« Monsieur de Pourceaugnac, 1894 » : différence entre les versions

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'''Julie'''<br>
Mon Dieu! Éraste, gardons d’être surpris ; je tremble qu’on ne nous voye ensemble, et tout seroitserait perdu, après la défense que l’on m’a faite.
 
'''Éraste'''<br>
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'''Nérine'''<br>
Non, non, non, ne bougez : je m’étoism’étais trompée.
 
'''Julie'''<br>
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'''Nérine'''<br>
Assurément. Votre père se moque-t-il de vouloir vous anger de son avocat de Limoges, Monsieur de Pourceaugnac, qu’il n’a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe ? Faut-il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée ? et une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin ? S’il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine et ne laisse-t-il en repos les chrétiens ? Le seul nom de Monsieur de Pourceaugnac m’a mise dans une colère effroyable. J’enrage de Monsieur de Pourceaugnac. Quand il n’y auroitaurait que ce nom-là, Monsieur de Pourceaugnac, j’y brûlerai mes livres, ou je romprai ce mariage, et vous ne serez point Madame de Pourceaugnac. Pourceaugnac ! cela se peut-il souffrir ? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne sauroissaurais supporter ; et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur niches, que nous renvoyerons à Limoges Monsieur de Pourceaugnac.
 
'''Éraste'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Oui, si je me connoisconnais en gens.
 
'''Nérine'''<br>
Madame, voilà un illustre ; votre affaire ne pouvoitpouvait être mise en de meilleures mains, et c’est le héros de notre siècle pour les exploits dont il s’agit : un homme qui, vingt fois en sa vie, pour servir ses amis, a généreusement affronté les galères, qui, au péril de ses bras, et de ses épaules, sait mettre noblement à fin les aventures les plus difficiles ; et qui, tel que vous le voyez, est exilé de son pays pour je ne sais combien d’actions honorables qu’il a généreusement entreprises.
 
'''Sbrigani'''<br>
Je suis confus des louanges dont vous m’honorez, et je pourroispourrais vous en donner, avec plus de justice, sur les merveilles de votre vie; et principalement sur la gloire que vous acquîtes, lorsque, avec tant d’honnêteté, vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune seigneur étranger que l’on mena chez vous ; lorsque vous fîtes galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille ; lorsque, avec tant de grandeur d’âme, vous sûtes nier le dépôt qu’on vous avoitavait confié ; et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage à faire pendre ces deux personnages qui ne l’avoientl’avaient pas mérité.
 
'''Nérine'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Mais, belle Julie, si toutes nos machines venoientvenaient à ne pas réussir ?
 
'''Julie'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Et si, contre vos sentiments, il s’obstinoits’obstinait à son dessein ?
 
'''Julie'''<br>
Je le menaceroismenacerais de me jeter dans un convent.
 
'''Éraste'''<br>
Mais si, malgré tout cela, il vouloitvoulait vous forcer à ce mariage ?
 
'''Julie'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Je vous ai vu ce matin, Monsieur, avec le coche, lorsque vous avez déjeuné; et la grâce avec laquelle vous mangiez votre pain m’a fait naître d’abord de l’amitié pour vous ; et comme je sais que vous n’êtes jamais venu en ce pays, et que vous y êtes tout neuf, je suis bien aise de vous avoir trouvé, pour vous offrir mon service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n’a pas parfois pour les honnêtes gens toute la considération qu’il faudroitfaudrait.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Si j’avoisj’avais l’honneur d’être connu de vous, vous sauriez que je suis un homme tout à fait sincère.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Non ; j’alloisj’allais en chercher un.
 
'''Sbrigani'''<br>
Je serai bien aise d’être avec vous pour cela, et je connoisconnais tout ce pays-ci.
 
 
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'''Éraste'''<br>
Est-il possible que cinq ou six années m’aient ôté de votre mémoire ? et que vous ne reconnoissiezreconnaissiez pas le meilleur ami de toute la famille des Pourceaugnac ?
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Il n’y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connoisseconnaisse depuis le plus grand jusques au plus petit ; je ne fréquentoisfréquentais qu’eux dans le temps que j’y étoisétais, et j’avoisj’avais l’honneur de vous voir presque tous les jours.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Si fait. (''À Sbrigani.'') Je ne le connoisconnais point.
 
