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{{journal|Les Soldats|[[J. Autran]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.5, 1854}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/761]]==
<center>Première partie</center>
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<poem>
Endurcis à la marche et légers de bagages,
Au retour
Un jour, trois fantassins du même régiment
Par un triste pays cheminaient bravement
Rappelés au drapeau de la France héroïque,
Ils devaient, avant peu,
Une étroite amitié, qui datait du berceau,
Les unit de tout temps.
Était un compagnon à mine haute et fière,
Un beau jeune homme, ardent à toute œuvre guerrière,
Cœur de flamme en un corps de granit ou
Un de ces héritiers de la gaîté gauloise
Qui, du plus dur métier sachant se faire un jeu,
Sous les pesans fardeaux, sous les soleils de feu,
Marchent allègrement, qui sèment à la ronde
Qui passent dans la mort comme
En chantant leur chanson ; il avait nom Muller.
Enfin Pierre Cléry,
Jouvenceau frêle et blond, semblait la candeur même.
Aux propos de Muller, à ses plus joyeux traits,
Il répondait souvent par des regards distraits.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/762]]==
<poem>
Silencieux parfois durant une heure entière,
On eût dit
Ses vaillans compagnons ne
Enfant digne, à leurs yeux, de tendresse et de soins,
Car, mis sur le terrain que le canon laboure,
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De sommets en vallons, de plaines en ravines,
Ils étaient parvenus dans de sombres collines
Où ne
Là, croyant retrancher aux longueurs du chemin,
Le trio
Pour vouloir abréger sa route, on se fourvoie.
Comment
Des rocs
Chênes et pins, montraient un fouillis ténébreux ;
Les estomacs à jeun dès longtemps sonnaient creux ;
Pour achever la fête, un aigre vent de glace,
Une bise
Et la neige sur eux commençait à pleuvoir.
Je crains bien
Comme dit Salomon, le philosophe grec.
Pour moi,
Dont il reste un morceau, je crois, dans ma sacoche.
De quelque enchantement,
Où nous serons reçus comme des demi-dieux.
Cléry,
Comme il trompait ainsi la faim mal étouffée,
Les sons inattendus
Fraîche et vive chanson, qui ravissait
Dans ce morne désert véritable merveille
Attentifs, suspendus aux accords enchantés,
Dans un songe tous trois se crurent transportés.
Avançons ;
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/763]]==
<poem>
<center>II</center>
Et, pénétrant alors dans les sombres taillis.
Ils virent, près
Svelte et blonde, une fille au vêtement agreste,
Une rare beauté,
Qui nouait son fagot, et, par ce rude temps,
Fredonnait sa chanson de fauvette au printemps.
Fit Rousseau. N’allons point agir à la légère !
Et les trois compagnons
Elle les aperçut, et ne
Muller, prenant alors une pose ingénue :
Dit-il, si nous touchons à Saint-Denis-des-Bois,
Où nous comptions, ce soir, nous remiser tous trois ?
Pour
Nous campions cette nuit, à la grâce de Dieu !
Reprend la jeune fille au souriant visage
On ne vous offre, hélas ! ni fortuné séjour,
Ni repas copieux ; mais si le pain du jour,
Si la place au foyer dans une maison close,
Si le lit un peu dur où pourtant on repose,
Vous semblent, cette nuit, un lot plus gracieux
Vous
Et, posant sur sa tête
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Sans se faire prier, suivent ses pieds mignons.
Légère, elle passait, elle y plongeait sans crainte
Comme un daim familier aux plus secrets détours,
Rasant le sol à peine, elle avançait toujours.
Et le trio
Jusques au bout du monde il eût suivi sa trace.
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Vers les confins du bois, une étroite maison
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/764]]==
<poem>
Un jardin précédait la modeste demeure,
Pauvre jardin frileux, blanc de neige à cette heure.
La course vint finir au seuil de ce logis.
Ouvrant la vieille porte avec ses doigts rougis :
Venez ; que je vous conte une heureuse aventure !
Je vous amène ici des gens inattendus,
Trois soldais voyageurs, qui, dans le bois perdus,
Auraient passé la nuit sans retrouver la route,
Et dont le moins robuste eût bien souffert sans doute.
Si je
Aperçurent un homme aux traits de patriarche,
Il sortait
Redressant tout à coup sa tête blanche et nue,
Il prenait un aspect de sévère tenue.
