« Le Bourgeois gentilhomme/Édition Louandre, 1910 » : différence entre les versions

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<div class=text>{{SommaireADroite}}
{{Titre|[[Molière]]titre|Le Bourgeois gentilhomme|1670[[Molière]]|1662}}
<br>
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[[Catégorie:Théâtre|B|Le Bourgeois gentilhomme]]
[[Catégorie:XVIIe siècle|B|Le Bourgeois gentilhomme]]
 
__NOEDITSECTION__
 
{{ThéâtreDébut}}
'''ACTEURS:'''
<center>
{| style="background:#fafafa;padding:10px;border:1px solid #888" |
|-
| align=left |
<div style="text-align:center;color:#006699;font-weight:bold;font-size:90%;">PERSONNAGES</div>
 
* MONSIEUR JOURDAIN, bourgeois.
* MADAME JOURDAIN, sa femme.
* LUCILE, fille de M. Jourdain.
* NICOLE, servante.
* CLÉONTE, amoureux de Lucile.
* COVIELLE, valet de Cléonte.
* DORANTE, comte, amant de Dorimène.
* DORIMÈNE, marquise.
* MAÎTRE DE MUSIQUE.
* ÉLÈVE DU MAÎTRE DE MUSIQUE.
* MAÎTRE À DANSER.
* MAÎTRE D'ARMES.
* MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.
* MAÎTRE TAILLEUR.
* GARÇON TAILLEUR.
* DEUX LAQUAIS.
* PLUSIEURS MUSICIENS, MUSICIENNES, JOUEURS D'INSTRUMENTS, DANSEURS, CUISINIERS, GARÇONS TAILLEURS, ET AUTRES PERSONNAGES DES INTERMÈDES ET DU BALLET.
 
'''Monsieur Jourdain''', bourgeois.
<I>La scène est à Paris.</I>
 
'''Madame Jourdain''', sa femme.
==ACTE I==
===SCÈNE I===
MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, TROIS MUSICIENS, DEUX VIOLONS, QUATRE DANSEURS.
 
'''Lucile''', fille de M. Jourdain.
MAÎTRE DE MUSIQUE, parlant à ses musiciens: Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu'il vienne.
 
'''Nicole''', servante.
MAÎTRE à DANSER, parlant aux danseurs: Et vous aussi, de ce côté.
 
'''Cléonte''', amoureux de Lucile.
MAÎTRE DE MUSIQUE, à l'Élève: Est-ce fait?
 
'''Covielle''', valet de Cléonte.
L'ÉLÈVE: Oui.
 
'''Dorante''', comte, amant de Dorimène.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Voyons. Voilà qui est bien.
 
'''Dorimène''', marquise.
MAÎTRE à DANSER: Est-ce quelque chose de nouveau?
 
'''Maître de musique'''.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, c'est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.
 
'''Élève du Maître de musique'''.
MAÎTRE à DANSER: Peut-on voir ce que c'est?
 
'''Maître à danser'''.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous l'allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.
 
'''Maître d’armes'''.
MAÎTRE à DANSER: Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.
 
'''Maître de philosophie'''.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu'il est allé se mettre en tête; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.
 
'''Maître tailleur'''.
MAÎTRE à DANSER: Non pas entièrement; et je voudrais pour lui qu'il se connût mieux qu'il ne fait aux choses que nous lui donnons.
 
'''Garçon tailleur'''.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est vrai qu'il les connaît mal, mais il les paye bien; et c'est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.
 
'''Deux Laquais'''.
MAÎTRE à DANSER: Pour moi, je vous l'avoue, je me repais un peu de gloire; les applaudissements me touchent; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c'est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d'essuyer sur des compositions la barbarie d'un stupide. Il y a plaisir, ne m'en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d'un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d'un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu'on puisse recevoir des choses que l'on fait, c'est de les voir connues, de les voir caressées d'un applaudissement qui vous honore. Il n'y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.
 
'''Plusieurs Musiciens, Musiciennes, Joueurs d’instruments, Danceurs, Cuisiniers, Garçons tailleurs, et autres personnages des intermèdes et du ballet'''.
MAÎTRE DE MUSIQUE: J'en demeure d'accord, et je les goûte comme vous. Il n'y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise: il y faut mêler du solide; et la meilleure façon de louer, c'est de louer avec les mains. C'est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n'applaudit qu'à contre-sens; mais son argent redresse les jugements de son esprit; il a du discernement dans sa bourse; ses louanges sont monnayées; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.
|}
 
MAÎTRE à DANSER: Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l'argent; et l'intérêt est quelque chose de si bas, qu'il ne faut jamais qu'un honnête homme montre pour lui de l'attachement.
 
''La scène est à Paris.''
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous recevez fort bien pourtant l'argent que notre homme vous donne.
</center>
 
MAÎTRE à DANSER: Assurément; mais je n'en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu'avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses.
 
MAÎTRE DE MUSIQUE: Je le voudrais aussi, et c'est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.
 
{{ThéâtreDébut}}
MAÎTRE à DANSER: Le voilà qui vient.
 
{{acte|I}}
===SCÈNE II===
MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, VIOLONS, MUSICIENS ET DANSEURS.
 
{{scène|I}}
MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien, Messieurs? Qu'est-ce? me ferez-vous voir votre petite drôlerie?
 
<center>''Maître de musique, Maître à danser, Trois Musiciens, Deux Violons, Quatres Danceurs.''</center>
MAÎTRE à DANSER: Comment? quelle petite drôlerie?
 
'''Maître de musique''', ''parlant à ses musiciens.''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Eh la. comment appelez-vous cela? Votre prologue ou dialogue de chansons et de danse.
Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu’il vienne.
 
'''Maître à danser''', ''parlant aux danseurs.''<br>
MAÎTRE à DANSER: Ah, ah!
Et vous aussi, de ce côté.
 
'''Maître de musique''', ''à l’Élève.''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous nous y voyez préparés.
Est-ce fait ?
 
'''L’élève'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité; et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais.
Oui.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.
Voyons. Voilà qui est bien.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.
Est-ce quelque chose de nouveau ?
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Tout ce qu'il vous plaira.
Oui, c’est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.
Peut-on voir ce que c’est ?
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous n'en doutons point.
Vous l’allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je me suis fait faire cette indienne-ci.
Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Elle est fort belle.
Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête ; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mon tailleur m'a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin.
Non pas entièrement ; et je voudrais pour lui qu’il se connût mieux qu’il ne fait aux choses que nous lui donnons.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Cela vous sied à merveille.
Il est vrai qu’il les connaît mal, mais il les paye bien ; et c’est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Laquais! holà, mes deux laquais!
Pour moi, je vous l’avoue, je me repais un peu de gloire ; les applaudissements me touchent ; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d’essuyer sur des compositions la barbarie d’un stupide. Il y a plaisir, ne m’en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d’un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d’un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu’on puisse recevoir des choses que l’on fait, c’est de les voir connues, de les voir caressées d’un applaudissement qui vous honore. Il n’y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.
 
'''Maître de musique'''<br>
PREMIER LAQUAIS: Que voulez-vous, Monsieur?
J’en demeure d’accord, et je les goûte comme vous. Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre ; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c’est de louer avec les mains. C’est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Aux deux maîtres.) Que dites-vous de mes livrées?
Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l’argent ; et l’intérêt est quelque chose de si bas, qu’il ne faut jamais qu’un honnête homme montre pour lui de l’attachement.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Elles sont magnifiques.
Vous recevez fort bien pourtant l’argent que notre homme vous donne.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN. Il entr'ouvre sa robe, et fait voir un haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu: Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.
Assurément ; mais je n’en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu’avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est galant.
Je le voudrais aussi, et c’est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde ; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Laquais!
Le voilà qui vient.
 
PREMIER LAQUAIS: Monsieur.
 
{{scène|II}}
MONSIEUR JOURDAIN: L'autre laquais!
 
<center>''Monsieur Jourdain, Deux Laquais, Maître de musique, Maître à danser, Violons, Musiciens et Danseurs.''</center>
SECOND LAQUAIS: Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme cela?
Hé bien, Messieurs ? Qu’est-ce ? me ferez-vous voir votre petite drôlerie ?
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Fort bien. On ne peut pas mieux.
Comment ? quelle petite drôlerie ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voyons un peu votre affaire.
Eh la. comment appelez-vous cela ? Votre prologue ou dialogue de chansons et de danse.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.
Ah, ah !
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier, et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.
Vous nous y voyez préparés.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l'air est aussi beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement.
Je vous ai fait un peu attendre, mais c’est que je me fais habiller aujourd’hui comme les gens de qualité ; et mon tailleur m’a envoyé des bas de soie que j’ai pensé ne mettre jamais.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Donnez-moi ma robe pour mieux entendre. Attendez, je crois que je serai mieux sans robe. Non; redonnez-la-moi, cela ira mieux.
Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MUSICIEN, chantant:
Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu’on ne m’ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.
 
'''Maître à danser'''<br>
''Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,
Tout ce qu’il vous plaira.
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas! que pourriez-vous faire à vos ennemis?''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort; je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là.
Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu’à la tête.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il faut, Monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles.
Nous n’en doutons point.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: On m'en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez. Là. comment est-ce qu'il dit?
Je me suis fait faire cette indienne-ci.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Par ma foi! je ne sais.
Elle est fort belle.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il y a du mouton dedans.
Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Du mouton?
Cela vous sied à merveille.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui. Ah!
Laquais ! holà, mes deux laquais !
Monsieur Jourdain chante.
 
'''Premier laquais'''<br>
''Je croyais Janneton
Que voulez-vous, Monsieur ?
Aussi douce que belle,
Je croyais Janneton
Plus douce qu'un mouton:
Hélas! hélas! elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle,
Que n'est le tigre aux bois.''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
N'est-il pas joli?
Rien. C’est pour voir si vous m’entendez bien. (''Aux deux maîtres.'') Que dites-vous de mes livrées ?
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Le plus joli du monde.
Elles sont magnifiques.
 
'''Monsieur Jourdain'''. ''Il entr’ouvre sa robe, et fait voir un haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu.''<br>
MAÎTRE À DANSER: Et vous le chantez bien.
Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est sans avoir appris la musique.
Il est galant.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.
Laquais !
 
'''Premier laquais'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses.
Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique?
L’autre laquais !
 
'''Second laquais'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, Monsieur.
Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre; car, outre le Maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un Maître de philosophie, qui doit commencer ce matin.
Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme cela ?
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: La philosophie est quelque chose; mais la musique, Monsieur, la musique.
Fort bien. On ne peut pas mieux.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE À DANSER: La musique et la danse. La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut.
Voyons un peu votre affaire.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il n'y a rien qui soit si utile dans un état que la musique.
Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu’il vient de composer pour la sérénade que vous m’avez demandée. C’est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse.
Oui, mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier, et vous n’étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Sans la musique, un état ne peut subsister.
Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d’écolier vous abuse. Ces sortes d’écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l’air est aussi beau qu’il s’en puisse faire. Écoutez seulement.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Sans la danse, un homme ne saurait rien faire.
Donnez-moi ma robe pour mieux entendre. Attendez, je crois que je serai mieux sans robe. Non ; redonnez-la-moi, cela ira mieux.
 
'''Musicien''', ''chantant'' :<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique.
''Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,''<br>
''Depuis qu’à vos rigueurs vos beaux yeux m’ont soumis ;''<br>
''Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,''<br>
''Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ?''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout cela n'est venu que faute de savoir danser.
Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort ; je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment cela?
Il faut, Monsieur, que l’air soit accommodé aux paroles.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes?
On m’en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez. Là. comment est-ce qu’il dit ?
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai.
Par ma foi ! je ne sais.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle?
Il y a du mouton dedans.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous avez raison.
Du mouton ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un état, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours: "Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire"?
Oui. Ah !<br>
<br>
(''Monsieur Jourdain chante'')<br>
<br>
''Je croyais Janneton''<br>
''Aussi douce que belle,''<br>
''Je croyais Janneton''<br>
''Plus douce qu’un mouton :''<br>
''Hélas ! hélas ! elle est cent fois,''<br>
''Mille fois plus cruelle,''<br>
''Que n’est le tigre aux bois.''<br>
<br>
N’est-il pas joli ?
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, on dit cela.
Le plus joli du monde.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE À DANSER: Et faire un mauvais pas peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser?
Et vous le chantez bien.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai, vous avez raison tous deux.
C’est sans avoir appris la musique.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE À DANSER: C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique.
Vous devriez l’apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je comprends cela à cette heure.
Et qui ouvrent l’esprit d’un homme aux belles choses.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Voulez-vous voir nos deux affaires?
Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ?
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui.
Oui, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.
Je l’apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car, outre le Maître d’armes qui me montre, j’ai arrêté encore un Maître de philosophie, qui doit commencer ce matin.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien.
La philosophie est quelque chose ; mais la musique, Monsieur, la musique.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Allons, avancez. Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en bergers.
La musique et la danse. La musique et la danse, c’est là tout ce qu’il faut.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi toujours des bergers? On ne voit que cela partout.
Il n’y a rien qui soit si utile dans un état que la musique.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers; et il n'est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions.
Il n’y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Passe, passe. Voyons.
Sans la musique, un état ne peut subsister.
 
'''Maître à danser'''<br>
DIALOGUE EN MUSIQUE
Sans la danse, un homme ne saurait rien faire.
 
'''Maître de musique'''<br>
UNE MUSICIENNE ET DEUX MUSICIENS
Tous les désordres, toutes les guerres qu’on voit dans le monde, n’arrivent que pour n’apprendre pas la musique.
 
'''Maître à danser'''<br>
''Un cœur, dans l'amoureux empire,
Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout cela n’est venu que faute de savoir danser.
De mille soins est toujours agité:
On dit qu'avec plaisir on languit, on soupire;
Mais, quoi qu'on puisse dire,
Il n'est rien de si doux que notre liberté.''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
PREMIER MUSICIEN
Comment cela ?
 
'''Maître de musique'''<br>
''Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs
La guerre ne vient-elle pas d’un manque d’union entre les hommes ?
Qui font vivre deux cours
Dans une même envie.
On ne peut être heureux sans amoureux désirs:
ôtez l'amour de la vie,
Vous en ôtez les plaisirs.''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECOND MUSICIEN
Cela est vrai.
 
'''Maître de musique'''<br>
''Il serait doux d'entrer sous l'amoureuse loi,
Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s’accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ?
Si l'on trouvait en amour de la foi;
Mais, hélas! Ô rigueur cruelle!
On ne voit point de bergère fidèle,
Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour,
Doit faire pour jamais renoncer à l'amour.''
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
PREMIER MUSICIEN
Vous avez raison.
 
'''Maître à danser'''<br>
Aimable ardeur,
Lorsqu’un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d’un état, ou au commandement d’une armée, ne dit-on pas toujours : « Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire » ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MUSICIENNE
Oui, on dit cela.
 
'''Maître à danser'''<br>
Franchise heureuse,
Et faire un mauvais pas peut-il procéder d’autre chose que de ne savoir pas danser ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECOND MUSICIEN
Cela est vrai, vous avez raison tous deux.
 
'''Maître à danser'''<br>
Sexe trompeur,
C’est pour vous faire voir l’excellence et l’utilité de la danse et de la musique.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
PREMIER MUSICIEN
Je comprends cela à cette heure.
 
'''Maître de musique'''<br>
Que tu m'es précieuse!
Voulez-vous voir nos deux affaires ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MUSICIENNE
Oui.
 
'''Maître de musique'''<br>
Que tu plais à mon cœur!
Je vous l’ai déjà dit, c’est un petit essai que j’ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECOND MUSICIEN
Fort bien.
 
'''Maître de musique'''<br>
Que tu me fais d'horreur!
Allons, avancez. Il faut vous figurer qu’ils sont habillés en bergers.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
PREMIER MUSICIEN
Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout.
 
'''Maître à danser'''<br>
Ah! quitte pour aimer cette haine mortelle.
Lorsqu’on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n’est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MUSICIENNE
Passe, passe. Voyons.
 
<center>
On peut, on peut te montrer
<br>
Une bergère fidèle.
'''DIALOGUE EN MUSIQUE'''<br>
<br>
'''Une musicienne et deux musiciens'''<br>
''Un cœur, dans l’amoureux empire,''<br>
''De mille soins est toujours agité :''<br>
''On dit qu’avec plaisir on languit, on soupire ;''<br>
''Mais, quoi qu’on puisse dire,''<br>
''Il n’est rien de si doux que notre liberté.''<br>
<br>
'''Premier musicien'''<br>
''Il n’est rien de si doux que les tendres ardeurs''<br>
''Qui font vivre deux cours''<br>
''Dans une même envie.''<br>
''On ne peut être heureux sans amoureux désirs :''<br>
''Ôtez l’amour de la vie,''<br>
''Vous en ôtez les plaisirs.<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Il serait doux d’entrer sous l’amoureuse loi,''<br>
''Si l’on trouvait en amour de la foi ;''<br>
''Mais, hélas ! Ô rigueur cruelle !''<br>
''On ne voit point de bergère fidèle,''<br>
''Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour,''<br>
''Doit faire pour jamais renoncer à l’amour.<br>
<br>
'''Premier musicien'''<br>
''Aimable ardeur,''<br>
<br>
'''Musicienne'''<br>
''Franchise heureuse,''<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Sexe trompeur,''<br>
<br>
'''Premier musicien'''<br>
''Que tu m’es précieuse !''<br>
<br>
'''Musicienne'''<br>
''Que tu plais à mon cœur !''<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Que tu me fais d’horreur !''<br>
<br>
'''Premier musicien'''<br>
''Ah ! quitte pour aimer cette haine mortelle.''<br>
<br>
'''Musicienne'''<br>
''On peut, on peut te montrer''<br>
''Une bergère fidèle.''<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Hélas ! où la rencontrer ?''<br>
<br>
'''Musicienne'''<br>
''Pour défendre notre gloire,''<br>
''Je te veux offrir mon cœur.''<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Mais, bergère, puis-je croire''<br>
''Qu’il ne sera point trompeur ?''<br>
<br>
'''Musicienne'''<br>
''Voyez par expérience''<br>
''Qui des deux aimera mieux.''<br>
<br>
'''Second musicien'''<br>
''Qui manquera de constance,''<br>
''Le puissent perdre les Dieux !''<br>
<br>
'''Tous trois'''<br>
''À des ardeurs si belles''<br>
''Laissons-nous enflammer :''<br>
''Ah ! qu’il est doux d’aimer,''<br>
''Quand deux cours sont fidèles !''<br>
<br>
</center>
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECOND MUSICIEN
Est-ce tout ?
 
'''Maître de musique'''<br>
Hélas! où la rencontrer?
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MUSICIENNE
Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis.
 
'''Maître à danser'''<br>
Pour défendre notre gloire,
Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée.
Je te veux offrir mon cœur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECOND MUSICIEN
Sont-ce encore des bergers ?
 
'''Maître à danser'''<br>
Mais, bergère, puis-je croire
C’est ce qu’il vous plaira. Allons.
Qu'il ne sera point trompeur?
 
''Quatre danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède.''
MUSICIENNE
 
Voyez par expérience
Qui des deux aimera mieux.
 
{{acte|II}}
SECOND MUSICIEN
 
Qui manquera de constance,
Le puissent perdre les Dieux!
 
{{scène|I}}
TOUS TROIS
 
<center>''Monsieur Jourdain, Maître de musique, Maître à danser, Laquais.''</center>
À des ardeurs si belles
Laissons-nous enflammer:
Ah! qu'il est doux d'aimer,
Quand deux cours sont fidèles!
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce tout?
Voilà qui n’est point sot, et ces gens-là se trémoussent bien.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui.
Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d’effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis.
C’est pour tantôt au moins ; et la personne pour qui j’ai fait faire tout cela, me doit faire l’honneur de venir dîner céans.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée.
Tout est prêt.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Sont-ce encore des bergers?
Au reste, Monsieur, ce n’est pas assez : il faut qu’une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l’inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE à DANSER: C'est ce qu'il vous plaira. Allons.
Est-ce que les gens de qualité en ont ?
 
'''Maître de musique'''<br>
Quatre danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède.
Oui, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
==ACTE II==
J’en aurai donc. Cela sera-t-il beau ?
===SCÈNE I===
MONSIEUR JOURDAIN, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, LAQUAIS.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà qui n'est point sot, et ces gens-là se trémoussent bien.
Sans doute. Il vous faudra trois voix : un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d’une basse de viole, d’un théorbe, et d’un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritornelles.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d'effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous.
Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est pour tantôt au moins; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela, me doit faire l'honneur de venir dîner céans.
Laissez-nous gouverner les choses.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Tout est prêt.
Au moins n’oubliez pas tantôt de m’envoyer des musiciens, pour chanter à table.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Au reste, Monsieur, ce n'est pas assez: il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.
Vous aurez tout ce qu’il vous faut.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce que les gens de qualité en ont?
Mais surtout, que le ballet soit beau.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, Monsieur.
Vous en serez content, et, entre autres choses, de certains menuets que vous y verrez.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau?
Ah ! les menuets sont ma danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon maître.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Sans doute. Il vous faudra trois voix: un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d'une basse de viole, d'un théorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritornelles.
Un chapeau, Monsieur, s’il vous plaît. La, la, la ; la, la, la, la, la, la ; la, la, la, bis ; la, la, la ; la, la. En cadence, s’il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la ; la, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux.
Euh ?
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Laissez-nous gouverner les choses.
Voilà qui est le mieux du monde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Au moins n'oubliez pas tantôt de m'envoyer des musiciens, pour chanter à table.
À propos. Apprenez-moi comme il faut faire une révérence pour saluer une marquise : j’en aurai besoin tantôt.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous aurez tout ce qu'il vous faut.
Une révérence pour saluer une marquise ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mais surtout, que le ballet soit beau.
Oui : une marquise qui s’appelle Dorimène.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous en serez content, et, entre autres choses, de certains menuets que vous y verrez.
Donnez-moi la main.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! les menuets sont ma danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon maître.
Non. Vous n’avez qu’à faire : je le retiendrai bien.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Un chapeau, Monsieur, s'il vous plaît. La, la, la; la, la, la, la, la, la; la, la, la, bis; la, la, la; la, la. En cadence, s'il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la; la, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps.
Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d’abord une révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu’à ses genoux.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Euh?
Faites un peu. Bon.
 
'''Premier laquais'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Voilà qui est le mieux du monde.
Monsieur, voilà votre maître d’armes qui est là.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: à propos. Apprenez-moi comme il faut faire une révérence pour saluer une marquise: j'en aurai besoin tantôt.
Dis-lui qu’il entre ici pour me donner leçon. Je veux que vous me voyiez faire.
 
MAÎTRE à DANSER: Une révérence pour saluer une marquise?
 
{{scène|II}}
MONSIEUR JOURDAIN: Oui: une marquise qui s'appelle Dorimène.
 
<center>''Maître d’armes, Maître de musique, Maître à danser, Monsieur Jourdain, Deux Laquais.''</center>
MAÎTRE à DANSER: Donnez-moi la main.
 
'''Maître d’armes''', ''après lui avoir mis le fleuret à la main.''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non. Vous n'avez qu'à faire: je le retiendrai bien.
Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l’opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l’œil. L’épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez ! Le corps ferme. Touchez-moi l’épée de quarte, et achevez de même ! Une, deux. Remettez-vous ! Redoublez de pied ferme ! Une, deux. Un saut en arrière. Quand vous portez la botte, Monsieur, il faut que l’épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l’épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Une, deux. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde.
 
'''Le Maître d’armes''' ''lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant.''<br>
MAÎTRE à DANSER: Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d'abord une révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu'à ses genoux.
En garde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Faites un peu. Bon.
Euh ?
 
'''Maître de musique'''<br>
PREMIER LAQUAIS: Monsieur, voilà votre maître d'armes qui est là.
Vous faites des merveilles.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Dis-lui qu'il entre ici pour me donner leçon. Je veux que vous me voyiez faire.
Je vous l’ai déjà dit, tout le secret des armes ne consiste qu’en deux choses, à donner, et à ne point recevoir ; et comme je vous fis voir l’autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l’épée de votre ennemi de la ligne de votre corps : ce qui ne dépend seulement que d’un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE II===
De cette façon donc, un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n’être point tué.
MAÎTRE D'ARMES, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE D'ARMES, après lui avoir mis le fleuret à la main: Allons, Monsieur, la révérence. Votre corps droit. Un peu penché sur la cuisse gauche. Les jambes point tant écartées. Vos pieds sur une même ligne. Votre poignet à l'opposite de votre hanche. La pointe de votre épée vis-à-vis de votre épaule. Le bras pas tout à fait si étendu. La main gauche à la hauteur de l'œil. L'épaule gauche plus quartée. La tête droite. Le regard assuré. Avancez! Le corps ferme. Touchez-moi l'épée de quarte, et achevez de même! Une, deux. Remettez-vous! Redoublez de pied ferme! Une, deux. Un saut en arrière. Quand vous portez la botte, Monsieur, il faut que l'épée parte la première, et que le corps soit bien effacé. Une, deux. Allons, touchez-moi l'épée de tierce, et achevez de même. Avancez. Le corps ferme. Avancez. Partez de là. Une, deux. Remettez-vous. Redoublez. Une, deux. Un saut en arrière. En garde, Monsieur, en garde.
Sans doute. N’en vîtes-vous pas la démonstration ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Le Maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant: "En garde" .
Oui.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Euh?
Et c’est en quoi l’on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un état, et combien la science des armes l’emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la…
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous faites des merveilles.
Tout beau, Monsieur le tireur d’armes : ne parlez de la danse qu’avec respect.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Je vous l'ai déjà dit, tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses, à donner, et à ne point recevoir; et comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps: ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet ou en dedans, ou en dehors.
Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l’excellence de la musique.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: De cette façon donc, un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué.
Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne !
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration?
Voyez un peu l’homme d’importance !
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui.
Voilà un plaisant animal, avec son plastron !
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un état, et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la.
Mon petit maître à danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferais chanter de la belle manière.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Tout beau, Monsieur le tireur d'armes: ne parlez de la danse qu'avec respect.
Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.
 
