« L’Irlande en 1867 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Zoé (discussion | contributions)
Nouvelle page : {{TextQuality|75%}} {{journal|L’Irlande en 1867|Léonce de Lavergne|Revue des Deux Mondes T.72, 1867}} {{R2Mondes|1867|72|749}} La tentative du ''fenianisme'' a rappelé l...
 
ThomasBot (discussion | contributions)
m Zoé: match
Ligne 2 :
{{journal|L’Irlande en 1867|[[Léonce de Lavergne]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.72, 1867}}
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/753]]==
{{R2Mondes|1867|72|749}}
La tentative du ''fenianisme'' a rappelé l’attention sur l’état de l’Irlande. Depuis l’épouvantable famine de 1847, ce pays subissait une transformation continue, suffisante suivant les uns, insuffisante suivant les autres, mais qui ne donnait plus à l’Angleterre les mêmes embarras que par le passé. Le torrent d’émigration que, d’après ses traditions bibliques, le public anglais avait qualifié d’''exode'', suivait son cours; de 8 millions d’âmes en1846, la population descendait graduellement à 5,500,000 en 1866. C’était là sans doute pour le royaume-uni une grande perte d’hommes; l’Angleterre se consolait en songeant que la plupart des difficultés de l’Irlande s’en allaient avec eux. On aimait à croire que tout au moins le temps des insurrections irlandaises était passé. L’invasion ''feniane'' est venue interrompre tout à coup cette sécurité. On n’avait pas prévu qu’une partie de ces émigrés dont le départ semblait donner des gages à la paix publique reviendrait de l’exil les armes à la main. Au premier moment, tout le monde s’est mis d’accord pour assurer une répression vigoureuse; le péril passé, on s’est demandé s’il ne serait pas possible d’éviter le retour de pareilles crises. De là une vive polémique dans les journaux et les livres; les anciens griefs contre l’organisation économique et sociale de l’Irlande ont reparu, et une nouvelle croisade s’est organisée contre la propriété irlandaise, considérée comme la principale source du mal.
 
Un grand propriétaire irlandais, lord Dufferin, a voulu répondre à ces attaques. Il a commencé par écrire au journal le ''Times'' une série de lettres; il à réuni ensuite ces lettres en un volume intitulé l’''Émigration irlandaise et la tenure des terres en Irlande''. Cet écrit remarquable fait parfaitement connaître l’état de la question; les vingt ans écoulés depuis 1847 n’ont pas apporté en Irlande tous les changemens désirables; mais il serait injuste de méconnaître une visible amélioration, et si de nouvelles mesures peuvent être utiles, il n’y a plus rien de fondamental à tenter, du moins en économie rurale, car les questions politiques et religieuses sont entièrement réservées dans le livre de lord Dufferin. Même au point de vue de la paix religieuse, les choses s’améliorent en Irlande,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/754]]==
{{R2Mondes|1867|72|750}}
et ce qui le prouve, c’est l’attitude que le clergé catholique a prise à l’égard des ''fenians''. Voilà pourtant où il reste le plus à faire : l’Angleterre n’aura rempli ses devoirs envers l’Irlande qu’autant que l’égalité des deux cultes y sera complète. Pour le moment, il ne s’agit ici que de la propriété et de la culture.
 
Ligne 14 :
 
On peut s’étonner que, dans le même moment où des plaintes si vives
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/755]]==
{{R2Mondes|1867|72|751}}
s’élèvent en France contre ce qu’on appelle la ''dépopulation des campagnes'', l’émigration rurale soit considérée en Irlande comme un bien. C’est que la question ne se présente nullement sous le même aspect dans les deux pays. En 1847, la population rurale surabondait en Irlande; elle s’élevait en moyenne à 60 têtes par 100 hectares <ref> C’est du moins ce que j’ai trouvé. Les calculs cités plus haut la portent à 75. </ref>, tandis qu’en France elle était de 40. Le genre de culture qui domine en Irlande diffère d’ailleurs profondément de la culture française; la vigne, qui exige tant de bras, y est inconnue, et les autres cultures industrielles qui font la richesse de nos plus florissantes campagnes ne s’y sont pas naturalisées, à l’exception du lin. La nature des choses veut que la population rurale soit en Irlande moins nombreuse qu’en France, et elle était bien supérieure. On doit comprendre alors que la réduction puisse être à la fois un fléau pour l’une et un bienfait pour l’autre.
 
