« La Princesse de Clèves (édition originale)/Quatrième partie » : différence entre les versions

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Le cardinal de Lorraine s’étoit rendu maître abſolu de l’eſprit de la reine mère ; le vidame de Chartres n’avoit plus aucune part dans ſes bonnes graces, & l’amour qu’il avoit pour madame de Martigues & pour la liberté l’avoit meſme empeſché de ſentir cette perte, autant qu’elle méritoit d’eſtre ſentie. Ce cardinal, pendant les dix jours de la maladie du roi, avoit eu le loiſir de former ſes deſſeins & de faire prendre à la reine des réſolutions conformes à ce qu’il avoit projeté ; de ſorte que ſitoſt que le roi fut mort, la reine ordonna au connétable de demeurer aux Tournelles auprès du corps du feu roi, pour faire les cérémonies ordinaires. Cette commiſſion l’éloignoit de tout, & luy oſtoit la liberté d’agir. Il envoya un courrier au roi de Navarre pour le faire venir en diligence, afin de s’oppoſer enſemble à la grande élévation où il voyoit que meſſieurs de Guiſe allaient parvenir. On donna le commandement des armées au duc de Guiſe, & les finances au cardinal de Lorraine. La ducheſſe de Valentinois fut chaſſée de la cour ; on fit revenir le cardinal de Tournon, ennemi déclaré du connétable, & le chancelier Olivier, ennemi déclaré de la ducheſſe de Valentinois. Enfin, la cour changea entièrement de face. Le duc de Guiſe prit le meſme rang que les princes du ſang à porter le manteau du roi aux cérémonies des funérailles : luy & ſes frères furent entièrement les maîtres, non ſeulement par le crédit du cardinal ſur l’eſprit de la reine, mais parce que cette princeſſe crut qu’elle pourroit les éloigner, s’ils luy donnaient de l’ombrage, & qu’elle ne pourroit éloigner le connétable, qui étoit appuyé des princes du ſang.
 
Lorſque les cérémonies du deuil furent achevées, le connétable vint au Louvre & fut reçu du roi avec beaucoup de froideur. Il voulut luy parler en particulier ; mais le roi appela meſſieurs de Guiſe, & luy dit devant eux, qu’il luy conſeilloit de ſe repoſer ; que les finances & le commandement des armées étaient donnez, & que lorſqu’il auroit beſoin de ſes conſeils, il l’appelleroit auprès de ſa perſonne. Il fut reçu de la reine mère encore plus froidement que du roi, & elle luy fit meſme des reproches de ce qu’il avoit dit au feu roi, que ſes enfants ne luy reſſemblaient point. Le roi de Navarre arriva, & ne fut pas mieux reçu. Le prince de Condé, moins endurant que ſon frère, ſe plaignit hautement ; ſes plaintes furent inutiles, on l’éloigna de la cour ſous le prétexte de l’envoyer en Flandre ſigner la ratification de la paix. On fit voir au roi de Navarre une fauſſe lettre du roi d’Eſpagne, qui l’accuſçait de faire des entrepriſes ſur ſes places ; on luy fit craindre pour ſes terres ; enfin, on luy inſpira le deſſein de s’en aller en Béarn. La reine luy en fournit un moyen, en luy donnant la conduite de madame Éliſabeth, & l’obligea meſme à partir devant cette princeſſe ; & ainſi il ne demeura perſonne à la cour qui pût balancer le pouvoir de la maiſon de Guiſe.
 
Quoique ce fût une choſe facheuſe pour monſieur de Clèves de ne pas conduire madame Éliſabeth, néanmoins il ne put s’en plaindre par la grandeur de celuy qu’on luy préféroit ; mais il regrettoit moins cet emploi par l’honneur qu’il en eût reçu, que parce que c’étoit une choſe qui éloignoit ſa femme de la cour, ſans qu’il parût qu’il eût deſſein de l’en éloigner.
Le cardinal de Lorraine s'était rendu maître absolu de l'esprit de la reine mère ; le vidame de Chartres n'avait plus aucune part dans ses bonnes grâces, et l'amour qu'il avait pour madame de Martigues et pour la liberté l'avait même empêché de sentir cette perte, autant qu'elle méritait d'être sentie. Ce cardinal, pendant les dix jours de la maladie du roi, avait eu le loisir de former ses desseins et de faire prendre à la reine des résolutions conformes à ce qu'il avait projeté ; de sorte que sitôt que le roi fut mort, la reine ordonna au connétable de demeurer aux Tournelles auprès du corps du feu roi, pour faire les cérémonies ordinaires. Cette commission l'éloignait de tout, et lui ôtait la liberté d'agir. Il envoya un courrier au roi de Navarre pour le faire venir en diligence, afin de s'opposer ensemble à la grande élévation où il voyait que messieurs de Guise allaient parvenir. On donna le commandement des armées au duc de Guise, et les finances au cardinal de Lorraine. La duchesse de Valentinois fut chassée de la cour ; on fit revenir le cardinal de Tournon, ennemi déclaré du connétable, et le chancelier Olivier, ennemi déclaré de la duchesse de Valentinois. Enfin, la cour changea entièrement de face. Le duc de Guise prit le même rang que les princes du sang à porter le manteau du roi aux cérémonies des funérailles : lui et ses frères furent entièrement les maîtres, non seulement par le crédit du cardinal sur l'esprit de la reine, mais parce que cette princesse crut qu'elle pourrait les éloigner, s'ils lui donnaient de l'ombrage, et qu'elle ne pourrait éloigner le connétable, qui était appuyé des princes du sang.
 
Peu de jours après la mort du roi, on réſolut d’aller à Reims pour le ſacre. Sitoſt qu’on parla de ce voyage, madame de Clèves, qui avoit toujours demeuré chez elle, feignant d’eſtre malade, pria ſon mari de trouver bon qu’elle ne ſuivît point la cour, & qu’elle s’en allat à Coulommiers prendre l’air & ſonger à ſa ſanté. Il luy répondit qu’il ne vouloit point pénétrer ſi c’étoit la raiſon de ſa ſanté qui l’obligeoit à ne pas faire le voyage, mais qu’il conſentoit qu’elle ne le fît point. Il n’eut pas de peine à conſentir à une choſe qu’il avoit déjà réſolue : quelque bonne opinion qu’il eût de la vertu de ſa femme, il voyoit bien que la prudence ne vouloit pas qu’il l’expoſat plus longtemps à la vue d’un homme qu’elle aimait.
Lorsque les cérémonies du deuil furent achevées, le connétable vint au Louvre et fut reçu du roi avec beaucoup de froideur. Il voulut lui parler en particulier ; mais le roi appela messieurs de Guise, et lui dit devant eux, qu'il lui conseillait de se reposer ; que les finances et le commandement des armées étaient donnés, et que lorsqu'il aurait besoin de ses conseils, il l'appellerait auprès de sa personne. Il fut reçu de la reine mère encore plus froidement que du roi, et elle lui fit même des reproches de ce qu'il avait dit au feu roi, que ses enfants ne lui ressemblaient point. Le roi de Navarre arriva, et ne fut pas mieux reçu. Le prince de Condé, moins endurant que son frère, se plaignit hautement ; ses plaintes furent inutiles, on l'éloigna de la cour sous le prétexte de l'envoyer en Flandre signer la ratification de la paix. On fit voir au roi de Navarre une fausse lettre du roi d'Espagne, qui l'accusait de faire des entreprises sur ses places ; on lui fit craindre pour ses terres ; enfin, on lui inspira le dessein de s'en aller en Béarn. La reine lui en fournit un moyen, en lui donnant la conduite de madame Élisabeth, et l'obligea même à partir devant cette princesse ; et ainsi il ne demeura personne à la cour qui pût balancer le pouvoir de la maison de Guise.
 
