« Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1861 » : différence entre les versions

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Nous avons moins de plaisir aujourd’hui que nous n’en éprouvions, dans ces derniers temps, à nous occuper de nos affaires intérieures. Nous avions espéré que le système des avertissemens serait abandonné, au moins dans la pratique, si l’on ne croyait point encore le temps venu d’en abolir le principe. M. de Persigny nous avait apporté l’amnistie des avertissemens; c’était une espérance de liberté pour la presse, bien plus encore qu’un acte de clémence, que nous avions saluée dans cette mesure. Depuis lors, c’est-à-dire depuis bientôt deux mois, l’administration de M. de Persigny avait conservé une aimable virginité en fait d’avertissemens de journaux. Voilà qu’aujourd’hui un avertissement ''ab irato'' frappe -une feuille hebdomadaire. Certes la sincérité de l’indignation que témoigne M. de Persigny dans sa lettre au conseiller d’état chargé d’appliquer les avertissemens ne nous est point suspecte. M. de Persigny est convaincu que le principe du gouvernement a été non-seulement discuté, mais outragé, dans l’article dénoncé et mulcté; mais plus ferme à cet égard était la conviction de M. le ministre de l’intérieur, et plus, ce nous semble, il y aurait eu de raisons de déférer cet article à la justice ordinaire du pays. Pas plus que les ministres, les tribunaux assurément ne voudraient se rendre coupables envers l’état en tolérant l’outrage contre le principe du pouvoir, et ils ne seraient certes pas moins habiles que d’autres à découvrir un tel outrage. Il y aurait même, à employer la juridiction ordinaire, cet avantage, que les tribunaux, dans leurs jugemens en matière de pressé, visent les passages des écrits qu’ils condamnent. Le jugement n’est plus dès lors une mesure de répression, il prend un caractère véritablement préventif ; les écrivains connaissent ce qu’il ne leur est pas permis d’écrire, leur loyauté et leur prudence sont éclairées, et ils ne demeurent point pétrifiés dans cette vague stupeur qui redoute un danger dans le moindre mouvement. Pour nous, qui avons toujours aimé à rendre justice aux intentions de M. de Persigny, nous ne nous laisserons point étourdir par ce coup de tonnerre, M. de .Persigny ne dit-il pas dans sa lettre qu’il demeure convaincu que «la liberté de discuter les actes de l’autorité est aussi utile au gouvernement qu’au public?» Les avertissemens donnés aux journaux étant des actes de l’autorité, il s’ensuit logiquement, d’après la déclaration du ministre, qu’ils pourraient être discutés à l’avantage du public et du gouvernement lui-même. Le débat en ce cas, diront quelques esprits chagrins, suivrait le jugement au lieu de le précéder; c’est vrai, mais il aurait encore une grande utilité, puisqu’il ferait la lumière. Ce serait rendre hommage à la sincérité de M. de Persigny que de le prendre au mot à propos même de l’avertissement à l’occasion duquel il nous reconnaît le droit de discuter librement les actes de l’autorité. Nous ne le ferons pas, non par crainte d’aucun péril, mais par ménagement pour la position personnelle de M. le ministre de l’intérieur. M. de Persigny est évidemment plus libéral que le milieu où il vit; ses allures, favorables à un mouvement en avant, ont effarouché un certain monde autour de lui.
 
Nous avons moins de plaisir aujourd’hui que nous n’en éprouvions, dans ces derniers temps, à nous occuper de nos affaires intérieures. Nous avions espéré que le système des avertissemens serait abandonné, au moins dans la pratique, si l’on ne croyait point encore le temps venu d’en abolir le principe. M. de Persigny nous avait apporté l’amnistie des avertissemens ; c’était une espérance de liberté pour la presse, bien plus encore qu’un acte de clémence, que nous avions saluée dans cette mesure. Depuis lors, c’est-à-dire depuis bientôt deux mois, l’administration de M. de Persigny avait conservé une aimable virginité en fait d’avertissemens de journaux. Voilà qu’aujourd’hui un avertissement ''ab irato'' frappe -une feuille hebdomadaire. Certes la sincérité de l’indignation que témoigne M. de Persigny dans sa lettre au conseiller d’état chargé d’appliquer les avertissemens ne nous est point suspecte. M. de Persigny est convaincu que le principe du gouvernement a été non-seulement discuté, mais outragé, dans l’article dénoncé et mulcté ; mais plus ferme à cet égard était la conviction de M. le ministre de l’intérieur, et plus, ce nous semble, il y aurait eu de raisons de déférer cet article à la justice ordinaire du pays. Pas plus que les ministres, les tribunaux assurément ne voudraient se rendre coupables envers l’état en tolérant l’outrage contre le principe du pouvoir, et ils ne seraient certes pas moins habiles que d’autres à découvrir un tel outrage. Il y aurait même, à employer la juridiction ordinaire, cet avantage, que les tribunaux, dans leurs jugemens en matière de pressé, visent les passages des écrits qu’ils condamnent. Le jugement n’est plus dès lors une mesure de répression, il prend un caractère véritablement préventif ; les écrivains connaissent ce qu’il ne leur est pas permis d’écrire, leur loyauté et leur prudence sont éclairées, et ils ne demeurent point pétrifiés dans cette vague stupeur qui redoute un danger dans le moindre mouvement. Pour nous, qui avons toujours aimé à rendre justice aux intentions de M. de Persigny, nous ne nous laisserons point étourdir par ce coup de tonnerre, M. de .Persigny ne dit-il pas dans sa lettre qu’il demeure convaincu que «la liberté de discuter les actes de l’autorité est aussi utile au gouvernement qu’au public?» Les avertissemens donnés aux journaux étant des actes de l’autorité, il s’ensuit logiquement, d’après la déclaration du ministre, qu’ils pourraient être discutés à l’avantage du public et du gouvernement lui-même. Le débat en ce cas, diront quelques esprits chagrins, suivrait le jugement au lieu de le précéder; c’est vrai, mais il aurait encore une grande utilité, puisqu’il ferait la lumière. Ce serait rendre hommage à la sincérité de M. de Persigny que de le prendre au mot à propos même de l’avertissement à l’occasion duquel il nous reconnaît le droit de discuter librement les actes de l’autorité. Nous ne le ferons pas, non par crainte d’aucun péril, mais par ménagement pour la position personnelle de M. le ministre de l’intérieur. M. de Persigny est évidemment plus libéral que le milieu où il vit; ses allures, favorables à un mouvement en avant, ont effarouché un certain monde autour de lui.
On le devine à l’accent même de sa lettre au conseiller d’état ; on le pressent lorsqu’on entend parler, dans un récent document officiel, de cette opinion publique qui se serait, dit-on, redressée à rencontre des fausses interprétations auxquelles le décret du 24 novembre aurait donné lieu. Dans toutes les causes, autour du pouvoir, au sein des partis, il y a toujours des zélateurs excessifs dont tous les chefs d’opinions ont à subir, à dominer, à vaincre les fatigantes obsessions. Écoutez-les : ils sont les amis les plus dévoués du régime ou de la cause ; ils en sont les conservateurs-nés. Braves gens, mais faibles cervelles, leur caractère est digne de toute estime; leurs intentions sont pures, mais leurs conseils irrités et parfois irritans sont peu comptés par les sages. Nous connaissons probablement depuis plus longtemps que M. de Persigny cette nature de tempéramens conservateurs avec lesquels nous présumons qu’il est aux prises. Il n’est pas d’ailleurs nécessaire d’être au pouvoir pour être affligé d’un tel cortège. Pour nous souvenir d’être modestes, nous n’avons qu’à regarder autour de nous. Quelles extravagances d’opinion et de langage le spectacle des événemens italiens n’a-t-il pas inspirées par exemple à plusieurs de nos meilleurs et plus illustres amis ! Soyons indulgens pour ces indiscrétions et ces inconséquences d’un zèle mal éclairé, mais ne nous en laissons pas étonner au point de perdre l’identité de nos opinions, la suite logique de nos principes, et le sang-froid dans l’action. Nous ne recommandons pas à M. le ministre de l’intérieur d’autres préceptes que ceux que nous nous efforçons nous-mêmes d’observer, et en même temps nous savons faire la part des obstacles qu’il rencontre sur sa route.
