose son atmosphère, chacun de ces mauvais éléments reste plus ou moins en devenir ou se manifeste sous une enveloppe plus ou moins laide ou flatteuse.
 
Cet idéal fut l’entier sacrifice de soi à l’élaboration de l’œuvre. Vingt ans de travaux en fournissent les preuves irrécusables.
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Exceptions rares ! le poète était resté le jongleur des vieux âges. C’était le double d’un acteur et simplement parfois la doublure. Il s’attelait à quelque œuvre non tant pour créer que pour se produire. L’œuvre était moins un but qu’un moyen, et le moyen d’un comédien. Le déploiement de politique de Hugo, de politique littéraire pour se jucher à tout bout de bras, confine aux procédés électoraux les plus honteux. Les lettres de Sainte-Beuve, publiées il y a un an, ont achevé de nous
 
éclairer. L’œuvre
éclairer. L’œuvre d’art se ressent toujours du raccolage et du battage que lui prépare son auteur. Hugo devint le véritable créateur et le grand poète, après que l’orgueilleuse volonté de son exil, le rendant dédaigneux lui-même de sa vanité, il écouta tout son génie.
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d’art se ressent toujours du raccolage et du battage que lui prépare son auteur. Hugo devint le véritable créateur et le grand poète, après que l’orgueilleuse volonté de son exil, le rendant dédaigneux lui-même de sa vanité, il écouta tout son génie.
 
Les symbolistes eurent le sentiment très vif de la déchéance de l’œuvre par la préoccupation du public et du succès personnel.
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Certains en ont convenu, pour assimiler aussitôt cette période à celle des lyriques « grotesques » qui envahirent les cabarets et les ruelles au temps de Louis XIII et dé la Fronde. Tout d’abord, nous savons que parmi ces soi-disant « grotesques » il y eut des tempéraments admirables, des poètes entre les plus exquis de tous les siècles, comme Théophile de Viau et Tristan l’Hermite, même Guillaume Colletet. Mais la portée de leurs œuvres est médiocre comme celle des disciples de Ronsard en exceptant du Bellay ; et l’on doit se demander à quel degré de parti pris ou d’inconscience est descendue la critique pour oser comparer les vers de hasard des Cadet Angoulevent, Lingendes ou Expilly, des Sigognes, Saint-Pavin, Courval-Sonnet ou du sieur Honorât Laugier de Porchères, « intendant des plaisirs nocturnes » de la maison de Condé, des Sarrazin, Gombaud,
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Boisrobert ou Scudéry avec les Maeterlinck, Regnier, Kahn, Verhaeren, Vielé-Griffin, Moréas, Merrill, Fort, Jammes, pour ne citer que les plus féconds ou les plus faits de nos poètes. Comme importance d’oeuvre, comme aspiration, comme invention, comme âme, comme métier, quels rapports possibles avec les plumes frisées ou cassées de ces bretteurs et de ces buveurs ! O beauté des rapprochements universitaires !...
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Cette période de 1885 à 1905 est exactement correspondante à la période romantique de 1820 à 1840. Qu’on daigne donc comparer avec bonne foi l’ensemble — je ne parle point de la valeur particulière à chaque œuvre pour laquelle le temps est intervenu à l’actif comme au passif des romantiques — l’ensemble de la production poétique des deux périodes : on sera tout surpris et frappé que la plus féconde des deux, par la diversité comme par le nombre, est fort loin d’être celle qu’on pense. Il s’agit d’oeuvres poétiques pures, puisque c’est par le gros spectacle enfantin de son théâtre, comme nous l’avons vu, que le romantisme imposa son tapage plus que ses œuvres, et que, renouvelé un peu de comédie italienne à paillettes et grelots, on veut nous imposer encore. Hernani et NotreDame-de-Paris établirent seuls la fortune moins populaire que bruyante du romantisme, et cette fortune ne fut soutenue populairement que par les mélodrames de Frederick Lemaître et les romans de cape et d’épée du vieux Dumas. Cela est si vrai qu’en 1835, quinze ans après son premier vol lyrique (ses plus belles œuvres étaient à peine ou n’étaient pas écrites) on proclamait déjà le romantisme mort. Auguste Vacquerie le racontait en propres termes à M. Jules Huret :
 
« Quand
« Quand je suis arrivé à Paris — c’est déjà loin, ajouta le poète en souriant, je vous parle de 1835 — c’était déjà la même chose I Hugo était passé de mode ! Je venais de Rouen, j’avais le vif désir de finir mes études dans la capitale ; mon père avait bien voulu, et m’avait accompagné pour me faire entrer à l’Institution Favart près Charlemagne, la pension à la mode. Bref, mon père au moment de la présentation dit au directeur :
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je suis arrivé à Paris — c’est déjà loin, ajouta le poète en souriant, je vous parle de 1835 — c’était déjà la même chose I Hugo était passé de mode ! Je venais de Rouen, j’avais le vif désir de finir mes études dans la capitale ; mon père avait bien voulu, et m’avait accompagné pour me faire entrer à l’Institution Favart près Charlemagne, la pension à la mode. Bref, mon père au moment de la présentation dit au directeur :
 
