« Les Allemands en Russie et les Russes en Allemagne » : différence entre les versions
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{{journal|Les Allemands en Russie et les Russes en Allemagne|[[Auteur:Saint-René Taillandier|Saint-René Taillandier]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.7, 1854}}
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:I. ''Deutsch-russische Wechselwirkungen, oder die Deutschen in Russland und die Russen in Deutschland'', von Wilhelm Stricker; Leipzig 1849. - II. ''Russland und die Gegenwart, 2 vol.; Leipzig 1851. - III. ''Die Aufgabe Preussens'', von Wolfgang Menzel; Stuttgart 1854. - ''Deutsche Antwort an die Orientalische Frage'', Heidelberg 1854. - V. ''Die Ost-Euroeirische Gefahr'', Trèves 1854. - VI. ''Russland und das Germamenthum'', von Bruno Bauer; Charlottenburg 1853.▼
▲:I. ''Deutsch-russische Wechselwirkungen, oder die Deutschen in Russland und die Russen in Deutschland'', von Wilhelm Stricker ; Leipzig 1849.
Le 24 mai et le 20 juillet 1854 resteront des dates mémorables dans l'histoire de l’Allemagne. Le 24 mai, les représentans de l’Autriche et de la Prusse ont fait connaître à la diète de Francfort la conduite tenue par les deux grandes puissances allemandes dans la question d'Orient, et ils ont engagé tous les états confédérés à soutenir cette politique; le 20 juillet, après avoir repoussé avec force les essais d'une politique particulière tentés à la conférence de Bamberg, ils ont sommé la diète de mettre fin à ces votes de détail et de se déclarer par une mesure d'ensemble. On sait quel intérêt s'attache aux décisions des cabinets de Vienne et de Berlin dans la crise où est engagée l'indépendance de l’Europe; ce n'est ni l'Autriche ni la Prusse sans doute qui tiennent en leurs mains le salut de la civilisation, car cette grande cause, défendue par la France et l'Angleterre, n'est pas de celles qui peuvent périr; comment nier cependant que la coopération de l’Allemagne ne doive simplifier immédiatement la lutte et épargner à l’humanité des sacrifices cruels? Un éloquent publiciste a raconté ici même la conduite de l’Autriche au milieu de ces conjonctures terribles; il a mis en pleine lumière la sagacité, la délicatesse de conscience, enfin la résolution virile avec laquelle le jeune empereur François-Joseph a su concilier à la fois et ses devoirs de reconnaissance vis-à-vis de la Russie et ses devoirs plus impérieux envers son peuple, envers l'Allemagne entière, envers toute la civilisation européenne <ref> Voyez, dans la ''Revue'' du 1er juin 1854, ''l'Autriche dans la question d'Orient'', par M. Eugène Forcade.</ref>. Je ne viens pas répéter ce qui a été si bien dit; il y a mille aspects divers, il y a mille intérêts particuliers dans cette crise immense, et ce n'est pas le succès de notre diplomatie ou de nos armes, c'est l'indépendance des nations allemandes qui m'occupe aujourd'hui. L'alliance de la confédération germanique avec les puissances maritimes marquera une phase nouvelle, a-t-on dit, dans la question d'Orient; je veux montrer qu'elle ouvrira surtout une phase nouvelle dans l'histoire politique de l’Allemagne, je veux prouver qu'elle soustraira enfin une grande nation à un joug trop patiemment subi.▼
▲Le 24 mai et le 20 juillet 1854 resteront des dates mémorables dans
Il y a un point qui m'a toujours frappé chez les maîtres de la science historique en Allemagne. C'est à eux qu'appartient l'honneur d'avoir signalé avec précision, avec cordialité, l'union des races germanique et romane et la part qu'elles ont prise en commun à l’œuvre de la civilisation moderne; d'où vient qu'ils aient obstinément fermé les yeux aux menées souterraines ou aux éclatantes entreprises de l’invasion moscovite? M. Léopold Ranke a contribué plus que personne à mettre en évidence la fraternité de ces races primitivement ennemies, races du nord et races du sud, nations germaniques et nations néo-latines ; il les montre toujours divisées en apparence et toujours unies au fond par les mêmes intérêts, séparées par la guerre et les passions, et travaillant sans relâche à une même œuvre, en sorte que leurs guerres ne semblent autre chose que des guerres intestines, et que de l’antagonisme de ces forces résulte une harmonieuse unité. Cette unité, c'est le merveilleux faisceau des nations occidentales de l’Europe, c'est ce monde libéral et chrétien qui a repoussé avec Charles-Martel l'invasion des Arabes, qui a dompté et transformé avec Charlemagne les dernières hordes germaines, qui a délié chevaleresquement l'islamisme dans le glorieux mouvement des croisades, qui a arrêté et circonscrit l'invasion ottomane pendant une lutte de deux siècles, et qui, assuré désormais de son indépendance, a fondé chez lui cette monarchie tempérée, inconnue à la société orientale comme à l’antiquité païenne, et produit, sous l'égide de la religion la plus spiritualiste qui fut jamais, une civilisation agrandie sans cesse par tous les miracles de la pensée. Tandis que les nations germaniques et romanes accomplissaient ces grandes choses, une autre race, établie dans la partie orientale de l’Europe, s'abstenait de prendre part aux luttes sanglantes ou aux conquêtes