'''Éraste'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Justement : c’est où je passoispassais de si douces heures à jouir de votre agréable conversation. Vous ne vous remettez pas tout cela ?
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Éraste'''<br>
C’est ce que je vouloisvoulais dire, Madame votre tante : comment se porte-t-elle ?
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Hélas ! la pauvre femme ! elle étoitétait si bonne personne.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Quel dommage ç’auroitç’aurait été !
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Le connoissezconnaissez-vous aussi ?
 
'''Éraste'''<br>
Vraiment si je le connoisconnais ! Un grand garçon bien fait.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Éraste'''<br>
Le voilà, je ne connoisconnais autre.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
C’étoitC’était un repas bien troussé.
 
'''Éraste'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Ce seroitserait vous…
 
'''Éraste'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Voilà une connoissanceconnaissance où je ne m’attendoism’attendais point.
 
'''Sbrigani'''<br>
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'''L’Apothicaire'''<br>
Je sais ce que c’est, je sais ce que c’est, et j’étoisj’étais avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi ! vous ne pouviez pas vous adresser à un médecin plus habile : c’est un homme qui sait la médecine à fond, comme je sais ma croix de par Dieu, et qui, quand on devroitdevrait crever, ne démordroitdémordrait pas d’un iota des règles des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et pour tout l’or du monde, il ne voudroitvoudrait point avoir guéri une personne avec d’autres remèdes que ceux que la Faculté permet.
 
'''Éraste'''<br>
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'''L’Apothicaire'''<br>
Ce n’est pas parce que nous sommes grands amis, que j’en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d’être son malade ; et j’aimeroisj’aimerais mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d’un autre ; car, quoi qui puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l’ordre ; et quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n’ont rien à vous reprocher.
 
'''Éraste'''<br>
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'''L’Apothicaire'''<br>
Voilà déjà trois de mes enfants dont il m’a fait l’honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours et qui, entre les mains d’un autre, auroientauraient langui plus de trois mois.
 
'''Éraste'''<br>
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'''Premier Médecin'''<br>
Bon, c’est signe que le dedans se dégage. Je l’irai visiter dans deux ou trois jours ; mais s’il mouroitmourait avant ce temps-là, ne manquez pas de m’en donner avis, car il n’est pas de la civilité qu’un médecin visite un mort.
 
'''La Paysanne'''<br>
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'''Premier Médecin'''<br>
Comme ainsi soit qu’on ne puisse guérir une maladie qu’on ne la connoisseconnaisse parfaitement, et qu’on ne la puisse parfaitement connoître sans en bien établir l’idée particulière, et la véritable espèce, par ses signes diagnostiques et prognostiques, vous me permettrez, Monsieur notre ancien, d’entrer en considération de la maladie dont il s’agit, avant que de toucher à la thérapeutique, et aux remèdes qu’il nous conviendra faire pour la parfaite curation d’icelle. Je dis donc, Monsieur, avec votre permission, que notre malade ici présent est malheureusement attaqué, affecté, possédé, travaillé de cette sorte de folie que nous nommons fort bien mélancolie hypocondriaque, espèce de folie très-fâcheuse, et qui ne demande pas moins qu’un Esculape comme vous, consommé dans notre art, vous, dis-je, qui avez blanchi, comme on dit, sous le harnoisharnais, et auquel il en a tant passé par les mains de toutes les façons. Je l’appelle mélancolie hypocondriaque, pour la distinguer des deux autres; car le célèbre Galien établit doctement à son ordinaire trois espèces de cette maladie que nous nommons mélancolie, ainsi appelée non-seulement par les Latins, mais encore par les Grecs, ce qui est bien à remarquer pour notre affaire: la première, qui vient du propre vice du cerveau; la seconde, qui vient de tout le sang, fait et rendu atrabilaire; la troisième, appelée hypocondriaque, qui est la nôtre, laquelle procède du vice de quelque partie du bas-ventre et de la région inférieure, mais particulièrement de la rate, dont la chaleur et l’inflammation porte au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines épaisses et crasses, dont la vapeur noire et maligne cause dépravation aux fonctions de la faculté princesse, et fait la maladie dont, par notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. Qu’ainsi ne soit, pour diagnostique incontestable de ce que je dis, vous n’avez qu’à considérer ce grand sérieux que vous voyez; cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individuels de cette maladie, si bien marquée chez le divin vieillard Hippocrate; cette physionomie, ces yeux rouges et hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue, lesquels signes le dénotent très-affecté de cette maladie, procédante du vice des hypocondres: laquelle maladie, par laps de temps naturalisée, envieillie, habituée, et ayant pris droit de bourgeoisie chez lui, pourroitpourrait bien dégénérer ou en manie, ou en phtisie, ou en apoplexie, ou même en fine frénésie et fureur. Tout ceci supposé, puisqu’une maladie bien connue est à demi guérie, car ignoti nulla est curatio morbi, il ne vous sera pas difficile de convenir des remèdes que nous devons faire à Monsieur. Premièrement, pour remédier à cette pléthore obturante, et à cette cacochymie luxuriante par tout le corps, je suis d’avis qu’il soit phlébotomisé libéralement, c’est-à-dire que les saignées soient fréquentes et plantureuses: en premier lieu de la basilique, puis de la céphalique; et même, si le mal est opiniâtre, de lui ouvrir la veine du front, et que l’ouverture soit large, afin que le gros sang puisse sortir ; et en même temps, de le purger, désopiler, et évacuer par purgatifs propres et convenables, c’est-à-dire par cholagogues, mélanogogues, et caetera; et comme la véritable source de tout le mal est ou une humeur crasse et féculente, ou une vapeur noire et grossière qui obscurcit, infecte et salit les esprits animaux, il est à propos ensuite qu’il prenne un bain d’eau pure et nette, avec force petit-lait clair, pour purifier par l’eau la féculence de l’humeur crasse, et éclaircir par le lait clair la noirceur de cette vapeur ; mais, avant toute chose, je trouve qu’il est bon de le réjouir par agréables conversations, chants et instruments de musique, à quoi il n’y a pas d’inconvénient de joindre des danseurs, afin que leurs mouvements, disposition et agilité puissent exciter et réveiller la paresse de ses esprits engourdis, qui occasionne l’épaisseur de son sang, d’où procède la maladie. Voilà les remèdes que j’imagine, auxquels pourront être ajoutés beaucoup d’autres meilleurs par Monsieur notre maître et ancien, suivant l’expérience, jugement, lumière et suffisance qu’il s’est acquise dans notre art. Dixi.
 