« — Oui I mon fils désirait beaucoup venir à Paris, et il rêve ardemment de faire la connaissance de M. Victor Hugo, dont il est l’admirateur enthousiaste ! (Remarquez que nous sommes en 1835 I).
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Que si l’on tire parti contre ces derniers de leurs manifestes, on oublie qu’ils ne furent jamais, nous l’avons déjà fait remarquer, que des réponses à des provocations, réponses à la fois sincères et ironiques où le désintéressement, l’indépendance et la bonne humeur déroutaient le servilisme crispé de nos béotiens.
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« Une des vertus du symbolisme naissant, dit avec raison Gustave Kahn, fut de ne pas se courber devant la puissance littéraire, devant les titres, les journaux ouverts, les amitiés de bonne marque et de redresser les torts de la précédente génération. » (Symbolistes et décadents).
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Mais ces poètes poussèrent l’originalité un peu loin : ces intimités tragiques ajoutées à l’hostilité savamment entretenue contre eux ne les entraînèrent pas un instant à jouer les Chatterton. Ils eurent l’audace d’être gais ! Gardant pour leurs poèmes leurs douleurs secrètes, ils se défendirent avec des traits aigus et bariolés, joyeusement peints d’inscriptions fantaisistes. On évitait hors des ouvrages sérieux, dans les périodiques, toute allure trop grave ; l’on redressait ainsi par-dessus le lyrisme, contre les lourds pavés du naturalisme et contre les tremolos du romantisme, les meilleures traditions de l’esprit français. On ne maudit paS le bourgeois, on se contenta de lui ménager des traquenards. Les « petites revues » furent ainsi pleines de notes et notules de pince-sans-rire qui, pour n’avoir pas le ton administratif ou universitaire, permirent à M. Gaston Deschamps, — en 1901 ! dix ans après les articles de M. Brunetière — de traiter devant les Américains le symbolisme de « décadentisme » et de « plaisanterie ». Beaucoup, en effet, se firent à notre égard plus bourgeois que nature...
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Cependant notre génération eut un tort sérieux. Sa conscience esthétique fut très haute, sa conscience critique très médiocre. Cette question se lie, il est vrai, à celle des administrateurs auxquels on abandonna trop au hasard la manutention des revues. Toutefois, on eut longtemps le préjugé romantique d’une incompatibilité absolue entre l’esprit créateur et l’esprit critique. En outre, préoccupé noblement de laisser l’œuvre nouvelle, dès sa naissance, marcher d’elle-même, sans songer que c’était le meilleur moyen de la rendre, aux yeux ennemis, cagneuse, on parut confondre la politique littéraire avec la nécessité de la critique positive. C’est pourquoi M. Remy de Gourmont put dire avec vérité :
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— Sois toi, sans fuir ni influences, ni traditions : tes contrôles.
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— Tradition ne dit pas imitation.
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— Reste derrière ton œuvre : tu n’es plus que son ombre.
 
Les Cadets. — Fidèles à
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ces principes moraux et à l’étendue de leurs principes intellectuels, les symbolistes accueillirent généreusement les débuts de leurs insulteurs, les Bôuhélier, Gregh et autres Magre. ,
 
Cependant les cadets ne semblaient avoir rien compris aux richesses esthétiques accumulées par notre génération et qu’il lui sera impossible d’épuiser. Ils ne se trouvaient plus comme nous devant ces deux impasses :le naturalisme et le parnassisme. Le symbolisme, de l’aveu même de ses détracteurs de bonne foi, avait désobstrué l’impasse étroite et le cul-de-sac boueux. De véritables routes s’ouvraient larges et libres, et multiples, vers les domaines infinis si longtemps perdus de la beauté. Chose inouïe ! on avait déterminé dans les lettres une atmosphère d’art. Envers et contre tout et tous, la poésie pure renaissait. Chose unique ! si la nature des domaines était exactement reconnue, l’indépendance restait entière pour chaque nouveau passant de s’y tracer le chemin de ses rêves. Les symbolistes ne demandaient pas, comme les parnassiens, des suiveurs dociles ; ils étendaient simplement, pour tous, les grands horizons.
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■ ... - . -. I i. . . 1 . I ■ M —
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machines-programmes à sonnettes et à trompes qui forçaient à la lecture des noms en grosses lettres sur de simples véhicules-réclames. — Nous avions écrit, un peu trop souvent peutêtre, Beauté avec un grand B ; ils s’empressèrent d’inscrire Vie avec un V gigantesque. —« La majesté (et aussi l’intimité, l’ironie même) des souffrances humaines » nous inspirait, comme les poètes de tous les siècles ; plus de larmes ! cela existe-t-il ? et « dressons à bras tendus lajoiE », suivant l’image de Verhaeren sur nos bateleurs. — Vous souffrez ? c’est que vous êtes des malades, seule la « santé » est digne de l’art. — Des parnassiens oubliés comme Léon Dierx étaient-ils encore nos maîtres pour ces poèmes lointains comme Les Filaos, La Nuit de Juin et Soir d’Octobre ? C’était un autre maître d’impasse qu’il fallait à la poésie, toujours le même borné batteur d’enclume, le forgeron pour tableaux vivants, Zola !— Le souffle légendaire des admirables transpositions wagnériennes avait remué en nous les profondes sources poétiques originelles : sus à l’étranger ! instaurons la poésie nationale !—L’idée que nous avions de gémir sur la bassesse ou sur la puérilité du théâtre n’était-elle pas folle ? et l’idée de nous jeter sur Ibsen pour nous consoler, grotesque ? Le prouvèrent les cadets en s’inclinant devant le mirifique dramaturge Edmond Rostand et ses spectacles. En vain le Journal des Débats, au lendemain de Cyrano, leur démontrait-il que ce succès de Gascon était du même ordre, à rebours, et avait la même portée que le triomphe de la Lucrèce de Ponsard, en 1842, ou que les pièces en vers de « l’Ecole du bon sens » ? Allons donc :n’était-ce pas le succès ! Nos cadets furent pour le « bon sens ».
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Ainsi rien n’était plus curieux que de voir chacun de leurs gestes correspondre en purs réflexes à chacun de nos actes.
 