morales de nos pères. Une seule fois, au XIIIe et au XIVe siècle, lors de cette irruption des Mongols qui causait de si vives terreurs à la mère de saint Louis, elle rendit quelques services à l’Europe, mais elle avait une existence trop indécise encore pour entrer avec réflexion dans la communauté des peuples occidentaux, et c'est seulement en se défendant elle-même qu'elle protégea la civilisation menacée. Il est trop évident qu'il n'y a pas de comparaison possible entre les Russes du XIIIe siècle et les Francs de Charlemagne. Européenne par sa position géographique, cette race ne manifesta aucune des qualités viriles qui donnent aux peuples modernes une physionomie si distincte; c'était un peuple du nord de l’Asie, avec toute la barbarie de l’Asie et du Nord. Bien loin qu'elle ait pris une part féconde aux travaux de la civilisation, on peut dire que le développement de cette race nouvelle, à mesure qu'elle a grandi, a été comme une dernière invasion de barbares, non pas une invasion naïvement brutale à la façon des hordes germaniques du Ve siècle, mais une invasion d'autant plus redoutable qu'elle faisait des emprunts aux pays civilisés, et que, dissimulant ses desseins avec adresse, elle mettait sans cesse l'astuce au service de la violence.▼
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milieu de ces conjonctures terribles ; il a mis en pleine lumière la sagacité, la délicatesse de conscience, enfin la résolution virile avec laquelle le jeune empereur François-Joseph a su concilier à la fois et ses devoirs de reconnaissance vis-à-vis de la Russie et ses devoirs plus impérieux envers son peuple, envers l’Allemagne entière, envers toute la civilisation européenne <ref> Voyez, dans la ''Revue'' du 1er juin 1854, ''l’Autriche dans la question d’Orient'', par M. Eugène Forcade.</ref>. Je ne viens pas répéter ce qui a été si bien dit ; il y a mille aspects divers, il y a mille intérêts particuliers dans cette crise immense, et ce n’est pas le succès de notre diplomatie ou de nos armes, c’est l’indépendance des nations allemandes qui m’occupe aujourd’hui. L’alliance de la confédération germanique avec les puissances maritimes marquera une phase nouvelle, a-t-on dit, dans la question d’Orient ; je veux montrer qu’elle ouvrira surtout une phase nouvelle dans l’histoire politique de l’Allemagne, je veux prouver qu’elle soustraira enfin une grande nation à un joug trop patiemment subi.
▲Il y a un point qui
C'est depuis un siècle et demi que cette invasion d'un nouveau genre menace la société germanique et romane. Étrange spectacle! il y a huit peuples, - quatre peuples germaniques, les Allemands, les Anglais, les Hollandais, les Scandinaves, et quatre peuples néo-latins, les Français, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, - qui ont formé par un travail de dix siècles ce merveilleux ouvrage qu'on appelle la civilisation occidentale; or au commencement du XVIIe siècle la Russie, arrachée à ces longues ténèbres par le génie d'un homme supérieur, entre tout à coup au sein de ce monde qui s'est constitué sans elle, et bientôt elle a l'ambition d'y régner en maîtresse. Elle arrive dans cette libre société romano-germanique avec ses principes d'autocratie politique et religieuse; c'est le même antagonisme que produisait l'invasion arabe du VIIIe siècle ou l'invasion ottomane du XVe c'est l'introduction en Europe de ce vieil esprit oriental contre lequel toute l'histoire de l’Occident est une protestation triomphante. D'où vient donc, encore une fois, que les peintres les plus dévoués de la société germanique et romane n'aient jamais signalé avec effroi les progrès de l’invasion russe?▼
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Tandis que les nations germaniques et romanes accomplissaient ces grandes choses, une autre race, établie dans la partie orientale de l’Europe, s’abstenait de prendre part aux luttes sanglantes ou aux conquêtes morales de nos pères. Une seule fois, au XIIIe et au XIVe siècle, lors de cette irruption des Mongols qui causait de si vives terreurs à la mère de saint Louis, elle rendit quelques services à l’Europe, mais elle avait une existence trop indécise encore pour entrer avec réflexion dans la communauté des peuples occidentaux, et c’est seulement en se défendant elle-même qu’elle protégea la civilisation menacée. Il est trop évident qu’il n’y a pas de comparaison possible entre les Russes du XIIIe siècle et les Francs de Charlemagne. Européenne par sa position géographique, cette race ne manifesta aucune des qualités viriles qui donnent aux peuples modernes une physionomie si distincte ; c’était un peuple du nord de l’Asie, avec toute la barbarie de l’Asie et du Nord. Bien loin qu’elle ait pris une part féconde aux travaux de la civilisation, on peut dire que le développement de cette race nouvelle, à mesure qu’elle a grandi, a été comme une dernière invasion de barbares, non pas une invasion naïvement brutale à la façon des hordes germaniques du Ve siècle, mais une invasion d’autant plus redoutable qu’elle faisait des emprunts aux pays civilisés, et que, dissimulant ses desseins avec adresse, elle mettait sans cesse l’astuce au service de la violence.
