« Romanciers américains, Nathaniel Hawthrone » : différence entre les versions
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{{journal|Poètes et romanciers américains – Nathaniel Hawthorne|[[Auteur:Paul-Émile Daurand-Forgues|E.-D. Forgues]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.14, 1852}}
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:I. ''Mosses from an old Manse''. — II. ''The Scarlet Letter''. — III. ''The House of the Seven Gables''. — IV. ''Twice told Tales''. — V. ''The Snow-image and other Tales''. — London, Ed. Bohn.
Je sais des gens, — le nombre en est grand, — à qui les préfaces sont odieuses, odieuses comme le ''moi'', et peut-être par les mêmes raisons. Pour d’autres, au contraire, la préface vaut le livre, quelquefois mieux. Une préface de Walter Scott, une préface de Charles Nodier, quelle friandise littéraire ! Il faut y ajouter désormais les préfaces de Nathaniel Hawthorne, qui nous l’ont fait connaître, aimer surtout, et sans lesquelles nous n’aurions peut-être lu aucun de ses romans ou de ses contes.
L’Amérique cependant est fière de M. Nathaniel Hawthorne. Il est compté, et compté pour beaucoup, dans cette phalange littéraire, déjà nombreuse, à qui ont frayé le chemin Brockden-Brown, Washington Irving, Fenimore Cooper, et qui a fourni les élémens d’un gros dictionnaire biographique, orné de portraits, à M. Rufus Wilmot Griswold. Dans ce volume imposant, ou se pressent tant de noms inconnus
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chez nous, célèbres là-bas, vous pouvez chercher la notice relative à Nathaniel Hawthorne, et vous trouverez les élémens d’une biographie comme on en voit tant, où l’ordre des dates est observé, le catalogue des ouvrages bien complet, et chronologiquement irréprochable. Vous y apprendrez que Hawthorne est né à Salem, dans le Massachusetts, que ses ancêtres étaient marins de père en fils ; que l’un d’eux, Hawthorne-le-Téméraire, est le héros d’une ballade composée pendant les guerres de la révolution, et où sont célébrés ses exploits sur la ''Belle Américaine'', — quelque frégate sans nul doute. — Vous y apprendrez aussi que, gradué en 1825 à Bowdoin-College (Maine), Hawthorne s’y est trouvé le camarade d’études du poète Longfellow ; qu’en 1837 et 1842 ont paru ses deux premiers ouvrages, — les deux séries des ''Twice told Tales'' (contes deux fois dits), — publiés sous le pseudonyme français d’un prétendu M. de l’Aubépine ; — que le romancier a été pendant quelque temps, incorporé dans une communauté fouriériste, ''BrookFarm-Community'', à West-Roxburgh ; — qu’il a résidé trois années de suite à Concord, dans ce village fameux pour avoir été le théâtre du premier combat réglé où les milices américaines aient fait reculer les soldats du général Gage <ref> Ils étaient envoyés à Concord (à vingt milles de Boston) pour y détruire des approvisionnemens militaires faits en vue de la prochaine prise d’armes. L’objet de leur mission fut rempli, mais ils durent ensuite reculer devant l’insurrection, qui gagnait tout le pays. </ref> ; — qu’après ce temps de retraite, il a rempli à Boston les fonctions d’inspecteur des douanes jusqu’à l’avènement du président Taylor ; — que l’administration whig, se privant alors de ses services, le rendit aux loisirs laborieux de la vie littéraire, et qu’enfin, né vers 1807, Nathaniel Hawthorne a aujourd’hui quarante-cinq ans environ.
Telle est la série de faits que le consciencieux biographe a consignés dans son in-4° à deux colonnes. Si un très médiocre intérêt s’y attache, ce n’est point la faute de M. Rufus Wilmot Griswold. Les préfaces de Hawthorne n’ajoutent, il faut bien le reconnaître, aucun fait saillant à la notice des ''American-Prose- Writers'' ; en revanche, elles nous révèlent un esprit charmant, une nature d’élite.
De ces préfaces, il ressort clairement, — ses livres le confirment d’ailleurs, — que Hawthorne appartient à la classe des ''humoristes'', des ''humoristes'' comme Sterne et Lamb. Il en ressort aussi que son imagination, surexcitée par des habitudes solitaires, devenue mystique au sein des bois, visionnaire au coin du feu, s’est nourrie de lectures singulières de métaphysique à l’allemande, et, comme celle de ce penseur original, Waldo Emerson, dont les brillans ''essais'' ont éveillé l’attention des deux mondes, a pu se soustraire, par une fréquente communion avec la nature, à l’espèce de domination que les vieilles littératures, comme
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les vieilles civilisations, exercent sur les civilisations et les littératures nouvelles. C’est un joug étrange que celui-ci, et dont l’Amérique aura grand’peine à s’affranchir. Dès l’origine, vous pouvez le constater : de même que les habitans de la Nouvelle-Angleterre, perpétuant au-delà des mers les traditions de la métropole, fêtaient le renouvellement de l’année par une procession calquée sur le cortége du lord-maire à Londres, de même Brockden-Brown se condamne à copier Godwin, Washington Irving a écrire comme Addison et Mackenzie, Cooper à marcher sur les traces de Walter Scott. Ainsi des poètes. Il serait aisé de trouver, par exemple, les parrains de Bryant et de Longfellow. Des affiliateurs sévères pourraient même faire dériver Emerson de Thomas Carlyle, et Nathaniel Hawthorne de Charles Lamb, le Nodier anglais ; mais ce serait, à notre sens, outrepasser les droits de la généalogie critique. Pas plus qu’Emerson, avec ses tendances panthéistiques, son ardente admiration des œuvres créées, ne ressemble à Carlyle, imbu du scepticisme allemand et négateur enthousiaste, — pas plus Hawthorne, qui s’absorbe évidemment dans l’étude concentrée des problèmes moraux les plus ardus, ne ressemble, malgré certains dehors, à ce pauvre poète érudit, pour lequel l’analyse des vieux drames, la reproduction et le pastiche du langage shakspearien, des formes archaïques, étaient une préoccupation souveraine, et dont la grande originalité fut de traverser notre temps avec les idées et le style de Jérémy Burton ou de Samuel Pepys, — et plus d’esprit que tous les deux, cela va sans dire, — mais une raison beaucoup moins sûre d’elle-même.