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étourdir par ce coup de tonnerre, M. de.Persigny ne dit-il pas dans sa lettre qu’il demeure convaincu que « la liberté de discuter les actes de l’autorité est aussi utile au gouvernement qu’au public ? » Les avertissemens donnés aux journaux étant des actes de l’autorité, il s’ensuit logiquement, d’après la déclaration du ministre, qu’ils pourraient être discutés à l’avantage du public et du gouvernement lui-même. Le débat en ce cas, diront quelques esprits chagrins, suivrait le jugement au lieu de le précéder ; c’est vrai, mais il aurait encore une grande utilité, puisqu’il ferait la lumière. Ce serait rendre hommage à la sincérité de M. de Persigny que de le prendre au mot à propos même de l’avertissement à l’occasion duquel il nous reconnaît le droit de discuter librement les actes de l’autorité. Nous ne le ferons pas, non par crainte d’aucun péril, mais par ménagement pour la position personnelle de M. le ministre de l’intérieur. M. de Persigny est évidemment plus libéral que le milieu où il vit ; ses allures, favorables à un mouvement en avant, ont effarouché un certain monde autour de lui.
 
On le devine à l’accent même de sa lettre au conseiller d’état ; on le pressent lorsqu’on entend parler, dans un récent document officiel, de cette opinion publique qui se serait, dit-on, redressée à rencontre des fausses interprétations auxquelles le décret du 24 novembre aurait donné lieu. Dans toutes les causes, autour du pouvoir, au sein des partis, il y a toujours des zélateurs excessifs dont tous les chefs d’opinions ont à subir, à dominer, à vaincre les fatigantes obsessions. Écoutez-les : ils sont les amis les plus dévoués du régime ou de la cause ; ils en sont les conservateurs-nés. Braves gens, mais faibles cervelles, leur caractère est digne de toute estime ; leurs intentions sont pures, mais leurs conseils irrités et parfois irritans sont peu comptés par les sages. Nous connaissons probablement depuis plus longtemps que M. de Persigny cette nature de tempéramens conservateurs avec lesquels nous présumons qu’il est aux prises. Il n’est pas d’ailleurs nécessaire d’être au pouvoir pour être affligé d’un tel cortège. Pour nous souvenir d’être modestes, nous n’avons qu’à regarder autour de nous. Quelles extravagances d’opinion et de langage le spectacle des événemens italiens n’a-t-il pas inspirées par exemple à plusieurs de nos meilleurs et plus illustres amis ! Soyons indulgens pour ces indiscrétions et ces inconséquences d’un zèle mal éclairé, mais ne nous en laissons pas étonner au point de perdre l’identité de nos opinions, la suite logique de nos principes, et le sang-froid dans l’action. Nous ne recommandons pas à M. le ministre de l’intérieur d’autres préceptes que ceux que nous nous efforçons nous-mêmes d’observer, et en même temps nous savons faire la part des obstacles qu’il rencontre sur sa route.
S’il nous était permis de nous approprier les hardiesses d’images de M. le président du sénat, nous prendrions pour nous une part de ces «illusions oublieuses» qu’aurait fait naître, suivant lui, le programme du 24 novembre. Nos lecteurs nous sont témoins que nous avions apporté une grande modération dans nos espérances; nous sommes pourtant forcés d’avouer que nous avions espéré plus que M. le président du sénat ne nous semble le permettre. Au surplus, dans l’appréciation des conséquences naturelles de l’acte du 24 novembre, nous nous étions fondés bien moins sur des conjectures théoriques que sur la force des choses, agissant d’après les données qui venaient d’être posées. Nous conservons donc le droit d’en appeler de certaines conclusions du rapport de M. Troplong à l’expérience et à l’avenir. Pour éclaircir le dissentiment qui nous sépare de M. le président du sénat, nous choisirons deux des points les plus importans traités dans son rapport : la discussion de l’adresse et la part d’intervention faite à la presse dans le travail des assemblées délibérantes.
 
S’il nous était permis de nous approprier les hardiesses d’images de M. le président du sénat, nous prendrions pour nous une part de ces « illusions oublieuses » qu’aurait fait naître, suivant lui, le programme du 24 novembre. Nos lecteurs nous sont témoins que nous avions apporté une grande
La question de l’adresse, c’est la question parlementaire elle-même. Tout le monde comprend et sent qu’en acquérant le droit d’adresse, nos deux assemblées, le sénat et le corps législatif, obtiennent du même coup cette influence sur la direction du pouvoir exécutif qui, qu’elle soit exercée avec réserve ou avec énergie, est l’essence même de ce système que l’on appelle le gouvernement parlementaire. Dans ce droit d’adresse, se combinant avec la nécessité des événemens qui peuvent amener ou le gouvernement à élargir l’action des chambres, ou celles-ci à prendre en leurs mains une plus grande part d’autorité, sont virtuellement comprises toutes les prérogatives que peuvent avoir à réclamer des assemblées parlementaires. La question, pour le moment, est purement théorique, nous le savons, et nous ne dissimulons pas combien nous avons peu de goût à reprendre ces questions de théorie constitutionnelle qui ont été trop souvent et trop stérilement agitées en France depuis soixante-dix ans. Cependant ce n’est pas nous qui soulevons cette discussion spéculative; M. Troplong l’aborde lui-même, et ce n’est rien moins que la théorie de la monarchie impériale que le président du sénat a voulu établir dans la première partie de son rapport. L’examen de cette théorie s’impose donc à nous. A nos yeux, les explications de M. Troplong sont incomplètes, et la justesse de ses conclusions nous paraît infirmée par les omissions qui lui sont échappées dans ses prémisses.
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S’il nous était permis de nous approprier les hardiesses d’images de M. le président du sénat, nous prendrions pour nous une part de ces «illusions oublieuses» qu’aurait fait naître, suivant lui, le programme du 24 novembre. Nos lecteurs nous sont témoins que nous avions apporté une grande modération dans nos espérances ; nous sommes pourtant forcés d’avouer que nous avions espéré plus que M. le président du sénat ne nous semble le permettre. Au surplus, dans l’appréciation des conséquences naturelles de l’acte du 24 novembre, nous nous étions fondés bien moins sur des conjectures théoriques que sur la force des choses, agissant d’après les données qui venaient d’être posées. Nous conservons donc le droit d’en appeler de certaines conclusions du rapport de M. Troplong à l’expérience et à l’avenir. Pour éclaircir le dissentiment qui nous sépare de M. le président du sénat, nous choisirons deux des points les plus importans traités dans son rapport : la discussion de l’adresse et la part d’intervention faite à la presse dans le travail des assemblées délibérantes.
 
La question de l’adresse, c’est la question parlementaire elle-même. Tout le monde comprend et sent qu’en acquérant le droit d’adresse, nos deux assemblées, le sénat et le corps législatif, obtiennent du même coup cette influence sur la direction du pouvoir exécutif qui, qu’elle soit exercée avec réserve ou avec énergie, est l’essence même de ce système que l’on appelle le gouvernement parlementaire. Dans ce droit d’adresse, se combinant avec la nécessité des événemens qui peuvent amener ou le gouvernement à élargir l’action des chambres, ou celles-ci à prendre en leurs mains une plus grande part d’autorité, sont virtuellement comprises toutes les prérogatives que peuvent avoir à réclamer des assemblées parlementaires. La question, pour le moment, est purement théorique, nous le savons, et nous ne dissimulons pas combien nous avons peu de goût à reprendre ces questions de théorie constitutionnelle qui ont été trop souvent et trop stérilement agitées en France depuis soixante-dix ans. Cependant ce n’est pas nous qui soulevons cette discussion spéculative ; M. Troplong l’aborde lui-même, et ce n’est rien moins que la théorie de la monarchie impériale que le président du sénat a voulu établir dans la première partie de son rapport. L’examen de cette théorie s’impose donc à nous. AÀ nos yeux, les explications de M. Troplong sont incomplètes, et la justesse de ses conclusions nous paraît infirmée par les omissions qui lui sont échappées dans ses prémisses.
Le président du sénat définit le régime actuel «une hiérarchie, qui, sans être le pouvoir absolu, place au sommet de l’édifice le gouvernement du monarque s’appuyant sur des institutions représentatives, et à sa base le suffrage universel, comme un recours toujours ouvert dans le cas de nécessité publique.» Puis, après avoir illustré cette définition de réminiscences historiques et de souvenirs contemporains, il conclut en ces termes : « Ceci posé, il nous paraît évident que l’adresse d’aujourd’hui ne saurait avoir le caractère et les effets de l’adresse d’autrefois. Celle-ci signifiait que les ministres devaient être choisis par les chambres avant d’être nommés par le roi; elle signifiait que le roi était gouverné et ne gouvernait pas... Aujourd’hui l’adresse, au lieu d’être un champ de bataille, ne sera qu’une information loyale et patriotique sur les besoins du pays, etc.»