Monſieur de Nemours ſut bientoſt que madame de Clèves ne devoit pas ſuivre la cour ; il ne put ſe réſoudre à partir ſans la voir, & la veille du départ, il alla chez elle auſſi tard que la bienſéance le pouvoit permettre, afin de la trouver ſeule. La fortune favoriſa ſon intention. Comme il entra dans la cour, il trouva madame de Nevers & madame de Martigues qui en ſortaient, & qui luy dirent qu’elles l’avaient laiſſée ſeule. Il monta avec une agitation & un trouble qui ne ſe peut comparer qu’à celuy qu’eut madame de Clèves, quand on luy dit que monſieur de Nemours venoit pour la voir. La crainte qu’elle eut qu’il ne luy parlat de ſa paſſion, l’appréhenſion de luy répondre trop favorablement, l’inquiétude que cette viſite pouvoit donner à ſon mari, la peine de luy en rendre compte ou de luy cacher toutes ces choſes, ſe préſentèrent en un moment à ſon eſprit, & luy firent un Si grand embarras, qu’elle prit la réſolution d’éviter la choſe du monde qu’elle ſouhaitoit peut-eſtre le plus. Elle envoya une de ſes femmes à monſieur de Nemours, qui étoit dans ſon antichambre, pour luy dire qu’elle venoit de ſe trouver mal, & qu’elle étoit bien fachée de ne pouvoir recevoir l’honneur qu’il luy vouloit faire. Quelle douleur pour ce prince de ne pas voir madame de Clèves, & de ne la pas voir parce qu’elle ne vouloit pas qu’il la vît ! Il s’en alloit le lendemain ; il n’avoit plus rien à eſpérer du haſard. Il ne luy avoit rien dit depuis cette converſation de chez madame la dauphine, & il avoit lieu de croire que la faute d’avoir parlé au vidame avoit détruit toutes ſes eſpérances ; enfin il s’en alloit avec tout ce qui peut aigrir une vive douleur.
Quoique ce fût une chose fâcheuse pour monsieur de Clèves de ne pas conduire madame Élisabeth, néanmoins il ne put s'en plaindre par la grandeur de celui qu'on lui préférait ; mais il regrettait moins cet emploi par l'honneur qu'il en eût reçu, que parce que c'était une chose qui éloignait sa femme de la cour, sans qu'il parût qu'il eût dessein de l'en éloigner.
 
Sitoſt que madame de Clèves fut un peu remiſe du trouble que luy avoit donné la penſée de la viſite de ce prince, toutes les raiſons qui la luy avaient foit refuſer diſparurent ; elle trouva meſme qu’elle avoit foit une faute, & ſi elle eût oſſé ou qu’il eût encore été aſſez à temps, elle l’auroit foit rappeler.
Peu de jours après la mort du roi, on résolut d'aller à Reims pour le sacre. Sitôt qu'on parla de ce voyage, madame de Clèves, qui avait toujours demeuré chez elle, feignant d'être malade, pria son mari de trouver bon qu'elle ne suivît point la cour, et qu'elle s'en allât à Coulommiers prendre l'air et songer à sa santé. Il lui répondit qu'il ne voulait point pénétrer si c'était la raison de sa santé qui l'obligeait à ne pas faire le voyage, mais qu'il consentait qu'elle ne le fît point. Il n'eut pas de peine à consentir à une chose qu'il avait déjà résolue : quelque bonne opinion qu'il eût de la vertu de sa femme, il voyait bien que la prudence ne voulait pas qu'il l'exposât plus longtemps à la vue d'un homme qu'elle aimait.
 
Meſdames de Nevers & de Martigues, en ſortant de chez elle, allèrent chez la reine dauphine ; monſieur de Clèves y était. Cette princeſſe leur demanda d’où elles venaient ; elles luy dirent qu’elles venaient de chez monſieur de Clèves, où elles avaient paſſé une partie de l’après-dînée avec beaucoup de monde, & qu’elles n’y avaient laiſſé que monſieur de Nemours. Ces paroles, qu’elles croyaient ſi indifférentes, ne l’étaient pas pour monſieur de Clèves. Quoiqu’il dût bien s’imaginer que monſieur de Nemours pouvoit trouver ſouvent des occaſions de parler à ſa femme, néanmoins la penſée qu’il étoit chez elle, qu’il y étoit ſeul & qu’il luy pouvoit parler de ſon amour, luy parut dans ce moment une choſe ſi nouvelle & ſi inſupportable, que la jalouſie s’alluma dans ſon cœur avec plus de violence qu’elle n’avoit encore fait. Il luy fut impoſſible de demeurer chez la reine ; il s’en revint, ne ſachant pas meſme pourquoy il revenait, & s’il avoit deſſein d’aller interrompre monſieur de Nemours. Sitoſt qu’il approcha de chez luy, il regarda s’il ne verroit rien qui luy pût faire juger ſi ce prince y étoit encore : il ſentit du ſoulagement en voyant qu’il n’y étoit plus, & il trouva de la douceur à penſer qu’il ne pouvoit y avoir demeuré longtemps. Il s’imagina que ce n’étoit peut-eſtre pas monſieur de Nemours, dont il devoit eſtre jaloux : & quoyqu’il n’en doutat point, il cherchoit à en douter ; mais tant de choſes l’en auraient perſuadé, qu’il ne demeuroit pas longtemps dans cette incertitude qu’il déſirait. Il alla d’abord dans la chambre de ſa femme, & après luy avoir parlé quelque temps de choſes indifférentes, il ne put s’empeſcher de luy demander ce qu’elle avoit foit & qui elle avoit vu ; elle luy en rendit compte. Comme il vit qu’elle ne luy nommoit point monſieur de Nemours, il luy demanda, en tremblant, ſi c’étoit tout ce qu’elle avoit vu, afin de luy donner lieu de nommer ce prince & de n’avoir pas la douleur qu’elle luy en fît une fineſſe. Comme elle ne l’avoit point vu, elle ne le luy nomma point, & monſieur de Clèves reprenant la parole avec un ton qui marquoit ſon affliction : — Et monſieur de Nemours, luy dit-il, ne l’avez-vous point vu, ou l’avez-vous oublié ?
Monsieur de Nemours sut bientôt que madame de Clèves ne devait pas suivre la cour ; il ne put se résoudre à partir sans la voir, et la veille du départ, il alla chez elle aussi tard que la bienséance le pouvait permettre, afin de la trouver seule. La fortune favorisa son intention. Comme il entra dans la cour, il trouva madame de Nevers et madame de Martigues qui en sortaient, et qui lui dirent qu'elles l'avaient laissée seule. Il monta avec une agitation et un trouble qui ne se peut comparer qu'à celui qu'eut madame de Clèves, quand on lui dit que monsieur de Nemours venait pour la voir. La crainte qu'elle eut qu'il ne lui parlât de sa passion, l'appréhension de lui répondre trop favorablement, l'inquiétude que cette visite pouvait donner à son mari, la peine de lui en rendre compte ou de lui cacher toutes ces choses, se présentèrent en un moment à son esprit, et lui firent un Si grand embarras, qu'elle prit la résolution d'éviter la chose du monde qu'elle souhaitait peut-être le plus. Elle envoya une de ses femmes à monsieur de Nemours, qui était dans son antichambre, pour lui dire qu'elle venait de se trouver mal, et qu'elle était bien fâchée de ne pouvoir recevoir l'honneur qu'il lui voulait faire. Quelle douleur pour ce prince de ne pas voir madame de Clèves, et de ne la pas voir parce qu'elle ne voulait pas qu'il la vît ! Il s'en allait le lendemain ; il n'avait plus rien à espérer du hasard. Il ne lui avait rien dit depuis cette conversation de chez madame la dauphine, et il avait lieu de croire que la faute d'avoir parlé au vidame avait détruit toutes ses espérances ; enfin il s'en allait avec tout ce qui peut aigrir une vive douleur.
 