Hélas !
Hélas ! oui, des réflexes, pas autre chose...
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oui, des réflexes, pas autre chose...
 
Ce n’est point que les plus flatteuses dédicaces de ces messieurs, les plus louangeuses lettres particulières à l’adresse des symbolistes ne composeraient avec les écrits publics en regard un édifiant et piquant recueil ; tout sera clair pour les chartistes de l’avenir...
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De là, une alliance inconsciente à travers notre génération entre nos petits sauvages et les critiques journalistes ou professeurs. Par nous, l’idéal intéressé était en péril, celui qui ne s’inquiète pas de créer, c’est-à-dire de forcer l’humanité à approfondir et à étendre par ses découvertes le domaine de son existence, mais celui qui ne pense qu’à « plaire » dans le sens conformiste qui sous-entend la flatterie parce qu’elle
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favorise des habitudes. Toutes les injustices, toutes les insultes, toutes les obstructions furent bonnes pour soutenir cet idéal-là, ou les nécessités de la « gloire », concomitantes aux besoins du commerce. Bref, de quelque manière qu’on le prit, le symbolisme n’était pas un étrier, c’est pourquoi il manquait à tous ses devoirs envers la Vie, avec un grand V. Le jeune homme pressé était déçu ; le professeur d’arrivisme voyait diminuer son prestige...
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Oui, plus les braillards s’agitent, plus une jeunesse constate qu’il a suffi aux symbolistes d’abattre quelques pans de murs pour que des horizons libres et infinis se découvrent. Elle constate que ceux qui ont compris avec enthousiasme
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leurs aînés immédiats comme les André Gide, Paul Fort, Francis Jammes, etc., ont fait œuvre profondément originale, tandis que les contempteurs Bouhélier, Gregh et autres Magre s’embourbent dans tous les recommencements, les ressassements, dans tous les fonds des vieilles impasses. Elle constate que pour avoir voulu réagir contre notre volonté d’art, que pour avoir voulu faire du lyrisme sans les bases primordiales, enfin entièrement dégagées par nous, de la poésie, on retombait dans tous les poncifs. — Ainsi des bouillants potages romantiques aux ressucées des fruits confits classiques, rien n’était changé au banquet des infortunés convives. — Elle en conclut que les larges principes symbolistes ont une force créatrice incomparable, que leur vitalité est le signe certain de leurs puissantes racines dans le passé comme de leur accord avec les besoins esthétiques du présent, et elle laisse à nos crieurs de la place publique, avec leurs faux gestes de « vie », de « joie », leurs hypocrites prospectus de soidisant « poésie nationale ».
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Les Nationalités. — On se rappelle que le jeu des nationalités fut un des favoris de nos massacreurs. Les joueurs de boules qui, en littérature, se nomment « critiques » ne s’en privent jamais. Dès qu’ils aperçoivent la moindre petite ligne inégale ou qu’une image apporte quelque brume en leur esprit, ils tâchent de se distraire ; la partie commence, ils lancent le « cochonnet ». M. Auguste Dorchain, connu pour son amour des petites traditions qui sans doute lui vaudra bientôt le poste du regretté M. Pingard, s’est chargé plus particulièrement, depuis quelque temps, de cet office : il dénonce l’étranger. Cependant les poètes symbolistes n’ont pas eu encore
 
l’heureuse
l’heureuse fortune de s’appeler Waddington pour représenter la France en Angleterre. Mais il s’est fait que le hasard a gratifié le nom de plusieurs d’entre eux de consonnances plus ou moins exotiques, bien qu’ils fussent ou de pure famille française ou de mère française et tous d’éducation entièrement, profondément française. II faut ajouter que le symbolisme étant, par certains côtés, un réveil de la vraie littérature française des provinces du Nord contre la déplorable mainmise méridionale, il a eu une grande influence sur tous les pays nordistes de langue française ou autres, d’où un certain nombre de noms flamands, et parmi les plus glorieux.
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fortune de s’appeler Waddington pour représenter la France en Angleterre. Mais il s’est fait que le hasard a gratifié le nom de plusieurs d’entre eux de consonnances plus ou moins exotiques, bien qu’ils fussent ou de pure famille française ou de mère française et tous d’éducation entièrement, profondément française. II faut ajouter que le symbolisme étant, par certains côtés, un réveil de la vraie littérature française des provinces du Nord contre la déplorable mainmise méridionale, il a eu une grande influence sur tous les pays nordistes de langue française ou autres, d’où un certain nombre de noms flamands, et parmi les plus glorieux.
 
L’extraordinaire dans l’abaissement est que les parnassiens n’abandonnèrent pas aux universitaires des arguments contre nous aussi misérables. Jamais groupement ne présenta en effet plus d’exotiques, et il va sans dire que c’est M. Catulle Mendès, Bordelais d’origine juive portugaise, qui saisit tous les prétextes pour marquer du caractère étranger — l’on a vu avec quelle absurdité, quelle fausseté et quelle perfidie ! — nos réformes les plus légitimes.
 