'''Monsieur Jourdain''', ''au Maître à danser.''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique.
ètes-vous fou de l’aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ?
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Vous êtes de plaisantes gens, de vouloir comparer vos sciences à la mienne!
Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce et de sa quarte.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Voyez un peu l'homme d'importance!
Tout doux, vous dis-je.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Voilà un plaisant animal, avec son plastron!
Comment ? petit impertinent.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Mon petit maître à danser, je vous ferais danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferais chanter de la belle manière.
Eh ! mon Maître d’armes !
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.
Comment ? grand cheval de carrosse.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN, au Maître à danser: ètes-vous fou de l'aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative?
Eh ! mon Maître à danser.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Je me moque de sa raison démonstrative, et de sa tierce et de sa quarte.
Si je me jette sur vous.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tout doux, vous dis-je.
Doucement !
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Comment? petit impertinent.
Si je mets sur vous la main.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Eh! mon Maître d'armes!
Tout beau !
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Comment? grand cheval de carrosse.
Je vous étrillerai d’un air.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Eh! mon Maître à danser.
De grâce !
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Si je me jette sur vous.
Je vous rosserai d’une manière.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Doucement!
Je vous prie !
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Si je mets sur vous la main.
Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tout beau!
Mon Dieu ! arrêtez-vous.
 
MAÎTRE D'ARMES: Je vous étrillerai d'un air.
 
{{scène|III}}
MONSIEUR JOURDAIN: De grâce!
 
<center>''Maître de philosophie, Maître de musique, Maître à danser, Maître d’armes, Monsieur Jourdain, Laquais.''</center>
MAÎTRE à DANSER: Je vous rosserai d'une manière.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous prie!
Holà, Monsieur le philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes-ci.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.
Qu’est-ce donc ? qu’y a-t-il, Messieurs ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mon Dieu! arrêtez-vous.
Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs professions, jusqu’à se dire des injures, et en vouloir venir aux mains.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
===SCÈNE III===
Hé quoi ? Messieurs, faut-il s’emporter de la sorte ? et n’avez-vous point lu le docte traité que Sénèque a composé de la colère ? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d’un homme une bête féroce ? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, MAÎTRE D'ARMES, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Holà, Monsieur le philosophe, vous arrivez tout à propos avec votre philosophie. Venez un peu mettre la paix entre ces personnes-ci.
Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse que j’exerce, et la musique dont il fait profession ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Qu'est-ce donc? qu'y a-t-il, Messieurs?
Un homme sage est au-dessus de toutes les injures qu’on lui peut dire, et la grande réponse qu’on doit faire aux outrages, c’est la modération et la patience.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ils se sont mis en colère pour la préférence de leurs professions, jusqu'à se dire des injures, et en vouloir venir aux mains.
Ils ont tous deux l’audace de vouloir comparer leurs professions à la mienne.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Hé quoi? Messieurs, faut-il s'emporter de la sorte? et n'avez-vous point lu le docte traité que Sénèque a composé de la colère? Y a-t-il rien de plus bas et de plus honteux que cette passion, qui fait d'un homme une bête féroce? et la raison ne doit-elle pas être maîtresse de tous nos mouvements?
Faut-il que cela vous émeuve ? Ce n’est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent disputer entre eux ; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c’est la sagesse et la vertu.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Comment, Monsieur, il vient nous dire des injures à tous deux, en méprisant la danse que j'exerce, et la musique dont il fait profession?
Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d’honneur.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Un homme sage est au-dessus de toutes les injures qu'on lui peut dire, et la grande réponse qu'on doit faire aux outrages, c'est la modération et la patience.
Et moi, que la musique en est une que tous les siècles ont révérée.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Ils ont tous deux l'audace de vouloir comparer leurs professions à la mienne.
Et moi, je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Faut-il que cela vous émeuve? Ce n'est pas de vaine gloire et de condition que les hommes doivent disputer entre eux; et ce qui nous distingue parfaitement les uns des autres, c'est la sagesse et la vertu.
Et que sera donc la philosophie ? Je vous trouve tous trois bien impertinents de parler devant moi avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science à des choses que l’on ne doit pas même honorer du nom d’art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin !
 
'''Maître d’armes'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Je lui soutiens que la danse est une science à laquelle on ne peut faire assez d'honneur.
Allez ! philosophe de chien.
 
'''Maître de musique'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Et moi, que la musique en est une que tous les siècles ont révérée.
Allez ! belître de pédant.
 
'''Maître à danser'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: Et moi, je leur soutiens à tous deux que la science de tirer des armes est la plus belle et la plus nécessaire de toutes les sciences.
Allez ! cuistre fieffé.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et que sera donc la philosophie? Je vous trouve tous trois bien impertinents de parler devant moi avec cette arrogance, et de donner impudemment le nom de science à des choses que l'on ne doit pas même honorer du nom d'art, et qui ne peuvent être comprises que sous le nom de métier misérable de gladiateur, de chanteur, et de baladin!
Comment ? marauds que vous êtes.
 
''Le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups, et sortent en se battant.''
MAÎTRE D'ARMES: Allez! philosophe de chien.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE MUSIQUE: Allez! belître de pédant.
Monsieur le philosophe.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Allez! cuistre fieffé.
Infâmes ! coquins ! insolents !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Comment? marauds que vous êtes.
Monsieur le philosophe.
Le philosophe se jette sur eux, et tous trois le chargent de coups, et sortent en se battant.
 
'''Maître d’armes'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.
La peste l’animal !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Infâmes! coquins! insolents!
Messieurs.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.
Impudents !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE D'ARMES: La peste l'animal!
Monsieur le philosophe.
 
'''Maître à danser'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.
Diantre soit de l’âne bâté !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Impudents!
Messieurs.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.
Scélérats !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE à DANSER: Diantre soit de l'âne bâté!
Monsieur le philosophe.
 
'''Maître de musique'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.
Au diable l’impertinent !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Scélérats!
Messieurs.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le philosophe.
Fripons ! gueux ! traîtres ! imposteurs !
 
''Ils sortent.''
MAÎTRE DE MUSIQUE: Au diable l'impertinent!
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Messieurs.
Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh ! battez-vous tant qu’il vous plaira : je n’y saurais que faire, et je n’irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou de m’aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal.
 
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Fripons! gueux! traîtres! imposteurs!
Ils sortent.
 
{{scène|IV}}
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe, Messieurs, Monsieur le Philosophe. Oh! battez-vous tant qu'il vous plaira: je n'y saurais que faire, et je n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou de m'aller fourrer parmi eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal.
 
<center>''Maître de philosophie, Monsieur Jourdain.''</center>
===SCÈNE IV===
MAÎTRE de philosophie, monsieur Jourdain.
 
MAÎTRE'''Maître DEde PHILOSOPHIEphilosophie''', ''en raccommodant son collet: Venons à notre leçon.''<br>
Venons à notre leçon.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! Monsieur, je suis fâché des coups qu'ils vous ont donnés.
Ah ! Monsieur, je suis fâché des coups qu’ils vous ont donnés.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Cela n'est rien. Un philosophe sait recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux une satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre?
Cela n’est rien. Un philosophe sait recevoir comme il faut les choses, et je vais composer contre eux une satire du style de Juvénal, qui les déchirera de la belle façon. Laissons cela. Que voulez-vous apprendre ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tout ce que je pourrai, car j'ai toutes les envies du monde d'être savant; et j'enrage que mon père et ma mère ne m'aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j'étais jeune.
Tout ce que je pourrai, car j’ai toutes les envies du monde d’être savant ; et j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j’étais jeune.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Ce sentiment est raisonnable: nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin sans doute.
Ce sentiment est raisonnable : nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin sans doute.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais faites comme si je ne le savais pas: expliquez-moi ce que cela veut dire.
Oui, mais faites comme si je ne le savais pas : expliquez-moi ce que cela veut dire.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Cela veut dire que sans la science, la vie est presque une image de la mort.
Cela veut dire que sans la science, la vie est presque une image de la mort.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ce latin-là a raison.
Ce latin-là a raison.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: N'avez-vous point quelques principes, quelques commencements des sciences?
N’avez-vous point quelques principes, quelques commencements des sciences ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oh! oui, je sais lire et écrire.
Oh ! oui, je sais lire et écrire.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Par où vous plaît-il que nous commencions? Voulez-vous que je vous apprenne la logique?
Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est que cette logique?
Qu’est-ce que c’est que cette logique ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit.
C’est elle qui enseigne les trois opérations de l’esprit.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qui sont-elles, ces trois opérations de l'esprit?
Qui sont-elles, ces trois opérations de l’esprit ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La première, la seconde, et la troisième. La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des catégories; et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures barbara, celarent, darii, ferio, baralipton, etc.
La première, la seconde, et la troisième. La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des catégories ; et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures barbara, celarent, darii, ferio, baralipton, etc.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli.
Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Voulez-vous apprendre la morale?
Voulez-vous apprendre la morale ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: La morale?
La morale ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Oui.
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce qu'elle dit cette morale?
Qu’est-ce qu’elle dit cette morale ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et...
Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et…
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les diables; et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie.
Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les diables ; et il n’y a morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m’en prend envie.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Est-ce la physique que vous voulez apprendre?
Est-ce la physique que vous voulez apprendre ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce qu'elle chante cette physique?
Qu’est-ce qu’elle chante cette physique ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores, l'arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons.
La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps ; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores, l’arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini.
Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Que voulez-vous donc que je vous apprenne?
Que voulez-vous donc que je vous apprenne ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Apprenez-moi l'orthographe.
Apprenez-moi l’orthographe.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Très volontiers.
Très volontiers.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Après vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a point.
Après vous m’apprendrez l’almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n’y en a point.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l'ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu'elles expriment les voix; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix: A, E, I, O, U.
Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j’ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu’elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu’elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: J'entends tout cela.
J’entends tout cela.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix A se forme en ouvrant fort la bouche: A.
La voix A se forme en ouvrant fort la bouche : A.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: A, A. Oui.
A, A. Oui.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d'en bas de celle d'en haut: A, E.
La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut : A, E.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: A, E, A, E. Ma foi! oui. Ah! que cela est beau!
A, E, A, E. Ma foi ! oui. Ah ! que cela est beau !
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et la voix I en rapprochant encore davantage les mâchoires l'une de l'autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles: A, E, I.
Et la voix I en rapprochant encore davantage les mâchoires l’une de l’autre, et écartant les deux coins de la bouche vers les oreilles : A, E, I.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la science!
A, E, I, I, I, I. Cela est vrai. Vive la science !
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix O se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas: O.
La voix O se forme en rouvrant les mâchoires, et rapprochant les lèvres par les deux coins, le haut et le bas : O.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: O, O. Il n'y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable! I, I, I, O.
O, O. Il n’y a rien de plus juste. A, E, I, O, I, O. Cela est admirable ! I, I, I, O.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: L'ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O.
L’ouverture de la bouche fait justement comme un petit rond qui représente un O.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: O, O, O. Vous avez raison, O. Ah! la belle chose, que de savoir quelque chose!
O, O, O. Vous avez raison, O. Ah ! la belle chose, que de savoir quelque chose !
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l'une de l'autre sans les rejoindre tout à fait: U.
La voix U se forme en rapprochant les dents sans les joindre entièrement, et allongeant les deux lèvres en dehors, les approchant aussi l’une de l’autre sans les rejoindre tout à fait : U.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: U, U. Il n'y a rien de plus véritable: U.
U, U. Il n’y a rien de plus véritable : U.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Vos deux lèvres s'allongent comme si vous faisiez la moue: d'où vient que si vous la voulez faire à quelqu'un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que: u.
Vos deux lèvres s’allongent comme si vous faisiez la moue : d’où vient que si vous la voulez faire à quelqu’un, et vous moquer de lui, vous ne sauriez lui dire que : U.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: U, u. Cela est vrai. Ah! que n'ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela?
U, U. Cela est vrai. Ah ! que n’ai-je étudié plus tôt, pour savoir tout cela ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.
Demain, nous verrons les autres lettres, qui sont les consonnes.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce qu'il y a des choses aussi curieuses qu'à celles-ci?
Est-ce qu’il y a des choses aussi curieuses qu’à celles-ci ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut: da.
Sans doute. La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d’en haut : da.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Da, da. Oui. Ah! les belles choses! les belles choses!
Da, da. Oui. Ah ! les belles choses ! les belles choses !
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: L'F en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous: Fa.
L’F en appuyant les dents d’en haut sur la lèvre de dessous : Fa.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Fa, fa. C'est la vérité. Ah! mon père et ma mère, que je vous veux de mal!
Fa, fa. C’est la vérité. Ah ! mon père et ma mère, que je vous veux de mal !
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais, de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement: Rra.
Et l’R, en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais, de sorte qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : Rra.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: R, r, ra; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah! l'habile homme que vous êtes! et que j'ai perdu de temps! R, r, r, ra.
R, r, ra ; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah ! l’habile homme que vous êtes ! et que j’ai perdu de temps ! R, r, r, ra.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités.
Je vous expliquerai à fond toutes ces curiosités.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.
Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Fort bien.
Fort bien.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cela sera galant, oui.
Cela sera galant, oui.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire?
Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, non, point de vers.
Non, non, point de vers.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Vous ne voulez que de la prose?
Vous ne voulez que de la prose ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, je ne veux ni prose ni vers.
Non, je ne veux ni prose ni vers.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien que ce soit l'un, ou l'autre.
Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi?
Pourquoi ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer que la prose, ou les vers.
Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a que la prose ou les vers?
Il n’y a que la prose ou les vers ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Non, Monsieur: tout ce qui n'est point prose est vers; et tout ce qui n'est point vers est prose.
Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Et comme l'on parle qu'est-ce que c'est donc que cela?
Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: De la prose.
De la prose.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quoi? quand je dis: "Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit" , c'est de la prose?
Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Oui, Monsieur.
Oui, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Par ma foi! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet: ''Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour''; mais je voudrais que cela fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment.
Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un...
Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d’un…
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, non, non, je ne veux point tout cela; je ne veux que ce que je vous ai dit: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien étendre un peu la chose.
Il faut bien étendre un peu la chose.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet; mais tournées à la mode; bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.
Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode ; bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: On les peut mettre premièrement comme vous avez dit: ''Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour''. Ou bien: ''D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux''. Ou bien: ''Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir''. Ou bien: ''Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font''. Ou bien: ''Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour''.
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit.''<br>
« Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Ou bien : « D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux ». Ou bien : « Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir ». Ou bien : « Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font ». Ou bien : « Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour ».
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?
Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Celle que vous avez dite: Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
Celle que vous avez dite : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ».
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cependant je n'ai point étudié, et j'ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, et vous prie de venir demain de bonne heure.
 
'''Maître de philosophie'''<br>
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Je n'y manquerai pas.
Je n’y manquerai pas.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment? mon habit n'est point encore arrivé?
Comment ? mon habit n’est point encore arrivé ?
 
'''Second laquais'''<br>
SECOND LAQUAIS: Non, Monsieur.
Non, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ai tant d'affaires. J'enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer bien fort le bourreau de tailleur! Au diable le tailleur! La peste étouffe le tailleur! Si je le tenais maintenant, ce tailleur détestable, ce chien de tailleur-là, ce traître de tailleur, je...
Ce maudit tailleur me fait bien attendre pour un jour où j’ai tant d’affaires. J’enrage. Que la fièvre quartaine puisse serrer bien fort le bourreau de tailleur ! Au diable le tailleur ! La peste étouffe le tailleur ! Si je le tenais maintenant, ce tailleur détestable, ce chien de tailleur-là, ce traître de tailleur, je…
 
===SCÈNE V===
MAÎTRE TAILLEUR, GARÇON TAILLEUR, portant l'habit de M. Jourdain, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.
 
{{scène|V}}
MONSIEUR JOURDAIN: Ah vous voilà! je m'allais mettre en colère contre vous.
 
<center>''Maître tailleur, Garçon tailleur portant l’habit de M. Jourdain, Monsieur Jourdain, Laquais.''</center>
MAÎTRE TAILLEUR: Je n'ai pas pu venir plus tôt, et j'ai mis vingt garçons après votre habit.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous m'avez envoyé des bas de soie si étroits, que j'ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a deux mailles de rompues.
Ah vous voilà ! je m’allais mettre en colère contre vous.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Ils ne s'élargiront que trop.
Je n’ai pas pu venir plus tôt, et j’ai mis vingt garçons après votre habit.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement.
Vous m’avez envoyé des bas de soie si étroits, que j’ai eu toutes les peines du monde à les mettre, et il y a deux mailles de rompues.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Point du tout, Monsieur.
Ils ne s’élargiront que trop.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment, point du tout?
Oui, si je romps toujours des mailles. Vous m’avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Non, ils ne vous blessent point.
Point du tout, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous dis qu'ils me blessent, moi.
Comment, point du tout ?
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Vous vous imaginez cela.
Non, ils ne vous blessent point.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je me l'imagine, parce que je le sens. Voyez la belle raison!
Je vous dis qu’ils me blessent, moi.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Tenez, voilà le plus bel habit de la cour, et le mieux assorti. C'est un chef-d'œuvre que d'avoir inventé un habit sérieux qui ne fût pas noir; et je le donne en six coups aux tailleurs les plus éclairés.
Vous vous imaginez cela.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est que ceci? Vous avez mis les fleurs en enbas.
Je me l’imagine, parce que je le sens. Voyez la belle raison !
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Vous ne m'aviez pas dit que vous les vouliez en enhaut.
Tenez, voilà le plus bel habit de la cour, et le mieux assorti. C’est un chef-d’œuvre que d’avoir inventé un habit sérieux qui ne fût pas noir ; et je le donne en six coups aux tailleurs les plus éclairés.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce qu'il faut dire cela?
Qu’est-ce que c’est que ceci ? Vous avez mis les fleurs en enbas.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Oui, vraiment. Toutes les personnes de qualité les portent de la sorte.
Vous ne m’aviez pas dit que vous les vouliez en enhaut.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Les personnes de qualité portent les fleurs en enbas?
Est-ce qu’il faut dire cela ?
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Oui, Monsieur.
Oui, vraiment. Toutes les personnes de qualité les portent de la sorte.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oh! voilà qui est donc bien.
Les personnes de qualité portent les fleurs en enbas ?
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Si vous voulez, je les mettrai en enhaut.
Oui, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, non.
Oh ! voilà qui est donc bien.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Vous n'avez qu'à dire.
Si vous voulez, je les mettrai en enhaut.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, vous dis-je; vous avez bien fait. Croyez-vous que mon habit m'aille bien?
Non, non.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Belle demande! Je défie un peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J'ai chez moi un garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand génie du monde; et un autre qui, pour assembler un pourpoint, est le héros de notre temps.
Vous n’avez qu’à dire.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: La perruque, et les plumes sont-elles comme il faut?
Non, vous dis-je ; vous avez bien fait. Croyez-vous que mon habit m’aille bien ?
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Tout est bien.
Belle demande ! Je défie un peintre, avec son pinceau, de vous faire rien de plus juste. J’ai chez moi un garçon qui, pour monter une rhingrave, est le plus grand génie du monde ; et un autre qui, pour assembler un pourpoint, est le héros de notre temps.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN, en regardant l'habit du tailleur: Ah, ah! Monsieur le tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habit que vous m'avez fait. Je la reconnais bien.
La perruque, et les plumes sont-elles comme il faut ?
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: C'est que l'étoffe me sembla si belle, que j'en ai voulu lever un habit pour moi.
Tout est bien.
 
'''Monsieur Jourdain''', en regardant l’habit du tailleur.''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien.
Ah, ah ! Monsieur le tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habit que vous m’avez fait. Je la reconnais bien.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Voulez-vous mettre votre habit?
C’est que l’étoffe me sembla si belle, que j’en ai voulu lever un habit pour moi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, donnez-le-moi.
Oui, mais il ne fallait pas le lever avec le mien.
 
'''Maître tailleur'''<br>
MAÎTRE TAILLEUR: Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ai amené des gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes d'habits se mettent avec cérémonie. Holà! entrez, vous autres. Mettez cet habit à Monsieur, de la manière que vous faites aux personnes de qualité.
Voulez-vous mettre votre habit ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Quatre garçons tailleurs entrent, dont deux lui arrachent le haut-de-chausses de ses exercices, et deux autres la camisole; puis ils lui mettent son habit neuf; et M. Jourdain se promène entre eux, et leur montre son habit, pour voir s'il est bien. Le tout à la cadence de toute la symphonie.
Oui, donnez-le-moi.
 
'''Maître tailleur'''<br>
GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme, donnez, s'il vous plaît, aux garçons quelque chose pour boire.
Attendez. Cela ne va pas comme cela. J’ai amené des gens pour vous habiller en cadence, et ces sortes d’habits se mettent avec cérémonie. Holà ! entrez, vous autres. Mettez cet habit à Monsieur, de la manière que vous faites aux personnes de qualité.
 
''Quatre garçons tailleurs entrent, dont deux lui arrachent le haut-de-chausses de ses exercices, et deux autres la camisole ; puis ils lui mettent son habit neuf ; et M. Jourdain se promène entre eux, et leur montre son habit, pour voir s’il est bien. Le tout à la cadence de toute la symphonie.''
MONSIEUR JOURDAIN: Comment m'appelez-vous?
 
'''Garçon tailleur'''<br>
GARÇON TAILLEUR: Mon gentilhomme.
Mon gentilhomme, donnez, s’il vous plaît, aux garçons quelque chose pour boire.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: "Mon gentilhomme!" Voilà ce que c'est de se mettre en personne de qualité. Allez-vous-en demeurer toujours habillé en bourgeois, on ne vous dira point: "mon gentilhomme." Tenez, voilà pour "Mon gentilhomme."
Comment m’appelez-vous ?
 
'''Garçon tailleur'''<br>
GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous vous sommes bien obligés.
Mon gentilhomme.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: "Monseigneur" , oh, oh! "Monseigneur"! Attendez, mon ami: "Monseigneur" mérite quelque chose, et ce n'est pas une petite parole que "Monseigneur." Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne.
« Mon gentilhomme ! » Voilà ce que c’est de se mettre en personne de qualité. Allez-vous-en demeurer toujours habillé en bourgeois, on ne vous dira point : « mon gentilhomme ». Tenez, voilà pour « Mon gentilhomme ».
 
'''Garçon tailleur'''<br>
GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous allons boire tous à la santé de Votre Grandeur.
Monseigneur, nous vous sommes bien obligés.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: "Votre Grandeur!" Oh, oh, oh! Attendez, ne vous en allez pas. à moi "Votre Grandeur!" Ma foi, s'il va jusqu'à l'Altesse, il aura toute la bourse. Tenez, voilà pour Ma Grandeur.
« Monseigneur », oh, oh ! « Monseigneur » ! Attendez, mon ami : « Monseigneur » mérite quelque chose, et ce n’est pas une petite parole que « Monseigneur ». Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne.
 
'''Garçon tailleur'''<br>
GARÇON TAILLEUR: Monseigneur, nous la remercions très humblement de ses libéralités.
Monseigneur, nous allons boire tous à la santé de Votre Grandeur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il a bien fait: je lui allais tout donner.
« Votre Grandeur ! » Oh, oh, oh ! Attendez, ne vous en allez pas. à moi « Votre Grandeur ! » Ma foi, s’il va jusqu’à l’Altesse, il aura toute la bourse. Tenez, voilà pour Ma Grandeur.
 
'''Garçon tailleur'''<br>
Les quatre garçons tailleurs se réjouissent par une danse, qui fait le second intermède.
Monseigneur, nous la remercions très humblement de ses libéralités.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
==ACTE III==
Il a bien fait : je lui allais tout donner.
===SCÈNE I===
MONSIEUR JOURDAIN et ses deux LAQUAIS.
 
''Les quatre garçons tailleurs se réjouissent par une danse, qui fait le second intermède.''
MONSIEUR JOURDAIN: Suivez-moi, que j'aille un peu montrer mon habit par la ville; et surtout ayez soin tous deux de marcher immédiatement sur mes pas, afin qu'on voie bien que vous êtes à moi.
 
LAQUAIS: Oui, Monsieur.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques ordres. Ne bougez, la voilà.
 
{{acte|III}}
===SCÈNE II===
NICOLE, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Nicole!
 
{{scène|I}}
NICOLE: Plaît-il?
 
<center>''Monsieur Jourdain et ses Deux Laquais.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Écoutez.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE, rit: Hi, hi, hi, hi, hi.
Suivez-moi, que j’aille un peu montrer mon habit par la ville ; et surtout ayez soin tous deux de marcher immédiatement sur mes pas, afin qu’on voie bien que vous êtes à moi.
 
'''Laquais'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'as-tu à rire?
Oui, Monsieur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
Appelez-moi Nicole, que je lui donne quelques ordres. Ne bougez, la voilà.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Que veut dire cette coquine-là?
 
{{scène|II}}
NICOLE: Hi, hi, hi. Comme vous voilà bâti! Hi, hi, hi.
 
<center>''Nicole, Monsieur Jourdain, Laquais.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment donc?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Ah, ah! mon Dieu! Hi, hi, hi, hi, hi.
Nicole !
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quelle friponne est-ce là! Te moques-tu de moi?
Plaît-il ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Nenni, Monsieur, j'en serais bien fâchée. Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
Écoutez.
 