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Lorsque M. Ranke résume en ses pages éloquentes le tableau de la civilisation, il jette à peine un coup d'oeil sur la Russie et se contente de marquer la distance qui la sépare de nous : «L'Amérique, s'écrie-t-il, est comme un prolongement de l’Europe occidentale, et nous sommes plus près en vérité de New-York ou de Lima que de Kiev ou de Smolensk. » M. Schlosser compose une savante histoire du XVIIIe siècle, et dans cette histoire, tracée avec toute la mordante âpreté d'un libéralisme grondeur, il rencontre à chaque pas les armes et la diplomatie des tsars; croyez-vous qu'il montrera l'envahissement continu de la Russie dans les affaires de l’Allemagne? Tout ce qui concerne les Russes est l'objet de son étude attentive, ce seul point excepté. Enfin tout récemment, dans son ''Introduction à l’histoire du dix-neuvième siècle'', M. Gervinus apprécie la part de chacun des peuples occidentaux à l’œuvre de la société européenne, et il indique la marche qu'il faut suivre, à son avis, pour assurer le triomphe de la liberté et du droit; combien de périls à éviter! combien de mauvaises influences à combattre! M. Gervinus les signale avec verve et n'oublie que la Russie. Est-ce aveuglement? est-ce dédain? est-ce confiance dans cet esprit germanique dont la mission providentielle, plus d'un écrivain enthousiaste l'a souvent proclamé, est d'absorber peu à peu les peuples de l’Europe orientale? Je sais bien que cette confiance a longtemps dominé les rapports de l’Allemagne avec les nations slaves, mais il paraît difficile qu'un tel dédain soit de mise à l’heure qu'il est; - déclarons-le nettement, c'est surtout rancune contre la France. Exposés les premiers aux coups de l’ennemi, enveloppés, enlacés à leurs frontières, et même, il faut bien le dire, secrètement envahis chez eux par une diplomatie persévérante, les Allemands sont de tous les peuples de l’Europe celui qui s'aperçoit le moins des mines et des contremines que la Russie a établies déjà au cœur de ses provinces. Pour les empêcher de voir le péril qui grandit sur les bords de la Baltique et du Danube, on leur a persuadé que le grand péril était de l’autre côté du Rhin; pour qu'ils n'eussent pas le loisir de songer aux intérêts présens, on a entretenu avec soin chez ces imaginations débonnaires des haines et des rancunes surannées. Écoutez comme ils réclament l'Alsace et la Lorraine, françaises depuis des siècles par le cœur et l'esprit, tandis que la Livonie, l'Esthonie, la Courlande, toujours allemandes par le langage, par les traditions, par la culture intellectuelle et morale, n'excitent en leurs âmes ni sympathies ni regrets! Voyez comme ils sont dedans pour tout ce qui leur vient du peuple de 89! Et pendant ce temps-là la propagande russe va s'accroissant toujours : ce sont des princesses russes qui portent l'esprit de leur pays dans toutes les cours de l’Allemagne; ce sont des officiers autrichiens ou prussiens qui reçoivent des titres, souvent même des gratifications du tsar; c'est un parti moscovite qui s'organise dans chaque ville; c'est une police infatigable, prise en haut, en bas, au milieu de la société, qui a la double mission de transformer l'Allemagne et d'avertir l'autorité russe; ce sont enfin des journaux considérables, de graves organes de l’opinion, imprimés en Autriche, en Prusse, en Bavière, sur les bords du Rhin, et dont l'inspiration vient chaque matin de Saint-Pétersbourg. Toutes les fois que l'Allemagne ouvre les yeux, elle en pousse un cri d'indignation; mais le plus souvent, hélas! le fantôme de 1813 est là, obsédant son esprit depuis un tiers de siècle, et cette préoccupation irritante du passé lui cache le présent et l'avenir.▼
Lorsque M. Ranke résume en ses pages éloquentes le tableau de la civilisation, il jette à peine un coup d’œil sur la Russie et se contente de marquer la distance qui la sépare de nous : « L’Amérique, s’écrie-t-il,
Voici pourtant plusieurs livres récemment publiés qui dénoncent avec assez de résolution et de netteté ces rapports de la Russie et de l’Allemagne. Au moment où l'Autriche et la Prusse avec elle se décident enfin à arrêter la marche des Russes vers les Balkans, ce réveil de l’opinion mérite d'être signalé avec intérêt. Ici un médecin connu par d'utiles travaux de statistique et d'histoire contemporaine, M. Wilhelm Stricker, étudie les relations de l’Allemagne et de la Russie depuis huit siècles et les influences si diverses qu'elles ont exercées l'une sur l'autre; là, un écrivain qui ne dit pas son nom publie sous ce titre : ''la Russie et le temps présent'', un livre plein de faits, plein de recherches curieuses et aussi impartialement pensé que noblement écrit. M. Wolfgang Menzel, si célèbre naguère par sa haine de la France, a fini par comprendre de quel côté était le véritable ennemi des nations germaniques, et il adresse un éloquent appel à la Prusse pour lui marquer sa place parmi les puissances libérales. D'autres publicistes, en des brochures vraiment patriotiques, celui-ci donnant une ''réponse allemande à la question d'Orient'', celui-là signalant avec chaleur ''le danger de l’Europe orientale'', mêlent leur voix à ce concert de sentimens généreux qui coïncide si bien avec les dernières résolutions de l’Autriche. Et si tant de nobles écrits ne suffisent pas à éclairer la conscience de l’Allemagne, écoutez un des chefs de la jeune école hégélienne. M. Stirner, il y a quelques années, poussait un cri de joie sinistre en songeant à la mort prochaine de l’Allemagne; aujourd'hui M. Bruno Bauer, dans un livre qu'il intitule ''l'Esprit allemand et l'Esprit russe'', appelle et prophétise le nivellement de l’Europe entière sous le joug moscovite, préparation nécessaire, s'écrie le démagogue, au triomphe définitif du socialisme athée. Tous ces ouvrages, il est vrai (je ne parle plus de M. Bruno Bauer), ne répondent pas encore à ce que nous demandions tout à l’heure; nous n'y trouvons que par fragmens ce tableau des relations de l’Allemagne et de la Russie, dont l'étude servirait si bien à dessiller les yeux de nos voisins. Le travail de M. Wilhelm Stricker, spécialement consacré à ce sujet, promet beaucoup plus qu'il ne donne. Réunissons toutefois ces documens épars, complétons ce qui leur manque, et en attendant qu'un des maîtres de la science germanique, en attendant qu'un Léopold Ranke, un Schlosser, un Dahlmann, un Gervinus veuille bien consacrer son talent et ses veilles au débrouillement de cette confuse histoire, essayons de tracer, dans une rapide esquisse, ce que nous n'avons pas craint d'appeler l'invasion moscovite au sein de l’Allemagne.▼
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société, qui a la double mission de transformer l’Allemagne et d’avertir l’autorité russe ; ce sont enfin des journaux considérables, de graves organes de l’opinion, imprimés en Autriche, en Prusse, en Bavière, sur les bords du Rhin, et dont l’inspiration vient chaque matin de Saint-Pétersbourg. Toutes les fois que l’Allemagne ouvre les yeux, elle en pousse un cri d’indignation ; mais le plus souvent, hélas ! le fantôme de 1813 est là, obsédant son esprit depuis un tiers de siècle, et cette préoccupation irritante du passé lui cache le présent et l’avenir.