Qui de nous aurait jamais songé à s’armer contre Leconte de Lisle ou contre Léon Dierx de leur naissance et de leur éducation aux tropiques ? à se demander s’ils n’étaient pas moins Français que le soi-disant Américain Stuart Merrill, d’éducation sûrement parisienne ? La vieille souche lyonnaise de Louis Vielé qui répond au nom poétique de Francis Vielé-Griffin ne dépasse-t-elle pas nationalement l’origine de M. de Hérédia qui était un Espagnol colonial ? Et auraient-ils été tous deux Américains depuis la conquête de Cuba ? Les Coppée qui pullulent à Mons ne revendiqueraient-ils point pour la Belgique notre poète « François » ?
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Puisque nos pseudo-traditionnels veulent nous mener sur ce terrain, qu’ils veulent bien nous suivre, que M. »Auguste Dorchain daigne suspendre le lancement de son petit « cochonnet » pour découvrir les meilleurs buts. Il y a de quoi être embarrassé : quel est le Français : Gregh, l’humaniste, benjamin de l’Académie, ou Kahn, symboliste, le réprouvé ? Mme de Noailles, pour avoir emprunté un nom de France, perdrait-elle les droits de sa naissance levantine ? Nous pourrions peut-être accuser ses origines étrangères de sa timidité à profiter de nos évolutions et de toutes les ressources de nos moyens. Constatons que nos récentes poétesses, tant louées pour leur talent si national, sont roumaines, courageusement, quand elles ne sont pas anglo-saxonnes sous un masque moyen-âgeux...
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Que M. Dorchain-Pingard en prenne son parti, et aussi le juif portugais Mendès, ces exotismes sont dans la tradition française. A chaque renouveau, notre poésie a repris force par la greffe d’une bouture exotique sur le plant populaire. Par leur naissance, leur origine ou leur culture, nos poètes auraient toujours été des étrangers, si la langue, qui est le premier ciment de l’âme nationale, n’avait fait de leurs œuvres les assises de la patrie. Dès le moyen âge, notre poésie doit aux Provençaux, alors plus qu’aujourd’hui des « métèques » un nouveau jaillissement lyrique. N’a-t-on pas assez rappelé que la floraison de la Pléiade épanouit toutes les semences de l’Italie et de la Grèce ? Quant à notre xvme siècle, il n’a commencé de naître à la poésie que par deux poètes de l’île Bourbon, le chevalier de Bertin et le chevalier de Parny (inspirateur de Lamartine) avant le demi-Grec André Chénier... Songez, M. Mendès, que sans les petits Espagnols qui maltraitèrent Victor Hugo au collège de Madrid, votre orientalisme
 
méridional
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n’eût jamais pu se draper dans toute la défroque du théâtr# romantique !
 
Chose curieuse : ce qui est vrai pour la poésie française l’est pour la poésie de toutes les littératures occidentales ; on ne l’a pas assez vu.
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« Tout c« qui est poésie et lyrisme répugne naturellement au public français, le public le plus indolent et le moins attentif qui soit. La poésie ne se comprend pas au premier coup ; il faut être dans un état d’âme particulier pour en bien percevoir les beautés, et le Français veut comprendre au premier coup et même sans avoir écouté. Tout ce qui est sur un ton un peu élevé, tout ce qui palpite et bat des ailes lui est parcela même suspect ; ilest travaillé de la peur
 
d’être
d’être ridicule en admirant une chose neuve ; il lui faut une clarté de verre, une limpidité d’eau filtrée, une exactitude géométrique, une grande sobriété d’ornements, car le moindre détail le distrait du fond. — Le Français n’est ni poétique, ni plastique... » {Les Grotesques, p. 261).
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ridicule en admirant une chose neuve ; il lui faut une clarté de verre, une limpidité d’eau filtrée, une exactitude géométrique, une grande sobriété d’ornements, car le moindre détail le distrait du fond. — Le Français n’est ni poétique, ni plastique... » {Les Grotesques, p. 261).
 
Afin de remédier, par périodes correspondantes, à ces déplorables états d’esprit, on ouvrit toutes grandes sur le monde les fenêtres des frontières ; l’air fut renouvelé et, avec la poésie, entra du large. Et la poésie nouvelle gardait du réalisme national ce qu’il en fallait. — Nos pauvres négatifs oublient simplement qu’aux grandes époques, surtout au xvne siècle (pour lequel la langue, plus que pour aucun autre, créait la patrie), notre littérature fut toujours européenne alors qu’elle était la plus nationale, et européenne autant par importation des matières premières que par exportation des produits nouveaux.
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Mais quand on compare cette influence chez les romantiques et chez les symbolistes, on remarque en faveur de ces derniers une nuance considérable : les romantiques s’inspiraient directement des œuvres anglaises et allemandes. Lamartine continuait Byron dans « le dernier chant » de ChildHarold, Musset transcrivait Don Juan dans Mardoche ou Namouna,Gautier dans Albertus ; Shakespeare et Goethe pastichés, découpés, pillés, traduits et retraduits, voyaient tous leurs héros, et dans leur extériorité de physique et de costume, devenir les héros mêmes des romantiques. Rien de semblable chez les symbolistes. Ceux-ci n’ont cherché qu’une
 
atmosphère
atmosphère dans les influences de Wagner et des préraphaïlites, seules dominantes, et que plusieurs, la plupart même, subirent de fort loin. Cependant à travers ces légendes et ces mythes wagnériens, on retrouvait tous les fonds de la vieille imagination française.
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dans les influences de Wagner et des préraphaïlites, seules dominantes, et que plusieurs, la plupart même, subirent de fort loin. Cependant à travers ces légendes et ces mythes wagnériens, on retrouvait tous les fonds de la vieille imagination française.
 