Il est un conteur américain que nous avons eu déjà l’occasion d’apprécier <ref> Voyez, dans la ''Revue'' du 15 octobre 1846, l’étude sur les ''Contes d’Edgar Poë''.</ref> et dont la parenté avec Hawthorne nous semble moins douteuse : nous voulons parler d’Edgar Poë. À qui la comparaison profiterait-elle ? Nous serions vraiment embarrassé de le dire. Les récits de Poë possèdent un attrait, un piquant tout spécial, et qu’on peut fort bien attribuer à la maladie mentale dont le germe était en lui ; la perle aussi, dit-on, n’est, après tout, qu’une excroissance morbide. — Hawthorne, plus maître de sa pensée, inspiré par de plus fortes études et des motifs d’un ordre plus élevé, entraîné bien plus rarement par un pur caprice, une fantaisie vagabonde et trop aisément écoutée, s’empare bien mieux de son lecteur. Il a le don, rare chez un ''égotiste'', de se faire aimer, et le don, plus rare encore chez un conteur, d’inspirer un certain respect. Avec Edgar Poë, on habite une région malsaine ; on se sent comme au début d’un vertige. L’éblouissement qu’il vous cause, et qui est réel, vous met en défiance. Il est dû à des moyens illégitimes, dirait-on, et vous ne savez au juste si le philtre n’est pas tout simplement de l’alcool déguisé, dont on a saturé à votre
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insu quelque boisson mensongère d’aspect et de goût. L’alchimiste, d’ailleurs, n’est pas si bien caché derrière son rideau, que vous n’entrevoyiez son coup d’œil moqueur, que vous n’entendiez son rire narquois. Il alléguera peut-être pour excuse qu’avant de vous griser, il s’est grisé lui-même ; mais cela suffit-il à vous justifier ? Et ne gardez-vous pas quelque secret remords, vous, homme sensé, de vous être laissé mystifier par cette folie railleuse et perfide qui se gausse de vous lorsqu’elle vous a fait tomber dans les rets où elle est prise ? Hawthorne au contraire, dans ses plus fantastiques inventions, et lorsqu’il use le plus largement de son pouvoir mystérieux pour transformer devant vous les réalités de ce monde en spectres étranges, en apparitions prestigieuses, n’obéit jamais qu’au désir de vous rendre meilleur en vous montrant, sous l’allégorie attrayante, la vérité sévère. Un conte d’enfant à dormir debout lui suffit pour vous faire réfléchir, et profondément, sur quelque vice ignoré de votre nature, sur quelque iniquité des jugemens humains, sur quelque préjugé vivace à qui les révolutions philosophiques ont laissé ses racines à moitié pourries. Tous les nobles instincts sont en lui : l’indulgence et la miséricorde chrétiennes, la résistance à l’oppression, la soif du juste et du vrai ers toutes choses, et, pour parler comme son ami Emerson, « l’amour de l’amour, la haine de la haine. »
En témoignage de ce que nous disons ici de Hawthorne, nous pourrions le citer lui-même, en reproduisant les nombreux passages où il parle de sa jeunesse entourée d’amitiés nombreuses, actives, zélées, et de la reconnaissance qu’il leur doit. Ce sont elles qui l’ont révélé à lui-même, encouragé, soutenu. C’est parmi elles qu’il a trouvé les hérauts de sa naissante renommée, les propagateurs assidus de son talent trop délicat et d’allure trop discrète pour arriver vite aux honneurs de la popularité.
« Si quelqu’un, dit-il à l’un de ces amis dévoués, si quelqu’un est responsable de ce que je suis aujourd’hui « un auteur » de profession, c’est vous, à coup sûr. Je ne sais d’où vous vint cette foi bizarre ; mais lorsqu’ensemble nous étions, bien jeunes encore, les élèves d’un collège de province, — élèves flâneurs, sujets pendant les heures d’études à chercher des baies bleues sous les pins altiers de l’académie, à contempler les troncs d’arbres flottans qui s’entrechoquaient dans le courant de l’Androscoggin, à fusiller au sein des bois voisins les pigeons changeans, les écureuils gris, à canarder les chauves-souris planant à travers le crépuscule d’été, ou bien encore à pêcher la truite dans ce petit ruisseau tout couvert d’ombre qui s’en vient, emmi la forêt, rejoindre la rivière ; — bref, occupés à cent œuvres de paresseux, que la Faculté ne nous eût jamais pardonnées, si elle les eût connues : — eh bien ! dès ce temps-là, pronostic bien improbable, vous annonciez à votre ami qu’il écrirait, qu’il écrirait des romans, que c’étaient là sa vocation et sa destinée.