'''Nicole''', rit.''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je te baillerai sur le nez, si tu ris davantage.
Hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Monsieur, je ne puis pas m'en empêcher. Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
Qu’as-tu à rire ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tu ne t'arrêteras pas?
Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Monsieur, je vous demande pardon; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi.
Que veut dire cette coquine-là ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mais voyez quelle insolence!
Hi, hi, hi. Comme vous voilà bâti ! Hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Vous êtes tout à fait drôle comme cela. Hi, hi.
Comment donc ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je te.
Ah, ah ! mon Dieu ! Hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Je vous prie de m'excuser. Hi, hi, hi, hi.
Quelle friponne est-ce là ! Te moques-tu de moi ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t'appliquerai sur la joue le plus grand soufflet qui se soit jamais donné.
Nenni, Monsieur, j’en serais bien fâchée. Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus.
Je te baillerai sur le nez, si tu ris davantage.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Prends-y bien garde. Il faut que pour tantôt tu nettoies.
Monsieur, je ne puis pas m’en empêcher. Hi, hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hi, hi.
Tu ne t’arrêteras pas ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Que tu nettoies comme il faut.
Monsieur, je vous demande pardon ; mais vous êtes si plaisant, que je ne saurais me tenir de rire. Hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hi, hi.
Mais voyez quelle insolence !
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il faut, dis-je, que tu nettoies la salle, et...
Vous êtes tout à fait drôle comme cela. Hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hi, hi.
Je te.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Encore!
Je vous prie de m’excuser. Hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Tenez, Monsieur, battez-moi plutôt et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi.
Tiens, si tu ris encore le moins du monde, je te jure que je t’appliquerai sur la joue le plus grand soufflet qui se soit jamais donné.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: J'enrage.
Hé bien, Monsieur, voilà qui est fait, je ne rirai plus.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: De grâce, Monsieur, je vous prie de me laisser rire. Hi, hi, hi.
Prends-y bien garde. Il faut que pour tantôt tu nettoies.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Si je te prends.
Hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Monsieur, eur, je crèverai, ai, si je ne ris. Hi, hi, hi.
Que tu nettoies comme il faut.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mais a-t-on jamais vu une pendarde comme celle-là? Qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de recevoir mes ordres?
Hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Que voulez-vous que je fasse, Monsieur?
Il faut, dis-je, que tu nettoies la salle, et…
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Que tu songes, coquine, à préparer ma maison pour la compagnie qui doit venir tantôt.
Hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Ah, par ma foi! je n'ai plus envie de rire; et toutes vos compagnies font tant de désordre céans, que ce mot est assez pour me mettre en mauvaise humeur.
Encore !
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ne dois-je point pour toi fermer ma porte à tout le monde?
Tenez, Monsieur, battez-moi plutôt et me laissez rire tout mon soûl, cela me fera plus de bien. Hi, hi, hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Vous devriez au moins la fermer à certaines gens.
J’enrage.
 
'''Nicole'''<br>
===SCÈNE III===
De grâce, Monsieur, je vous prie de me laisser rire. Hi, hi, hi.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, NICOLE, LAQUAIS.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ah, ah! voici une nouvelle histoire. Qu'est-ce que c'est donc, mon mari, que cet équipage-là? Vous moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la sorte? et avez-vous envie qu'on se raille partout de vous?
Si je te prends.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi.
Monsieur, eur, je crèverai, ai, si je ne ris. Hi, hi, hi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Vraiment on n'a pas attendu jusqu'à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le monde.
Mais a-t-on jamais vu une pendarde comme celle-là ? Qui me vient rire insolemment au nez, au lieu de recevoir mes ordres ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qui est donc tout ce monde-là, s'il vous plaît?
Que voulez-vous que je fasse, Monsieur ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Tout ce monde-là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c'est que notre maison: on dirait qu'il est céans carême-prenant tous les jours; et dès le matin, de peur d'y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé.
Que tu songes, coquine, à préparer ma maison pour la compagnie qui doit venir tantôt.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers de la ville, pour l'apporter ici; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos beaux maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours.
Ah, par ma foi ! je n’ai plus envie de rire ; et toutes vos compagnies font tant de désordre céans, que ce mot est assez pour me mettre en mauvaise humeur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne.
Ne dois-je point pour toi fermer ma porte à tout le monde ?
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d'un maître à danser à l'âge que vous avez.
Vous devriez au moins la fermer à certaines gens.
 
NICOLE: Et d'un grand maître tireur d'armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle?
 
{{scène|III}}
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, ma servante, et ma femme.
 
<center>''Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Nicole, Laquais.''</center>
MADAME JOURDAIN: Est-ce que vous voulez apprendre à danser pour quand vous n'aurez plus de jambes?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
NICOLE: Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu'un?
Ah, ah ! voici une nouvelle histoire. Qu’est-ce que c’est donc, mon mari, que cet équipage-là ? Vous moquez-vous du monde, de vous être fait enharnacher de la sorte ? et avez-vous envie qu’on se raille partout de vous ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je: vous êtes des ignorantes l'une et l'autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela.
Il n’y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se railleront de moi.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Vous devriez bien plutôt songer à marier votre fille, qui est en âge d'être pourvue.
Vraiment on n’a pas attendu jusqu’à cette heure, et il y a longtemps que vos façons de faire donnent à rire à tout le monde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je songerai à marier ma fille quand il se présentera un parti pour elle; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses.
Qui est donc tout ce monde-là, s’il vous plaît ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
NICOLE: J'ai encore ouï dire, Madame, qu'il a pris aujourd'hui, pour renfort de potage un maître de philosophie.
Tout ce monde-là est un monde qui a raison, et qui est plus sage que vous. Pour moi, je suis scandalisée de la vie que vous menez. Je ne sais plus ce que c’est que notre maison.''<br>
on dirait qu’il est céans carême-prenant tous les jours ; et dès le matin, de peur d’y manquer, on y entend des vacarmes de violons et de chanteurs, dont tout le voisinage se trouve incommodé.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien: je veux avoir de l'esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens.
Madame parle bien. Je ne saurais plus voir mon ménage propre, avec cet attirail de gens que vous faites venir chez vous. Ils ont des pieds qui vont chercher de la boue dans tous les quartiers de la ville, pour l’apporter ici ; et la pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que vos beaux maîtres viennent crotter régulièrement tous les jours.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: N'irez-vous point l'un de ces jours au collège vous faire donner le fouet, à votre âge?
Ouais, notre servante Nicole, vous avez le caquet bien affilé pour une paysanne.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi non? Plût à Dieu l'avoir tout à l'heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu'on apprend au collège!
Nicole a raison, et son sens est meilleur que le vôtre. Je voudrais bien savoir ce que vous pensez faire d’un maître à danser à l’âge que vous avez.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Oui, ma foi! Cela vous rendrait la jambe bien mieux faite.
Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Sans doute.
Taisez-vous, ma servante, et ma femme.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Tout cela est fort nécessaire pour conduire votre maison.
Est-ce que vous voulez apprendre à danser pour quand vous n’aurez plus de jambes ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Assurément. Vous parlez toutes deux comme des bêtes, et j'ai honte de votre ignorance. Par exemple, savez-vous, vous, ce que c'est que vous dites à cette heure?
Est-ce que vous avez envie de tuer quelqu’un ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, je sais que ce que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer à vivre d'autre sorte.
Taisez-vous, vous dis-je.''<br>
vous êtes des ignorantes l’une et l’autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c'est que les paroles que vous dites ici?
Vous devriez bien plutôt songer à marier votre fille, qui est en âge d’être pourvue.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l'est guère.
Je songerai à marier ma fille quand il se présentera un parti pour elle ; mais je veux songer aussi à apprendre les belles choses.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous demande: ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cette heure, qu'est-ce que c'est?
J’ai encore ouï dire, Madame, qu’il a pris aujourd’hui, pour renfort de potage un maître de philosophie.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Des chansons.
Fort bien.''<br>
je veux avoir de l’esprit, et savoir raisonner des choses parmi les honnêtes gens.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Hé non! ce n'est pas cela. Ce que nous disons tous deux, le langage que nous parlons à cette heure?
N’irez-vous point l’un de ces jours au collège vous faire donner le fouet, à votre âge ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hé bien?
Pourquoi non ? Plût à Dieu l’avoir tout à l’heure, le fouet, devant tout le monde, et savoir ce qu’on apprend au collège !
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment est-ce que cela s'appelle?
Oui, ma foi ! Cela vous rendrait la jambe bien mieux faite.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Cela s'appelle comme on veut l'appeler.
Sans doute.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est de la prose, ignorante.
Tout cela est fort nécessaire pour conduire votre maison.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: De la prose?
Assurément. Vous parlez toutes deux comme des bêtes, et j’ai honte de votre ignorance. Par exemple, savez-vous, vous, ce que c’est que vous dites à cette heure ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, de la prose. Tout ce qui est prose, n'est point vers; et tout ce qui n'est point vers est prose. Heu, voilà ce que c'est d'étudier. Et toi, sais-tu bien comme il faut faire pour dire un U?
Oui, je sais que ce que je dis est fort bien dit, et que vous devriez songer à vivre d’autre sorte.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Comment?
Je ne parle pas de cela. Je vous demande ce que c’est que les paroles que vous dites ici ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui. Qu'est-ce que tu fais quand tu dis un U?
Ce sont des paroles bien sensées, et votre conduite ne l’est guère.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Quoi?
Je ne parle pas de cela, vous dis-je. Je vous demande.''<br>
ce que je parle avec vous, ce que je vous dis à cette heure, qu’est-ce que c’est ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Dis un peu, U, pour voir?
Des chansons.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Hé bien, U.
Hé non ! ce n’est pas cela. Ce que nous disons tous deux, le langage que nous parlons à cette heure ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Qu'est-ce que tu fais?
Hé bien ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Je dis, U.
Comment est-ce que cela s’appelle ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui; mais quand tu dis U, qu'est-ce que tu fais?
Cela s’appelle comme on veut l’appeler.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Je fais ce que vous me dites.
C’est de la prose, ignorante.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ô l'étrange chose que d'avoir affaire à des bêtes! Tu allonges les lèvres en dehors, et approches la mâchoire d'en haut de celle d'en bas: U, vois-tu? U, vois-tu? Je fais la moue: U.
De la prose ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Oui, cela est biau.
Oui, de la prose. Tout ce qui est prose, n’est point vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose. Heu, voilà ce que c’est d’étudier. Et toi, sais-tu bien comme il faut faire pour dire un U ?
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Voilà qui est admirable.
Comment ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est bien autre chose, si vous aviez vu o, et da, da, et fa, fa.
Oui. Qu’est-ce que tu fais quand tu dis un U ?
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est donc que tout ce galimatias-là?
Quoi ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: De quoi est-ce que tout cela guérit?
Dis un peu, U, pour voir ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: J'enrage quand je vois des femmes ignorantes.
Hé bien, U.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Allez, vous devriez envoyer promener tous ces gens-là, avec leurs fariboles.
Qu’est-ce que tu fais ?
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Et surtout ce grand escogriffe de maître d'armes, qui remplit de poudre tout mon ménage.
Je dis, U.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, ce maître d'armes vous tient bien au cœur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l'heure. (Il fait apporter les fleurets, et en donne à Nicole.) Tiens. Raison démonstrative, la ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n'a qu'à faire cela, et quand on pousse en tierce, on n'a qu'à faire cela. Voilà le moyen de n'être jamais tué; et cela n'est-il pas beau, d'être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu'un? Là, pousse-moi un peu pour voir.
Oui ; mais quand tu dis U, qu’est-ce que tu fais ?
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Hé bien, quoi?
Je fais ce que vous me dites.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Nicole lui pousse plusieurs coups.
Ô l’étrange chose que d’avoir affaire à des bêtes ! Tu allonges les lèvres en dehors, et approches la mâchoire d’en haut de celle d’en bas : U, vois-tu ? U, vois-tu ? Je fais la moue : U.
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tout beau, holà, oh! doucement. Diantre soit la coquine!
Oui, cela est biau.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
NICOLE: Vous me dites de pousser.
Voilà qui est admirable.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui; mais tu me pousses en tierce, avant que de pousser en quarte, et tu n'as pas la patience que je pare.
C’est bien autre chose, si vous aviez vu o, et da, da, et fa, fa.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos fantaisies, et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la noblesse.
Qu’est-ce que c’est donc que tout ce galimatias-là ?
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Lorsque je hante la noblesse, je fais paraître mon jugement, et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie.
De quoi est-ce que tout cela guérit ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Çamon vraiment! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau Monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné.
J’enrage quand je vois des femmes ignorantes.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Paix! Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui? C'est une personne d'importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l'on considère à la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N'est-ce pas une chose qui m'est tout à fait honorable, que l'on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m'appelle son cher ami, et me traite comme si j'étais son égal? Il a pour moi des bontés qu'on ne devinerait jamais; et, devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi-même confus.
Allez, vous devriez envoyer promener tous ces gens-là, avec leurs fariboles.
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses; mais il vous emprunte votre argent.
Et surtout ce grand escogriffe de maître d’armes, qui remplit de poudre tout mon ménage.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien! ne m'est-ce pas de l'honneur, de prêter de l'argent à un homme de cette condition-là? et puis-je faire moins pour un seigneur qui m'appelle son cher ami?
Ouais, ce maître d’armes vous tient bien au cœur. Je te veux faire voir ton impertinence tout à l’heure. (''Il fait apporter les fleurets, et en donne à Nicole.'') Tiens. Raison démonstrative, la ligne du corps. Quand on pousse en quarte, on n’a qu’à faire cela, et quand on pousse en tierce, on n’a qu’à faire cela. Voilà le moyen de n’être jamais tué ; et cela n’est-il pas beau, d’être assuré de son fait, quand on se bat contre quelqu’un ? Là, pousse-moi un peu pour voir.
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Et ce seigneur que fait-il pour vous?
Hé bien, quoi ?
 
''Nicole lui pousse plusieurs coups.''
MONSIEUR JOURDAIN: Des choses dont on serait étonné, si on les savait.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Et quoi?
Tout beau, holà, oh ! doucement. Diantre soit la coquine !
 
'''Nicole'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Baste, je ne puis pas m'expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l'argent, il me le rendra bien, et avant qu'il soit peu.
Vous me dites de pousser.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, attendez-vous à cela.
Oui ; mais tu me pousses en tierce, avant que de pousser en quarte, et tu n’as pas la patience que je pare.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Assurément: ne me l'a-t-il pas dit?
Vous êtes fou, mon mari, avec toutes vos fantaisies, et cela vous est venu depuis que vous vous mêlez de hanter la noblesse.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, oui: il ne manquera pas d'y faillir.
Lorsque je hante la noblesse, je fais paraître mon jugement, et cela est plus beau que de hanter votre bourgeoisie.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il m'a juré sa foi de gentilhomme.
Çamon vraiment ! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles, et vous avez bien opéré avec ce beau Monsieur le comte dont vous vous êtes embéguiné.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Chansons.
Paix ! Songez à ce que vous dites. Savez-vous bien, ma femme, que vous ne savez pas de qui vous parlez, quand vous parlez de lui ? C’est une personne d’importance plus que vous ne pensez, un seigneur que l’on considère à la cour, et qui parle au Roi tout comme je vous parle. N’est-ce pas une chose qui m’est tout à fait honorable, que l’on voie venir chez moi si souvent une personne de cette qualité, qui m’appelle son cher ami, et me traite comme si j’étais son égal ? Il a pour moi des bontés qu’on ne devinerait jamais ; et, devant tout le monde, il me fait des caresses dont je suis moi-même confus.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ouais, vous êtes bien obstinée, ma femme. Je vous dis qu'il me tiendra parole, j'en suis sûr.
Oui, il a des bontés pour vous, et vous fait des caresses ; mais il vous emprunte votre argent.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu'il vous fait ne sont que pour vous enjôler.
Hé bien ! ne m’est-ce pas de l’honneur, de prêter de l’argent à un homme de cette condition-là ? et puis-je faire moins pour un seigneur qui m’appelle son cher ami ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous: le voici.
Et ce seigneur que fait-il pour vous ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt; et il me semble que j'ai dîné quand je le vois.
Des choses dont on serait étonné, si on les savait.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je.
Et quoi ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE IV===
Baste, je ne puis pas m’expliquer. Il suffit que si je lui ai prêté de l’argent, il me le rendra bien, et avant qu’il soit peu.
DORANTE, MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, NICOLE.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Mon cher ami, Monsieur Jourdain, comment vous portez-vous?
Oui, attendez-vous à cela.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien, Monsieur, pour vous rendre mes petits services.
Assurément.''<br>
ne me l’a-t-il pas dit ?
 
DORANTE: Et '''Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle?'''<br>
Oui, oui : il ne manquera pas d’y faillir.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Madame Jourdain se porte comme elle peut.
Il m’a juré sa foi de gentilhomme.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Comment, Monsieur Jourdain? vous voilà le plus propre du monde!
Chansons.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous voyez.
Ouais, vous êtes bien obstinée, ma femme. Je vous dis qu’il me tiendra parole, j’en suis sûr.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous n'avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous.
Et moi, je suis sûre que non, et que toutes les caresses qu’il vous fait ne sont que pour vous enjôler.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Hay, hay.
Taisez-vous.''<br>
le voici.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il le gratte par où il se démange.
Il ne nous faut plus que cela. Il vient peut-être encore vous faire quelque emprunt ; et il me semble que j’ai dîné quand je le vois.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Tournez-vous. Cela est tout à fait galant.
Taisez-vous, vous dis-je.
 
MADAME JOURDAIN: Oui, aussi sot par derrière que par devant.
 
{{scène|IV}}
DORANTE: Ma foi! Monsieur Jourdain, j'avais une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la chambre du Roi.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Vous me faites beaucoup d<center>''honneurDorante, Monsieur. Jourdain, Madame Jourdain, Nicole.) Dans la chambre du Roi!''</center>
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Allons, mettez.
Mon cher ami, Monsieur Jourdain, comment vous portez-vous ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je sais le respect que je vous dois.
Fort bien, Monsieur, pour vous rendre mes petits services.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Mon Dieu! mettez: point de cérémonie entre nous, je vous prie.
Et Madame Jourdain que voilà, comment se porte-t-elle ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur.
Madame Jourdain se porte comme elle peut.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain: vous êtes mon ami.
Comment, Monsieur Jourdain ? vous voilà le plus propre du monde !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, je suis votre serviteur.
Vous voyez.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez.
Vous avez tout à fait bon air avec cet habit, et nous n’avons point de jeunes gens à la cour qui soient mieux faits que vous.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: J'aime mieux être incivil qu'importun.
Hay, hay.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Je suis votre débiteur, comme vous le savez.
Il le gratte par où il se démange.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, nous ne le savons que trop.
Tournez-vous. Cela est tout à fait galant.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous m'avez généreusement prêté de l'argent en plusieurs occasions, et m'avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément.
Oui, aussi sot par derrière que par devant.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Monsieur, vous vous moquez.
Ma foi ! Monsieur Jourdain, j’avais une impatience étrange de vous voir. Vous êtes l’homme du monde que j’estime le plus, et je parlais de vous encore ce matin dans la chambre du Roi.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Mais je sais rendre ce qu'on me prête, et reconnaître les plaisirs qu'on me fait.
Vous me faites beaucoup d’honneur, Monsieur. (''à Madame Jourdain.'') Dans la chambre du Roi !
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je n'en doute point, Monsieur.
Allons, mettez.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Je veux sortir d'affaire avec vous, et je viens ici pour faire nos comptes ensemble.
Monsieur, je sais le respect que je vous dois.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien! vous voyez votre impertinence, ma femme.
Mon Dieu ! mettez : point de cérémonie entre nous, je vous prie.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Je suis homme qui aime à m'acquitter le plus tôt que je puis.
Monsieur.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous le disais bien.
Mettez, vous dis-je, Monsieur Jourdain : vous êtes mon ami.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Voyons un peu ce que je vous dois.
Monsieur, je suis votre serviteur.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous voilà, avec vos soupçons ridicules.
Je ne me couvrirai point, si vous ne vous couvrez.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous souvenez-vous bien de tout l'argent que vous m'avez prêté?
J’aime mieux être incivil qu’importun.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je crois que oui. J'en ai fait un petit mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.
Je suis votre débiteur, comme vous le savez.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Cela est vrai.
Oui, nous ne le savons que trop.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Une autre fois, six-vingts.
Vous m’avez généreusement prêté de l’argent en plusieurs occasions, et m’avez obligé de la meilleure grâce du monde, assurément.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Oui.
Monsieur, vous vous moquez.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Et une autre fois, cent quarante.
Mais je sais rendre ce qu’on me prête, et reconnaître les plaisirs qu’on me fait.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous avez raison.
Je n’en doute point, Monsieur.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ces trois articles font quatre cent soixante louis, qui valent cinq mille soixante livres.
Je veux sortir d’affaire avec vous, et je viens ici pour faire nos comptes ensemble.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres.
Hé bien ! vous voyez votre impertinence, ma femme.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mille huit cent trente-deux livres à votre plumassier.
Je suis homme qui aime à m’acquitter le plus tôt que je puis.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Justement.
Je vous le disais bien.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Deux mille sept cent quatre-vingts livres à votre tailleur.
Voyons un peu ce que je vous dois.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Il est vrai.
Vous voilà, avec vos soupçons ridicules.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze sols huit deniers à votre marchand.
Vous souvenez-vous bien de tout l’argent que vous m’avez prêté ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Fort bien. Douze sols huit deniers: le compte est juste.
Je crois que oui. J’en ai fait un petit mémoire. Le voici. Donné à vous une fois deux cents louis.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Et mille sept cent quarante-huit livres sept sols quatre deniers à votre sellier.
Cela est vrai.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Tout cela est véritable. Qu'est-ce que cela fait?
Une autre fois, six-vingts.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Somme totale, quinze mille huit cents livres.
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Somme totale est juste: quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents pistoles que vous m'allez donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au premier jour.
Et une autre fois, cent quarante.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hé bien! ne l'avais-je pas bien deviné?
Vous avez raison.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Paix!
Ces trois articles font quatre cent soixante louis, qui valent cinq mille soixante livres.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis?
Le compte est fort bon. Cinq mille soixante livres.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Eh non!
Mille huit cent trente-deux livres à votre plumassier.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Cet homme-là fait de vous une vache à lait.
Justement.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous.
Deux mille sept cent quatre-vingts livres à votre tailleur.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Si cela vous incommode, j'en irai chercher ailleurs.
Il est vrai.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, Monsieur.
Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze sols huit deniers à votre marchand.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il ne sera pas content, qu'il ne vous ait ruiné.
Fort bien. Douze sols huit deniers.''<br>
le compte est juste.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, vous dis-je.
Et mille sept cent quarante-huit livres sept sols quatre deniers à votre sellier.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Vous n'avez qu'à me dire si cela vous embarrasse.
Tout cela est véritable. Qu’est-ce que cela fait ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Point, Monsieur.
Somme totale, quinze mille huit cents livres.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: C'est un vrai enjôleux.
Somme totale est juste.''<br>
quinze mille huit cents livres. Mettez encore deux cents pistoles que vous m’allez donner, cela fera justement dix-huit mille francs, que je vous payerai au premier jour.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous donc.
Hé bien ! ne l’avais-je pas bien deviné ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il vous sucera jusqu'au dernier sou.
Paix !
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous tairez-vous?
Cela vous incommodera-t-il, de me donner ce que je vous dis ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: J'ai force gens qui m'en prêteraient avec joie; mais comme vous êtes mon meilleur ami, j'ai cru que je vous ferais tort si j'en demandais à quelque autre.
Eh non !
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est trop d'honneur, Monsieur, que vous me faites. Je vais quérir votre affaire.
Cet homme-là fait de vous une vache à lait.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Quoi? vous allez encore lui donner cela?
Taisez-vous.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Que faire? voulez-vous que je refuse un homme de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre du Roi?
Si cela vous incommode, j’en irai chercher ailleurs.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Allez, vous êtes une vraie dupe.
Non, Monsieur.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
===SCÈNE V===
Il ne sera pas content, qu’il ne vous ait ruiné.
DORANTE, MADAME JOURDAIN, NICOLE.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous me semblez toute mélancolique: qu'avez-vous, Madame Jourdain?
Taisez-vous, vous dis-je.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: J'ai la tête plus grosse que le poing, et si elle n'est pas enflée.
Vous n’avez qu’à me dire si cela vous embarrasse.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Mademoiselle votre fille, où est-elle, que je ne la vois point?
Point, Monsieur.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Mademoiselle ma fille est bien où elle est.
C’est un vrai enjôleux.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Comment se porte-t-elle?
Taisez-vous donc.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Elle se porte sur ses deux jambes.
Il vous sucera jusqu’au dernier sou.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir, avec elle, le ballet et la comédie que l'on fait chez le Roi?
Vous tairez-vous ?
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons.
J’ai force gens qui m’en prêteraient avec joie ; mais comme vous êtes mon meilleur ami, j’ai cru que je vous ferais tort si j’en demandais à quelque autre.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Je pense, Madame Jourdain, que vous avez eu bien des amants dans votre jeune âge, belle et d'agréable humeur comme vous étiez.
C’est trop d’honneur, Monsieur, que vous me faites. Je vais quérir votre affaire.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Trédame, Monsieur, est-ce que Madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà?
Quoi ? vous allez encore lui donner cela ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Ah, ma foi! Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeais pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus souvent. Je vous prie d'excuser mon impertinence.
Que faire ? voulez-vous que je refuse un homme de cette condition-là, qui a parlé de moi ce matin dans la chambre du Roi ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
===SCÈNE VI===
Allez, vous êtes une vraie dupe.
MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, DORANTE, NICOLE.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà deux cents louis bien comptés.
 
{{scène|V}}
DORANTE: Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la cour.
 
<center>''Dorante, Madame Jourdain, Nicole.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous suis trop obligé.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Si Madame Jourdain veut voir le divertissement royal, Je lui ferai donner les meilleures places de la salle.
Vous me semblez toute mélancolique.''<br>
qu’avez-vous, Madame Jourdain ?
 