Puis, leur tendant les mains, il
Ce sont autant
Chez un ''vieux de la vieille'' ils apportent la joie.
Allons, ma Jacqueline, alerte, chère enfant
Il
Mets au foyer ton bois, fais-le flamber, ma biche
Du pain tout frais, des œufs, un quartier de jambon,
Du bœuf, des noix, un vin qui peut passer pour bon !
De quoi faire un festin
Vrais, en attendant que
Vous me direz vos
Je fus le brigadier Hilarion Maillard :
Vous voyez un débris de
Parmi les cuirassiers,
Nous en recauserons. Au foyer placez-vous.
Quand il pleut au dehors, et
Et de sentir
Jamais sultan
Ne parut, en effet, plus heureux que Muller.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/765]]==
<poem>
Émerveillé, béant, telle était son extase
Ses Frères en fortune, assis à ses côtés,
Promenaient autour
La salle où les reçut leur hôte militaire
Sans doute apparaissait moins riante
Des murs blanchis de chaux, deux fauteuils de cuir noir,
Une table, un bahut de chêne, un court miroir,
Un rouet dans le coin,
Quatre pauvres dessins des plus grandes batailles.
Sur tout cela pourtant un luxe aux yeux sourit :
Luxe de propreté que le soldat chérit
Les lares souverains,
Éternel souvenir de gloire et de terreur :
Vous, dieu des vétérans ! vous, puissant Empereur !
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Jacqueline, qui rôde au travail empressée,
Tous les flacons sont pleins, tous les plats sont sortis ;
On
Disait Millier, le front toujours dans
Et
Simple et noble tableau ! douce et touchante image !
Un vieillard, saint débris des fameux régimens,
Sa fille auprès de lui, jeune ange aux traits charmans
Et, promenant du père à la fille leur vue,
Trois soldats éblouis de gloire et de beauté,
Trois vrais amis buvant à
Le bien-être et le vin mettaient en jeu les langues.
Combien de beaux récits,
Que
Chacun des jeunes gens veut dire aussi le sien.
Matière à composer plus de trente épopées
Graves réflexions, de rire entrecoupées !
Un fait qui de tout temps a frappé mes
Puis sa langue
Et le pauvre Muller, qui cherche vainement,
Tout interdit, en reste à son commencement.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/766]]==
<poem>
Est-il à cette table un ennui qui persiste !
Seul convive dont l’œil fût encor moitié triste,
À l’entrain général Cléry prit enfin part.
Sur sa fraîche voisine attachant un regard :
Une de ces chansons que,
Au bord de la forêt, vous fredonniez ce soir.
Rougissante à ce motn et plus charmante à voir,
Elle semblait de
Et de ce doux gosier, digne
La chanson que voici prit aussitôt son vol :
Le long de nos maigres sillons ?
De la plus verte des collines.
Je viens du pays adoré
Qui nourrit mon enfance heureuse,
Du village où mon amoureuse
Où vas-tu, passant qui voyages
Au soleil je vais voir briller
Casques et lances glorieuses,
Et, dans les luttes furieuses,
Les bataillons
Qui loin de nous
Ce qui, morbleu ! vaut bien un grade.
Il faut demain
Mon rataplan fasse merveille,
Que la victoire se réveille
Au roulement de mon tambour !
Ainsi chantait la belle, et
Couronnait de bravos sa ballade guerrière.
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<center>V</center>
Le repas terminé,
On traîne les fauteuils renforcés
On allume au tison les pipes, on
Millier semble un chanoine assoupi dans sa stalle. -
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/767]]==
<poem>
Dans ce premier silence, on entendit alors
La rafale
On vit de blancs frimas la campagne couverte
La bise faisait rage, et, dans
Les chênes agités se lamentaient entre eux.
Dieu sait, à nous anciens, ce
Dois-je vous la conter, cette lugubre histoire
Que ne réjouit plus aucun nom de victoire ?
Tant de beaux régimens, tant
Qui dans le monde entier
Tous laissés dans la neige aux deux bords de la route !
Par le sort, par le ciel, nous nous sentions trahis.
Rapproché de
Le nôtre est un printemps ! Dans ces plaines sauvages,
Pour surcroît de malheur, ni vivres, ni fourrages.
De débris seulement les champs étaient semés.