Ligne 20 :
 
Sans doute l’émigration est un remède déplorable, douloureux; on ne sort pas d’une situation comme celle de l’Irlande sans un suprême effort. Un jour viendra où l’Irlande pourra nourrir, comme l’Angleterre, le double de sa population actuelle; mais il faut, pour en arriver là, toute une révolution agricole, industrielle et commerciale. De pareils
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/756]]==
{{R2Mondes|1867|72|752}}
changemens ne peuvent pas s’accomplir en un jour. En attendant, lord Dufferin fait remarquer que des pays plus prospères, comme l’Angleterre et l’Allemagne, paient aussi leur tribut à l’émigration. Le sort de ces émigrans n’est pas, après tout, fort à plaindre. En quittant un pays où ils vivent dans la misère pour un pays où la terre est fertile et à bon marché; ils ont fait d’assez bonnes affaires pour qu’ils aient pu envoyer à leurs compatriotes d’Irlande au-delà de 13 millions sterling (325 millions de francs) depuis vingt ans pour leur faciliter les moyens de suivre leur exemple. Ces énormes envois d’argent donnent à l’émigration son principal encouragement. Quelques-uns même de ces émigrans reviennent au pays natal, non comme les ''fenians'', pour y porter la révolte, mais avec un capital qu’ils ont amassé en Amérique par leur travail. « Mes meilleurs fermiers, dit lord Dufferin, sont en ce moment des hommes qui ont émigré dans leur jeunesse. »
 
Ligne 26 :
 
En admettant que la production des céréales ait un peu diminué, la population n’en souffre pas, car elle a diminué elle-même dans une plus forte proportion, et l’importation de grains étrangers a pris de grands développemens. Avant 1847, l’importation était à peu près nulle; elle s’élève aujourd’hui, année moyenne, à 2 millions de quarters de froment (près de 6 millions d’hectolitres) et à une quantité égale de maïs. Le maïs surtout donne une nourriture à bon marché. La pomme de terre n’est plus la seule ressource alimentaire de la population rurale, mais elle est toujours cultivée sur d’immenses étendues; l’Irlande produit proportionnellement beaucoup plus de pommes de terre que
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/757]]==
{{R2Mondes|1867|72|753}}
l’Angleterre, qui en produit déjà plus que la France. La valeur totale du bétail a presque doublé depuis vingt-cinq ans; on la portait à 20 millions sterling (500 millions de francs) en 1841 ; on la porte aujourd’hui à près d’un milliard. Voilà un incontestable progrès. L’avoine est le seul grain que le climat permette de cultiver sérieusement. On n’a jamais pu consacrer aux autres grains que 200,000 hectares (500,000 acres), ou le quarantième du sol. L’essentiel est de développer la culture des turneps, des betteraves, des prairies artificielles, concurremment avec les herbages; avec le produit de ses récoltes vertes, l’Irlande achète et achètera le supplément de céréales dont elle a besoin.
 
Ligne 32 :
 
L’Angleterre offre plus naturellement le modèle dont l’Irlande tend à se rapprocher. Dans ce pays si productif, l’étendue moyenne des fermes est de 50 hectares, déduction faite des terres incultes, et les deux tiers ont moins de 100 acres ou 40 hectares. Suivant toute apparence, l’Irlande n’arrivera même pas jusque-là. Il faut, pour cultiver convenablement une ferme de 40 à 50 hectares, un capital qui manquera longtemps aux fermiers irlandais. Il y a d’ailleurs dans la population une répugnance instinctive à passer de l’état de tenancier à celui d’ouvrier salarié. Cette résistance n’est pas toujours fondée, car un ouvrier bien payé vaut mieux qu’un tenancier misérable; mais l’attachement au sol ne raisonne pas, et, en devenant simple ouvrier, l’Irlandais croit se déraciner.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/758]]==
{{R2Mondes|1867|72|754}}
Il n’a pas toujours tort non plus, car la possession d’une ferme, pourvu qu’elle ne soit pas trop petite, présente plus de garanties que la condition précaire d’un journalier. Les propriétaires sont et seront forcés de transiger avec ce sentiment populaire. Probablement les fermes de 10 à 12 hectares resteront la règle. On ne peut pas voir là de la grande culture. D’après lord Dufferin, un homme adulte suffît aujourd’hui pour cultiver en Angleterre 11 acres 1/2 de terre arable, tandis qu’en Irlande il n’en cultive encore que 6; un homme suffit en Angleterre pour 92 acres de pâturages, et en Irlande il en faut encore un pour 40 acres. A ce compte, la population rurale serait encore en Irlande le double de ce qu’elle est en Angleterre.
 
Ligne 38 :
 
Il est enfin un dernier fait qui prouve que des causes complexes agissent sur l’émigration. On savait déjà que, contrairement aux prévisions, les protestans émigraient à peu près dans la même proportion que les catholiques. Lord Dufferin ajoute que, sur les 2,500,000 émigrans partis depuis vingt ans, un quart seulement appartient à la classe des petits tenanciers, et que depuis dix ou douze ans la proportion n’est plus que de 3 à 4 pour 100. « Il est, dit-il, de notoriété publique en Irlande que les trois quarts des émigrans sont des petits marchands, des artisans et des ouvriers. » Il est probable que l’émigration ainsi décomposée ne représente pas toutes les pertes de la population rurale;
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/759]]==
{{R2Mondes|1867|72|755}}
une partie de cette population émigré sans doute à l’intérieur, pour remplir les vides laissés par les émigrans dans les autres branches de travail. Quoi qu’il en soit, l’observation a sa valeur. La province la plus riche de l’Irlande, l’Ulster, n’a pas été plus affranchie de l’''exode'' que le pauvre Connaught.
 
Ligne 44 :
 
La rente perçue par le propriétaire n’avait rien d’excessif. Le plus lourd fardeau provenait des profits des intermédiaires qui s’établissait entre le propriétaire et le cultivateur par l’abus des sous-locations. A ce propos, lord Dufferin fait le procès au fameux ''tenant right'', ou droit du fermier, qu’on a souvent présenté comme un remède, et qu’il regarde au contraire comme une des formes du mal. On entend par là l’indemnité que le fermier entrant paie au fermier sortant pour représenter, dit-on, les améliorations dont l’effet n’est point épuisé, ''unexhausted improvements'', mais le plus souvent pour acheter son consentement, ''good will''. Quand il s’agit de rembourser au fermier sortant ses avances en bâtimens, bétail, défrichemens, etc., le ''tenant right'' est justifié; la seule question est de savoir qui, du propriétaire ou du nouveau fermier, doit supporter cette charge, et dans le plus grand nombre des cas il vaut mieux que ce soit le propriétaire pour laisser au tenancier la libre disposition de son petit capital; mais l’indemnité pour le ''good will'' n’a pas du tout le même caractère, c’est une exaction pure et simple, un tribut que lord Dufferin compare avec raison au ''black-mail'' autrefois imposé par les bandits des montagnes de l’Ecosse aux cultivateurs de la plaine. Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/760]]==
{{R2Mondes|1867|72|756}}
tribut peut s’élever à dix, quinze, vingt fois la rente, c’est-à-dire à une somme presque égale à la valeur du fonds, et le malheureux tenancier, forcé de le subir, commence par se ruiner en prenant la ferme. Est-ce la faute du propriétaire?
 
Ligne 51 :
Lord Dufferin a encore plus raison quand il accuse le gouvernement anglais d’avoir étouffé en Irlande tout développement industriel et commercial. Cette île possède des ports admirables, on les a longtemps fermés au commerce dans l’intérêt des ports anglais. Dès le règne d’Elisabeth, le bétail irlandais, venait faire concurrence au bétail anglais; un acte du parlement déclara cette importation un dommage public, ''nuisance'', et la prohiba. Plus tard, les Irlandais voulurent vendre des laines à l’Angleterre; un nouvel acte du parlement, sous Charles II, prohiba l’entrée des laines irlandaises. Sous Guillaume III, les manufactures de laine furent interdites, et 20,000 manufacturiers quittèrent l’île. Cette politique oppressive n’a commencé à s’adoucir qu’à la fin du xvin0 siècle. Le mal était fait, il faudra beaucoup de temps pour le guérir. Une seule industrie a échappé aux prohibitions, celle du lin, et l’essor qu’elle a pris montre ce qu’auraient pu devenir toutes les autres, si elles avaient joui de la même liberté. La ville de Belfast, siège principal de cette industrie, avait 27,000 habitans en 1811; elle en a 150,000 aujourd’hui. La valeur annuelle des tissus de lin exportés d’Irlande atteint des chiffres énormes. Est-ce la faute des propriétaires, s’il n’en est pas de même des lainages, des cotonnades, des fers et autres métaux, et si la population laborieuse, ne trouvant pas de débouché dans le travail industriel; a reflué presque tout entière vers le sol?
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/761]]==
{{R2Mondes|1867|72|757}}
Parmi les remèdes proposés pour accélérer la transformation de l’Irlande, il en est deux que lord Dufferin combat avec une juste vivacité. Le premier émane de M. Bright. Par ce projet, les paysans irlandais seraient autorisés à acheter les propriétés possédées en Irlande par des Anglais au moyen d’avances faites par le gouvernement. On veut que les Anglais cessent de posséder des terres en Irlande et que la propriété du sol se divise. Obtenu naturellement, ce double changement pourrait avoir ses avantages; mais ce qui paraît tout à fait inadmissible, c’est le moyen. Employer les impôts payés par la nation anglaise à expulser les Anglais du sol de l’Irlande, frapper entre leurs mains leurs propriétés d’interdit, raviver la guerre des deux nationalités, créer artificiellement une classe de petits propriétaires hostiles, et pour cela se jeter dans les embarras d’une opération financière immense, quelle entreprise! C’est se faire soi-même ''fenian'' pour échapper au ''fenianisme''. « Si M. Bright, dit ironiquement lord Dufferin, peut persuader au contribuable anglais d’y consentir, je ne m’oppose point pour ma part à l’expérience. »
Malheureusement, en réfutant ce projet révolutionnaire, lord Dufferin va plus loin qu’il n’était nécessaire; il conteste les avantages de la petite propriété considérée en elle-même. On le voit avec regret avoir recours à un argument qui, pour être familier à beaucoup d’écrivains anglais et français, n’en est pas plus juste : il présente la division du sol en France comme la cause de l’état arriéré de notre agriculture. On ne saurait trop le répéter, la division de notre sol n’est pas aussi grande qu’on le croit communément. Un tiers seulement du territoire appartient à la petite propriété, et dans les deux autres tiers on trouve encore bon nombre de terres de plusieurs centaines et même de plusieurs milliers d’hectares. Ensuite la portion la plus divisée de notre sol n’est pas la plus mal cultivée, bien loin de là. On peut affirmer qu’en règle générale les terres de la petite propriété sont deux fois plus productives que les autres, de sorte que si cet élément venait à nous manquer, notre produit agricole baisserait sensiblement. Les vraies causes de notre infériorité agricole ne sont pas là; elles sont dans notre organisation militaire, financière et administrative, qui épuise les campagnes d’hommes et de capitaux, et qui les épuiserait plus encore sans le contre-poids de la petite propriété.
 
Ce qui est vrai, c’est que, même en France, où l’utilité agricole et sociale de la petite propriété est ancienne et incontestable, il serait funeste de la multiplier par le moyen que recommande M. Bright. Toute intervention violente dans la constitution de la propriété est mauvaise en soi, même quand on poursuit un but utile. On cite la vente des biens du clergé et des émigrés pendant la révolution française. J’ai essayé de démontrer ailleurs que cette vente n’a nullement eu les effets qu’on lui prête, et que les conséquences ont été fâcheuses pour l’agriculture et la propriété. Ceux qui trouvent la propriété trop concentrée en Irlande, et je suis de ce nombre, doivent désirer qu’une pareille crise lui soit
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/762]]==
{{R2Mondes|1867|72|758}}
épargnée. Lord Dufferin me fait l’honneur de citer le passage suivant de mon ''Économie rurale de l’Irlande en 1853'' : « Pour la petite propriété, dont beaucoup d’excellens esprits, entre autres M. Stuart Mill, dans ses ''Principes d’économie politique'', ont réclamé l’introduction en Irlande, elle me paraît beaucoup moins désirable. Probablement l’Irlande arrivera quelque jour à la petite propriété, c’est sa tendance naturelle; mais pour le moment la population rurale est trop pauvre, elle a besoin de gagner dans la culture de quoi devenir propriétaire; il n’est pas dans son intérêt d’y songer auparavant. » Voilà, je crois, la vérité, aujourd’hui comme alors; ce qu’il importe, c’est de rendre la condition des cultivateurs la meilleure possible ; la petite propriété viendra ensuite d’elle-même, et les propriétaires actuels auront un grand intérêt à la favoriser, car, partout où elle s’introduit, la valeur du sol monte.
 
Ligne 62 :
 
Il est un autre moyen de favoriser sans secousse la division du sol, c’est la loi de succession. Lord Dufferin en parle très peu, il partage sans doute les idées anglaises sur ce sujet. Ce qui peut être bon en Angleterre, où les mœurs sont en parfait accord avec la tradition, ne l’est pas au même degré pour l’Irlande. Le droit d’aînesse et les substitutions n’y sont pas défendus; comme en Angleterre, par le sentiment public. L’exemple des mauvais effets que produit quelquefois notre loi de succession fournit aux Anglais de puissans argumens contre le principe du partage égal; mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que notre code civil. Entre le radicalisme de notre législation et l’extrême opposé de la législation anglaise, on peut trouver plus d’un terme moyen. On peut ne partager les terres qu’entre les garçons à l’exclusion des filles, ce qui se fait déjà en Angleterre dans le comté de Kent, en vertu de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/763]]==
{{R2Mondes|1867|72|759}}
l’ancienne coutume connue sous le nom de ''gavelkind''; on peut donner a l’allé un droit privilégié sur l’habitation et sur une part du domaine, sans exclure absolument ses co-héritiers, le tout, bien entendu, dans les successions ''ab intestat'', car on peut laisser au père de famille le droit de disposer librement de ses biens par un acte de dernière volonté. Lord Dufferin va jusqu’à un certain point au-devant d’une réforme de la loi de Succession; il paraît admettre ce que le grand agitateur O’Connell avait proposé autrefois, que, dans le cas où un ''landlord'' meurt sans testament, laissant à la fois des biens en Angleterre et en Irlande, la succession des biens anglais soit seule dévolue à l’aîné, et que le second des fils hérite des biens irlandais.
 
Ligne 68 :
 
Le second projet est fort connu de quiconque a un peu suivi l’histoire économique de l’Irlande, sous le nom de la ''fixité de tenure''. Renouvelé et développé dans un écrit récent de M. Butt, il consiste à donner aux tenanciers irlandais des baux perpétuels ou à très longue échéance, à un taux fixé et déterminé par des officiers publics. M. Butt propose des baux de soixante-trois ans; c’est encore, comme on voit, une forme d’expropriation. C’est exclure le propriétaire de tout intérêt dans l’amélioration du sol. Or il est constaté par des documens officiels que, depuis dix-huit ans, les propriétaires ont emprunté plus de 1,800,000 liv. sterl. (45 millions de fr.) pour les employer en drainages et bâtimens, et cette somme est bien loin de représenter tous leurs efforts. « Moi-même, dit lord Dufferin, j’ai dépensé plus de 10,000 liv. sterl. (250,000 fr.j) et mes voisins en ont fait autant. » Le remède passe d’ailleurs à côté du mal tant que la population rurale surabonde; ces fermes seraient bientôt divisées, et de nouveaux tenanciers auraient à payer aux anciens des rentes excessives. Interdirait-on les sous-locations? — Mais
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/764]]==
{{R2Mondes|1867|72|760}}
rien ne pourrait empêcher les ''pots-de-vin'' exorbitans que tout postulant à une ferme offre au détenteur pour le remplacer. La question se représenterait toujours la même, car le mal n’est pas dans la propriété, il est dans l’extrême concurrence des cultivateurs pour la possession du sol. On mettrait le tenancier primitif à la place du propriétaire, voilà tout.