MADAME JOURDAIN: '''Madame Jourdain vous baise les mains.'''<br>
J’ai la tête plus grosse que le poing, et si elle n’est pas enflée.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE, bas à M. Jourdain: Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le ballet et le repas; je l'ai fait consentir enfin au régale que vous lui voulez donner.
Mademoiselle votre fille, où est-elle, que je ne la vois point ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tirons-nous un peu plus loin, pour cause.
Mademoiselle ma fille est bien où elle est.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre les mains pour lui en faire présent de votre part; mais c'est que j'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue à l'accepter.
Comment se porte-t-elle ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment l'a-t-elle trouvé?
Elle se porte sur ses deux jambes.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Merveilleux; et je me trompe fort, ou la beauté de ce diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable.
Ne voulez-vous point un de ces jours venir voir, avec elle, le ballet et la comédie que l’on fait chez le Roi ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Plût au Ciel!
Oui vraiment, nous avons fort envie de rire, fort envie de rire nous avons.
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter.
Je pense, Madame Jourdain, que vous avez eu bien des amants dans votre jeune âge, belle et d’agréable humeur comme vous étiez.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent et la grandeur de votre amour.
Trédame, Monsieur, est-ce que Madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà ?
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ce sont, Monsieur, des bontés qui m'accablent; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une personne de votre qualité s'abaisser pour moi à ce que vous faites.
Ah, ma foi ! Madame Jourdain, je vous demande pardon. Je ne songeais pas que vous êtes jeune, et je rêve le plus souvent. Je vous prie d’excuser mon impertinence.
 
DORANTE: Vous moquez-vous? est-ce qu'entre amis on s'arrête à ces sortes de scrupules? et ne feriez-vous pas pour moi la même chose, si l'occasion s'en offrait?
 
{{scène|VI}}
MONSIEUR JOURDAIN: Ho! assurément, et de très grand cœur.
 
<center>''Monsieur Jourdain, Madame Jourdain, Dorante, Nicole.''</center>
MADAME JOURDAIN: Que sa présence me pèse sur les épaules!
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un ami; et lorsque vous me fîtes confidence de l'ardeur que vous aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j'avais commerce, vous vîtes que d'abord je m'offris de moi-même à servir votre amour.
Voilà deux cents louis bien comptés.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent.
Je vous assure, Monsieur Jourdain, que je suis tout à vous, et que je brûle de vous rendre un service à la cour.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Est-ce qu'il ne s'en ira point?
Je vous suis trop obligé.
 
'''Dorante'''<br>
NICOLE: Ils se trouvent bien ensemble.
Si Madame Jourdain veut voir le divertissement royal, Je lui ferai donner les meilleures places de la salle.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur: les femmes aiment surtout les dépenses qu'on fait pour elles; et vos fréquentes sérénades, et vos bouquets continuels, ce superbe feu d'artifice qu'elle trouva sur l'eau, le diamant qu'elle a reçu de votre part, et le régale que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même.
Madame Jourdain vous baise les mains.
 
'''Dorante''', bas à M. Jourdain.''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il n'y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une femme de qualité a pour moi des charmes ravissants, et c'est un honneur que j'achèterais au prix de toute chose.
Notre belle marquise, comme je vous ai mandé par mon billet, viendra tantôt ici pour le ballet et le repas ; je l’ai fait consentir enfin au régale que vous lui voulez donner.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Que peuvent-ils tant dire ensemble? Va-t'en un peu tout doucement prêter l'oreille.
Tirons-nous un peu plus loin, pour cause.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire.
Il y a huit jours que je ne vous ai vu, et je ne vous ai point mandé de nouvelles du diamant que vous me mîtes entre les mains pour lui en faire présent de votre part ; mais c’est que j’ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule, et ce n’est que d’aujourd’hui qu’elle s’est résolue à l’accepter.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Pour être en pleine liberté, j'ai fait en sorte que ma femme ira dîner chez ma sœur, où elle passera toute l'après-dînée.
Comment l’a-t-elle trouvé ?
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Vous avez fait prudemment, et votre femme aurait pu nous embarrasser. J'ai donné pour vous l'ordre qu'il faut au cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le ballet. Il est de mon invention; et pourvu que l'exécution puisse répondre à l'idée, je suis sûr qu'il sera trouvé.
Merveilleux ; et je me trompe fort, ou la beauté de ce diamant fera pour vous sur son esprit un effet admirable.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN s'aperçoit que Nicole écoute, et lui donne un soufflet: Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s'il vous plaît.
Plût au Ciel !
 
'''Madame Jourdain'''<br>
===SCÈNE VII===
Quand il est une fois avec lui, il ne peut le quitter.
MADAME JOURDAIN, NICOLE.
 
'''Dorante'''<br>
NICOLE: Ma foi! Madame, la curiosité m'a coûté quelque chose; mais je crois qu'il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez.
Je lui ai fait valoir comme il faut la richesse de ce présent et la grandeur de votre amour.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ce n'est pas d'aujourd'hui, Nicole, que j'ai conçu des soupçons de mon mari. Je suis la plus trompée du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma fille. Tu sais l'amour que Cléonte a pour elle. C'est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis.
Ce sont, Monsieur, des bontés qui m’accablent ; et je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une personne de votre qualité s’abaisser pour moi à ce que vous faites.
 
'''Dorante'''<br>
NICOLE: En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde de vous voir dans ces sentiments; car, si le maître vous revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que notre mariage se pût faire à l'ombre du leur.
Vous moquez-vous ? est-ce qu’entre amis on s’arrête à ces sortes de scrupules ? et ne feriez-vous pas pour moi la même chose, si l’occasion s’en offrait ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Va-t'en lui en parler de ma part, et lui dire que tout à l'heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon mari la demande de ma fille.
Ho ! assurément, et de très grand cœur.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
NICOLE: J'y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien réjouir les gens.
Que sa présence me pèse sur les épaules !
 
'''Dorante'''<br>
===SCÈNE VIII===
Pour moi, je ne regarde rien, quand il faut servir un ami ; et lorsque vous me fîtes confidence de l’ardeur que vous aviez prise pour cette marquise agréable chez qui j’avais commerce, vous vîtes que d’abord je m’offris de moi-même à servir votre amour.
CLÉONTE, COVIELLE, NICOLE.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Ah! vous voilà tout à propos. Je suis une ambassadrice de joie, et je viens.
Il est vrai, ce sont des bontés qui me confondent.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec tes traîtresses paroles.
Est-ce qu’il ne s’en ira point ?
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Est-ce ainsi que vous recevez.?
Ils se trouvent bien ensemble.
 
'''Dorante'''<br>
CLÉONTE: Retire-toi, te dis-je, et va-t'en dire de ce pas à ton infidèle maîtresse qu'elle n'abusera de sa vie le trop simple Cléonte.
Vous avez pris le bon biais pour toucher son cœur : les femmes aiment surtout les dépenses qu’on fait pour elles ; et vos fréquentes sérénades, et vos bouquets continuels, ce superbe feu d’artifice qu’elle trouva sur l’eau, le diamant qu’elle a reçu de votre part, et le régale que vous lui préparez, tout cela lui parle bien mieux en faveur de votre amour que toutes les paroles que vous auriez pu lui dire vous-même.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
NICOLE: Quel vertigo est-ce donc là? Mon pauvre Covielle, dis-moi un peu ce que cela veut dire.
Il n’y a point de dépenses que je ne fisse, si par là je pouvais trouver le chemin de son cœur. Une femme de qualité a pour moi des charmes ravissants, et c’est un honneur que j’achèterais au prix de toute chose.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
COVIELLE: Ton pauvre Covielle, petite scélérate! Allons vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos.
Que peuvent-ils tant dire ensemble ? Va-t’en un peu tout doucement prêter l’oreille.
 
'''Dorante'''<br>
NICOLE: Quoi? tu me viens aussi.
Ce sera tantôt que vous jouirez à votre aise du plaisir de sa vue, et vos yeux auront tout le temps de se satisfaire.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie.
Pour être en pleine liberté, j’ai fait en sorte que ma femme ira dîner chez ma sœur, où elle passera toute l’après-dînée.
 
'''Dorante'''<br>
NICOLE: Ouais! Quelle mouche les a piqués tous deux? Allons de cette belle histoire informer ma maîtresse.
Vous avez fait prudemment, et votre femme aurait pu nous embarrasser. J’ai donné pour vous l’ordre qu’il faut au cuisinier, et à toutes les choses qui sont nécessaires pour le ballet. Il est de mon invention ; et pourvu que l’exécution puisse répondre à l’idée, je suis sûr qu’il sera trouvé.
 
'''Monsieur Jourdain''' ''s’aperçoit que Nicole écoute, et lui donne un soufflet.''<br>
===SCÈNE IX===
Ouais, vous êtes bien impertinente. Sortons, s’il vous plaît.
CLÉONTE, COVIELLE.
 
CLÉONTE: Quoi? traiter un amant de la sorte, et un amant le plus fidèle et le plus passionné de tous les amants?
 
{{scène|VII}}
COVIELLE: C'est une chose épouvantable, que ce qu'on nous fait à tous deux.
 
<center>''Madame Jourdain, Nicole.''</center>
CLÉONTE: Je fais voir pour une personne toute l'ardeur et toute la tendresse qu'on peut imaginer; je n'aime rien au monde qu'elle, et je n'ai qu'elle dans l'esprit; elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie; je ne parle que d'elle, je ne pense qu'à elle, je ne fais des songes que d'elle, je ne respire que par elle, mon cœur vit tout en elle: et voilà de tant d'amitié la digne récompense! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour moi deux siècles effroyables: je la rencontre par hasard; mon cœur, à cette vue, se sent tout transporté, ma joie éclate sur mon visage, je vole avec ravissement vers elle; et l'infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement, comme si de sa vie elle ne m'avait vu!
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Je dis les mêmes choses que vous.
Ma foi ! Madame, la curiosité m’a coûté quelque chose ; mais je crois qu’il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Peut-on rien voir d'égal, Covielle, à cette perfidie de l'ingrate Lucile?
Ce n’est pas d’aujourd’hui, Nicole, que j’ai conçu des soupçons de mon mari. Je suis la plus trompée du monde, ou il y a quelque amour en campagne, et je travaille à découvrir ce que ce peut être. Mais songeons à ma fille. Tu sais l’amour que Cléonte a pour elle. C’est un homme qui me revient, et je veux aider sa recherche, et lui donner Lucile, si je puis.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Et à celle, Monsieur, de la pendarde de Nicole?
En vérité, Madame, je suis la plus ravie du monde de vous voir dans ces sentiments ; car, si le maître vous revient, le valet ne me revient pas moins, et je souhaiterais que notre mariage se pût faire à l’ombre du leur.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et de vœux que j'ai faits à ses charmes!
Va-t’en lui en parler de ma part, et lui dire que tout à l’heure il me vienne trouver, pour faire ensemble à mon mari la demande de ma fille.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Après tant d'assidus hommages, de soins et de services que je lui ai rendus dans sa cuisine!
J’y cours, Madame, avec joie, et je ne pouvais recevoir une commission plus agréable. Je vais, je pense, bien réjouir les gens.
 
CLÉONTE: Tant de larmes que j'ai versées à ses genoux!
 
{{scène|VIII}}
COVIELLE: Tant de seaux d'eau que j'ai tirés au puits pour elle!
 
<center>''Cléonte, Covielle, Nicole.''</center>
CLÉONTE: Tant d'ardeur que j'ai fait paraître à la chérir plus que moi-même!
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Tant de chaleur que j'ai soufferte à tourner la broche à sa place!
Ah ! vous voilà tout à propos. Je suis une ambassadrice de joie, et je viens.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Elle me fuit avec mépris!
Retire-toi, perfide, et ne me viens point amuser avec tes traîtresses paroles.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Elle me tourne le dos avec effronterie!
Est-ce ainsi que vous recevez. ?
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: C'est une perfidie digne des plus grands châtiments.
Retire-toi, te dis-je, et va-t’en dire de ce pas à ton infidèle maîtresse qu’elle n’abusera de sa vie le trop simple Cléonte.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: C'est une trahison à mériter mille soufflets.
Quel vertigo est-ce donc là ? Mon pauvre Covielle, dis-moi un peu ce que cela veut dire.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Ne t'avise point, je te prie, de me parler jamais pour elle.
Ton pauvre Covielle, petite scélérate ! Allons vite, ôte-toi de mes yeux, vilaine, et me laisse en repos.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Moi, Monsieur! Dieu m'en garde!
Quoi ? tu me viens aussi.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Ne viens point m'excuser l'action de cette infidèle.
ôte-toi de mes yeux, te dis-je, et ne me parle de ta vie.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: N'ayez pas peur.
Ouais ! Quelle mouche les a piqués tous deux ? Allons de cette belle histoire informer ma maîtresse.
 
CLÉONTE: Non, vois-tu, tous tes discours pour la défendre ne serviront de rien.
 
{{scène|IX}}
COVIELLE: Qui songe à cela?
 
<center>''Cléonte, Covielle.''</center>
CLÉONTE: Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et rompre ensemble tout commerce.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: J'y consens.
Quoi ? traiter un amant de la sorte, et un amant le plus fidèle et le plus passionné de tous les amants ?
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Ce Monsieur le Comte qui va chez elle lui donne peut-être dans la vue; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l'éclat de son inconstance. Je veux faire autant de pas qu'elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter.
C’est une chose épouvantable, que ce qu’on nous fait à tous deux.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: C'est fort bien dit, et j'entre pour mon compte dans tous vos sentiments.
Je fais voir pour une personne toute l’ardeur et toute la tendresse qu’on peut imaginer ; je n’aime rien au monde qu’elle, et je n’ai qu’elle dans l’esprit ; elle fait tous mes soins, tous mes désirs, toute ma joie ; je ne parle que d’elle, je ne pense qu’à elle, je ne fais des songes que d’elle, je ne respire que par elle, mon cœur vit tout en elle : et voilà de tant d’amitié la digne récompense ! Je suis deux jours sans la voir, qui sont pour moi deux siècles effroyables : je la rencontre par hasard ; mon cœur, à cette vue, se sent tout transporté, ma joie éclate sur mon visage, je vole avec ravissement vers elle ; et l’infidèle détourne de moi ses regards, et passe brusquement, comme si de sa vie elle ne m’avait vu !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d'amour qui me pourraient parler pour elle. Dis-m'en, je t'en conjure, tout le mal que tu pourras; fais-moi de sa personne une peinture qui me la rende méprisable; et marque-moi bien, pour m'en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle.
Je dis les mêmes choses que vous.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Elle, Monsieur! Voilà une belle mijaurée, une pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d'amour! Je ne lui vois rien que de très médiocre, et vous trouverez cent personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits.
Peut-on rien voir d’égal, Covielle, à cette perfidie de l’ingrate Lucile ?
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Cela est vrai, elle a les yeux petits; mais elle les a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu'on puisse voir.
Et à celle, Monsieur, de la pendarde de Nicole ?
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Elle a la bouche grande.
Après tant de sacrifices ardents, de soupirs, et de vœux que j’ai faits à ses charmes !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Oui; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde.
Après tant d’assidus hommages, de soins et de services que je lui ai rendus dans sa cuisine !
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Pour sa taille, elle n'est pas grande.
Tant de larmes que j’ai versées à ses genoux !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Non; mais elle est aisée et bien prise.
Tant de seaux d’eau que j’ai tirés au puits pour elle !
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Elle affecte une nonchalance dans son parler, et dans ses actions.
Tant d’ardeur que j’ai fait paraître à la chérir plus que moi-même !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Il est vrai; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s'insinuer dans les cours.
Tant de chaleur que j’ai soufferte à tourner la broche à sa place !
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Pour de l'esprit.
Elle me fuit avec mépris !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Ah! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat.
Elle me tourne le dos avec effronterie !
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Sa conversation.
C’est une perfidie digne des plus grands châtiments.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Sa conversation est charmante.
C’est une trahison à mériter mille soufflets.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Elle est toujours sérieuse.
Ne t’avise point, je te prie, de me parler jamais pour elle.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes? et vois-tu rien de plus impertinent que des femmes qui rient à tout propos?
Moi, Monsieur ! Dieu m’en garde !
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Mais enfin elle est capricieuse autant que personne du monde.
Ne viens point m’excuser l’action de cette infidèle.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles.
N’ayez pas peur.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez envie de l'aimer toujours.
Non, vois-tu, tous tes discours pour la défendre ne serviront de rien.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Moi, j'aimerais mieux mourir; et je vais la haïr autant que je l'ai aimée.
Qui songe à cela ?
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Le moyen, si vous la trouvez si parfaite?
Je veux contre elle conserver mon ressentiment, et rompre ensemble tout commerce.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: C'est en quoi ma vengeance sera plus éclatante, en quoi je veux faire mieux voir la force de mon cœur: à la haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d'attraits, toute aimable que je la trouve. La voici.
J’y consens.
 
'''Cléonte'''<br>
===SCÈNE X===
Ce Monsieur le Comte qui va chez elle lui donne peut-être dans la vue ; et son esprit, je le vois bien, se laisse éblouir à la qualité. Mais il me faut, pour mon honneur, prévenir l’éclat de son inconstance. Je veux faire autant de pas qu’elle au changement où je la vois courir, et ne lui laisser pas toute la gloire de me quitter.
CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.
 
'''Covielle'''<br>
NICOLE: Pour moi, j'en ai été toute scandalisée.
C’est fort bien dit, et j’entre pour mon compte dans tous vos sentiments.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Ce ne peut être, Nicole, que ce que je dis. Mais le voilà.
Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution contre tous les restes d’amour qui me pourraient parler pour elle. Dis-m’en, je t’en conjure, tout le mal que tu pourras ; fais-moi de sa personne une peinture qui me la rende méprisable ; et marque-moi bien, pour m’en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Je ne veux pas seulement lui parler.
Elle, Monsieur ! Voilà une belle mijaurée, une pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d’amour ! Je ne lui vois rien que de très médiocre, et vous trouverez cent personnes qui seront plus dignes de vous. Premièrement, elle a les yeux petits.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Je veux vous imiter.
Cela est vrai, elle a les yeux petits ; mais elle les a pleins de feux, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu’on puisse voir.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Qu'est-ce donc, Cléonte? qu'avez-vous?
Elle a la bouche grande.
 
'''Cléonte'''<br>
NICOLE: Qu'as-tu donc, Covielle?
Oui ; mais on y voit des grâces qu’on ne voit point aux autres bouches ; et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse du monde.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Quel chagrin vous possède?
Pour sa taille, elle n’est pas grande.
 
'''Cléonte'''<br>
NICOLE: Quelle mauvaise humeur te tient?
Non ; mais elle est aisée et bien prise.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: ètes-vous muet, Cléonte?
Elle affecte une nonchalance dans son parler, et dans ses actions.
 
'''Cléonte'''<br>
NICOLE: As-tu perdu la parole, Covielle?
Il est vrai ; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont je ne sais quel charme à s’insinuer dans les cours.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Que voilà qui est scélérat!
Pour de l’esprit.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Que cela est Judas!
Ah ! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé votre esprit.
Sa conversation.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Ah, ah! on voit ce qu'on a fait.
Sa conversation est charmante.
 
'''Covielle'''<br>
NICOLE: Notre accueil de ce matin t'a fait prendre la chèvre.
Elle est toujours sérieuse.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: On a deviné l'enclouure.
Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes ? et vois-tu rien de plus impertinent que des femmes qui rient à tout propos ?
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: N'est-il pas vrai, Cléonte, que c'est là le sujet de votre dépit?
Mais enfin elle est capricieuse autant que personne du monde.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Oui, perfide, ce l'est, puisqu'il faut parler; et j'ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n'aurez pas l'avantage de me chasser. J'aurai de la peine, sans doute, à vaincre l'amour que j'ai pour vous, cela me causera des chagrins, je souffrirai un temps; mais j'en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le cœur, que d'avoir la faiblesse de retourner à vous.
Oui, elle est capricieuse, j’en demeure d’accord ; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Queussi, queumi.
Puisque cela va comme cela, je vois bien que vous avez envie de l’aimer toujours.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m'a fait ce matin éviter votre abord.
Moi, j’aimerais mieux mourir ; et je vais la haïr autant que je l’ai aimée.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE fait semblant de s'en aller et tourne autour du théâtre: Non, je ne veux rien écouter.
Le moyen, si vous la trouvez si parfaite ?
 
'''Cléonte'''<br>
NICOLE: Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite.
C’est en quoi ma vengeance sera plus éclatante, en quoi je veux faire mieux voir la force de mon cœur : à la haïr, à la quitter, toute belle, toute pleine d’attraits, toute aimable que je la trouve. La voici.
 
COVIELLE suit Lucile: Je ne veux rien entendre.
 
{{scène|X}}
LUCILE suit Cléonte: Sachez que ce matin.
 
<center>''Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole.''</center>
CLÉONTE: Non, vous dis-je.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE suit Covielle: Apprends que...
Pour moi, j’en ai été toute scandalisée.
 
'''Lucile'''<br>
COVIELLE: Non, traîtresse.
Ce ne peut être, Nicole, que ce que je dis. Mais le voilà.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Écoutez.
Je ne veux pas seulement lui parler.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Point d'affaire.
Je veux vous imiter.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Laisse-moi dire.
Qu’est-ce donc, Cléonte ? qu’avez-vous ?
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Je suis sourd.
Qu’as-tu donc, Covielle ?
 
'''Lucile'''<br>
LUCILE: Cléonte.
Quel chagrin vous possède ?
 
'''Nicole'''<br>
CLÉONTE: Non.
Quelle mauvaise humeur te tient ?
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Covielle.
ètes-vous muet, Cléonte ?
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Point.
As-tu perdu la parole, Covielle ?
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Arrêtez.
Que voilà qui est scélérat !
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Chansons.
Que cela est Judas !
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Entends-moi.
Je vois bien que la rencontre de tantôt a troublé votre esprit.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Bagatelle.
Ah, ah ! on voit ce qu’on a fait.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Un moment.
Notre accueil de ce matin t’a fait prendre la chèvre.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Point du tout.
On a deviné l’enclouure.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Un peu de patience.
N’est-il pas vrai, Cléonte, que c’est là le sujet de votre dépit ?
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Tarare.
Oui, perfide, ce l’est, puisqu’il faut parler ; et j’ai à vous dire que vous ne triompherez pas comme vous pensez de votre infidélité, que je veux être le premier à rompre avec vous, et que vous n’aurez pas l’avantage de me chasser. J’aurai de la peine, sans doute, à vaincre l’amour que j’ai pour vous, cela me causera des chagrins, je souffrirai un temps ; mais j’en viendrai à bout, et je me percerai plutôt le cœur, que d’avoir la faiblesse de retourner à vous.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Deux paroles.
Queussi, queumi.
 
'''Lucile'''<br>
CLÉONTE: Non, c'en est fait.
Voilà bien du bruit pour un rien. Je veux vous dire, Cléonte, le sujet qui m’a fait ce matin éviter votre abord.
 
'''Cléonte''' ''fait semblant de s’en aller et tourne autour du théâtre.''<br>
NICOLE: Un mot.
Non, je ne veux rien écouter.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Plus de commerce.
Je te veux apprendre la cause qui nous a fait passer si vite.
 
'''Covielle''' ''suit Lucile.''<br>
LUCILE: Hé bien! puisque vous ne voulez pas m'écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu'il vous plaira.
Je ne veux rien entendre.
 
'''Lucile''' ''suit Cléonte.''<br>
NICOLE: Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras.
Sachez que ce matin.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Sachons donc le sujet d'un si bel accueil.
Non, vous dis-je.
 
'''Nicole''' ''suit Covielle.''<br>
LUCILE fait semblant de s'en aller à son tour, et fait le même chemin qu'a fait Cléonte: Il ne me plaît plus de le dire.
Apprends que…
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Apprends-nous un peu cette histoire.
Non, traîtresse.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Je ne veux plus, moi, te l'apprendre.
Écoutez.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE suit Lucile: Dites-moi.
Point d’affaire.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Non, je ne veux rien dire.
Laisse-moi dire.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Conte-moi.
Je suis sourd.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE suit Cléonte: Non, je ne conte rien.
Cléonte.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: De grâce.
Non.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Non, vous dis-je.
Covielle.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE suit Nicole: Par charité.
Point.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Point d'affaire.
Arrêtez.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Je vous en prie.
Chansons.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Laissez-moi.
Entends-moi.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Je t'en conjure.
Bagatelle.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: ôte-toi de là.
Un moment.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Lucile.
Point du tout.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Non.
Un peu de patience.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Nicole.
Tarare.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Point.
Deux paroles.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Au nom des Dieux!
Non, c’en est fait.
 
'''Nicole'''<br>
LUCILE: Je ne veux pas.
Un mot.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Parle-moi.
Plus de commerce.
 
'''Lucile'''<br>
NICOLE: Point du tout.
Hé bien ! puisque vous ne voulez pas m’écouter, demeurez dans votre pensée, et faites ce qu’il vous plaira.
 
'''Nicole'''<br>
CLÉONTE: claircissez mes doutes.
Puisque tu fais comme cela, prends-le tout comme tu voudras.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Non, je n'en ferai rien.
Sachons donc le sujet d’un si bel accueil.
 
'''Lucile''' fait semblant de s’en aller à son tour, et fait le même chemin qu’a fait Cléonte : Il ne me plaît plus de le dire.
COVIELLE: Guéris-moi l'esprit.
 
'''Covielle'''<br>
NICOLE: Non, il ne me plaît pas.
Apprends-nous un peu cette histoire.
 
'''Nicole'''<br>
CLÉONTE: Hé bien! puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d'amour.
Je ne veux plus, moi, te l’apprendre.
 
'''Cléonte''' ''suit Lucile.''<br>
COVIELLE: Et moi, je vais suivre ses pas.
Dites-moi.
 
'''Lucile'''<br>
LUCILE: Cléonte.
Non, je ne veux rien dire.
 
NICOLE: '''Covielle.'''<br>
Conte-moi.
 
'''Nicole''' ''suit Cléonte.''<br>
CLÉONTE: Eh?
Non, je ne conte rien.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Plaît-il?
De grâce.
 
'''Lucile'''<br>
LUCILE: Où allez-vous?
Non, vous dis-je.
 
'''Covielle''' ''suit Nicole.''<br>
CLÉONTE: Où je vous ai dit.
Par charité.
 
'''Nicole'''<br>
COVIELLE: Nous allons mourir.
Point d’affaire.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Vous allez mourir, Cléonte?
Je vous en prie.
 
'''Lucile'''<br>
CLÉONTE: Oui, cruelle, puisque vous le voulez.
Laissez-moi.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Moi, je veux que vous mouriez?
Je t’en conjure.
 