Ainsi savourons les faits :
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Le mauvais clerc est celui qui, incapable de se trouver luimême, s’efforce à déclasser les autres. C’est un grand brouilleur de dossiers. Il passe sa vie dans les ratures.
 
Voici déjà plusieurs années que M. Camille Mauclair ne veut plus faire mentir son nom. On a vu qu’il fut un de nos premiers fossoyeurs, il y a plus de cinq ans déjà. Mais sa dernière pelletée est monstrueuse. Informe et lourde, on aurait tort d’attendre que les pluies de saison la délaient, de s’en aller en sifflotant. Nous avons trop usé du dédain, arme de fierté, mais aussi de paresse. Qu’on m’excuse : c’est de l’ingrate besogne, évidemment, fort inutile pour nous qui savons ; seuIement,
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il importe que le public sache que leurs légendes finissent :j’ouvrirai la motte d’un coup de bêche.
 
Cela s’appelait, le 15 janvier 1905, dans La Revue : La réaction nationaliste en Art et l’ignorance de l’homme de lettres. Dans une lettre postérieure (Les Essais, avril), M. Mauclair s’est défendu d’avoir « injurié » notre génération. Il y a plusieurs sortes d’injures, et les plus graves ne sont pas les moins vagues. Qu’on se reporte à mes citations premières : si une pareille violence de confusions à l’égard des symbolistes, si ces constatations d’ « avortement », de « stérilité », d’un « art imprécis, involontaire, amoral » ne sont pas dans l’ordre intellectuel injurieuses devant les œuvres qui n’ont cessé de paraître, que faudrait-il ? Cependant, l’édition nouvelle et augmentée de ces injures ne les atténua pas, au contraire elle n’a pu surprendre que les ignorants des anciennes, c’est une suite logique.
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Ce qui n’est pas logique est le rôle qu’au départ de son article M. Mauclair s’attribue. Il espérait sans doute qu’on aurait oublié ses travaux passés de fossoyeur, et il nous parle de ses services ! Certes, il n’a pas perdu une occasion de s’occuper des uns et des autres ; à propos de tout et de tous, il a grossoyé, grossoyé, grossoyé... pour aboutir aux conclusions de son Symbolisme en France et aux pages en pendant du Soleil des Morts ! M. Mauclair n’a rendu qu’un service à la poésie nouvelle : son Etude sur Jules Laforgue et son Edition de ses œuvres. Or l’édition est si mauvaise, tellement criblée de fautes qu’elle provoque jusqu’en Hollande des monographies étonnées ; et I’ « étude » a cette abondance égale où la légèreté du pauvre Ariel est devenue méconnaissable. J’oubliais Eleusis, Causeries sur la Cité intérieure, dans lesquelles notre clerc
 
développait,
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avec force délayages métaphysiques, ce qu’il s’empressa de dénigrer plus tard.
 