 
Le président du sénat définit le régime actuel « une hiérarchie, qui, sans être le pouvoir absolu, place au sommet de l’édifice le gouvernement du monarque s’appuyant sur des institutions représentatives, et à sa base le suffrage universel, comme un recours toujours ouvert dans le cas de nécessité publique. » Puis, après avoir illustré cette définition de réminiscences historiques et de souvenirs contemporains, il conclut en ces termes : « Ceci posé, il nous paraît évident que l’adresse d’aujourd’hui ne saurait avoir le caractère et les effets de l’adresse d’autrefois. Celle-ci signifiait que les ministres devaient être choisis par les chambres avant d’être nommés par le roi ; elle signifiait que le roi était gouverné et ne gouvernait pas...pas… Aujourd’hui l’adresse, au lieu d’être un champ de bataille, ne sera qu’une information loyale et patriotique sur les besoins du pays, etc. »
Nous croyons devoir écarter de la discussion, comme nous avons omis dans la citation, les passages du rapport de M. Troplong qui s’appliquent à la personne de l’empereur et à l’origine de son pouvoir. Les argumens fondés sur les qualités personnelles ne sont pas de mise dans la discussion d’une théorie constitutionnelle. M. Troplong est un jurisconsulte trop éminent pour ne pas savoir mieux que nous que les institutions, pas plus que les lois, ne sont des actes de confiance dans les hommes, qu’elles sont faites plutôt en défiance de leurs défauts et de leurs vices. L’empereur en rédigeant la constitution et en travaillant à l’améliorer, le sénat, le corps législatif, l’opinion publique, en s’efforçant d’interpréter la constitution, de la comprendre, d’en fixer le sens et d’en régler la pratique, doivent s’élever au-dessus des considérations personnelles et accidentelles du présent, car il s’agit apparemment de faire un ouvrage qui s’applique à toutes les personnes et à toutes les situations, et qui s’adapte au génie et à la civilisation d’un peuple. Ramenée à ses termes abstraits, que nous offre donc la constitution actuelle? Au-dessus de tout, le peuple souverain, puis le pouvoir délégué par ce peuple souverain à un prince et à sa famille sous la réserve de la responsabilité du prince; enfin la représentation du peuple ayant une triple expression, le chef de l’état, le sénat nommé par l’empereur, le corps législatif élu par le peuple. Nous n’entrons point dans le détail des attributions des divers pouvoirs ou corps représentatifs : nous prenons ces élémens avec le caractère qu’ils tiennent de leur origine. Ou nous renierons notre intelligence, ou nous croirons qu’un peuple qui a délégué le pouvoir exécutif, et qui entretient et renouvelle incessamment sa représentation dans des assemblées dont l’une a seule le droit de voter l’impôt, est un peuple qui a les moyens de se gouverner lui-même, ou du moins y peut aspirer. On est encore plus autorisé à penser ainsi surtout depuis le programme du 24 novembre. Ce programme a fait cesser une anomalie singulière : le peuple était bien représenté, mais il n’était informé qu’incomplètement ou indirectement des délibérations de ses représentans. Désormais, grâce à la publicité des chambres, les assemblées parleront et agiront sous l’œil du peuple, et seront par conséquent en communication directe avec lui. Toute lacune entre le mandant et les mandataires sera comblée. Ce n’est pas tout : en même temps que la représentation nationale se trouve ainsi mise en communication directe avec le peuple par la publicité de ses discussions, cette représentation fait un pas en avant vers le pouvoir exécutif, elle entre en un contact plus direct avec ce pouvoir au moyen du droit d’adresse. Que l’on donne le nom que l’on voudra à ce système d’institutions ; si l’on veut se laisser duper par les mots, que l’on proscrive le mot parlementaire, nous le voulons bien : nous qui mettons des choses avant les mots, nous voyons dans ces institutions sincèrement et activement pratiquées les élémens du gouvernement de la nation par la nation, c’est-à-dire du régime de liberté politique poursuivi par le système parlementaire.
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Nous croyons devoir écarter de la discussion, comme nous avons omis dans la citation, les passages du rapport de M. Troplong qui s’appliquent à la personne de l’empereur et à l’origine de son pouvoir. Les argumens fondés sur les qualités personnelles ne sont pas de mise dans la discussion d’une théorie constitutionnelle. M. Troplong est un jurisconsulte trop éminent pour ne pas savoir mieux que nous que les institutions, pas plus que les lois, ne sont des actes de confiance dans les hommes, qu’elles sont faites plutôt en défiance de leurs défauts et de leurs vices. L’empereur en rédigeant la constitution et en travaillant à l’améliorer, le sénat, le corps législatif, l’opinion publique, en s’efforçant d’interpréter la constitution, de la comprendre, d’en fixer le sens et d’en régler la pratique, doivent s’élever au-dessus des considérations personnelles et accidentelles du présent, car il s’agit apparemment de faire un ouvrage qui s’applique à toutes les personnes et à toutes les situations, et qui s’adapte au génie et à la civilisation d’un peuple. Ramenée à ses termes abstraits, que nous offre donc la constitution actuelle ? Au-dessus de tout, le peuple souverain, puis le pouvoir délégué par ce peuple souverain à un prince et à sa famille sous la réserve de la responsabilité du prince ; enfin la représentation du peuple ayant une triple expression, le chef de l’état, le sénat nommé par l’empereur, le corps législatif élu par le peuple. Nous n’entrons point dans le détail des attributions des divers pouvoirs ou corps représentatifs : nous prenons ces élémens avec le caractère qu’ils tiennent de leur origine. Ou nous renierons notre intelligence, ou nous croirons qu’un peuple qui a délégué le pouvoir exécutif, et qui entretient et renouvelle incessamment sa représentation dans des assemblées dont l’une a seule le droit de voter l’impôt, est un peuple qui a les moyens de se gouverner lui-même, ou du moins y peut aspirer. On est encore plus autorisé à penser ainsi surtout depuis le programme du 24 novembre. Ce programme a fait cesser une anomalie singulière : le peuple était bien représenté, mais il n’était informé qu’incomplètement ou indirectement des délibérations de ses représentans. Désormais, grâce à la publicité des chambres, les assemblées parleront et agiront sous l’œil du peuple, et seront par conséquent en communication directe avec lui. Toute lacune entre le mandant et les mandataires sera comblée. Ce n’est pas tout : en même temps que la représentation nationale se trouve ainsi mise en communication directe avec le peuple par la publicité de ses discussions, cette représentation fait un pas en avant vers le pouvoir exécutif, elle entre en un contact plus direct avec ce pouvoir au moyen du droit d’adresse. Que l’on donne le nom que l’on voudra à ce système d’institutions ; si l’on veut se laisser duper par les mots, que l’on proscrive le mot parlementaire, nous le voulons bien : nous qui mettons des choses avant les mots, nous voyons dans ces institutions sincèrement et activement pratiquées les élémens du gouvernement de la nation par la nation, c’est-à-dire du régime de liberté politique poursuivi par le système parlementaire.