'''Nicole'''<br>
CLÉONTE: Oui, vous le voulez.
Ôte-toi de là.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: Qui vous le dit?
Lucile.
 
'''Lucile'''<br>
CLÉONTE: N'est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons?
Non.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Est-ce ma faute? et si vous aviez voulu m'écouter, ne vous aurais-je pas dit que l'aventure dont vous vous plaignez a été causée ce matin par la présence d'une vieille tante, qui veut à toute force que la seule approche d'un homme déshonore une fille, qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les hommes comme des diables qu'il faut fuir.
Nicole.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE. - Voilà le secret de l'affaire.
Point.
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Ne me trompez-vous point, Lucile?
Au nom des Dieux !
 
'''Lucile'''<br>
COVIELLE: Ne m'en donnes-tu point à garder?
Je ne veux pas.
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Il n'est rien de plus vrai.
Parle-moi.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: C'est la chose comme elle est.
Point du tout.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Nous rendrons-nous à cela?
claircissez mes doutes.
 
'''Lucile'''<br>
CLÉONTE: Ah! Lucile, qu'avec un mot de votre bouche vous savez apaiser de choses dans mon cœur! et que facilement on se laisse persuader aux personnes qu'on aime!
Non, je n’en ferai rien.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux-là!
Guéris-moi l’esprit.
 
'''Nicole'''<br>
===SCÈNE XI===
Non, il ne me plaît pas.
MADAME JOURDAIN, CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.
 
'''Cléonte'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient; prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage.
Hé bien ! puisque vous vous souciez si peu de me tirer de peine, et de vous justifier du traitement indigne que vous avez fait à ma flamme, vous me voyez, ingrate, pour la dernière fois, et je vais loin de vous mourir de douleur et d’amour.
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Ah! Madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs! Pouvais-je recevoir un ordre plus charmant? une faveur plus précieuse?
Et moi, je vais suivre ses pas.
 
'''Lucile'''<br>
===SCÈNE XII===
Cléonte.
MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.
 
'''Nicole'''<br>
CLÉONTE: Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m'en charger moi-même; et, sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être votre gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m'accorder.
Covielle.
 
'''Cléonte'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme.
Eh ?
 
'''Covielle'''<br>
CLÉONTE: Monsieur, la plupart des gens sur cette question n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l'avoue, j'ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats: je trouve que toute imposture est indigne d'un honnête homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde d'un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on n'est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu des charges honorables. Je me suis acquis dans les armes l'honneur de six ans de services, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable. Mais, avec tout cela, je ne veux point me donner un nom où d'autres en ma place croiraient pouvoir prétendre, et je vous dirai franchement que je ne suis point gentilhomme.
Plaît-il ?
 
'''Lucile'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Touchez là, Monsieur: ma fille n'est pas pour vous.
Où allez-vous ?
 
'''Cléonte'''<br>
CLÉONTE: Comment?
Où je vous ai dit.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous n'êtes point gentilhomme, vous n'aurez pas ma fille.
Nous allons mourir.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis?
Vous allez mourir, Cléonte ?
 
'''Cléonte'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, ma femme: je vous vois venir.
Oui, cruelle, puisque vous le voulez.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie?
Moi, je veux que vous mouriez ?
 
'''Cléonte'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà pas le coup de langue?
Oui, vous le voulez.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Et votre père n'était-il pas marchand aussi bien que le mien?
Qui vous le dit ?
 
'''Cléonte'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Peste soit de la femme! Elle n'y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j'ai à vous dire, moi, c'est que je veux avoir un gendre gentilhomme.
N’est-ce pas le vouloir, que de ne vouloir pas éclaircir mes soupçons ?
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien fait, qu'un gentilhomme gueux et mal bâti.
Est-ce ma faute ? et si vous aviez voulu m’écouter, ne vous aurais-je pas dit que l’aventure dont vous vous plaignez a été causée ce matin par la présence d’une vieille tante, qui veut à toute force que la seule approche d’un homme déshonore une fille, qui perpétuellement nous sermonne sur ce chapitre, et nous figure tous les hommes comme des diables qu’il faut fuir.
 
'''Nicole'''<br>
NICOLE: Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j'aie jamais vu.
Voilà le secret de l’affaire.
 
'''Cléonte'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation. J'ai du bien assez pour ma fille, je n'ai besoin que d'honneur, et je la veux faire marquise.
Ne me trompez-vous point, Lucile ?
 
'''Covielle'''<br>
MADAME JOURDAIN: Marquise?
Ne m’en donnes-tu point à garder ?
 
'''Lucile'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, marquise.
Il n’est rien de plus vrai.
 
'''Nicole'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hélas! Dieu m'en garde!
C’est la chose comme elle est.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est une chose que j'ai résolue.
Nous rendrons-nous à cela ?
 
'''Cléonte'''<br>
MADAME JOURDAIN: C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand-maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de grand-dame, et qu'elle manquât par mégarde à saluer quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. "Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse? C'est la fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous. Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut-être bien cher en l'autre monde, et l'on ne devient guère si riches à être honnêtes gens." Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m'ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire: "Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi".
Ah ! Lucile, qu’avec un mot de votre bouche vous savez apaiser de choses dans mon cœur ! et que facilement on se laisse persuader aux personnes qu’on aime !
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà bien les sentiments d'un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage: ma fille sera marquise en dépit de tout le monde; et si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse.
Qu’on est aisément amadoué par ces diantres d’animaux-là !
 
MADAME JOURDAIN: Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez-moi, ma fille, et venez dire résolument à votre père, que si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne.
 
{{scène|XI}}
===SCÈNE XIII===
CLÉONTE, COVIELLE.
 
<center>''Madame Jourdain, Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole.''</center>
COVIELLE: Vous avez fait de belles affaires avec vos beaux sentiments.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Que veux-tu? j'ai un scrupule là-dessus, que l'exemple ne saurait vaincre.
Je suis bien aise de vous voir, Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient ; prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Vous moquez-vous, de le prendre sérieusement avec un homme comme cela? Ne voyez-vous pas qu'il est fou? et vous coûtait-il quelque chose de vous accommoder à ses chimères?
Ah ! Madame, que cette parole m’est douce, et qu’elle flatte mes désirs ! Pouvais-je recevoir un ordre plus charmant ? une faveur plus précieuse ?
 
CLÉONTE: Tu as raison; mais je ne croyais pas qu'il fallût faire ses preuves de noblesse pour être gendre de Monsieur Jourdain.
 
{{scène|XII}}
COVIELLE: Ah, ah, ah.
 
<center>''Monsieur Jourdain, Madame Jourdain, Cléonte, Lucile, Covielle, Nicole.''</center>
CLÉONTE: De quoi ris-tu?
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: D'une pensée qui me vient pour jouer notre homme, et vous faire obtenir ce que vous souhaitez.
Monsieur, je n’ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m’en charger moi-même ; et, sans autre détour, je vous dirai que l’honneur d’être votre gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m’accorder.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Comment?
Avant que de vous rendre réponse, Monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: L'idée est tout à fait plaisante.
Monsieur, la plupart des gens sur cette question n’hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre, et l’usage aujourd’hui semble en autoriser le vol. Pour moi, je vous l’avoue, j’ai les sentiments sur cette matière un peu plus délicats : je trouve que toute imposture est indigne d’un honnête homme, et qu’il y a de la lâcheté à déguiser ce que le Ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde d’un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu’on n’est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu des charges honorables. Je me suis acquis dans les armes l’honneur de six ans de services, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable. Mais, avec tout cela, je ne veux point me donner un nom où d’autres en ma place croiraient pouvoir prétendre, et je vous dirai franchement que je ne suis point gentilhomme.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Quoi donc?
Touchez là, Monsieur : ma fille n’est pas pour vous.
 
'''Cléonte'''<br>
COVIELLE: Il s'est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre ridicule. Tout cela sent un peu sa comédie; mais avec lui on peut hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant de façons; il est homme à y jouer son rôle à merveille, et à donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les acteurs, j'ai les habits tout prêts: laissez-moi faire seulement.
Comment ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Mais apprends-moi.
Vous n’êtes point gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
COVIELLE: Je vais vous instruire de tout. Retirons-nous, le voilà qui revient.
Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme ? Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE XIV===
Taisez-vous, ma femme : je vous vois venir.
MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Que diable est-ce là! ils n'ont rien que les grands seigneurs à me reprocher; et moi, je ne vois rien de si beau que de hanter les grands seigneurs: il n'y a qu'honneur et que civilité avec eux, et je voudrais qu'il m'eût coûté deux doigts de la main, et être né comte ou marquis.
Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
LAQUAIS: Monsieur, voici Monsieur le Comte, et une dame qu'il mène par la main.
Voilà pas le coup de langue ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Hé mon Dieu! j'ai quelques ordres à donner. Dis-leur que je vais venir ici tout à l'heure.
Et votre père n’était-il pas marchand aussi bien que le mien ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE XV===
Peste soit de la femme ! Elle n’y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j’ai à vous dire, moi, c’est que je veux avoir un gendre gentilhomme.
DORIMÈNE, DORANTE, LAQUAIS.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
LAQUAIS: Monsieur dit comme cela qu'il va venir ici tout à l'heure.
Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre, et il vaut mieux pour elle un honnête homme riche et bien fait, qu’un gentilhomme gueux et mal bâti.
 
'''Nicole'''<br>
DORANTE: Voilà qui est bien.
Cela est vrai. Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j’aie jamais vu.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORIMÈNE: Je ne sais pas, Dorante, je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une maison où je ne connais personne.
Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversation. J’ai du bien assez pour ma fille, je n’ai besoin que d’honneur, et je la veux faire marquise.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Quel lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque, pour fuir l'éclat, vous ne voulez ni votre maison, ni la mienne?
Marquise ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORIMÈNE: Mais vous ne dites pas que je m'engage insensiblement, chaque jour, à recevoir de trop grands témoignages de votre passion! J'ai beau me défendre des choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les visites fréquentes ont commencé; les déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les sérénades et les cadeaux, que les présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, et, pied à pied, vous gagnez mes résolutions. Pour moi, je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu'à la fin vous me ferez venir au mariage, dont je me suis tant éloignée.
Oui, marquise.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Ma foi! Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître de moi, et vous aime plus que ma vie. à quoi tient-il que dès aujourd'hui vous ne fassiez tout mon bonheur?
Hélas ! Dieu m’en garde !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORIMÈNE: Mon Dieu! Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble; et les deux plus raisonnables personnes du monde ont souvent peine à composer une union dont ils soient satisfaits.
C’est une chose que j’ai résolue.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultés; et l'expérience que vous avez faite ne conclut rien pour tous les autres.
C’est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu’un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, et qu’elle ait des enfants qui aient honte de m’appeler leur grand-maman. S’il fallait qu’elle me vînt visiter en équipage de grand-dame, et qu’elle manquât par mégarde à saluer quelqu’un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. « Voyez-vous, dirait-on, cette Madame la Marquise qui fait tant la glorieuse ? C’est la fille de Monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous. Elle n’a pas toujours été si relevée que la voilà, et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint-Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu’ils payent maintenant peut-être bien cher en l’autre monde, et l’on ne devient guère si riches à être honnêtes gens. » Je ne veux point tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m’ait obligation de ma fille, et à qui je puisse dire : « Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi ».
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORIMÈNE: Enfin j'en reviens toujours là: les dépenses que je vous vois faire pour moi m'inquiètent par deux raisons: l'une, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrais; et l'autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les faites point que vous ne vous incommodiez; et je ne veux point cela.
Voilà bien les sentiments d’un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage : ma fille sera marquise en dépit de tout le monde ; et si vous me mettez en colère, je la ferai duchesse.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Ah! Madame, ce sont des bagatelles; et ce n'est pas par là.
Cléonte, ne perdez point courage encore. Suivez-moi, ma fille, et venez dire résolument à votre père, que si vous ne l’avez, vous ne voulez épouser personne.
 
DORIMÈNE: Je sais ce que je dis; et, entre autres, le diamant que vous m'avez forcée à prendre est d'un prix.
 
{{scène|XIII}}
DORANTE: Eh! Madame, de grâce, ne faites point tant valoir une chose que mon amour trouve indigne de vous; et souffrez. Voici le maître du logis.
 
<center>''Cléonte, Covielle.''</center>
===SCÈNE XVI===
MONSIEUR JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE, LAQUAIS.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN, après avoir fait deux révérences, se trouvant trop près de Dorimène: Un peu plus loin, Madame.
Vous avez fait de belles affaires avec vos beaux sentiments.
 
'''Cléonte'''<br>
DORIMÈNE: Comment?
Que veux-tu ? j’ai un scrupule là-dessus, que l’exemple ne saurait vaincre.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Un pas, s'il vous plaît.
Vous moquez-vous, de le prendre sérieusement avec un homme comme cela ? Ne voyez-vous pas qu’il est fou ? et vous coûtait-il quelque chose de vous accommoder à ses chimères ?
 
'''Cléonte'''<br>
DORIMÈNE: Quoi donc?
Tu as raison ; mais je ne croyais pas qu’il fallût faire ses preuves de noblesse pour être gendre de Monsieur Jourdain.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Reculez un peu, pour la troisième.
Ah, ah, ah.
 
'''Cléonte'''<br>
DORANTE: Madame, Monsieur Jourdain sait son monde.
De quoi ris-tu ?
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Madame, ce m'est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d'avoir le bonheur que vous ayez eu la bonté de m'accorder la grâce de me faire l'honneur de m'honorer de la faveur de votre présence; et si j'avais aussi le mérite pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel. envieux de mon bien. m'eût accordé... l'avantage de me voir digne... des...
D’une pensée qui me vient pour jouer notre homme, et vous faire obtenir ce que vous souhaitez.
 
'''Cléonte'''<br>
DORANTE: Monsieur Jourdain, en voilà assez: Madame n'aime pas les grands compliments, et elle sait que vous êtes homme d'esprit. (Bas, à Dorimène.) C'est un bon bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toutes ses manières.
Comment ?
 
'''Covielle'''<br>
DORIMÈNE: Il n'est pas malaisé de s'en apercevoir.
L’idée est tout à fait plaisante.
 
'''Cléonte'''<br>
DORANTE: Madame, voilà le meilleur de mes amis.
Quoi donc ?
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est trop d'honneur que vous me faites.
Il s’est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire entrer dans une bourle que je veux faire à notre ridicule. Tout cela sent un peu sa comédie ; mais avec lui on peut hasarder toute chose, il n’y faut point chercher tant de façons ; il est homme à y jouer son rôle à merveille, et à donner aisément dans toutes les fariboles qu’on s’avisera de lui dire. J’ai les acteurs, j’ai les habits tout prêts.''<br>
laissez-moi faire seulement.
 
'''Cléonte'''<br>
DORANTE: Galant homme tout à fait.
Mais apprends-moi.
 
'''Covielle'''<br>
DORIMÈNE: J'ai beaucoup d'estime pour lui.
Je vais vous instruire de tout. Retirons-nous, le voilà qui revient.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Je n'ai rien fait encore, Madame, pour mériter cette grâce.
 
{{scène|XIV}}
DORANTE, bas, à M. Jourdain: Prenez bien garde au moins à ne lui point parler du diamant que vous lui avez donné.
 
<center>''Monsieur Jourdain, Laquais.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Ne pourrais-je pas seulement lui demander comment elle le trouve?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Comment? gardez-vous-en bien: cela serait vilain à vous; et pour agir en galant homme, il faut que vous fassiez comme si ce n'était pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu'il est ravi de vous voir chez lui.
Que diable est-ce là ! ils n’ont rien que les grands seigneurs à me reprocher ; et moi, je ne vois rien de si beau que de hanter les grands seigneurs : il n’y a qu’honneur et que civilité avec eux, et je voudrais qu’il m’eût coûté deux doigts de la main, et être né comte ou marquis.
 
'''Laquais'''<br>
DORIMÈNE: Il m'honore beaucoup.
Monsieur, voici Monsieur le Comte, et une dame qu’il mène par la main.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Que je vous suis obligé, Monsieur, de lui parler ainsi pour moi!
Hé mon Dieu ! j’ai quelques ordres à donner. Dis-leur que je vais venir ici tout à l’heure.
 
DORANTE: J'ai eu une peine effroyable à la faire venir ici.
 
{{scène|XV}}
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne sais quelles grâces vous en rendre.
 
<center>''Dorimène, Dorante, Laquais.''</center>
DORANTE: Il dit, Madame, qu'il vous trouve la plus belle personne du monde.
 
'''Laquais'''<br>
DORIMÈNE: C'est bien de la grâce qu'il me fait.
Monsieur dit comme cela qu’il va venir ici tout à l’heure.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Madame, c'est vous qui faites les grâces; et...
Voilà qui est bien.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Songeons à manger.
Je ne sais pas, Dorante, je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une maison où je ne connais personne.
 
'''Dorante'''<br>
LAQUAIS: Tout est prêt, Monsieur.
Quel lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour choisisse pour vous régaler, puisque, pour fuir l’éclat, vous ne voulez ni votre maison, ni la mienne ?
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Allons donc nous mettre à table, et qu'on fasse venir les musiciens.
Mais vous ne dites pas que je m’engage insensiblement, chaque jour, à recevoir de trop grands témoignages de votre passion ! J’ai beau me défendre des choses, vous fatiguez ma résistance, et vous avez une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu’il vous plaît. Les visites fréquentes ont commencé ; les déclarations sont venues ensuite, qui après elles ont traîné les sérénades et les cadeaux, que les présents ont suivis. Je me suis opposée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, et, pied à pied, vous gagnez mes résolutions. Pour moi, je ne puis plus répondre de rien, et je crois qu’à la fin vous me ferez venir au mariage, dont je me suis tant éloignée.
 
'''Dorante'''<br>
Six cuisiniers, qui ont préparé le festin, dansent ensemble, et font le troisième intermède; après quoi, ils apportent une table couverte de plusieurs mets.
Ma foi ! Madame, vous y devriez déjà être. Vous êtes veuve, et ne dépendez que de vous. Je suis maître de moi, et vous aime plus que ma vie. à quoi tient-il que dès aujourd’hui vous ne fassiez tout mon bonheur ?
 
'''Dorimène'''<br>
==ACTE IV==
Mon Dieu ! Dorante, il faut des deux parts bien des qualités pour vivre heureusement ensemble ; et les deux plus raisonnables personnes du monde ont souvent peine à composer une union dont ils soient satisfaits.
===SCÈNE I===
DORANTE, DORIMÈNE, MONSIEUR JOURDAIN, DEUX MUSICIENS, UNE MUSICIENNE, LAQUAIS.
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Comment, Dorante? voilà un repas tout à fait magnifique!
Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultés ; et l’expérience que vous avez faite ne conclut rien pour tous les autres.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous vous moquez, Madame, et je voudrais qu'il fût plus digne de vous être offert.
Enfin j’en reviens toujours là : les dépenses que je vous vois faire pour moi m’inquiètent par deux raisons : l’une, qu’elles m’engagent plus que je ne voudrais ; et l’autre, que je suis sûre, sans vous déplaire, que vous ne les faites point que vous ne vous incommodiez ; et je ne veux point cela.
 
'''Dorante'''<br>
Tous se mettent à table.
Ah ! Madame, ce sont des bagatelles ; et ce n’est pas par là.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m'oblige de vous faire si bien les honneurs de chez lui. Je demeure d'accord avec lui que le repas n'est pas digne de vous. Comme c'est moi qui l'ai ordonné, et que je n'ai pas sur cette matière les lumières de nos amis, vous n'avez pas ici un repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère, et des barbarismes de bon goût. Si Damis, notre ami, s'en était mêlé, tout serait dans les règles; il y aurait partout de l'élégance et de l'érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du repas qu'il vous donnerait, et de vous faire tomber d'accord de sa haute capacité dans la science des bons morceaux, de vous parler d'un pain de rive, à biseau doré, relevé de croûte partout, croquant tendrement sous la dent; d'un vin à sève veloutée, armé d'un vert qui n'est point trop commandant; d'un carré de mouton gourmandé de persil; d'une longe de veau de rivière, longue comme cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une vraie pâte d'amande; de perdrix relevées d'un fumet surprenant; et pour son opéra, d'une soupe à bouillon perlé, soutenue d'un jeune gros dindon cantonné de pigeonneaux, et couronnée d'oignons blancs, mariés avec la chicorée. Mais pour moi, je vous avoue mon ignorance; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrais que le repas fût plus digne de vous être offert.
Je sais ce que je dis ; et, entre autres, le diamant que vous m’avez forcée à prendre est d’un prix.
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Je ne réponds à ce compliment, qu'en mangeant comme je fais.
Eh ! Madame, de grâce, ne faites point tant valoir une chose que mon amour trouve indigne de vous ; et souffrez. Voici le maître du logis.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! que voilà de belles mains!
 
{{scène|XVI}}
DORIMÈNE: Les mains sont médiocres, Monsieur Jourdain; mais vous voulez parler du diamant, qui est fort beau.
 
<center>''Monsieur Jourdain, Dorimène, Dorante, Laquais.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Moi, Madame! Dieu me garde d'en vouloir parler; ce ne serait pas agir en galant homme, et le diamant est fort peu de chose.
 
'''Monsieur Jourdain''', ''après avoir fait deux révérences, se trouvant trop près de Dorimène.''<br>
DORIMÈNE: Vous êtes bien dégoûté.
Un peu plus loin, Madame.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous avez trop de bonté.
Comment ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE, après avoir fait signe à Monsieur Jourdain: Allons, qu'on donne du vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs et à ces dames, qui nous feront la grâce de nous chanter un air à boire.
Un pas, s’il vous plaît.
 
'''Dorimène'''<br>
DORIMÈNE: C'est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d'y mêler la musique, et je me vois ici admirablement régalée.
Quoi donc ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Madame, ce n'est pas.
Reculez un peu, pour la troisième.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs et à ces Dames; ce qu'ils nous diront vaudra mieux que tout ce que nous pourrions dire.
Madame, Monsieur Jourdain sait son monde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Les musiciens et la musicienne prennent des verres, chantent deux chansons à boire, et sont soutenus de toute la symphonie.
Madame, ce m’est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d’avoir le bonheur que vous ayez eu la bonté de m’accorder la grâce de me faire l’honneur de m’honorer de la faveur de votre présence ; et si j’avais aussi le mérite pour mériter un mérite comme le vôtre, et que le Ciel, envieux de mon bien, m’eût accordé… l’avantage de me voir digne… des…
 
'''Dorante'''<br>
PREMIERE CHANSON À BOIRE
Monsieur Jourdain, en voilà assez : Madame n’aime pas les grands compliments, et elle sait que vous êtes homme d’esprit. (''Bas, à Dorimène.'') C’est un bon bourgeois assez ridicule, comme vous voyez, dans toutes ses manières.
 
'''Dorimène'''<br>
Un petit doigt, Philis, pour commencer le tour.
Il n’est pas malaisé de s’en apercevoir.
Ah! qu'un verre en vos mains a d'agréables charmes!
Vous et le vin, vous vous prêtez des armes,
Et je sens pour tous deux redoubler mon amour:
Entre lui, vous et moi, jurons, jurons, ma belle,
Une ardeur éternelle.
 
'''Dorante'''<br>
Qu'en mouillant votre bouche il en reçoit d'attraits,
Madame, voilà le meilleur de mes amis.
Et que l'on voit par lui votre bouche embellie!
Ah! l'un de l'autre ils me donnent envie,
Et de vous et de lui je m'enivre à longs traits:
Entre lui, vous et moi, jurons, jurons, ma belle,
Une ardeur éternelle.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
SECONDE CHANSON À BOIRE
C’est trop d’honneur que vous me faites.
 
'''Dorante'''<br>
Buvons, chers amis, buvons:
Galant homme tout à fait.
Le temps qui fuit nous y convie;
Profitons de la vie
Autant que nous pouvons.
Quand on a passé l'onde noire,
Adieu le bon vin, nos amours;
Dépêchons-nous de boire,
On ne boit pas toujours.
 
'''Dorimène'''<br>
Laissons raisonner les sots
J’ai beaucoup d’estime pour lui.
Sur le vrai bonheur de la vie;
Notre philosophie
Le met parmi les pots.
Les biens, le savoir et la gloire
N'ôtent point les soucis fâcheux,
Et ce n'est qu'à bien boire
Que l'on peut être heureux.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Sus, sus, du vin partout, versez, garçons, versez,
Je n’ai rien fait encore, Madame, pour mériter cette grâce.
Versez, versez toujours, tant qu'on vous dise assez.
 
'''Dorante''', ''bas, à M. Jourdain.''<br>
DORIMÈNE: Je ne crois pas qu'on puisse mieux chanter, et cela est tout à fait beau.
Prenez bien garde au moins à ne lui point parler du diamant que vous lui avez donné.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je vois encore ici, Madame, quelque chose de plus beau.
Ne pourrais-je pas seulement lui demander comment elle le trouve ?
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Ouais! Monsieur Jourdain est galant plus que je ne pensais.
Comment ? gardez-vous-en bien : cela serait vilain à vous ; et pour agir en galant homme, il faut que vous fassiez comme si ce n’était pas vous qui lui eussiez fait ce présent. Monsieur Jourdain, Madame, dit qu’il est ravi de vous voir chez lui.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Comment, Madame? pour qui prenez-vous Monsieur Jourdain?
Il m’honore beaucoup.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je voudrais bien qu'elle me prît pour ce que je dirais.
Que je vous suis obligé, Monsieur, de lui parler ainsi pour moi !
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Encore!
J’ai eu une peine effroyable à la faire venir ici.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Vous ne le connaissez pas.
Je ne sais quelles grâces vous en rendre.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Elle me connaîtra quand il lui plaira.
Il dit, Madame, qu’il vous trouve la plus belle personne du monde.
 
'''Dorimène'''<br>
DORIMÈNE: Oh! Je le quitte.
C’est bien de la grâce qu’il me fait.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Il est homme qui a toujours la riposte en main. Mais vous ne voyez pas que Monsieur Jourdain, Madame, mange tous les morceaux que vous avez touchés.
Madame, c’est vous qui faites les grâces ; et…
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Monsieur Jourdain est un homme qui me ravit.
Songeons à manger.
 
