« Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1872 » : différence entre les versions

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On a bien assez vécu pendant ces trois mois de discours, de manifestes, d’épîtres, de polémiques, c’est-à-dire de bruit, d’ombres et d’apparence. Les discours de banquets et de réunions habilement préparées sont des monologues plus ou moins retentissans qui se perdent dans l’air. Les polémiques s’épuisent à tourner dans le même cercle de divagations et de récriminations. Les lettres et les manifestes, en se multipliant, ne font qu’ajouter à l’obscurité et à la confusion. A ce régime de la contradiction universelle et stérile, on aurait fini par perdre tout à fait le sens de la vérité des choses. C’est aujourd’hui le moment ou jamais de rentrer dans la réalité, de serrer de plus près toutes ces questions qui flottent dans une sorte de vague troublé et indéfini, de savoir ce qu’on veut et ce qu’on peut.
 
L’assemblée nationale est en effet de nouveau réunie à Versailles, où elle a repris ses séances depuis trois jours. C’est à elle que tout vient aboutir désormais, c’est devant elle que toutes les idées, toutes les politiques, tous les projets sont tenus de se préciser et de prendre une forme, c’est par elle que tout peut s’accomplir, le bien ou le mal. Les difficultés et les problèmes sont là pressans, impérieux, il n’y a plus moyen de les éluder, et puisque cette assemblée, qui est évidemment une réunion de sages et de patriotes, a cru devoir, avant sa séparation au mois d’août, ordonner des prières publiques pour la veille du jour où elle se remettrait à l’œuvre, elle n’a pu certes mieux faire que de demander au Dieu des peuples malheureux et des parlemens dans l’embarras de lui envoyer surtout le sentiment des responsabilités qui pèsent sur elle. Ces responsabilités sont incontestablement redoutables, elles se résument dans un seul fait qui caractérise l’état où la France est arrivée. Voilà un pays calme et facile, ce qu’on peut vraiment appeler un pays de bonne composition et de bonne volonté. Il ne marchande ni son
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appui à qui sait le mériter, ni ses ressources à qui sait en user patriotiquement. A quoi se bornent ses vœux pour le moment? Il désire qu’on lui épargne les agitations inutiles, les égoïstes violences de partis, les disputes jalouses et passionnées sur des ruines encore fumantes; il demande qu’on lui donne la paix, qui est la grande réparatrice, après la paix l’ordre, qui est le protecteur, le seul garant des légitimes régénérations nationales, avec l’ordre et la paix un gouvernement sensé, régulier, qui sache conduire ses affaires sans le jeter dans des aventures et des expériences nouvelles. Accordera-t-on à ce pays ce qu’il demande? Les partis consentiront-ils à lui faire la grâce d’un peu de sécurité et de repos, les uns en retenant leurs passions et leurs fantaisies emportées, les autres en sachant sacrifier leurs regrets ou leurs préférences? Le problème est là tout entier en définitive. Ainsi M. le président de la république lui-même définissait encore une fois la situation de la France dans le message qu’il lisait hier à Versailles, dans ce message qui a paru étonner ou émouvoir une certaine partie de l’assemblée, comme si cette situation que caractérisait M. Thiers était son œuvre, comme si ces questions qu’il faisait apparaître ne se dégageaient pas de la nature des choses, comme s’il était possible enfin au chef de l’état d’éviter ce qui est dans l’esprit de tout le monde.