— Je ne l’ai point vu, en effet, répondit-elle ; je me trouvais mal, & j’ai envoyé une de mes femmes luy faire des excuſes.
Sitôt que madame de Clèves fut un peu remise du trouble que lui avait donné la pensée de la visite de ce prince, toutes les raisons qui la lui avaient fait refuser disparurent ; elle trouva même qu'elle avait fait une faute, et si elle eût ôsé ou qu'il eût encore été assez à temps, elle l'aurait fait rappeler.
 
— Vous ne vous trouviez donc mal que pour luy, reprit monſieur de Clèves. Puiſque vous avez vu tout le monde, pourquoy des diſtinctions pour monſieur de Nemours ? Pourquoy ne vous eſt-il pas comme un autre ? Pourquoy faut-il que vous craigniez ſa vue ? Pourquoy luy laiſſez-vous voir que vous la craignez ? Pourquoy luy faites-vous connaître que vous vous ſervez du pouvoir que ſa paſſion vous donne ſur luy ? Oſeriez-vous refuſer de le voir, ſi vous ne ſaviez bien qu’il diſtingue vos rigueurs de l’incivilité ? Mais pourquoy faut-il que vous ayez des rigueurs pour luy ? D’une perſonne comme vous, Madame, tout eſt des faveurs hors l’indifférence.
Mesdames de Nevers et de Martigues, en sortant de chez elle, allèrent chez la reine dauphine ; monsieur de Clèves y était. Cette princesse leur demanda d'où elles venaient ; elles lui dirent qu'elles venaient de chez monsieur de Clèves, où elles avaient passé une partie de l'après-dînée avec beaucoup de monde, et qu'elles n'y avaient laissé que monsieur de Nemours. Ces paroles, qu'elles croyaient si indifférentes, ne l'étaient pas pour monsieur de Clèves. Quoiqu'il dût bien s'imaginer que monsieur de Nemours pouvait trouver souvent des occasions de parler à sa femme, néanmoins la pensée qu'il était chez elle, qu'il y était seul et qu'il lui pouvait parler de son amour, lui parut dans ce moment une chose si nouvelle et si insupportable, que la jalousie s'alluma dans son cœur avec plus de violence qu'elle n'avait encore fait. Il lui fut impossible de demeurer chez la reine ; il s'en revint, ne sachant pas même pourquoi il revenait, et s'il avait dessein d'aller interrompre monsieur de Nemours. Sitôt qu'il approcha de chez lui, il regarda s'il ne verrait rien qui lui pût faire juger si ce prince y était encore : il sentit du soulagement en voyant qu'il n'y était plus, et il trouva de la douceur à penser qu'il ne pouvait y avoir demeuré longtemps. Il s'imagina que ce n'était peut-être pas monsieur de Nemours, dont il devait être jaloux : et quoiqu'il n'en doutât point, il cherchait à en douter ; mais tant de choses l'en auraient persuadé, qu'il ne demeurait pas longtemps dans cette incertitude qu'il désirait. Il alla d'abord dans la chambre de sa femme, et après lui avoir parlé quelque temps de choses indifférentes, il ne put s'empêcher de lui demander ce qu'elle avait fait et qui elle avait vu ; elle lui en rendit compte. Comme il vit qu'elle ne lui nommait point monsieur de Nemours, il lui demanda, en tremblant, si c'était tout ce qu'elle avait vu, afin de lui donner lieu de nommer ce prince et de n'avoir pas la douleur qu'elle lui en fît une finesse. Comme elle ne l'avait point vu, elle ne le lui nomma point, et monsieur de Clèves reprenant la parole avec un ton qui marquait son affliction : — Et monsieur de Nemours, lui dit-il, ne l'avez-vous point vu, ou l'avez-vous oublié ?
 
— Je ne l'aicroyais point vupas, enreprit effet,madame répondit-ellede ;Clèves, jequelque meſoupçon trouvaisque mal,vous etayez j'aiſur envoyé unemonſieur de mesNemours, femmesque luivous puſſiez me faire des excusesreproches de ne l’avoir pas vu.
 