'''Laquais'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Si je pouvais ravir votre cœur, je serais.
Tout est prêt, Monsieur.
 
'''Dorante'''<br>
===SCÈNE II===
Allons donc nous mettre à table, et qu’on fasse venir les musiciens.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE, MUSICIENS, MUSICIENNES, LAQUAIS.
 
''Six cuisiniers, qui ont préparé le festin, dansent ensemble, et font le troisième intermède ; après quoi, ils apportent une table couverte de plusieurs mets.''
MADAME JOURDAIN: Ah, ah! je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu'on ne m'y attendait pas. C'est donc pour cette belle affaire-ci, Monsieur mon mari, que vous avez eu tant d'empressement à m'envoyer dîner chez ma sœur? Je viens de voir un théâtre là-bas, et je vois ici un banquet à faire noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c'est ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous leur donnez la musique et la comédie, tandis que vous m'envoyez promener?
 
DORANTE: Que voulez-vous dire, Madame Jourdain? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête que votre mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce régale à Madame? Apprenez que c'est moi, je vous prie; qu'il ne fait seulement que me prêter sa maison, et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui.
 
{{acte|IV}}
MADAME JOURDAIN: Ce sont des chansons que cela: je sais ce que je sais.
 
DORANTE: Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes.
 
{{scène|I}}
MADAME JOURDAIN: Je n'ai que faire de lunettes, Monsieur, et je vois assez clair; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n'est ni beau ni honnête à vous, de mettre de la dissension dans un ménage, et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous.
 
<center>''Dorante, Dorimène, Monsieur Jourdain, Deux Musiciens, Une Musicienne, Laquais.''</center>
DORIMÈNE: Que veut donc dire tout ceci? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cette extravagante.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Madame, holà! Madame, où courez-vous?
Comment, Dorante ? voilà un repas tout à fait magnifique !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Madame! Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener. Ah! Impertinente que vous êtes! Voilà de vos beaux faits; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité.
Vous vous moquez, Madame, et je voudrais qu’il fût plus digne de vous être offert.
 
''Tous se mettent à table.''
MADAME JOURDAIN: Je me moque de leur qualité.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne vous fende la tête avec les pièces du repas que vous êtes venue troubler.
Monsieur Jourdain a raison, Madame, de parler de la sorte, et il m’oblige de vous faire si bien les honneurs de chez lui. Je demeure d’accord avec lui que le repas n’est pas digne de vous. Comme c’est moi qui l’ai ordonné, et que je n’ai pas sur cette matière les lumières de nos amis, vous n’avez pas ici un repas fort savant, et vous y trouverez des incongruités de bonne chère, et des barbarismes de bon goût. Si Damis, notre ami, s’en était mêlé, tout serait dans les règles ; il y aurait partout de l’élégance et de l’érudition, et il ne manquerait pas de vous exagérer lui-même toutes les pièces du repas qu’il vous donnerait, et de vous faire tomber d’accord de sa haute capacité dans la science des bons morceaux, de vous parler d’un pain de rive, à biseau doré, relevé de croûte partout, croquant tendrement sous la dent ; d’un vin à sève veloutée, armé d’un vert qui n’est point trop commandant ; d’un carré de mouton gourmandé de persil ; d’une longe de veau de rivière, longue comme cela, blanche, délicate, et qui sous les dents est une vraie pâte d’amande ; de perdrix relevées d’un fumet surprenant ; et pour son opéra, d’une soupe à bouillon perlé, soutenue d’un jeune gros dindon cantonné de pigeonneaux, et couronnée d’oignons blancs, mariés avec la chicorée. Mais pour moi, je vous avoue mon ignorance ; et comme Monsieur Jourdain a fort bien dit, je voudrais que le repas fût plus digne de vous être offert.
 
'''Dorimène'''<br>
On ôte la table.
Je ne réponds à ce compliment, qu’en mangeant comme je fais.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN, sortant: Je me moque de cela. Ce sont mes droits que je défends, et j'aurai pour moi toutes les femmes.
Ah ! que voilà de belles mains !
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous faites bien d'éviter ma colère. Elle est arrivée là bien malheureusement. J'étais en humeur de dire de jolies choses, et jamais je ne m'étais senti tant d'esprit. Qu'est-ce que c'est que cela?
Les mains sont médiocres, Monsieur Jourdain ; mais vous voulez parler du diamant, qui est fort beau.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE III===
Moi, Madame ! Dieu me garde d’en vouloir parler ; ce ne serait pas agir en galant homme, et le diamant est fort peu de chose.
COVIELLE, déguisé en voyageur, MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.
 
'''Dorimène'''<br>
COVIELLE: Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu de vous.
Vous êtes bien dégoûté.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, Monsieur.
Vous avez trop de bonté.
 
'''Dorante''', ''après avoir fait signe à Monsieur Jourdain.''<br>
COVIELLE: Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela.
Allons, qu’on donne du vin à Monsieur Jourdain, et à ces Messieurs et à ces dames, qui nous feront la grâce de nous chanter un air à boire.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Moi!
C’est merveilleusement assaisonner la bonne chère, que d’y mêler la musique, et je me vois ici admirablement régalée.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui, vous étiez le plus bel enfant du monde, et toutes les dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser.
Madame, ce n’est pas.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Pour me baiser!
Monsieur Jourdain, prêtons silence à ces Messieurs et à ces Dames ; ce qu’ils nous diront vaudra mieux que tout ce que nous pourrions dire.
 
''Les musiciens et la musicienne prennent des verres, chantent deux chansons à boire, et sont soutenus de toute la symphonie.''
COVIELLE: Oui. J'étais grand ami de feu Monsieur votre père.
<center>
<br>
'''PREMIERE CHANSON À BOIRE'''<br>
<br>
''Un petit doigt, Philis, pour commencer le tour.''<br>
''Ah ! qu’un verre en vos mains a d’agréables charmes !''<br>
''Vous et le vin, vous vous prêtez des armes,''<br>
''Et je sens pour tous deux redoubler mon amour :''<br>
''Entre lui, vous et moi, jurons, jurons, ma belle,''<br>
''Une ardeur éternelle.''<br>
<br>
''Qu’en mouillant votre bouche il en reçoit d’attraits,''<br>
''Et que l’on voit par lui votre bouche embellie !''<br>
''Ah ! l’un de l’autre ils me donnent envie,''<br>
''Et de vous et de lui je m’enivre à longs traits :''<br>
''Entre lui, vous et moi, jurons, jurons, ma belle,''<br>
''Une ardeur éternelle.''<br>
<br>
'''SECONDE CHANSON À BOIRE'''<br>
<br>
''Buvons, chers amis, buvons :''<br>
''Le temps qui fuit nous y convie ;''<br>
''Profitons de la vie''<br>
''Autant que nous pouvons.''<br>
''Quand on a passé l’onde noire,''<br>
''Adieu le bon vin, nos amours ;''<br>
''Dépêchons-nous de boire,''<br>
''On ne boit pas toujours.''<br>
<br>
''Laissons raisonner les sots''<br>
''Sur le vrai bonheur de la vie ;''<br>
''Notre philosophie''<br>
''Le met parmi les pots.''<br>
''Les biens, le savoir et la gloire''<br>
''N’ôtent point les soucis fâcheux,''<br>
''Et ce n’est qu’à bien boire''<br>
''Que l’on peut être heureux.''<br>
<br>
''Sus, sus, du vin partout, versez, garçons, versez,''<br>
''Versez, versez toujours, tant qu’on vous dise assez.''<br>
<br>
</center>
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: De feu Monsieur mon père!
Je ne crois pas qu’on puisse mieux chanter, et cela est tout à fait beau.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui. C'était un fort honnête gentilhomme.
Je vois encore ici, Madame, quelque chose de plus beau.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Comment dites-vous?
Ouais ! Monsieur Jourdain est galant plus que je ne pensais.
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Je dis que c'était un fort honnête gentilhomme.
Comment, Madame ? pour qui prenez-vous Monsieur Jourdain ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mon père!
Je voudrais bien qu’elle me prît pour ce que je dirais.
 
'''Dorimène'''<br>
COVIELLE: Oui.
Encore !
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous l'avez fort connu?
Vous ne le connaissez pas.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Assurément.
Elle me connaîtra quand il lui plaira.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Et vous l'avez connu pour gentilhomme?
Oh ! Je le quitte.
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Sans doute.
Il est homme qui a toujours la riposte en main. Mais vous ne voyez pas que Monsieur Jourdain, Madame, mange tous les morceaux que vous avez touchés.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne sais donc pas comment le monde est fait.
Monsieur Jourdain est un homme qui me ravit.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Comment?
Si je pouvais ravir votre cœur, je serais.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu'il a été marchand.
 
{{scène|II}}
COVIELLE: Lui marchand! C'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l'argent.
 
<center>''Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Dorante, Dorimène, Musiciens, Musiciennes, Laquais.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là, que mon père était gentilhomme.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
COVIELLE: Je le soutiendrai devant tout le monde.
Ah, ah ! je trouve ici bonne compagnie, et je vois bien qu’on ne m’y attendait pas. C’est donc pour cette belle affaire-ci, Monsieur mon mari, que vous avez eu tant d’empressement à m’envoyer dîner chez ma sœur ? Je viens de voir un théâtre là-bas, et je vois ici un banquet à faire noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c’est ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous leur donnez la musique et la comédie, tandis que vous m’envoyez promener ?
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène?
Que voulez-vous dire, Madame Jourdain ? et quelles fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête que votre mari dépense son bien, et que c’est lui qui donne ce régale à Madame ? Apprenez que c’est moi, je vous prie ; qu’il ne fait seulement que me prêter sa maison, et que vous devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Depuis avoir connu feu Monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde.
Oui, impertinente, c’est Monsieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité. Il me fait l’honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je sois avec lui.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Par tout le monde!
Ce sont des chansons que cela : je sais ce que je sais.
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Oui.
Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je pense qu'il y a bien loin en ce pays-là.
Je n’ai que faire de lunettes, Monsieur, et je vois assez clair ; il y a longtemps que je sens les choses, et je ne suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main comme vous faites aux sottises de mon mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n’est ni beau ni honnête à vous, de mettre de la dissension dans un ménage, et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous.
 
'''Dorimène'''<br>
COVIELLE: Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; et par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.
Que veut donc dire tout ceci ? Allez, Dorante, vous vous moquez, de m’exposer aux sottes visions de cette extravagante.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quelle?
Madame, holà ! Madame, où courez-vous ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Vous savez que le fils du Grand Turc est ici?
Madame ! Monsieur le Comte, faites-lui excuses, et tâchez de la ramener. Ah ! Impertinente que vous êtes ! Voilà de vos beaux faits ; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes de qualité.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Moi? Non.
Je me moque de leur qualité.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Comment? il a un train tout à fait magnifique; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importance.
Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne vous fende la tête avec les pièces du repas que vous êtes venue troubler.
 
''On ôte la table.''
MONSIEUR JOURDAIN: Par ma foi! je ne savais pas cela.
 
'''Madame Jourdain''', sortant.''<br>
COVIELLE: Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre fille.
Je me moque de cela. Ce sont mes droits que je défends, et j’aurai pour moi toutes les femmes.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Le fils du Grand Turc?
Vous faites bien d’éviter ma colère. Elle est arrivée là bien malheureusement. J’étais en humeur de dire de jolies choses, et jamais je ne m’étais senti tant d’esprit. Qu’est-ce que c’est que cela ?
 
COVIELLE: Oui; et il veut être votre gendre.
 
{{scène|III}}
MONSIEUR JOURDAIN: Mon gendre, le fils du Grand Turc!
 
<center>''Covielle déguisé en voyageur, Monsieur Jourdain, Laquais.''</center>
COVIELLE: Le fils du Grand Turc votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi; et, après quelques autres discours, il me dit: Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath, c'est-à-dire: "N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien?"
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Le fils du Grand Turc dit cela de moi?
Monsieur, je ne sais pas si j’ai l’honneur d’être connu de vous.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille: "Ah!" me dit-il, "marababa sahem"; c'est-à-dire "Ah! que je suis amoureux d'elle!"
Non, Monsieur.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Marababa sahem veut dire "Ah! que je suis amoureux d'elle" ?
Je vous ai vu que vous n’étiez pas plus grand que cela.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui.
Moi !
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Par ma foi! vous faites bien de me le dire, car pour moi je n'aurais jamais cru que "marababa sahem" eût voulu dire: "Ah! que je suis amoureux d'elle!" Voilà une langue admirable que ce turc!
Oui, vous étiez le plus bel enfant du monde, et toutes les dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Plus admirable qu'on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire "cacaracamouchen"?
Pour me baiser !
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: "Cacaracamouchen?" Non.
Oui. J’étais grand ami de feu Monsieur votre père.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: C'est-à-dire: "Ma chère âme."
De feu Monsieur mon père !
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Cacaracamouchen veut dire "ma chère âme" ?
Oui. C’était un fort honnête gentilhomme.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui.
Comment dites-vous ?
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà qui est merveilleux! "Cacaracamouchen", "Ma chère âme." Dirait-on jamais cela? Voilà qui me confond.
Je dis que c’était un fort honnête gentilhomme.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.
Mon père !
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mamamouchi?
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui, Mamamouchi; c'est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens. Paladin enfin. Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde, et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.
Vous l’avez fort connu ?
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Le fils du Grand Turc m'honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui pour lui faire mes remercîments.
Assurément.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Comment? le voilà qui va venir ici.
Et vous l’avez connu pour gentilhomme ?
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il va venir ici?
Sans doute.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Oui; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.
Je ne sais donc pas comment le monde est fait.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà qui est bien prompt.
Comment ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Son amour ne peut souffrir aucun retardement.
Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu’il a été marchand.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n'épouser personne que celui-là.
Lui marchand ! C’est pure médisance, il ne l’a jamais été. Tout ce qu’il faisait, c’est qu’il était fort obligeant, fort officieux ; et comme il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l’argent.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Elle changera de sentiment quand elle verra le fils du Grand Turc; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré; et l'amour qu'elle a pour l'un, pourra passer aisément à l'autre, et. Je l'entends venir: le voilà.
Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là, que mon père était gentilhomme.
 
'''Covielle'''<br>
===SCÈNE IV===
Je le soutiendrai devant tout le monde.
CLÉONTE, en Turc, avec trois pages portant sa veste, MONSIEUR JOURDAIN, COVIELLE, déguisé.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Ambousahim oqui boraf, iordina salamalequi.
Vous m’obligerez. Quel sujet vous amène ?
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: C'est-à-dire: "Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l'année comme un rosier fleuri." Ce sont façons de parler obligeantes de ces pays-là.
Depuis avoir connu feu Monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j’ai voyagé par tout le monde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je suis très humble serviteur de Son Altesse Turque.
Par tout le monde !
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Carigar camboto oustin moraf.
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Oustin yoc catamalequi basum base alla moran.
Je pense qu’il y a bien loin en ce pays-là.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Il dit "que le Ciel vous donne la force des lions et la prudence des serpents!"
Assurément. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours ; et par l’intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Son Altesse Turque m'honore trop, et je lui souhaite toutes sortes de prospérités.
Quelle ?
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Ossa binamen sadoc babally oracaf ouram.
Vous savez que le fils du Grand Turc est ici ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
CLÉONTE: Bel-men.
Moi ? Non.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille, et de conclure le mariage.
Comment ? il a un train tout à fait magnifique ; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d’importance.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Tant de choses en deux mots?
Par ma foi ! je ne savais pas cela.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Oui, la langue turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vite où il souhaite.
Ce qu’il y a d’avantageux pour vous, c’est qu’il est amoureux de votre fille.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE V===
Le fils du Grand Turc ?
DORANTE, COVIELLE.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Ha, ha, ha. Ma foi! cela est tout à fait drôle. Quelle dupe! Quand il aurait appris son rôle par cœur, il ne pourrait pas le mieux jouer. Ah, ah. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans, dans une affaire qui s'y passe.
Oui ; et il veut être votre gendre.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Ah, ah, Covielle, qui t'aurait reconnu? Comme te voilà ajusté!
Mon gendre, le fils du Grand Turc !
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Vous voyez. Ah, ah.
Le fils du Grand Turc votre gendre. Comme je le fus voir, et que j’entends parfaitement sa langue, il s’entretint avec moi ; et, après quelques autres discours, il me dit : « Acciam croc soler ouch alla moustaph gidelum amanahem varahini oussere carbulath », c’est-à-dire :
« N’as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de Monsieur Jourdain, gentilhomme parisien ? »
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: De quoi ris-tu?
Le fils du Grand Turc dit cela de moi ?
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: D'une chose, Monsieur, qui le mérite bien.
Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j’avais vu votre fille : « Ah ! » me dit-il, « marababa sahem » ; c’est-à-dire « Ah ! que je suis amoureux d’elle ! »
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Comment?
Marababa sahem veut dire « Ah ! que je suis amoureux d’elle » ?
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Je vous le donnerais en bien des fois, Monsieur, à deviner, le stratagème dont nous nous servons auprès de Monsieur Jourdain, pour porter son esprit à donner sa fille à mon maître.
Oui.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Je ne devine point le stratagème; mais je devine qu'il ne manquera pas de faire son effet, puisque tu l'entreprends.
Par ma foi ! vous faites bien de me le dire, car pour moi je n’aurais jamais cru que « marababa sahem » eût voulu dire : « Ah ! que je suis amoureux d’elle ! » Voilà une langue admirable que ce turc !
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Je sais, Monsieur, que la bête vous est connue.
Plus admirable qu’on ne peut croire. Savez-vous bien ce que veut dire « cacaracamouchen » ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Apprends-moi ce que c'est.
« Cacaracamouchen ? » Non.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous pourrez voir une partie de l'histoire, tandis que je vous conterai le reste.
C’est-à-dire : « Ma chère âme. »
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Six Turcs dansant entre eux gravement deux à deux, au son de tous les instruments. Ils portent trois tapis fort longs, dont ils font plusieurs figures, et, à la fin de cette première cérémonie, ils les lèvent fort haut; les Turcs musiciens, et autres joueurs d'instruments, passent par dessous; quatre Derviches qui accompagnent le Mufti ferment cette marche.
Cacaracamouchen veut dire « ma chère âme » ?
Alors les Turcs étendent les tapis par terre, et se mettent dessus à genoux; le Mufti est debout au milieu, qui fait une invocation avec des contorsions et des grimaces, levant le menton, et remuant les mains contre sa tête, comme si c'était des ailes. Les Turcs se prosternent jusqu'à terre, chantant Alli, puis se relèvent, chantant Alla, et continuant alternativement jusqu'à la fin de l'invocation; puis ils se lèvent tous, chantant Alla ekber.
Alors les Derviches amènent devant le Mufti le Bourgeois vêtu à la turque, rasé, sans turban, sans sabre, auquel il chante gravement ces paroles:
LE MUFTI
 
'''Covielle'''<br>
Se ti sabir,
Oui.
Ti respondir;
Se non sabir,
Tazir, tazir.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Mi star Mufti:
Voilà qui est merveilleux ! « Cacaracamouchen », « Ma chère âme. » Dirait-on jamais cela ? Voilà qui me confond.
Ti qui star ti?
Non intendir:
Tazir, tazir.
 
'''Covielle'''<br>
Deux Derviches font retirer le Bourgeois. Le Mufti demande aux Turcs de quelle religion est le Bourgeois, et chante:
Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage ; et pour avoir un beau-père qui soit digne de lui, il veut vous faire mamamouchi, qui est une certaine grande dignité de son pays.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Dice, Turque, qui star quista,
Mamamouchi ?
Anabatista, anabatista?
 
'''Covielle'''<br>
LES TURCS répondent.
Oui, Mamamouchi ; c’est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens. Paladin enfin. Il n’y a rien de plus noble que cela dans le monde, et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Ioc.
Le fils du Grand Turc m’honore beaucoup, et je vous prie de me mener chez lui pour lui faire mes remercîments.
 
'''Covielle'''<br>
LE MUFTI
Comment ? le voilà qui va venir ici.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Zuinglista?
Il va venir ici ?
 
'''Covielle'''<br>
LES TURCS
Oui ; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Ioc.
Voilà qui est bien prompt.
 
'''Covielle'''<br>
LE MUFTI
Son amour ne peut souffrir aucun retardement.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
Coffita?
Tout ce qui m’embarrasse ici, c’est que ma fille est une opiniâtre, qui s’est allée mettre dans la tête un certain Cléonte, et elle jure de n’épouser personne que celui-là.
 
'''Covielle'''<br>
LES TURCS
Elle changera de sentiment quand elle verra le fils du Grand Turc ; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c’est que le fils du Grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l’a montré ; et l’amour qu’elle a pour l’un, pourra passer aisément à l’autre, et. Je l’entends venir : le voilà.
 
Ioc.
 
{{scène|IV}}
LE MUFTI
 
<center>''Cléonte en Turc, avec trois pages portant sa veste, Monsieur Jourdain, Covielle déguisé.''</center>
Hussita? Morista? Fronista?
 
'''Cléonte'''<br>
LES TURCS
Ambousahim oqui boraf, iordina salamalequi.
 
'''Covielle'''<br>
Ioc. Ioc. Ioc.
C’est-à-dire : « Monsieur Jourdain, votre cœur soit toute l’année comme un rosier fleuri. » Ce sont façons de parler obligeantes de ces pays-là.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
LE MUFTI répète.
Je suis très humble serviteur de Son Altesse Turque.
 
'''Covielle'''<br>
Ioc. Ioc. Ioc.
Carigar camboto oustin moraf.
Star pagana?
 
'''Cléonte'''<br>
LES TURCS
Oustin yoc catamalequi basum base alla moran.
 
'''Covielle'''<br>
Ioc.
Il dit « que le Ciel vous donne la force des lions et la prudence des serpents ! »
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
LE MUFTI
Son Altesse Turque m’honore trop, et je lui souhaite toutes sortes de prospérités.
 
'''Covielle'''<br>
Luterana?
Ossa binamen sadoc babally oracaf ouram.
 
'''Cléonte'''<br>
LES TURCS
Bel-men.
 
'''Covielle'''<br>
Ioc.
Il dit que vous alliez vite avec lui vous préparer pour la cérémonie, afin de voir ensuite votre fille, et de conclure le mariage.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
LE MUFTI
Tant de choses en deux mots ?
 
'''Covielle'''<br>
Puritana?
Oui, la langue turque est comme cela, elle dit beaucoup en peu de paroles. Allez vite où il souhaite.
 
LES TURCS
 
{{scène|V}}
Ioc.
 
<center>''Dorante, Covielle.''</center>
LE MUFTI
 
'''Covielle'''<br>
Bramina? Moffina? Zurina?
Ha, ha, ha. Ma foi ! cela est tout à fait drôle. Quelle dupe ! Quand il aurait appris son rôle par cœur, il ne pourrait pas le mieux jouer. Ah, ah. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider céans, dans une affaire qui s’y passe.
 
'''Dorante'''<br>
LES TURCS
Ah, ah, Covielle, qui t’aurait reconnu ? Comme te voilà ajusté !
 
'''Covielle'''<br>
Ioc. Ioc. Ioc.
Vous voyez. Ah, ah.
 
'''Dorante'''<br>
LE MUFTI répète.
De quoi ris-tu ?
 
'''Covielle'''<br>
Ioc. Ioc. Ioc.
D’une chose, Monsieur, qui le mérite bien.
Mahametana, Mahametana?
 
'''Dorante'''<br>
LES TURCS
Comment ?
 
'''Covielle'''<br>
Hey valla. Hey valla.
Je vous le donnerais en bien des fois, Monsieur, à deviner, le stratagème dont nous nous servons auprès de Monsieur Jourdain, pour porter son esprit à donner sa fille à mon maître.
 
'''Dorante'''<br>
LE MUFTI
Je ne devine point le stratagème ; mais je devine qu’il ne manquera pas de faire son effet, puisque tu l’entreprends.
 
'''Covielle'''<br>
Como chamara? Como chamara?
Je sais, Monsieur, que la bête vous est connue.
 
'''Dorante'''<br>
LES TURCS
Apprends-moi ce que c’est.
 
'''Covielle'''<br>
Giourdina, Giourdina.
Prenez la peine de vous tirer un peu plus loin, pour faire place à ce que j’aperçois venir. Vous pourrez voir une partie de l’histoire, tandis que je vous conterai le reste.
 