▲Voici pourtant plusieurs livres récemment publiés qui dénoncent avec assez de résolution et de netteté ces rapports de la Russie et de l’Allemagne. Au moment où
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ce qui leur manque, et en attendant qu’un des maîtres de la science germanique, en attendant qu’un Léopold Ranke, un Schlosser, un Dahlmann, un Gervinus veuille bien consacrer son talent et ses veilles au débrouillement de cette confuse histoire, essayons de tracer, dans une rapide esquisse, ce que nous n’avons pas craint d’appeler l’invasion moscovite au sein de l’Allemagne.
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Les rapports de l’Allemagne et de la Russie datent des premiers temps du moyen âge. Les tribus qui devaient former plus tard la nation russe
C’est donc l’Allemagne qui, instinctivement d’abord et bientôt avec un plan réfléchi et une généreuse ambition, entra dans la Russie pour la civiliser. En 1158, des marchands de Brême, faisant voile vers la Suède, sont jetés sur les côtes de la Livonie ; ils s’y arrêtent, y construisent une ville qu’ils appellent Riga et établissent des relations
C'est donc l'Allemagne qui, instinctivement d'abord et bientôt avec un plan réfléchi et une généreuse ambition, entra dans la Russie pour la civiliser. En 1158, des marchands de Brême, faisant voile vers la Suède, sont jetés sur les côtes de la Livonie; ils s'y arrêtent, y construisent une ville qu'ils appellent Riga et établissent des relations de commerce avec les indigènes au nom de la ligue hanséatique. L'église vient en aide à ces pacifiques conquérans; les héritiers de ces moines irlandais qui, cinq siècles auparavant, avaient porté le christianisme aux Germains, accompagnent les marchands de la hanse chez ces peuplades sauvages. Le premier ecclésiastique de la colonie, un moine augustin nommé Meinhard, élève une église et un couvent et commence la conversion des Livoniens. Dès que ces faits sont connus, l'évêché de Livonie, établi aussitôt par le pape Alexandre III, est confié au courageux moine, et le troisième évêque, Albrecht, institue en 1201, à l'imitation des johannites et des templiers, l'ordre des chevaliers du Christ ou des chevaliers porte-glaives pour la conquête de la Livonie. A la mort d'Albrecht, l'administration du pays passe de l’évêque de Riga aux chefs des chevaliers du Christ. Malgré de longues dissensions intestines entre l'évêque et les chevaliers, le gouvernement de l’ordre fut glorieux, et la Livonie fut bientôt soumise tout entière avec une partie de l’Esthonie et de la Courlande. Pendant deux siècles de lutte contre la Russie, les chevaliers eurent à essuyer parfois de sanglantes défaites, mais ils restèrent toujours maîtres de la ville de Riga ainsi que des pays qu'elle commande, et même dans la terrible insurrection des paysans lettes et esthoniens au XVe siècle, insurrection provoquée et soutenue par les Russes, aucune des forteresses élevées par les Allemands en Livonie ne courut de sérieux dangers. L'époque brillante de l’ordre, c'est le règne de Walther de Plettenberg qui gouverna le pays de 1493 à 1535. Les provinces baltiques formaient alors comme un petit royaume. Walther eut l'ambition de fonder une dynastie ; il ne réussit qu'à se faire nommer prince de l’empire d'Allemagne; mais il était maître en réalité d'un état prospère et puissant, et quand le protestantisme vint recueillir en Livonie et en Courlande l'héritage glorieux des catholiques, l'Allemagne semblait dignement représentée à ces avant-postes de la civilisation contre la barbarie. Malheureusement, tandis que les Russes tenaient toujours les yeux fixés sur la Livonie, l'Esthonie et la Courlande, les Allemands avaient à se défendre contre l'ambition des princes Scandinaves. Le XVIe et le XVIIe siècle sont remplis par des guerres sans fin où la Pologne, le Danemark et la Suède se disputent comme une proie ces provinces baltiques, fécondées par le sang et les sueurs de l’Allemagne. Si les successeurs de Walther de Plettenberg demandent du secours à la mère-patrie, l'empereur leur fait répondre de se mettre sous la protection des Russes. Il y avait longtemps que la Livonie était passée des ducs allemands aux rois de Danemark, et des rois de Danemark aux rois de Suède, lorsque Pierre le Grand, après la victoire de Pultava, en fit une province de son empire.▼
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Cette mission que
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/647]]== il était défendu à tous les agens de la communauté de rien vendre aux Moscovites. Grâce à cette politique hautaine et à cette vigilance de toutes les heures, la ligue hanséatique avait transformé déjà une partie de la Russie occidentale. Novogorod la grande, ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/648]]== fut transportée à Moscou, et les marchandises, les richesses, les papiers de celle grande factorerie de Novogorod, qui avait joué un rôle si considérable dans <center>II</center>
Le gouvernement des chevaliers porte-glaives et les expéditions de la ligue hanséatique sont les épisodes les plus brillans de cette histoire des Allemands en Russie. Ici du moins les hommes ont une mission virile ; ils agissent, ils luttent, ils souffrent pour des intérêts généraux. Soit
On répète toujours que Pierre le Grand conçut le premier la pensée de transformer son empire avec
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/649]]== peuples orientaux, le médecin en Russie était responsable du résultat de ses soins. M. Wilhelm Stricker rapporte la singulière histoire Ainsi, dès le XVe et le XVIe siècle, Moscou était un refuge ouvert, non seulement à ces étrangers plus savans ou plus industrieux qui pouvaient servir la politique des tsars, mais aussi à tous les aventuriers audacieux
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/650]]== caprice, attira bientôt en Russie des intrigans de toute espèce, les uns aussi vils que féroces, les autres rachetant du moins par Parmi les étrangers dont Pierre le Grand appréciait le plus les services, il y avait un Westphalien nommé Ostermann. Fils