Soldats et généraux
Les pieds nus, en haillons, squelettes noirs de
Et traînant après eux,
Des monceaux de butin, un immense trésor.
Pour manger du cheval nous avions des plats
Le soir, on
Nous
Et ceux qui
On allumait des feux ; croyant fuir le trépas,
Les hommes tout autour
Pêle-mêle, soldats devant les capitaines,
Le plus faible toujours foulé par le plus
Le lendemain matin, tout le cercle était mort !
Au bas des vêtemens la flamme
Raidis étaient les corps par la cruelle bise ;
Aucun
Il ne restait plus rien
Ou des mourans debout qui brûlaient immobiles !
On a beau
Cette histoire est toujours nouvelle et plus affreuse !
Le vétéran reprit la trace désastreuse :
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/768]]==
<poem>
Il fut abandonné, la neige pour linceul.
J6 vis derrière nous une mère éperdue,
Avec son enfant mort, voulant rester perdue.
Comment à ce tableau
Continuait Maillard. Là, Kutusoff nous presse,
Coupe nos rangs, chargés
La lance
Mon cheval ; aussitôt nos traînards avec joie
Se jettent sur son corps pour en faire leur proie.
Je veux le protéger, je suis seul contre vingt ;
Au nom de la pitié, je les supplie en vain.
Pour ce cher animal quelle triste aventure !
Les barbares ! oser
Déchirer sous mes yeux, dévorer par lambeaux
Un cheval qui naguère était un des plus beaux !
Estimé de quiconque avait pu le connaître,
Si bon, si caressant, si soumis à son maître,
De rares qualités enfin si bien pourvu.
Que jamais son pareil, mes amis, ne
Non, je
Avaient plongé leurs mains dans mes propres entrailles !
Pourquoi qualifier ainsi la pauvre bête
Avec un pareil nom, qui fait naître la faim.
Elle ne pouvait guère avoir une autre fin.
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Une chambre du haut, avec soin préparée,
Reçut les compagnons plus heureux que des rois,
Et fort émerveillés
Avant de
Des délices du lieu, du patron de la case.
Jacqueline est surtout
Disait Muller ; quels yeux ! brillans comme une lame !
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/769]]==
<poem>
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Le lendemain venu, bourrasque redoublée.
La neige était partout, épaisse, amoncelée
Impossible au dehors de faire quatre pas.
Je ne veux pas vous voir sur la neige durcie
Trébucher en sortant, comme nous en Russie.
Il
Si vous vous trouvez mal ici,
Je vous tiens prisonniers
Devienne praticable ; alors je vous renvoie.
Séduits, au doux foyer du paternel vieillard
Ils passèrent le jour, sans songer au départ.
Les jeunes voyageurs, le brigadier, sa fille,
Semblaient ne plus former
Inconnus de la veille, amis le lendemain.
Amitié des soldats, tu vas vite en chemin !
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De son cher ''brûle-gueule'' aspirant la saveur,
Le brigadier pourtant avait le front rêveur.
Un soupir
Au fossé que chacun ne franchit qu’une fois
Je cours, je cours malgré cette jambe de bois.
Tranquille et sans regrets, je quitterais la terre,
Si je
Joint aux fruits de mon champ, qui donne un peu de blé,
Mon traitement chétif de soldat mutilé
Jusques au bout de
Mais, hélas !
Quand je ne serai plus, que pourra devenir
La fille de mon cœur ? Dieu veuille la bénir !
Dans trois ans révolus mon service prend terme ;
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/770]]==
<poem>
Si Dieu garde mes jours, libre enfin, je viendrai
Vous demander ici la femme de mon gré.
Dans trois ans, comme toi,
Et je prétends venir solliciter aussi
La main de la beauté que Dieu fit naître ici.
Il sied, à tous égards,
Ait plus
Pour
Ce
Pouvait encor jeter son cœur dans la balance.
Mais ce cher compagnon,
Quiconque eût, à ce mot, observé Jacqueline
Aurait vu sur son front, beau de pâleur divine,
Passer je ne sais quoi
Voyons ! que tout ennui maintenant se dissipe !
Vous la verrez épouse, et ferez, vert encore,
Danser douze marmots, tous plus beaux que
Autour de deux flacons, la troupe émerveillée
Le jour
Allez où le devoir, où
Que
Volontiers avec vous
Je
Cette Afrique où
Songent si dignement la gloire des aïeux !