— Je vous en fais pourtant, Madame, répliqua-t-il, & ils ſont bien fondez : Pourquoy ne le pas voir s’il ne vous a rien dit ? Mais, Madame, il vous a parlé ; ſi ſon ſilence ſeul vous avoit témoigné ſa paſſion, elle n’auroit pas foit en vous une ſi grande impreſſion. Vous n’avez pu me dire la vérité tout entière ; vous m’en avez caché la plus grande partie ; vous vous eſtes repentie meſme du peu que vous m’avez avoué & vous n’avez pas eu la force de continuer. Je ſuis plus malheureux que je ne l’ai cru, & je ſuis le plus malheureux de tous les hommes. Vous eſtes ma femme, je vous aime comme ma maîtreſſe, & je vous en vois aimer un autre. Cet autre eſt le plus aimable de la cour, & il vous voit tous les jours, il ſçait que vous l’aimez. Eh ! j’ai pu croire, s’écria-t-il, que vous ſurmonteriez la paſſion que vous avez pour luy. Il faut que j’aie perdu la raiſon pour avoir cru qu’il fût poſſible.
— Vous ne vous trouviez donc mal que pour lui, reprit monsieur de Clèves. Puisque vous avez vu tout le monde, pourquoi des distinctions pour monsieur de Nemours ? Pourquoi ne vous est-il pas comme un autre ? Pourquoi faut-il que vous craigniez sa vue ? Pourquoi lui laissez-vous voir que vous la craignez ? Pourquoi lui faites-vous connaître que vous vous servez du pouvoir que sa passion vous donne sur lui ? Oseriez-vous refuser de le voir, si vous ne saviez bien qu'il distingue vos rigueurs de l'incivilité ? Mais pourquoi faut-il que vous ayez des rigueurs pour lui ? D'une personne comme vous, Madame, tout est des faveurs hors l'indifférence.
 
— Je ne croyais pasſais, reprit triſtement madame de Clèves, quelque soupçon queſi vous ayezavez sureu monsieurtort de Nemours,juger favorablement d’un procédé auſſi extraordinaire que vousle pussiezmien me; fairemais desje reprochesne deſais ſi je ne l'avoirme ſuis trompée d’avoir cru que vous me feriez pasjuſtice vu.?
 
— N’en doutez pas, Madame, répliqua monſieur de Clèves, vous vous eſtes trompée ; vous avez attendu de moy des choſes auſſi impoſſibles que celles que j’attendais de vous. Comment pouviez-vous eſpérer que je conſervaſſe de la raiſon ? Vous aviez donc oublié que je vous aimais éperdument & que j’étais votre mari ? L’un des deux peut porter aux extrémitez : que ne peuvent point les deux enſemble ? Eh ! que ne font-ils point auſſi ! continua-t-il, je n’ai que des ſentiments violents & incertains dont je ne ſuis pas le maître. Je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraiſſez plus digne de moi. Je vous adore, je vous hais ; je vous offenſe, je vous demande pardon ; je vous admire, j’ai honte de vous admirer. Enfin il n’y a plus en moy ni de calme ni de raiſon. Je ne ſais comment j’ai pu vivre depuis que vous me parlates à Coulommiers, & depuis le jour que vous apprîtes de madame la dauphine que l’on ſavoit votre aventure. Je ne ſaurais démeſler par où elle a été ſue, ni ce qui ſe paſſa entre monſieur de Nemours & vous ſur ce ſujet : vous ne me l’expliquerez jamais, & je ne vous demande point de me l’expliquer. Je vous demande ſeulement de vous ſouvenir que vous m’avez rendu le plus malheureux homme du monde.
— Je vous en fais pourtant, Madame, répliqua-t-il, et ils sont bien fondés : Pourquoi ne le pas voir s'il ne vous a rien dit ? Mais, Madame, il vous a parlé ; si son silence seul vous avait témoigné sa passion, elle n'aurait pas fait en vous une si grande impression. Vous n'avez pu me dire la vérité tout entière ; vous m'en avez caché la plus grande partie ; vous vous êtes repentie même du peu que vous m'avez avoué et vous n'avez pas eu la force de continuer. Je suis plus malheureux que je ne l'ai cru, et je suis le plus malheureux de tous les hommes. Vous êtes ma femme, je vous aime comme ma maîtresse, et je vous en vois aimer un autre. Cet autre est le plus aimable de la cour, et il vous voit tous les jours, il sait que vous l'aimez. Eh ! j'ai pu croire, s'écria-t-il, que vous surmonteriez la passion que vous avez pour lui. Il faut que j'aie perdu la raison pour avoir cru qu'il fût possible.
 
Monſieur de Clèves ſortit de chez ſa femme après ces paroles & partit le lendemain ſans la voir ; mais il luy écrivit une lettre pleine d’affliction, d’honneſteté & de douceur. Elle y fit une réponſe ſi touchante & ſi remplie d’aſſurances de ſa conduite paſſée & de celle qu’elle auroit à l’avenir, que, comme ſes aſſurances étaient fondées ſur la vérité & que c’étoit en effect ſes ſentiments, cette lettre fit de l’impreſſion ſur monſieur de Clèves, & luy donna quelque calme ; joint que monſieur de Nemours allant trouver le roi auſſi bien que luy, il avoit le repos de ſavoir qu’il ne ſeroit pas au meſme lieu que madame de Clèves. Toutes les fois que cette princeſſe parloit à ſon mari, la paſſion qu’il luy témoignait, l’honneſteté de ſon procédé, l’amitié qu’elle avoit pour luy, & ce qu’elle luy devait, faiſaient des impreſſions dans ſon cœur qui affaibliſſaient l’idée de monſieur de Nemours ; mais ce n’étoit que pour quelque temps ; & cette idée revenoit bientoſt plus vive & plus préſente qu’auparavant.
— Je ne sais, reprit tristement madame de Clèves, si vous avez eu tort de juger favorablement d'un procédé aussi extraordinaire que le mien ; mais je ne sais si je ne me suis trompée d'avoir cru que vous me feriez justice ?
 
Les premiers jours du départ de ce prince, elle ne ſentit quaſi pas ſon abſence ; enſuite elle luy parut cruelle. Depuis qu’elle l’aimait, il ne s’étoit point paſſé de jour qu’elle n’eût craint ou eſpéré de le rencontrer & elle trouva une grande peine à penſer qu’il n’étoit plus au pouvoir du haſard de faire qu’elle le rencontrat.
— N'en doutez pas, Madame, répliqua monsieur de Clèves, vous vous êtes trompée ; vous avez attendu de moi des choses aussi impossibles que celles que j'attendais de vous. Comment pouviez-vous espérer que je conservasse de la raison ? Vous aviez donc oublié que je vous aimais éperdument et que j'étais votre mari ? L'un des deux peut porter aux extrémités : que ne peuvent point les deux ensemble ? Eh ! que ne font-ils point aussi ! continua-t-il, je n'ai que des sentiments violents et incertains dont je ne suis pas le maître. Je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraissez plus digne de moi. Je vous adore, je vous hais ; je vous offense, je vous demande pardon ; je vous admire, j'ai honte de vous admirer. Enfin il n'y a plus en moi ni de calme ni de raison. Je ne sais comment j'ai pu vivre depuis que vous me parlâtes à Coulommiers, et depuis le jour que vous apprîtes de madame la dauphine que l'on savait votre aventure. Je ne saurais démêler par où elle a été sue, ni ce qui se passa entre monsieur de Nemours et vous sur ce sujet : vous ne me l'expliquerez jamais, et je ne vous demande point de me l'expliquer. Je vous demande seulement de vous souvenir que vous m'avez rendu le plus malheureux homme du monde.
 