Pénétrés de cette idée, nous regrettons que M. Troplong se soit abandonné à d’anciennes réminiscences. Pourquoi voir le régime parlementaire dans la prétention qu’auraient les chambres de désigner les ministres au choix de la couronne? Pourquoi évoquer la vieille métaphysique qui s’est épuisée sur la maxime : «le roi règne et ne gouverne pas?» Cette maxime reposait sur le principe de l’irresponsabilité royale. Les événemens ont prouvé que cette maxime en France était une fiction, que c’étaient les rois qui chez nous étaient responsables et non les ministres. Le souverain actuel a renoncé à cette fiction, et il a posé avec éclat dans la constitution le principe contraire de la responsabilité du chef de l’état. Quant à nous, nous voyons précisément dans la reconnaissance, dans la revendication de cette responsabilité par le souverain, une nouvelle force ajoutée à l’assemblée élue par le peuple, à la chambre des députés. Comment entendre en effet la responsabilité du souverain? Est-il possible de la définir, de la régulariser par une loi? De 1830 à 1848, on a toujours attendu la loi organique gratuitement annoncée par la charte, et qui devait fixer la responsabilité ministérielle en lui donnant une sanction pénale. Cette loi était inutile : c’était aux votes des chambres que se mesurait pratiquement la responsabilité ministérielle. On ne songe évidemment aujourd’hui ni à préparer ni à demander une loi sur la responsabilité du souverain. Nous croirions faire injure aux auteurs et aux théoriciens de la constitution de 1852, si nous leur supposions la pensée de n’avoir prévu d’autre sanction à cette responsabilité que le cas extrême d’une révolution. Aujourd’hui pour le souverain, comme autrefois pour les ministres, la responsabilité raisonnable et pratique est dans le contrôle des chambres ou dans le recours au pays. Nous l’avons dit, il ne peut y avoir encore à cet égard qu’une discussion théorique ; mais, si le cas de conflit entre le pouvoir exécutif et l’assemblée législative venait à se présenter, n’est-il pas évident qu’un souverain honnête et sensé céderait ou au vœu manifesté des chambres, ou à la volonté de la nation consultée? Pour n’avoir pas d’application actuelle, il s’en faut, suivant nous, que l’interprétation que nous donnons à la constitution étendue par le décret du 24 novembre soit indifférente et oiseuse. Cette interprétation nous paraît élever le caractère et la mission du corps législatif; par là, elle tend à réveiller l’émulation politique dans le pays. Pourquoi se faire un monstre des conséquences d’un tel réveil? Pourquoi évoquer le fantôme des ambitieux se disputant les portefeuilles dans les luttes des partis? II n’est pas certain que les ambitions les plus dangereuses qu’il y ait à redouter dans ce temps-ci soient les ambitions politiques, et il n’est pas douteux que ce sont les plus désintéressées. Les dépositaires du pouvoir ne semblent pas exposés aux vexations d’une concurrence bien vive. Chez un peuple dont on a beaucoup parlé dans ces derniers temps, chez les Américains, on sait le peu de faveur sociale qu’obtient la classe des ''polilicians''. Nous craignons que les mœurs en France n’inclinent au même dédain pour la profession politique; nous connaissons trop de gens qui préfèrent au mandat de député une place dans le conseil d’administration d’un chemin de fer ou d’une institution de crédit. Nous sommes en train d’apprendre en ce temps-ci que la plus grande et la plus retentissante influence; celle même que préfèrent la hauteur du talent et la dignité du caractère, se peut acquérir en dehors du pouvoir. L’ambition d’être ministre a cessé, depuis 1848, d’échauffer les têtes. Quand donc on ne se préoccuperait que d’un intérêt, le recrutement du personnel du pouvoir, il ne faudrait pas hésiter à attirer les talens et les ambitions dans les chambres, et à grandir pour cela les attributions et la puissance de nos assemblées.
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Pénétrés de cette idée, nous regrettons que M. Troplong se soit abandonné à d’anciennes réminiscences. Pourquoi voir le régime parlementaire dans la prétention qu’auraient les chambres de désigner les ministres au choix de la couronne ? Pourquoi évoquer la vieille métaphysique qui s’est épuisée sur la maxime : « le roi règne et ne gouverne pas ? » Cette maxime reposait sur le principe de l’irresponsabilité royale. Les événemens ont prouvé que cette maxime en France était une fiction, que c’étaient les rois qui chez nous étaient responsables et non les ministres. Le souverain actuel a renoncé à cette fiction, et il a posé avec éclat dans la constitution le principe contraire de la responsabilité du chef de l’état. Quant à nous, nous voyons précisément dans la reconnaissance, dans la revendication de cette responsabilité par le souverain, une nouvelle force ajoutée à l’assemblée élue par le peuple, à la chambre des députés. Comment entendre en effet la responsabilité du souverain ? Est-il possible de la définir, de la régulariser par une loi ? De 1830 à 1848, on a toujours attendu la loi organique gratuitement annoncée par la charte, et qui devait fixer la responsabilité ministérielle en lui donnant une sanction pénale. Cette loi était inutile : c’était aux votes des chambres que se mesurait pratiquement la responsabilité ministérielle. On ne songe évidemment aujourd’hui ni à préparer ni à demander une loi sur la responsabilité du souverain. Nous croirions faire injure aux auteurs et aux théoriciens de la constitution de 1852, si nous leur supposions la pensée de n’avoir prévu d’autre sanction à cette responsabilité que le cas extrême d’une révolution. Aujourd’hui pour le souverain, comme autrefois pour les ministres, la responsabilité raisonnable et pratique est dans le contrôle des chambres ou dans le recours au pays. Nous l’avons dit, il ne peut y avoir encore à cet égard qu’une discussion théorique ; mais, si le cas de conflit entre le pouvoir exécutif et l’assemblée législative venait à se présenter, n’est-il pas évident qu’un souverain honnête et sensé céderait ou au vœu manifesté des chambres, ou à la volonté de la nation consultée ? Pour n’avoir pas d’application actuelle, il s’en faut, suivant nous, que l’interprétation que nous donnons à la constitution étendue par le décret du 24 novembre soit indifférente et oiseuse. Cette interprétation nous paraît élever le caractère et la mission du corps législatif ; par là, elle tend à réveiller l’émulation politique dans le pays. Pourquoi se faire un monstre des conséquences d’un tel réveil ? Pourquoi évoquer le fantôme des ambitieux se disputant les portefeuilles dans les luttes des partis ? II n’est pas certain que les ambitions les plus dangereuses qu’il y ait à redouter dans ce temps-ci soient les ambitions politiques, et il n’est pas douteux que ce sont les plus désintéressées. Les dépositaires du pouvoir ne semblent pas exposés aux vexations d’une concurrence bien vive. Chez un peuple dont on a beaucoup parlé dans ces derniers temps, chez les Américains, on sait le peu de faveur sociale qu’obtient la classe des ''polilicians''. Nous craignons que les mœurs en France n’inclinent au même dédain pour la profession politique; nous connaissons trop de gens qui préfèrent au mandat de député une place dans le conseil d’administration d’un chemin de fer ou d’une institution de crédit. Nous sommes en train d’apprendre en ce temps-ci que la plus grande et la plus retentissante influence; celle même que préfèrent la hauteur du talent et la dignité du caractère, se peut acquérir en dehors du pouvoir. L’ambition d’être ministre a cessé, depuis 1848, d’échauffer les têtes. Quand donc on ne se préoccuperait que d’un intérêt, le recrutement du personnel du pouvoir, il ne faudrait pas hésiter à attirer les talens et les ambitions dans les chambres, et à grandir pour cela les attributions et la puissance de nos assemblées.