Que nous veut-il donc ? et quelle assurance tant de flottements lui donnent-ils contre nous ?
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i° Il est clair que si l’on ne parle plus de Wagner ni d’Ibsen, c’est qu’ils sont assimilés. Nous n’avons plus à les aimer d’une façon extérieure à nous, nous les aimons en nous-mêmes ; ils font partie de notre chair, ils recomposent en nous une nouvelle substance. Notre curiosité de l’étranger n’en est pas amoindrie ; le prouve assez la vogue récente des musiciens russes et des écrivains Gorki, Tchekhov ; ou des Anglais, Kipling et Wells, pendant que Nietzsche, insuffisamment digéré, en est à la période suivante, intermédiaire entre l’émotion initiale et l’assimilation complète.
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2°, 30 et 40 Où sont donc nos désaveux et quand donc ont paru des œuvres plus altières et plus renouvelées que celles qui sortent des mains quotidiennes de Maeterlinck, de Verhaeren, de Gide, de Merrill, de Fort, de Griffin, de Jammes, de Mockel, de Bataille, de Ghéon, etc., etc. ? Si Régnier et Moréas usent pour le moment d’une forme plus statique que dynamique, s’ils donnent le pas au caractère sur l’action, ce qui est certes admissible, ils n’en restent pas moins poétiquement des nôtres, en sachant découvrir dans le symbolisme même un filon classique que le classicisme ne connut pas. M. Mauclair ne veut pas voir que le symbolisme, dès l’origine, fut, sous certains rapports, em même temps qu’une refloraison lyrique contre le naturalisme, une renaissance classique contre le romantisme. Mallarmé, par la contraction, Verlaine, par le dépouillement, furent d’abord des classiques. Schwob, Gide, van Lerberghe sont des classiques. Tout cela n’a rien de commun avec l’académisme, et c’est par trop abuser de la polygraphie que de faire d’une « renaissance » une « réaction ».
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Puis le « nationalisme politique », l’« esprit romain », le
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« masque latin », termes de gazette que M. Mauclair détourne pour les appliquer à contresens, comment toucheraient-ils le développement d’art d’une génération dont les représentants principaux comptent des Gustave Kahn, des Stuart Merrill et des Verhaeren ! Il est impossible d’abuser d’affirmations plus invraisemblables et de mêler plus confusément les questions. M. Mauclair est obligé lui-même de distinguer deux nationalismes. Aussi bien, qui pourrait nier, en dehors de toute politique, par une simple prise de conscience esthétique et morale, le besoin qu’éprouve aujourd’hui, par tout l’univers, chaque nation de se replier sur soi, d’accuser et de fortifier son centre, disjoint et déformé par la facilité des pénétrations de l’extérieur ! Cette concentration, base de notre existence même, fut rendue nécessaire par la dispersion immense du xix" siècle ; c’est pour ainsi dire physiologique, il n’est point d’internationalisme qui puisse l’éviter.
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co et 6° « La génération symboliste a été très styliste, trèsérudite, très artiste : peinture, lettres étrangères, musique, hellénisme, latinité, philologie, folklore, occultisme, tout l’a passionnée. Seulement, elle s’est totalement limitée ( !) ; elle a tourné le dos à la vie. Par horreur du naturalisme qui cherchait confusément un « art social », elle s’est jurée de ne rien savoir de l’évolution sociale. Pour elle, c’est le règne de Homais. La science ne l’intéresse pas, et c’est la révolte, parce qu’elle ruine la métaphysique( ?). Et voilà unechose jugée. »
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Cette citation qui nous remet bien dans la manière bousculée de notre fossoyeur, nous la connaissions, n’est-ce pas ? Nous savions déjà que nous étions « morts », il y a cinq ans, parce que nous étions « retirés de la vie »... la vie pratique, la vie économique, la vie sociale, etc., etc.
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Vraiment M. Mauclair joue de malheur ; il se trouve qu’au point de vue « pratique », jamais poètes, — à la différence des romantiques et des parnassiens qui pour la plupart vivaient en marge, — n’auront connu deplus près que les symbolistes la vie de leur temps. Il n’y en a pas plus de trois ou quatre qui se contentent d’habiter leurs rêves ou soient même professionnellement des « hommes de lettres ». Nuls plus qu’eux n’ont accepté la vie de tous, ne se sont mêlés à la vie pratique, aux métiers administratifs, industriels ou ruraux. L’un est un agronome actif, maire de sa commune ; l’autre est un bon constructeur d’automobiles ; celui-ci est un médecin de campagne qui fouille et soulage toutes les misères ; celui-là est un excellent agent consulaire d’Extrême-Orient, fort expert sur les problèmes de la main-d’œuvre asiatique ; tel qui écrit un peu partout et dont le titre est « littérateur » s’occupe de vingt affaires diverses, industrielles et commerciales ; tel autre enfin vit de la terre, éleveur et fermier. Et ce ne sont pas des vaincus de l’art ; tous produisent, tous mettent au-dessus de tout leur nom de poète, sachant jouer leur rôle social sans en faire parade, et S’inspirer De La Vie Sans Qu’elle Déforme L’œuvre. L’art est pour eux, en même temps que leur raison de vivre, non un excitateur artificiel ni un travail forcé de professionnel, mais ce qu’il devra être de plus en plus, un surcroît d’activité, une surabondance de nature.
 
Nous ne voulons pas dire que le poète ne doit s’abandonner à
Nous ne voulons pas dire que le poète ne doit s’abandonner à son art que sa tâche d’homme et de citoyen accomplie. Nous pensons bien au contraire que son premier devoir de citoyen et d’homme est de s’affranchir de tout ce qui peut mettre obstacle à l’accomplissement de l’œuvre. Nous voulons dire que son élan doit être assez fort pour qu’il ne se dérobe pas, en révolte romantique, devant l’obstacle ; qu’il le vainque en le franchissant, s’il y a lieu, et que c’est ce que la plupart des symbolistes ont fait, soumis à leurs existences diverses en tenant leur art très haut à travers tout. De ce qu’ils ont su pratiquer la pensée du poète :
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son art que sa tâche d’homme et de citoyen accomplie. Nous pensons bien au contraire que son premier devoir de citoyen et d’homme est de s’affranchir de tout ce qui peut mettre obstacle à l’accomplissement de l’œuvre. Nous voulons dire que son élan doit être assez fort pour qu’il ne se dérobe pas, en révolte romantique, devant l’obstacle ; qu’il le vainque en le franchissant, s’il y a lieu, et que c’est ce que la plupart des symbolistes ont fait, soumis à leurs existences diverses en tenant leur art très haut à travers tout. De ce qu’ils ont su pratiquer la pensée du poète :
 
