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{{Titre|Les Révoltés de la Bounty|[[Jules Verne]]|1882|}}
 
 
== L'ABANDON ==
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Surpris d'abord par l'obscurité, et réfléchissant peut-être à la gravité de leurs actes, ils eurent un moment d'hésitation.
 
"Holà! qu'y a-t-il? Qui donc ose se permettre ?... s'écria le capitaine en sautant à bas de son cadre.
 
-- Silence, Bligh! répondit Churchill. Silence, et n'essaye pas de résister, ou je te bâillonne!
 
-- Inutile de t'habiller, ajouta Bob. Tu feras toujours assez bonne figure, lorsque tu seras pendu à la vergue d'artimon!
 
-- Attachez-lui les mains derrière le dos, ChurchilI, dit Christian, et hissez-le sur le pont!
 
--Le plus terrible des capitaines n'est pas bien redoutable, quand on sait s'y prendre," fit observer John Smith, le philosophe de la bande. <sup>(En realité, John Smith était dans la chaloupe, pas un mutin.)</sup>
 
Puis le cortège, sans s'inquiéter de réveiller ou non les matelots du dernier quart, encore endormis, remonta l'escalier et reparut sur le pont.
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" Bligh, dit Christian, d'une voix rude, vous êtes démonté de votre commandement.
 
-- Je ne vous reconnais pas le droit...droit…, répondit le capitaine.
 
-- Ne perdons pas de temps en protestations inutiles. s'écria Christian, qui interrompit Bligh,
 
Je suis, en ce moment, l'interprète de tout l'équipage de la Bounty. Nous n'avions pas encore quitté l'Angleterre que nous avions déjà à nous plaindre de vos soupçons injurieux, de vos procédés brutaux. Lorsque je dis nous, j'entends les officiers aussi bien que les matelots. Non seulement nous n'avons jamais pu obtenir la satisfaction qui nous était due, mais vous avez toujours rejeté nos plaintes avec mépris! Sommes-nous donc des chiens, pour être injuriés à tout moment? Canailles, brigands, menteurs, voleurs! vous n'aviez pas d'expression assez forte, d'injure assez grossière pour nous! En vérité, il faudrait ne pas être un homme pour supporter pareille existence! Et moi, moi votre compatriote, moi qui connais votre famille, moi qui ai déjà fait deux voyages sous vos ordres, m'avez-vous épargné? Ne m'avez-vous pas accusé, hier encore, de vous avoir volé quelques misérables fruits? Et les hommes! Pour un rien, aux fers! Pour une bagatelle, vingt-quatre coups de corde! Eh bien, tout se paye en ce monde! Vous avez été trop libéral avec nous, Bligh! A notre tour! Vos injures, vos injustices, vos accusations insensées, les tortures morales et physiques dont vous avez accablé votre équipage depuis un an et demi, vous allez les expier durement! Capitaine, vous avez été jugé par ceux que vous avez offensés, et vous êtes condamné. -- Est-ce bien cela, camarades?
 
-- Oui, oui, à mort! s'écrièrent la plupart des matelots, en menaçant leur capitaine.
 
-- Capitaine Bligh, reprit Christian, quelques uns avaient parlé de vous hisser au bout d'une corde entre le ciel et l'eau. D'autres proposaient de vous déchirer les épaules avec le chat à neuf queues, jusqu'à ce que mort s'ensuivît. Ils manquaient d'imagination. J'ai trouvé mieux que cela. D'ailleurs, vous n'êtes pas seul coupable ici. Ceux qui ont toujours fidèlement exécuté vos ordres, si cruels qu'ils fussent, seraient au désespoir de passer sous mon commandement. Ils ont mérité de vous accompagner là où le vent vous poussera.
 
--Qu'on amène la chaloupe! "
 
Un murmure désapprobateur accueillit ces dernières paroles de Christian, qui ne parut pas s'en inquiéter. Le capitaine Bligh, que ces menaces ne parvenaient pas à troubler, profita d'un instant de silence pour prendre la parole.
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"Officiers et matelots, dit-il d'une voix ferme, en ma qualité d'officier de la marine royale, commandant la Bounty, je proteste contre le traitement que vous voulez me faire subir. Si vous avez à vous plaindre de la façon dont j'ai exercé mon commandement, vous pouvez me faire juger par une cour martiale. Mais vous n'avez pas réfléchi, sans doute, à la gravité de l'acte que vous allez commettre. Porter la main sur votre capitaine, c'est vous mettre en révolte contre les lois existantes, c'est rendre pour vous tout retour impossible dans votre patrie, c'est vouloir être traités comme des forbans! Tôt ou tard, c'est la mort ignominieuse, la mort des traîtres et des rebelles! Au nom de l'honneur et de l'obéissance que vous m'avez jurés, je vous somme de rentrer dans le devoir!
 