Sur la question de la presse, nous serons peut-être moins éloignés qu’on ne le supposerait d’abord de l’honorable rapporteur. Ce n’est que par un côté que la question de la presse touche au sénatus-consulte soumis aux délibérations du sénat. Il s’agissait uniquement en effet du mode de réglementation de la publicité que les journaux pourront ou devront donner au compte-rendu des séances des assemblées. M. le président du sénat a émis, à la vérité, sur la presse moderne certaines considérations générales auxquelles nous ne saurions nous rallier. Ici encore nous avons rencontré des souvenirs historiques, suivant nous, assez peu opportuns. A quoi bon rappeler que nous avons la liberté des livres et des brochures, et que la presse, sous cette forme, a eu autrefois assez de puissance pour saper les sociétés et renverser les trônes? A ce compte, nous ne voyons pas pourquoi on nous laisserait encore la liberté de publier des livres et des brochures, de nous servir d’une arme si efficace pour le mal. Ce qui est incontestable, c’est que livrés, brochures, journaux quotidiens, ont pu être employés comme instrumens dans les commotions politiques, mais n’ont jamais été les causes mêmes de ces ébranlemens. Il y a eu bien des révolutions dans le monde avant la découverte de l’imprimerie, de même que les peuples et les rois n’ont pas attendu, pour se dépouiller et s’entre-détruire, l’invention de la poudre et les canons rayés. Les journaux sont la forme moderne de la vulgarisation des faits et de la transmission de la pensée la mieux accommodée aux besoins de notre temps, dont elle a été la création naturelle et spontanée. Le journal est une forme, un instrument, un moyen, comme la machine à vapeur, comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique. Cet instrument ne trouve son application la plus puissante, la plus profitable au public, que dans la libre concurrence. Laissez agir cette concurrence, et vous verrez bientôt que le journal le plus populaire et le plus accrédité sera celui qui répondra le mieux aux intérêts et à l’esprit de la société, celui qui aura le mieux compris la loi de l’offre et de la demande, celui qui aura su se faire le véritable journal du public. Au lieu de cela, érigez les journaux en monopoles, faites-leur payer le privilège du monopole en restrictions politiques, et vous engourdissez un des plus énergiques ressorts de la vie nationale, vous altérez au détriment de votre pays et de vos contemporains un moyen d’éducation et d’association intellectuelle qui leur est pourtant aussi nécessaire dans l’ordre moral que le sont la vapeur et l’électricité dans l’ordre matériel. C’est avec ces idées de bon sens pratique, avec ces inspirations de l’esprit moderne, que la question de la presse périodique devrait enfin être attaquée et résolue parmi nous ; mais ce n’était point le sujet que M. Troplong avait à traiter : il s’agissait de déterminer les rapports de publicité entre la presse et les chambres. — Dans quelles proportions les comptes-rendus devraient-ils être publiés par les journaux? Les journaux pourraient-ils se mêler par leurs articles aux débats engagés devant les chambres? — Nous ne sommes point mécontens des solutions données par M. Troplong à ces questions. Les journaux devront publier ou la séance ou la discussion entière d’une question telle qu’elle aura été reproduite par la sténographie du ''Moniteur''. On évitera ainsi les comptes-rendus falsifiés par l’esprit de parti. En Angleterre, la liberté seule a suffi pour imposer aux journaux la reproduction complète des discussions parlementaires; il est fâcheux qu’une prescription légale ait été nécessaire en France pour assurer ce résultat. Cette prescription entraînera, pour les journaux qui voudront publier les comptes-rendus, un surcroît de frais. Cette augmentation de dépenses est pour eux une question d’Intérêt commercial qui se trouve d’ailleurs largement compensée par le monopole dont la législation actuelle de la presse leur donne le profit commercial. Une question plus délicate était celle de savoir si les journaux pourraient publier des articles sur les séances des assemblées. Des articles sous forme de comptes-rendus? Non. Nous ne regrettons point, pour notre compte, de n’avoir pas à rencontrer dans les journaux d’articles semblables. Ici encore nous n’exprimerons qu’un regret, c’est qu’il ait été nécessaire de prononcer une interdiction légale, et qu’on n’ait pas cru qu’en France, comme en Angleterre, le public suffirait pour dissuader les journaux de traiter les séances parlementaires comme des représentations théâtrales, et d’en tracer de légers, frivoles, fantasques récits, à la façon des feuilletons dramatiques; mais entre ces comptes-rendus capricieux et stériles et la discussion des opinions soutenues par les députés ou les sénateurs, il y a loin. La distinction paraît avoir été saisie par un honorable sénateur, M. Bonjean, qui avait même proposé un amendement au sein de la commission pour l’établir dans la loi. L’amendement n’a point été admis par la commission, d’abord à cause de la difficulté que l’on éprouverait à définir la distinction existante entre un compte-rendu et une controverse d’opinion, ensuite parce qu’une telle définition aurait paru mieux placée dans une loi sur la presse. Quoique la question demeure indécise, nous oserons dire que le langage de M. Troplong ne nous décourage point. «Tout reste subordonné aux circonstances,» dit l’honorable rapporteur à propos du droit qu’auraient les journaux de discuter les opinions des orateurs dont ils auraient publié les discours. Il ajoute : «La raison et la bonne foi disent ce qui est permis beaucoup mieux que des définitions ordinairement périlleuses. «Il y a donc quelque chose de permis. En effet, des discours imprimés ne deviennent-ils pas semblables à des articles de journaux ou à des brochures? L’on y trouvera tantôt des informations, des autorités utiles à la conduite d’une controverse, tantôt des assertions peut-être mal fondées et contestables. Comment ne serait-il pas permis aux journaux, soit de se fortifier des unes, soit d’opposer aux autres des objections légitimes? C’est une affaire de raison et de bonne foi. Peut-être certains journaux persisteront-ils, à l’endroit des discours des députés ou des sénateurs, dans cette réserve timide qui équivaut à une sorte de conspiration du silence; ils allégueront le danger de l’incertitude où demeure encore la limite de leur droit. Nous ne saurions approuver une telle affectation de timidité. Dans le doute, la conduite généreuse pour la presse, c’est de ne point s’abstenir. Elle témoignera ainsi, dans la raison et la bonne foi de l’administration, d’une confiance qui deviendra communicative, et qui ne peut point n’être pas payée de retour. Lors même que la liberté-de discussion que saurait ainsi gagner et mériter la presse ne plairait pas toujours à l’administration, comment croirait-on qu’une discussion loyale ou une contradiction polie pût jamais amener pour riposte un acte de sévérité du pouvoir?
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politique ; nous connaissons trop de gens qui préfèrent au mandat de député une place dans le conseil d’administration d’un chemin de fer ou d’une institution de crédit. Nous sommes en train d’apprendre en ce temps-ci que la plus grande et la plus retentissante influence ; celle même que préfèrent la hauteur du talent et la dignité du caractère, se peut acquérir en dehors du pouvoir. L’ambition d’être ministre a cessé, depuis 1848, d’échauffer les têtes. Quand donc on ne se préoccuperait que d’un intérêt, le recrutement du personnel du pouvoir, il ne faudrait pas hésiter à attirer les talens et les ambitions dans les chambres, et à grandir pour cela les attributions et la puissance de nos assemblées.
 
Sur la question de la presse, nous serons peut-être moins éloignés qu’on ne le supposerait d’abord de l’honorable rapporteur. Ce n’est que par un côté que la question de la presse touche au sénatus-consulte soumis aux délibérations du sénat. Il s’agissait uniquement en effet du mode de réglementation de la publicité que les journaux pourront ou devront donner au compte-rendu des séances des assemblées. M. le président du sénat a émis, à la vérité, sur la presse moderne certaines considérations générales auxquelles nous ne saurions nous rallier. Ici encore nous avons rencontré des souvenirs historiques, suivant nous, assez peu opportuns. À quoi bon rappeler que nous avons la liberté des livres et des brochures, et que la presse, sous cette forme, a eu autrefois assez de puissance pour saper les sociétés et renverser les trônes ? A ce compte, nous ne voyons pas pourquoi on nous laisserait encore la liberté de publier des livres et des brochures, de nous servir d’une arme si efficace pour le mal. Ce qui est incontestable, c’est que livrés, brochures, journaux quotidiens, ont pu être employés comme instrumens dans les commotions politiques, mais n’ont jamais été les causes mêmes de ces ébranlemens. Il y a eu bien des révolutions dans le monde avant la découverte de l’imprimerie, de même que les peuples et les rois n’ont pas attendu, pour se dépouiller et s’entre-détruire, l’invention de la poudre et les canons rayés. Les journaux sont la forme moderne de la vulgarisation des faits et de la transmission de la pensée la mieux accommodée aux besoins de notre temps, dont elle a été la création naturelle et spontanée. Le journal est une forme, un instrument, un moyen, comme la machine à vapeur, comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique. Cet instrument ne trouve son application la plus puissante, la plus profitable au public, que dans la libre concurrence. Laissez agir cette concurrence, et vous verrez bientôt que le journal le plus populaire et le plus accrédité sera celui qui répondra le mieux aux intérêts et à l’esprit de la société, celui qui aura le mieux compris la loi de l’offre et de la demande, celui qui aura su se faire le véritable journal du public. Au lieu de cela, érigez les journaux en monopoles, faites-leur payer le privilège du monopole en restrictions politiques, et vous engourdissez un des plus énergiques ressorts de la vie nationale, vous altérez au détriment de votre pays et de vos contemporains un moyen d’éducation