Ami, cache ta vie et répands ton esprit
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7° Quant à ce mépris de la science et des questions sociales dont M. Mauclair nous accable, la plaisanterie est par trop
 
lourde.
lourde. Tout polygraphe qu’il soit, notre clerc n’est pas de ces journalistes du boulevard qui ne connaissent rien du symbolisme dont ils parlent et de ses origines. 11 ne peut pas ignorer les trois revues qui en ont pour ainsi dire constitué les premières bases : La Vogue, (1886-1887) ; la Revue indépendante, (1886-1888) ; Les Entretiens politiques et littéraires, (1890-1893). Or, dans La Vogue et dans la Revue indépendante la préoccupation scientifique était incessante ; et l’on sait la part que les Entretiens donnèrent aux questions sociales, et avec quelle hardiesse dégagée. Quelques citations suffiront, je pense :
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Tout polygraphe qu’il soit, notre clerc n’est pas de ces journalistes du boulevard qui ne connaissent rien du symbolisme dont ils parlent et de ses origines. 11 ne peut pas ignorer les trois revues qui en ont pour ainsi dire constitué les premières bases : La Vogue, (1886-1887) ; la Revue indépendante, (1886-1888) ; Les Entretiens politiques et littéraires, (1890-1893). Or, dans La Vogue et dans la Revue indépendante la préoccupation scientifique était incessante ; et l’on sait la part que les Entretiens donnèrent aux questions sociales, et avec quelle hardiesse dégagée. Quelques citations suffiront, je pense :
 
« ... Us ignorent les principes les plus simples de la chimie, de la zoologie, et peut-être bien ce qu’un commis-voyageur sait de la géographie. Voyez des revues sur la table d’un romancier ; jamais vous ne trouverez coupées les pages d’articles de vulgarisation scientifique (II). En un mot, ils ne savent rien des lois synthétiques de la nature, et toute une source de pensée et de poésie leur échappe. Quant à s’en occuper, ils croiraient qu’on les convie à écrire du Jules Verne I Les questions sociales les rebutent. Ils les classent, avec dégoût, sous le nom de cette « politique » dont les gens de bonne compagnie n’ont point à se mêler, et on les étonnerait fort en leur disant que cette politique n’a rien de commun avec la lutte des classes. Une paresse invincible les étreint, sauf lorsqu’il s’agit de discuter épithètes et syntaxe. Même de l’histoire des autres arts que le leur, ils ne savent pas grand’chose. C’est depuis peu de temps que les gens de lettres entendent suffisamment les principes de la musique et de la peinture : encore en parlent-ils souvent à la légère. »
 
Voir plus haut : « La génération symboliste a été... très
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artiste ; peinture, musique, etc., tout l’a passionnée. » Comment notre clerc à tant de passion accorde-t-il si peu de connaissance ? C’est ce qui lui serait peut-être difficile d’expliquer. Il veut ignorer que la peinture de V. G... vaut sans doute la sienne, et que le même V. G... fit un an de Conservatoire, juste pour se rendre compte des principes musicaux. Il ne veut pas savoir non plus que A. M... est un violoniste dont la qualité de son et la ferveur sont incomparables, ni que P. L... et A. G... sont de délicats pianistes, excellents déchiffreurs. Il lui plaît de ne pas se souvenir qu’un autre A. M... clôt chacun de ses volumes de poèmes des courtes pages d’un hymne en musique, etc., etc. Venir dire à une génération poétique, dont l’art, écarté le plus possible de toute littérature, se filie étroitement aux arts fraternels, qu’elle ne pénètre pas « grand’chose » de leurs principes est un de ces précieux tours de gobelets dont ne saurait trop nous réjouir la critiqtie amusante !... Il se trouve d’ailleurs qu’il n’est pas de plus fausse nécessité ni de plus dangereuse que celle de cette pénétration mutuelle lorsqu’elle est voulue, et qu’un artiste ainsi averti est obligé d’ignorer doublement dans son art ce qu’il connaît de ses voisins... Aussi bien, son ignorance n’importerait d’aucune façon pour la maîtrise comme pour l’étendue même de son art ; et si une nécessité s’impose aujourd’hui avant tout autre, c’est, devant les innombrables gâchages des touche-à-tout, qu’on soit exclusivement l’homme de son métier Mais le bavardage des mauvais clercs ne s’arrête pas pour si peu.
 
Maintenant on s’explique mal comment notre agronome et notre éleveur pourraient être étrangers « aux principes les plus simples de la chimie et de la zoologie », ni cornment
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notre consul de la côte chinoise pourrait se fier aux éléments de géographie d’un commis-voyageur. En outre, comment se fait-il que X... est très versé dans les sciences mathématiques, chimiques et physiques, queZ... est un bon entomologiste, Y... un botaniste sérieux ?Les études physiologiques de R... furent très complètes, et les thérapeutiques de notre médecin remarquables au dire de ses malades. Comment se fait-il qu’une des dernières revues scientifiques, vraiment technique et indépendante, La Revue des Idées, ait été fondée et soit dirigée par deux symbolistes notoires : M. Edouard Dujardin et M. Remy de Gourmont ?
 
Serait-ce que ces Messieurs savent vraiment ce que c’est que la Science et les sciences, tandis que M. Mauclair ne le saurait pas ? que l’idée, d’abord, d’une science omnipotente est une idée anti-scientifique ? que substituer le dogme fétichiste de la science à n’importe quel dogme, loin de constituer un progrès, est une régression scolastique ? Serait-ce que M. Mauclair confond par les procédés les plus rhétoriciens la sûreté de l’esprit et de la méthode scientifiques avec l’incertitude des vérités scientifiques, le plus souvent provisoires ? Serait-ce enfin que M. Mauclair aurait besoin de quelques bonnes leçons de M.Poincaré ? et que son habitude des généralisations hâtives le conduit aux pires accès de la littératurite ?...
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« ... On attend de l’écrivain la formule d’un style et d’une beauté
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extraits des éléments nouveaux, de la science, du conflit social. »
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« Laissez-moi : vos efforts me sont suspects, vous prétende^
 