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/651]]== un couvent de Moscou, venait Est-ce à dire que les étrangers seront désormais les maîtres ? Les Allemands, représentés ici par Ostermann, et avec eux ces Européens de toutes les contrées qui remplissaient depuis Pierre le Grand les fonctions les plus considérables de l’empire, seront-ils assurés
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/652]]== Catherine Ire ? Non, certes. Anna suit les traditions de Pierre le Grand, Voilà encore
Lorsque Mme de Staël, dans ses ''Dix années
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/653]]== féerique de l’Orient : « Tous ces noms de pays étrangers, Le maréchal de Munich, quelque distance qui le sépare
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/654]]== lui avait déjà frayé la voie, et <center>III</center>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/655]]== femmes dont la beauté pouvait éclipser la sienne, ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/656]]== fils de Pierre le Grand, le cousin de Pierre II, qui avait, succédé à Catherine, et le neveu de la tsarine Elisabeth ; mais il était en même temps par son père le neveu du roi de Suède Charles XII, il était avant tout prince de l’empire Le règne de Pierre III, si étrangement défiguré par tous les courtisans de Catherine II, qui rivalisaient de bassesse en calomniant sa victime, est certainement une des périodes les plus intéressantes et les plus nobles de l’histoire de Russie.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/657]]== les deux époux, se jetant dans les bras <center>IV</center>
La grande habileté de Catherine II fut
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/658]]== seuls son trône, et ses amans même étaient choisis parmi cette aristocratie nationale. Les Orlof, les Teplof, les Potemkin, les Suvarof, les Rumjankof, occupaient les postes supérieurs de l’armée et de l’administration civile. Catherine cependant savait bien que ses fonctionnaires allemands étaient ceux qui rendraient le plus de services à l’état : les Orlof étaient environnés de lieutenans étrangers qui menaient à bien les projets de l’impératrice sans leur enlever ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/659]]== contre la Pologne, à côté de Tolstoï, un des descendons ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/660]]== a mis fin à tout cela. Il y a certes, à On voit dans
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Le seul point où
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/661]]== l’on cherche Catherine II à peine montée sur le trône avait, par un manifeste célèbre, dispensé du service militaire tous les colons allemands qui viendraient
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/662]]== Reinhold Forster, de visiter les colonies allemandes du Volga. Forster partit accompagné de son fils, et après avoir vu tout ce qui manquait à ces braves gens, il écrivit un mémoire Presque tous les voyageurs allemands en Russie ont donné de touchans tableaux de ces colonies du Volga. Le publiciste Erdmann, qui les visita en 1815 après un séjour de cinq années chez les Russes, décrit en nobles termes les émotions dont il fut agité quand il retrouva sur les bords du Volga les mœurs et la langue de l’Allemagne. « Je me croyais, dit-il, transporté par un pouvoir magique au sein même de ma patrie. Ni
Les colonies du Dnieper ont aussi une physionomie pleine
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/663]]== dans plusieurs contrées de l’Europe du nord une sorte de méthodisme rigide et laborieux, quelque chose Les mennonites ne sont pas la seule secte religieuse qui ait fourni des colons allemands aux contrées
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/664]]== prétend Les contrées de la Mer-Noire et de la Mer-Caspienne, la Bessarabie, la Crimée et les steppes que domine le Caucase ont aussi de nombreuses colonies allemandes. Dans la Bessarabie et la Crimée, ce sont des colonies luthériennes et catholiques en nombre à peu près égal et venues presque toutes du Wurtemberg ; dans les plaines du Caucase, ce sont surtout des mennonites prussiens. Le régime auquel sont soumis les colons est beaucoup plus doux que celui des Russes ; ils ont conservé la plupart des franchises au moyen desquelles on les attira jadis dans ces contrées inhospitalières, et bien que le comité des colonies établi à Odessa soit présidé par un général russe qui ne sait pas un mot
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/665]]== et pareils en cela aux disciples de Mennon et de Hutter, ce On comprend que la Russie soit indulgente à ces populations inoffensives qui vont défricher ses déserts et civiliser ses Tartares ; elle est moins favorable aux luthériens des villes, surtout dans les provinces baltiques, où tout ce qui reste de l’esprit allemand est
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/666]]== semblait investi ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/667]]== contre les séductions du culte grec est frappé de peines sévères ; Cette guerre aux traditions de l’Allemagne se poursuit sur tous les points avec une persévérance infatigable.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/668]]== faits. De récens décrets exigent que la langue russe soit la langue officielle des universités. Les étudians qui ne savent pas le russe ne sont pas admis sur les listes. Un des résultats de ce système se fait déjà sentir : habitués à un idiome tout différent, professeurs et étudians sont obligés de donner toute leur attention à la langue, les uns pour ne pas commettre de trop ridicules incorrections, les autres pour saisir une pensée ou un fait au milieu de ces pénibles efforts. Que devient la science pendant ce temps-là ? La science languit, Il y avait aussi à Mitau un établissement scientifique, le ''gymnasium illustre'', où fleurissaient les lettres et les sciences de l’Allemagne (Kant y fut appelé comme professeur de logique) ; le parti russe, dit M. Stricker, vient de planter le coin au cœur de l’arbre ; le ''gymnasium illustre'' a perdu son titre pour devenir un gymnase du gouvernement, et les directeurs
