« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Architecture monastique » : différence entre les versions

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c'est Fontenay
près Montbard (9 bis). L'église A est d'une extrême simplicité comme
construction, son abside est carrée, sans chapelles, et quatre chapelles
carrées s'ouvrent seulement sur le transsept; cette disposition apparaît
toujours, comme on le voit, dans les églises de la règle de Cîteaux,
ainsi que le porche fermé en avant de la nef. Le cloître C est placé
au midi, le cours d'eau H étant de ce côté de l'église. En F est la salle
capitulaire, à la suite le réfectoire, les cuisines et le chauffoir avec sa
cheminée; en D sont les dortoirs; mais ces constructions ont été relevées au
XVe siècle. Dans l'origine le dortoir était placé, suivant l'usage, à la suite du
transsept de l'église, afin de faciliter aux moines l'accès du chœur pour les
offices de nuit. Le long du ruisseau sont établis des granges, celliers, etc.
La porte est en E avec les étables et écuries. Les autres services de cet
établissement ont disparu aujourd'hui. Le monastère de Fontenay est situé
dans un vallon resserré, sauvage, et de l'aspect le plus pittoresque; des
étangs considérables, retenus par les moines en amont du couvent à l' ''est'',
servent encore aujourd'hui à faire mouvoir de nombreuses usines, telles
que moulins, fouleries, scieries, dans les bâtiments desquelles on rencontre
quantité de fragments du XIIe siècle. Fontenay était surtout un établissement
industriel, comme Pontigny était un établissement agricole. On trouve
en amont du monastère des traces considérables de mâchefer, ce qui donne
lieu de supposer que les moines avaient établi des forges autour de la
maison religieuse<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]]. Nous avons vu plus haut que des métairies étaient
établies dans le voisinage des grandes abbayes pour la culture des terres,
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
qui bientôt vinrent augmenter les
domaines des religieux. Ces métairies
conservaient leur nom primitif
de ''villæ'': c'étaient de grandes
fermes occupées par des frères
convers et des valets sous la
direction d'un religieux qui avait
le titre de frère hospitalier, car
dans ces ''villæ'' comme dans les
simples granges isolées même,
l'hospitalité était assurée au voyageur
attardé; et à cet effet, une
lampe brûlait toute la nuit dans
une petite niche pratiquée au-dessus
ou à côté de la porte de
ces bâtiments ruraux, comme
un fanal destiné à guider le pèlerin,
et à ranimer son courage<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]].
 
Voici donc (10) l'une de ces
métairies; dépendance de Clairvaux, elle est jointe au plan de ce monastère donné plus haut, et est intitulée
''villæ Outraube''. En A est la porte principale de l'enceinte, traversée par un
cours d'eau B; deux granges immenses, dont l'une est à sept nefs, sont bâties
en C; l'une de ces granges a son entrée sur les dehors. Dans une enceinte
particulière D sont disposés les bâtiments d'habitation des frères convers et
des valets, en E sont des étables et écuries. Une autre porte s'ouvre à l'extrémité
opposée à la première, en F, c'est là que loge le frère hospitalier. Ces
''villæ'' n'étaient pas toujours munies de chapelles, et ses habitants devaient se
rendre aux églises des abbayes ou prieurés voisins pour entendre les offices.
 
Il fallait, conformément aux statuts de l'ordre, qu'une ''villa'', qu'une
grange, fussent placées à une certaine distance de l'abbaye mère pour
prendre le titre d'abbaye et qu'elles pussent suffire à l'entretien de treize
religieux au moins. Quand les établissements ruraux ne possédaient que
des revenus trop modiques pour nourrir treize religieux, ils conservaient
leur titre de ''villa'' ou de simple grange<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]].
 
L'ordre bénédictin de Cluny possédait des établissements secondaires qui
avaient des rapports avec les granges cisterciennes; on les désignait sous
le nom d'Obédiences<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]]. Ces petits établissements possédaient tout ce qui
constitue le monastère: un oratoire, un cloître avec ses dépendances; puis
autour d'une cour voisine, ouverte, les bâtiments destinés à l'exploitation.
 
C'était dans les obédiences que l'on reléguait pendant un temps plus ou
moins long les moines qui avaient fait quelque faute et devaient subir une
pénitence; ils se trouvaient soumis à l'autorité d'un prieur, et condamnés
aux plus durs travaux manuels, remplissant les fonctions, qui dans les
grands établissements, étaient confiées aux valets. La plupart de ces
domaines ruraux sont devenus depuis longtemps des fermes abandonnées
aux mains laïques, car bien avant la révolution du dernier siècle les
moines n'étaient plus astreints à ces pénitences corporelles; cependant
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
nous en avons vu encore
un certain nombre
dont les bâtiments sont
assez bien conservés.
 
Auprès d'Avallon,
entre cette ville et le village
de Savigny, dans
un vallon fertile, perdu
au milieu des bois et des
prairies, on voit encore
s'élever un charmant
oratoire de la fin du
XIIe siècle avec les restes
d'un cloître et des dépendances en ruine. Nous donnons (11) le
plan de cette obédience qui a conservé le nom de prieuré de Saint-Jean les
Bons-Hommes. En A est l'oratoire dont la nef est couverte par un berceau
ogival construit en briques de 0<sup>m</sup>,40 d'épaisseur, toute la construction est
d'ailleurs en belles pierres bien appareillées et taillées. Une porte B très-simple mais d'un beau caractère permet aux étrangers ou aux colons du voisinage
de se rendre aux offices sans entrer dans le cloître; une seconde porte
C sert d'entrée aux religieux pour les offices; en D est le cloître, sur lequel
s'ouvre une jolie salle E dans laquelle après ''laudes'' les religieux se réunissaient
pour recevoir les ordres touchant la distribution du travail du jour.
Le dortoir était au-dessus; en F le réfectoire et la cuisine; en G des celliers,
granges et bâtiments d'exploitation. Une cour H ouverte en I sur la
campagne était destinée à contenir les étables et chariots nécessaires aux
travaux des champs. On entrait dans l'enceinte cloîtrée par une porte K. Le
frère portier était probablement logé dans une cellule en L. Les traces de
ces dernières constructions sont à peine visibles aujourd'hui. En M était la
sacristie ayant une issue sur le jardin. Un petit ruisseau passait au nord de
l'oratoire en N, et une clôture enfermait du côté de l'est le jardin particulier
de ce petit monastère. Voici (12) une élevation prise du côté de l'abside de
 
[Illustration: Fig. 12.]
 
la chapelle qui donne une idée de ces constructions dont l'extrême
simplicité ne manque ni de grâce ni de style. L'entrée de la salle E est
charmante, et rappelle les constructions clunisiennes du XIIe siècle.
 
