Correspondance entre Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon

Correspondance entre Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon (1846)
Groupe Fresnes-Antony de la Fédération anarchiste (Antony) (3p. 327-329).


Echange de lettres entre MARX et PROUDHON

Nous reproduisons ici les textes des lettres de 1846 entre Marx et Proudhon. La lettre de Marx, longtemps inédite, a été retrouvée dans les années vingt dans les papiers conservés par la famille de Proudhon. La signature de la lettre de Marx est autographe le texte ne l’est pas. Marx s’est servi d’une main qui n’était pas la sienne. L’auteur du premier post-scriptum, Philippe Gigot, est un obscur bibliothécaire de Bruxelles. L’auteur du second, Frédéric Engels, est l’ami bien connu de Marx. Les deux notes sont de Daniel Halévy, honnis la fin de la seconde.

Lettre de Marx à Proudhon

Mon cher Proudhon,

Je m’étais proposé bien souvent de vous écrire, depuis que j’ai quitté Paris ; des circonstances indépendantes de ma volonté m’en ont empêché jusqu’à présent. Je vous prie de croire qu’un surcroît de besogne, les embarras d’un changement de domicile, etc., sont les seuls motifs de mon silence.

Et maintenant surtout sautons in media res. Conjointement avec deux de mes amis, Frédéric Engels et Philippe Gigot — (tous deux, à Bruxelles) —, j’ai organisé avec les communistes et socialistes allemands une correspondance suivie, qui devra s’occuper et de la discussion de questions scientifiques, et de la surveillance à exercer sur les écrits populaires, et de la propagande socialiste qu’on peut faire en Allemagne par ce moyen. Le but principal de notre correspondance sera pourtant celui de mettre les socialistes allemands en rapport avec les socialistes français et anglais ; de tenir les étrangers au courant des mouvements socialistes, qui se seront opérés en Allemagne et d’informer les Allemands en Allemagne des progrès du socialisme en France et en Angleterre. De cette manière les différences d’opinion pourront se faire jour ; on arrivera à un échange d’idées et à une critique impartiale. C’est là un pas, que le mouvement social aura fait dans son expression littéraire, afin de se débarrasser des limites de la nationalité. Et au moment de l’action, il est certainement d’un grand intérêt pour chacun d’être instruit de l’état des affaires à l’étranger aussi bien que chez lui.

Outre les communistes en Allemagne notre correspondance comprendra aussi les socialistes allemands à Paris et à Londres. Nos rapports avec l’Angleterre sont déjà établis : quant à la France, nous croyons tous que nous ne pouvons y trouver un meilleur correspondant que vous : vous savez que les Anglais et les Allemands nous ont jusqu’à présent mieux appréciés que vos propres compatriotes.

Vous voyez donc, qu’il ne s’agit que de créer une correspondance régulière, et de lui assurer les moyens de poursuivre le mouvement social dans les différents pays, d’arriver à un intérêt riche et varié comme le travail d’un seul ne pourra jamais le réaliser.

Si vous voulez accéder à notre proposition, les frais de port des lettres qui vous seront envoyées comme de celles que vous nous enverrez seront supportés ici, les collectes faites en Allemagne étant destinées à couvrir les frais de la correspondance.

L’adresse à laquelle vous écrirez ici, est celle de M. Philippe Gigot, 8, rue Bodendrock. C’est lui qui aura également la signature des lettres de Bruxelles.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que, toute cette correspondance exige de votre part le secret le plus absolu ; en Allemagne nos amis doivent agir avec la plus grande circonspection pour éviter de se compromettre.

Répondez-nous bientôt et croyez à l’amitié bien sincère de

Votre tout dévoué,
Charles Marx.


Bruxelles, 5 mai 1846.


P.-S. Je vous dénonce ici M. Grün, à Paris. Cet homme n’est qu’un chevalier d’industrie littéraire, un espèce de charlatan qui voudrait faire le commerce d’idées modernes. Il tâche de cacher son ignorance sous des phrases pompeuses et arrogantes, mais il n’est parvenu qu’à se rendre ridicule par son galimatias. De plus cet homme est dangereux. Il abuse de la connaissance qu’il a établie avec des auteurs de renom, grâce à son impertinence, pour s’en faire un piédestal et les compromettre vis-à-vis du public allemand. Dans son livre sur les socialistes français, il ose s’appeler le professeur (Privatdocent, dignité académique en Allemagne) de Proudhon, prétend lui avoir dévoilé les axiomes importants de la science allemande, et blague sur ses écrits. Gardez-vous donc de ce parasite. Peut-être vous reparlerai-je plus tard de cet individu.

Je profite avec plaisir de l’occasion qui m’est offerte pour vous assurer combien il m’est agréable d’entrer en relation avec un homme aussi distingué que vous. En attendant, permettez-moi de vous dire

Votre tout dévoué,
Philippe Gigot.


Quant à moi, je ne peux qu’espérer que vous, Monsieur Proudhon, approuverez le projet que nous venons de vous proposer, et que vous aurez la complaisance de ne pas nous refuser votre coopération. En vous assurant du profond respect que vos écrits m’ont inspiré pour vous, je suis

Votre tout dévoué,
Frédéric Engels.


Lettre de Proudhon à Marx

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