« Fait comme dit. J’accomplis votre prédiction ; mais que de temps écoulé
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sans que personne y prît garde ! J’étais, comme un personnage enchanté, assis au bord du sentier de la vie, et tout autour de moi grandissaient des centaines d’arbrisseaux, buissons d’abord, taillis ensuite, arbres enfin qui m’enveloppaient, me fermaient toute issue, m’entouraient de ténèbres inextricables. Ces arbres se seraient couverts de mousses, les feuilles sèches de vingt automnes m’auraient peu à peu enseveli, si vous ne fussiez venu à mon aide… »
Le découragement qui suivit l’insuccès de ses débuts littéraires fut sans doute pour quelque chose dans le coup de tête qui enrôla Hawthorne parmi les ''frères en harmonie'' du comté de Roxhurgh. De son passé fouriériste, il ne dit malheureusement pas grand’chose, et ce qu’il dit trahit un certain mécontentement. Il appelle son séjour à Brook-Farm « une association de travail et de plans chimériques avec des songe-creux. » Heureusement, à ces années de tâtonnemens, d’aspirations inquiètes et contradictoires devaient succéder trois années mieux remplies, les meilleures sans doute qu’il ait comptées dans sa vie, trois longues années pleines de rêves et de cette paresse occupée qui sied si bien aux tempéramens poétiques. Ce sont celles qu’il passa dans le vieux presbytère (''old manse''), situé à l’extrémité du pont de Concord. Waldo Emerson, qui avait occupé cette maison avant lui, était resté son voisin, et Concord était devenu le centre de maint pèlerinage poétique ou philosophique dont parle Hawthorne dans sa préface des ''Mosses of the old Manse''. Le portrait qu’il a tracé de cette vieille habitation délabrée mérite d’être reproduit dans quelques-uns de ses détails : il nous montre sous quelles douces influences et au milieu de quel profond recueillement s’est développé chez le conteur américain l’instinct du romancier moraliste.
Plus fréquemment encore que les maisons désertes des petites villes allemandes, les vieilles habitations éparses dans les campagnes de la Nouvelle-Angleterre sont hantées par des revenans traditionnels, et prêtent leurs galeries lambrissées de chêne aux légendes populaires. On retrouve dans ces contes, propagés avec amour, avidement reçus, l’arrière-saveur des superstitions germaniques, et l’arrière-couleur, si l’on peut s’exprimer ainsi, de ces bizarres chroniques rimées qui furent la grande production littéraire du moyen-âge allemand. Aussi le vieux presbytère de Concord avait-il son spectre familier. En certain coin du salon, de temps à autre, on l’entendait pousser un soupir. Quelquefois, dans le long corridor du premier étage, il tournait et retournait des feuillets de papier, comme s’il relisait une homélie manuscrite ; mais on n’avait jamais pu le voir, bien que la fenêtre orientale laissât pénétrer en abondance les rayons de la lune dans le couloir hanté.
« Il est assez probable, dit le romancier, qu’il voulait m’engager à éditer un choix de sermons pris parmi ceux dont était remplie une grande caisse logée
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dans un coin du grenier. Un jour que nous causions, quelques amis et moi, aux douteuses clartés du crépuscule, il se fit un bruit singulier, comme le ''froufrou'' d’une robe de soie, — robe ecclésiastique, — circulant au milieu de notre petit cercle, et si proche de nous qu’elle semblait balayer le bois de nos fauteuils. Cependant personne ne vit rien. Une besogne plus étrange encore était celle d’une servante-spectre qu’on entendait, en plein minuit, dans la cuisine, griller du café, préparer le dîner, repasser, — remplir enfin toute sorte de fonctions domestiques. — Et cela, sans que jamais, le lendemain, on ait retrouvé la moindre trace de ces nocturnes travaux. Quelque devoir négligé, — peut-être quelque surplis mal empesé, — troublait la pauvre fille au fond de sa bière, et la forçait à travailler ainsi, sans gages, dans la maison qu’elle avait jadis habitée. »
Ce sont là, bien entendu, des plaisanteries données comme telles, mais avec un accent de bonne foi qui en augmente singulièrement la valeur. Voulez-vous une description plus réelle, un paysage à la manière hollandaise, digne de Kuyp ou de Van-den-Velde ? vous le trouverez à quelques pages de là.
« . … Nous voici sur le bord de la rivière. On l’a bien nommée : la ''Concorde'', rivière calme et reposée. Jamais courant plus paresseux ne roula sur un lit plus uni, et ne s’achemina plus lentement vers la mer, son abîme final, son éternité. J’ai vécu positivement trois semaines à côté de ce cours d’eau, sans savoir dans quel sens voyageaient ses ondes endormies. Jamais je ne lui ai vu un aspect tant soit peu vivant, si ce n’est par quelque belle journée resplendissante de soleil, lorsqu’une brise du nord-ouest tourmentait et ridait sa surface plombée. L’irrémédiable indolence de sa nature a heureusement soustrait la Concorde à l’esclavage où l’aurait réduite l’industrie humaine, qui a si souvent asservi le libre torrent, l’impétueuse cascade des montagnes. Pendant que tout, autour d’elle, est contraint de se plier à l’inflexible loi de l’utilité pratique, elle perd à son gré sa vie oisive et libre sans faire tourner un seul métier, sans même fournir à une seule meule la force nécessaire pour broyer les grains semés et mûris sur ses bords : la torpeur de ses allures ne lui permet nulle part une rive où les cailloux étincellent, nulle part même une étroite grève où le sable brille au soleil. Elle sommeille au sein de vastes prairies, caressant les longues herbes, baignant les branches épandues des sureaux et des saules, les racines dénudées des frênes et des ormeaux, les blocs informes des troncs d’érable. Des glaïeuls et des ajoncs croissent en paix le long de ses bords gâcheur. Le jaune lis d’eau y étale ses larges feuilles plates, et le nénuphar odorant, le nénuphar blanc, pullule sur la marge du courant assez loin de la rive pour échapper à la main qui voudrait le saisir. Il veut être conquis au prix d’un bain de pieds.