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Sur la question de la presse, nous serons peut-être moins éloignés qu’on ne le supposerait d’abord de l’honorable rapporteur. Ce n’est que par un côté que la question de la presse touche au sénatus-consulte soumis aux délibérations du sénat. Il s’agissait uniquement en effet du mode de réglementation de la publicité que les journaux pourront ou devront donner au compte-rendu des séances des assemblées. M. le président du sénat a émis, à la vérité, sur la presse moderne certaines considérations générales auxquelles nous ne saurions nous rallier. Ici encore nous avons rencontré des souvenirs historiques, suivant nous, assez peu opportuns. A quoi bon rappeler que nous avons la liberté des livres et des brochures, et que la presse, sous cette forme, a eu autrefois assez de puissance pour saper les sociétés et renverser les trônes? A ce compte, nous ne voyons pas pourquoi on nous laisserait encore la liberté de publier des livres et des brochures, de nous servir d’une arme si efficace pour le mal. Ce qui est incontestable, c’est que livrés, brochures, journaux quotidiens, ont pu être employés comme instrumens dans les commotions politiques, mais n’ont jamais été les causes mêmes de ces ébranlemens. Il y a eu bien des révolutions dans le monde avant la découverte de l’imprimerie, de même que les peuples et les rois n’ont pas attendu, pour se dépouiller et s’entre-détruire, l’invention de la poudre et les canons rayés. Les journaux sont la forme moderne de la vulgarisation des faits et de la transmission de la pensée la mieux accommodée aux besoins de notre temps, dont elle a été la création naturelle et spontanée. Le journal est une forme, un instrument, un moyen, comme la machine à vapeur, comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique. Cet instrument ne trouve son application la plus puissante, la plus profitable au public, que dans la libre concurrence. Laissez agir cette concurrence, et vous verrez bientôt que le journal le plus populaire et le plus accrédité sera celui qui répondra le mieux aux intérêts et à l’esprit de la société, celui qui aura le mieux compris la loi de l’offre et de la demande, celui qui aura su se faire le véritable journal du public. Au lieu de cela, érigez les journaux en monopoles, faites-leur payer le privilège du monopole en restrictions politiques, et vous engourdissez un des plus énergiques ressorts de la vie nationale, vous altérez au détriment de votre pays et de vos contemporains un moyen d’éducation et d’association intellectuelle qui leur est pourtant aussi nécessaire dans l’ordre moral que le sont la vapeur et l’électricité dans l’ordre matériel. C’est avec ces idées de bon sens pratique, avec ces inspirations de l’esprit moderne, que la question de la presse périodique devrait enfin être attaquée et résolue parmi nous ; mais ce n’était point le sujet que M. Troplong avait à traiter : il s’agissait de déterminer les rapports de publicité entre la presse et les chambres. — Dans quelles proportions les comptes-rendus devraient-ils être publiés par les journaux ? Les journaux pourraient-ils se mêler par leurs articles aux débats engagés devant les chambres ? — Nous ne sommes point mécontens des solutions données par M. Troplong à ces questions. Les journaux devront publier ou la séance ou la discussion entière d’une question telle qu’elle aura été reproduite par la sténographie du ''Moniteur''. On évitera ainsi les comptes-rendus falsifiés par l’esprit de parti. En Angleterre, la liberté seule a suffi pour imposer aux journaux la reproduction complète des discussions parlementaires ; il est fâcheux qu’une prescription légale ait été nécessaire en France pour assurer ce résultat. Cette prescription entraînera, pour les journaux qui voudront publier les comptes-rendus, un surcroît de frais. Cette augmentation de dépenses est pour eux une question d’Intérêt commercial qui se trouve d’ailleurs largement compensée par le monopole dont la législation actuelle de la presse leur donne le profit commercial. Une question plus délicate était celle de savoir si les journaux pourraient publier des articles sur les séances des assemblées. Des articles sous forme de comptes-rendus ? Non. Nous ne regrettons point, pour notre compte, de n’avoir pas à rencontrer dans les journaux d’articles semblables. Ici encore nous n’exprimerons qu’un regret, c’est qu’il ait été nécessaire de prononcer une interdiction légale, et qu’on n’ait pas cru qu’en France, comme en Angleterre, le public suffirait pour dissuader les journaux de traiter les séances parlementaires comme des représentations théâtrales, et d’en tracer de légers, frivoles, fantasques récits, à la façon des feuilletons dramatiques ; mais entre ces comptes-rendus capricieux et stériles et la discussion des opinions soutenues par les députés ou les sénateurs, il y a loin. La distinction paraît avoir été saisie par un honorable sénateur, M. Bonjean, qui avait même proposé un amendement au sein de la commission pour l’établir dans la loi. L’amendement n’a point été admis par la commission, d’abord à cause de la difficulté que l’on éprouverait à définir la distinction existante entre un compte-rendu et une controverse d’opinion, ensuite parce qu’une telle définition aurait paru mieux placée dans une loi sur la presse. Quoique la question demeure indécise, nous oserons dire que le langage de M. Troplong ne nous décourage point. « Tout reste subordonné aux circonstances, » dit l’honorable rapporteur à propos du droit qu’auraient les journaux de discuter les opinions des orateurs dont ils auraient publié les discours. Il ajoute : « La raison et la bonne foi disent ce qui est permis beaucoup mieux que des définitions ordinairement périlleuses. « Il y a donc quelque chose de permis. En effet, des discours imprimés ne deviennent-ils pas semblables à des articles de journaux ou à des brochures? L’on y trouvera tantôt des informations, des autorités utiles à la conduite d’une controverse, tantôt des assertions peut-être mal fondées et contestables. Comment ne serait-il pas permis aux journaux, soit de se fortifier des unes, soit d’opposer aux autres des objections légitimes? C’est une affaire de raison et de bonne foi. Peut-être certains journaux persisteront-ils, à l’endroit des discours des députés ou des sénateurs, dans cette réserve timide qui équivaut à une sorte de conspiration du silence; ils allégueront le danger de l’incertitude où demeure encore la limite de leur droit. Nous ne saurions approuver une telle affectation de timidité. Dans le doute, la conduite généreuse pour la presse, c’est de ne point s’abstenir. Elle témoignera ainsi, dans la raison et la bonne foi de l’administration, d’une confiance qui deviendra communicative, et qui ne peut point n’être pas payée de retour. Lors même que la liberté-de discussion que saurait ainsi gagner et mériter la presse ne plairait pas toujours à l’administration, comment croirait-on qu’une discussion loyale ou une contradiction polie pût jamais amener pour riposte un acte de sévérité du pouvoir?
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chose de permis. En effet, des discours imprimés ne deviennent-ils pas semblables à des articles de journaux ou à des brochures ? L’on y trouvera tantôt des informations, des autorités utiles à la conduite d’une controverse, tantôt des assertions peut-être mal fondées et contestables. Comment ne serait-il pas permis aux journaux, soit de se fortifier des unes, soit d’opposer aux autres des objections légitimes ? C’est une affaire de raison et de bonne foi. Peut-être certains journaux persisteront-ils, à l’endroit des discours des députés ou des sénateurs, dans cette réserve timide qui équivaut à une sorte de conspiration du silence ; ils allégueront le danger de l’incertitude où demeure encore la limite de leur droit. Nous ne saurions approuver une telle affectation de timidité. Dans le doute, la conduite généreuse pour la presse, c’est de ne point s’abstenir. Elle témoignera ainsi, dans la raison et la bonne foi de l’administration, d’une confiance qui deviendra communicative, et qui ne peut point n’être pas payée de retour. Lors même que la liberté-de discussion que saurait ainsi gagner et mériter la presse ne plairait pas toujours à l’administration, comment croirait-on qu’une discussion loyale ou une contradiction polie pût jamais amener pour riposte un acte de sévérité du pouvoir ?
 
Nous serons sans doute mieux éclairés encore et plus raffermis sur ces points importans par les prochaines discussions de l’adresse, par celle surtout de la chambre des députés. Nous sommes si près de l’ouverture de la session que nous n’insisterons pas sur les diverses questions intérieures qui doivent être la matière des débats de l’adresse, et que nous n’aurons pas l’impertinence et l’affectation de tracer le programme de ces intéressantes controverses parlementaires, attendues par le public avec curiosité.