''Six Turcs dansant entre eux gravement deux à deux, au son de tous les instruments. Ils portent trois tapis fort longs, dont ils font plusieurs figures, et, à la fin de cette première cérémonie, ils les lèvent fort haut ; les Turcs musiciens, et autres joueurs d’instruments, passent par dessous ; quatre Derviches qui accompagnent le Mufti ferment cette marche. Alors les Turcs étendent les tapis par terre, et se mettent dessus à genoux ; le Mufti est debout au milieu, qui fait une invocation avec des contorsions et des grimaces, levant le menton, et remuant les mains contre sa tête, comme si c’était des ailes. Les Turcs se prosternent jusqu’à terre, chantant Alli, puis se relèvent, chantant Alla, et continuant alternativement jusqu’à la fin de l’invocation ; puis ils se lèvent tous, chantant Alla ekber. Alors les Derviches amènent devant le Mufti le Bourgeois vêtu à la turque, rasé, sans turban, sans sabre, auquel il chante gravement ces paroles'' :
LE MUFTI
 
<center>
Giourdina.
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Se ti sabir,''<br>
''Ti respondir ;''<br>
''Se non sabir,''<br>
''Tazir, tazir. ''<br>
<br>
''Mi star Mufti :''<br>
''Ti qui star ti ?''<br>
''Non intendir :''<br>
''Tazir, tazir.''<br>
<br>
</center>
''Deux Derviches font retirer le Bourgeois. Le Mufti demande aux Turcs de quelle religion est le Bourgeois, et chante'' :
<center>
<br>
''Dice, Turque, qui star quista,''<br>
''Anabatista, anabatista ?''<br>
<br>
'''Les Turcs''' ''répondent.''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Zuinglista ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Coffita ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Hussita ? Morista ? Fronista ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc. Ioc. Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti''' ''répète.''<br>
''Ioc. Ioc. Ioc.''<br>
''Star pagana ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Luterana ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Puritana ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Bramina ? Moffina ? Zurina ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Ioc. Ioc. Ioc.''<br>
<br>
'''Le Mufti''' ''répète.''<br>
''Ioc. Ioc. Ioc.''<br>
''Mahametana, Mahametana ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Hey valla. Hey valla.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Como chamara ? Como chamara ?''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Giourdina, Giourdina.''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Giourdina.''<br>
<br>
'''Le Mufti''' ''sautant et regardant de côté et d’autre.''<br>
''Giourdina ? Giourdina ? Giourdina ?''<br>
<br>
'''Les Turcs''' ''répètent.''<br>
''Giourdina ! Giourdina ! Giourdina !''<br>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Mahameta per Giourdina''<br>
''Mi pregar sera e matina''<br>
''Voler far un Paladina''<br>
''De Giourdina, de Giourdina.''<br>
''Dar turbanta, e dar scarcina''<br>
''Con galera e brigantina''<br>
''Per deffender Palestina.''<br>
''Mahameta per Giourdina, etc.''<br>
<br>
</center>
''Après quoi, le Mufti demande aux Turcs si le Bourgeois est ferme dans la religion mahométane, et leur chante ces paroles :''
<center>
<br>
'''Le Mufti'''<br>
''Star bon Turca Giourdina ? Bis.''<br>
<br>
'''Les Turcs'''<br>
''Hey valla. Hey valla. Bis.''<br>
<br>
'''Le Mufti''' ''chante et danse.''<br>
''Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.''<br>
<br>
</center>
''Après que le Mufti s’est retiré, les Turcs dansent, et répètent ces mêmes paroles.''
<center>
<br>
''Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.''<br>
<br>
</center>
''Le Mufti revient, avec son turban de cérémonie qui est d’une grosseur démesurée, garni de bougies allumées, à quatre ou cinq rangs. Deux Derviches l’accompagnent, avec des bonnets pointus garnis aussi de bougies allumées, portant l’Alcoran : les deux autres Derviches amènent le Bourgeois, qui est tout épouvanté de cette cérémonie, et le font mettre à genoux le dos tourné au Mufti, puis, le faisant incliner jusques à mettre ses mains par terre, ils lui mettent l’Alcoran sur le dos, et le font servir de pupitre au Mufti, qui fait une invocation burlesque, fronçant le sourcil, et ouvrant la bouche, sans dire mot ; puis parlant avec véhémence, tantôt radoucissant sa voix, tantôt la poussant d’un enthousiasme à faire trembler, en se poussant les côtes avec les mains, comme pour faire sortir ses paroles frappant quelquefois les mains sur l’Alcoran, et tournant les feuillets avec précipitation, et finit enfin en levant les bras, et criant à haute voix : « Hou. » Pendant cette invocation, les Turcs assistants chantent Hou, hou, hou, s’inclinant à trois reprises, puis se relèvent de même à trois reprises, en chantant Hou, hou, hou, et continuant alternativement pendant toute l’invocation du Mufti. Après que l’invocation est finie, les Derviches ôtent l’Alcoran de dessus le dos du Bourgeois, qui crie Ouf, parce qu’il est las d’avoir été longtemps en cette posture, puis ils le relèvent.''
 
'''Le Mufti''' ''s’adressant au Bourgeois.''<br>
LE MUFTI sautant et regardant de côté et d'autre.
Ti non star furba ?<br>
 
'''Les Turcs'''<br>
Giourdina? Giourdina? Giourdina?
No, no, no.<br>
 
'''Le Mufti'''<br>
LES TURCS répètent.
Non star forfanta ?<br>
 
Giourdina! Giourdina! Giourdina!
 
LE MUFTI
 
Mahameta per Giourdina
Mi pregar sera e matina
Voler far un Paladina
De Giourdina, de Giourdina.
Dar turbanta, e dar scarcina
Con galera e brigantina
Per deffender Palestina.
Mahameta per Giourdina, etc.
 
Après quoi, le Mufti demande aux Turcs si le Bourgeois est ferme dans la religion mahométane, et leur chante ces paroles:
 
LE MUFTI
 
Star bon Turca Giourdina? Bis.
 
LES TURCS
 
Hey valla. Hey valla. Bis.
 
LE MUFTI chante et danse.
 
Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.
 
Après que le Mufti s'est retiré, les Turcs dansent, et répètent ces mêmes paroles.
 
Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.
 
Le Mufti revient, avec son turban de cérémonie qui est d'une grosseur démesurée, garni de bougies allumées, à quatre ou cinq rangs.
Deux Derviches l'accompagnent, avec des bonnets pointus garnis aussi de bougies allumées, portant l'Alcoran: les deux autres Derviches amènent le Bourgeois, qui est tout épouvanté de cette cérémonie, et le font mettre à genoux le dos tourné au Mufti, puis, le faisant incliner jusques à mettre ses mains par terre, ils lui mettent l'Alcoran sur le dos, et le font servir de pupitre au Mufti, qui fait une invocation burlesque, fronçant le sourcil, et ouvrant la bouche, sans dire mot; puis parlant avec véhémence, tantôt radoucissant sa voix, tantôt la poussant d'un enthousiasme à faire trembler, en se poussant les côtes avec les mains, comme pour faire sortir ses paroles frappant quelquefois les mains sur l'Alcoran, et tournant les feuillets avec précipitation, et finit enfin en levant les bras, et criant à haute voix: Hou.
Pendant cette invocation, les Turcs assistants chantent Hou, hou, hou, s'inclinant à trois reprises, puis se relèvent de même à trois reprises, en chantant Hou, hou, hou, et continuant alternativement pendant toute l'invocation du Mufti.
Après que l'invocation est finie, les Derviches ôtent l'Alcoran de dessus le dos du Bourgeois, qui crie Ouf, parce qu'il est las d'avoir été longtemps en cette posture, puis ils le relèvent.
 
LE MUFTI s'adressant au Bourgeois.
 
Ti non star furba?
 
LES TURCS
 
'''Les Turcs'''<br>
No, no, no.
 
'''Le Mufti''' ''aux Turcs.''<br>
LE MUFTI
Donar turbanta. Donar turbanta.<br>
Et s’en va.
 
''Les Turcs répètent tout ce que dit le Mufti, et donnent en dansant et en chantant, le turban au Bourgeois.''
Non star forfanta?
 
'''Le Mufti''' ''revient et donne le sabre au Bourgeois.''<br>
LES TURCS
Ti star nobile, non star fabola.<br>
 
No, no, no.
 
LE MUFTI aux Turcs.
 
Donar turbanta. Donar turbanta.
Et s'en va.
 
Les Turcs répètent tout ce que dit le Mufti, et donnent en dansant et en chantant, le turban au Bourgeois.
 
LE MUFTI revient et donne le sabre au Bourgeois.
 
Ti star nobile, non star fabola.
Pigliar schiabola.
Puis il se retire.
 
''Puis il se retire.''
Les Turcs répètent les mêmes mots, mettant tous le sabre à la main; et six d'entre eux dansent autour du Bourgeois auquel ils feignent de donner plusieurs coups de sabre.
LE MUFTI revient, et commande aux Turcs de bâtonner le Bourgeois, et chante ces paroles.
 
''Les Turcs répètent les mêmes mots, mettant tous le sabre à la main ; et six d’entre eux dansent autour du Bourgeois auquel ils feignent de donner plusieurs coups de sabre.''
Dara, dara, bastonara, bastonara, bastonara.
Puis il se retire.
 
'''Le Mufti''' ''revient, et commande aux Turcs de bâtonner le Bourgeois, et chante ces paroles.''<br>
Les Turcs répètent les mêmes paroles, et donnent au Bourgeois plusieurs coups de bâton en cadence.
<center>
<br>
''Dara, dara, bastonara, bastonara, bastonara.''<br>
''Puis il se retire. ''<br>
<br>
</center>
''Les Turcs répètent les mêmes paroles, et donnent au Bourgeois plusieurs coups de bâton en cadence.''
 
LE'''Le MUFTIMufti''' ''revient et chante.''<br>
<center>
<br>
''Non tener honta :''<br>
''Questa star l’ultima affronta.''<br>
<br>
</center>
''Les Turcs répètent les mêmes vers.''
 
''Le Mufti, au son de tous les instruments, recommence une invocation, appuyé sur ses Derviches : après toutes les fatigues de cette cérémonie, les Derviches le soutiennent par-dessous les bras avec respect, et tous les Turcs sautant dansant et chantant autour du Mufti, se retirent au son de plusieurs instruments à la turque.''
Non tener honta:
Questa star l'ultima affronta.
 
Les Turcs répètent les mêmes vers.
 
Le Mufti, au son de tous les instruments, recommence une invocation, appuyé sur ses Derviches: après toutes les fatigues de cette cérémonie, les Derviches le soutiennent par-dessous les bras avec respect, et tous les Turcs sautant dansant et chantant autour du Mufti, se retirent au son de plusieurs instruments à la turque.
 
{{acte|V}}
==ACTE V==
===SCÈNE I===
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN.
 
MADAME JOURDAIN: Ah mon Dieu! miséricorde! Qu'est-ce que c'est donc que cela? Quelle figure! Est-ce un momon que vous allez porter; et est-il temps d'aller en masque? Parlez donc, qu'est-ce que c'est que ceci? Qui vous a fagoté comme cela?
 
{{scène|I}}
MONSIEUR JOURDAIN: Voyez l'impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi!
 
<center>''Madame Jourdain, Monsieur Jourdain.</center>
MADAME JOURDAIN: Comment donc?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l'on vient de me faire Mamamouchi.
Ah mon Dieu ! miséricorde ! Qu’est-ce que c’est donc que cela ? Quelle figure ! Est-ce un momon que vous allez porter ; et est-il temps d’aller en masque ? Parlez donc, qu’est-ce que c’est que ceci ? Qui vous a fagoté comme cela ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Que voulez-vous dire avec votre Mamamouchi?
Voyez l’impertinente, de parler de la sorte à un Mamamouchi !
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mamamouchi, vous dis-je. Je suis Mamamouchi.
Comment donc ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Quelle bête est-ce là?
Oui, il me faut porter du respect maintenant, et l’on vient de me faire Mamamouchi.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mamamouchi, c'est-à-dire, en notre langue, Paladin.
Que voulez-vous dire avec votre Mamamouchi ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Baladin! ètes-vous en âge de danser des ballets?
Mamamouchi, vous dis-je. Je suis Mamamouchi.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quelle ignorante! Je dis Paladin: c'est une dignité dont on vient de me faire la cérémonie.
Quelle bête est-ce là ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Quelle cérémonie donc?
Mamamouchi, c’est-à-dire, en notre langue, Paladin.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Mahameta per Iordina.
Baladin ! ètes-vous en âge de danser des ballets ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce que cela veut dire?
Quelle ignorante ! Je dis Paladin.''<br>
c’est une dignité dont on vient de me faire la cérémonie.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Iordina, c'est-à-dire Jourdain.
Quelle cérémonie donc ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hé bien! quoi, Jourdain?
Mahameta per Iordina.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voler far un Paladina de Iordina.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Comment?
Iordina, c’est-à-dire Jourdain.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Dar turbanta con galera.
Hé bien ! quoi, Jourdain ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce à dire cela?
Voler far un Paladina de Iordina.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Per deffender Palestina.
Comment ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Que voulez-vous donc dire?
Dar turbanta con galera.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Dara dara bastonara.
Qu’est-ce à dire cela ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce donc que ce jargon-là?
Per deffender Palestina.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non tener honta: questa star l'ultima affronta.
Que voulez-vous donc dire ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Qu'est-ce que c'est donc que tout cela?
Dara dara bastonara.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN danse et chante: Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da (et tombe par terre).
Qu’est-ce donc que ce jargon-là ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hélas, mon Dieu! mon mari est devenu fou.
Non tener honta.''<br>
questa star l’ultima affronta.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN, se relevant et s'en allant: Paix! insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi.
Qu’est-ce que c’est donc que tout cela ?
 
'''Monsieur Jourdain''' ''danse et chante.''<br>
MADAME JOURDAIN: Où est-ce qu'il a donc perdu l'esprit? Courons l'empêcher de sortir. Ah, ah! Voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous côtés.
Hou la ba ba la chou ba la ba ba la da (''et tombe par terre'').
 
'''Madame Jourdain'''<br>
Elle sort.
Hélas, mon Dieu ! mon mari est devenu fou.
 
'''Monsieur Jourdain''', ''se relevant et s’en allant.''<br>
===SCÈNE II===
Paix ! insolente, portez respect à Monsieur le Mamamouchi.
DORANTE, DORIMÈNE.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DORANTE: Oui, Madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir; et je ne crois pas que dans tout le monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là. Et puis, Madame, il faut tâcher de servir l'amour de Cléonte, et d'appuyer toute sa mascarade: c'est un fort galant homme, et qui mérite que l'on s'intéresse pour lui.
Où est-ce qu’il a donc perdu l’esprit ? Courons l’empêcher de sortir. Ah, ah ! Voici justement le reste de notre écu. Je ne vois que chagrin de tous côtés.
 
''Elle sort.''
DORIMÈNE: J'en fais beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune.
 
DORANTE: Outre cela, nous avons ici, Madame, un ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et il faut bien voir si mon idée pourra réussir.
 
{{scène|II}}
DORIMÈNE: J'ai vu là des apprêts magnifiques, et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions; et, pour rompre le cours à toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j'ai résolu de me marier promptement avec vous: c'en est le vrai secret, et toutes ces choses finissent avec le mariage, comme vous savez.
 
<center>''Dorante, Dorimène.''</center>
DORANTE: Ah! Madame, est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution?
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner; et, sans cela, je vois bien qu'avant qu'il fût peu, vous n'auriez pas un sou.
Oui, Madame, vous verrez la plus plaisante chose qu’on puisse voir ; et je ne crois pas que dans tout le monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là. Et puis, Madame, il faut tâcher de servir l’amour de Cléonte, et d’appuyer toute sa mascarade.''<br>
c’est un fort galant homme, et qui mérite que l’on s’intéresse pour lui.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Que j'ai d'obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien! Il est entièrement à vous, aussi bien que mon cœur, et vous en userez de la façon qu'il vous plaira.
J’en fais beaucoup de cas, et il est digne d’une bonne fortune.
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: J'userai bien de tous les deux. Mais voici votre homme; la figure en est admirable.
Outre cela, nous avons ici, Madame, un ballet qui nous revient, que nous ne devons pas laisser perdre, et il faut bien voir si mon idée pourra réussir.
 
'''Dorimène'''<br>
===SCÈNE III===
J’ai vu là des apprêts magnifiques, et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions ; et, pour rompre le cours à toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j’ai résolu de me marier promptement avec vous : c’en est le vrai secret, et toutes ces choses finissent avec le mariage, comme vous savez.
MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE.
 
'''Dorante'''<br>
DORANTE: Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre fille avec le fils du Grand Turc.
Ah ! Madame, est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution ?
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN, après avoir fait les révérences à la turque: Monsieur, je vous souhaite la force des serpents et la prudence des lions.
Ce n’est que pour vous empêcher de vous ruiner ; et, sans cela, je vois bien qu’avant qu’il fût peu, vous n’auriez pas un sou.
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: J'ai été bien aise d'être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté.
Que j’ai d’obligation, Madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien ! Il est entièrement à vous, aussi bien que mon cœur, et vous en userez de la façon qu’il vous plaira.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Madame, je vous souhaite toute l'année votre rosier fleuri; je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m'arrivent, et j'ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici pour vous faire les très humbles excuses de l'extravagance de ma femme.
J’userai bien de tous les deux. Mais voici votre homme ; la figure en est admirable.
 
DORIMÈNE: Cela n'est rien, j'excuse en elle un pareil mouvement; votre cœur lui doit être précieux, et il n'est pas étrange que la possession d'un homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes.
 
{{scène|III}}
MONSIEUR JOURDAIN: La possession de mon cœur est une chose qui vous est toute acquise.
 
<center>''Monsieur Jourdain, Dorante, Dorimène.''</center>
DORANTE: Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n'est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait, dans sa gloire, connaître encore ses amis.
 
'''Dorante'''<br>
DORIMÈNE: C'est la marque d'une âme tout à fait généreuse.
Monsieur, nous venons rendre hommage, Madame et moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre fille avec le fils du Grand Turc.
 
'''Monsieur Jourdain''', ''après avoir fait les révérences à la turque.''<br>
DORANTE: Où est donc Son Altesse Turque? Nous voudrions bien, comme vos amis, lui rendre nos devoirs.
Monsieur, je vous souhaite la force des serpents et la prudence des lions.
 
'''Dorimène'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Le voilà qui vient, et j'ai envoyé quérir ma fille pour lui donner la main.
J’ai été bien aise d’être des premières, Monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE IV===
Madame, je vous souhaite toute l’année votre rosier fleuri ; je vous suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m’arrivent, et j’ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici pour vous faire les très humbles excuses de l’extravagance de ma femme.
CLÉONTE, habillé en Turc, COVIELLE, MONSIEUR JOURDAIN, etc.
 
'''Dorimène'''<br>
DORANTE: Monsieur, nous venons faire la révérence à Votre Altesse, comme amis de Monsieur votre beau-père, et l'assurer avec respect de nos très humbles services.
Cela n’est rien, j’excuse en elle un pareil mouvement ; votre cœur lui doit être précieux, et il n’est pas étrange que la possession d’un homme comme vous puisse inspirer quelques alarmes.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites? Vous verrez qu'il vous répondra, et il parle turc à merveille. Holà! où diantre est-il allé? (à Cléonte.) Strouf, strif, strof, straf. Monsieur est un grande segnore, grande segnore, grande segnore; et Madame une granda dama, granda dama. Ahi, lui, Monsieur, lui Mamamouchi français, et Madame Mamamouchie française: je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'interprète. Où allez-vous donc? Nous ne saurions rien dire sans vous. Dites-lui un peu que Monsieur et Madame sont des personnes de grande qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. Vous allez voir comme il va répondre.
La possession de mon cœur est une chose qui vous est toute acquise.
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Alabala crociam acci boram alabamen.
Vous voyez, Madame, que Monsieur Jourdain n’est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu’il sait, dans sa gloire, connaître encore ses amis.
 
'''Dorimène'''<br>
CLÉONTE: Catalequi tubal ourin soter amalouchan.
C’est la marque d’une âme tout à fait généreuse.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voyez-vous?
Où est donc Son Altesse Turque ? Nous voudrions bien, comme vos amis, lui rendre nos devoirs.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Il dit que la pluie des prospérités arrose en tout temps le jardin de votre famille!
Le voilà qui vient, et j’ai envoyé quérir ma fille pour lui donner la main.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous l'avais bien dit, qu'il parle turc.
 
{{scène|IV}}
DORANTE: Cela est admirable.
 
<center>''Cléonte habillé en Turc, Covielle, Monsieur Jourdain, etc.''</center>
===SCÈNE V===
LUCILE, MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE, etc.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Venez, ma fille, approchez-vous, et venez donner votre main à Monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage.
Monsieur, nous venons faire la révérence à Votre Altesse, comme amis de Monsieur votre beau-père, et l’assurer avec respect de nos très humbles services.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
LUCILE: Comment, mon père, comme vous voilà fait! est-ce une comédie que vous jouez?
Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites ? Vous verrez qu’il vous répondra, et il parle turc à merveille. Holà ! où diantre est-il allé ? (''à Cléonte.'') Strouf, strif, strof, straf. Monsieur est un grande segnore, grande segnore, grande segnore ; et Madame une granda dama, granda dama. Ahi, lui, Monsieur, lui Mamamouchi français, et Madame Mamamouchie française : je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l’interprète. Où allez-vous donc ? Nous ne saurions rien dire sans vous. Dites-lui un peu que Monsieur et Madame sont des personnes de grande qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l’assurer de leurs services. Vous allez voir comme il va répondre.
 
'''Covielle'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Non, non, ce n'est pas une comédie, c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le mari que je vous donne.
Alabala crociam acci boram alabamen.
 
'''Cléonte'''<br>
LUCILE: à moi, mon père?
Catalequi tubal ourin soter amalouchan.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, à vous: allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au Ciel de votre bonheur.
Voyez-vous ?
 
'''Covielle'''<br>
LUCILE: Je ne veux point me marier.
Il dit que la pluie des prospérités arrose en tout temps le jardin de votre famille !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je le veux, moi qui suis votre père.
Je vous l’avais bien dit, qu’il parle turc.
 
'''Dorante'''<br>
LUCILE: Je n'en ferai rien.
Cela est admirable.
 
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! que de bruit! Allons, vous dis-je. Çà votre main.
 
{{scène|V}}
LUCILE: Non, mon père, je vous l'ai dit, il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre mari que Cléonte; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de. (Reconnaissant Cléonte.) il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance, et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés.
 
<center>''Lucile, Monsieur Jourdain, Dorante, Dorimène, etc.''</center>
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir, et voilà qui me plaît, d'avoir une fille obéissante.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
===SCÈNE VI===
Venez, ma fille, approchez-vous, et venez donner votre main à Monsieur, qui vous fait l’honneur de vous demander en mariage.
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, CLÉONTE, etc.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Comment donc? qu'est-ce que c'est que ceci? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême-prenant.
Comment, mon père, comme vous voilà fait ! est-ce une comédie que vous jouez ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voulez-vous vous taire, impertinente? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.
Non, non, ce n’est pas une comédie, c’est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d’honneur pour vous qui se peut souhaiter. Voilà le mari que je vous donne.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage?
À moi, mon père ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je veux marier notre fille avec le fils du Grand Turc.
Oui, à vous : allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au Ciel de votre bonheur.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Avec le fils du Grand Turc!
Je ne veux point me marier.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.
Je le veux, moi qui suis votre père.
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je n'ai que faire du truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez qu'il n'aura point ma fille.
Je n’en ferai rien.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voulez-vous vous taire, encore une fois?
Ah ! que de bruit ! Allons, vous dis-je. Çà votre main.
 
'''Lucile'''<br>
DORANTE: Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là? Vous refusez Son Altesse Turque pour gendre?
Non, mon père, je vous l’ai dit, il n’est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre mari que Cléonte ; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités, que de… (''Reconnaissant Cléonte.'') il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance, et c’est à vous à disposer de moi selon vos volontés.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires.
Ah ! je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir, et voilà qui me plaît, d’avoir une fille obéissante.
 
DORIMÈNE: C'est une grande gloire, qui n'est pas à rejeter.
 
{{scène|VI}}
MADAME JOURDAIN: Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas.
 
<center>''Madame Jourdain, Monsieur Jourdain, Cléonte, etc.''</center>
DORANTE: C'est l'amitié que nous avons pour vous qui nous fait intéresser dans vos avantages.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je me passerai bien de votre amitié.
Comment donc ? qu’est-ce que c’est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un carême-prenant.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Voilà votre fille qui consent aux volontés de son père.
Voulez-vous vous taire, impertinente ? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n’y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ma fille consent à épouser un Turc?
C’est vous qu’il n’y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein, et que voulez-vous faire avec cet assemblage ?
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Sans doute.
Je veux marier notre fille avec le fils du Grand Turc.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Elle peut oublier Cléonte?
Avec le fils du Grand Turc !
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: Que ne fait-on pas pour être grand'dame?
Oui, faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je l'étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là.
Je n’ai que faire du truchement, et je lui dirai bien moi-même à son nez qu’il n’aura point ma fille.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage-là se fera.
Voulez-vous vous taire, encore une fois ?
 
'''Dorante'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je vous dis, moi, qu'il ne se fera point.
Comment, Madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là ? Vous refusez Son Altesse Turque pour gendre ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! que de bruit!
Mon Dieu, Monsieur, mêlez-vous de vos affaires.
 
'''Dorimène'''<br>
LUCILE: Ma mère.
C’est une grande gloire, qui n’est pas à rejeter.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Allez, vous êtes une coquine.
Madame, je vous prie aussi de ne vous point embarrasser de ce qui ne vous touche pas.
 
'''Dorante'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Quoi? Vous la querellez de ce qu'elle m'obéit?
C’est l’amitié que nous avons pour vous qui nous fait intéresser dans vos avantages.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui: elle est à moi, aussi bien qu'à vous.
Je me passerai bien de votre amitié.
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Madame.
Voilà votre fille qui consent aux volontés de son père.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Que me voulez-vous conter, vous?
Ma fille consent à épouser un Turc ?
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE: Un mot.
Sans doute.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je n'ai que faire de votre mot.
Elle peut oublier Cléonte ?
 
'''Dorante'''<br>
COVIELLE, à M. Jourdain: Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez.
Que ne fait-on pas pour être grand’dame ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je n'y consentirai point.
Je l’étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
COVIELLE: Écoutez-moi seulement.
Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage-là se fera.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Non.
Je vous dis, moi, qu’il ne se fera point.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Écoutez-le.
Ah ! que de bruit !
 
'''Lucile'''<br>
MADAME JOURDAIN: Non, je ne veux pas l'écouter.
Ma mère.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Il vous dira.
Allez, vous êtes une coquine.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je ne veux point qu'il me dise rien.
Quoi ? Vous la querellez de ce qu’elle m’obéit ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Voilà une grande obstination de femme! Cela vous fera-t-il mal, de l'entendre?
Oui : elle est à moi, aussi bien qu’à vous.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Ne faites que m'écouter; vous ferez après ce qu'il vous plaira.
Madame.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Hé bien! quoi?
Que me voulez-vous conter, vous ?
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE, à part: Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l'abusons sous ce déguisement, et que c'est Cléonte lui-même qui est le fils du Grand Turc?
Un mot.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ah, ah!
Je n’ai que faire de votre mot.
 