==[[Page:Revue C’était encore Voilà donc le terme de cette histoire ; la Russie attire à elle les ressources et les hommes de l’Allemagne, et après avoir absorbé tous ces élémens, elle est occupée en ce moment même à en détruire les derniers vestiges. Un voyageur célèbre, M. Koch, qui a très bien décrit les progrès de l’esprit russe en Esthonie, en Livonie et en Courlande,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/670]]== rôle de dupe. Souhaitez que la Russie soit enfin réduite à elle-même ! Puisque Ligne 94 ⟶ 156 :
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Lorsque Rabelais, dans son ''Pantagruel'', parle des sauvages perdus aux confins du monde habitable, il cite toujours les Moscovites, et Louis XIV, en 1668, ayant reçu une ambassade du tsar, Voltaire raconte que «
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/671]]== russe Grégorius ne tarit pas Le XVIIe siècle est rempli en Russie par des bouleversemens intérieurs, des usurpations, un changement de dynastie, de longues guerres avec les Tartares, et surtout avec les Polonais, qui entrèrent vainqueurs à Moscou et furent sur le point de soumettre tout
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/672]]== pour le représenter en Allemagne. Toutes les villes de la côte, Dantzig, Riga, bien Les empereurs de Russie, en des temps plus rapprochés de nous, sauront pénétrer au sein de l’Allemagne avec un mélange de dissimulation insinuante et
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/673]]== Catherine, la seconde femme de Pierre) prit ce refus pour une offense personnelle, et traita toutes les princesses de la cour avec une insolente hauteur. Si Cette tradition du tsar Pierre fut recueillie fidèlement ;
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/674]]== ans plus tard la tsarine Elisabeth leur rendait leurs grades et leurs fonctions dans Ce ne sont ! à, dira-t-on, que des incidens isolés ; ce sont des symptômes terribles, et dont
<center>II</center>
Il y a surtout trois guerres fatales : la guerre de sept ans, la guerre de Pologne, la guerre de la succession de Bavière, qui ont fourni à Elisabeth et à Catherine II, au-delà même de leurs espérances,
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Mais Frédéric a-t-il toujours servi aussi efficacement la cause de l’Allemagne contre la Russie ? Il y a dans sa vie une œuvre fatale qui se rattache précisément à cette histoire. Le jour où Catherine II signa avec la Prusse et
La guerre de sept ans avait fourni aux Russes une première occasion ; la guerre de Turquie, suivie du démembrement de la Pologne, avait donné une des clés de l’empire à Catherine II à l’heure même où
La guerre de sept ans avait fourni aux Russes une première occasion; la guerre de Turquie, suivie du démembrement de la Pologne, avait donné une des clés de l’empire à Catherine II à l’heure même où elle y pensait le moins; ce sera bien pis encore dans la guerre de la succession de Bavière. Catherine va mettre à profit la situation qu'on lui a faite. Voici le gouvernement de Saint-Pétersbourg investi désormais d'un protectorat sur l'Allemagne, et deux rois diversement illustres, Frédéric le Grand et Joseph II, seront tour à tour ses cliens. Quel spectacle de voir le hardi capitaine de Lissa et de Liegnitz appeler la Russie aux armes contre l'Autriche! et si l'on regarde au fond des choses, quelle honte que ce traité de Teschen dont la Prusse se montra si joyeuse! L'Autriche recule, la Prusse avance, mais pouvait-on ne pas voir quel était le vrai triomphateur? Les diplomates russes jouaient déjà le premier rôle à Teschen, comme trente ans plus tard Alexandre et ses ministres au congrès de Vienne. L'art. 10 de ce traité contient cette phrase expressive : «Catherine II se porte garante de la constitution germanique et du traité de Westphalie. » Que de chemin parcouru depuis l'heure où Ivan IV décrétait pour ainsi dire la fraternité des fils d'Hermann et des fils de Rurik! La diplomatie vient de prononcer le mot fatal qui pèsera longtemps sur les destinées de l’Allemagne; le protectorat moscovite est officiellement proclamé! Ce protectorat est si manifeste, que Joseph II en 1781, deux ans après le traité de Teschen, va trouver Catherine II en Russie, et s'efforce de la détacher de l’alliance prussienne. Ces compétitions indignes révolteront-elles enfin l'orgueil national de Frédéric? Non; le grand homme semble enchaîné par la politique dont il a le premier donné l'exemple; il envoie son représentant à Saint-Pétersbourg pour disputer à l’empereur les bonnes grâces de la tsarine et de Potemkin. Et savez-vous quel ambassadeur il a choisi pour cette mission? Son propre neveu, celui qui le remplacera sur le trône, le prince royal Frédéric-Guillaume. C'en est fait, la tradition est établie : ''C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière''..... Les flatteries de Voltaire à Catherine II sont désormais la seule épigraphe qui convienne à l’histoire des royautés allemandes.▼
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<center>III</center>
Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/677]]== inspiré cette solennelle hypocrisie, Catherine avait suivi, pour marcher au même but, une voie toute différente. On cite toujours les écrivains français quand il est question des cliens de Catherine II en Europe ; ce sont en effet les plus spirituels, hélas ! et les plus illustres. Disons-le cependant, quelque dégoût que puissent inspirer les flagorneries adressées par Voltaire et Diderot aux meurtriers de la Pologne, il y a là plus de légèreté que de bassesse. Sans parler ici
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/678]]== son sérail à l’endroit même où se levaient les jeunes dieux ::Bientôt de Galitzin la vigilante audace
Ligne 125 ⟶ 202 :
::Au lieu même où naquit le fier dieu de la Thrace.
::O Minerve du Nord, ô toi, sœur
::Tu vengeras la Grèce en chassant ces infâmes,
::Ces ennemis des arts et ces geôliers des femmes !