-- Nous savons parfaitement à quoi nous nous exposons, répondit Churchill.
 
-- Assez! Assez! cria l'équipage, prêt à des voies de fait.
 
-- Eh bien, dit Bligh, s'il vous faut une victime, que ce soit moi, mais moi seul! Ceux de mes compagnons que vous condamnez comme moi, n'ont fait qu'exécuter mes ordres!"
 
La voix du capitaine fut alors couverte par un concert de vociférations, et il dut renoncer à toucher ces coeurs devenus impitoyables.
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Cependant, un assez vif débat s'était élevé entre le second et plusieurs des révoltés qui voulaient abandonner sur les flots le capitaine Bligh et ses compagnons sans leur donner une arme, sans leur laisser une once de pain.
 
Quelques-uns --et—et c'était l'avis de Churchill,-- trouvaient que le nombre de ceux qui devaient quitter le navire n'était pas assez considérable. Il fallait se défaire, disait-il, de tous les hommes qui, n'ayant pas trempé directement dans le complot, n'étaient pas sûrs. On ne pouvait compter sur ceux qui se contentaient d'accepter les faits accomplis. Quant à lui, son dos lui faisait encore mal des coups de fouet qu'il avait reçus pour avoir déserté à Taïti. Le meilleur, le plus rapide moyen de le guérir, ce serait de lui livrer d'abord le commandant!... Il saurait bien se venger, et de sa propre main!
 
"Hayward! Hallett! cria Christian, en s'adressant à deux des officiers, sans tenir compte des observations de Churchill, descendez dans la chaloupe.
 
-- Que vous ai-je fait, Christian, pour que vous me traitiez ainsi? dit Hayward. C'est à la mort que vous m'envoyez!
 
-- Les récriminations sont inutiles! Obéissez, ou sinon!... Fryer, embarquez aussi!"
 
Mais ces officiers, au lieu de se diriger vers la chaloupe, se rapprochèrent du capitaine Bligh, et Fryer, qui semblait le plus déterminé, se pencha vers lui en disant:
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"Christian, dit-il, je vous donne ma parole d'honneur d'oublier tout ce qui vient de se passer, si vous renoncez à votre abominable projet! Je vous en supplie, pensez à ma femme et à ma famille! Moi mort, que deviendront tous les miens!
 
-- Si vous aviez eu quelque honneur, répondit Christian, les choses n'en seraient point arrivées à ce point. Si vous-même aviez pensé un peu plus souvent à votre femme, à votre famille, aux femmes et aux familles des autres, vous n'auriez pas été si dur, si injuste envers nous tous! "
 
A son tour, le bosseman, au moment d'embarquer, essaya d'attendrir Christian. Ce fut en vain.
 
"Il y a trop longtemps que je souffre, répondit ce dernier avec amertume. Vous ne savez pas quelles ont été mes tortures! Non! cela ne pouvait durer un jour de plus, et, d'ailleurs, vous n'ignorez pas que, durant tout le voyage, moi, le second de ce navire, j'ai été traité comme un chien! Cependant, en me séparant du capitaine Bligh, que je ne reverrai probablement jamais, je veux bien, par pitié, ne pas lui enlever tout espoir de salut. -- Smith! descendez dans la cabine du capitaine, et reportez-lui ses vêtements, sa commission, son journal et son portefeuille. De plus, qu'on lui remette mes Tables nautiques et mon propre sextant. Il aura ainsi quelque chance de pouvoir sauver ses compagnons et se tirer d'affaire lui-même!"
 
Les ordres de Christian furent exécutés, non sans quelque protestation.
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"C'est maintenant qu'il faut prendre une résolution, dit-il. La scène qui vient de se passer à Tofoa se renouvellera, j'en suis certain, à Tonga-Tabou, et partout où nous voudrons accoster. En petit nombre, sans armes à feu, nous serons absolument à la merci des indigènes. Privés d'objets d'échange, nous ne pouvons acheter de vivres, et il nous est impossible de nous les procurer de vive force. Nous sommes donc réduits à nos seules ressources. Or, vous savez comme moi, mes amis, combien elles sont misérables! Mais ne vaut-il pas mieux s'en contenter que de risquer, à chaque atterrissage, la vie de plusieurs d'entre nous ? Cependant, je ne veux en rien vous dissimuler l'horreur de notre situation. Pour atteindre Timor, nous avons à peu près douze cents lieues à franchir, et il faudra vous contenter d'une once de biscuit par jour et d'un quart de pinte d'eau! Le salut est à ce prix seulement, et encore, à la condition que je trouverai en vous la plus complète obéissance. Répondez-moi sans arrière-pensée! Consentez-vous à tenter l'entreprise? Jurez-vous d'obéir à mes ordres quels qu' ils soient? Promettez-vous de vous soumettre sans murmure à ces privations?
 