 
Ce qui est dans l’esprit de tout le monde, c’est que, sans prétendre disposer irrévocablement d’un avenir qui n’appartient qu’au pays, que les plus habiles ne sauraient prévoir, il faut arriver à fixer un peu sur notre sol ébranlé cette tente où s’abrite la France depuis deux ans. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, le moment est venu, et c’est pour cela justement que M. le président de la république a eu raison de dire à l’assemblée, en la mettant en face de la nécessité qui s’impose à elle : « Vous avez devant vous une grande et décisive session. » Est-ce par hasard M. Thiers qui a créé cette nécessité? Il la reconnaît, il la montre comme il la voit, il ne la crée pas : elle est l’œuvre de tout le monde, d’une certaine force des choses, d’une suite d’événemens inouïs, et peut-être aussi surtout de ceux-là mêmes qui se refusent le plus à la subir. Le grand mérite du message, c’est d’aborder cette situation avec un art merveilleux, avec une émouvante et persuasive sincérité qui n’exclut ni la finesse ni la fermeté d’un esprit supérieur, avec un sentiment de patriotisme qui s’élève sans effort au-dessus de toutes les considérations vulgaires. Le message, c’est M. Thiers tel qu’il est, tel qu’on le connaît, avec son bon sens, sa raison, son habileté et son expérience des mouvemens publics. Ce n’est pas le moment, sous l’impression première de cet éloquent et lumineux exposé, lorsqu’un député de la droite, M. de Kerdrel, a provoqué immédiatement la nomination d’une commission pour répondre à M. le président de la république, ce n’est pas le moment de s’arrêter aux parties
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si savantes, si habilement enchaînées, qui décrivent la marche des affaires matérielles du pays, finances, industrie, commerce. Il faut aller tout de suite à la politique, puisque c’est sur ce point que va s’ouvrir un débat qui aura nécessairement pour effet de mettre toutes les opinions en présence, de dissiper les « malentendus » ou les « équivoques » dont a parlé M. de Kerdrel, et peut-être de trancher le nœud des difficultés du moment. D’ici à peu de jours du reste, et même avant qu’une commission ait eu le temps d’entreprendre l’examen délicat qu’on lui a infligé, il va y avoir une autre discussion provoquée par M. le général Changarnier, et les explications du gouvernement ne feront sans doute que rendre plus sensibles le vrai caractère et la portée de la politique da message.
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Il ne s’agit plus de se livrer à des démonstrations théoriques sur la valeur comparative des gouvernemens ou à des effusions
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sentimentales; il ne suffit pas de moduler dans des réunions d’amis le ''cri de nos pères'': « le roi est mort! vive le roi! » Qu’on montre une bonne fois comment on peut refaire cette monarchie. On a trop de patriotisme pour la vouloir par l’étranger, qui d’ailleurs ne s’en inquiète guère; on ne peut pas compter sur la force pour la ramener, puisqu’on n’a pas cette force; on ne peut certes pas l’attendre d’une manifestation de la souveraineté nationale, et on ne l’espère pas même d’un vote de l’assemblée. Si on ne peut pas rétablir la monarchie, si on ne veut pas de la république, que prétend-on faire alors? On n’a pourtant pas le droit de laisser un pays dans ces énervantes perplexités devant l’inconnu, sous prétexte de maintenir une trêve que tous les partis se sont occupés à ruiner en croyant la tourner à leur profit. Ce n’est pas un système de conduite de se plaindre de tout et de tout empêcher.