« On se demande avec surprise d’où cette fleur parfaite peut tirer son parfum pénétrant et sa grace candide, elle qui naît du limon sur lequel glisse la rivière lente, de ce limon où s’enfouissent l’anguille visqueuse, la grenouille tachetée, la tortue couleur de fange et qu’un lavage éternel ne saurait nettoyer. C’est d’ailleurs le même limon noir d’où le lis jaune tire sa vie souillée et son odeur malfaisante. Ainsi, du reste, rencontre-t-on dans la vie des êtres malheureux
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qui s’assimilent uniquement ce qu’il y a d’horrible et de malsain dans les mêmes circonstances morales, où d’autres savent trouver, avec un instinct meilleur, le bien et le beau, — célestes fleurs aux doux parfums. »
La rivière Concorda eu sa journée historique, et Hawthorne la raconte ainsi :
« Allons, nous avons pris le plus long pour arriver sur le champ de bataille. Nous voici au point où la rivière était traversée par le vieux pont, le même dont la possession fut
« Un plus humble vestige, et cependant plus intéressant que l’obélisque de pierre, se voit encore près du mur qui sépare le champ de bataille de l’enclos presbytérial. C’est le tombeau, marqué par deux grosses pierres, l’une à la tête, l’autre aux pieds, — de deux soldats anglais tués dans l’escarmouche qui engagea la bataille. Ils ont dormi là, dans une paix profonde, depuis que deux de leurs ennemis, — Zachariah Brown et Thomas Dennis, — les ont logés dans la terre. Comme leur dernière campagne fut courte ! Une pénible marche de nuit, de Boston à Concord, — une volée de mousqueterie à travers la rivière, — et, à partir de là, tant d’années de repos ! Ces deux soldats sans nom forment l’avant-garde de cette nombreuse armée de morts tour à tour dévorés par les guerres de l’indépendance.
« Lovell le poète, un jour que nous étions assis sur ce tombeau, me raconta une tradition locale qui avait rapport à un de ses deux habitans. L’historiette n’a rien de très conforme aux probabilités ; elle ne laisse pas d’être assez frappante. Un jeune domestique, paraît-il, au service du curé, se trouvait cette matinée d’avril occupé à fendre du bois dans l’arrière-cour de la ''manse'', et lorsque, aux deux bouts du pont, le bruit de guerre eut tout à coup retenti, le ''gars'' se jeta dans les champs placés entre la rivière et lui pour savoir au juste ce qui
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se passait. — Encore une fois, il n’est guère probable qu’un jeune homme fût ainsi, tranquillement, à ses occupations de chaque jour, lorsque toute la population de la petite ville et du pays était soulevée par l’approche des troupes anglaises. — Bref, la tradition veut que ce garçon, quittant soudain sa besogne et la hache encore à la main, s’élance sur le lieu du combat. Les Anglais cependant battaient en retraite ; les Américains s’étaient jetés sur leurs traces. La scène du drame récent se trouvait ainsi abandonnée et déserte. Deux soldats gisaient sur le sol, dont l’un déjà n’était plus qu’un cadavre ; mais, comme s’approchait le jeune ''Yankee'', l’autre se souleva péniblement sur ses mains et sur ses genoux, et de ses yeux grands ouverts lui jeta un horrible regard. L’enfant, sans doute par un mouvement nerveux, sans parti pris, sans même une pensée préalable, — l’enfant leva sa hache, et d’un coup bien assuré fendit la tête du soldat mourant…
« Eh bien ! je voudrais que cette tombe pût être ouverte, je voudrais savoir si on y trouverait un des deux squelettes le crâne brisé d’un coup de hache. Cette anecdote, peut-être fabuleuse, me hante comme une vérité positive. Bien souvent, par manière d’étude intellectuelle et morale, je me suis efforcé de suivre ce pauvre jeune meurtrier dans la carrière parcourue par lui depuis cette matinée fatale. J’ai voulu me rendre compte de la torture infligée à son ame par ce sang versé tout à coup, comme il le répandit, avant que l’habitude des combats eût, à ses yeux, dépouillé la vie humaine du caractère sacré qu’elle a pour quiconque n’a jamais tué, et alors que tout meurtre semble équivaloir à an fratricide. »
Le sentiment humain, philanthropique, l’instinct de fraternité qui se révèle dans ces dernières lignes, nous le retrouverons, et non moins aimable, non moins sympathique, dans un autre passage des écrits de Hawthorne où il raconte ses mésaventures administratives. Le romancier dut, on le sait, quitter sa paisible retraite de Concord pour aller à Boston remplir les fonctions d’inspecteur des douanes. Après avoir passé trois années dans la carrière administrative, il se vit frappé par une brusque destitution, quand les whigs arrivèrent au pouvoir. Bien que lié par ses antécédens et ses penchans au parti démocratique, Hawthorne n’en a pas moins écarté soigneusement de ses écrits tout ce qui pourrait ressembler à une attaque directe contre l’administration qui se montrait pour lui si peu traitable. Dans une de ses préfaces, il mentionne le fait, et vous allez voir si c’est avec amertume :
« Une de mes grandes appréhensions, — on ne renvoie guère par mesure politique un individu aussi paisible que moi, et il n’est pas dans la nature d’un employé de donner sa démission, — était de vieillir et de grisonner dans mon emploi. Je craignais qu’un long exercice de la vie officielle ne me métamorphosât en quelque animal semblable à mon vieux sous-inspecteur. Le temps ne viendrait-il pas où, comme lui, je ferais de mon dîner la grande affaire de ma, journée, passant le reste, ainsi que font les vieux chiens, à dormir tantôt au soleil, tantôt à l’ombre ? Triste perspective pour un homme qui s’est toujours
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représenté le bonheur comme le développement continu et complet de toutes ses facultés intellectuelles et sensibles ; mais j’avais grand tort de m’inquiéter : — la Providence devait pourvoir à mon avenir.
« Un événement remarquable signala la troisième année de mon gouvernement comme contrôleur de la douane, ce fut l’élection du général Taylor à la présidence. Encore un agrément de la vie officielle, la situation d’un employé subalterne quand une administration hostile arrive au pouvoir ! On imaginerait difficilement quelque chose de plus triste et des anxiétés plus misérables. Figurez-vous un homme intelligent et délicat qui voit tout à coup ses intérêts à la discrétion de gens dont il n’est ni aimé ni compris, et naturellement plus enclins à lui nuire qu’à le protéger,… car enfin il leur faut des places à répartir.