::Je pars, je vais
Ces vers que Voltaire écrit à Catherine II en 1769, à l’occasion de la prise de Choczim par les Russes, il les renouvellera sous maintes formes, tantôt montrant le sérail qui
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/679]]== français, par les flatteries et les lettres de Catherine. Parmi les hommes qui conduisirent, entre Lessing et Goethe, le mouvement des esprits, il y a certes une place brillante pour Zimmermann. Zimmermann était
::Tandis que Moustapha, caché dans son palais,
::Bâille,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/680]]== la Russie, Rulhières est le seul peut-être qui <center>IV</center>
La première comédie russe, la comédie du patronage philosophique, dura environ un quart de siècle. La révolution française éclate, et tout change aussitôt. Catherine
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/681]]== depuis vingt ans au plus humiliant esclavage, Paul Ier, dès le début de son règne, est On sait avec quelle espèce de majesté pontificale les deux fils de Paul Ier ont pris ce rôle de défenseurs de l’ordre dans les grandes crises européennes ; Paul Ier
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/682]]== nourrie ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/683]]== boulevard de la société romano-germanique contre les entreprises du Nord. Alliée à la Russie, la Prusse sera réduite, comme Alexandre est décidément le grand protecteur de l’Allemagne, et de 1806 à 1815 il est facile de voir quel est le sens du titre
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/684]]== alliance par lequel le roi protestant et <center>V</center>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/685]]== de la pensée allemande éclatait à chaque page de ce pamphlet. « La campagne de Russie, disait M. de Stourdza, aura été un moyen entre les mains de la Providence pour conduire le genre humain à la vraie religion sous Quel enseignement dans le crime du 23 mars 1819 ! Kotzebue et Charles Sand sont les deux héritiers de ce violent baron de Stein qui, pour venger
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/686]]== un tribunal d’inquisition politique. <center>VI</center>
On pense bien que la révolution de 1830 aurait fourni à la Russie de spécieux prétextes pour resserrer la trame du réseau sous lequel elle tenait
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/687]]== réalité visible à tous les yeux ; le tsar moscovite était le maître de l’Allemagne ! » Ce serait un curieux commentaire de ce voyage que le tableau complet des alliances de famille à l’aide desquelles la diplomatie russe a établi, depuis trente ans surtout, le vasselage des cours allemandes. Lorsque Catherine II cherchait des princesses en Allemagne pour les donner en mariage à son fils Paul et à son petit-fils Alexandre, elle laissait éclater insolemment la conscience de sa force. Ici,
Regardez-y de près cependant : si ces mariages qui jouent un si grand rôle dans la politique russe ne sont plus négociés avec la dureté hautaine de Catherine II ils sont encore, on va le voir, la source de bien des hontes, et les publicistes
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/688]]== article ; la règle est inflexible. Au contraire, la princesse russe qui épouse un prince allemand porte avec elle en Allemagne sa religion et son culte. Une chapelle grecque sera établie dans son palais : Ces mésalliances, auxquelles la famille impériale de Russie veut bien condescendre avec bonté, se multiplient singulièrement depuis un quart de siècle. Le tsar Nicolas est le premier, depuis Pierre le Grand, qui ait eu une famille nombreuse ; en remontant plus haut encore, on ne trouverait pas un autre exemple
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/689]]== refusa de donner sa sœur Amélie au grand-duc héritier de Russie, « considérant, disait-il, comme un déshonneur pour Le tsar Alexandre avait été marié par sa
La Hesse électorale et la Hesse grand-ducale ne sont pas moins liées que le Wurtemberg à la famille impériale de Russie. Dans la Hesse grand-ducale, la sœur du grand-duc Louis III, la princesse
La Hesse électorale et la Hesse grand-ducale ne sont pas moins liées que le Wurtemberg à la famille impériale de Russie. Dans la Hesse grand-ducale, la sœur du grand-duc Louis III, la princesse Marie, a épousé, le 28 avril 1841, le grand-duc héritier de Russie, Alexandre Nicolaévitch, et son frère, le prince Alexandre, major-général au service de la Russie et de la Hesse, est chef du régiment russe des Borissoglebski. Dans la Hesse électorale, un cousin du grand-duc, le prince Frédéric, a épousé, le 28 janvier 1844, la grande-duchesse Alexandra, fille du tsar; il est chef du régiment russe de Mariapolsk. Un de ses oncles, le prince Emile, est propriétaire du régiment russe des dragons de Khasan. Enfin la ligne collatérale de Hesse-Philippsthal-Barchfeld nous montre un frère du landgrave Charles, le prince Ernest, général de cavalerie en retraite au service de la Russie. Dans le duché de Nassau, c'est le duc Adolphe, aujourd'hui régnant, qui a épousé, le 21 janvier 1844, Elisabeth Michailovna, fille du grand-duc Michel et nièce du tsar. A Oldenbourg, nous avons vu qu'un prince oncle du grand-duc actuel avait épousé Catherine Paulovna, sœur des tsars Alexandre et Nicolas, et devenue par un second mariage reine de Wurtemberg. Ce prince d'Oldenbourg et Catherine Paulovna avaient eu un fils, le prince Pierre, général d'infanterie au service de Russie, président du sénat, directeur des affaires civiles et ecclésiastiques, investi par un ukase du titre d'altesse impériale; le prince Pierre a pour femme une sœur du duc régnant de Nassau, et tous leurs enfans portent des noms empruntés à la dynastie russe : les fils s'appellent Nicolas et Constantin, les filles Alexandra et Olga. Enfin récemment, le 11 septembre 1848, la princesse Alexandra, aujourd'hui grande-duchesse Josefovna, fille du duc de Saxe-Altenbourg, épousait le grand-duc Constantin Nicolaévitch, et la fille du grand-duc Michel de Russie, la grande-duchesse Catherine, épousait le 16 février 1851 le duc de Mecklenbourg-Strélitz. Consultez l’''Almanach de Gotha'', vous verrez partout l'influence russe représentée auprès des cours souveraines et des familles médiatisées, et quand ce ne sont pas des mariages, que de princes, que de ducs et d'archiducs attachés à l’armée moscovite par des emplois et des dignités militaires! Que de propriétaires de régimens, que de colonels de dragons et d'uhlans russes parmi cette noblesse orgueilleuse qui entoure les souverains d'Allemagne! J'ai dit que ni la Bavière, ni la Saxe, ni l'Autriche n'ont fourni de mariages à la famille du tsar ; la religion catholique s'y opposait; mais rien n'empêche en Saxe le prince Albert de posséder un régiment de chasseurs moscovites, rien n'empêche en Autriche l'archiduc Albert, l'archiduc Charles-Ferdinand et l'archiduc Léopold de commander au nom du tsar les uhlans de Belgorod et les uhlans de l’Ukraine; le père même de l’empereur, l'archiduc François-Charles, est colonel d'un régiment, de grenadiers russes! Lorsqu'on pense à tous ces liens si habilement entrelacés, lorsqu'on voit à Vienne, sur les marches mêmes du trône, cette brillante aristocratie que la déférence, la longue habitude et je ne sais quelle vanité féodale rendent si propice aux vœux de Saint-Pétersbourg, on ne songe plus à accuser les lenteurs de l’Autriche, on admire plutôt la loyale et persévérante résolution du jeune empereur François-Joseph.▼
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que la déférence, la longue habitude et je ne sais quelle vanité féodale rendent si propice aux vœux de Saint-Pétersbourg, on ne songe plus à accuser les lenteurs de l’Autriche, on admire plutôt la loyale et persévérante résolution du jeune empereur François-Joseph.
