« Poètes modernes de l’Espagne - Le duc de Rivas » : différence entre les versions
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La sanglante bataille d'Ocaña fut une cruelle et néfaste journée néfaste pour l'Espagne, qui voyait sa fierté trompée, sa résistance vaincue, et pour la France elle-même, qui payait chèrement une victoire douteuse et triste. Ce choc terrible de l'héroïsme guerrier et de l'héroïsme national fut moins encore un combat qu'une grande immolation où l'on vit s'entretuer deux peuples faits pour s'aimer. Parmi les victimes de ce désastre, parmi les blessés restés dans ces plaines funèbres, la fortune se plut à aller relever un jeune officier presque mortellement atteint, et qui déjà ne se pouvait plus mouvoir, pour en faire un des poètes les mieux inspirés de la Péninsule. C'était don Angel de Saavedra, duc de Rivas. Celui qui l'arracha à une mort infaillible était un pauvre soldat du nom de Buendia, dont l'obscur dévouement rappelle celui du Javanais Antonio sauvant Camoëns près de périr sur les mers qui le portaient à Goa, et gardant, sans le savoir, ''les Lusiades'' au monde. Ainsi cette existence poétique s'illuminait, au début, des lueurs du champ de bataille. Depuis, le duc de Rivas a été tour à tour, dans les heures les plus périlleuses, député, ministre, diplomate. Il s'est vu comblé d'honneurs et persécuté. Envoyé aux cortès par sa ville natale en 1822, il était bientôt obligé de se réfugier à Londres, puis condamné à mort par l'audience de Séville. Ministre en 1836 avec MM. Isturitz et Galiano, il n'échappait aux fureurs de la multitude égarée qu'à l'aide d'un déguisement. Aujourd'hui il est ambassadeur à Naples, où le ciel italien lui rend sans doute les douceurs du ciel de l'Andalousie. Comme on voit, c'est l'agitation, le mouvement, la participation à tout ce que l'Espagne a tenté depuis un demi-siècle, c'est-à-dire la vie dans son expression la plus saisissante. En même temps, par un noble effort, le duc de Rivas faisait le ''Moro Exposito (le Bâtard maure''), les ''Romances historiques, don Alvaro ou la force du Destin'', drame étrange, qui fut le premier fruit de la rénovation dramatique espagnole, l'agréable comédie de ''Tanto vales cuanto tienes''. Cette alliance de l'activité extérieure et de l'activité non moins féconde de la pensée, du prestige des aventures romanesques et de l'éclat littéraire, est ce qui distingue beaucoup d'anciens écrivains de la Péninsule. Ercilla, jeune encore, franchissait l'océan pour prendre part aux expéditions d'Amérique, et la nuit, dans l'intervalle de deux combats, il écrivait ces vers de l'''Araucana'', dont la gloire a fait vivre la résistance d'une petite peuplade du Chili. « Aucun pas, disait-il, n'avait été fait sur cette terre qu'il n'en eût mesuré la trace; aucune blessure n'avait été reçue qu'il n'en connût l'auteur. » Garcilasso de la Vega fut un des brillans soldats de Charles-Quint, et, durant ses courses de Vienne à Tunis, comme pour se reposer du fracas des armes, il faisait renaître les pasteurs de Virgile. Avant d'être surpris par la mort dans un assaut, le doux poète avait créé l'églogue espagnole. Hurtado de Mendoza était plus connu comme diplomate, comme gouverneur en Italie, que comme écrivain, et cependant sa plume, tour à tour légère on grave, s'est jouée dans les amusantes intrigues d'un roman picaresque, de ''Lazarille de Tormès'', et a retracé ''l'Histoire des Guerres de Grenade''. Cervantès avait perdu un bras à Lépante; il avait été captif à Alger; il souffrait la pauvreté, et c'est l'ame mûrie par ces revers que, de la main qui lui restait, il écrivit ''Don Quichotte'', ce livre devenu populaire, si attrayant pour la foule, si profond pour le penseur. Race pleine d'énergie active et d'ardeur, qui, dans l'histoire littéraire, forme un contraste naturel avec cette autre famille de grands esprits uniquement voués au travail, sobres d'action, timides même devant les difficultés matérielles, et qui, sans franchir le cercle de leurs coutumes paisibles, devinent, par la méditation, par la profondeur de l'étude, les réalités qu'ils ignorent. Sans aucun doute, ces conditions hasardeuses qu'affrontaient si aisément tant d'hommes célèbres se sont modifiées avec le temps; l'idée qu'on se faisait du rôle de l'écrivain a changé aussi. Au fond cependant, des vicissitudes d'un nouveau genre ont vu se produire les mêmes caractères, la même facilité à se partager entre les exigences d'une vie semée d'agitations et d'embûches et les préoccupations littéraires, à se précipiter dans les plus chaudes mêlées, et à revenir aussitôt aux plus calmes, aux plus délicates recherches de l'art et de la science. Le duc de Rivas n'est point seul, sous ce rapport, en Espagne; il n'est qu'un exemple de plus dans cette génération éprouvée dont Martinez de la Rosa, Toreno, Galiano, Isturitz, ont été les orateurs, les historiens, les publicistes : exemple éclatant, il est vrai, qui fait qu'on peut justement se demander si les souffrances, si les leçons quotidiennes des évènemens, toujours profitables à l'expérience, à la sagesse humaine, servent aussi à faire éclore et à développer les germes de poésie qui sont en nous!▼
La sanglante bataille d’Ocaña fut une cruelle et néfaste journée néfaste pour l’Espagne, qui voyait sa fierté trompée, sa résistance vaincue, et pour la France elle-même, qui payait chèrement une victoire douteuse et triste. Ce choc terrible de l’héroïsme guerrier et de l’héroïsme national fut moins encore un combat qu’une grande immolation où l’on vit s’entretuer deux peuples faits pour s’aimer. Parmi les victimes de ce désastre, parmi les blessés restés dans ces plaines funèbres, la fortune se plut à aller relever un jeune officier presque mortellement atteint, et qui déjà ne se pouvait plus mouvoir, pour en faire un des poètes les mieux inspirés de la Péninsule. C’était don Angel de Saavedra, duc de Rivas. Celui qui l’arracha à une mort infaillible était un pauvre soldat du nom de Buendia, dont l’obscur dévouement rappelle celui du Javanais Antonio sauvant Camoëns près de périr sur les mers qui le portaient à Goa, et gardant, sans le savoir, ''les Lusiades'' au monde. Ainsi cette existence poétique s’illuminait, au début, des lueurs du champ de bataille. Depuis, le duc de Rivas a été tour à tour, dans
Certes, ce serait un cruel sophisme, ainsi que l'a dit l'auteur de ''René'', de vouloir imposer le malheur au génie comme un indispensable aliment. Le malheur corrompt bien plutôt le talent et le frappe d'une de ces langueurs morales pareilles aux maladies lentes, mais incurables, qui détruisent insensiblement le corps. La diversité même de la vie, les distractions laborieuses des honneurs, des devoirs publics, l'entraînement de nécessités pratiques toujours changeantes, sont plus souvent un obstacle qu'un stimulant; ils émiettent, pour ainsi dire, nos facultés, ils émoussent ce qu'il y a de vertu littéraire dans l'esprit, et lui ôtent cette force de concentration qui fait son aptitude à la production intellectuelle. C'est le cours ordinaire des choses; c'est une loi commune à cette foule de vocations indécises qui flottent entre tous les desseins, parce qu'elles ne cèdent à aucune impulsion puissante. Qu'on suppose pourtant, au milieu des épreuves que chaque jour multiplie, une nature heureuse, libre et désintéressée, vraiment marquée à l'origine, pour ainsi parler, du sceau de la Muse : rien ne saurait effacer en elle cette divine et primitive empreinte. Les fatigues des situations les plus diverses ne détourneront pas l'invincible penchant qui la ramène sans cesse vers la poésie comme vers la plus douce gloire ou la consolation la plus élevée. L'inspiration, bien loin de s'éteindre comme une flamme dispersée par le vent, jaillira plus rapide et plus vive, nourrie de ces émotions viriles qu'éveillent dans le coeur les mille accidens d'une destinée orageuse. Quel plus grand intérêt que celui de voir ainsi l'homme que les hasards se disputent ressaisissant toujours la lyre d'or et chantant comme Alcée, au dire d'Horace, les rigueurs de la tempête, de l'exil ou de la guerre <ref> Horace, liv. II, ode 13. </ref>? Ceci peut, à beaucoup d'égards, s'appliquer au duc de Rivas, qui est une de ces organisations favorisées et, avant tout, noblement acquises à l'art. Le dévouement prodigue de la jeunesse, l'occasion, les circonstances, l'ont pu jeter dans les camps et dans les conseils, l'ont seuls fait militaire ou homme d'état; c'est la nature qui l'a fait poète. Dans l'homme politique même se retrouve encore cette qualité précieuse et innée. Soit qu'il se laisse aller à son ardeur révolutionnaire, et s'ouvre ainsi la route de l'exil, soit qu'en présence de la révolution triomphante il jette un triste adieu à Charles IV, qui fut le roi de son enfance, et mette la mémoire de ce souverain, dont l'ame était infirme, sous la protection de son inoffensive candeur, c'est plutôt un instinct généreux qui le domine qu'une conviction raisonnée et fondée sur de savans calculs. Le fond de sa conviction comme de sa poésie, c'est un amour vague, passionné, ardent pour son pays à toutes les époques, dans son passé grandiose, comme dans son présent attristé, comme dans son avenir douteux, - amour peint à chaque page de ses oeuvres en traits où se révèle l'homme qui a souffert de ce mal cruel de l'absence. C'est sans aucun doute par le duc de Rivas que l'Espagne est représentée avec le plus d'éclat dans la littérature européenne. Ainsi l'imagination tient encore le premier rang dans la rénovation intellectuelle de la Péninsule; elle est le signe de l'illustre parenté qui unit quelques-uns des écrivains nouveaux aux génies d'un autre âge. L'histoire de cette antique tradition rajeunie, faite à un point de vue large et élevé, pourrait être l'histoire même de l'Espagne.▼
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les réalités qu’ils ignorent. Sans aucun doute, ces conditions hasardeuses qu’affrontaient si aisément tant d’hommes célèbres se sont modifiées avec le temps ; l’idée qu’on se faisait du rôle de l’écrivain a changé aussi. Au fond cependant, des vicissitudes d’un nouveau genre ont vu se produire les mêmes caractères, la même facilité à se partager entre les exigences d’une vie semée d’agitations et d’embûches et les préoccupations littéraires, à se précipiter dans les plus chaudes mêlées, et à revenir aussitôt aux plus calmes, aux plus délicates recherches de l’art et de la science. Le duc de Rivas n’est point seul, sous ce rapport, en Espagne ; il n’est qu’un exemple de plus dans cette génération éprouvée dont Martinez de la Rosa, Toreno, Galiano, Isturitz, ont été les orateurs, les historiens, les publicistes : exemple éclatant, il est vrai, qui fait qu’on peut justement se demander si les souffrances, si les leçons quotidiennes des évènemens, toujours profitables à l’expérience, à la sagesse humaine, servent aussi à faire éclore et à développer les germes de poésie qui sont en nous !
Certes, ce serait un cruel sophisme, ainsi que l’a dit l’auteur de ''René'', de vouloir imposer le malheur au génie comme un indispensable aliment. Le malheur corrompt bien plutôt le talent et le frappe d’une de ces langueurs morales pareilles aux maladies lentes, mais incurables, qui détruisent insensiblement le corps. La diversité même de la vie, les distractions laborieuses des honneurs, des devoirs publics, l’entraînement de nécessités pratiques toujours changeantes, sont plus souvent un obstacle qu’un stimulant ; ils émiettent, pour ainsi dire, nos facultés, ils émoussent ce qu’il y a de vertu littéraire dans l’esprit, et lui ôtent cette force de concentration qui fait son aptitude à la production intellectuelle. C’est le cours ordinaire des choses ; c’est une loi commune à cette foule de vocations indécises qui flottent entre tous les desseins, parce qu’elles ne cèdent à aucune impulsion puissante. Qu’on suppose pourtant, au milieu des épreuves que chaque jour multiplie, une nature heureuse, libre et désintéressée, vraiment marquée à l’origine, pour ainsi parler, du sceau de la Muse : rien ne saurait effacer en elle cette divine et primitive empreinte. Les fatigues des situations les plus diverses ne détourneront pas l’invincible penchant qui la ramène sans cesse vers la poésie comme vers la plus douce gloire ou la consolation la plus élevée. L’inspiration, bien loin de s’éteindre comme une flamme dispersée par le vent, jaillira plus rapide et plus vive, nourrie de ces émotions viriles qu’éveillent dans le cœur les mille accidens d’une destinée orageuse. Quel plus grand intérêt que celui de voir ainsi l’homme
La littérature castillane, aujourd'hui renaissante, a traversé depuis trois siècles bien des phases diverses; elle a eu ses heures de gloire et d'abattement profond. Faut-il ajouter que ces alternatives dans les destinées de l'art espagnol coïncident toujours avec les périodes de prospérité ou de décadence politique? L'âge qui dans l'histoire littéraire a gardé ce beau nom d'''âge d'or'' répond à ce temps où, chaude encore d'une lutte de sept siècles, l'Espagne se répandait dans le monde entier et tentait de lui imposer une domination gigantesque. Tout alors, dans ce vaste empire, était monté au ton de la grandeur. C'est par l'imagination surtout que brilla cette ancienne et glorieuse littérature. L'exaltation de la foi, l'amour du merveilleux, la fougue spiritualiste, le chevaleresque héroïsme des sentimens, l'audace d'une libre et aventureuse fantaisie, dont l'Espagne s'est montrée si prodigue dans son existence même, devaient être, en effet, des alimens naturels pour l'imagination; mais quand cette sève généreuse fut tarie, quand ces sentimens héroïques furent épuisés, quand les revers vinrent glacer cette ardente et mobile fantaisie, la poésie, à qui l'inquisition avait interdit ces rajeunissemens salutaires produits par le mouvement de la pensée philosophique, n'ayant plus rien à exprimer, se réfugia dans de futiles jeux de parole, dans la recherche, dans l'affectation. Le génie espagnol, enfermé en lui-même, moitié par orgueil, moitié par contrainte, périt par l'abus de ses qualités les plus belles. Primitivement pompeux et fier, il tomba dans l'enflure; naturellement ingénieux, il se perdit dans de méprisables subtilités: par ces deux routes, il aboutit au ''culteranisme''. La poésie de Gongora est le plus prodigieux effort de l'imagination livrée à elle-même, succombant à ses excès et parant encore sa stérilité, sa misère, de haillons de pourpre et d'or. Sous Charles II, il n'existe plus même un seul poète, un seul écrivain, qui mérite d'être cité. L'élément littéraire a disparu avec la vitalité politique.▼
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La littérature castillane, aujourd’hui renaissante, a traversé depuis trois siècles bien des phases diverses ; elle a eu ses heures de gloire et d’abattement profond. Faut-il ajouter que ces alternatives dans les destinées de l’art espagnol coïncident toujours avec les périodes de prospérité ou de décadence politique ? L’âge qui dans l’histoire littéraire a gardé ce beau nom d'''âge d’or'' répond à ce temps où, chaude encore d’une lutte de sept siècles, l’Espagne se répandait dans le monde entier et tentait de lui imposer une domination gigantesque. Tout alors, dans ce vaste empire, était monté au ton de la grandeur. C’est par l’imagination surtout que brilla cette ancienne et glorieuse littérature. L’exaltation de la foi, l’amour du merveilleux, la fougue
C'est d'une telle chute que la Péninsule avait à se relever; c'est de cette flétrissante corruption que l'art a eu à se guérir, à se purifier, pour retrouver une seconde jeunesse. Était-il un génie plus apte à seconder cette oeuvre de réparation que le génie français, si libre et en même temps si sage, si hardi et si pratique, si facile et si mesuré? Le duc d'Anjou, en traversant les Pyrénées, introduisit en Espagne la pensée littéraire de la France aussi bien que sa pensée politique. Auprès de l'époque qui va de Luis de Léon à Calderon, et qui, entre ces deux dates littéraires, a vu naître et grandir Cervantès, Ercilla, Rioja, Lope de Vega, Moreto, Alarcon, Guillen de Castro, le XVIIIe siècle, il est vrai, n'a encore que de pâles mérites; tout, au premier abord, est servile imitation, flagrante copie de nos modèles. Luzan, Montiano, Torre-Palma, Porcel, sont les sectateurs inexpérimentés des doctrines de Boileau bien plus que les disciples des vieux maîtres nationaux. L'influence française fut néanmoins incontestablement salutaire pour l'Espagne. Il ne faut pas s'arrêter aux côtés puérils de l'imitation dans les arts, et ne saisir dans un tel mouvement que les ridicules de cette académie du ''bon goût'', sorte d'hôtel de Rambouillet de la comtesse Lemos. L'influence française eut d'autres effets : elle excita vivement l'esprit espagnol, elle lui ouvrit la route du monde moderne, lui apporta le renouvellement moral qui lui avait manqué autrefois, l'épura des superstitions qui l'avaient souillé, et, en le ramenant pas à pas à la vie, prépara l'instant où il pourrait ressaisir quelques traits de son originalité première. Tandis qu'une complète déchéance littéraire avait signalé les commencemens du XVIIIe siècle, le talent lyrique de Melendez Valdez ornait d'un éclat nouveau ses années tombantes : si l'auteur de l'ode sur le ''Triomphe des Arts'' est français encore par le fond, il retrouve parfois les richesses de l'antique forme espagnole. Le même caractère apparaît dans les poètes venus après lui, et qui marquent non-seulement la transition d'un siècle à l'autre, mais encore le passage de l'imitation française à l'originalité moderne, dans cette école qui se compose de Quintana, Gallego, Arjona, Lista. Ce n'est point sans doute une école puissante, dont le passage ait été victorieux, qui se soit élevée au-dessus des conditions moyennes de l'art, de la mesure, de l'élégance, de la correction; on ne peut nier cependant qu'elle n'ait été un progrès réel, le seul peut-être qui fût possible alors. Il faut ajouter que, lorsque quelques-uns de ces écrivains ont rencontré un sentiment vrai, une émotion patriotique inspirée par le malheur du temps, ils ont su trouver en eux-mêmes des accens généreux et durables. - Le duc de Rivas semble se rattacher à cette tradition par les essais de sa jeunesse; mais ce n'était qu'un premier culte de son esprit inexpérimenté. Sa vraie place devait être dans la renaissance poétique plus profonde et plus large qui allait s'accomplir à côté de la révolution politique. C'est dans quelques-unes de ses compositions lyriques, telles que ''le Proscrit (il Desterrado''), l'ode au ''Phare de Malte'' ou ''Aux Etoiles'', dans ses poèmes ou dans ses drames, qu'on peut voir briller les premiers éclairs du génie nouveau. Destinée singulière ! le combat qu'il avait livré avec l'épée à Ocaña pour l'indépendance, vingt ans plus tard, son intelligence le renouvelait dans le ''Moro Exposito'', pour revendiquer pleinement la nationalité littéraire de son pays. Cette oeuvre d'une imagination facile et énergique a été la première victoire de l'école moderne au-delà des Pyrénées. Le duc de Rivas appartient donc tout entier à la rénovation littéraire espagnole; il en a été le brillant promoteur. Poussé par son instinct, averti par les douleurs dans lesquelles il expiait le tort d'être de son siècle, instruit par l'exil, il a été l'un des premiers à vouloir créer un art qui exprimât fidèlement la civilisation nouvelle de la Péninsule. Ce qu'il y a de grand ou d'incomplet dans ses tentatives tient aux grandeurs et aux imperfections de cette civilisation même, qui n'est point arrivée encore à saisir bien nettement, bien distinctement, et sa loi et son but.▼
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C’est d’une telle chute que la Péninsule avait à se relever ; c’est de cette flétrissante corruption que l’art a eu à se guérir, à se purifier, pour retrouver une seconde jeunesse. Était-il un génie plus apte à seconder cette œuvre de réparation que le génie français, si libre et en même temps si sage, si hardi et si pratique, si facile et si mesuré ? Le duc d’Anjou, en traversant les Pyrénées, introduisit en Espagne la pensée littéraire de la France aussi bien que sa pensée politique. Auprès de l’époque qui va de Luis de Léon à Calderon, et qui, entre ces deux dates littéraires, a vu naître et grandir Cervantès, Ercilla, Rioja, Lope de Vega, Moreto, Alarcon, Guillen de Castro, le XVIIIe siècle, il est vrai, n’a encore que de pâles mérites ; tout, au premier abord, est servile imitation, flagrante copie de nos modèles. Luzan, Montiano, Torre-Palma, Porcel, sont les sectateurs inexpérimentés des doctrines de Boileau bien plus que les disciples des vieux maîtres nationaux. L’influence française fut néanmoins incontestablement salutaire pour l’Espagne. Il ne faut pas s’arrêter aux côtés puérils de l’imitation dans les arts, et ne saisir dans un tel mouvement que les ridicules de cette académie du ''bon goût'', sorte d’hôtel de Rambouillet de la comtesse Lemos. L’influence française eut d’autres effets : elle excita vivement l’esprit espagnol, elle lui ouvrit la route du monde moderne, lui apporta le renouvellement moral qui lui avait
Il n'est point rare de voir en Espagne l'éclat de la naissance rehaussé par le talent littéraire. Il y avait autrefois au-delà des Pyrénées une noblesse belliqueuse et lettrée; des grands seigneurs tels que Santillane ou Villena pouvaient dans leur blason unir aux signes guerriers les signes de la poésie. Malgré la décadence morale de la noblesse, ces exemples se peuvent encore renouveler : don Angel de Saavedra est le second fils d'un grand d'Espagne, du duc de Rivas; il est né, le 10 mars 1791, à Cordoue. L'image de la cité mauresque est bien souvent revenue à sa mémoire; plus d'une fois ses chants ont rappelé ''l'archange'' qui étend ses ''ailes d'or'' sur la ville. « Insigne Cordoue ! dit-il dans le ''Moro'', ô patrie où j'ai goûté l'amour et les caresses qui sont le trésor de l'enfance!...... jamais mon attachement pour toi ne tiédit; tu ne sors pas un seul instant de ma pensée depuis que je traîne sous des climats étrangers une vie nourrie du pain amer de la douleur, mais soutenue par l'espoir qu'à la fin mes cendres pourront reposer dans ton sein..... » Merveilleux témoignage de la puissance de ces premiers souvenirs sur une ame poétique! C'est dès l'enfance que les véritables instincts de Saavedra se sont déclarés; son imagination rebelle à l'étude des sciences exactes ne recherchait pas seulement avec ardeur la poésie; elle se passionnait en même temps pour la peinture. Sa première éducation avait été confiée à un prêtre français émigré, dont le sort pouvait être un précoce et utile enseignement pour son élève. On l'a remarqué d'une façon touchante : l'Espagne payait alors par avance l'hospitalité future que la France devait donner à ses proscrits. Cette vive nature de Saavedra ne fit que se mieux déceler lorsqu'il entra au séminaire des nobles à Madrid, où il poursuivit ses études avec M. Demetrio Ortiz, qui a été depuis à la tête du tribunal supérieur de justice. La révolution déjà imminente, les premiers éclats de la guerre de 1808, ces grands évènemens si propres à détourner le cours d'une existence, le surprirent donc jeune encore, et vinrent donner à son éducation ce complément vigoureux qui fait disparaître toute trace de l'enfant sous le caractère de l'homme. Saavedra voyait commencer sa vie publique sous de terribles auspices son coeur ardent s'ouvrait aux voeux, aux espérances d'une régénération politique qui animaient l'Espagne, comme aux haines nationales suscitées par l'invasion. Témoin des scènes de scandale d'Aranjuez, ces misères de l'autorité souveraine, cette puérile et honteuse dispute du pouvoir entre un roi plus faible que coupable, une reine dissolue, un prince astucieux qui n'avait de l'ambition que les mauvais côtés, et un favori à qui sa fortune, née du caprice, avait fait illusion, ne contribuèrent pas peu sans doute à éveiller en lui le sentiment révolutionnaire exalté qu'il déploya en 1812 et en 1820. La position de sa famille l'appelait d'ailleurs à prendre une part active aux luttes qui s'ouvraient. Saavedra avait été de bonne heure pourvu d'un grade dans l'armée; il était officier dans les gardes-du-corps lorsque la journée du 2 mai rendit l'insurrection générale. C'est à ce titre qu'il fit la guerre de l'indépendance et qu'il exposa noblement sa jeunesse à tous les dangers; c'est à ce titre qu'il se trouvait, le 18 novembre 1809, à la bataille d'Ocaña, où, frappé à la tête et à la poitrine et laissé parmi les morts, il ne dut son salut qu'à un hasard bienfaisant. Le dernier combat auquel il assista fut le combat de Chiclana. C'était le moment où le sol de l'Espagne allait de nouveau être libre. Ainsi, de 1808 à 1814, sa vie est livrée au jeu des batailles, et se poursuit à travers le bruit des armes, le mouvement des insurrections, les incertitudes publiques. Sa destinée agitée est la destinée même du pays. Les colères de Ferdinand VII, qui frappèrent tant d'hommes distingués, épargnèrent du moins Saavedra, et lui laissèrent même d'heureux loisirs. La révolution de 1820 le rejeta tout à coup dans des luttes nouvelles, dans les luttes politiques. Il était député de Cordoue en 1822, et comptait avec MM. Isturitz et Galiano parmi les membres les plus exaltés des cortès. En fallait-il davantage pour que la vie de Saavedra allât aboutir à d'autres épreuves, à celles de la proscription, plus pénibles et plus dures cent fois que les hasards de la guerre?▼
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Au milieu de ces puissantes diversions de la guerre et de la politique qui semblent devoir absorber les facultés d'un homme, ce qui est à remarquer, c'est la persistance, le développement de l'instinct littéraire de Saavedra. Soldat, il saisit toutes les occasions qui le ramènent vers l'étude, vers la culture de l'art, et cela prouve à quel point il était né poète. Dès 1807, il s'était lié avec le comte de Haro, aujourd'hui duc de Frias, et don Mariano Carnerero, et avait rédigé avec eux un journal sous la direction de Capmany. Le même entraînement de ses goûts littéraires, autant que la communauté des sympathies politiques, le rapprochait en 1811, à Cadix, de Gallego, de Quintana, de Martinez de la Rosa. En 1813, il publiait ses premiers essais, parmi lesquels se trouve le ''Paso Honroso'', poème de jeunesse, oublié et médiocre au fond, mais où on peut déjà distinguer une heureuse facilité d'inspiration et une aptitude naturelle à manier la langue poétique. Il faut l'ajouter : quels que fussent les réels penchans de Saavedra, il ne les laissa triompher, il ne s'y livra entièrement que lorsque son épée ne pouvait plus être utile à l'indépendance espagnole. - C'est à ces années de repos de la première restauration que remontent quelques-unes de ses compositions dramatiques peu connues, ''Aliatar'', qui fut jouée avec succès à Séville, ''Mlaleck-Adhel, le duc d'Aquitaine, Doña Blanca'', qui n'a point été publiée. Ce sont des essais plutôt que des ouvrages achevés, même en leur genre restreint. Ce sont les fruits d'un esprit ardent qui a besoin de produire, et se hâte, avant d'avoir trouvé sa vraie route, avant d'avoir découvert les lois secrètes et profondes de l'art. L'imitation, dans ce cas, est naturelle. Tout y doit porter le plus grand novateur lui-même en sa jeunesse, et l'autorité jusque-là respectée de l'exemple, et l'incertitude de la pensée inhabile encore, pour ainsi parler, à creuser son propre cours. Il y avait une autre cause d'ailleurs qui devait retenir Saavedra dans le cercle tracé par l'école littéraire du XVIIIe siècle. L'Espagne, dans ses troubles, dans les violentes préoccupations de sa défense et de sa régénération, n'avait point été initiée au mouvement poétique qui avait éclaté en Europe : les noms de Goethe, de Schiller, de Byron, ou de Scott, étaient des noms inconnus pour ses écrivains; leurs doctrines comme leurs inventions n'avaient pu encore franchir les Pyrénées.▼
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contribuèrent pas peu sans doute à éveiller en lui le sentiment révolutionnaire exalté qu’il déploya en 1812 et en 1820. La position de sa famille l’appelait d’ailleurs à prendre une part active aux luttes qui s’ouvraient. Saavedra avait été de bonne heure pourvu d’un grade dans l’armée ; il était officier dans les gardes-du-corps lorsque la journée du 2 mai rendit l’insurrection générale. C’est à ce titre qu’il fit la guerre de l’indépendance et qu’il exposa noblement sa jeunesse à tous les dangers ; c’est à ce titre qu’il se trouvait, le 18 novembre 1809, à la bataille d’Ocaña, où, frappé à la tête et à la poitrine et laissé parmi les morts, il ne dut son salut qu’à un hasard bienfaisant. Le dernier combat auquel il assista fut le combat de Chiclana. C’était le moment où le sol de l’Espagne allait de nouveau être libre. Ainsi, de 1808 à 1814, sa vie est livrée au jeu des batailles, et se poursuit à travers le bruit des armes, le mouvement des insurrections, les incertitudes publiques. Sa destinée agitée est la destinée même du pays. Les colères de Ferdinand VII, qui frappèrent tant d’hommes distingués, épargnèrent du moins Saavedra, et lui laissèrent même d’heureux loisirs. La révolution de 1820 le rejeta tout à coup dans des luttes nouvelles, dans les luttes politiques. Il était député de Cordoue en 1822, et comptait avec MM. Isturitz et Galiano parmi les membres les plus exaltés des cortès. En fallait-il davantage pour que la vie de Saavedra allât aboutir à d’autres épreuves, à celles de la proscription, plus pénibles et plus dures cent fois que les hasards de la guerre ?
Au milieu de ces puissantes diversions de la guerre et de la politique qui semblent devoir absorber les facultés d’un homme, ce qui est à remarquer, c’est la persistance, le développement de l’instinct littéraire de Saavedra. Soldat, il saisit toutes les occasions qui le ramènent vers l’étude, vers la culture de l’art, et cela prouve à quel point il était né poète. Dès 1807, il s’était lié avec le comte de Haro, aujourd’hui duc de Frias, et don Mariano Carnerero, et avait rédigé avec eux un journal sous la direction de Capmany. Le même entraînement de ses goûts littéraires, autant que la communauté des sympathies politiques, le rapprochait en 1811, à Cadix, de Gallego, de Quintana, de Martinez de la Rosa. En 1813, il publiait ses premiers essais, parmi lesquels se trouve le ''Paso Honroso'', poème de jeunesse, oublié et médiocre au fond, mais où on peut déjà distinguer une heureuse facilité d’inspiration et une aptitude naturelle à manier la langue poétique. Il faut l’ajouter : quels que fussent les réels penchans de Saavedra, il ne les laissa triompher, il ne s’y livra entièrement que lorsque son épée ne pouvait plus être utile à l’indépendance espagnole.
La tragédie de ''Lanuza'', qui date de 1822, ne satisfait pas davantage au point de vue littéraire. L'auteur n'a point songé à retracer quelque vigoureux et solennel tableau du XVIe siècle, où pussent revivre et se mouvoir à l'aise ces hommes si différens : Philippe II, Lanuza, Antonio Perez, - l'un poursuivant de sa haine astucieuse et profonde l'antique esprit d'indépendance provinciale, - l'autre livrant un dernier combat pour les franchises de l'Aragon, - le troisième allant d'aventures en aventures, et, après avoir été le ministre des vengeances de Philippe, son rival dans ses amours, soulevant en fuyant cette insurrection de Saragosse, où périrent les privilèges du pays, où de si nobles têtes tombèrent. Lanuza n'est qu'un nom ici; le vrai sujet est la lutte du libéralisme moderne contre Ferdinand VII. C'est une oeuvre de circonstance, d'allusion, une véhémente harangue de tribun. Or, ce procédé d'allusions, ce mélange d'un intérêt actuel et passager, en un mot, ce travestissement du passé au profit de quelques passions du présent n'offre que de vaines ressources à la poésie dramatique. Quand les auteurs français du XVIIe siècle ranimaient des personnages illustres de l'antiquité, ils pouvaient parfois les voir à travers les préjugés de leur temps; ils avaient peu, il est vrai, l'entente de la couleur locale, ils violaient souvent la vérité historique, mais, à cette vérité appréciable seulement pour la critique, ils substituaient une autre vérité plus large et plus accessible à tous, la vérité humaine. Le Grec ou le Romain était homme avant tout. De la sorte, le XVIIe siècle a pu arriver à créer un art qui a eu sans doute ses imperfections, mais qui avait aussi les élémens d'une beauté et d'une grandeur immortelles, en dehors même des souverains mérites du style. Si, au contraire, on ne va fouiller dans le passé que pour pouvoir jeter dans la balance des partis un évènement dont la ressemblance avec le présent crée quelque mirage éblouissant et trompeur; si la vérité historique et la vérité humaine sont chassées en même temps de la poésie pour faire place à la peinture de ce qu'il y a de plus incertain et de plus mobile, des passions politiques, que peut-il rester à une oeuvre? L'intérêt qui l'a pu faire vivre un seul jour est effacé le lendemain par quelque autre intérêt plus pressant et plus direct, et la laisse tomber dans l'oubli. ''Lanuza'' n'est point la seule oeuvre de ce genre que l'Espagne ait produite. Pendant la guerre de 1808, Quintana et Martinez de la Rosa s'étaient aussi adressés au sentiment surexcité du peuple, le premier dans ''Pelage'', le second dans ''la Veuve de Padilla''. Il faut l'avouer même, ''Lanuza'' n'a qu'un mérite inférieur à celui de ces deux ouvrages. - Au demeurant, le but de l'auteur n'était-il pas atteint? N'avait-il pas voulu faire une oeuvre de passion politique plutôt qu'une oeuvre d'art, et continuer au théâtre une de ces scènes d'émotion telles qu'on en pouvait voir au congrès, lorsque Galiano, dans sa fougue éloquente, disait qu'à défaut de la victoire, il ne resterait plus à l'Espagne que la servitude, et à eux-mêmes « que le poignard de Caton, l'échafaud de Sidney ou le sort de proscrits errans? »▼
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La tragédie de ''Lanuza'', qui date de 1822, ne satisfait pas davantage au point de vue littéraire. L’auteur n’a point songé à retracer quelque vigoureux et solennel tableau du XVIe siècle, où pussent revivre et se mouvoir à l’aise ces hommes si différens : Philippe II, Lanuza, Antonio Perez, — l’un poursuivant de sa haine astucieuse et profonde l’antique esprit d’indépendance provinciale, — l’autre livrant un dernier combat pour les franchises de l’Aragon, — le troisième allant d’aventures en aventures, et, après avoir été le ministre des vengeances de Philippe, son rival dans ses amours, soulevant en fuyant cette insurrection de Saragosse, où périrent les privilèges du pays, où de si nobles têtes tombèrent. Lanuza n’est qu’un nom ici ; le vrai sujet est la lutte du libéralisme moderne contre Ferdinand VII. C’est une œuvre de circonstance, d’allusion, une véhémente harangue de tribun. Or, ce procédé d’allusions, ce mélange d’un intérêt actuel et passager, en un mot, ce travestissement du passé au profit de quelques passions du présent n’offre que de vaines ressources à la poésie dramatique. Quand les auteurs français du XVIIe siècle ranimaient des personnages illustres de l’antiquité, ils pouvaient parfois les voir à travers les préjugés de leur temps ; ils avaient peu, il est vrai, l’entente de la couleur locale, ils violaient souvent la vérité historique, mais, à cette vérité appréciable seulement pour la critique, ils substituaient une autre vérité plus large et plus accessible à tous, la vérité
La restauration de l'absolutisme de Ferdinand VII produisit en effet ce cruel résultat qu'entrevoyait Galiano. Ce n'est point l'instant de juger la révolution de 1820 et son dénouement précipité, d'en marquer le caractère politique; mais il y a dans ces crises un côté moral qu’il faut saisir, sans tenir compte des violences, des récriminations, des excès, des brutalités des partis. Dès ce moment, l'Espagne semble pour ainsi dire divisée en deux portions, l'une livrée volontairement, par un fanatisme incurable, à la servitude, ou fixée au sol par la nécessité; l'autre rejetée au dehors pour son active participation à toutes les tentatives constitutionnelles, pour la fierté de ses idées et de ses désirs. La vie s'extravase en quelque façon. Au-delà des Pyrénées, pendant dix ans, tout essor est comprimé; le pouvoir royal mêle dans ses actes la bouffonnerie et la terreur, frappe les victimes qui hasardent une espérance, supprime les écoles comme de secrets foyers de corruption, et rend des décrets contre les barbes séditieuses de la Catalogne. La littérature qui prospère, c'est une charade dans la ''Gazette de Madrid'' ou quelque honnête grammaire. La censure coupe les ailes au génie de Calderon si on veut le réimprimer, et arrête sur le seuil les écrivains nouveaux, tels que Zarate ou Breton de los Herreros, s'ils tentent d'arriver à la scène. La stagnation est complète; c'est un sommeil semblable à la mort. Larra, dans le ''Pobrecito Hablador'', a fait plus tard le tableau de cet état, avec l'ironie la plus acérée, en peignant l'Espagne sous la figure des ''Batuecas'', vallée re¬nommée pour l'ignorance qui y régnait. « Ici, dit-il, on ne lit, ni on n'écrit, ni on ne parle. » Et le ''Batueco'' se rassure en songeant que les hommes ne meurent pas d'ignorance. Il faut donc chercher ailleurs la vie morale de l'Espagne pendant ce temps; il faut la suivre dans les scènes douloureusement variées de l'exil. Les hommes les plus marquans, MM. Toreno, Martinez de la Rosa, Burgos, Arguellès, Galiano, Isturitz, tous ceux que leurs opinions désignent à la haine de l'absolutisme, sont obligés de s'enfuir; la proscription les jette loin de leur pays, en France, en Angleterre, où leur intelligence reçoit une éducation nouvelle. Se trouvant aux foyers politiques les plus agités, ils étudient la marche des idées constitutionnelles, ils se mêlent au mouvement littéraire de l'Europe, et cherchent dans les travaux de l'esprit des consolations élevées, souvent des ressources. Les oeuvres de ces années d'épreuve forment toute une littérature de l'exil : Toreno écrivait ''l'Histoire du Soulèvement et de la Révolution de 1808''; Martinez de la Rosa se consacrait à des essais plus littéraires, et faisait même représenter à Paris le drame d'''Aben-Humeya''; Canga Arguellès préparait ses publications sur les ''finances'' et l'''administration''; Alcala Galiano s'était fait l'utile collaborateur des ''revues'' anglaises; Telesforo de Trueba imitait tour à tour l'art de Scott et d'Hazlitt dans ses critiques et dans quelques romans. Les ''Contes de l'Espagne romantique'' ont été traduits en français. Dès 1824, quelques hommes de talent, MM. Canga Arguellès, Villanueva, Mendibil, avaient fondé à Londres un recueil sous le titre de ''Loisirs des émigrés espagnols (Ocios de los Emigrados españoles''). Les ''Ocios'' portaient pour épigraphe un mot d'Horace qui devrait servir de devise à toute émigration : ''Vitanda desidia est''! c'est-à-dire, il nous faut déjouer par l'activité de l'intelligence cette corruption secrète que l'inaction et le malheur unis portent souvent avec eux. Les ''Ocios'' parurent jusqu'en 1828; ils contiennent des recherches sur les anciennes constitutions de l'Espagne, sur l’économie politique, des études sur la littérature, sur la philologie, de nombreux essais poétiques. - Ces travaux, dont nous ne voulons pas cependant exagérer le prix, dans leur imperfection même, sont encore dignes d'estime. Ils offrent un exemple salutaire, celui de l'esprit dominant l'adversité. Ce sont les plus nobles soulagemens qui puissent rattacher à la vie dans ces momens où l'exil accroît ses rigueurs, où, sous le poids d'une inexprimable angoisse, on regrette de ne pas dormir dans la patrie opprimée, comme il arrivait à Énée battu par la tempête de la mer Tyrrhénienne d'envier le sort de ceux qui avaient péri sous les murs de Troie, dans les champs d'Ilion vaincue.▼
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La restauration de l’absolutisme de Ferdinand VII produisit en effet ce cruel résultat qu’entrevoyait Galiano. Ce n’est point l’instant de juger la révolution de 1820 et son dénouement précipité, d’en marquer le caractère politique ; mais il y a dans ces crises un côté moral qu’il faut saisir, sans tenir compte des violences, des récriminations, des excès, des brutalités des partis. Dès ce moment, l’Espagne semble pour ainsi dire divisée en deux portions, l’une livrée volontairement, par un fanatisme incurable, à la servitude, ou fixée au sol par la nécessité ; l’autre rejetée au dehors pour son active participation à toutes les tentatives constitutionnelles, pour la fierté de ses idées et de ses désirs. La vie s’extravase en quelque façon. Au-delà des Pyrénées, pendant dix ans, tout essor est comprimé ; le pouvoir royal mêle dans ses actes la bouffonnerie et la terreur, frappe les victimes qui hasardent une espérance, supprime les écoles comme de secrets foyers de corruption, et rend des décrets contre les barbes séditieuses de la
Saavedra occupe une place éminente parmi ces hommes distingués. L'exil n'est pas seulement une épreuve de plus dans sa vie; il marque aussi le vrai point où son goût littéraire, où son talent se transforment. Les douleurs qui viennent l'assaillir, en le contraignant à rentrer en lui-même, à compter, si l'on peut ainsi parler, avec son coeur, le ramènent à la source où toute poésie se retrempe, à la vérité des sentimens. C'est cette vérité exprimée avec éclat qui caractérise plusieurs de ses pièces lyriques. En même temps, dans ses courses à Londres, à Malte, à Paris, il se familiarisait avec les inspirations de la littérature nouvelle de l'Europe, avec les poèmes de Byron, les romans de Scott. Les doctrines modernes, en élevant son point de vue, faisaient reparaître à ses yeux non plus seulement l'Espagne classique du XVIIIe siècle, mais l'Espagne du ''siècle d'or'', et, au fond de l'horizon, ce moyen-âge moitié gothique, moitié arabe, chanté dans les ''romances'' par un peuple de poètes inconnus. Ses écrits, dès-lors, ont les qualités de la poésie de ce siècle; à peine s'attarde-t-il encore un instant dans sa voie ancienne en rimant les octaves faciles du poème incomplet de ''Fiorinda''.▼
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pas cependant exagérer le prix, dans leur imperfection même, sont encore dignes d’estime. Ils offrent un exemple salutaire, celui de l’esprit dominant l’adversité. Ce sont les plus nobles soulagemens qui puissent rattacher à la vie dans ces momens où l’exil accroît ses rigueurs, où, sous le poids d’une inexprimable angoisse, on regrette de ne pas dormir dans la patrie opprimée, comme il arrivait à Énée battu par la tempête de la mer Tyrrhénienne d’envier le sort de ceux qui avaient péri sous les murs de Troie, dans les champs d’Ilion vaincue.
▲Saavedra occupe une place éminente parmi ces hommes distingués.
Les oeuvres lyriques de Saavedra sont comme une histoire émouvante et passionnée de sa vie fugitive. ''Le Proscrit (el Desterrado'') <ref> Les œuvres du duc de Rivas que nous avons sous les yeux ne renferment pas cette ode du ''Proscrit'', et en contiennent certainement de moins belles. Nous ne la retrouvons que dans des ''Ocios'', où elle fut publiée.</ref> est le point de départ. Le poète, réduit à s'éloigner en 1823, gagne Gibraltar, et s'embarque le coeur serré; le vaisseau quitte le bord au moment où la nuit vient déjà :▼
▲Les
« ... Au jour renaissant, je ne te verrai plus, belle Hespérie! le vent furieux m'entraîne et m'éloigne de toi. Tes plages ne réjouiront plus mes yeux, qui interrogeront vainement l'immensité des flots... Ne te cache pas encore, soleil; arrête-toi, par pitié!... Ces coteaux paisibles ne sont-ils pas les champs heureux couverts d'une éternelle verdure où coule le Bétis? Non, mes yeux ne me trompent pas : je te salue et je t'aime, Guadalquivir, roi de l'Andalousie!... Oh! comme tu t'avances avec fierté vers la mer, toi qui coules si tranquille et reflètes dans tes ondes les murs antiques de Cordoue ! Là, j'ai vu pour la première fois la lumière du jour; là, la Fortune souriante m'endormit dans un berceau d'or : qui eût pu croire à son inconstance? Là, tu m'as vu, enfant innocent, ramasser des coquillages et des fleurs; depuis, jeune homme ardent, j'ai laissé sur tes sables l'empreinte des pas d'un cheval fougueux en allant parcourir tes bords. Tu m'as entendu enfin chantant des exploits ou soupirant l'amour, et tu as aimé mes accens... Ah ! sur tes belles rives, j'ai joui de la richesse, de l'amour et de la gloire, avant que mon étoile me devînt contraire. Toi qui me vis enivré de joie, ô Guadalquivir! regarde-moi maintenant, pauvre, malheureux, triste, proscrit, fendant la mer et fuyant sans avenir.▼
«… Au jour renaissant, je ne te verrai plus, belle Hespérie ! le vent furieux m’entraîne et m’éloigne de toi. Tes plages ne réjouiront plus mes yeux, qui interrogeront vainement l’immensité des flots… Ne te cache pas encore, soleil ; arrête-toi, par pitié !… Ces coteaux paisibles ne sont-ils pas les champs heureux couverts d’une éternelle verdure où coule le Bétis ? Non, mes yeux ne me trompent pas : je te salue et je t’aime, Guadalquivir, roi de l’Andalousie !… Oh ! comme tu t’avances avec fierté vers la mer, toi qui coules si
« Patrie ingrate, tu me rejettes avec fureur de ton sein, récompensant ainsi mon amour! Pourtant j'ai rougi de mon sang les moissons de tes campagnes en combattant pour ton indépendance et pour ta gloire... et ma voix, si humble qu'elle soit, s'est fait entendre pour ta liberté. »▼
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▲« Patrie ingrate, tu me rejettes avec fureur de ton sein, récompensant ainsi mon amour ! Pourtant
Mais, aux yeux du poète, cette patrie n'existe plus; ce n'est qu'un mélange odieux d'oppresseurs et d'opprimés. Il s'indigne de l'audace des uns, de la facile résignation des autres. « Il n'est plus d'espérance, » dit-il, et, appelant la destruction sur cette terre, il lance une imprécation terrible qui expire tout à coup sur ses lèvres▼
▲Mais, aux yeux du poète, cette patrie
« Quel sentiment s'élève en moi et s'empare de mon coeur?... Où sont ces affreux fantômes qui entouraient mon front enflammé? Ils fuient, ils disparaissent, et d'autres objets apparaissent à mes regards.▼
▲« Quel sentiment
« Ma mère ! mère adorée ! doux nom qui remplit et console mon ame! Hélas! tu vis, tu m'aimes, et pour moi, dans l'angoisse, tu verses des larmes sans fin. Mes frères, vous aussi, vous que mon sort condamne à un éternel regret, et toi, Angélique, qui as allumé dans mon coeur une flamme qui ne s'éteindra pas, et vous, amis fidèles, douceur et consolation de ma vie, objets de mon ardent amour, où êtes-vous?...... Qu'entends-je? L'onde a-t-elle pris une voix? Non, ce n'est pas le sifflement du vent, ce n'est pas le bruissement de la mer; c'est la voix de ceux que j'aime qui me répond : « Malheureux, nous sommes ici sur ce sol où tu es né et que tu maudis avec tant de fureur; nous sommes dans ces lieux qui virent ton bonheur, et nous pleurons, nous adressons à Dieu des voeux fervens pour toi et pour cette patrie plus malheureuse que coupable...... Nous sommes dans cette Espagne où on entend le doux parler que tu as balbutié dans l'enfance, où les nobles coutumes des aïeux reçoivent encore notre culte, dans ce pays enfin que tu outrages et contre lequel tu invoques l'anathème d'un ciel vengeur. »▼
▲« Ma mère ! mère adorée ! doux nom qui remplit et console mon ame ! Hélas ! tu vis, tu
« Non, par pitié! accens qui fîtes souvent mon allégresse et qui maintenant déchirez mon ame, assez! Ma lèvre a-t-elle pu laisser échapper un tel blasphème? Pardonne, Espagne malheureuse et aimée; c'est la simplicité de tes enfans, et non leur corruption, qui a fait tes maux. Les étrangers se sont unis à des tyrans pour te ravir ta liberté naissante; mais leurs triomphes seront passagers : les vengeurs ne te manqueront pas...... Quand ce grand jour se lèvera-t-il? Ah! qu'il vienne tant que l'ardeur de la jeunesse échauffera mes veines et que mes bras conserveront leur force!▼
« Non, par pitié ! accens qui fîtes souvent mon allégresse et qui maintenant déchirez mon ame, assez ! Ma lèvre a-t-elle pu laisser échapper un tel blasphème ? Pardonne, Espagne malheureuse et aimée ; c’est la simplicité de
« Mais, si les lois immuables du destin éloignent encore cette heure souhaitée de la réparation, qu'elle vienne du moins avant que la mort cruelle me frappe de son inexorable main! Que mes yeux pleins de larmes, doux pays, puissent voir tes campagnes, fût-ce au moment où ma tête blanchie s'abaissera sous le couteau de la Parque inclémente, où la tombe muette m'ouvrira ses bras! Que je foule encore ton sol libre, riche, heureux et indépendant, dût-il être pour moi désert, sans amours et sans amitiés, et ne m'offrir que des tombeaux où aller répandre des larmes et des fleurs! Et, dans cette vallée natale où coule le Guadalquivir à la lumière silencieuse de la lune, que je puisse jeter au vent le dernier de mes chants, ayant pour m'entendre célébrer ta gloire, ô patrie, les hommes qui ne sont pas nés encore et maudissant avec eux la mémoire de tes fils indignes qui te dégradent et t'oppriment! - Alors je briserai ma lyre et je mourrai content, allant chercher l'éternel repos à côté de mes aïeux...... »▼
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▲« Mais, si les lois immuables du destin éloignent encore cette heure souhaitée de la réparation,
Il serait difficile de rendre le feu de cette plainte énergique et saisissante, de reproduire exactement, dans un langage étranger, la couleur dramatique que lui donne cette brûlante rapidité d'émotions qui se succèdent et se heurtent, pour aller se perdre dans un invincible élan d'amour. Ce n'est point, on le sent, un simulacre de douleur; c'est un deuil réel, ce sont des larmes vraies : l'imagination ne fait que venir en aide au coeur oppressé. L'ode ''Aux Etoiles'' date du même instant. Ceci n'était toutefois que la première heure de l'exil, l'heure de la fuite amère et inconsolable, qui devait être suivie pour l'auteur de longues années d'absence pendant lesquelles il eut à souffrir plus que l'incertitude morale de la proscription. Plus d'une fois le besoin vint l'assaillir. Tantôt, vivant à Londres, il évoquait tristement, au milieu des brouillards de la Tamise, les souvenirs enivrans du pays natal, comme le témoigne ''le Rêve du Proscrit (el Sueño del Proscrito''); tantôt, espérant trouver à Rome un ciel plus clément et des spectacles mieux faits pour l'inspirer, il se dirigeait vers cette antique patrie des arts, mais la police italienne l'expulsait soudainement de Livourne, et il se voyait contraint de se réfugier à Malte. L'ode au ''Phare de Malte'' reproduit ses impressions lorsqu'il aborda pour la première fois à cette île, en 1828, après avoir failli périr dans une tempête. Puis il retournait en France, et là encore il n'échappait pas aux plus dures nécessités. La peinture, qui avait été un des amusemens de sa jeunesse, devenait pour lui un moyen d'existence. On a remarqué à cette époque divers tableaux de Saavedra; le musée d'Orléans en a conservé même. Il n'est qu'une joie qui puisse alors tempérer la tristesse de son coeur, c'est son union avec cette ''Angélique'' qu'il avait chantée dans ''le Proscrit''. L'ode ''A son fils (A mi hijo Gonzalo''), qui vint bientôt au monde, est une de celles où perce le plus pur et le plus doux accent de vérité :▼
▲Il serait difficile de rendre le feu de cette plainte énergique et saisissante, de reproduire exactement, dans un langage étranger, la couleur dramatique que lui donne cette brûlante rapidité
« Sur le sein de ta mère, tu dors, mon doux amour, comme une perle de rosée sur une fleur; la candeur céleste d'une jeune ame se reflète sur ta figure comme un rayon de soleil dans le diamant.▼
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devenait pour lui un moyen d’existence. On a remarqué à cette époque divers tableaux de Saavedra ; le musée d’Orléans en a conservé même. Il n’est qu’une joie qui puisse alors tempérer la tristesse de son cœur, c’est son union avec cette ''Angélique'' qu’il avait chantée dans ''le Proscrit''. L’ode ''A son fils (A mi hijo Gonzalo''), qui vint bientôt au monde, est une de celles où perce le plus pur et le plus doux accent de vérité :
▲« Sur le sein de ta mère, tu dors, mon doux amour, comme une perle de rosée sur une fleur ; la candeur céleste
« Ton pied n'a pas encore foulé la terre impure, tes mains n'ont pas touché le fer cruel et l'or corrupteur. Cette bouche suave, inhabile encore à parler et où règne une pureté angélique, n'a pu offenser personne.▼
▲« Ton pied
« Tu ignores ce que c'est que la mort, ce que c'est que la vie. Cependant les heures s'envolent muettes. Quel sera ton destin? Ah! que t'importe? tu jouis de tes songes paisibles sans songer qu'il y a un lendemain.▼
▲« Tu ignores ce que
« Dors, gage adoré; éveille-toi seulement aux doux baisers que nous te donnerons, ta mère ou moi, - et enchante un instant mon ame, qui a épuisé la coupe de l'infortune.▼
▲« Dors, gage adoré ; éveille-toi seulement aux doux baisers que nous te donnerons, ta mère ou moi,
« Quand tu souris à mes tendres caresses, j'oublie ce qui a été et ce qui peut être encore; qu'importent, si je te vois souriant, et les mépris de la fortune et les colères du pouvoir?▼
▲« Quand tu souris à mes tendres caresses,
« Mais il n'est pas de joie complète, hélas! Lorsque je te regarde, je soupire en songeant à ton avenir...... Inexplicable mystère que, comme toi, j'ignore, et que ni la science, ni l'or, ni la force ne peuvent découvrir.▼
▲« Mais il
« Une branche de rosier tombe dans un ruisseau tranquille qui couvre à peine la terre. - Heureuse si elle peut s'enfoncer dans ce sol humide et si elle grandit à l'abri du rameau paternel !▼
▲« Une branche de rosier tombe dans un ruisseau tranquille qui couvre à peine la terre.
« Si un courant invisible l'entraîne vers le fleuve, elle peut encore s'attacher à une rive, y prendre racine, et devenir un magnifique arbuste.▼
▲« Si un courant invisible
« Mais, si le fleuve plus fort la pousse vers la mer, l'ouragan la saisit, les flots la secouent avec fureur, - et elle périt, mon fils; elle est précipitée au fond des ondes ou va sécher au pied de quelque écueil ...... »▼
▲« Mais, si le fleuve plus fort la pousse vers la mer,
Saavedra songeait en même temps et travaillait déjà au ''Moro Exposito'', qui fut publié à Paris en 1834.
Ainsi,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/340]]== poursuivre leur invincible cours. Sans doute, considérée en elle-même, dans les résultats positifs, pratiques, ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/341]]== se trouvait indissolublement liée à la révolution politique de la Péninsule. ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/342]]== dans le drame par ''Don Alvaro'', et a consolidé sa gloire par les ''Romances historiques''. Quand ''le Bâtard maure'' parut en 1834,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/343]]==
Le duc de Rivas fait revivre, dans son poème,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/344]]== vie. Mudarra arrive auprès de Zaïde, à Aucun détail ne manque à cette horrible tragédie. Vingt ans avant le moment où parle Zaïde, qui a été
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/345]]== Certes, Durant ces vingt années qui ont conduit Mudarra à son âge viril, que
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/346]]== mêlé de folie. Mudarra cependant Il est aisé de le remarquer, la fiction se mêle sans cesse à l’histoire dans ''le Bâtard maure'', et cela serait plus visible encore s’il était possible de suivre la fantaisie du poète dans tous ses détours, dans toutes ses excursions. Le duc de Rivas a mérité d’être appelé le Walter
Il est aisé de le remarquer, la fiction se mêle sans cesse à l'histoire dans ''le Bâtard maure'', et cela serait plus visible encore s'il était possible de suivre la fantaisie du poète dans tous ses détours, dans toutes ses excursions. Le duc de Rivas a mérité d'être appelé le Walter Scott de l'Espagne moderne, jugement qui est l'indication du prix attaché à son talent plutôt qu'une appréciation bien exacte. Cette habileté du récit en effet, cette connaissance profonde et désintéressée de la nature humaine, cet art de recomposer les caractères les plus divers avec une fidélité minutieuse, de reconstruire une époque dans son ensemble et dans ses détails, de faire vivre et agir les hommes en donnant de la logique même à leurs inconséquences, du naturel même à leurs folies, - toutes ces qualités, en un mot, qui font le génie du grand auteur des ''Puritains'' et de ''Rob-Roy'', n'apparaissent que faiblement dans le ''Moro Exposito''. Il y a sans contredit des élémens dramatiques dans l'action; il y a des tableaux puissans et vrais à côté de quelques scènes comiques par momens heureuses; il y a des traits énergiques et expressifs dans les caractères que l'auteur retrace, dans Gonzalo Gustios, Ruy Velazquez, Mudarra, Zaïde, le vieux serviteur Nuño, la pauvre nourrice Elvida. La pureté idéale de Kerima fait un noble contraste avec la beauté hautaine, empreinte de passions sensuelles, de la vindicative doña Lambra. « Pourquoi, dit le poète, le ciel n'a-t-il pas mis dans doña Lambra une ame noble et grande, digne d'habiter un si beau corps? C'était un sépulcre de marbre brillant au dehors, et qui recélait dans son sein les vers et la pourriture. Elle ressemblait à un riche palais où éclatent l'or, le bronze et le jaspe, et où se cachent des hyènes furieuses » Certainement la vie circule avec abondance dans cette oeuvre, dont l'analyse ne peut donner que le froid squelette; mais ce qui manque à tous ces élémens rassemblés par l'auteur, c'est la cohésion, l'unité; ce qui manque à l'action, c'est une suite logique et bien déterminée. Nulle part on ne sent la présence de ce sentiment supérieur de l'ordre, qui doit présider même aux inventions les plus libres, et qui marque la différence entre une ébauche, quelque magnifique qu'elle soit, et une oeuvre achevée. Encore moins peut-on y reconnaître le génie large et compréhensif de Walter Scott; si ces deux noms ont pu être rapprochés, c'est parce que le goût de cette poésie chevaleresque a été visiblement suggéré à l'écrivain espagnol par l'illustre Écossais, et que ''le Bâtard maure'' est le premier essai pour lui donner une naturalisation nouvelle au-delà des Pyrénées. - La partie la plus incontestablement belle du poème est la partie lyrique. Là l'inspiration se retrouve dans sa force et dans son originalité, soit que l'auteur donne cours à ses plus intimes émotions, soit qu'il dépeigne la beauté des campagnes. S'il ramène quelqu'un de ses héros dans son pays après une longue absence, il fait involontairement un retour sur lui-même.▼
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« Oui, dit-il, les doux souvenirs de la patrie se fortifient loin du foyer paternel ; nous nous imaginons que tout en elle doit être immuable, et nous souhaitons avec anxiété de la revoir, pensant que rien
« Voici cependant
« Une autre scène
« Et les campagnes, combien elles sont différentes ! Là, les laboureurs en
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/349]]== troupe et demi nus suivent en chantant les « Enfin ce siècle vit, dans la Bétique, un empire illustre et tout puissant, une nation grande, brillante et riche, mais dont la déchéance prochaine
Un pareil éclat rappelle
''Don Alvaro à la Fuerza del Sino'' a réalisé au théâtre, en 1835, un progrès analogue. Si
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/350]]== des plus plates vulgarités étrangères, et de Le drame du duc de Rivas est tout d’invention ; il est né exclusivement de la fantaisie du poète ; aucune date certaine ne pourrait être assignée à l’action. Si quelques mots sur la guerre de Philippe V n’indiquaient qu’il la faut placer au XVIIIe siècle, les campagnes d’Italie où don Alvaro va vainement chercher la mort pourraient aussi bien être les campagnes de Charles-Quint. Le vrai sujet, c’est la vie
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d’un homme livrée aux poursuites inflexibles du malheur ; c’est la ''force du destin'' prenant un être condamné à son berceau, pour le pousser, de déception en déception, de douleur en douleur, de chute en chute, jusqu’à une fin lamentable. Cette fatalité, que nous montrions dénouant les amours du bâtard maure et de Kerima, elle est ici dans toute sa puissance. Don Alvaro est le fils d’un vice-roi révolté du Pérou, qui s’est uni à une descendante des Incas pour secouer le joug castillan, au mépris de la loyauté et de l’honneur. C’est donc sous un astre funeste qu’il voit le jour. Il a traversé les mers pour venir justifier la mémoire de son père, mort avec la flétrissure du traître, pour chercher à laver l’écusson qui lui a été laissé souillé, et qu’il ne peut tirer de l’ombre avant l’heure de la réhabilitation. A Séville, où il vit cependant, sa naissance est ignorée ; héros de la famille de Conrad ou de Lara, il n’est connu que pour la beauté étrange de sa figure, pour la profusion de ses richesses, et la facilité avec laquelle il jette l’or à pleines mains. Le mystère même dont il s’environne attire sur lui tous les yeux. L’inexprimable fierté qui perce en lui, l’apparence de noblesse qu’il garde toujours, tous ces dons extérieurs, à l’aide desquels il séduit et fascine les regards, empêchent qu’on ne sonde plus profondément les secrets de sa vie. C’est dans cette situation où le merveilleux a sa part, que don Alvaro s’éprend d’un violent amour pour doña Léonor de Vargas, la fille du marquis de Calatrava ; mais lui qui n’a qu’un nom inconnu à offrir, dont la fortune est peut-être celle d’un aventurier heureux, d’un pirate qui veut se reposer dans les jouissances de ses fatigues coupables, comment pourrait-il aspirer à la main de l’héritière d’une illustre race ? Il l’a osé pourtant, et la passion qu’il a éveillée dans l’ame de Léonor lui faciliterait singulièrement la route, s’il n’y avait un obstacle plus fort, celui que met entre eux l’honneur de la maison de Calatrava. Le vieux marquis oppose un refus invincible. Dans ces circonstances, Léonor, entraînée par l’amour de don Alvaro, consent à le suivre. La nuit les réunit secrètement, comme Roméo et Juliette. Près de partir, ils épanchent encore leur ardeur passionnée. Malgré tout, la jeune fille ne saurait étouffer ses regrets, ses remords, les terreurs qu’elle éprouve en foulant aux pieds le devoir et l’affection filiale ; elle veut retarder, elle hésite, elle se combat elle-même, lorsqu’au milieu de ces incertitudes et de ces angoisses apparaît la figure irritée du père. Don Alvaro abaisse son orgueil devant le marquis, qui veut le faire enchaîner comme un vil larron ; il se met à ses genoux, appelant sur lui seul le châtiment, et dépose à terre un pistolet dont il s’était d’abord
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saisi ; mais, par un jeu cruel du destin, ce pistolet part, et va frapper Calatrava, qui tombe et meurt en maudissant sa fille. Affreuse catastrophe ! Vainement, dès-lors, don Alvaro cherchera à retrouver la paix, à réunir les élémens dispersés de son bonheur, comme on rassemble les morceaux d’un verre fragile qui a volé en éclats : le malheur partout l’accompagne ; chaque effort qu’il tentera ne fera qu’élargir l’intervalle marqué de sang qui le sépare de Léonor. La lutte qui s’est engagée dans cette nuit funeste entre les serviteurs de Calatrava et don Alvaro, lutte où celui-ci a failli succomber, fait même que chacun des deux amans perd la trace de l’autre. Léonor s’enfuit chez une de ses parentes à Cordoue, et bientôt va se cacher plus profondément, sous les habits d’un religieux, dans une solitude abrupte qui avoisine le couvent des Anges, à Hornachuelos. Là, elle vit isolée, pleine de douleur et de repentir, retranchée du monde, morte pour sa famille. Pendant ce temps, don Alvaro, afin de tromper son désespoir, ou pour y mettre un terme, est allé, sous le nom de don Fadrique de Herreros, se mêler aux guerres d’Italie, et, bien loin de rencontrer la mort en allant au-devant d’elle, il ne fait qu’acquérir une brillante renommée de courage. Il n’a qu’un ami auquel il est lié par la communauté des dangers, par la noble fraternité du champ de bataille : c’est un jeune officier, don Félix de Avendaña ; et, comme si le destin préparait une embûche sous chacune de ses joies passagères, don Félix n’est autre que le fils aîné du marquis de Calatrava, qui est à sa recherche pour venger la mort de son père et l’honneur de sa maison. C’est cette amitié même qui les remet en présence sous leurs vrais noms de don Alvaro et de don Carlos de Vargas. Le premier gravement blessé, dans la prévision de la mort, confie à son ami une cassette, pour brûler, s’il succombe, les papiers qui y sont contenus. Celui-ci, cédant à un instinct plus fort que sa loyauté, ouvre à peine la cassette, et voit le portrait de sa sœur, doña Léonor. Tout lui indique qu’il a enfin trouvé le meurtrier de son père ; il attend sa guérison, le provoque, et tombe fatalement lui-même sous les coups de son adversaire, qui s’est inutilement efforcé de détourner cette catastrophe nouvelle. Ce n’est pas tout encore : don Alvaro revient-il en Espagne pour s’enfermer au couvent des Anges et se soustraire par là aux malignes influences de sa fortune, la paisible expiation ne lui est pas permise. Le second fils du marquis de Calatrava, don Alonso, viole sa retraite, l’arrache à sa cellule, fouette son sang par l’injure, et lui remet une épée dans la main ; don Alonso meurt comme son frère, dans une gorge de la montagne, laissant don Alvaro pétrifié.
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Il n’y a qu’une terreur à ajouter à celle-ci, c’est l’apparition de doña Léonor à cette heure suprême ; le combat a eu lieu, en effet, près de la solitude où elle s’est ensevelie depuis long-temps. Son frère mourant peut encore rassembler ses forces pour la frapper d’un coup de poignard. Don Alvaro se précipite du haut d’un rocher en jetant au ciel un dernier blasphème, et les moines, les gardiens du couvent, accourus, s’écrient, pleins d’épouvante : « Miséricorde ! Seigneur, miséricorde ! »
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/354]]== les efforts tentés pour corriger la fortune obtiendront quelque prix ? La morne pitié Quel que soit
Le talent du duc de Rivas
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/355]]== Séville chez sa Le ''romance'', on le sait, est un genre particulier à la Péninsule.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/356]]== anciens et la poésie moderne représentent tour à tour les mêmes hommes, les mêmes actions, les mêmes évènemens. Les ''Romances historiques'' sont Lorsque le duc de Rivas écrivait ''le Bâtard maure'' et ''don Alvaro ou la Force du Destin'', il était presque seul ; aucune voix
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/357]]== et souhaitée avait pris des proportions plus larges et était devenue le travail commun de tous les esprits. Ces années, en effet, ont vu surgir de nombreux poètes. Au théâtre, M. Gil y Zarate a fait ''Charles II, Rosmunda, Guzman-le-Bon'' ; M. Hartzenbusch a donné ''les Amans de Teruel, doña Mencia ; le Troubadour, le Page'', de M. Garcia Gutierez, ont été de grands espoirs ; M. Breton de los Herreros a écrit cent pièces pleines de gaieté et de verve ; M. Zorrilla Est-ce à dire, cependant, que ce mouvement littéraire, malgré les meilleurs efforts pour atteindre un tel but, présente une entière et puissante originalité ? Est-ce à dire que ces écrivains, dont les productions brillent parfois
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/358]]== est encore à la recherche de CHARLES DE MAZADE.
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