« affranchir
« affranchir la vie et vous n’accorde^ pas à l’art sa liberté ! « Les fleurs n’ont jamais fait de mensonge ; bien plus sûrement « que vos visages bouleversés par la fureur, leurs fraîches cou« leurs m’annoncent que la profonde blessure va se guérir. Le « murmure prophétique des bois me dit que le monde sera libre, « leur murmure me le crie plus intelligemment que ne le font « vos feuilles avec tout leur fracas de mots d’où l’âme est « absente, avec toutes leurs fanfaronnades discréditées. Si cela « me plaît, je cueillerai ici des fleurs ; si cela me plaît, je voue« rai à la liberté un chant, mais jamais je ne me laisserai « enrôler par vous. » « Elle dit et tourna le dos à la troupe grossière. »
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la vie et vous n’accorde^ pas à l’art sa liberté ! « Les fleurs n’ont jamais fait de mensonge ; bien plus sûrement « que vos visages bouleversés par la fureur, leurs fraîches cou« leurs m’annoncent que la profonde blessure va se guérir. Le « murmure prophétique des bois me dit que le monde sera libre, « leur murmure me le crie plus intelligemment que ne le font « vos feuilles avec tout leur fracas de mots d’où l’âme est « absente, avec toutes leurs fanfaronnades discréditées. Si cela « me plaît, je cueillerai ici des fleurs ; si cela me plaît, je voue« rai à la liberté un chant, mais jamais je ne me laisserai « enrôler par vous. » « Elle dit et tourna le dos à la troupe grossière. »
 
Conclusion
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Et maintenant d’ « où il en est », le symbolisme, ayant traversé depuis longtemps sa période impressionniste, peut poursuivre avec une magnifique conscience son évolution constructive. On verra aux œuvres futures qu’il n’a usé que de la plus minime partie de ses ressources. Encore fallait-il qu’une bonne fois liquidation fût faite des incroyables ordures dont on les couvrait. Certes ces ordures retomberont toujours ; on ne triomphe jamais définitivement de l’ignorance intéressée, et tout bon déblayage doit être périodique.
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Mais cette liquidation-ci était particulièrement nécessaire, non pas tant pour nous que pour la défense de la poésie outragée.
 
Les malheureux ! ils ne se sont pas aperçus que le symbolisme, dont la signification n’a grandi que des œuvres, n’était qu’un mot pour garder pure et complète la poésie même, pour la distinguer des mélanges, desquels il semble qu’elle ait toujours pris plaisir à corrompre son essence divine : l’extase apollonienne ou la fougue dyonisiaque. Aussi qu’arriverait-il si on les laissait faire ? le poète redeviendrait le bateleur, le professeur ou le faux tribun, le poème, le récit pittoresque, le plaidoyer moral ou l’exposé depalingénésie sociale qu’avec une langue faible et une métrique plate, toutes deux de pauvre imitation, ils s’essoufflent à produire sous les étiquettes de naturisme, d’humanisme, d’intégralisme, de néoromantisme, de classicisme,
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sans qu’une seule soit originale et ne fausse grossièrement un des côtés du symbolisme même. Ni Verhaeren, ni Griffin n’avaient attendu M. Gregh pour créer de l’ « humanisme » qui soit de la poésie haute et neuve ; ni André Gide, Paul Fort, Jammes, Ghéon n’avaient attendu M. Saint-Georges de Bouhélier pour créer du « naturisme » qui ne soit pas de la rhétorique génevoise ; ni Paul Claudel, Stuart Merrill, Saint-Pol-Roux, Albert Mockel ou Adrien Mithouard n’avaient attendu M. Lacuzon pour créer de « l’intégralisme » qui ne perde pas l’expression lyrique ; ni Samain ou Guérin n’avaient attendu les uns ou les autres pour créer un « néo-romantisme » qui ne soit pas tout extérieur ; ni Marcel Schwob, Moréas, Ducoté, Pierre Louys, Van Lerberghe n’avaient attendu MM. Louis Bertrand et Joachim Gasquet pour créer, dans des sens divers, un « néo-classicisme » qui ne soit pas d’une ordonnance inexpressive, pompeuse ou stricte, uniforme.
 
Mais on eût dit que chaque faiseur d’échantillons s’ingéniait à ces découpures dans la grande bannière où les symbolistes les mêlaient d’une seule trame anonyme, pour tâter la lâcheté publique, pour flatter le goût public d’intérêts plus bornés, pour défigurer mieux la vaste poésie, mal comprise et mal suivie de la foule dans son absolu déploiement...
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Dans les boutiques, désintéressement est pauvreté, austérité est stérilité.
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L’utilitarisme prend tous les masques pour forcer l’art à l’agenouillement.
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Ne nous plaignons pas ! Flaubert est resté assis.
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On ne fait pas du bon travail en courant dès — ou plutôt sans — qu’on vous appelle, en abandonnant la moitié de ses ressources : ressources d’âmes, ressources de technique, ou en les jetant, brutes, par la fenêtre. Le public piétine, il ne ramasse rien, il y a trop de boue, — pour son plaisir.
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Tous les cris de la bonne foule contre les guillotinés parlants n’empêcheront leurs œuvres — ah ! quels crimes ! — d’être les seuls poèmes (plus ou moins parfaits, peu importe !) qui ne laissent perdre aucune ressource et ne se satisfont point d’utilités.
=== no match ===
 
 
APPENDICE