 
Ce n’est pas une politique ou plutôt c’est la politique de l’aigreur, de la mauvaise humeur et de l’impuissance. Les légitimistes, qui auraient pu jouer le plus honorable rôle, sont en train, s’ils n’y prennent garde, de recommencer une vieille histoire et de céder au fatal esprit des partis extrêmes, qui ne reconnaissent que ce qui répond à leurs vues ou satisfait leur passion. Ne disait-on pas l’autre jour dans un banquet à Bordeaux que, si on était vaincu par une majorité favorable à la république, les royalistes auraient à délibérer avec eux-mêmes pour savoir s’ils devraient consentir à rester une minorité dans un régime dont ils auraient combattu l’avènement? En d’autres termes, cela veut dire que, si la république, fût-ce une république de raison et de nécessité, restait le régime de la France, les royalistes devraient se retirer dans l’abstention, la fronde et la bouderie, ils ne pourraient consentir à être une minorité, et voilà comment on entend le respect de la souveraineté nationale, la soumission à la loi, la défense sociale indépendamment des formes politiques! Tout ou rien, c’est l’éternel mot d’ordre des partis absolus, et c’est assurément le plus dangereux aujourd’hui. Les légitimistes, avant d’aller plus avant, ont à réfléchir sur les conséquences de cette politique qui, sans pouvoir rien fonder, emploierait ses efforts à empêcher ce qui est possible. M. Dahirel a ouvert le feu, dès la première séance de l’assemblée, en prenant ses précautions contre les projets de réformes constitutionnelles tendant à régulariser la république. Hier M. de Kerdrel, avec un esprit plus politique, mais dans une intention évidemment hostile au gouvernement, M. de Kerdrel a provoqué la nomination de cette commission qui doit examiner le message de M. Thiers et préparer une réponse. Les légitimistes se sont-ils demandé ou pouvait les conduire cette campagne qu’ils semblent vouloir entreprendre? S’ils échouent, ils auront manifesté une fois de plus leur impuissance sans utilité pour leur drapeau, au risque d’excéder le pays; s’ils réussissaient, s’ils provoquaient une crise, pensent-ils sérieusement
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que cette crise profiterait à leur cause? S’ils le croient, ils n’ont qu’à relire cette éloquente et saisissante partie du message où M. Thiers décrit les oscillations d’une société malade qui a fait déjà plus d’une fois le « triste et humiliant voyage du despotisme à l’anarchie, de l’anarchie au despotisme, » et qui le recommencera cent fois encore, s’il le faut. Sur cette route, il n’y a point d’étape pour la monarchie traditionnelle, ni même pour la monarchie constitutionnelle, il n’y en a que pour le radicalisme et pour la dictature césarienne, qui est son héritière infaillible. Le pays ne s’y trompe pas, et voilà pourquoi il recevra sans doute le dernier message comme l’expression de ses propres instincts, de ses propres pensées. Le pays fait comme M. Thiers; il ne cherche pas comment la république est venue au monde, il voit qu’elle existe, qu’avec ce régime l’ordre a pu être efficacement défendu : les ateliers se sont rouverts, le travail a repris son activité, les capitaux sont accourus pour préparer notre libération, et le pays se dit alors comme M. Thiers que la république a l’avantage d’exister, que ce qu’il y a de mieux à faire., c’est de travailler sincèrement à la régulariser et à l’organiser.
 
La seconde idée dominante du message, c’est que la république n’existera, ne se soutiendra qu’à la condition d’être conservatrice. M. Thiers le dit avec la netteté la plus décisive : « la république sera conservatrice, ou elle ne sera pas. » On peut disputer tant qu’on voudra sur cette épithète, on sent parfaitement ce qu’elle signifie; on sait très bien que cela veut dire tout simplement une république où il y aura un gouvernement de bon sens et de droiture, offrant toutes les garanties, protégeant tous les intérêts, sauvegardant tous les droits, respectant les croyances et les traditions, maintenant énergiquement l’ordre public, parce qu’enfin, selon le mot de M. Thiers, « la France ne peut pas vivre dans de continuelles alarmes. » C’est dire aussi clairement que possible aux révolutionnaires et aux agitateurs qu’ils sont les premiers ennemis de la république, et qu’ils en seraient les maîtres les plus compromettans, s’ils étaient au pouvoir. Les radicaux, à qui s’adresse ce compliment, se plaignent fort souvent qu’on les méconnaisse, qu’on les combatte sans dire ce que c’est que le radicalisme; mais le savent-ils bien eux-mêmes? On a pu lire tous ces programmes de M. Louis Blanc et de tant d’autres, on n’en est pas plus avancé. De deux choses l’une : ou bien le radicalisme se réduit à l’étude, à une solution graduelle des questions qui s’agitent dans une société démocratique, c’est-à-dire à ce que tout le monde peut admettre plus ou moins, et alors on ne voit pas trop la raison de ce rôle spécial, unique et privilégié que se donnent les radicaux, — ou bien le radicalisme, comme on le voit souvent, est la révolution en permanence, l’agitation érigée en système, et c’est par là justement qu’il est redouté. Il a beau faire, l’ordre est son ennemi particulier. Le pays a besoin de calme, ne fût-ce que pour ne pas
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compromettre sa libération, — les radicaux lui proposent la dissolution immédiate de l’assemblée. S’il y a aujourd’hui en France une nécessité évidente, c’est d’accoutumer les esprits au respect de la loi, à une certaine stabilité, et déjà les journaux du parti crient bien haut que tout ce que fera l’assemblée, on le tiendra pour non avenu, on se hâtera de le défaire à la première occasion. La révolution, toujours la révolution, tel est le dernier mot! Sait-on ce que c’est que le radicalisme dans son vrai sens, tel qu’il a été du moins jusqu’ici? C’est, selon la parole de M. Thiers, la république devenue le gouvernement d’un parti au lieu d’être le gouvernement de tous, c’est la république agitée conduisant à la dictature d’un pouvoir qui se dit fort parce qu’il est sans contrôle. Et voilà pourquoi les radicaux, dont le portrait est si nettement dessiné dans le message de M. Thiers, comme il l’était récemment dans une lettre de M. Stuart Mill, seraient certainement les plus dangereux ennemis du régime dont ils ont la prétention d’être les représentans privilégiés.
Ainsi la république existe comme gouvernement légal du pays, elle doit rester essentiellement conservatrice, si elle veut vivre, c’est là tout le message de M. Thiers; c’est dans ces termes que le problème se présente aux esprits qui se préoccupent d’imprimer à la situation un caractère nouveau de régularité et de durée, ce que M. Thiers appelle les « caractères désirables et nécessaires. » La solution ne peut évidemment venir des légitimistes qui contestent à la république jusqu’à son existence, ni des radicaux qui lui refusent la force conservatrice dont elle a besoin. Chercher cette solution, c’est le rôle de ces partis modérés des deux centres, qui sont appelés à être les médiateurs des opinions, les introducteurs naturels de ces mesures constitutionnelles dont la pensée est partout et dont la formule n’est nulle part jusqu’ici; mais que ces partis modérés eux-mêmes y songent bien. Ménager de petits rapprochemens personnels, nouer de petites combinaisons, tenir des conciliabules, cela ne peut plus suffire désormais; il faut de la netteté dans les idées, de la décision dans l’action. C’est à ce prix seulement qu’on peut rallier les esprits honnêtes et flottans, qui sont toujours nombreux dans une assemblée. Le centre gauche, dans une réunion récente où M. Casimir Perier, M. Ricard, M. Béranger, ont parlé avec un remarquable esprit politique, le centre gauche a montré qu’il avait le sentiment de la situation. Qu’il mette donc la main à l’œuvre sans laisser les questions s’égarer. M. Thiers l’a dit : « le moment est décisif; » il est doublement décisif. D’un côté, l’assemblée ne peut plus éluder ces questions; d’un autre côté, il est bien clair que, si on tergiverse, si l’on ne réussit qu’à partager la chambre en deux camps presque égaux, on arrive à une sorte d’acte d’impuissance qui peut compromettre l’existence même de l’assemblée. L’essentiel est donc de savoir clairement
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ce qu’on veut et de marcher résolument dans la voie où il serait désormais difficile de s’arrêter.
 
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C’est une perturbation complète et une expérience nouvelle de l’inefficacité des moyens restrictifs. Le gouvernement a pu certes abandonner sans crainte cette malheureuse surtaxe; il devra nécessairement en proposer l’abrogation à l’assemblée, qui s’empressera sans doute de la
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voter. Somme toute, le nouveau traité a cet heureux résultat de régulariser nos relations commerciales avec l’Angleterre, de faire disparaître les occasions de froissement, et ce n’est pas là seulement un avantage matériel, c’est aussi un avantage politique. Les relations faciles d’intérêts conduisent à des rapprochemens, à des habitudes communes en politique, et, dans l’état où est tombée la France, rien de ce qui peut la rapprocher des autres nations, ses émules dans la civilisation, ne doit lui être indifférent. Il y a des peuples qui ont commencé à se relever par des traités de commerce.
 
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La politique prussienne en est pour le moment à vivre de ses derniers succès. Elle ne laisse pas cependant d’avoir jusque dans ses victoires des difficultés intérieures assez graves. Les conflits se succèdent à Berlin. Après la lutte religieuse que M. de Bismarck n’a pas craint
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d’engager, qui est loin d’être finie, voici qu’une sorte de crise parlementaire vient d’éclater. Ce n’est plus cette fois avec la chambre des députés que le gouvernement a des démêlés; il ne s’agit plus d’une affaire religieuse ou du budget militaire. C’est dans la chambre des seigneurs que le conflit a éclaté, et il s’agit d’une question intérieure de l’ordre le plus délicat. Le gouvernement a pris l’initiative d’une réforme de l’administration locale dans les provinces de l’est de la Prusse, la Poméranie, le Brandebourg, la Silésie, la Saxe. Il a fait voter par la seconde chambre dans la session dernière une loi sur une organisation nouvelle des cercles. C’est cette loi qui, portée à la chambre des seigneurs, vient d’être repoussée par un vote éclatant où 145 voix se sont prononcées contre le projet du gouvernement, qui n’a obtenu qu’un mince appui de 18 suffrages. En définitive, c’est une réforme libérale rejetée par la chambre des seigneurs sous prétexte que c’était là une mesure révolutionnaire. La question est doublement grave : elle est des plus sérieuses en elle-même, et elle devient aujourd’hui presque périlleuse par la crise parlementaire qu’elle suscite. Quelle est en effet la situation à ce double point de vue? Les provinces prussiennes auxquelles s’applique la loi si fort maltraitée par la chambre des seigneurs, ces provinces, il ne faut pas l’oublier, sont restées soumises à un régime à peu près féodal : sans doute le servage n’existe plus, il est aboli depuis longtemps, depuis les grandes réformes de Stein, et beaucoup de paysans sont devenus possesseurs de terres; mais partout subsiste la prédominance des propriétaires nobles. Le seigneur est maître absolu, il règne et gouverne. C’est lui qui nomme le pasteur, le maître d’école, le maire, et dans certaines localités cette fonction de maire appartient encore héréditairement à une famille qui possède un bien privilégié. C’est le propriétaire noble qui a la charge de la police, de la bienfaisance, de l’entretien des routes. Naturellement cette féodalité remplit aussi les états des provinces et des cercles où les autres classes ne sont point représentées. C’est cette situation que le gouvernement a voulu réformer en abolissant les anomalies les plus choquantes, notamment les polices seigneuriales, en faisant une part aux classes jusqu’ici déshéritées, en introduisant l’élection dans l’organisation des cercles et des communes. Tout cela était fait d’ailleurs, on le conçoit, avec d’extrêmes ménagemens pour cette rude et forte noblesse prussienne où la monarchie des Hohenzollern a trouvé toujours de si fidèles appuis. Malgré tous les tempéramens possibles, la chambre des seigneurs n’a voulu rien entendre; elle a repoussé cette réforme comme un attentat à ses droits les plus sacrés, et le ministre de l’intérieur, le comte Eulenbourg, en a été pour ses efforts.
 
La chambre des seigneurs a voté, et le gouvernement ne se tient pas pour battu : c’est là justement que commence la crise parlementaire.
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Que fera-t-on pour dénouer ce conflit? La chambre n’a été un instant suspendue après son vote que pour être convoquée de nouveau à bref délai, elle a déjà repris ses séances. L’intention évidente, avouée, du gouvernement est de maintenir son œuvre; il la fera modifier sur quelques points de détail par la chambre des députés, et encore une fois il la portera devant la chambre haute. Les seigneurs pousseront-ils la résistance jusqu’au bout? Ce serait assez vraisemblable, si on les laissait faire; mais on ne les laissera pas faire. Le gouvernement semble parfaitement décidé à ne pas courir la chance d’un nouvel échec, et à se servir, s’il le faut, des moyens héroïques. Il ne transformera pas sans doute brutalement la chambre haute, comme on l’a dit avec un peu de légèreté; il fera une promotion de seigneurs, il exercera une pression plus ou moins constitutionnelle sur les récalcitrans; déjà il a destitué quelques-uns de ceux qui occupaient de grandes fonctions administratives. M. de Witzleben, président de la province de Saxe, et M. de Klützow, directeur au ministère de l’intérieur, sont du nombre des victimes. Le gouvernement prussien est accoutumé à ce jeu. Il a tenu tête autrefois à la chambre des députés dans des circonstances bien moins favorables et pour de moins bonnes raisons, il se servira maintenant de la seconde chambre contre la chambre haute. L’empereur Guillaume paraît fort disposé à soutenir ses ministres dans cette lutte. Le résultat n’est pas douteux; on n’y arrivera peut-être pas cependant sans des tiraillemens et sans quelques concessions, d’autant plus que les seigneurs, adversaires ou opposans de circonstance, sont après tout les plus fidèles soutiens de la monarchie, et que leurs sentimens au sujet pie la loi sur l’organisation des cercles sont peut-être partagés par quelques-uns des ministres, notamment par le ministre de la guerre, M. de Roon.
 
Qu’en pense M. de Bismarck lui-même? La question est étrange, on en conviendra, et elle s’est pourtant élevée. M. de Bismarck est resté à Varzin, où il se repose depuis quelques mois; il a laissé le ministre de l’intérieur, le comte Eulenbourg, se débattre avec l’opposition de la chambre haute; on est même allé jusqu’à dire qu’il n’était pas fâché au fond de voir son collègue se compromettre, que par un vieux fonds de féodalisme il approuvait secrètement la résistance des seigneurs. Son abstention a été interprétée comme un mouvement de mauvaise humeur; mais ce sont là des conjectures bien invraisemblables. Le ministère ne se serait point évidemment engagé dans une telle affaire, il ne persisterait pas aujourd’hui dans ses projets sans l’aveu du prince-chancelier, et puis on oublie une chose : M. de Bismarck n’en est plus à s’inquiéter des fantaisies des hobereaux prussiens, — il est libéral! Il a donné le suffrage universel à son bon peuple d’Allemagne, il fait la guerre aux jésuites, aux évêques, il veut émanciper les paysans, il désavoue les maximes de la force. Tout cela est dans sa politique du
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moment jusqu’à ce que l’occasion d’une métamorphose nouvelle se présente. En attendant, il se repose à Varzin, laissant les imbroglios parlementaires se nouer et se dénouer à Berlin, retenant dans ses mains le fil des affaires allemandes qu’il gouverne à son gré.
 
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A quoi peut-on attribuer cette péripétie nouvelle? Est-ce simplement l’effet de rivalités intérieures ou d’intrigues de palais? Faut-il y voir le résultat ou le signe d’une pression diplomatique, dune action combinée de la Russie et de la Prusse pour renverser un homme dont l’avènement avait été vu avec faveur par l’Autriche, par les puissances libérales d’Europe? Toujours est-il que, si on a voulu revenir à Mahmoud-Pacha, on n’y est pas revenu du premier coup. Midhat-Pacha est tombé, il est vrai, il n’a pas été remplacé par celui dont il avait été lui-même le successeur. La place est occupée par un homme qui a été autrefois grand-vizir et qui ne représente aucune politique bien définie, Mehemet-Ruschdi-Pacha, qu’on représente volontiers comme un type de la nonchalance orientale; mais ce n’est là évidemment qu’une transition sans durée. La politique turque, dans la voie d’oscillation où elle s’est engagée, reviendra un jour ou l’autre à Midhat-Pacha ou à Mahmoud-Pacha, et ce qu’il y aurait de mieux, ce serait que, secouant toutes les influences extérieures qui l’assiègent, elle revînt tout simplement à l’intérêt
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turc, c’est-à-dire à l’application indépendante des idées de civilisation, par lesquelles l’empire ottoman peut retrouver sa raison d’être et sa force.
 
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Pendant plusieurs mois, cette campagne de l’élection présidentielle s’est déroulée assez confusément, très bruyamment, et de façon à faire par instans illusion sur les chances des deux candidats. On a tenu bien des ''meetings'', prononcé bien des discours, rédigé bien des programmes. On épiait les élections partielles, locales, qui avaient lieu dans les divers états, pour démêler le courant de l’opinion. Plus d’une fois, la réélection du général Grant a paru compromise; on aurait dit qu’elle n’était rien moins qu’assurée. M. Horace Greeley semblait gagner du terrain; il se voyait déjà président des États-Unis, installé à la Maison-Blanche de Washington. Ce n’était qu’une apparence et l’effet momentané de la fumée du combat. Dans les dernières semaines de cette agitation électorale, la situation. a commencé à s’éclaircir singulièrement. Les élections locales de l’Indiana, de l’Ohio, surtout de la Pensylvanie, un des états les plus considérables de l’Union, ces élections, toutes favorables aux partisans du général Grant, ne laissaient plus de doute sur le résultat définitif. M. Horace Greeley était perdu avec son armée bariolée et incohérente. Évidemment cette
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coalition de républicains dissidens ou libéraux, de démocrates mal remis de leurs défaites, de mécontens de toute nuance, cette coalition n’était pas en état de lutter avec les forces compactes marchant à la suite du général Grant. Le drapeau de l’opposition ne représentait ni une idée, ni un intérêt, ni une passion de nature à saisir l’imagination populaire, et le 5 novembre, le jour où le scrutin solennel s’est ouvert, tous les mirages se sont évanouis; il n’est resté qu’un fait capital et dominant, la réélection du général Grant à une majorité qui a presque dépassé toutes les prévisions et peut-être même les espérances de ses propres amis.
 
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Dans les pins odorans, mon chant toujours pareil
Comme le cours égal des ans et du soleil ;
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De l’été rayonnant et chaud je suis le verbe,
Et quand, las d’entasser la gerbe sur la gerbe
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Dès qu’ils ont pénétré sous la grande avenue,
Ils entament l’air gai d’une danse ingénue
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Qui s’avance et qui fait sourire encor parfois
L’aïeul, sur les carreaux tambourinant des doigts.
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Et, voulant à tout prix lui couper la parole,
Il redouble d’entrain et force les accords,
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Puis, las enfin, s’éloigne, et l’on entend alors
Décroître à travers champs la charmante dispute
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O trésor des moissons mûres! vivant trésor!
O chaleur de la vie ! éclat des blés ! seul or
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Que le paysan voie et qu’il touche à son aise !
Pain que le bon soleil prépare à sa fournaise !
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Ne voit plus que l’éclat du ciel et des épis,
Un flamboîment brutal entrant sous sa paupière,
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Des chevaux tout luisans piétinant la lumière,
Et, devant lui, couchée au fond d’un trou du mur
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« La moustouïre! » dit-il, car la fille est jolie:
Il doit, ayant coupé la grappe qu’elle oublie,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/517]]==
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L’en barbouiller d’abord pour l’embrasser après.
Déjà la fille court, mais il la suit de près,
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Théâtres où l’on met des pierres pour décor
Et de la mousse prise aux vieux murs, puis encor
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/518]]==
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Des arbres faits d’un brin de sauge, et sur ces cimes,
Le long des sentiers fins côtoyant ces abîmes,