Elle s’en alla à Coulommiers ; & en y allant, elle eut ſoyn d’y faire porter de grands tableaux qu’elle avoit foit copier ſur des originaux qu’avoit foit faire madame de Valentinois pour ſa belle maiſon d’Anet. Toutes les actions remarquables qui s’étaient paſſées du règne du roi étaient dans ces tableaux. Il y avoit entre autres le ſiège de Metz, & tous ceux qui s’y étaient diſtinguez étaient peints fort reſſemblants. Monſieur de Nemours étoit de ce nombre, & c’étoit peut-eſtre ce qui avoit donné envie à madame de Clèves d’avoir ces tableaux.
Monsieur de Clèves sortit de chez sa femme après ces paroles et partit le lendemain sans la voir ; mais il lui écrivit une lettre pleine d'affliction, d'honnêteté et de douceur. Elle y fit une réponse si touchante et si remplie d'assurances de sa conduite passée et de celle qu'elle aurait à l'avenir, que, comme ses assurances étaient fondées sur la vérité et que c'était en effet ses sentiments, cette lettre fit de l'impression sur monsieur de Clèves, et lui donna quelque calme ; joint que monsieur de Nemours allant trouver le roi aussi bien que lui, il avait le repos de savoir qu'il ne serait pas au même lieu que madame de Clèves. Toutes les fois que cette princesse parlait à son mari, la passion qu'il lui témoignait, l'honnêteté de son procédé, l'amitié qu'elle avait pour lui, et ce qu'elle lui devait, faisaient des impressions dans son cœur qui affaiblissaient l'idée de monsieur de Nemours ; mais ce n'était que pour quelque temps ; et cette idée revenait bientôt plus vive et plus présente qu'auparavant.
 
Madame de Martigues, qui n’avoit pu partir avec la cour, luy promit d’aller paſſer quelques jours à Coulommiers. La faveur de la reine qu’elles partageaient ne leur avoit point donné d’envie ni d’éloignement l’une de l’autre ; elles étaient amies, ſans néanmoins ſe confier leurs ſentiments. Madame de Clèves ſavoit que madame de Martigues aimoit le vidame ; mais madame de Martigues ne ſavoit pas que madame de Clèves aimat monſieur de Nemours, ni qu’elle en fût aimée. La qualité de nièce du vidame rendoit madame de Clèves plus chère à madame de Martigues ; & madame de Clèves l’aimoit auſſi comme une perſonne qui avoit une paſſion auſſi bien qu’elle, & qui l’avoit pour l’ami intime de ſon amant.
Les premiers jours du départ de ce prince, elle ne sentit quasi pas son absence ; ensuite elle lui parut cruelle. Depuis qu'elle l'aimait, il ne s'était point passé de jour qu'elle n'eût craint ou espéré de le rencontrer et elle trouva une grande peine à penser qu'il n'était plus au pouvoir du hasard de faire qu'elle le rencontrât.
 
Madame de Martigues vint à Coulommiers, comme elle l’avoit promis à madame de Clèves ; elle la trouva dans une vie fort ſolitaire. Cette princeſſe avoit meſme cherché le moyen d’eſtre dans une ſolitude entière, & de paſſer les ſoyrs dans les jardins, ſans eſtre accompagnée de ſes domeſtiques. Elle venoit dans ce pavillon où monſieur de Nemours l’avoit écoutée ; elle entroit dans le cabinet qui étoit ouvert ſur le jardin. Ses femmes & ſes domeſtiques demeuraient dans l’autre cabinet, ou ſous le pavillon, & ne venaient point à elle qu’elle ne les appelat. Madame de Martigues n’avoit jamais vu Coulommiers ; elle fut ſurpriſe de toutes les beautez qu’elle y trouva & ſurtout de l’agrément de ce pavillon. Madame de Clèves & elle y paſſaient tous les ſoyrs. La liberté de ſe trouver ſeules, la nuit, dans le plus beau lieu du monde, ne laiſſçait pas finir la converſation entre deux jeunes perſonnes, qui avaient des paſſions violentes dans le cœur ; & quoyqu’elles ne s’en fiſſent point de confidence, elles trouvaient un grand plaiſir à ſe parler. Madame de Martigues auroit eu de la peine à quitter Coulommiers, ſi, en le quittant, elle n’eût dû aller dans un lieu où étoit le vidame. Elle partit pour aller à Chambord, où la cour étoit alors.
Elle s'en alla à Coulommiers ; et en y allant, elle eut soin d'y faire porter de grands tableaux qu'elle avait fait copier sur des originaux qu'avait fait faire madame de Valentinois pour sa belle maison d'Anet. Toutes les actions remarquables qui s'étaient passées du règne du roi étaient dans ces tableaux. Il y avait entre autres le siège de Metz, et tous ceux qui s'y étaient distingués étaient peints fort ressemblants. Monsieur de Nemours était de ce nombre, et c'était peut-être ce qui avait donné envie à madame de Clèves d'avoir ces tableaux.
 
Le ſacre avoit été foit à Reims par le cardinal de Lorraine, & l’on devoit paſſer le reſte de l’été dans le chateau de Chambord, qui étoit nouvellement bati. La reine témoigna une grande joie de revoir madame de Martigues ; & après luy en avoir donné pluſieurs marques, elle luy demanda des nouvelles de madame de Clèves, & de ce qu’elle faiſçait à la campagne. Monſieur de Nemours & monſieur de Clèves étaient alors chez cette reine. Madame de Martigues, qui avoit trouvé Coulommiers admirable, en conta toutes les beautez, & elle s’étendit extreſmement ſur la deſcription de ce pavillon de la foreſt & ſur le plaiſir qu’avoit madame de Clèves de s’y promener ſeule une partie de la nuit. Monſieur de Nemours, qui connaiſſçait aſſez le lieu pour entendre ce qu’en diſçait madame de Martigues, penſa qu’il n’étoit pas impoſſible qu’il y pût voir madame de Clèves, ſans eſtre vu que d’elle. Il fit quelques queſtions à madame de Martigues pour s’en éclaircir encore ; & monſieur de Clèves qui l’avoit toujours regardé pendant que madame de Martigues avoit parlé, crut voir dans ce moment ce qui luy paſſçait dans l’eſprit. Les queſtions que fit ce prince le confirmèrent encore dans cette penſée ; en ſorte qu’il ne douta point qu’il n’eût deſſein d’aller voir ſa femme. Il ne ſe trompoit pas dans ſes ſoupçons. Ce deſſein entra ſi fortement dans l’eſprit de monſieur de Nemours, qu’après avoir paſſé la nuit à ſonger aux moyens de l’exécuter, dès le lendemain matin, il demanda congé au roi pour aller à Paris, ſur quelque prétexte qu’il inventa.
Madame de Martigues, qui n'avait pu partir avec la cour, lui promit d'aller passer quelques jours à Coulommiers. La faveur de la reine qu'elles partageaient ne leur avait point donné d'envie ni d'éloignement l'une de l'autre ; elles étaient amies, sans néanmoins se confier leurs sentiments. Madame de Clèves savait que madame de Martigues aimait le vidame ; mais madame de Martigues ne savait pas que madame de Clèves aimât monsieur de Nemours, ni qu'elle en fût aimée. La qualité de nièce du vidame rendait madame de Clèves plus chère à madame de Martigues ; et madame de Clèves l'aimait aussi comme une personne qui avait une passion aussi bien qu'elle, et qui l'avait pour l'ami intime de son amant.
 