On comprend comment de vastes établissements, richement dotés, tels
que Cluny, Jumiéges, Saint-Denis, Vézelay, Cîteaux, Clairvaux, apportaient
dans la construction de leurs bâtiments un soin et une recherche extraordinaires;
mais lorsque l'on voit que ce soin, ce respect, dirons-nous, pour
l'institut monastique s'étendent jusque dans les constructions les plus
médiocres, jusque dans les bâtiments ruraux les plus restreints, on
se sent pris d'admiration pour cette organisation bénédictine qui couvrait
le sol de l'Europe occidentale d'établissements à la fois utiles et
bien conçus, ou l'art véritable, l'art qui sait ne faire que ce qu'il faut,
mais faire tout ce qu'il faut, n'était jamais oublié. On s'est habitué
dans notre siècle à considérer l'art comme une superfluité que les riches
seuls peuvent se permettre; nos colléges, nos maisons d'écoles, nos
hospices, nos séminaires, sembleraient aux yeux de certaines personnes ne
pas remplir leur but, s'ils n'étaient pas froids et misérables d'aspect,
repoussants, dénués de tout sentiment d'art; la laideur paraît imposée dans
nos programmes d'établissements d'éducation ou d'utilité publique;
comme si ce n'était pas un des moyens les plus puissants de civilisation
que d'habituer les yeux à la vue des choses convenables et belles à la fois;
comme si l'on gagnait quelque chose à placer la jeunesse et les classes
inférieures au milieu d'objets qui ne parlent pas aux yeux, et ne laissent
qu'un souvenir froid et triste! C'est à partir du moment où l'égalité
politique est entrée dans les mœurs de la nation qu'on a commencé à
considérer l'art comme une chose de luxe et non plus comme une nourriture
commune, aussi nécessaire et plus nécessaire peut-être aux pauvres
qu'aux riches. Les bénédictins ne traitaient pas les questions d'utilité avec le
pédantisme moderne, mais en fertilisant le sol, en établissant des usines,
en desséchant des marais, en appelant les populations des campagnes au
travail, en instruisant la jeunesse, ils habituaient les yeux aux belles et
bonnes choses; leurs constructions étaient durables, bien appropriées aux
besoins et gracieuses cependant, et loin de leur donner un aspect repoussant
ou de les surcharger d'ornements faux, de décorations menteuses, ils
faisaient en sorte que leurs écoles, leurs couvents, leurs églises, laissassent
des souvenirs d'art qui devaient fructifier dans l'esprit des populations. Ils
enseignaient la patience et la résignation aux pauvres, mais ils connaissaient
les hommes, sentaient qu'en donnant aux classes ignorantes et déshéritées, la
distraction des yeux à défaut d'autre, il faut se garder du faux
luxe, et que l'enseignement purement moral ne peut convenir qu'à des
esprits d'élite. Cluny avait bien compris cette mission, et était entrée dans
cette voie hardiment; ses monuments, ses églises, étaient un livre ouvert
pour la foule; les sculptures et les peintures dont elle ornait ses portes,
ses frises, ses chapiteaux, et qui retraçaient les histoires sacrées, les
légendes populaires, la punition des méchants et la récompense des bons,
attiraient certainement plus l'attention du vulgaire, que les éloquentes
prédications de saint Bernard. Aussi voyons-nous que l'influence de cet
homme extraordinaire (influence qui peut être difficilement comprise par
notre siècle où toute individualité s'efface) s'exerce sur les grands, sur les
évêques, sur la noblesse et les souverains, sur le clergé régulier qui
renfermait alors l'élite intellectuelle de l'Occident; mais en s'élevant par sa
haute raison au-dessus des arts plastiques, en les proscrivant comme une
monstrueuse et barbare interprétation des textes sacrés, il se mettait en
dehors de son temps, il déchirait les livres du peuple; et si sa parole
émouvante, lui vivant, pouvait remplacer ces images matérielles, après lui,
l'ordre monastique eût perdu un de ses plus puissants moyens d'influence,
s'il eût tout entier adopté les principes de l'abbé de Clairvaux. Il n'en fut
pas ainsi, et le XIIIe siècle commençait à peine, que les cisterciens eux-mêmes,
oubliant la règle sévère de leur ordre, appelaient la peinture et la sculpture
pour parer leurs édifices.
 
Cette constitution si forte des deux plus importantes abbayes de l'Occident,
Cluny et Cîteaux, toutes deux bourguignonnes, donne à toute
l'architecture de cette province un caractère particulier, un aspect robuste et
noble qui n'existe pas ailleurs et qui reste imprimé dans ses monuments
jusque vers le milieu du XIIIe siècle. Les clunistes avaient formé une école
d'artistes et d'artisans très-avancée dans l'étude de la construction et des
combinaisons architectoniques, des sculpteurs habiles, dont les œuvres
sont empreintes d'un style remarquable; c'est quelque chose de grand,
d'élevé, de vrai, qui frappe vivement l'imagination, et se grave dans le
souvenir. L'école de statuaire des clunistes possède une supériorité incontestable
sur les écoles contemporaines du Poitou et de la Saintonge, de la
Provence, de l'Aquitaine, de la Normandie, de l'Alsace, et même de l'Île-de-France.
Quand on compare la statuaire et l'ornementation de Vézelay
des XIe et XIIe siècles, de Dijon, de Souvigny, de la Charité-sur-Loire, de
Charlieu, avec celle des provinces de l'ouest et du nord, on demeure
convaincu de la puissance de ces artistes, de l'unité d'école à laquelle ils
s'étaient formés (VOY. STATUAIRE, SCULPTURE). Les grandes abbayes bourguignonnes
établies dans des contrées où la pierre est abondante et d'une
excellente qualité, avaient su profiter de la beauté, de la dimension et de la
force des matériaux tirés du sol, pour donner à leurs édifices cette grandeur
et cette solidité qui ne se retrouvent plus dans les provinces où la pierre est
rare, basse et fragile. L'architecture de Cluny, riche déjà dès le XIe siècle,
fine dans ses détails, pouvait encore être imitée dans des contrées moins
favorisées en matériaux; mais le style d'architecture adopté par les cisterciens
était tellement inhérent à la nature du calcaire bourguignon qu'il ne put
se développer ailleurs que dans cette province. Ces raisons purement
matérielles, et les tendances générales des ordres monastiques vers le luxe
extérieur, tendances vainement combattues, contribuèrent à limiter l'influence
architectonique de la règle de Cîteaux. Pendant que saint Bernard
faisait de si puissants efforts pour arrêter la décadence, déjà prévue par
lui, de l'ordre bénédictin, une révolution dans l'enseignement allait enlever
aux établissements monastiques leur prépondérance intellectuelle.
 
Au XIIe siècle après de glorieuses luttes, des travaux immenses, l'ordre
monastique réunissait dans son sein tous les pouvoirs. Saint Bernard représente
le principe religieux intervenant dans les affaires temporelles, les
gouvernant même quelquefois; Suger, abbé de Saint-Denis, c'est le religieux
homme d'État, c'est un ministre, un régent de France. Pierre le
Vénérable personnifie la vie religieuse; il est, comme le dit fort judicieusement
M. de Rémusat, «l'idéal du moine<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]].» À côté de ces trois hommes
apparaît Abeilard, l'homme de la science (<sc>VOY. ARCHITECTURE</sc>, développements
de [*l'*]). Deux écoles célèbres déjà au commencement du XIIe siècle
étaient établies dans le cloitre Notre-Dame et dans l'abbaye de Saint-Victor,
Abeilard en fonda une nouvelle qui, se réunissant à d'autres élevées
autour de la sienne, constitua l'Université de Paris. La renommée de ce
nouveau centre d'enseignement éclipsa bientôt toutes les écoles des grandes
abbayes d'Occident.
 
Les établissements religieux n'avaient pas peu contribué, par le modèle
d'organisation qu'ils présentaient, la solidarité entre les habitants d'un
même monastère, par leur esprit d'indépendance, au développement des
communes. Des chartes d'affranchissement furent accordées au XIIe siècle,
non-seulement par des évêques, seigneurs temporels<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]], mais aussi par des abbés.
Les moines de Morimond, de Cîteaux, de Pontigny, furent des premiers
à provoquer des établissements de communes autour d'eux. Tous les monastères
en général, en maintenant l'unité paroissiale, enfantèrent l'unité communale,
leurs archives nous donnent des exemples d'administrations municipales
copiées sur l'administration conventuelle. Le maïeur, le syndic
représentaient l'abbé, et les anciens appelés à délibérer sur les affaires et les
intérêts de la commune, les vieillards du monastère qui aidaient l'abbé de
leurs conseils<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]]; l'élection, qui était la base de l'autorité dans le monastère,
était également adoptée par la commune. Plus d'une fois les moines eurent
lieu de se repentir d'avoir ainsi aidé au développement de l'esprit municipal,
mais ils étaient, dans ce cas comme dans bien d'autres, l'instrument dont la
Providence se servait pour civiliser la chrétienté, quitte à le briser lorsqu'il
aurait rempli sa mission. Avant le XIIe siècle un grand nombre de paroisses,
de collégiales étaient devenues la proie de seigneurs féodaux qui jouissaient
ainsi des bénéfices ecclésiastiques, enlevés au pouvoir épiscopal. Peu à
peu, grâce à l'esprit de suite des ordres religieux, à leur influence, ces
bénéfices leur furent concédés par la noblesse séculière, à titre de donations,
et bientôt les abbés se dessaisirent de ces fiefs en faveur des évêques
qui rentrèrent ainsi en possession de la juridiction dont ils avaient été dépouillés;
car il faut rendre cette justice aux ordres religieux qu'ils contribuèrent
puissamment à rendre l'unité à l'Église, soit en reconnaissant
et défendant l'autorité du saint-siége, soit en réunissant les biens ecclésiastiques
envahis par la féodalité séculière, pour les replacer sous la main
épiscopale. Des hommes tels que saint Hugues, saint Bernard, Suger,
Pierre le Vénérable, avaient l'esprit trop élevé pour ne pas comprendre
que l'état monastique, tel qu'il existait de leur temps, et tel qu'ils l'avaient
fait, était un état transitoire, une sorte de mission temporaire, appelée
à tirer la société de la barbarie, mais qui devait perdre une grande partie
de son importance du jour où le succès viendrait couronner leurs efforts;
en effet, à la fin du XIIe siècle déjà, l'influence acquise par les bénédictins
dans les affaires de ce monde s'affaiblissait, l'éducation sortait de leurs
mains, les bourgs et villages qui s'étaient élevés autour de leurs établissements, érigés en communes, possédant des terres à leur tour, n'étaient
plus des agglomérations de pauvres colons abrutis par la misère; ils devenaient
indépendants, quelquefois même insolents. Les évêques reprenaient
la puissance diocésaine, et prétendaient, avec raison, être les seuls représentants
de l'unité religieuse; les priviléges monastiques étaient souvent
combattus par eux, comme une atteinte à leur juridiction, ne relevant, elle
aussi, que de la cour de Rome. La papauté, qui avait trouvé un secours si
puissant dans l'institut monastique pendant les XIe et XIIe siècles, à l'époque
de ses luttes avec le pouvoir impérial, voyant les gouvernements séculiers
s'organiser, n'avait plus les mêmes motifs pour accorder une indépendance
absolue aux grandes abbayes; elle sentait que le moment était venu
de rétablir la hiérarchie catholique conformément à son institution primitive;
et avec cette prudence et cette connaissance des temps qui caractérisent
ses actes, elle appuyait le pouvoir épiscopal.
 