« Un autre sujet de tristesse, lorsque pendant la lutte on est resté calme, c’est de voir la soif de sang qui précipite les vainqueurs sur leur proie, et de se sentir soi-même un des objets de cette ardeur cannibale. Ce n’est point un des beaux côtés de l’humaine nature que cette tendance, — notée chez des hommes, d’ordre moyen, ne valant ni plus ni moins que beaucoup d’autres, — à devenir implacables du jour où ils ont le pouvoir de nuire. Si ce qu’on appelle chez nous ''la guillotine'', au lieu d’être une métaphore administrative, — la plus exacte qu’on ait pu imaginer, — se trouvait une locution littérale, et que la décollation remplaçât la destitution, je suis porté à croire très sincèrement que les membres actifs du parti victorieux, dans l’excitation de la lutte, auraient tout aussi bien pris nos têtes que nos places, et auraient rendu grace à Dieu de leur en avoir fourni l’occasion. Et il me parait, — à moi simple observateur très calme, très curieux, aussi bien dans la victoire que dans la défaite, — il me paraît que la malice, amère, l’esprit de rancune n’a jamais marqué les nombreux triomphes de mon parti au même degré où ils signalèrent le succès des whigs. Les démocrates prennent les emplois, parce que telle est la règle, parce que la nécessité politique le veut ainsi, parce qu’une longue pratique a consacré cette tradition de la tactique gouvernementale, et que, jusqu’à l’avènement d’un nouveau système, il y aurait faiblesse à ne pas appliquer la loi, lâcheté à murmurer contre elle ; mais une longue habitude de la victoire les a rendus généreux. Ils savent, dans l’occasion, épargner l’ennemi à terre ; s’ils frappent, la hache, sans rien perdre de son tranchant, est rarement trempée dans le venin de la malveillance personnelle. Quand la tête est coupée, ils ne la foulent jamais d’un pied ignominieux.
« Si déplaisante que fût ma position particulière, je n’en étais pas moins, au fond, assez satisfait d’appartenir an parti vaincu, et j’avais mes raisons pour cela. D’ailleurs, si mon parti ne m’avait pas vu jusqu’alors parmi ses plus ardens promoteurs, je commençais à mieux sentir, maintenant que le péril et l’adversité se montraient, de quel côté n’entraînaient mes sympathies et mes véritables affections. Aussi n’était-ce point sans quelque regret et quelque honte que, pesant mes chances selon les données les plus raisonnables, je me jugeais beaucoup moins menacé de perdre ma place que la plupart de mes frères en démocratie… Mais qui donc voit beaucoup plus loin que son nez dans les combinaisons de l’avenir ?… Ma tête fut la première qui tomba.
« Le moment précis où on le décapite doit être assez rarement, — j’incline
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du moins à le penser, — le plus agréable dans la vie d’un homme. Néanmoins on peut profiter de cet accident comme de tout autre, si seulement on sait s’en consoler et y chercher remède, etc. <ref> ''The Scarlet Letter'', préface. </ref>. »
Ces lignes, qui ont le mérite de jeter une lumière assez nouvelle sur un des côtés de la vie politique aux États-Unis, donnent en même temps une idée fort juste de l’écrivain qui les a tracées, de sa bonhomie insouciante, de sa tiédeur philosophique alliée néanmoins à une conviction bien assise, de cette noblesse d’ame qu’on voudrait toujours croire l’apanage de la supériorité intellectuelle. Voilà bien l’homme d’esprit et de cœur que les circonstances ont poussé dans la triste mêlée des intérêts matériels et des combats politiques. Il y a porté son calme, sa raison, sa générosité habituelle. Aucun fol enivrement, aucun instinct cruel ne l’ont fait dévier. Dans son humble sphère, investi d’un certain pouvoir, il en a usé avec des ménagemens infinis, une rare indulgence ; — il a plus d’une fois regretté l’indépendance de ses heures et de ses pensées ; — il a craint l’abrutissement d’une tâche toujours la même, et l’influence énervante d’un bien-être assuré, prix d’une besogne machinale. Ses ennemis l’emportent et vont le frapper, lui, pauvre soldat inconnu, dans l’obscurité qui devait le sauver : eh bien ! il tombe en homme de cœur, le sourire aux lèvres, plaignant ces vainqueurs fiévreux plus qu’il ne se plaint lui-même, et avec la grace classique du gladiateur immolé. Comment lui refuser sympathie et respect ?
Les journaux américains firent quelque bruit de cette brutale destitution. Hawthorne, qui connaissait la presse, et qui n’a jamais courtisé cette bruyante complice de fausses réputations, ne l’en remercie pas très chaudement :
« Les journaux s’étaient emparés de mon affaire, dit-il, et, pendant une semaine ou deux, me firent caracoler dans leur lice à colonnes, tout décapité que j’étais, comme le ''cavalier sans tête'' de Washington Irwing, spectre hagard et fort avide de sépulture, ainsi que devrait l’être tout homme politiquement défunt. Mais c’est assez parler de moi au figuré. En réalité, j’étais un être bien vivant, la tête solidement placée sur mes épaules, et arrivé à cette conclusion comfortable que tout devait être pour le mieux dans ma destitution providentielle. Cet optimiste bien avisé employa quelques capitaux disponibles à une acquisition d’encre, de papier et de plumes Perry ; if rouvrit une écritoire fermée depuis long-temps, et se retrouva, comme devant, homme de lettres. »
Si on a bien voulu prêter quelque attention à ces causeries, on n’a pas seulement les détails intimes d’une existence rêveuse, mais aussi, et ce qui importe davantage, les procédés de cette pensée studieuse et paisible, de cette observation sereine et profonde, que l’amour de la solitude,
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le goût inné du bien, l’étude et la pratique d’une philosophie largement spéculative, le commerce fréquent des métaphysiciens et des poètes, ont graduellement élevée et mûrie. Hawthorne ne conte point pour conter, mais pour donner un corps à des idées utiles, pour les populariser, les faire pénétrer dans les intelligences distraites ou rebelles. Ses récits ont la forme attrayante et l’intérêt du conte le mieux fait. Creusez cependant, et vous arrivez à l’apologue, à la vérité figurée, au drame symbolique, rempli d’enseignemens, mais rempli d’émotions. Hawthorne est un prédicateur comme il en faudrait un à nos tempéramens légers, à notre attention si promptement lassée, à nos préoccupations futiles, à notre aversion pour les choses graves. Point d’austères dehors ni de sévérité guindée ; tout au contraire, une causerie insinuante, agréable, piquante même au besoin, une raillerie inoffensive et tempérée, un grand bonheur d’expressions pittoresques, l’art d’éveiller la curiosité, de la tenir en haleine, l’art plus grand de troubler l’imagination, de l’arracher à ses habitudes quotidiennes, de lui faire prendre son vol le plus lointain, de l’entraîner au pays des chimères.