Monſieur de Clèves ne douta point du ſujet de ce voyage ; mais il réſolut de s’éclaircir de la conduite de ſa femme, & de ne pas demeurer dans une cruelle incertitude. Il eut envie de partir en meſme temps que monſieur de Nemours, & de venir luy-meſme caché découvrir quel ſuccès auroit ce voyage ; mais craignant que ſon départ ne parût extraordinaire, & que monſieur de Nemours, en étant averti, ne prît d’autres meſures, il réſolut de ſe fier à un gentilhomme qui étoit à luy, dont il connaiſſçait la fidélité & l’eſprit. Il luy conta dans quel embarras il ſe trouvait. Il luy dit quelle avoit été juſqu’alors la vertu de madame de Clèves, & luy ordonna de partir ſur les pas de monſieur de Nemours, de l’obſerver exactement, de voir s’il n’iroit point à Coulommiers, & s’il n’entreroit point la nuit dans le jardin.
Madame de Martigues vint à Coulommiers, comme elle l'avait promis à madame de Clèves ; elle la trouva dans une vie fort solitaire. Cette princesse avait même cherché le moyen d'être dans une solitude entière, et de passer les soirs dans les jardins, sans être accompagnée de ses domestiques. Elle venait dans ce pavillon où monsieur de Nemours l'avait écoutée ; elle entrait dans le cabinet qui était ouvert sur le jardin. Ses femmes et ses domestiques demeuraient dans l'autre cabinet, ou sous le pavillon, et ne venaient point à elle qu'elle ne les appelât. Madame de Martigues n'avait jamais vu Coulommiers ; elle fut surprise de toutes les beautés qu'elle y trouva et surtout de l'agrément de ce pavillon. Madame de Clèves et elle y passaient tous les soirs. La liberté de se trouver seules, la nuit, dans le plus beau lieu du monde, ne laissait pas finir la conversation entre deux jeunes personnes, qui avaient des passions violentes dans le cœur ; et quoiqu'elles ne s'en fissent point de confidence, elles trouvaient un grand plaisir à se parler. Madame de Martigues aurait eu de la peine à quitter Coulommiers, si, en le quittant, elle n'eût dû aller dans un lieu où était le vidame. Elle partit pour aller à Chambord, où la cour était alors.
 
Le gentilhomme qui étoit tres-capable d’une telle commiſſion, s’en acquitta avec toute l’exactitude imaginable. Il ſuivit monſieur de Nemours juſqu’à un village, à une demi-lieue de Coulommiers, où ce prince s’arreſta, & le gentilhomme devina aiſément que c’étoit pour y attendre la nuit. Il ne crut pas à propos de l’y attendre auſſi ; il paſſa le village & alla dans la foreſt, à l’endroit par où il jugeoit que monſieur de Nemours pouvoit paſſer ; il ne ſe trompa point dans tout ce qu’il avoit penſé. Sitoſt que la nuit fut venue, il entendit marcher, & quoyqu’il fît obſcur, il reconnut aiſément monſieur de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin, comme pour écouter s’il n’y entendroit perſonne, & pour choiſir le lieu par où il pourroit paſſer le plus aiſément. Les paliſſades étaient fort hautes, & il y en avoit encore derrière, pour empeſcher qu’on ne pût entrer ; en ſorte qu’il étoit aſſez difficyle de ſe faire paſſage. Monſieur de Nemours en vint à bout néanmoins ; ſitoſt qu’il fut dans ce jardin, il n’eut pas de peine à démeſler où étoit madame de Clèves. Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet, toutes les feneſtres en étaient ouvertes ; et, en ſe gliſſant le long des paliſſades, il s’en approcha avec un trouble & une émotion qu’il eſt aiſé de ſe repréſenter. Il ſe rangea derrière une des feneſtres, qui ſervoit de porte, pour voir ce que faiſçait madame de Clèves. Il vit qu’elle étoit ſeule ; mais il la vit d’une ſi admirable beauté, qu’à peine fut-il maître du tranſport que luy donna cette vue. Il faiſçait chaud, & elle n’avoit rien ſur ſa teſte & ſur ſa gorge, que ſes cheveux confuſément rattachez. Elle étoit ſur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avoit pluſieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choiſit quelques-uns, & monſieur de Nemours remarqua que c’étaient des meſmes couleurs qu’il avoit portées au tournoi. Il vit qu’elle en faiſçait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu’il avoit portée quelque temps, & qu’il avoit donnée à ſa sœur, à qui madame de Clèves l’avoit priſe ſans faire ſemblant de la reconnaître pour avoir été à monſieur de Nemours. Après qu’elle eut achevé ſon ouvrage avec une grace & une douceur que répandaient ſur ſon viſage les ſentiments qu’elle avoit dans le cœur, elle prit un flambeau & s’en alla proche d’une grande table, vis-à-vis du tableau du ſiège de Metz, où étoit le portroit de monſieur de Nemours ; elle s’aſſit, & ſe mit à regarder ce portroit avec une attention & une reſverie que la paſſion ſeule peut donner.
Le sacre avait été fait à Reims par le cardinal de Lorraine, et l'on devait passer le reste de l'été dans le château de Chambord, qui était nouvellement bâti. La reine témoigna une grande joie de revoir madame de Martigues ; et après lui en avoir donné plusieurs marques, elle lui demanda des nouvelles de madame de Clèves, et de ce qu'elle faisait à la campagne. Monsieur de Nemours et monsieur de Clèves étaient alors chez cette reine. Madame de Martigues, qui avait trouvé Coulommiers admirable, en conta toutes les beautés, et elle s'étendit extrêmement sur la description de ce pavillon de la forêt et sur le plaisir qu'avait madame de Clèves de s'y promener seule une partie de la nuit. Monsieur de Nemours, qui connaissait assez le lieu pour entendre ce qu'en disait madame de Martigues, pensa qu'il n'était pas impossible qu'il y pût voir madame de Clèves, sans être vu que d'elle. Il fit quelques questions à madame de Martigues pour s'en éclaircir encore ; et monsieur de Clèves qui l'avait toujours regardé pendant que madame de Martigues avait parlé, crut voir dans ce moment ce qui lui passait dans l'esprit. Les questions que fit ce prince le confirmèrent encore dans cette pensée ; en sorte qu'il ne douta point qu'il n'eût dessein d'aller voir sa femme. Il ne se trompait pas dans ses soupçons. Ce dessein entra si fortement dans l'esprit de monsieur de Nemours, qu'après avoir passé la nuit à songer aux moyens de l'exécuter, dès le lendemain matin, il demanda congé au roi pour aller à Paris, sur quelque prétexte qu'il inventa.
 