Pendant le cours du XIIe siècle, l'institut bénédictin ne s'était pas borné,
comme nous avons pu le voir, au développement de l'agriculture. L'ordre
de Cîteaux particulièrement, s'occupant avec plus de sollicitude de l'éducation
des basses classes que celui de Cluny, avait organisé ses frères convers
en groupes; il y avait les frères meuniers, les frères boulangers, les frères
brasseurs, les frères fruitiers, les frères corroyeurs, les fouleurs, les tisserands,
les cordonniers, les charpentiers, les maçons, les maréchaux, les
menuisiers, les serruriers, etc. Chaque compagnie avait un contre-maître,
et à la tête de ces groupes était un moine directeur qui était chargé de
distribuer et régler le travail. Au commencement du XIIe siècle, sous l'influence
de ce souffle organisateur, il s'était même élevé une sorte de compagnie
religieuse, mais vivant dans le monde, qui avait pris le titre de
''pontifices'' (constructeurs de ponts)<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]]. Cette congrégation se chargeait de
l'établissement des ponts, routes, travaux hydrauliques, chaussées, etc.
Leurs membres se déplaçaient suivant qu'on les demandait sur divers
points du territoire. Les ordres religieux ouvraient ainsi la voie aux corporations
laïques du XIIIe siècle, et lorsqu'ils virent le monopole du progrès
soit dans les lettres, les sciences ou les arts, sortir de leurs mains, ils ne se
livrèrent pas au découragement, mais, au contraire, ils se rapprochèrent
des nouveaux centres.
 
Vers 1120, Othon, fils de Léopold, marquis d'Autriche, à peine âgé de
vingt-ans se retira à Morimond avec plusieurs jeunes seigneurs ses amis,
et prit l'habit de religieux; distinguant en lui un esprit élevé, l'abbé du
monastère l'envoya à Paris après son noviciat, avec quelques-uns de ses
compagnons, pour y étudier la théologie scolastique. C'est le premier
exemple de religieux profès quittant leur cloître pour puiser au dehors un
enseignement qu'alors, dans la capitale du domaine royal, remuait profondément
toutes les intelligences. Othon s'assit bientôt dans la chaire
abbatiale de Morimond, nommé par acclamation. Il éleva l'enseignement,
dans cette maison, à un degré supérieur; depuis lors nombre de religieux
appartenant aux ordres de Cluny et de Cîteaux allèrent chercher la science
dans le cloître de Notre-Dame, et dans les écoles fondées par Abeilard, afin
de maintenir l'enseignement de leurs maisons au niveau des connaissances
du temps. Mais la lumière commençait à poindre hors du cloître, et son
foyer n'était plus à Cluny ou à Cîteaux. À la fin du XIIe siècle et pendant le
XIIIe siècle, ces établissements religieux ne s'en tinrent pas là, et fondèrent
des écoles à Paris même, sortes de succursales qui prirent les noms des
maisons ''mères'', où se réunirent des religieux qui vivaient ainsi suivant la
règle, et enseignaient la jeunesse arrivant de tous les points de l'Europe
pour s'instruire dans ce domaine des sciences. Les ordres religieux conservaient
donc ainsi leur action sur l'enseignement de leur temps, bien qu'ils
n'en fussent plus le centre.
 
Du IXe au XIe siècle les ordres religieux préoccupés de grandes réformes,
se plaçant à la tête de l'organisation sociale, avaient eu trop à faire pour
songer à fonder de vastes et magnifiques monastères. Leurs richesses,
d'ailleurs, ne commencèrent à prendre un grand développement qu'à cette
époque, par suite des nombreuses donations qui leur étaient faites, soit
par les souverains voulant augmenter leur salutaire influence, soit par les
seigneurs séculiers au moment des croisades. C'est aussi à cette époque
que l'architecture monastique prend un caractère particulier; rien cependant
n'est encore définitivement arrêté; il fallait une longue expérience
pour reconnaître quelles étaient les dispositions qui convenaient le mieux.
Cluny avait son programme, Cîteaux avait le sien, tout cela différait peu de
la donnée primitive adoptée déjà du temps où l'abbaye de Saint-Gall fut
tracée. Mais c'est vers la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe,
que les établissements monastiques, devenus riches, n'ayant plus à lutter
contre la barbarie du siècle, moins préoccupés de grands intérêts moraux,
peuvent songer à construire des demeures commodes, élégantes même,
bien disposées, en rapport avec les habitudes séculières de ce temps. Les
données principales sont conservées: le cloître placé sur un des côtés de
la nef, le plus souvent au sud, donne entrée dans la salle du chapitre, le
trésor, la sacristie, et au-dessus le dortoir, bâti dans le prolongement du
transsept, par les motifs déduits plus haut. Le long de la galerie du
cloître opposée et parallèle à celle qui longe la nef, est élevé le réfectoire,
aéré, vaste, n'ayant presque toujours qu'un rez-de-chaussée. En retour et
venant rejoindre le porche de l'église, sont placés à rez-de-chaussée les celliers,
au-dessus les magasins de grains, de provisions. La cuisine est toujours isolée, possédant son officine, son entrée et sa cour particulières. En
aile à l' ''est'', à la suite du réfectoire, ou le long d'un second cloître, la
bibliothèque, les cellules des copistes, le logement de l'abbé, l'infirmerie.
Près de l'entrée de l'église, du côté opposé, l'hôtellerie pour les étrangers,
l'aumônerie, les prisons, puis enfin les dépendances autour des bâtiments
du grand cloître, séparées par des cours ou des jardins. À l'est un espace
libre, retiré, planté, et qui semble destiné à l'usage particulier de l'abbé et
des religieux. Pour résumer ce programme, une fois l'église donnée, les
services purement matériels, ou qui peuvent être remplis par des laïques,
sont toujours placés du côté de l'ouest dans le voisinage du porche, tandis
que tout ce qui tient à la vie morale et à l'autorité religieuse, se rapproche
du chœur de l'église. Mais si pendant le XIe siècle l'institut bénédictin
s'était porté de préférence vers l'agriculture, s'il avait, par un labeur
incessant, par sa persévérance, fertilisé les terres incultes qui lui avaient été
données; au milieu du XIIe siècle cette tâche était remplie; les monastères,
entourés de villages nouvellement fondés et habités par des paysans, n'avaient
plus les mêmes raisons pour s'adonner presque exclusivement à la
culture, ils pouvaient dorénavant affermer leurs terres, et se livrer à l'enseignement.
Après avoir satisfait aux besoins matériels des populations,
en rétablissant l'agriculture sur le sol occidental de l'Europe, ils étaient
appelés à nourrir les intelligences, et déjà ils avaient été dépassés dans
cette voie. Aussi nous voyons vers la fin de ce siècle, les ordres se rapprocher
des villes, ou rebâtir leurs monastères devenus insuffisants près des
grands centres de population; conservant seulement l'église, ce lieu consacré,
ils élèvent de nouveaux cloîtres, de vastes et beaux bâtiments en
rapport avec ces besoins naissants. C'est ainsi que l'architecture monastique
commence à perdre une partie de son caractère propre, et se fond
déjà dans l'architecture civile.
 
À Paris, le prieur de Cluny fait rebâtir complétement le couvent de Saint-Martin
des Champs, sauf le sanctuaire de l'église, dont la construction
remonte à la réforme de ce monastère. Voici (13) le plan de ce prieuré<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]].
L'abbé de Sainte-Geneviève fait également reconstruire son abbaye (14)<span id="note46"></span>[[#footnote46|<sup>46</sup>]].
Puis, un peu plus tard, c'est l'abbé de Saint-Germain des Prés qui, laissant
seulement subsister la nef de l'église, commence la construction d'un
nouveau monastère qui fut achevé par un architecte laïque, Pierre de
Montereau (15)<span id="note47"></span>[[#footnote47|<sup>47</sup>]].
 