On reste dans son coin, hélas ! quand on est
Là-dessus, échangeant une étreinte dernière,
Les soldats pèlerins reprirent leur carrière,
Et longtemps Jacqueline au seuil de la maison
Demeura, les suivant de
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/771]]==
<poem>
<center>Deuxième partie</center>
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<center>I</center>
Un jour
Maillard et Jacqueline étaient assis vers
Dont les pales vieillards, pour un sang refroidi,
Attendent un rayon bien faisant,
Un riant paysage entourait la chaumière.
De quoi se faire un nid ; fauvettes et pinsons
Gazouillaient à qui mieux ; de la foret voisine
Il venait des parfums de sève et de résine.
Rose et blanc, renaissait le splendide amandier.
Les fleurs même, les fleurs du pauvre brigadier,
Luxe
Se dressaient, de couleurs et
Tout
Lui seul se sentait pris
Murmurait ce débris de
En vain je reste assis, je suis toujours plus las.
Avoir été si fort, être si faible !
Hélas ! contre le temps, ce traître aux armes sures,
Que peut un triste corps tout criblé de blessures
Mon tour vient à la fin ; je vais rejoindre ceux
Qui, sur tous les chemins parcourus par nos aigles,
La face à
La gloire, nous dit-on, à leur dernier instant
Leur sourit. Souris-moi, cela vaut bien autant !
Seule au monde, sans vous, que pourrait l’orpheline ?
Au plus cher de mes vœux prête-toi donc ici.
Veuille accueillir, avant que ma fin se consomme,
La tendresse et
André, le laboureur de Saint-Denis-des-Bois,
Réponds-moi !
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/772]]==
<poem>
— Je ne te comprends pas, répondit le vieillard,
Attachant sur sa fille un inquiet regard.
Ces desseins, quels sont-ils ? Ma chère créature,
Prendre ici, par hasard, le vivre et le couvert ?
Deux
Que leur propos fût grave, et que, rivaux
Ces hommes devant toi reparaîtront un jour ?
Je le veux : mais trois ans,
Et puis, dans le destin des soldats, que de chances !
Pour eux, que de périls, de hasards inconnus !
Sont-ils vivans ou morts ? Vivans, de leur pensée
Aucun objet nouveau ne
Pour nommer seulement un des deux, le Muller,
Dit-elle,
Tous deux viendraient, tenus par leur engagement,
Que je
Votre fille jamais
Tenez, rien ne doit être en moi caché pour vous :
Un homme seul me plut, un seul toucha mon âme.
Celui-là, par malheur, ne songeait point à moi.
Une autre, plus heureuse, avait reçu sa foi !
Le troisième
Ne craignez rien, mon père ! il ne saura jamais
De quel tendre et subit sentiment je
Que tu vas rester seule et de tous délaissée !
En est-il un meilleur, plus puissant et plus doux ?
Ainsi balbutiait la belle Jacqueline,
Et lui, regards éteints, front chauve qui
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/773]]==
<poem>
Morne, s’abandonnait à ses pressentiment
Son âme, aux jours d’après, partait à tous momens,
Cet homme qui jadis, plein d’une ardeur si fière,
Avait, sans se lasser, couru l’Europe entière.
Pour se tenir debout n’était plus assez fort.
Un soir, il se dressa par un suprême effort ;
Aux rayons du couchant, appuyé sur sa fille,
Il voulut voir encor ses plantes, sa charmille,
Deux poiriers
En rentrant, il était vaincu. Le lendemain,
La poussière des morts, dans un coin solitaire,
Tombait obscurément sur le vieux militaire,
Et, sur le sillon clos, Jacqueline, à genoux,
Disait : Seigneur ! Seigneur ! je me confie à vous !
<center>II</center>
Deux ans sont écoulés.
Poursuivant
Après vingt jours de marche au soleil dévorant,
La France bivaquait au flanc
En face de plateaux sauvages, escarpés,
Par
Par un sanglant combat conquérir
La France, en attendant, sous les étoiles
Sommeille, plus tranquille et plus sereine encor
Recueillement partout et muettes attentes.
Le promeneur venu vers
Dans ce calme profond reconnaître deux voix.
Disait
Si
Murmurait
Laisse-nous en repos, ou je te donne au diable.