'''Covielle''', ''à M. Jourdain.''<br>
COVIELLE: Et moi Covielle qui suis le truchement?
Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Ah! comme cela, je me rends.
Je n’y consentirai point.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Ne faites pas semblant de rien.
Écoutez-moi seulement.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Oui, voilà qui est fait; je consens au mariage.
Non.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Ah! voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l'écouter. Je savais bien qu'il vous expliquerait ce que c'est que le fils du Grand Turc.
Écoutez-le.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Il me l'a expliqué comme il faut, et j'en suis satisfaite. Envoyons quérir un notaire.
Non, je ne veux pas l’écouter.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
DORANTE: C'est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l'esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd'hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre mari, c'est que nous nous servirons du même notaire pour nous marier, Madame et moi.
Il vous dira.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MADAME JOURDAIN: Je consens aussi à cela.
Je ne veux point qu’il me dise rien.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est pour lui faire accroire.
Voilà une grande obstination de femme ! Cela vous fera-t-il mal, de l’entendre ?
 
'''Covielle'''<br>
DORANTE: Il faut bien l'amuser avec cette feinte.
Ne faites que m’écouter ; vous ferez après ce qu’il vous plaira.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Bon, bon. Qu'on aille quérir le notaire.
Hé bien ! quoi ?
 
'''Covielle''', ''à part.''<br>
DORANTE: Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera les contrats, voyons notre ballet, et donnons-en le divertissement à Son Altesse Turque.
Il y a une heure, Madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n’est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l’abusons sous ce déguisement, et que c’est Cléonte lui-même qui est le fils du Grand Turc ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: C'est fort bien avisé: allons prendre nos places.
Ah, ah !
 
'''Covielle'''<br>
MADAME JOURDAIN: Et Nicole?
Et moi Covielle qui suis le truchement ?
 
'''Madame Jourdain'''<br>
MONSIEUR JOURDAIN: Je la donne au truchement; et ma femme à qui la voudra.
Ah ! comme cela, je me rends.
 
'''Covielle'''<br>
COVIELLE: Monsieur, je vous remercie. Si l'on en peut voir un plus fou, je l'irai dire à Rome.
Ne faites pas semblant de rien.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
La comédie finit par un petit ballet qui avait été préparé par Cléonte.
Oui, voilà qui est fait ; je consens au mariage.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
==BALLET==
Ah ! voilà tout le monde raisonnable. Vous ne vouliez pas l’écouter. Je savais bien qu’il vous expliquerait ce que c’est que le fils du Grand Turc.
===PREMIÈRE ENTRÉE===
Un homme vient donner les livres du ballet, qui d'abord est fatigué par une multitude de gens de provinces différentes, qui crient en musique pour en avoir, et par trois Importuns, qu'il trouve toujours sur ses pas.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
DIALOGUE DES GENS
Il me l’a expliqué comme il faut, et j’en suis satisfaite. Envoyons quérir un notaire.
qui en musique demandent des livres.
 
'''Dorante'''<br>
TOUS
C’est fort bien dit. Et afin, Madame Jourdain, que vous puissiez avoir l’esprit tout à fait content, et que vous perdiez aujourd’hui toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de Monsieur votre mari, c’est que nous nous servirons du même notaire pour nous marier, Madame et moi.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
À moi, Monsieur, à moi de grâce, à moi, Monsieur:
Je consens aussi à cela.
Un livre, s'il vous plaît, à votre serviteur.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
HOMME DU BEL AIR
C’est pour lui faire accroire.
 
'''Dorante'''<br>
Monsieur, distinguez-nous parmi les gens qui crient.
Il faut bien l’amuser avec cette feinte.
Quelques livres ici, les dames vous en prient.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
AUTRE HOMME DU BEL AIR
Bon, bon. Qu’on aille quérir le notaire.
 
'''Dorante'''<br>
Holà! Monsieur, Monsieur, ayez la charité
Tandis qu’il viendra, et qu’il dressera les contrats, voyons notre ballet, et donnons-en le divertissement à Son Altesse Turque.
D'en jeter de notre côté.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
FEMME DU BEL AIR
C’est fort bien avisé : allons prendre nos places.
 
'''Madame Jourdain'''<br>
Mon Dieu! qu'aux personnes bien faites
Et Nicole ?
On sait peu rendre honneur céans.
 
'''Monsieur Jourdain'''<br>
AUTRE FEMME DU BEL AIR
Je la donne au truchement ; et ma femme à qui la voudra.
 
'''Covielle'''<br>
Ils n'ont des livres et des bancs
Monsieur, je vous remercie. Si l’on en peut voir un plus fou, je l’irai dire à Rome.
Que pour Mesdames les grisettes.
 
GASCON
 
Aho! l'homme aux libres, qu'on m'en vaille!
J'ai déjà lé poumon usé.
Bous boyez qué chacun mé raille;
Et jé suis escandalisé
De boir és mains dé la canaille
Cé qui m'est par bous refusé.
 
''La comédie finit par un petit ballet qui avait été préparé par Cléonte.''
AUTRE GASCON
 
Eh cadédis! Monseu, boyez qui l'on pût être:
Un libret, je bous prie, au varon d'Asbarat.
Jé pense, mordy, qué lé fat
N'a pas l'honnur dé mé connaître.
 
===<center><span style="color:#006699;text-decoration:underline;">BALLET</span></center>===
LE SUISSE
<center>
 
<br>
Mon'-sieur le donneur de papieir,
'''<span style="color:#006699">Première entrée</span>'''<br>
Que veul dir sti façon de fifre?
<br>
Moy l'écorchair tout mon gosieir
''Un homme vient donner les livres du ballet, qui d’abord est fatigué par une multitude de gens de provinces différentes, qui crient en musique pour en avoir, et par trois Importuns, qu’il trouve toujours sur ses pas.''<br>
À crieir,
<br>
Sans que je pouvre afoir ein lifre:
'''DIALOGUE DES GENS'''<br>
Pardy, mon foi! Mon'-sieur, je pense fous l'être ifre.
''qui en musique demandent des livres.''<br>
 
<br>
VIEUX BOURGEOIS BABILLARD
'''Tous'''<br>
 
''À moi, Monsieur, à moi de grâce, à moi, Monsieur :''<br>
De tout ceci, franc et net,
''Un livre, s’il vous plaît, à votre serviteur.''<br>
Je suis mal satisfait;
<br>
Et cela sans doute est laid,
'''Homme du bel air'''<br>
Que notre fille,
''Monsieur, distinguez-nous parmi les gens qui crient.''<br>
Si bien faite et si gentille,
''Quelques livres ici, les dames vous en prient.''<br>
De tant d'amoureux l'objet,
<br>
N'ait pas à son souhait
'''Autre homme du bel air'''<br>
Un livre de ballet,
''Holà ! Monsieur, Monsieur, ayez la charité''<br>
Pour lire le sujet
''D’en jeter de notre côté.''<br>
Du divertissement qu'on fait,
<br>
Et que toute notre famille
'''Femme du bel air'''<br>
Si proprement s'habille,
''Mon Dieu ! qu’aux personnes bien faites''<br>
Pour être placée au sommet
''On sait peu rendre honneur céans.''<br>
De la salle, où l'on met
<br>
Les gens de Lantriguet:
'''Autre Femme du bel air'''<br>
De tout ceci, franc et net,
''Ils n’ont des livres et des bancs''<br>
Je suis mal satisfait,
''Que pour Mesdames les grisettes.''<br>
Et cela sans doute est laid.
<br>
 
'''Gascon'''<br>
VIEILLE BOURGEOISE BABILLARDE
''Aho ! l’homme aux libres, qu’on m’en vaille !''<br>
 
''J’ai déjà lé poumon usé.''<br>
Il est vrai que c'est une honte,
''Bous boyez qué chacun mé raille ;''<br>
Le sang au visage me monte,
''Et jé suis escandalisé''<br>
Et ce jeteur de vers qui manque au capital
''De boir és mains dé la canaille''<br>
L'entend fort mal;
''Cé qui m’est par bous refusé.''<br>
C'est un brutal,
<br>
Un vrai cheval,
'''Autre Gascon'''<br>
Franc animal,
''Eh cadédis ! Monseu, boyez qui l’on pût être :''<br>
De faire si peu de compte
''Un libret, je bous prie, au varon d’Asbarat.''<br>
D'une fille qui fait l'ornement principal
''Jé pense, mordy, qué lé fat''<br>
Du quartier du Palais-Royal,
''N’a pas l’honnur dé mé connaître.''<br>
Et que ces jours passés un comte
<br>
Fut prendre la première au bal.
'''Le Suisse'''<br>
Il l'entend mal;
''Mon’-sieur le donneur de papieir,''<br>
C'est un brutal,
''Que veul dir sti façon de fifre ?''<br>
Un vrai cheval,
''Moy l’écorchair tout mon gosieir''<br>
Franc animal.
''À crieir,''<br>
 
''Sans que je pouvre afoir ein lifre :''<br>
HOMMES ET FEMMES DU BEL AIR
''Pardy, mon foi ! Mon’-sieur, je pense fous l’être ifre.''<br>
 
<br>
Ah! quel bruit!
'''Vieux bourgeois babillard'''<br>
Quel fracas!
''De tout ceci, franc et net,''<br>
Quel chaos!
''Je suis mal satisfait ;''<br>
Quel mélange!
''Et cela sans doute est laid,''<br>
Quelle confusion!
''Que notre fille,''<br>
Quelle cohue étrange!
''Si bien faite et si gentille,''<br>
Quel désordre!
''De tant d’amoureux l’objet,''<br>
Quel embarras!
''N’ait pas à son souhait''<br>
On y sèche.
''Un livre de ballet,''<br>
L'on n'y tient pas.
''Pour lire le sujet''<br>
 
''Du divertissement qu’on fait,''<br>
GASCON
''Et que toute notre famille''<br>
 
''Si proprement s’habille,''<br>
Bentré! jé suis à vout.
''Pour être placée au sommet''<br>
 
''De la salle, où l’on met''<br>
AUTRE GASCON
''Les gens de Lantriguet :''<br>
 
''De tout ceci, franc et net,''<br>
J'enrage, Diou mé damne!
''Je suis mal satisfait,''<br>
 
''Et cela sans doute est laid.''<br>
SUISSE
<br>
 
'''Vieille bourgeoise babillarde'''<br>
Ah que ly faire saif dans sty sal de cians!
''Il est vrai que c’est une honte,''<br>
 
''Le sang au visage me monte,''<br>
GASCON
''Et ce jeteur de vers qui manque au capital''<br>
 
''L’entend fort mal ;''<br>
Jé murs.
''C’est un brutal,''<br>
 
''Un vrai cheval,''<br>
AUTRE GASCON
''Franc animal,''<br>
 
''De faire si peu de compte''<br>
Jé perds la tramontane.
''D’une fille qui fait l’ornement principal''<br>
 
''Du quartier du Palais-Royal,''<br>
SUISSE
''Et que ces jours passés un comte''<br>
 
''Fut prendre la première au bal.''<br>
Mon foi! moi le foudrais être hors de dedans.
''Il l’entend mal ;''<br>
 
''C’est un brutal,''<br>
VIEUX BOURGEOIS BABILLARD
''Un vrai cheval,''<br>
 
''Franc animal.''<br>
Allons, ma mie,
<br>
Suivez mes pas,
'''Hommes et femmes du bel air'''<br>
Je vous en prie,
''Ah ! quel bruit !''<br>
Et ne me quittez pas:
''Quel fracas !''<br>
On fait de nous trop peu de cas,
''Quel chaos !''<br>
Et je suis las
''Quel mélange !''<br>
De ce tracas:
''Quelle confusion !''<br>
Tout ce fatras,
''Quelle cohue étrange !''<br>
Cet embarras
''Quel désordre !''<br>
Me pèse par trop sur les bras.
''Quel embarras !''<br>
S'il me prend jamais envie
''On y sèche.''<br>
De retourner de ma vie
''L’on n’y tient pas.''<br>
À ballet ni comédie,
<br>
Je veux bien qu'on m'estropie.
'''Gascon'''<br>
Allons, ma mie,
''Bentré ! jé suis à vout.''<br>
Suivez mes pas,
<br>
Je vous en prie,
'''Autre Gascon'''<br>
Et ne me quittez pas;
''J’enrage, Diou mé damne !''<br>
On fait de nous trop peu de cas.
<br>
 
'''Suisse'''<br>
VIEILLE BOURGEOISE BABILLARDE
''Ah que ly faire saif dans sty sal de cians !''<br>
 
<br>
Allons, mon mignon, mon fils,
'''Gascon'''<br>
Regagnons notre logis,
''Jé murs.''<br>
Et sortons de ce taudis,
<br>
Où l'on ne peut être assis:
'''Autre Gascon'''<br>
Ils seront bien ébaubis
''Jé perds la tramontane.''<br>
Quand ils nous verront partis.
<br>
Trop de confusion règne dans cette salle,
'''Suisse'''<br>
Et j'aimerais mieux être au milieu de la Halle.
''Mon foi ! moi le foudrais être hors de dedans.''<br>
Si jamais je reviens à semblable régale,
<br>
Je veux bien recevoir des soufflets plus de six.
'''Vieux bourgeois babillard'''<br>
Allons, mon mignon, mon fils,
''Allons, ma mie,''<br>
Regagnons notre logis,
''Suivez mes pas,''<br>
Et sortons de ce taudis,
''Je vous en prie,''<br>
Où l'on ne peut être assis.
''Et ne me quittez pas :''<br>
 
''On fait de nous trop peu de cas,''<br>
TOUS
''Et je suis las''<br>
 
''De ce tracas :''<br>
À moi, Monsieur, à moi de grâce, à moi, Monsieur:
''Tout ce fatras,''<br>
Un livre, s'il vous plaît, à votre serviteur.
''Cet embarras''<br>
 
''Me pèse par trop sur les bras.''<br>
 
''S’il me prend jamais envie''<br>
===SECONDE ENTRÉE===
''De retourner de ma vie''<br>
 
''À ballet ni comédie,''<br>
Les trois Importuns dansent.
''Je veux bien qu’on m’estropie.''<br>
 
''Allons, ma mie,''<br>
 
''Suivez mes pas,''<br>
===TROISIÈME ENTRÉE===
''Je vous en prie,''<br>
 
''Et ne me quittez pas ;''<br>
TROIS ESPAGNOLS chantent.
''On fait de nous trop peu de cas.''<br>
 
<br>
Sé que me muero de amor,
'''Vieille bourgeoise babillarde'''<br>
Y solicito el dolor.
''Allons, mon mignon, mon fils,''<br>
 
''Regagnons notre logis,''<br>
Aun muriendo de querer,
''Et sortons de ce taudis,''<br>
De tan buen ayre adolezco,
''Où l’on ne peut être assis :''<br>
Que es mas de lo que padezco
''Ils seront bien ébaubis''<br>
Lo que quiero padecer,
''Quand ils nous verront partis.''<br>
Y no pudiendo exceder
''Trop de confusion règne dans cette salle,''<br>
A mi deseo el rigor.
''Et j’aimerais mieux être au milieu de la Halle.''<br>
 
''Si jamais je reviens à semblable régale,''<br>
Sé que me muero de amor,
''Je veux bien recevoir des soufflets plus de six.''<br>
Y solicito el dolor.
''Allons, mon mignon, mon fils,''<br>
 
''Regagnons notre logis,''<br>
Lisonxeame la suerte
''Et sortons de ce taudis,''<br>
Con piedad tan advertida,
''Où l’on ne peut être assis.''<br>
Que me assegura la vida
<br>
En el riesgo de la muerte.
'''Tous'''<br>
Vivir de su golpe fuerte
''À moi, Monsieur, à moi de grâce, à moi, Monsieur :''<br>
Es de mi salud primor.
''Un livre, s’il vous plaît, à votre serviteur.''<br>
 
<br>
Sé que, etc.
<br>
 
'''<span style="color:#006699">Seconde entrée</span>'''<br>
Six Espagnols dansent.
<br>
 
<br>
TROIS MUSICIENS ESPAGNOLS
''Les trois Importuns dansent.''<br>
 
<br>
Ay! que locura, con tanto rigor
<br>
Quexarse de Amor,
'''<span style="color:#006699">Troisième entrée</span>'''<br>
Del niño bonito
<br>
Que todo es dulçura!
<br>
Ay! que locura!
'''Trois Espagnols''' ''chantent.''<br>
Ay! que locura!
''Sé que me muero de amor,''<br>
 
''Y solicito el dolor.''<br>
ESPAGNOL, chantant.
<br>
 
''Aun muriendo de querer,''<br>
El dolor solicita
''De tan buen ayre adolezco,''<br>
El que al dolor se da;
''Que es mas de lo que padezco''<br>
Y nadie de amor muere,
''Lo que quiero padecer,''<br>
Sino quien no save amar.
''Y no pudiendo exceder''<br>
 
''À mi deseo el rigor.''<br>
DEUX ESPAGNOLS
<br>
 
Dulce''Sé muerteque esme elmuero de amor,''<br>
''Y solicito el dolor.''<br>
Con correspondencia ygual;
<br>
Y si esta gozamos o,
''Lisonxeame la suerte''<br>
Porque la quieres turbar?
''Con piedad tan advertida,''<br>
 
''Que me assegura la vida''<br>
UN ESPAGNOL
''En el riesgo de la muerte.''<br>
 
''Vivir de su golpe fuerte''<br>
Alegrese enamorado,
''Es de mi salud primor.''<br>
Y tome mi parecer;
<br>
Que en esto de querer,
''Sé que, etc.''<br>
Todo es hallar el vado.
<br>
 
''Six Espagnols dansent.''<br>
TOUS TROIS ensemble.
<br>
 
'''Trois musiciens espagnols'''<br>
Vaya, vaya de fiestas!
''Ay ! que locura, con tanto rigor''<br>
Vaya de vayle!
''Quexarse de Amor,''<br>
Alegria, alegria, alegria!
''Del niño bonito''<br>
Que esto de dolor es fantasia.
''Que todo es dulçura !''<br>
 
''Ay ! que locura !''<br>
 
''Ay ! que locura !''<br>
===QUATRIÈME ENTRÉE===
<br>
 
'''Espagnol''', ''chantant.''<br>
ITALIENS
''El dolor solicita''<br>
 
''El que al dolor se da ;''<br>
UNE MUSICIENNE ITALIENNE
''Y nadie de amor muere,''<br>
fait le premier récit, dont voici les paroles:
''Sino quien no save amar.''<br>
 
<br>
Di rigori armata il seno,
'''Deux Espagnols'''<br>
Contro amor mi ribellai;
''Dulce muerte es el amor''<br>
Ma fui vinta in un baleno
''Con correspondencia ygual ;''<br>
In mirar duo vaghi rai;
''Y si esta gozamos o,''<br>
Ahi! che resiste puoco
''Porque la quieres turbar ?''<br>
Cor di gelo a stral di fuoco!
<br>
 
'''Un Espagnol'''<br>
Ma si caro è'l mio tormento,
''Alegrese enamorado,''<br>
Dolce è sí la piaga mia,
''Y tome mi parecer ;''<br>
Ch'il penare è'l mio contento,
''Que en esto de querer,''<br>
E'l sanarmi è tirannia.
''Todo es hallar el vado.''<br>
Ahi! che più giova e piace,
<br>
Quanto amor è più vivace!
'''Tous trois''' ''ensemble.''<br>
 
''Vaya, vaya de fiestas !''<br>
Après l'air que la Musicienne a chanté, deux Scaramouches, deux Trivelins et un Arlequin représentent une nuit à la manière des comédiens italiens, en cadence.
''Vaya de vayle !''<br>
Un Musicien italien se joint à la Musicienne italienne, et chante avec elle les paroles qui suivent:
''Alegria, alegria, alegria !''<br>
 
''Que esto de dolor es fantasia.''<br>
LE MUSICIEN ITALIEN
<br>
 
<br>
Bel tempo che vola
'''<span style="color:#006699">Quatrième entrée</span>'''<br>
Rapisce il contento;
<br>
D'Amor nella scola
<br>
Si coglie il momento.
'''ITALIENS'''<br>
 
<br>
LA MUSICIENNE
'''Une musicienne italienne''' ''fait le premier récit, dont voici les paroles :''<br>
 
<br>
Insin che florida
''Di rigori armata il seno,''<br>
Ride l'età,
''Contro amor mi ribellai ;''<br>
Che pur tropp' orrida
''Ma fui vinta in un baleno''<br>
Da noi sen và.
''In mirar duo vaghi rai ;''<br>
 
''Ahi ! che resiste puoco''<br>
TOUS DEUX
''Cor di gelo a stral di fuoco !''<br>
 
<br>
Sù cantiamo,
''Ma si caro è’l mio tormento,''<br>
Sù godiamo
''Dolce è sí la piaga mia,''<br>
Né bei dì di gioventù:
''Ch’il penare è’l mio contento,''<br>
Perduto ben non si racquista più.
''E’l sanarmi è tirannia.''<br>
 
''Ahi ! che più giova e piace,''<br>
MUSICIEN
''Quanto amor è più vivace !''<br>
 
<br>
Pupilla che vaga
''Après l’air que la Musicienne a chanté, deux Scaramouches, deux Trivelins et un Arlequin représentent une nuit à la manière des comédiens italiens, en cadence. Un Musicien italien se joint à la Musicienne italienne, et chante avec elle les paroles qui suivent :''<br>
Mill' alme incatena
<br>
Fà dolce la piaga,
'''Le musicien italien'''<br>
Felice la pena.
''Bel tempo che vola''<br>
 
''Rapisce il contento ;''<br>
MUSICIENNE
''D’Amor nella scola''<br>
 
''Si coglie il momento.''<br>
Ma poiche frigida
<br>
Langue l'età,
''La musicienne'''<br>
Più l'alma rigida
''Insin che florida''<br>
Fiamme non ha.
''Ride l’età,''<br>
 
''Che pur tropp’ orrida''<br>
TOUS DEUX
''Da noi sen và.''<br>
 
<br>
Sù cantiamo, etc.
'''Tous deux'''<br>
 
''Sù cantiamo,''<br>
Après le dialogue italien, les Scaramouches et Trivelins dansent une réjouissance.
''Sù godiamo''<br>
 
''Né bei dì di gioventù :''<br>
 
''Perduto ben non si racquista più.''<br>
===CINQUIÈME ENTRÉE===
<br>
 
'''Musicien'''<br>
FRANÇAIS
''Pupilla che vaga''<br>
 
''Mill’ alme incatena''<br>
PREMIER MENUET
''Fà dolce la piaga,''<br>
 
''Felice la pena.''<br>
DEUX MUSICIENS POITEVINS
<br>
dansent et chantent les paroles qui suivent.
'''Musicienne'''<br>
 
''Ma poiche frigida''<br>
Ah! qu'il fait beau dans ces bocages!
''Langue l’età,''<br>
Ah! que le Ciel donne un beau jour!
''Più l’alma rigida''<br>
 
''Fiamme non ha.''<br>
AUTRE MUSICIEN
<br>
 
'''Tous deux'''<br>
Le rossignol, sous ces tendres feuillages,
''Sù cantiamo, etc.''<br>
Chante aux échos son doux retour:
<br>
 
''Après le dialogue italien, les Scaramouches et Trivelins dansent une réjouissance.''<br>
Ce beau séjour,
<br>
Ces doux ramages,
<br>
Ce beau séjour
'''<span style="color:#006699">Cinquième entrée</span>'''<br>
Nous invite à l'amour.
<br>
 
<br>
SECOND MENUET
'''FRANÇAIS'''<br>
 
<br>
TOUS DEUX ensemble.
'''PREMIER MENUET'''<br>
 
<br>
Vois, ma CLIMÈNE,
'''Deux musiciens poitevins''' ''dansent et chantent les paroles qui suivent.''<br>
Vois sous ce chêne
''Ah ! qu’il fait beau dans ces bocages !''<br>
S'entre-baiser ces oiseaux amoureux;
''Ah ! que le Ciel donne un beau jour !''<br>
Ils n'ont rien dans leurs vœux
<br>
Qui les gêne;
'''Autre musicien'''<br>
De leurs doux feux
''Le rossignol, sous ces tendres feuillages,''<br>
Leur âme est pleine.
''Chante aux échos son doux retour :''<br>
Qu'ils sont heureux!
<br>
Nous pouvons tous deux,
''Ce beau séjour,''<br>
Si tu le veux,
''Ces doux ramages,''<br>
Être comme eux.
''Ce beau séjour''<br>
 
''Nous invite à l’amour.''<br>
Six autres Français viennent après, vêtus galamment à la poitevine, trois en hommes et trois en femmes, accompagnés de huit flûtes et de hautbois, et dansent les menuets.
<br>
 
'''SECOND MENUET'''<br>
 
<br>
===SIXIÈME ENTRÉE===
'''Tous deux''' ''ensemble.''<br>
 
<br>
Tout cela finit par le mélange des trois nations, et les applaudissements en danse et en musique de toute l'assistance, qui chante les deux vers qui suivent:
''Vois, ma Climène,''<br>
 
''Vois sous ce chêne''<br>
Quels spectacles charmants, quels plaisirs goûtons-nous!
''S’entre-baiser ces oiseaux amoureux ;''<br>
Les Dieux mêmes, les Dieux n'en ont point de plus doux.
''Ils n’ont rien dans leurs vœux''<br>
 
''Qui les gêne ;''<br>
</div>
''De leurs doux feux''<br>
''Leur âme est pleine.''<br>
''Qu’ils sont heureux !''<br>
''Nous pouvons tous deux,''<br>
''Si tu le veux,''<br>
''Être comme eux.''<br>
<br>
''Six autres Français viennent après, vêtus galamment à la poitevine, trois en hommes et trois en femmes, accompagnés de huit flûtes et de hautbois, et dansent les menuets.''<br>
<br>
<br>
'''<span style="color:#006699">Sixième entrée</span>'''<br>
<br>
<br>
''Tout cela finit par le mélange des trois nations, et les applaudissements en danse et en musique de toute l’assistance, qui chante les deux vers qui suivent :''<br>
<br>
''Quels spectacles charmants, quels plaisirs goûtons-nous !''<br>
''Les Dieux mêmes, les Dieux n’en ont point de plus doux.''<br>
<br>
</center>