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Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/692]]== circonspecte ; pouvait-on lui imputer à crime des renseignemens historiques, des appréciations de faits où la puissance incontestable de la Russie occupait la place qui lui appartient ? En maintes rencontres, il faut Riche de tant de ressources, assurée de si nombreux auxiliaires en Allemagne, la Russie
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/693]]== entre les états de la confédération. Ce sont ensuite des menaces, menaces paternelles toutefois, avertissemens faits <center>Conclusion</center>
Il était bien temps que
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/694]]== les souffrances des chrétiens de Bosnie et se prêter à toutes les manœuvres de la diplomatie de Saint-Pétersbourg ; le ''Journal français de Francfort'' et la ''Gazette de la Croix'' peuvent persister à voir dans le tsar Il est surtout un point qui me semble digne
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/695]]== du conquérant, les peuples germaniques Si
L’argumentation de M. Bruno Bauer, noyée dans un torrent de divagations socialistes, se réduit à ces deux points : — toutes les aristocraties ont été détruites dans le monde ; il n’en reste plus qu’une
L'argumentation de M. Bruno Bauer, noyée dans un torrent de divagations socialistes, se réduit à ces deux points : - toutes les aristocraties ont été détruites dans le monde; il n'en reste plus qu'une seule, l'aristocratie des nations. La France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, sont des personnes aristocratiques dont l'existence oppose un dernier obstacle à l'établissement du règne de l’avenir. Ce règne de l’avenir, c'est la liberté illimitée de l’individu telle qu'elle a été conçue par les ''jeunes hégéliens''; avec les perfectionnement de MM. Feuerbach et Stirner; liberté, non pas du genre humain, mais de l’homme, de la monade ; liberté complète qui nous affranchit non-seulement de l’autorité sociale, mais de l’idée de Dieu, de l’idée de la patrie, de tout ce qui gêne la plénitude de notre action, de tout ce qui place au-dessus de notre tête une loi, un devoir, et nous oblige par conséquent à un certain sacrifice de nous-mêmes. Il faut donc que cette dernière aristocratie disparaisse comme les autres. Quel est le pouvoir assez fort, dans l'état actuel du monde, pour passer le niveau sur les nations? Il n'y en a qu'un, c'est la Russie. M. Bruno Bauer ne fait pas de vœux pour le triomphe de la Russie; à ses yeux, ce triomphe est certain; il lui suffit d'en expliquer la nécessité et d'en glorifier les conséquences. Ecoutons l'autre raisonnement du démagogue. - Les socialistes, et surtout les socialistes athées de l’école allemande, sont dans la même situation que les premiers chrétiens. Dépositaires des idées qui devaient transformer le monde, les disciples de Jésus s'inquiétaient peu des derniers partis de la république romaine. Que leur importaient les espérances ou les regrets attachés au souvenir d'un Pompée, d'un Brutus, d'un Caton d'Utque? A ces ardentes compétitions du pouvoir qui troublaient les vaines pensées des hommes et tenaient l'Europe et l'Asie en suspens, ils préféraient le despotisme des empereurs, et avec lui l'universel silence. Le silence, voilà ce qu'il fallait aux chrétiens des premiers siècles. Délivrées de l’obsession des vieux partis, rentrées en possession d'elles-mêmes, les âmes purent recueillir alors et laisser fructifier sans obstacle les semences de la vérité nouvelle. « Et nous aussi, dit M. Bruno Bauer, que nous importent les constitutions politiques? Meurent les peuples, meurent les parlemens, meurent ces prétentions et ces partis qui empêchent les hommes de développer au fond de leur conscience, les germes de la liberté future ! Qu'un silence ininterrompu succède au bruit importun des tribunes. C'est à la faveur de ce silence bienfaisant que les vérités socialistes grandiront dans les esprits les plus rebelles, et que le monde nouveau sortira de terre. » Comment sortira ce monde nouveau? M. Bruno Bauer ne le dit pas. Sera-ce par une insurrection universelle? sera-ce par l'apparition du labarum et la conversion de Constantin? Le prophète a oublié ce point important: mais cette étrange assimilation des ''jeunes hégéliens'' aux premiers disciples du Christ n'abusera personne, et il est bien évident que M. Bruno Bauer ne veut le triomphe du despotisme russe qu'afin de déchaîner plus sûrement les violences de la démagogie. Liberté, droits des peuples, civilisation, lançons tout à l’abîme, et puisque cette civilisation se défend si bien, implorons, comme une suprême ressource, le nivellement de l’Europe sous la verge des tsars! Tel est le sens de ce pamphlet.▼
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civilisation, lançons tout à l’abîme, et puisque cette civilisation se défend si bien, implorons, comme une suprême ressource, le nivellement de l’Europe sous la verge des tsars ! Tel est le sens de ce pamphlet.
Eli bien ! il y a là de précieuses vérités à recueillir. Ce livre assurément est le fruit
SAINT-RENE TAILLANDIER.
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