Après un tel chemin,
Comme de respirer un parfum de bataille.
Supporter en silence une grêle de maux,
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/774]]==
<poem>
Porter à soi tout seul un faix de six chameaux,
Sous un soleil
Pour traquer le gradin qui toujours nous échappe,
Ce métier-là, ma foin
Mais en venir aux coups, se battre vaillamment,
Prendre mille moutons que rôtit la victoire,
Tu conviendras, serpent, que rien ne vaut cela !
Jadis courais au feu
Maintenant,
Alors peu
Une balle en passant vint me casser la tête.
Celle qui voulut bien un jour nous recevoir,
Ce modèle de grâce et de bonté divine
Que
Le temps de mon service est bientôt expiré.
De quel pas, de quel
Je pars, et quel destin
Ne te souviens-tu pas que nous devons tous deux
Aller concurremment lui présenter nos vœux ?
Car, bien que tu ne sois, mon bon Rousseau, pas mal,
Je faisais, ce me semble, un terrible rival.
Près des femmes, souvent moi-même je
Pour dompter la plus fière indubitablement,
Une phrase, un regard, certain roucoulement,
Je figure si bien sous
Aussi, cher compagnon ; quoique près, comme toi,
Ne voulant, à leurs yeux, perdre aucun avantage,
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/775]]==
<poem>
Le jour de ton départ, de nouveau je m’engage.
Ma foi ! vive la guerre et vivent les amours !
— Bien ! grommela Rousseau, mais trêve de discours.
— Bonne nuit, dit Muller, et vogue la galère !
À propos, qu’as-tu fait de Cléry ?… Le cher frère
Faiblissait aujourd’hui par cet air étouffant.
— Il est par là qui dort, calme comme un enfant.
— Eh bien ! donnons aussi sur l’une et l’autre oreille.
Jusqu’à ce que l’appel des clairons nous réveille !
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Au premier point du jour, la diane au son clair
Éclate, et le canon tout à coup frappe
Nos soldats, à ce bruit, debout, prêts à combattre,
Du triomphe prochain purent voir le théâtre ;
Révélait au regard un pays spacieux,
Les vastes horizons
Ici riante à voir, plus loin rocheuse et nue,
Du monde primitif authentique tableau.
un lac, dont le matin faisait frissonner
Miroitait vers la droite ; à gauche, des collines
Se dressaient, et des bois baignés
En face, et de vapeurs encore enveloppés,
Les sauvages plateaux par
Alerte ! il
La bataille déjà gronde et se précipite.
Au fracas des tambours, au refrain des clairons,
Ces sommets si hardis, nous les envahirons.
Ainsi
Il faut
Flottent sur la montagne où le croissant hautain,
En signe de défi, brille encor ce matin.
Il le faut ! nos soldats,
Se sont tous élancés,
De ravins en ravins, sans faiblir un moment,
Ils montent au milieu
Partout la fusillade éclate et les décime ;
Quand
Jusques aux pieds des siens vit arriver le flux :
Vous êtes à jamais reniés du prophète ! -
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/776]]==
<poem>
À ces mots, cavaliers et piétons, noirs essaims,
Redoublent de fureur contre nos fantassins.
Ils sont trente contre un ; peu soucieux du nombre,
Nos hommes vont toujours à travers le flot sombre.
Ils frappent en courant, sans pitié, sans remords ;
Ils jettent coup sur coup les blessés sur les morts.
Qui pourra
Dont
Soif du sang, qui
Fanatisme sacré des grands égorgemens !
Que
Les trois jeunes héros de cette humble épopée
Sont trois des plus vaillans
Comme
Et
Rousseau partout
Du danger, comme lui, Muller se fait un jeu.
Héroïque fourrier,
Il combat hors des rangs. Debout sur une roche :
Son fusil rechargé résonne à chaque instant.
Un chef maure, vêtu
Distingue le fourrier, voit sa pose, intrépide,
Bondit,
Le svelte et blond Cléry
En vain pleuvent sur eux les balles par milliers,
Ils regagnent le rang, calmes et familiers.
Muller serra la main du jeune ami fidèle :
On vit se prolonger la lutte.
Les soldats de
Commencent à faiblir au front de la montagne.