On ne peut exprimer ce que ſentit monſieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une perſonne qu’il adoroit ; la voir ſans qu’elle sût qu’il la voyait, & la voir tout occupée de choſes qui avaient du rapport à luy & à la paſſion qu’elle luy cachait, c’eſt ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.
Monsieur de Clèves ne douta point du sujet de ce voyage ; mais il résolut de s'éclaircir de la conduite de sa femme, et de ne pas demeurer dans une cruelle incertitude. Il eut envie de partir en même temps que monsieur de Nemours, et de venir lui-même caché découvrir quel succès aurait ce voyage ; mais craignant que son départ ne parût extraordinaire, et que monsieur de Nemours, en étant averti, ne prît d'autres mesures, il résolut de se fier à un gentilhomme qui était à lui, dont il connaissait la fidélité et l'esprit. Il lui conta dans quel embarras il se trouvait. Il lui dit quelle avait été jusqu'alors la vertu de madame de Clèves, et lui ordonna de partir sur les pas de monsieur de Nemours, de l'observer exactement, de voir s'il n'irait point à Coulommiers, et s'il n'entrerait point la nuit dans le jardin.
 
Ce prince étoit auſſi tellement hors de luy-meſme, qu’il demeuroit immobile à regarder madame de Clèves, ſans ſonger que les moments luy étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il penſa qu’il devoit attendre à luy parler qu’elle allat dans le jardin ; il crut qu’il le pourroit faire avec plus de sûreté, parce qu’elle ſeroit plus éloignée de ſes femmes ; mais voyant qu’elle demeuroit dans le cabinet, il prit la réſolution d’y entrer. Quand il voulut l’exécuter, quel trouble n’eut-il point ! Quelle crainte de luy déplaire ! Quelle peur de faire changer ce viſage où il y avoit tant de douceur, & de le voir devenir plein de ſévérité & de colère !
Le gentilhomme qui était très capable d'une telle commission, s'en acquitta avec toute l'exactitude imaginable. Il suivit monsieur de Nemours jusqu'à un village, à une demi-lieue de Coulommiers, où ce prince s'arrêta, et le gentilhomme devina aisément que c'était pour y attendre la nuit. Il ne crut pas à propos de l'y attendre aussi ; il passa le village et alla dans la forêt, à l'endroit par où il jugeait que monsieur de Nemours pouvait passer ; il ne se trompa point dans tout ce qu'il avait pensé. Sitôt que la nuit fut venue, il entendit marcher, et quoiqu'il fît obscur, il reconnut aisément monsieur de Nemours. Il le vit faire le tour du jardin, comme pour écouter s'il n'y entendrait personne, et pour choisir le lieu par où il pourrait passer le plus aisément. Les palissades étaient fort hautes, et il y en avait encore derrière, pour empêcher qu'on ne pût entrer ; en sorte qu'il était assez difficile de se faire passage. Monsieur de Nemours en vint à bout néanmoins ; sitôt qu'il fut dans ce jardin, il n'eut pas de peine à démêler où était madame de Clèves. Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet, toutes les fenêtres en étaient ouvertes ; et, en se glissant le long des palissades, il s'en approcha avec un trouble et une émotion qu'il est aisé de se représenter. Il se rangea derrière une des fenêtres, qui servait de porte, pour voir ce que faisait madame de Clèves. Il vit qu'elle était seule ; mais il la vit d'une si admirable beauté, qu'à peine fut-il maître du transport que lui donna cette vue. Il faisait chaud, et elle n'avait rien sur sa tête et sur sa gorge, que ses cheveux confusément rattachés. Elle était sur un lit de repos, avec une table devant elle, où il y avait plusieurs corbeilles pleines de rubans ; elle en choisit quelques-uns, et monsieur de Nemours remarqua que c'étaient des mêmes couleurs qu'il avait portées au tournoi. Il vit qu'elle en faisait des nœuds à une canne des Indes, fort extraordinaire, qu'il avait portée quelque temps, et qu'il avait donnée à sa sœur, à qui madame de Clèves l'avait prise sans faire semblant de la reconnaître pour avoir été à monsieur de Nemours. Après qu'elle eut achevé son ouvrage avec une grâce et une douceur que répandaient sur son visage les sentiments qu'elle avait dans le cœur, elle prit un flambeau et s'en alla proche d'une grande table, vis-à-vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de monsieur de Nemours ; elle s'assit, et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner.
 
Il trouva qu’il y avoit eu de la folie, non pas à venir voir madame de Clèves ſans eſtre vu, mais à penſer de s’en faire voir ; il vit tout ce qu’il n’avoit point encore enviſagé. Il luy parut de l’extravagance dans ſa hardieſſe de venir ſurprendre au milieu de la nuit, une perſonne à qui il n’avoit encore jamais parlé de ſon amour. Il penſa qu’il ne devoit pas prétendre qu’elle le voulût écouter, & qu’elle auroit une juſte colère du péril où il l’expoſçait, par les accidents qui pouvaient arriver. Tout ſon courage l’abandonna, & il fut preſt pluſieurs fois à prendre la réſolution de s’en retourner ſans ſe faire voir. Pouſſé néanmoins par le déſir de luy parler, & raſſuré par les eſpérances que luy donnoit tout ce qu’il avoit vu, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu’une écharpe qu’il avoit s’embarraſſa dans la feneſtre, en ſorte qu’il fit du bruit. Madame de Clèves tourna la teſte, et, ſoyt qu’elle eût l’eſprit rempli de ce prince, ou qu’il fût dans un lieu où la lumière donnoit aſſez pour qu’elle le pût diſtinguer, elle crut le reconnaître & ſans balancer ni ſe retourner du coſté où il était, elle entra dans le lieu où étaient ſes femmes. Elle y entra avec tant de trouble qu’elle fut contrainte, pour le cacher, de dire qu’elle ſe trouvoit mal ; & elle le dit auſſi pour occuper tous ſes gens, & pour donner le temps à monſieur de Nemours de ſe retirer. Quand elle eut foit quelque réflexion, elle penſa qu’elle s’étoit trompée, & que c’étoit un effect de ſon imagination d’avoir cru voir monſieur de Nemours. Elle ſavoit qu’il étoit à Chambord, elle ne trouvoit nulle apparence qu’il eût entrepris une choſe ſi haſardeuſe ; elle eut envie pluſieurs fois de rentrer dans le cabinet, & d’aller voir dans le jardin s’il y avoit quelqu’un. Peut-eſtre ſouhaitait-elle, autant qu’elle le craignait, d’y trouver monſieur de Nemours ; mais enfin la raiſon & la prudence l’emportèrent ſur tous ſes autres ſentiments, & elle trouva qu’il valoit mieux demeurer dans le doute où elle était, que de prendre le haſard de s’en éclaircir. Elle fut longtemps à ſe réſoudre à ſortir d’un lieu dont elle penſçait que ce prince étoit peut-eſtre ſi proche, & il étoit quaſi jour quand elle revint au chateau.
On ne peut exprimer ce que sentit monsieur de Nemours dans ce moment. Voir au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne qu'il adorait ; la voir sans qu'elle sût qu'il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu'elle lui cachait, c'est ce qui n'a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant.
 