'''Second Médecin'''<br>
À Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque; et quand il ne le seroitserait pas, il faudroitfaudrait qu’il le devînt, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous depinxisti, tout ce qui appartient à cette maladie : il ne se peut rien de plus doctement, sagement, ingénieusement conçu, pensé, imaginé, que ce que vous avez prononcé au sujet de ce mal, soit pour la diagnose, ou la prognose, ou la thérapie; et il ne me reste rien ici, que de féliciter Monsieur d’être tombé entre vos mains, et de lui dire qu’il est trop heureux d’être fou, pour éprouver l’efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement proposés. Je les approuve tous, manibus et pedibus descendo in tuam sententiam. Tout ce que j’y voudroisvoudrais, c’est de faire les saignées et les purgations en nombre impair: numero deus impari gaudet; de prendre le lait clair avant le bain ; de lui composer un fronteau où il entre du sel: le sel est symbole de la sagesse; de faire blanchir les murailles de sa chambre, pour dissiper les ténèbres de ses esprits: album est disgregativum visus; et de lui donner tout à l’heure un petit lavement, pour servir de prélude et d’introduction à ces judicieux remèdes, dont, s’il a à guérir, il doit recevoir du soulagement. Fasse le Ciel que ces remèdes, Monsieur, qui sont les vôtres, réussissent au malade selon notre intention !
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Premier Médecin'''<br>
Bon, dire des injures. Voilà un diagnostique qui nous manquoitmanquait pour la confirmation de son mal, et ceci pourroitpourrait bien tourner en manie.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Premier Médecin'''<br>
Il a forcé tous les obstacles que j’avoisj’avais mis, et s’est dérobé aux remèdes que je commençoiscommençais de lui faire.
 
'''Sbrigani'''<br>
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'''Premier Médecin'''<br>
Sans doute, quand il y auroitaurait eu complication de douze maladies.
 
'''Sbrigani'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Vous avez raison : vos remèdes étoientétaient un coup sûr, et c’est de l’argent qu’il vous vole.
 
'''Premier Médecin'''<br>
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'''Oronte'''<br>
Oui, je l’attends de Limoges, et il devroitdevrait être arrivé.
 
'''Premier Médecin'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Montsir, avec le vostre permissione, je suisse un trancher marchand Flamane, qui voudroitvoudrait bienne vous temantair un petit nouvel.
 
'''Oronte'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Fous connoistreconnaistre point en sti file un certe Montsir Oronte ?
 
'''Oronte'''<br>
Oui, je le connoisconnais.
 
'''Sbrigani'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Je pensoispensais y être régalé comme il faut.
 