Hawthorne a fait pour les enfans des ''contes terribles'' dont nous redouterions l’effet, ayant expérimenté la puissance de cette plume féconde en prestiges : en revanche, nous ne connaissons pas d’allégories enfantines qui vaillent son ''Image de Neige''. — Par un après-midi glacial, deux beaux enfans, frère et sueur, Peony et Violet, sortent du salon maternel, bien emmitouflés, gantés, cravatés, et vont jouer dans le jardin ; tapissé de ''neige neuve'' ; petit jardin de marchand, séparé de la rue par une barrière blanche et garni pour le moment d’urne demi-douzaine d’arbrisseaux effeuillés. Leur mère, assise derrière la croisée, a l’œil sur eux, tout en donnant ses soins à des vêtemens neufs qu’elle coud pour ces chers marmots. Livrés à eux-mêmes et cherchant un jeu, qu’imaginent-ils ? Violet propose à son frère de travailler avec elle à se faire une belle petite sœur de neige. Peony accepte. Il apporte les matériaux, et Violet dispose peu à peu les formes de sa statue. Bloc d’abord ridicule, cette image se dégrossit peu à peu sous les mains agiles des sculpteurs improvisés, et leur mère, tout-à-fait surprise, mais ravie au fond de les voir réussir à ce point, s’applaudit intérieurement de leur reconnaître des dispositions si remarquables pour les beaux-arts. Ne pouvant d’ailleurs s’expliquer autrement la beauté de l’image qui naît sous leurs mains, elle se demande si, par hasard, les anges gardiens de Peony et de Violet ne seraient pas descendus de là-haut pour s’ébattre avec eux, complices et collaborateurs invisibles. L’image cependant est de plus en plus complète. Une poignée de neige, jetée comme par hasard, donne à sa chevelure le dernier ''coup de ciseau''. Deux menus glaçons étincellent sous les paupières entr’ouvertes. Bref,
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les enfans eux-mêmes, ravis de leur ouvrage, appellent à grands cris leur mère, et quand celle-ci vient, pour leur complaire, admirer cette création de nouvel ordre, éblouie par un regard du soleil couchant qui donne en plein sur la statue, elle croit réellement voir une petite fille aux blonds cheveux, aux yeux brillans, tombée comme du ciel au milieu du jardin. L’illusion des enfans est encore plus forte. Ils ont une sœur, une sœur qui va vivre, dont les yeux s’allument aux feux de l’occident, dont leurs baisers vont réchauffer les joues un peu pâles et les lèvres prêtes à se colorer de pourpre.
Le miracle s’accomplit, la petite image s’anime, comme autrefois Galatée, et l’excellente mistress Lindsey, la mère de Violet et de Peony, en vient à se demander quelle imprudente voisine a laissé sortir de chez elle, par un froid glacial, vêtue d’une simple robe blanche, une si charmante enfant. Elle s’étonne aussi de la voir courir et sauter, mais sans dire un mot. Enfin ce n’est pas sans quelque surprise qu’elle voit une volée d’oiseaux venir s’abattre familièrement sur le cou, les bras, les épaules de la nouvelle compagne que Violet vient de se donner. Tandis qu’elle ne sait ni que penser ni que résoudre, M. Lindsey paraît à la porte du jardin.
M. Lindsey est un marchand de fers, brusque et bienveillant, allant droit au fait en toute occasions et ne connaissant au monde qu’une chose dont il fasse cas : — le bon sens, le sens commun. La présence de la petite étrangère blanche, à cette heure, dans son jardin, en si léger costume, lui cause dès l’abord une perplexité fort grande. Elle ne fait qu’augmenter, cette perplexité si naturelle, lorsque son excellente femme essaie de lui persuader qu’elle a vu, de ses yeux vu, la miraculeuse transformation s’opérer d’une image de neige en un enfant agile et joueur. Encore n’ose-t-elle le lui dire qu’en secret et par forme de plaisanterie. Les enfans l’affirment plus sérieusement ; mais le marchand de fers, — l’admettra-t-on ? — s’obstine dans son incrédulité. À son avis, cette enfant ne peut rester dehors ; elle va prendre mal, si peu défendue contre le froid. Encore si elle avait la moindre pelisse ! Mais il faut qu’elle rentre au plus vite, qu’on aille de maison en maison demander à qui elle appartient, et qu’on la fasse, au besoin, crier par la ville.
Violet et Peony néanmoins, dans leur sagesse enfantine, s’opposent à cette charité mal entendue. Leur petite sœur de neige n’aime pas le feu. Qu’on se garde bien de l’approcher du calorifère… Mais bah ! l’homme de bon sens a déjà saisi par la main la petite étrangère, et bien qu’elle se débatte, bien qu’elle lui échappe, bien qu’il lui faille courir après cette espèce de sylphe blanc, léger comme un de ces tourbillons que le vent forme sur la neige à peine tombée, l’obstiné Lindsey la rejoint, l’accule à l’angle d’un mur, s’empare d’elle, malgré
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qu’elle en ait, malgré les charitables remontrances de sa femme, malgré les pleurs de Violet, malgré la colère de Peony. L’enfant de neige doit avoir froid, il faut qu’elle entre dans la maison, et qu’elle prenne place devant un beau poêle breveté, qui fait rayonner autour de lui vingt degrés de bonne chaleur. Hélas ! devant ce magnifique poêle, chef-d’œuvre de l’industrie, bourré d’anthracite incandescente, la petite demoiselle blanche, loin de se réchauffer, s’atténue, chancelle, s’affaisse ; mais, comme ce phénomène lui semble contraire aux lois de la nature, l’homme de bon sens n’y prête aucune attention. Son œuvre n’est pas achevée. Il s’est promis de retrouver les parens de la jeune étrangère et de sermonner la mère qui l’a laissée errer sans châle ni manteau. Il sort en effet, et, de peur qu’on ne trompe ses intentions charitables, il sort emportant la clé du salon, transformé en serre chaude. Quand il revient après force courses inutiles, on devine aisément qu’il ne retrouve plus trace de sa blanche protégée. Si cependant : il reste d’elle, en face de la gueule rouge et béante du splendide calorifère (système belge), une flaque d’eau étendue sur le parquet. Les enfans pleurent leur petite sœur aux mains glacées ; mistress Lindsey s’attriste de leur désespoir, qu’elle comprend, et de cet assassinat involontaire dont jamais elle n’eût été complice. Pour M. Lindsey, il est étonné, fort étonné ; mais il reste convaincu qu’il était dans son devoir de ne pas laisser au froid, exposée à s’enrhumer, une petite fille, fût-elle de neige. La morale de l’histoire est perdue pour lui ; qu’elle ne le soit point pour nous. Elle doit apprendre à tous les hommes, mais plus particulièrement aux hommes ''amis des hommes'', qu’avant de céder à leurs impulsions philanthropiques, il faudrait s’assurer, s’assurer complètement, qu’ils comprennent à fond la nature des êtres dont ils poursuivent l’amélioration et leurs rapports de toute espèce avec l’ordre général des choses humaines ; car ce qui, en thèse générale, peut être regardé comme très bon et très salutaire, — la chaleur, par exemple, d’un excellent poêle breveté à Bruxelles, — peut, dans un cas particulier, ou ne servir à rien, ou se trouver fort nuisible, — s’il s’agit, comme dans la nouvelle de Hawthorne, d’un enfant de neige.
« Après tout, ajoute le conteur, il n’y a pas grande leçon à donner à des sages de l’école de M. Lindsey. Ils savent tout, — rien n’est plus certain, — non-seulement tout ce qui fut, mais tout ce qui peut, dans une hypothèse quelconque, advenir et se produire ; et dût quelque phénomène naturel, quelque mystérieux décret de la Providence contrarier, en se manifestant, leur glorieux système, eh bien ! ils en sont quittes pour ne le point admettre, même alors qu’il leur passe sous le nez…
« Femme, dit M. Lindsey après un accès de silence, voyez quelle quantité de neige les enfans ont apportée ici à la semelle de leurs souliers. En vérité,
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cela fait un affreux gâchis devant notre beau poêle. Dites à Dora, je vous prie, d’aller quérir quelques torchons et de bien essuyer le parquet. »
Ce joli conte figure en tête d’un recueil qu’il faudrait bien se garder de considérer comme spécialement destiné aux enfans. On y trouve l’historiette de Silvia Etheredge, qui se prend d’amour pour une miniature, et meurt lorsqu’il faut épouser l’original de ce portrait menteur, et celle d’Ethan Brand, qui courut le monde à la recherche d’un péché impardonnable. Cette recherche avait prodigieusement développé son intelligence, mais elle avait atrophié, pétrifié son cœur ; il n’appartenait plus à l’humanité ; il s’était isolé de cette chaîne magnétique qui doit relier entre eux les innombrables êtres placés ici-bas pour y vivre d’une vie commune. Enfin, abusant de son ascendant supérieur, soumettant à ses expériences psychologiques, comme autant d’élémens inertes, des hommes pervertis par lui, des femmes devenues ses jouets, Ethan a trouvé le péché sans rémission, celui que Dieu lui-même, dans sa clémence infinie, ne pardonnera jamais. La haine de tous l’accompagne, et las de lui-même, tout fier qu’il est de sa rare trouvaille, il se jette dans un four à chaux dont il a sollicité la garde. Ce suicide prosaïque est très singulièrement relevé par l’éclat de la description, la vérité du paysage, l’énergie des détails. La nuit pendant laquelle il s’accomplit est orageuse et bruyante. Des rires étranges ont troublé le sommeil du pauvre chaufournier dont Ethan Brand a voulu prendre la place ; mais le matin se lève, radieux et pur. L’honnête Bertram et son fils Joe sortent ensemble de leur pauvre chaumière et, prennent gaiement le chemin de la montagne aux flancs de marbre, aux cimes dorées par le soleil levant. En arrivant près du four :
« — Voyez, père, s’écrie le petit Joe courant et sautant çà et là, l’homme étranger est parti. Le ciel et les montagnes ont vraiment l’air de s’en réjouir.
« — Oui, répliqua le chaufournier avec un juron de colère, mais il a laissé le feu s’éteindre, et ce n’est pas sa faute si cinq cents boisseaux de chaux ne sont pas gâtés à cette heure. Ah ! que je rattrape le camarade à se promener par ici !… Je me sens tout disposé à l’envoyer passer quelques minutes dans la fournaise.
« Sa longue perche en main, il monta, tenant ces propos, jusqu’au sommet du four. Après un temps de silence, il appela tout à coup son fils.
« — Joe, disait-il, arrivez par ici !
« L’enfant obéit et se trouva bientôt auprès de son père. Le marbre, entièrement consumé, avait donné une chaux parfaitement réussie, blanche comme la neige ; mais à sa surface, au milieu du cercle, — blanc de neige aussi et devenu chaux, — était couché un squelette humain dans l’attitude que prend, après une longue fatigue, l’homme avide d’un long repos. Entre les côtes à jour, — chose étrange à dire, — se distinguait la forme d’un cœur humain.
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«
« Parlant ainsi, le rude chaufournier leva sa perche et la laissa retomber lourdement sur le squelette ; les restes
Ici, comme tout à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/360]]== gardent une immortelle rancune à qui voulut jadis le leur faire subir, et Outre le côté politique, il y a aussi dans les contes
Le père Éphraïm, le président des anciens, le directeur spirituel et temporel des ''shakers'' (trembleurs) établis à Goshen, malade depuis quelque temps, sent la mort approcher. Il a convoqué autour de lui les principaux de la secte, accourus à sa voix, ceux-ci de Lebanon, ceux-là de Canterbury, de Harvard,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/361]]== un maître Cependant quelques anciens, au regard soupçonneux, insinuent que la gelée
Adam fut le premier à se lasser
Tels sont les successeurs
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Martha semble frémir, et ses lèvres
Mais, en articulant ces mots, Martha devient affreusement pâle, et, sous le regard perçant des anciens, de ces hommes, maintenant étrangers à toute sympathie, à toute indulgence pour les faiblesses humaines, elle se sent frissonner de la tête aux, pieds comme à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/363]]== Sa jeunesse Ils obéissent. Les anciens ont formé le cercle autour
Le vieillard, à ces mots, retombe sur lui-même, épuisé par
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/364]]== dans son linceul, aux pieds de Avec ''la Lettre rouge'', Hawthorne ne compte, dans son
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/365]]== talent incontestable dans le choix des couleurs vagues, des harmonies mystérieuses, des formes entrevues, des intuitions étranges qui lui ont permis de raffermir cette trame fatiguée, Un lecteur intelligent, au début de ce livre, est promptement averti de
Hawthorne a dit lui-même de ses contes avec une rare et louable exagération de modestie <ref> Préface des ''Twice told Tales''. </ref> :
« Ils ont la teinte pâle des fleurs épanouies à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/366]]== touche du peintre est trop souvent empreinte de timidité. Après cette critique loyale de ses propres
Nous touchons au point décisif de cette physionomie littéraire que nous nous sommes appliqué à reproduire bien exactement, telle que nous
Vous rencontreriez dans un wagon, à la promenade, en soirée, une jeune et belle femme, légèrement défigurée par un signe de naissance,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/367]]== que possible, où les excentricités ont pleine carrière, on vous dirait Avec Hawthorne, rien ne se perd si vite, et voilà le sujet de trois de ses contes, non les moins intéressans. Dans le premier (''the Birth-Mark''), il essaiera de symboliser
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/368]]== regards humains, et persista dans sa bizarre résolution « Pourquoi donc,
Arrivons à la singulière escapade de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/369]]== d’elle ; puis, au bout de vingt ans, sans aucun motif qui justifie ce brusque retour, sans plus de raisons que Après ce portrait touché de main de maître, nous avons la fuite de Wakefield, partant de chez lui sous prétexte de voyage et promettant
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/370]]== il faut se décider à retourner sous le joug, les hésitations reviennent. Puis la vanité Nous ne pouvons ici, comme Hawthorne le fait dans sa nouvelle, fouiller les minuties de ce caractère et les détails de cette situation ; mais on a déjà compris en quoi consiste le travail du romancier, et
« Un soir de cette vingtième année, Wakefield était revenu errer autour de cette maison, que souvent encore il lui arrivait
Nous le laisserons paisiblement monter chez lui avec le même sourire narquois qu’il avait aux lèvres le jour où il attrapa si bien sa fidèle
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moitié. Leur bonheur ne nous regarde plus ; mais, sans curiosité impertinente, on peut se demander ce qu’il y a d’enseignement philosophique, aux yeux du romancier, dans cette aventure bourgeoise dont ses combinaisons hypothétiques n’ont pas, tant s’en faut, déguisé la vulgarité. Il se chargera lui-même de nous l’apprendre : « Au sein de l’apparente confusion de notre univers mystérieux, dit-il, les individus sont étroitement adaptés à un système, celui-ci à un autre, ce dernier à un tout quelconque, si bien qu’en se déclassant un seul instant, un homme s’expose à ne plus retrouver sa place dans le mécanisme compliqué auquel il appartenait. Pour avoir voulu quitter sa femme pendant huit jours, Wakefield s’était mis en quelque sorte au ban de l’univers, et ce pouvait être à jamais. » Qui se serait attendu à trouver une ligne si solennelle au bout d’un conte en l’air, presque bouffon ? Personne à coup sûr, et le narrateur tout aussi peu qu’un autre ; mais on n’a pas été l’ami de Waldo Emerson sans garder quelque reflet de sa prestigieuse facilité à grandir les menus incidens de la vie, à réduire les grands faits de l’humanité, à intervertir leur importance relative, à bouleverser enfin les idées reçues par de nouveaux modes d’appréciation, et en vertu d’une méthode critique complètement indépendante, absolument individuelle.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/372]]== le penseur solitaire jette un regard sur le genre humain et ses classifications actuelles, qui font vivre le riche avec les riches, le noble avec les nobles, les ouvriers entre eux, suivant ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/373]]==
On connaît maintenant
Les contes de Hawthorne ne sont pas seulement intéressans comme révélation
E.-D. FORGUES.
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