Ce n'est pas à dire cependant que les ordres religieux, au commencement
 
[Illustration: Fig. 13.]
 
du XIIIe siècle, abandonnassent complétement les campagnes, s'ils
 
[Illustration: Fig. 14.]
sentaient la nécessité de se rapprocher des centres d'activité, de participer
 
[Illustration: Fig. 15.]
 
à la vie nouvelle des peuples ayant soif d'organisation et d'instruction, ils
continuaient encore à fonder des monastères ruraux; il semblerait même
qu'à cette époque la royauté désirât maintenir la prédominance des abbayes
dans les campagnes; peut-être ne voyait-elle pas sans inquiétude les nouvelles
tendances des ordres à se rapprocher des villes, en abandonnant
ainsi les champs aux influences féodales séculières qu'ils avaient jusqu'alors
si énergiquement combattues. La mère de saint Louis fit de nombreuses
donations pour élever de nouveaux établissements dans les campagnes;
ce fut elle qui fonda, en 1236, l'abbaye de Maubuisson, destinée aux religieuses
de l'ordre de Cîteaux. On retrouve encore dans ce plan (16) la sévérité
primitive des dispositions cisterciennes, mais dans le style de l'architecture,
comme à l'abbaye du Val, dont la reconstruction remonte à peu près
à la même époque, des concessions sont faites au goût dominant de l'époque;
la sculpture n'est plus exclue des cloîtres, le rigorisme de saint
Bernard le cède au besoin d'art, qui alors se faisait sentir jusque dans les
constructions les plus modestes. L'abbaye de Maubuisson était en même
temps un établissement agricole et une maison d'éducation pour les jeunes
filles. Au XIIIe siècle, les religieux ne cultivaient plus la terre de leurs
propres mains, mais se contentaient de surveiller leurs fermiers, et de
gérer leurs biens ruraux, à plus forte raison les religieuses. Déjà même
au commencement du XIIe siècle, le travail des champs semblait dépasser
les forces des femmes, et il est probable que la règle qui s'appliquait aux
religieuses comme aux religieux, ne fut pas longtemps observée par celles-ci. Il est curieux de lire la lettre qu'Héloïse, devenue abbesse du Paraclet,
adresse à ce sujet à Abeilard, et on peut juger par les objections contenues
dans cette lettre, combien de son temps on s'était peu préoccupé de
l'organisation intérieure des couvents de femmes. Si, au XIIIe siècle, les
 
[Illustration: Fig. 16.]
 
règlements monastiques auxquels les religieuses étaient assujetties se
ressentaient du relâchement des mœurs à cette époque, cependant nous
voyons, en examinant le plan de l'abbaye de Maubuisson, que ce monastère
ne différait pas de ceux adoptés pour les communautés d'hommes.
En A est l'église, dans le prolongement du transsept, suivant l'usage,
la salle du chapitre, la sacristie, etc.; au-dessus le dortoir. En B le cloître;
en C le réfectoire; en D le pensionnat; en E le parloir, et le logement des
tourières; en F les cuisines; G, les latrines disposées des deux côtés d'un
cours d'eau; H, est le logis de l'abbesse; I des fours et écuries; K l'apothicairerie;
L, l'habitation réservée pour le roi saint Louis, lorsqu'il se rendait
à Maubuisson avec sa mère. Car, à partir du XIIIe siècle, on trouve
dans les abbayes fondées par les personnes royales, un logis réservé pour
elles. M, est l'infirmerie; N, une grange; O, un colombier; P, une porcherie;
Q, des écuries, étables; de I aux écuries, étaient construits des bâtiments
qui contenaient le logement des hôtes, mais ces constructions sont
d'une époque plus récente; en R était l'abreuvoir. De vastes jardins et des
cours d'eau entouraient ces bâtiments situés dans un charmant vallon, en
face la ville de Pontoise, et le tout était ceint de murailles flanquées de
tourelles<span id="note48"></span>[[#footnote48|<sup>48</sup>]].
 
Le nouvel ordre politique qui naissait avec le XIIIe siècle devait nécessairement
modifier profondément l'institut monastique; il faut dire que les
établissements religieux, du moment qu'ils cessaient de combattre soit les
abus de pouvoir des seigneurs séculiers, soit les obstacles que leur opposaient
des terres incultes, ou l'ignorance et l'abrutissement des populations
rurales, tombaient rapidement dans le relâchement. Leurs richesses, leur
importance, comme pouvoir religieux, et comme possesseurs territoriaux
et féodaux par conséquent, ne pouvant manquer d'introduire au milieu des
monastères des habitudes de luxe qui n'étaient guère en rapport avec les
vœux monastiques. Saint Bernard s'était élevé avec énergie contre les abus
qui déjà de son temps lui semblaient devoir amener promptement la
décadence des ordres, et sorti de Cîteaux, il avait cherché à rendre à la
règle de Saint-Benoît sa pureté primitive, avec une constance et une
rigueur de principes qui eurent un plein succès tant qu'il vécut. De son
temps la vie monacale conquit une immense influence morale, et s'étendit
jusque dans les camps par l'institution et le développement des ordres
militaires. Il n'y avait pas alors de famille princière qui n'eût des représentants
dans les différents monastères de l'Occident, et la plupart des abbés
étaient de race noble. L'institut monastique tenait la tête de la civilisation.
 
Du jour où le pouvoir royal se fut constitué, où la France eut un
véritable gouvernement, ces petites républiques religieuses perdirent peu
à peu de leur importance; et renfermées dans leurs devoirs de religieux, de
propriétaires fonciers, de corps enseignant, l'activité qu'elles avaient déployée
au dehors pendant les XIe et XIIe siècles ne trouvant plus une pâture
suffisante, se perdit en querelles intestines, au grand détriment de l'institut
tout entier. La noblesse fournit tous les jours un contingent moins nombreux aux couvents, et livrée dès le XIIIe siècle exclusivement à la carrière
des armes, commençant à dédaigner la vie religieuse qui n'offrait plus
qu'une existence intérieure et bornée, elle laissa bientôt ainsi les ordres
monastiques tomber dans un état qui ressemblait passablement à celui de
riches et paisibles propriétaires réunis en commun sous une discipline qui
devenait de moins en moins rigide. Bientôt les abbés, considérés par le roi
comme des seigneurs féodaux, ne pouvaient, comme tels, se mettre en
dehors de l'organisation politique établie; tant que les pouvoirs séculiers
étaient divisés, il leur était possible, sinon facile, de maintenir et même
d'accroître le leur; mais quand ces pouvoirs féodaux vinrent se confondre
dans la royauté basée sur l'unité nationale, la lutte ne pouvait durer, elle
n'avait pas de but d'ailleurs, elle était contraire à l'esprit monastique qui
n'avait fait que tracer la route aux pouvoirs pour arriver à l'unité. Les
grands établissements religieux se résignèrent donc, et cessèrent de paraître
sur la scène politique. L'ordre du Temple seul, par sa constitution, put
continuer à jouer un rôle dans l'État, et à prendre une part active aux
affaires extérieures; réunissant les restes de la puissance des ordres religieux
à la force militaire, il dut faire ombrage à la royauté, et l'on sait comment,
au commencement du XIVe siècle, cette institution fut anéantie par le
pouvoir monarchique.
 
L'influence de la vie militaire sur la vie religieuse se fait sentir dès le
XIIIe siecle dans l'architecture monastique. Les constructions élevées par les
abbés à cette époque se ressentent de leur état politique; seigneurs féodaux,
ils en prennent les allures. Jusqu'alors si les couvents étaient entourés
d'enceintes, c'était plutôt des clôtures rurales que des murailles propres à
résister à une attaque à main armée; mais la plupart des monastères que
l'on bâtit au XIIIe siècle perdent leur caractère purement agricole pour
devenir des villes fortifiées, ou même de véritables forteresses, quand la
situation des lieux le permet. Les abbayes de l'ordre de Cîteaux, érigées
dans des vallées creuses, ne permettaient guère l'application d'un système
défensif qui eût quelque valeur; mais celles qui appartenaient à d'autres
règles de l'ordre bénédictin, construites souvent sur des penchants de
coteaux, ou même des lieux escarpés, s'entourent de défenses établies de
façon à pouvoir soutenir un siége en règle ou au moins se mettre à l'abri
d'un coup de main. Parmi les abbayes qui présentent bien nettement le
caractère d'un établissement à la fois religieux et militaire, nous citerons
l'abbaye du mont Saint-Michel en mer. Fondée, si l'on en croit les légendes,
vers la fin du VIIIe siècle, elle fut à plusieurs reprises dévastée par les guerres
et les incendies. En 1203, devenue vassale du domaine royal, elle fut
presque totalement reconstruite par l'abbé Jourdain au moyen de sommes
considérables que lui envoya Philippe Auguste; les bâtiments nouveaux
furent continués par les successeurs de cet abbé jusque vers 1260.
 
Le mont Saint-Michel est situé au fond d'une baie sablonneuse couverte
chaque jour par l'Océan aux heures des marées, non loin de Pontorson et
d'Avranches. C'était un point militaire important à cette époque où la
monarchie française venait de s'emparer de la Normandie, et où elle
pouvait craindre chaque jour une descente des Anglo-Normands. Toutefois
Philippe Auguste laisse le mont en la possession des abbés, il les considère
comme vassaux, et en leur donnant des subsides pour mettre leur propriété
en état de défense, il ne semble pas douter que les religieux ne puissent
conserver ce poste aussi bien que l'eût pu faire un possesseur séculier.
 
[Illustration: Fig. 17.]
 
C'est là un fait caractéristique de l'époque. Voici le plan général de ce
rocher baigné par la mer deux fois par jour, et dont le sommet est élevé à
plus de soixante-dix mètres au-dessus de son niveau (17). Une étroite
plage rocailleuse s'ouvre au sud du côté de Pontorson; à quelques pas de
la mer, le rocher s'élève abrupt. On trouve une première porte fortifiée
en C avec corps de garde<span id="note49"></span>[[#footnote49|<sup>49</sup>]]. Une seconde porte s'ouvre en D et donne
entrée dans la petite ville, habitée de temps immémorial par des pêcheurs.
De cette porte on accède aux boulevards par un escalier, et en suivant les
remparts qui s'élèvent sur le rocher vers l'est, on arrive bientôt à des
emmarchements considérables tournant vers le nord jusqu'à la porte de
l'abbaye F, défendue par une première enceinte E. En B est le cloître; en A
l'église qui est érigée sur le point culminant de la montagne; les espaces G,
disposés en espaliers du côté sud, étaient les jardins de l'abbaye; sous l'église
 
[Illustration: Fig. 18.]
 
est une citerne;
H un chemin de
ronde auquel on
accédait par un
immense escalier
fort roide L K,
et qui était destiné,
en cas de
siége, à permettre
l'introduction
de secours du
côté de la pleine
mer; L est une
fontaine d'eau
saumâtre, mais
bonne pour les
usages ordinaires;
M un oratoire
sur un rocher
isolé, dédié
à saint Hubert;
P une entrée fortifiée
donnant accès
dans une cour
où les magasins
de l'abbaye sont
placés en Q; V et
S sont des citernes
et R un moulin
à vent posé
sur une tour; I une grande trémie en maçonnerie et charpente, par laquelle,
au moyen d'un treuil, on faisait monter les provisions du monastère; 0 est
la paroisse de la ville, et T le cimetière. Si nous franchissons le seuil de la première
défense de l'abbaye, voici (18) le plan des bâtiments qui, formant rez-de-chaussée, entourent le sommet du rocher. En A sont les premières entrées
défendues par un boulevard auquel on monte par un petit escalier droit;
B est la porte, formidable défense couronnée par deux tourelles et une salle,
dont le plan est détaillé en C. Sous cette porte est pratiqué un escalier roide,
qui conduit à une seconde clôture défendue par des herses et mâchicoulis,
et à une salle de laquelle on ne peut s'introduire dans le monastère que par
des guichets masqués et des escaliers tortueux et étroits. Au-dessus de
cette salle est une défense D percée de meurtrières et de mâchicoulis.
Chaque arrivant devait déposer ses armes avant d'entrer dans les bâtiments
 
[Illustration: Fig. 19.]
 
de l'abbaye, à
moins d'une permission
expresse
du prieur<span id="note50"></span>[[#footnote50|<sup>50</sup>]]. Le
réfectoire est situé
en F; on ne
peut y arriver du
dehors que par
un couloir sombre
défendu par
des herses, et un
escalier à vis;
de plain-pied avec
la salle d'entrée,
sous le réfectoire,
est la salle où
l'on introduisait
les pauvres auxquels
on distribuait
des aumônes.
En G est
une salle devant
servir de réfectoire
à la garnison,
avec escalier
particulier pour
descendre dans
le chemin de ronde.
Du côté du
midi, en I, sont placées les caves du logement de l'abbé et des hôtes,
en L et en K des prisons et défenses. Au-dessus de ces soubassements,
les bâtiments gagnent sur le rocher et prennent plus d'importance; (19)
on arrive par des détours inextricables, des escaliers étroits et coudés,
au point B où se trouvaient placées les cuisines. D était le dortoir des
moines, E la salle dite des Chevaliers<span id="note51"></span>[[#footnote51|<sup>51</sup>]]. C'est une vaste crypte reconstruite
au XVIe siècle pour supporter le chœur de l'église qui fut rebâti à
cette époque; F H sont les soubassements de l'ancienne nef et du
transsept romans, afin de suppléer au rocher qui, sur ces points, n'offrait
pas une assez grande surface; G les logements de l'abbé et des hôtes; I le
dessous de la bibliothèque. Le cloître est situé au-dessus de la grande salle
des Chevaliers E. L'aire de ce cloître est couverte de plomb afin de
recueillir les eaux pluviales qui se rendent dans deux citernes disposées
sous le bras de croix du nord. Au-dessus de la porte en A est une salle de
guet. Enfin l'église {20) domine cet ensemble de bâtiments gigantesques,
 
[Illustration: Fig. 20.]
 
construits en granit, et qui présentent l'aspect le plus imposant au milieu
de cette baie brumeuse. Les grands bâtiments qui donnent sur la pleine
mer; du côté nord, peuvent passer pour le plus bel exemple que nous
possédions de l'architecture religieuse et militaire du moyen âge, aussi les
a-t-on nommés de tout temps, ''la merveille''<span id="note52"></span>[[#footnote52|<sup>52</sup>]]. La salle des Chevaliers
(fig. 19, E) possède deux vastes cheminées et des latrines en encorbellement. Nous donnons {21) une vue extérieure de ces bâtiments prise de la
 
[Illustration: Fig. 21.]
 
mer; et (22) une vue prise du côté de l'est. La flèche qui surmontait la
tour centrale de l'église est détruite depuis longtemps; elle avait été
réédifiée à plusieurs reprises, et la dernière fois par l'abbé Jean de Lamps,
vers 1510; nous la supposons rétablie dans la vue que nous donnons ici;
une statue colossale de l'archange Saint-Michel, qui se voyait de fort loin en
pleine mer, couronnait son sommet. La foudre détriusit cette flèche peu
après sa construction. L'abbaye du Mont-Saint-Michel se trouvait dans
une situation exceptionnelle; c'était une place militaire qui soutint des
siéges, et ne put être enlevée par l'armée anglaise en 1422. Rarement les
établissements religieux présentaient des défenses aussi formidables, ils
conservaient presque toujours l'apparence de ''villæ'' crénelées, défendues
par quelques ouvrages de médiocre importance; on retrouvait l'architecture
monacale sous cette enveloppe militaire; d'ailleurs, dépourvus originairement
de moyens de défense, ils ne se fortifiaient que successivement et
 
[Illustration: Fig. 22.]
 
suivant qu'ils s'assimilaient plus ou moins aux seigneuries féodales. Voici
l'abbaye de Saint-Allyre à Clermont, en Auvergne, dont la vue cavalière
donne une idée de ces agglomérations de constructions moitié monastiques,
moitié militaires (23)<span id="note53"></span>[[#footnote53|<sup>53</sup>]]. Bâtie dans un vallon, elle ne pouvait résister à un
siége en règle, mais elle était assez bien munie de murailles et de tours
pour soutenir l'attaque d'un corps de partisans.
 
A est la porte du monastère défendue par une tour, à côté V les écuries
destinées aux montures des hôtes; B une première cour qui n'est point
défendue par des murs crénelés, mais seulement entourée de bâtiments
formant une clôture et ne prenant leurs jours qu'à l'intérieur. B' une seconde
porte crénelée, qui conduit dans une ruelle commandée par l'église
C, bien munie de crénaux et de mâchicoulis; La face orientale, l'abbaye de l'église, est couronnée par deux tours, l'une qui commande l'angle
 
[Illustration: Fig. 23.]
 
de la ruelle, l'autre qui domine la porle S donnant entrée dans les bâtiments; de plus un mâchicoulis surmonte cette porte. On entre dans une
première cour étroite et fermée, puis dans le cloître G. EE' sont des clochers
crénelés, sortes de donjons qui dominent les cours et bâtiments.
Sous le clocher E était l'entrée de l'église pour les fidèles; I les dortoirs;
K le réfectoire et L la cuisine; H la bibliothèque; N les pressoirs; 0 l'infirmerie;
M les logements des hôtes et de l'abbé; X des granges et
celliers. Des jardins garnis de treilles étaient placés en P, suivant l'usage,
derrière l'abside de l'église. Une petite rivière R<span id="note54"></span>[[#footnote54|<sup>54</sup>]], protégeait la partie la
plus faible des murailles et arrosait un grand verger planté en T. Cette
abbaye avait été fondée pendant le IXe siècle, mais la plupart des constructions
indiquées dans ce plan dataient de la seconde moitié du XIIe siècle. Il y
a lieu de penser même que les défenses ne remontaient pas à une époque
antérieure au XIIIe siècle.
 
Les abbés étant, comme seigneurs féodaux, justiciers sur leurs domaines,
des prisons faisaient partie des bâtiments du monastère; elles étaient
presque toujours placées à côté des clochers, souvent même dans leurs
étages inférieurs. Si dans le voisinage des villes et dans les campagnes les
constructions monastiques, au XIIIe siècle, rappelaient chaque jour davantage
les constructions féodales des seigneurs séculiers; dans l'enceinte des
villes, au contraire, les abbayes tendaient à se mêler à la vie civile; souvent
elles détruisaient leurs murailles primitives pour bâtir des maisons régulières
ayant vue et entrée sur le dehors. Ces maisons furent d'abord
occupées par ces artisans que nous avons vus enfermés dans l'enceinte des
couvents; mais si ces artisans dépendaient encore du monastère, ce n'était
plus que comme fermiers pour ainsi dire, obtenant l'usufruit de leurs logis
au moyen d'une redevance sur les bénéfices qu'ils pouvaient faire dans
l'exercice de leur industrie; ils n'étaient, d'ailleurs, astreints à aucune règle
religieuse. Une fois dans cette voie, les monastères des villes perdirent
bientôt toute action directe sur ces tenanciers, et les dépendances séculières
des maisons religieuses ne furent plus que des propriétés, supportant un
produit de location. On ne peut douter toutefois que les corporations de
métiers n'aient pris naissance au milieu de ces groupes industriels que les
grandes abbayes avaient formés autour d'elles. C'est ainsi que l'institut
bénédictin avait initié les populations à la vie civile, et à mesure que celle-ci
se développait sous le pouvoir protecteur de la royauté, les monastères
voyaient leur importance et leur action extérieure décroître. L'enseignement
seul leur restait; mais leur qualité de propriétaires fonciers, leur
richesse, la gestion de biens considérables qui s'étaient démesurément
accumulés dans leurs mains depuis les croisades, ne leur laissaient guère
le loisir de se dévouer à l'enseignement, de manière à pouvoir rivaliser avec
les écoles établies dans les cloîtres des grandes cathédrales sous le patronage
des évêques, et surtout à Paris sur la montagne Sainte-Geneviève.
 
Au commencement du XIIIe siècle donc, l'institut bénédictin avait terminé
sa mission active; c'est alors qu'apparaît saint Dominique, fondateur de
l'ordre des frères Prêcheurs. Après avoir défriché le sol de l'Europe,
après avoir jeté au milieu des peuples les premières bases de la vie civile,
et répandu les premières notions de liberté, d'ordre, de justice, de morale
et de droit, le temps était venu pour les ordres religieux de développer et
guider les intelligences, de combattre par la parole autant que par le glaive
les hérésies dangereuses des Vaudois, des Pauvres de Lyon, des Ensabattés,
des Flagellants, etc., et enfin des Albigeois qui semblaient les résumer
toutes. Les frères Prêcheurs acquirent bientôt une immense influence, et
les plus grandes intelligences surgirent parmi eux. Jean le Teutonique,
Hugues de Saint-Cher, Pierre de Vérone, Jean de Vicence, saint Hyacinthe,
et saint Thomas d'Aquin, remplirent l'Europe de leurs prédications et de
leurs écrits. C'est aussi vers ce temps (1209) que saint François d'Assise
institua l'ordre des frères Mineurs. L'établissement de ces deux ordres,
les Dominicains et les frères Mineurs: les premiers adonnés à la prédication,
au développement de l'intelligence humaine, au maintien de la foi
orthodoxe, à l'étude de la philosophie; les seconds prêchant la renonciation
aux biens terrestres, la pauvreté absolue, était une sorte de réaction
contre l'institution quasi-féodale des ordres bénédictins. En effet, dans sa
règle, saint François d'Assise, voulant revenir à la simplicité des premiers
apôtres, n'admet pas de prieur, tous les frères sont ''mineurs'', ne doivent
rien posséder, mais, au contraire, ''mendier'' pour les pauvres et pour subvenir
à leurs besoins; il prétendait «amener le riche à faire don de ses biens
aux pauvres, pour acquérir le droit de demander lui-même l'aumône sans
rougir, et relever ainsi l'état de pauvreté<span id="note55"></span>[[#footnote55|<sup>55</sup>]].» Mais saint François n'était pas
mort que son ordre s'était déjà singulièrement écarté de cette simplicité et
de cette pauvreté primitives; et dès le XIIIe siècle, les frères mineurs
élevèrent des monastères qui par leur richesse ne le cédaient en rien aux
abbayes des ordres bénédictins. Saint Louis avait pris en grande affection les
frères prêcheurs et mendiants; de son temps même, cette extrême sollicitude
pour les disciples de saint Dominique, de saint François d'Assise, pour les
hermites augustins et les carmes, qui jusqu'alors étaient à peine connus,
fut l'objet de satires amères. Comme politique saint Louis était certainement
disposé à donner aux nouveaux ordres une prédominance sur les
établissements trop indépendants de Cluny et de Cîteaux, et il trouvait chez
les frères prêcheurs une arme puissante pour vaincre ces hérésies populaires
nées au XIIe siècle avec tous les caractères d'un soulèvement des
classes inférieures contre le pouvoir clérical et séculier. Saint Louis fit bâtir
à Paris le couvent des Jacobins; qui avaient été mis par maître Jean, doyen
de Saint-Quentin, et par l'Université, dès 1221, en possession d'une maison
dans la rue Saint-Jacques, en face Saint-Étienne ''des Grecs''<span id="note56"></span>[[#footnote56|<sup>56</sup>]]. L'église de ce
couvent présentait une disposition inusitée jusqu'alors: le vaisseau se
composait de deux nefs divisées par une rangée de colonnes. Peut-être
cette disposition parut-elle favorable aux prédications, car les stalles des
religieux étant placées dans l'une des nefs, l'autre parallèle restait libre
pour les fidèles qui pouvaient ainsi plus facilement voir et entendre le
prédicateur séant dans une chaire à l'une des extrémités. Mais les frères
prêcheurs arrivaient tard, et comme la nature de leur mission devait les
obliger de se rapprocher des grands centres de population, ils ne trouvaient
plus de vastes terrains qui leur permissent d'étendre et de disposer les constructions
de leurs monastères suivant une donnée uniforme. On trouve donc
plus rarement dans les couvents des ordres mendiants cette ordonnance traditionnelle
qui est si bien conservée dans les établissements des bénédictins,
surtout de la règle de Cîteaux. Le plan des Jacobins de Paris (24) est fort irrégulier:
 
[Illustration: Fig. 24.]
 
le réfectoire joignait le ''Parloir aux bourgeois'' qui traversait les
murailles de la ville élevées sous Philippe Auguste. Ce réfectoire avait été
bâti, en 1256, au moyen d'une amende de dix mille livres que le sire Enguerrand de Coucy, troisième du nom, avait été condamné à payer pour
avoir fait pendre trois jeunes Flamands, qui avaient été pris chassant dans ses
forêts<span id="note57"></span>[[#footnote57|<sup>57</sup>]]. Les Jacobins, resserrés le long de ces murailles de ville, finirent
par obtenir le ''Parloir aux bourgeois'' que le roi Charles V leur donna
en 1365, après avoir acquis le cens et la rente de cette propriété municipale.
Depuis, les bâtiments du couvent furent reconstruits en partie; mais l'église A
et le réfectoire B dataient de la construction primitive. L'école de Saint-Thomas
D, était une jolie salle de la renaissance, que nous avons vu démolir
il y a peu de temps. L'église des Jacobins d'Agen, bâtie vers le milieu
du XIIIe siècle, est à deux nefs, ainsi que celle des Jacobins de Toulouse, élevée
dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Nous donnons ici (24 bis) le plan
 
[Illustration: Fig. 24 bis]
 
de ce bel établissement. Originairement l'église était complétement dépourvue
de chapelles, celles des nefs comme celles du rond-point ne furent élevées
que pendant les XIVe et XVe siècles. L'entrée des fidèles est au sud sur le flanc
de la nef de droite; à l'extrémité antérieure de la nef de gauche A, étaient les
stalles des religieux. Sur la paroi de la nef de droite adossée au petit
cloître C, on remarque la chaîre détruite aujourd'hui, mais dont les traces
sont visibles, et qui se trouve indiquée sur un vieux plan déposé au Capitole
de Toulouse; l'entrée des fidèles était précédée d'une cour ou narthex
ouvert; c'était par cette cour que l'on pénétrait également dans le monastère
en passant par le petit cloître. En B est le grand cloître; en D la salle capitulaire; en F la sacristie; en E une petite chapelle dédiée à saint Antonin;
en G le réfectoire. Les bâtiments indiqués en gris sont du dernier siècle.
Toutes ces constructions sont en brique, exécutées avec un grand soin et
couvertes à l'intérieur de peintures qui datent des XIIIe et XIVe siècles<span id="note58"></span>[[#footnote58|<sup>58</sup>]]. Alors
les frères prêcheurs s'étaient fort éloignés, dans leurs constructions du
moins, de l'humilité recommandée par leur fondateur (VOY. CLOÎTRE, CHAPELLE,
ÉGLISE, RÉFECTOIRE).
 
De fondation ancienne<span id="note59"></span>[[#footnote59|<sup>59</sup>]], l'ordre des frères Ermites de Saint-Augustin
n'avait acquis qu'une faible influence jusqu'à l'institution des ordres mendiants,
mais alors il prit un grand développement et fut spécialement
protégé par les rois de France pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles. Cependant
les établissements des frères augustins conservèrent longtemps leur
caractère de simplicité primitive; leurs églises étaient presque toujours, ou
composées d'une seule nef, ou d'une nef avec deux bas côtés, mais sans
transsept, sans chapelles rayonnantes, sans tours: ainsi étaient disposées
les églises des grands augustins à Paris. Voici (24 ter) le monastère des
frères augustins de Sainte-Marie des Vaux-Verts près Bruxelles<span id="note60"></span>[[#footnote60|<sup>60</sup>]], qui nous
offre un exemple parfaitement complet de ces établissements de frères
mendiants avec tous les développements qu'ils avaient pris à la fin du
 
[Illustration: Fig. 24 ter]
 
XVe siècle. A est l'église sans transsept et sans tours, conformément aux
usages admis dans les couvents augustins; B la bibliothèque, longue galerie
au-dessus du cloître; C les dortoirs des religieux; D le dortoir des laïques;
E le grand cloître des religieux; F le cloître des laïques; G, le réfectoire;
H l'infirmerie; I la cuisine, communiquant au réfectoire par un petit pont
couvert; K des logements pour les hommes (hôtes), L et pour les femmes;
M des maisons d'artisans; N, le logis de l'empereur (Charles-Quint);
0 chêne, dit la légende, sous lequel se trouvèrent réunies sept têtes couronnées;
P la porte principale du monastère; R des vacheries et greniers à fourrages;
S des jardins avec un labyrinthe, allées plantées d'arbres, chapelles,
etc. Ce séjour était admirable, au milieu des bois, dans un vallon
pourvu de belles eaux, voisin de prairies et de grands vergers, et l'on
comprend que, dans des établissements pareils, les souverains aimassent à
se reposer loin des affaires et de l'étiquette des cours; et si les frères mendiants
avaient, dans leurs bâtiments, conservé quelque chose de la simplicité
première de leur règle, ils n'en avaient pas moins fait de leurs couvents
des résidences délicieuses comme situation, comme disposition, et comme
réunion de tout ce qui pouvait contribuer à rendre la vie agréable et tranquille.
Des habitudes de luxe et de mollesse ne pouvaient manquer de
s'introduire parmi eux, du moment qu'ils avaient converti leurs pauvres
cabanes de bois et leurs maigres champs en vastes palais et en jardins
magnifiques, qu'ils recevaient des souverains dans leurs murs, et pouvaient
leur offrir les délassements que les grands affectionnent d'ordinaire, tels
que la chasse, la pêche, ou les entretiens de gens doctes et distingués, de
bonnes bibliothèques, et surtout le calme et la liberté des champs.
 
Peut-être l'institution des ordres mendiants contribua-t-elle à prolonger
l'existence de la vie religieuse; elle en conserva du moins quelque temps
l'unité. Mais ce n'était plus cette large et puissante organisation bénédictine;
les temps héroïques de saint Hugues et de saint Bernard étaient
passés. À partir du XIIIe siècle, l'architecture monastique ne présente plus
de ces belles dispositions d'ensemble qu'on aime à voir à Cluny, à Cîteaux,
à Clairvaux: chaque jour amène une modification à l'ordonnance première;
les services se divisent; le monastère semble se confondre peu à peu avec
les habitations séculières. Bientôt chaque moine aura sa cellule; l'abbé se
fait bâtir un logis à part, une résidence souvent assez éloignée des bâtiments
principaux du couvent; il a son entrée particulière, sa cour, son jardin.
C'est un seigneur dont la vie ne diffère que peu de celle des laïques. Ces
signes de décadence sont de plus en plus marqués jusqu'à l'époque de la
réformation, où la vie monastique fut moralement effacée, si elle ne fut
pas abolie de fait, en Occident. Il suffit de jeter les yeux sur les plans
d'abbayes successivement modifiées pendant les XIVe et XVe siècles, pour
reconnaître cette confusion, ce défaut d'unité. Ces symptômes sont frappants
dans les abbayes bénédictines de Saint-Ouen de Rouen, de Fécamp,
de Saint-Julien de Tours que nous donnons ici (25). Cette abbaye avait été
rebâtie au XIIIe siècle et successivement modifiée pendant les XIVe et
XVe siècles. B est l'entrée du monastère, également destinée aux fidèles
se rendant à l'église; A est le chœur réservé aux religieux; D la nef pour le
 
[Illustration: Fig. 25.]
 
public; C la porte des religieux; X la cellule du portier; V la procure; E le
cloître; L la sacristie prise aux dépens d'une salle qui n'était pas destinée à
cet usage; M des magasins; N les prisons; F le réfectoire et la cuisine G;
K une chambre pour les visiteurs (parloir); le dortoir était au-dessus de la
grande salle dans le prolongement du transsept, suivant l'ancien usage;
Z des caves; au-dessus, des chambres à provisions; I la boulangerie; H une
infirmerie et sa cuisine G; à côté, des écuries; R le logis de l'aumônier et
son jardin; T le jardin des religieux; P le palais abbatial avec sa cour, son
entrée particulière, ses écuries et communs 0, et son jardin à l'est; S la
chapelle de la Sainte-Trinité. On voit que si dans ce plan les anciennes dispositions
traditionnelles sont encore conservées, il règne une certaine
confusion dans les services qui n'existait pas dans les plans du XIIe siècle.
 
Mais si nous examinons le plan d'une abbaye reconstruite au XIVe siècle,
nous serons encore plus frappés de l'amas de dépendances, de services, qui
viennent s'agglomérer autour des bâtiments principaux. Constance, femme
du roi Robert, avait fait construire l'église Notre-Dame à Poissy, et y
installa des moines augustins; depuis, Philippe le Bel fit refaire entièrement
tous les bâtiments du monastère pour y mettre des religieuses de l'ordre
de Saint-Dominique. Voici (26) le plan d'une portion de cette abbaye: H est
 
[Illustration: Fig. 26.]
 
une entrée fortifiée avec les bâtiments de la gabelle et le logement du
médecin; A l'église; B le grand cloître; C le réfectoire; D E des dortoirs;
F le dortoir des novices; K des cimetières. À l'ouest de l'église sont des
greniers et la buanderie; N la cuisine ''maigre''; la cuisine ''grasse'' est à l'extrémité
du dortoir de l'ouest, à l'angle du cloître. De la cuisine maigre on
communique à une salle isolée dans laquelle est percé un puits avec
manége. G le petit cloître; autour, l'infirmerie et sa cuisine, des appartements
pour les étrangers, et L une chapelle dédiée à saint Jean; O des
ateliers pour des menuisiers et une cuisine; M la chapelle dédiée à saint Dominique;
autour, les appartements des princesses avec dépendances et
cuisines; près des cuisines ''maigres'' le logement de la prieure; à la suite,
 