'''Sbrigani'''<br>
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'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Sans doute. Ils étoientétaient une douzaine de possédés après mes chausses ; et j’ai eu toutes les peines du monde à m’échapper de leurs pattes.
 
'''Sbrigani'''<br>
Voyez un peu, les mines sont bien trompeuses ! je l’auroisl’aurais cru le plus affectionné de vos amis. Voilà un de mes étonnements, comme il est possible qu’il y ait des fourbes comme cela dans le monde.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Sbrigani'''<br>
Laissez-moi consulter un peu si je le puis faire en conscience. C’est un homme qui cherche son bien, qui tâche de pourvoir sa fille le plus avantageusement qu’il est possible, et il ne faut nuire à personne. Ce sont des choses qui sont connues à la vérité, mais j’irai les découvrir à un homme qui les ignore, et il est défendu de scandaliser son prochain. Cela est vrai. Mais, d’autre part, voilà un étranger qu’on veut surprendre, et qui, de bonne foi, vient se marier avec une fille qu’il ne connoît pas et qu’il n’a jamais vue; un gentilhomme plein de franchise, pour qui je me sens de l’inclination, qui me fait l’honneur de me tenir pour son ami, prend confiance en moi, et me donne une bague à garder pour l’amour de lui. Oui, je trouve que je puis vous dire les choses sans blesser ma conscience; mais tâchons de vous les dire le plus doucement qu’il nous sera possible, et d’épargner les gens le plus que nous pourrons. De vous dire que cette fille-là mène une vie déshonnête, cela seroitserait un peu trop fort; cherchons, pour nous expliquer, quelques termes plus doux. Le mot de galante aussi n’est pas assez; celui de coquette achevée me semble propre à ce que nous voulons, et je m’en puis servir pour vous dire honnêtement ce qu’elle est.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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'''Oronte'''<br>
Je voudroisvoudrais bien savoir, Monsieur de Pourceaugnac, par quelle raison vous venez…
 
'''Julie'''<br>
Ligne 1 555 :
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Elle voudroitvoudrait bien me tenir.
 
'''Julie'''<br>
Ligne 1 635 :
 
'''Oronte'''<br>
Je ne sauroissaurais m’empêcher de pleurer. Allez, vous êtes un méchant homme.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Je ne connoisconnais rien à tout ceci.
 
Ligne 1 783 :
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Oui ; mais quand il y auroitaurait information, ajournement, décret, et jugement obtenu par surprise, défaut et contumace, j’ai la voie de conflit de jurisdiction, pour temporiser, et venir aux moyens de nullité qui seront dans les procédures.
 
'''Sbrigani'''<br>
Ligne 1 795 :
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Point : ce n’est que le sens commun qui me fait juger que je serai toujours reçu à mes faits justificatifs, et qu’on ne me sauroitsaurait condamner sur une simple accusation, sans un récolement et confrontation avec mes parties.
 
'''Sbrigani'''<br>
Ligne 1 816 :
 
'''Sbrigani'''<br>
Je le veux, et vais vous conduire chez deux hommes fort habiles ; mais j’ai auparavant à vous avertir de n’être point surpris de leur manière de parler : ils ont contracté du barreau certaine habitude de déclamation qui fait que l’on diroitdirait qu’ils chantent ; et vous prendrez pour musique tout ce qu’ils vous diront.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
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''Tous les peuples policés''<br>
''Et bien sensés'' :<br>
''Les FrançoisFrançais, AngloisAnglais, HollandoisHollandais'',<br>
''Danois, Suedois, PolonoisPolonais'',<br>
''PortugoisPortugais, Espagnols, Flamands'',<br>
''Italiens, Allemands'',<br>
''Sur ce fait tiennent loi semblable'',<br>
Ligne 1 869 :
 
'''Sbrigani'''<br>
Oui, les choses s’acheminent où nous voulons ; et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde, je lui ai fait prendre une frayeur si grande de la sévérité de la justice de ce pays, et des apprêts qu’on faisoitfaisait déjà pour sa mort, qu’il veut prendre la fuite ; et pour se dérober avec plus de facilité aux gens que je lui ai dit qu’on avoitavait mis pour l’arrêter aux portes de la ville, il s’est résolu à se déguiser, et le déguisement qu’il a pris est l’habit d’une femme.
 
'''Éraste'''<br>
Je voudroisvoudrais bien le voir en cet équipage.
 