Pêle-mêle bientôt, effarés, à grands cris,
Ligne 776 ⟶ 834 :
Nos tambours, nos clairons, aux échos du désert,
Envoyaient à la fois leur triomphal concert.
Le plus haut pic du mont portait notre bannière
Vint frapper de Cléry le bras et le flanc droit.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/777]]==
<poem>
Une minute encore, il put se tenir droit ;
Puis, contre un mal trop fort abandonnant la lutte,
Il se laissa tomber.
Ses fidèles amis, Muller, le bon Rousseau,
Accourent ; chacun
Rivalise de soins, de doux propos,
Le pâle moribond fut mis sur un mulet,
Dans ce triste fauteuil
Véhicule où se font tant
Muller et Jean Rousseau furent chargés eux-mêmes
De conduire leur frère à
Le convoi des blessés formait tout un long rang.
Comment te raconter, lamentable voyage ?
Dans le pierreux sentier
Sous un ciel qui dardait mille flammes sur eux,
Combien
Aux ardeurs de juillet vint se joindre,
Du brillant sirocco. Par une aride plaine,
Pour fuir une embuscade, on prit un long détour.
Sur eux tout
Mes amis, par pitié !
Que ses acres douleurs élevèrent la voix !
Ligne 810 ⟶ 872 :
Les compagnons enfin, parvenus à la ville,
Atteignaient
Sous le saint vêtement des sœurs de charité,
Un ange les reçut, un ange de beauté.
Oui, moi-même, vouée à de pieux travaux.
Fille
Ce bien-aimé vieillard, ce père vénérable
Voilà bientôt un an que
Soudain, le front voilé
Pas un accent de plus. Dans ce cœur oppressé,
Dieu seul a pu savoir ce qui
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/778]]==
<poem>
Brisé par les douleurs de la cruelle route,
Appauvri de son sang qui coulait goutte à goutte,
Cléry, les yeux éteints, muet, sans mouvement,
Gisait dans les torpeurs
Sur un lit du dortoir on coucha le malade :
Que nous allons souffrir, forcés
Ah !
Lui, vrai cœur de lion dans un corps de gazelle
Naguère encor,
Ce généreux enfant volait à mon secours.
Que
Puis, regardant Rousseau, dont il comprit les larmes :
Ils sortirent.
Je conçois, compagnon ; adieu le mariage !
Console-toi pourtant,
Comme dit Salomon, cet immortel Romain.
Crains-tu de ne savoir où colloquer ta main ?
Avec des qualités, mon cher, comme les nôtres,
Quand on perd une femme, on en trouve cent autres.
Il
Interrompit Rousseau ; plus de femmes pour moi
Plus de bonheur ! la mort !
Vienne, vienne bien vite une bataille encore
Jacqueline et Cléry perdus !
Ligne 866 ⟶ 932 :
Rouvrit avec effort sa prunelle rougie,
Sous le bandeau de lin il ne reconnut pas
Comment, sous les plis noirs de la bure pieuse,
Aurait-il soupçonné la belle enfant rieuse
Qui,
Et chantait au dessert
Plus pâle maintenant et plus froide
Elle est là, suspendue au chevet d’un lit sombre.
Jour et nuit, elle donne au cher endolori
Tous les soins
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/779]]==
<poem>
Ange des hôpitaux ! figure douce et chaste
Que nous offre partout leur enceinte néfaste,
Qui des plus tristes morts adoucis le linceul,
De tout agonisant qui sans toi mourrait seul,
O sœur de Charité, sois à jamais bénie
De
Il restait un espoir ; du jeune infortuné
Il fallut retrancher un membre condamné.
Dut se tenir debout près du lit de torture.
Debout, elle entendit le grincement du fer
Elle vit palpiter les fibres et la chair.
Ligne 894 ⟶ 963 :
Le délire au cerveau lui remontait souvent.
Avec la voix du râle, il parlait en rêvant.
Et puis il ajoutait : O ma mère ! ma mère !
Un matin, sa raison sembla renaître un peu :
Dit-il à Jacqueline. En France, à mon village,
Mon Dieu, que je
Voudrez-vous bien, ma
La petite médaille à mon cou suspendue
Elle me venait
Le nom de mon amie est Laurette Leroy.
Le soir du même jour, sur le lit mortuaire,
La sœur de charité déroula le suaire.
Le souvenir venu de ce triste chevet.
Une humble croix
Jacqueline
</poem>
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