 
Les questions extérieures, nous le constatons avec plaisir, prennent depuis quelques jours un aspect plus rassurant. Nous voulons parler du moins de celles qui inspiraient naguère de si vives inquiétudes, et qui menaçaient de faire naître au printemps une nouvelle guerre en Italie. Nous avons expliqué, il y a quinze jours, dans quels termes la lutte allait s’engager en Italie, et de quelle importance serait le résultat des élections générales qui. allaient s’accomplir dans la péninsule. Le parti de l’action voulait la guerre immédiate avec l’Autriche, le tiers-parti, sans prendre une attitude si téméraire, empruntait des forces et en prêtait à son tour au parti de l’action. M. de Cavour, sans rien retrancher au programme de l’indépendance italienne, voulait contenir le mouvement pour fortifier l’Italie à l’intérieur, pour en concentrer les ressources et en fondre les populations dans le cadre des institutions parlementaires, pour conduire les résolutions de sa politique avec bon sens, en consultant la situation de l’Europe, en prenant enfin les précautions qui, au prix de la patience, assurent le succès. Les nouvelles déjà reçues des élections italiennes montrent que l’Italie n’a pas démenti le bon sens et la perspicacité dont elle a fourni à l’Europe des preuves si surprenantes depuis deux ans, et qu’elle donne raison à la politique
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de M. de Cavour. On est donc fondé à croire qu’il n’y aura pas ce printemps de guerre en Italie. Garibaldi, que l’imagination des nouvellistes faisait sortir de Caprera, n’a point quitté sa retraite, et il est vraisemblable que, si la Hongrie ne lui offre pas la chance de diversion qu’il attendait d’elle contre l’Autriche, il saura s’accommoder d’une année de repos et attendra l’occasion au lieu de la brusquer. Du reste, si l’activité sérieuse de l’Italie a de quoi s’occuper dans l’organisation de l’administration, dans le rétablissement d’un gouvernement régulier à Naples et en Sicile, dans la préparation de son armée et de sa flotte, on doit convenir que la pâture ne manquera point cette année dans la péninsule à cette activité fiévreuse, à cette effervescence d’imagination et d’émotions qui sont propres aux partis révolutionnaires. La politique de M. de Cavour a dû tirer un grand profit de la retraite de notre escadre quittant les eaux de Gaëte. Cependant le jeune et infortuné roi de Naples, sans nourrir d’illusions, sans conserver d’espoir, mais détourné par le corps diplomatique de cesser sa passive résistance, reste à Gaëte et soutient un siège que les Piémontais conduisent avec moins de promptitude et de vigueur qu’ils ne l’avaient espéré d’abord. Tant que le roi tient à Gaëte, il est difficile au Piémont de dominer, d’étouffer les élémens de perturbation qui s’agitent dans le royaume de Naples. La résistance de Gaëte aura pourtant un terme, et probablement ce terme n’est plus éloigné. Une fois la résistance napolitaine vaincue, un autre objet se présente à la révolution italienne. Le pape est encore à Rome : il y est parce que nos troupes l’y gardent. Toute là question est de savoir si elles y resteront, et combien de temps encore elles occuperont la ville que le catholicisme considère comme sa métropole, et où l’Italie veut placer sa capitale. Nous ne voulons point risquer de prédictions à ce sujet, nous n’avons pas de goût non plus à rentrer dans les récriminations auxquelles peut fournir matière l’entreprise du Piémont sur les États-Romains ; mais, en songeant à Rome, nous ne pouvons plus nous empêcher de regarder la chute du pouvoir temporel comme un fait accompli. Qu’est-ce que la prolongation de cette agonie uniquement attachée à la présence ou au départ d’une troupe française ? La destinée s’accomplira. Appuyés au-principe de non-intervention, nous n’avons pas plus de raison de demeurer à Rome que nous n’en avions de stationner devant Gaëte. De même que nous avons quitté Gaëte, nous abandonnerons Rome. Nous serons conduits à cet acte par des raisons identiques : plaintes et instances des Italiens, plaintes et instances de l’Angleterre, épuisement des moyens d’existence du gouvernement pontifical. Cette perspective de Rome devrait donner aux Italiens la patience d’attendre une année encore l’entreprise contre Venise. Une année Naples, l’autre Rome, la suivante Venise, une capitale par an, n’est-ce point marcher assez vite ? Nous le répétons, c’est un fait accompli : on en a le sentiment même autour du pape. Nous le laissons passer sans plainte et sans joie, en partageant la stupeur avec laquelle le reste du monde le contemple, et
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comme le reste du monde, nous ayons l’espoir que ce nouveau gâteau donné à l’Italie la contiendra dans ses bornes pendant au moins, une année, et l’empêchera de risquer la paix de l’Europe dans un conflit avec l’Autriche.
 
Quand les chances de la paix augmentent en Italie, diminueraient-elles du côté de l’Allemagne ? On. a paru le craindre un moment en assistant aux difficultés qui assiègent l’Autriche en Hongrie et qui pouvaient donner naissance à une guerre de nationalités ; on l’a redouté, à lire certains passages des harangues prononcées par le roi de Prusse à son avènement ; on l’a supposé en voyant renaître entre l’Allemagne et le Danemark, cette fatigante querelle du Holstein, qu’il n’a jamais été possible de faire comprendre au public. Ces appréhensions se sont calmées ou vont se dissipant. L’agitation hongroise, paraît-il, saura se contenir dans les limites légales, et se transformera en lutte parlementaire quand la diète sera réunie. Mieux éclaircies, les paroles du roi de Prusse ont paru s’appliquer aux menaces de révolutions et d’insurrections de nationalités plutôt qu’à des perspectives de guerre européenne. La question holsteinoise elle-même ne paraît pas devoir entraîner de complications bien graves : elle se décompose en deux questions, la question du Holstein et du Lauenbourg et la question du Slesvig. Le Holstein et le Lauenbourg font partie de la confédération germanique ; le Slesvig est en dehors de la confédération. Il s’ensuit qu’il y a matière à compromis entre l’Allemagne et le Danemark. Celui-ci peut résister avec fermeté aux ingérences de l’Allemagne dans le Slesvig, et il peut en même temps faire preuve de modération en ne résistant point, sur le différend holsteinois, à la juridiction fédérale. On peut donner amicalement ce conseil au Danemark, car le Holstein appartient non-seulement au roi de Danemark, mais il appartient à la fédération germanique ! Le peuple danois doit demeurer étranger aux différends qui s’élèvent entré son roi, duc de Holstein, et la diète de Francfort, sur les questions relatives au gouvernement intérieur du duché, il est vrai qu’entre le Holstein et le Slesvig il existe des communautés d’intérêts et d’institutions, et qu’il est difficile de, modifier l’administration d’une de ces provinces sans que l’autre en soit affectée. Il est vrai encore que le Danemark, gouvernement et nation, est libéral, tandis que le parti qui se plaint dans le Holstein et le Slesvig est un petit parti féodal de hobereaux : il est vrai qu’à ce titre le Danemark est digne des sympathies des nations occidentales ; mais on ne peut aller au-delà du témoignage de ces sympathies, quand le roi de Danemark est lié, comme duc de Holstein, par des traités et une loi fédérale : on ne peut que conseiller au gouvernement danois de se montrer conciliant dans l’affaire du Holstein et de maintenir son droit dans celle du Slesvig. Quant aux sentimens de l’Allemagne et de la Prusse à notre égard, nous serions injustes si nous n’en voulions pas voir l’expression satisfaisante dans les termes de l’adresse où les députés prussiens félicitent le nouveau roi, avec des protestations pacifiques, des négociations ouvertes entre la France et la Prusse pour la conclusion d’un traité de commerce.