'''Sbrigani'''<br>
Ligne 1 925 :
 
'''Sbrigani'''<br>
Ce sont des brutaux, ennemis de la gentillesse et du mérite des autres villes. Pour moi, je vous avoue que je suis pour vous dans une peur épouvantable; et je ne me consoleroisconsolerais de ma vie si vous veniez à être pendu.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Ce n’est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu’il est fâcheux à un gentilhomme d’être pendu, et qu’une preuve comme celle-là feroitferait tort à nos titres de noblesse.
 
'''Sbrigani'''<br>
Vous avez raison, on vous contesteroitcontesterait après cela le titre d’écuyer. Au reste, étudiez-vous, quand je vous mènerai par la main, à bien marcher comme une femme, et prendre le langage et toutes les manières d’une personne de qualité.
 
'''Monsieur de Pourceaugnac'''<br>
Ligne 2 152 :
 
'''L’Exempt'''<br>
Il faut donc que je m’enfuie avec lui, car il n’y auroitaurait point ici de sûreté pour moi. Laissez-le-moi conduire, et ne bougez d’ici.
 
'''Sbrigani'''<br>
Ligne 2 164 :
 
'''Sbrigani'''<br>
Ne perdez point de temps ; je vous aime tant, que je voudroisvoudrais que vous fussiez déjà bien loin. Que le Ciel te conduise ! Par ma foi ! voilà une grande dupe. Mais voici…
 
Ligne 2 195 :
 
'''Éraste'''<br>
Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre père. Tenez, Monsieur, voilà votre fille que j’ai tirée de force d’entre les mains de l’homme avec qui elle s’enfuyoits’enfuyait ; non pas pour l’amour d’elle, mais pour votre seule considération ; car, après l’action qu’elle a faite, je dois la mépriser, et me guérir absolument de l’amour que j’avoisj’avais pour elle.
 
'''Oronte'''<br>
Ligne 2 201 :
 
'''Éraste'''<br>
Comment ? me traiter de la sorte, après toutes les marques d’amitié que je vous ai données ! Je ne vous blâme point de vous être soumise aux volontés de Monsieur votre père ; il est sage et judicieux dans les choses qu’il fait et je ne me plains point de lui de m’avoir rejeté pour un autre. S’il a manqué à la parole qu’il m’avoitm’avait donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatre ou cinq mille écus ; et quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu’un homme manque à sa parole ; mais oublier en un moment toute l’ardeur que je vous ai montrée, vous laisser d’abord enflammer d’amour pour un nouveau venu, et le suivre honteusement sans le consentement de Monsieur votre père, après les crimes qu’on lui impute, c’est une chose condamnée de tout le monde, et dont mon cœur ne peut vous faire d’assez sanglants reproches.
 
'''Julie'''<br>
Hé bien ! oui, j’ai conçu de l’amour pour lui, et je l’ai voulu suivre, puisque mon père me l’avoitl’avait choisi pour époux. Quoi que vous me disiez, c’est un fort honnête homme, et tous les crimes dont on l’accuse sont faussetés épouvantables.
 
'''Oronte'''<br>
Ligne 2 213 :
 
'''Éraste'''<br>
Moi, je seroisserais capable de cela ?
 
'''Julie'''<br>
Ligne 2 222 :
 
'''Éraste'''<br>
Non, non, ne vous imaginez pas que j’aie aucune envie de détourner ce mariage, et que ce soit ma passion qui m’ait forcé à courir après vous. Je vous l’ai déjà dit, ce n’est que la seule considération que j’ai pour Monsieur votre père, et je n’ai pu souffrir qu’un honnête homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits qui pourroientpourraient suivre une action comme la vôtre.
 
'''Oronte'''<br>
Ligne 2 228 :
 
'''Éraste'''<br>
Adieu, Monsieur. J’avoisJ’avais toutes les ardeurs du monde d’entrer dans votre alliance ; j’ai fait tout ce que j’ai pu pour obtenir un tel honneur ; mais j’ai été malheureux, et vous ne m’avez pas jugé digne de cette grâce. Cela n’empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d’estime et de vénération où votre personne m’oblige ; et si je n’ai pu être votre gendre, au moins serai-je éternellement votre serviteur.
 
'''Oronte'''<br>
Ligne 2 307 :
''Aimons jusques au trépas,''<br>
''La raison nous y convie :''<br>
''Hélas ! si l’on n’aimoitn’aimait pas''<br>
''Que seroitserait-ce de la vie ?''<br>
''Ah ! perdons plutôt le jour''<br>
''Que de perdre notre amour.''<br>