-- Oui, oui, nous le jurons! s'écrièrent d'une commune voix les compagnons de Bligh.
 
--Mes amis, reprit le capitaine, il faut aussi oublier nos torts réciproques, nos antipathies et nos haines, sacrifier en un mot nos rancunes personnelles à l'intérêt de tous, qui doit seul nous guider!
 
-- Nous le promettons.
 
-- Si vous tenez votre parole, ajouta Bligh, et, au besoin, je saurai vous y forcer, je réponds du salut."
 
La route fut faite vers l'O.-N.-O. Le vent, qui était assez fort, souffla en tempête dans la soirée du 4 mai. Les lames devinrent si grosses, que l'embarcation disparaissait entre elles, et semblait ne pouvoir se relever. Le danger augmentait à chaque instant. Trempés et glacés, les malheureux n'eurent pour se réconforter, ce jour-là, qu'une tasse à thé de rhum et le quart d'un fruit à pain à moitiè pourri.
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un moment de repos! A demi morts de faim, n'augmenterez-vous pas nos rations, capitaine? Peu importe que nos vivres s'épuisent! Nous trouverons facilement à les remplacer en arrivant à la Nouvelle-Hollande!
 
-- Je refuse, répondit Bligh. Ce serait agir comme des fous. Comment! nous n'avons franchi que la moitié de la distance qui nous sépare de l'Australie, et vous êtes déjà découragés! Croyez-vous, d'ailleurs, pouvoir trouver facilement des vivres sur la côte de la Nouvelle-Hollande! Vous ne connaissez donc pas le pays et ses habitants! "
 
Et Bligh se mit à peindre à grands traits la nature du sol, les moeurs des indigènes, le peu de fonds qu'il fallait faire sur leur accueil, toutes choses que son voyage avec le capitaine Cook lui avait appris à connaître. Pour cette fois encore, ses infortunés compagnons l'écoutèrent et se turent.
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Un peu plus loin, dans le détroit de l'Endeavour, de deux détachements envoyés à la chasse des tortues et des noddis, le premier revint les mains vides; le second rapporta six noddis, mais il en aurait pris davantage sans l'obstination de l'un des chasseurs, qui, s'étant écarté de ses camarades, effraya ces oiseaux. Cet homme avoua, plus tard, qu'il s'était emparé de neuf de ces volatiles et qu'il les avait mangés crus sur place.
 
Sans les vivres et l'eau douce qu'il venait de trouver sur la côte de la Nouvelle-Hollande, il est bien certain que Bligh et ses compagnons auraient péri. D'ailleurs, tous étaient dans un état lamentable, hâves, défaits, épuisés, -- de véritables cadavres.
 
Le voyage en pleine mer, pour gagner Timor, ne fut que la douloureuse répétition des souffrances déjà endurées par ces malheureux avant d 'atteindre les côtes de la Nouvelle-Hollande. Seulement, la force de résistance avait diminué chez tous, sans exception. Au bout de quelques jours, leurs jambes étaient enflées. Dans cet état de faiblesse extrême, ils étaient accablés par une envie de dormir presque continuelle. C'étaient les signes avant-coureurs d'une fin qui ne pouvait tarder beaucoup. Aussi Bligh, qui s'en aperçut, distribua une double ration aux plus affaiblis et s'efforça de leur rendre un peu d'espoir.
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"Qui êtes-vous?
 
- Je m'appelle Fletcher Christian, et mon camarade, Young."
 
Ces noms ne disaient rien au capitaine Staines, qui était bien loin de penser aux survivants de la Bounty.
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"Depuis quand êtes-vous ici?
 
- Nous y sommes nés.
 
- Quel âge avez-vous?
 
- J'ai vingt-cinq ans, répondit Christian, et Young dix-huit.
 
- Vos parents ont-ils été jetés sur cette île par quelque naufrage?"
 
Christian fit alors au capitaine Staines l'émouvante confession qui va suivre et dont voici les principaux faits: