« Correspondance entre Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
typo
Ligne 23 :
Répondez-nous bientôt et croyez à l’amitié bien sincère de
 
Votre tout dévoué,<br/>
:Charles Marx.<br/>
:Bruxelles, 5 mai 1846.
 
 
Ligne 34 :
Je profite avec plaisir de l’occasion qui m’est offerte pour vous assurer combien il m’est agréable d’entrer en relation avec un homme aussi distingué que vous. En attendant, permettez-moi de vous dire
 
Votre tout dévoué,<br/>
:Philippe Gigot.
 
 
Ligne 41 :
Quant à moi, je ne peux qu’espérer que vous, monsieur Proudhon, approuverez le projet que nous venons de vous proposer, et que vous aurez la complaisance de ne pas nous refuser votre coopération. En vous assurant du profond respect que vos écrits m’ont inspiré pour vous, je suis
 
Votre tout dévoué,<br/>
:Frédéric Engels.
 
=== Réponse de Proudhon à Marx ===
 
=== Réponse de Proudhon à Marx ===
 
... Mon cher monsieur Marx, je consens volontiers à devenir l’un des aboutissants de votre correspondance, dont le but et l’organisation me semblent devoir être très utiles. Je ne vous promets pas pourtant de vous écrire ni beaucoup ni souvent : mes occupations de toute nature, jointes à une paresse naturelle, ne me permettent pas ces efforts épistolaires. Je prendrai aussi la liberté de faire quelques réserves, qui me sont suggérées par divers passages de votre lettre.
 
D’abord, quoique mes idées en fait d’organisation et de réalisation soient en ce moment tout à fait arrêtées, au moins pour ce qui regarde les principes, je crois qu’il est de mon devoir, qu’il est du devoir de tout socialiste, de conserver pour quelque temps encore la forme critique ou dubitative ; en un mot, je fais profession avec le public, d’un anti-dogmatisme économique, presque absolu.
 
Cherchons ensemble, si vous voulez, les lois de la société, le mode dont ces lois se réalisent, le progrès suivant lequel nous parvenons à les découvrir ; mais, pour Dieu ! après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons point à notre tour, à endoctriner le peuple ; ne tombons pas dans la contradiction de votre compatriote Martin Luther, qui, après avoir renversé la théologie catholique, se mit aussitôt, à grand renfort d’excommunications et d’anathèmes, à fonder une théologie protestante. Depuis trois siècles, l’Allemagne n’est occupée que de détruire le replâtrage de M. Luther ; ne taillons pas au genre humain une nouvelle besogne par de nouveaux gâchis. J’applaudis de tout mon cœur à votre pensée de produire au jour toutes les opinions ; faisons-nous une bonne et loyale polémique ; donnons au monde l’exemple d’une tolérance savante et prévoyante, mais, parce que nous sommes à la tête d’un mouvement, ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle intolérance, ne nous posons pas en apôtres d’une nouvelle religion ; cette religion fût-elle la religion de la logique, la religion de la raison. Accueillons, encourageons toutes les protestations ; flétrissons toutes les exclusions, tous les mysticismes ; ne regardons jamais une question comme épuisée, et quand nous aurons usé jusqu’à notre dernier argument, recommençons s’il faut, avec l’éloquence et l’ironie. À cette condition, j’entrerai avec plaisir dans votre association, sinon, non !
 
J’ai aussi à vous faire quelque observation sur ce mot de votre lettre : Au moment de l’action. Peut-être conservez-vous encore l’opinion qu’aucune réforme n’est actuellement possible sans un coup de main, sans ce qu’on appelait jadis une révolution, et qui n’est tout bonnement qu’une secousse. Cette opinion que je conçois, que j’excuse, que je discuterais volontiers, l’ayant moi-même longtemps partagée, je vous avoue que mes dernières études m’en ont fait complètement revenir. Je crois que nous n’avons pas besoin de cela pour réussir ; et qu’en conséquence, nous ne devons pas poser l’action révolutionnaire comme moyen de réforme sociale, parce que ce prétendu moyen serait tout simplement un appel à la force, à l’arbitraire, bref, une contradiction. Je me pose ainsi le problème : faire rentrer dans la société, par une combinaison économique, les richesses qui sont sorties de la société par une autre combinaison économique. En autres termes, tourner en économie politique, la théorie de la propriété, contre la propriété, de manière à engendrer ce que vous autres socialistes allemands appelez communauté, et que je me bornerai, pour le moment, à appeler liberté, égalité. Or, je crois savoir le moyen de résoudre, à court délai, ce problème je préfère donc faire brûler la propriété à petit feu, plutôt que de lui donner une nouvelle force, en faisant une Saint-Barthélemy des propriétaires.
 
Mon prochain ouvrage, qui en ce moment est à moitié de son impression, vous en dira davantage.
Ligne 63 :
Ce que je sais et que j’estime plus que je ne blâme un petit accès de vanité, c’est que je dois à M. Grün ainsi qu’à son ami Ewerbeck la connaissance que j’ai de vos écrits, mon cher monsieur Marx, de ceux de M. Engels, et de l’ouvrage si important de Feuerbach. Ces messieurs, à ma prière, ont bien voulu faire quelques analyses pour moi en français (car j’ai le malheur de ne point lire l’allemand) des publications socialistes les plus importantes ; et c’est à leur sollicitation que je dois insérer (ce que j’eusse fait de moi-même, au reste) dans mon prochain ouvrage, une mention des ouvrages de MM. Marx, Engels, Feuerbach, etc. Enfin, Grün et Ewerberck travaillent à entretenir le feu sacré chez les Allemands qui résident à Paris, et la déférence qu’ont pour ces messieurs les ouvriers qui les consultent me semble un sûr garant de la droiture de leurs intentions.
 
Je vous verrais avec plaisir, mon cher monsieur Marx, revenir d’un jugement produit par un instant d’irritation ; car vous étiez en colère lorsque vous m’avez écrit. Grün m’a témoigné le désir de traduire mon livre actuel ; j’ai compris que cette traduction précédant toute autre lui procurerait quelque secours ; je vous serais donc obligé, ainsi qu’à vos amis, non pour moi, mais pour lui, de lui prêter assistance dans cette occasion, en contribuant à la vente d’un écrit qui pourrait sans doute avec votre secours, lui donner plus de profit qu’à moi.
 
Si vous vouliez me donner l’assurance de votre concours, mon cher monsieur Marx, j’enverrais incessamment mes épreuves à M. Grün, et je crois, nonobstant vos griefs personnels dont je ne veux pas me constituer le juge, que cette conduite nous ferait honneur à tous.