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<span id="footnote36">[[#note36|36]] : Ce plan nous a été communiqué par M. Bérard, architecte, qui a fait sur cette abbaye un travail graphique important, accompagné d'une excellente notice à laquelle nous renvoyons nos lecteurs. Ces plans sont aujourd'hui la propriété du ministère d'État.
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : Fontenay appartient aujourd'hui aux descendants du célèbre Montgolfier; le monastère est devenu une papeterie importante.
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : ''Annales cist.'', t. II, p. 50.
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : ''Annales cist.'', t. III., p. 440, et t. IV, p. 370.
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : Du Cange, ''Gloss.''
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : ''Saint-Anselme de Cant.'', par M. C. de Rémusat, Paris, 1853; voir les chap. I et II.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : Entre autres ceux de Reims, d'Amiens, de Laon.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : ''Hist. de l'abb. de Morimond'', par M. l'abbé Dubois, chap. XXIII.
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Du Cange, ''Gloss.'': «''Pontifex'', pontium exstructor. ''Fratres Pontis'' sub finem
secundæ stirpis regum Franc. ad hoc potissimum institui, ut viatoribus tutelam,
hospitium, aliaque necessaria præstarent. Fratres Pontis dicti quod pontes
construerent uti facilius et tutius fluvios transire possent viatores. Sic avenionensem
pontem præsidente et architecto S Benezeto exstruere ut fusius docetur in ejusdem
sancti historia Aquis edita ana. 1707, in-16. Horum ''hospitalariurum Pontificum'',
seu Factorum Pontium (sic aliquando vocantur) ''habitus'' erat ''vestis alba cum signo''
''pontis et crucis de panno supra pectus'', ut loquitur charta ann. 1471, pro Hospitali
Pontis S. Spiritus, ex schedis D. ''Lancelot''.»
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] : A, l'église, dont le chœur remonte aux premières années du XIIe siècle, et la nef
fut rebâtie vers 1240. B, le cloître. C, chapelle Notre-Dame. D, réfectoire. G, salle
capitulaire. H, mortuaire. E, petit dortoir. I, grandes salles, dortoirs au-dessus.
K, celliers. L, cuisine. N, chapelle Saint-Michel.
 
<span id="footnote46">[[#note46|46]] : A, l'église, la base de la tour est seule conservée, sa construction date du XIe siècle. B, le grand cloître. C, le chapitre. D, Jardin. E, le réfectoire. F, les
cuisines.
 
<span id="footnote47">[[#note47|47]] : A, l'église. B, le cloître. C, la porte principale de l'abbaye du côté de la ville. D, porte dite papale du côté des prés. E, salle capitulaire et dortoirs au-dessus. F, la chapelle de la Vierge, bâtie par P. de Montereau. G, le réfectoire, bâti par le même
architecte. H, celliers et pressoirs. I, la maison abbatiale. K, les fossés. L, jardins.
M, dépendances. L'infirmerie à l'extrémité du bâtiment E.
 
<span id="footnote48">[[#note48|48]] : Voir la notice de M. Hérard sur cette abbaye. Paris, 1851, et le curieux travail
graphique de cet architecte, déposé aux archives des Monuments hist. minist. d'État.
Le chemin de fer de Creil passe aujourd'hui à travers les enclos de l'abbaye.
 
<span id="footnote49">[[#note49|49]] : L'enceinte de la ville fut reconstruite sous Charles VII, mais elle remplaçait des
fortifications plus anciennes dont on retrouve de nombreuses traces.
 
<span id="footnote50">[[#note50|50]] : «Adhæret huic portæ domus prima custodiarum, ubi ab ingressuris, si qua habeant arma, deponuntur, nisi ea retinere permittat monasterii prior, qui arcis prorector est.» (Mabillon, ''Annal. benedict.'', t. IV, p. 75.)
 
<span id="footnote51">[[#note51|51]] : Ce nom ne lui fut donné qu'après l'institution de l'ordre de Saint-Michel, sous Louis XI. C'était probablement au XIIIe siècle le dortoir de la garnison.
 
<span id="footnote52">[[#note52|52]] : Le Mont-Saint-Michel est aujourd'hui une maison de détention; des planchers et des cloisons coupent la belle salle des Chevaliers et les dortoirs. En 1834, la charpente
de la nef de l'église fut incendiée et les maçonneries romanes du vaisseau souffrirent
beaucoup de ce sinistre. Le chœur est bien conservé, et quoique bâti en granit,
il présente un des exemples les plus ouvragés de l'architecture ogivale des derniers
temps.
 
<span id="footnote53">[[#note53|53]] : Cette vue est copiée sur l'une des gravures du ''Monasticon Gallic.'' (Monogr. d'abbayes, bibl. Sainte-Geneviève).
 
<span id="footnote54">[[#note54|54]] : Riv. Tiretaine. L'abbaye de Saint-Allyre avait été rebâtie sous le pontificat de Pascal II, par conséquent dans les premières années du XIIe siècle, Elle était autrefois
comprise dans l'enceinte de la ville de Clermont, mais ne fut fortifiée que plus tard,
lorsqu'elle fut laissée en debors des nouvelles fortifications, vers la fin du XIIe siècle.
(Mabillon. ''Ann. bénéd.--Antiquit. de la France'', in-12, 1631.
 
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : ''Saint François d'Assises et saint Thomas d'Aquin'', par E. J. Delécluze, t. I<sup>er</sup>, p. 278 et suiv.
 
<span id="footnote56">[[#note56|56]] : ''Le Th des antiq de Paris'', par J. Du Breul, 1634, liv. II, p. 378. Nous avons vu détruire, lors du percement de la nouvelle rue Soufflot, les derniers vestiges du
couvent des Jacobins, qui se trouvait à cheval sur les murailles de Paris. Voir la ''Statistique monum. de Paris'', publiée sous la dirertion de M. Albert Lenoir.
 
<span id="footnote57">[[#note57|57]] : J. Du Breul, ''Th. des ant. de Paris'', p. 380.
 
<span id="footnote58">[[#note58|58]] : Ce beau monastère, fort mutilé aujourd'hui, est occupé par un quartier d'artillerie;
l'église a été divisée en étages, les beaux meneaux en pierre des fenêtres sont détruits
depuis quelques années. Des écuries sont disposées dans le cloître et dans la jolie
chapelle peinte de Saint-Antonin. Parmi ces peintures il en est de fort remarquables, et
qui ne le cèdent en rien aux peintures italiennes de cette époque; mais elles s'altérèrent
davantage chaque jour. Les colonnes et cbapiteaux du grand cloître sont en
marbre gris des Pyrénées.
 
<span id="footnote59">[[#note59|59]] : «Edit enim S. Augustinus dignitate major beato Francisco, sed et aliquot seculis
antiquior... Lesdicts frères Hermites de l'ordre de Sainct-Augustin ont eu trois
diverses maisons à Paris. Premièrement ils ont demeuré en la rue dicte encore aujourd'hui
des Vieux-Augustins... Leur esglise estoit la chapelle Saincte-Marie-Égyptienne,
près la porte Montmartre, laquelle pour lors hors la ville, avoit esté rebastie aux
despens, et à la poursuitte d'un marchand drapier de Paris... Secondement ils ont
demeuré auprès la porte Sainct-Victor, en un lieu vague incult, et remply de chardons,
qui pour cela s'appeloit ''Cardinelum à carduis'', et s'estendoit depuis ladicte porte,
jusques en la rue de Bièvre, où l'esglise Sainct-Nicolas enclose retient ce surnom de
''Chardonnet''... En l'année 1286, le roi Philippe le Bel concéda aux augustins l'usage
des murailles et tournelles de la ville: deffendant à toutes personnes d'y passer, ny
demeurer sans leur congé. Mais voyants qu'en tel lieu ils ne pouvoient commodément
vivre, pour le peu d'aumosnes qu'on leur faisoit: du consentement dudict roy et de
l'évesque de Paris, Simon Matiphas de Bucy, ils vendirent ce qu'ils avoient acquis au
Chardonnet, et s'en vindrent tenir au lieu où ils sont de présent: que leur cédèrent les
frères de la pénitence de Jésus-Christ, dicts en latin Saccarii, et en françois Sachets...»
(Du Breul, ''Théol. des antiq. de Paris'', liv. II.)
 
<span id="footnote60">[[#note60|60]] : «Monaster. B. Mariæ-Viridis-Vallis, vulgo Grœnendæl, ordo can. reg. S. P.
August. Congreg. Windesemensis in silva Zoniæ prope Bruxellas situatum.» (''Castella
et Prætoria nobil. Brabantiæ, Cænobiaque celeb. ad viv. delin., ex museo
Jac. Baronis Le Roy.'' Antverpiæ, 1696.)