 
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Quand les chances de la paix augmentent en Italie, diminueraient-elles du côté de l’Allemagne? On. a paru le craindre un moment en assistant aux difficultés qui assiègent l’Autriche en Hongrie et qui pouvaient donner naissance à une guerre de nationalités ; on l’a redouté, à lire certains passages des harangues prononcées par le roi de Prusse à son avènement; on l’a supposé en voyant renaître entre l’Allemagne et le Danemark, cette fatigante querelle du Holstein, qu’il n’a jamais été possible de faire comprendre au public. Ces appréhensions se sont calmées ou vont se dissipant. L’agitation hongroise, paraît-il, saura se contenir dans les limites légales, et se transformera en lutte parlementaire quand la diète sera réunie. Mieux éclaircies, les paroles du roi de Prusse ont paru s’appliquer aux menaces de révolutions et d’insurrections de nationalités plutôt qu’à des perspectives de guerre européenne. La question holsteinoise elle-même ne paraît pas devoir entraîner de complications bien graves : elle se décompose en deux questions, la question du Holstein et du Lauenbourg et la question du Slesvig. Le Holstein et le Lauenbourg font partie de la confédération germanique; le Slesvig est en dehors de la confédération. Il s’ensuit qu’il y a matière à compromis entre l’Allemagne et le Danemark. Celui-ci peut résister avec fermeté aux ingérences de l’Allemagne dans le Slesvig, et il peut en même temps faire preuve de modération en ne résistant point, sur le différend holsteinois, à la juridiction fédérale. On peut donner amicalement ce conseil au Danemark, car le Holstein appartient non-seulement au roi de Danemark, mais il appartient à la fédération germanique! Le peuple danois doit demeurer étranger aux différends qui s’élèvent entré son roi, duc de Holstein, et la diète de Francfort, sur les questions relatives au gouvernement intérieur du duché, il est vrai qu’entre le Holstein et le Slesvig il existe des communautés d’intérêts et d’institutions, et qu’il est difficile de, modifier l’administration d’une de ces provinces sans que l’autre en soit affectée. Il est vrai encore que le Danemark, gouvernement et nation, est libéral, tandis que le parti qui se plaint dans le Holstein et le Slesvig est un petit parti féodal de hobereaux : il est vrai qu’à ce titre le Danemark est digne des sympathies des nations occidentales; mais on ne peut aller au-delà du témoignage de ces sympathies, quand le roi de Danemark est lié, comme duc de Holstein, par des traités et une loi fédérale : on ne peut que conseiller au gouvernement danois de se montrer conciliant dans l’affaire du Holstein et de maintenir son droit dans celle du Slesvig. Quant aux sentimens de l’Allemagne et de la Prusse à notre égard, nous serions injustes si nous n’en voulions pas voir l’expression satisfaisante dans les termes de l’adresse où les députés prussiens félicitent le nouveau roi, avec des protestations pacifiques, des négociations ouvertes entre la France et la Prusse pour la conclusion d’un traité de commerce.
 
IIIl y a longtemps que nous ne nous étions occupés de la paisible Hollande. Ce pays sensé et pratique a ordinairement le bonheur de ne point faire trop parler de lui. Il faut rendre hommage cependant aux hommes distingués et laborieux dont l’intelligence maintient dans ces tranquilles contrées la saine énergie de la vie politique et la prospérité matérielle. Nous ne pouvons, à ce point de vue, nous dispenser de mentionner les modifications qui viennent de s’accomplir dans le cabinet de La Haye. L’ancien ministre des colonies, M. Rochussen, vient d’être remplacé par M. Cornets de Groot, autrefois conseiller des Indes, et qui fut, il y a quelques années, secrétaire-général du département dont il prend la direction. On augure bien de l’activité de ce ministre appliquée à l’administration coloniale, si importante pour la Hollande. Le ministre des affaires étrangères, M. de Zuylen de Nyevelt, a donné sa démission et a été remplacé par M. de Goes. Mais c’est un fait malheureusement plus grave que des remaniemens ministériels qui cette fois appelle sur la Hollande l’attention et la sympathie de l’Europe. Nous voulons parler de l’effroyable inondation qui a submergé, sur une étendue de 16,000 hectares, l’un des plus beaux districts de la Gueldre. Les misères où ce désastre a plongé d’industrieuses populations ont été racontées par les journaux, et ont provoqué en Hollande même, dans l’honnête et généreuse Belgique, des manifestations de charité auxquelles, nous en sommes sûrs, la France ne manquera pas de se joindre.
 
C’est maintenant au-delà de l’Atlantique, dans la république qui était hier un des peuples les plus florissans de la terre, qu’il faut voir éclater une perturbation non moins formidable que les ébranlemens que l’Europe avait redoutés pour cette année. Rien n’arrête et il semble que rien ne puisse arrêter désormais le mouvement séparatiste qui déchire l’Union américaine. Les dernières nouvelles d’Amérique sont profondément attristantes. Non-seulement elles nous montrent les états du sud se détachant l’un après l’autre, mais elles nous apportent les discussions du sénat, et, vue à travers les appréciations réfléchies des citoyens les plus éclairés et les plus éminens des États-Unis, la situation, mieux définie, paraît plus sombre encore. C’est surtout en lisant les discours éloquens de M. Hunter, sénateur démocrate de la Virginie, et de M. Seward, chef désigné de la prochaine administration de M. Lincoln, que l’on ressent cette impression douloureuse. Il n’était guère possible de présenter sous une forme plus modérée et plus nette les prétentions du sud que ne l’a fait M. Hunter. Le sénateur virginien déclare que l’union dans les termes actuels du pacte fédéral ébranle et met en péril la condition sociale des états du sud. La propagande abolitioniste du nord, les lois passées par les états de cette section contre l’extradition des esclaves fugitifs, la part inégale faite à l’expansion des états à esclaves dans les territoires qui restent à conquérir à la race américaine, l’élection enfin d’un président imbu des doctrines contraires aux intérêts des états du sud, tout se réunit, suivant M. Hunter, pour imposer à ces états la séparation comme une nécessité de salut social. Une seule chose pourrait,
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d’après le sénateur virginien, prévenir la dissolution du lien fédéral : ce serait un remaniement de la constitution et la présence au pouvoir de deux présidens, l’un nommé par le nord, l’autre élu par le sud, de telle sorte que les intérêts des deux sections fussent en même temps sauvegardés. L’impossibilité de cette combinaison saute aux yeux ; mais les événemens marchent trop vite pour que le plan de M. Hunter pût même être accepté par les états du sud. Le discours de M. Seward est certes plus éloquent que la remarquable harangue du démocrate. Une mélancolie grandiose en ralentit l’accent. Tout y est parcouru : les conséquences sociales de la rupture de l’union ; comment les séparatistes ne voient-ils pas que la guerre civile suscite l’insurrection servile ? — les conséquences politiques au point de vue extérieur : au lieu d’une grande nation, l’égale des premiers états du monde, l’Amérique morcelée ne présentera plus que des fédérations faibles et incapables de se faire respecter ; — les conséquences politiques au point de vue intérieur : de la guerre civile, des jalousies entre les états, naîtront la nécessité du gouvernement militaire et le despotisme ; — enfin les mesures de conciliation qui pourraient prévenir ce désastreux déchirement. C’est la partie faible de son discours, car c’est dans les esprits bien plus que dans les choses qu’est le mal. « La seule chance de salut qui nous reste, lisons-nous dans une lettre écrite par un Américain, ce serait que l’on pût s’entendre sur une trêve à observer pendant les quarante jours qui nous séparent de la nouvelle présidence. On aurait ainsi du temps pour la discussion, la conciliation et les compromis. Si cette trêve nous manque, la guerre civile, l’insurrection et l’émancipation des esclaves sont inévitables. Les hommes du sud, braves et à demi civilisés, se battront comme des démons et tomberont comme des hommes maudits du ciel. » Le ton peut donner une idée du degré d’exaltation où sont arrivés les sentimens. Pour l’Europe, pour la France, une telle issue ne saurait être indifférente. La France a un grand intérêt au maintien d’une puissance à la fondation de laquelle elle avait si généreusement travaillé, et qui pouvait contribuer au maintien de l’équilibre maritime. En outre ce sont précisément ces états à esclaves qui fournissent à l’industrie européenne la matière première qu’on peut appeler son pain quotidien. On compte par millions les ouvriers qui, en Angleterre, en France, en Europe, vivent de l’industrie du coton. Le déchirement des États-Unis aurait donc immédiatement dans notre hémisphère un retentissement économique et politique épouvantable.
 
C’est au milieu de cette crise américaine, tout le monde a remarqué ce contraste, que l’Académie française a entendu sortir de la bouche du père Lacordaire une magnifique apologie des institutions américaines. Nous voulons espérer encore que l’Union échappera à la dissolution qui la menace ; mais lors même que le faisceau se briserait, l’éloge de la démocratie américaine n’aurait pas été moins juste. Cette belle machine politique n’aurait pas pu durer plus d’un siècle ; l’imperfection humaine ne l’aurait pas supportée
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plus longtemps. Qu’importe ? Le grand idéal de liberté politique et d’énergie individuelle dans un grand état aurait été atteint une fois, et il ne serait pas défendu à l’humanité d’espérer dans le succès ultérieur et plus durable de cette grande entreprise. Il ne nous appartient pas de juger en passant cette belle séance académique où un grand orateur religieux était reçu par M. Guizot, qui a pu faire admirer à un auditoire enthousiaste un des maîtres les plus rares de l’éloquence politique ; mais nous ne pouvons nous empêcher de féliciter et de remercier M. Lacordaire de ce témoignage de foi dans l’avenir de la liberté qu’il a donné en l’honneur de la mémoire d’un des hommes de notre temps qui ont eu au plus haut degré la conscience et le souci de l’avenir.