Monſieur de Nemours étoit demeuré dans le jardin, tant qu’il avoit vu de la lumière ; il n’avoit pu perdre l’eſpérance de revoir madame de Clèves, quoyqu’il fût perſuadé qu’elle l’avoit reconnu, & qu’elle n’étoit ſortie que pour l’éviter ; mais, voyant qu’on fermoit les portes, il jugea bien qu’il n’avoit plus rien à eſpérer. Il vint reprendre ſon cheval tout proche du lieu où attendoit le gentilhomme de monſieur de Clèves. Ce gentilhomme le ſuivit juſqu’au meſme village, d’où il étoit parti le ſoyr. Monſieur de Nemours ſe réſolut d’y paſſer tout le jour, afin de retourner la nuit à Coulommiers, pour voir ſi madame de Clèves auroit encore la cruauté de le fuir, ou celle de ne ſe pas expoſer à eſtre vue ; quoyqu’il eût une joie ſenſible de l’avoir trouvée ſi remplie de ſon idée, il étoit néanmoins tres-affligé de luy avoir vu un mouvement ſi naturel de le fuir.
Ce prince était aussi tellement hors de lui-même, qu'il demeurait immobile à regarder madame de Clèves, sans songer que les moments lui étaient précieux. Quand il fut un peu remis, il pensa qu'il devait attendre à lui parler qu'elle allât dans le jardin ; il crut qu'il le pourrait faire avec plus de sûreté, parce qu'elle serait plus éloignée de ses femmes ; mais voyant qu'elle demeurait dans le cabinet, il prit la résolution d'y entrer. Quand il voulut l'exécuter, quel trouble n'eut-il point ! Quelle crainte de lui déplaire ! Quelle peur de faire changer ce visage où il y avait tant de douceur, et de le voir devenir plein de sévérité et de colère !
 
La paſſion n’a jamais été ſi tendre & ſi violente qu’elle l’étoit alors en ce prince. Il s’en alla ſous des ſaules, le long d’un petit ruiſſeau qui couloit derrière la maiſon où il étoit caché. Il s’éloigna le plus qu’il luy fut poſſible, pour n’eſtre vu ni entendu de perſonne ; il s’abandonna aux tranſports de ſon amour, & ſon cœur en fut tellement preſſé qu’il fut contraint de laiſſer couler quelques larmes ; mais ces larmes n’étaient pas de celles que la douleur ſeule foit répandre, elles étaient meſlées de douceur & de ce charme qui ne ſe trouve que dans l’amour.
Il trouva qu'il y avait eu de la folie, non pas à venir voir madame de Clèves sans être vu, mais à penser de s'en faire voir ; il vit tout ce qu'il n'avait point encore envisagé. Il lui parut de l'extravagance dans sa hardiesse de venir surprendre au milieu de la nuit, une personne à qui il n'avait encore jamais parlé de son amour. Il pensa qu'il ne devait pas prétendre qu'elle le voulût écouter, et qu'elle aurait une juste colère du péril où il l'exposait, par les accidents qui pouvaient arriver. Tout son courage l'abandonna, et il fut prêt plusieurs fois à prendre la résolution de s'en retourner sans se faire voir. Poussé néanmoins par le désir de lui parler, et rassuré par les espérances que lui donnait tout ce qu'il avait vu, il avança quelques pas, mais avec tant de trouble qu'une écharpe qu'il avait s'embarrassa dans la fenêtre, en sorte qu'il fit du bruit. Madame de Clèves tourna la tête, et, soit qu'elle eût l'esprit rempli de ce prince, ou qu'il fût dans un lieu où la lumière donnait assez pour qu'elle le pût distinguer, elle crut le reconnaître et sans balancer ni se retourner du côté où il était, elle entra dans le lieu où étaient ses femmes. Elle y entra avec tant de trouble qu'elle fut contrainte, pour le cacher, de dire qu'elle se trouvait mal ; et elle le dit aussi pour occuper tous ses gens, et pour donner le temps à monsieur de Nemours de se retirer. Quand elle eut fait quelque réflexion, elle pensa qu'elle s'était trompée, et que c'était un effet de son imagination d'avoir cru voir monsieur de Nemours. Elle savait qu'il était à Chambord, elle ne trouvait nulle apparence qu'il eût entrepris une chose si hasardeuse ; elle eut envie plusieurs fois de rentrer dans le cabinet, et d'aller voir dans le jardin s'il y avait quelqu'un. Peut-être souhaitait-elle, autant qu'elle le craignait, d'y trouver monsieur de Nemours ; mais enfin la raison et la prudence l'emportèrent sur tous ses autres sentiments, et elle trouva qu'il valait mieux demeurer dans le doute où elle était, que de prendre le hasard de s'en éclaircir. Elle fut longtemps à se résoudre à sortir d'un lieu dont elle pensait que ce prince était peut-être si proche, et il était quasi jour quand elle revint au château.
 
Il ſe mit à repaſſer toutes les actions de madame de Clèves depuis qu’il en étoit amoureux ; quelle rigueur honneſte & modeſte elle avoit toujours eue pour luy, quoyqu’elle l’aimat.
Monsieur de Nemours était demeuré dans le jardin, tant qu'il avait vu de la lumière ; il n'avait pu perdre l'espérance de revoir madame de Clèves, quoiqu'il fût persuadé qu'elle l'avait reconnu, et qu'elle n'était sortie que pour l'éviter ; mais, voyant qu'on fermait les portes, il jugea bien qu'il n'avait plus rien à espérer. Il vint reprendre son cheval tout proche du lieu où attendait le gentilhomme de monsieur de Clèves. Ce gentilhomme le suivit jusqu'au même village, d'où il était parti le soir. Monsieur de Nemours se résolut d'y passer tout le jour, afin de retourner la nuit à Coulommiers, pour voir si madame de Clèves aurait encore la cruauté de le fuir, ou celle de ne se pas exposer à être vue ; quoiqu'il eût une joie sensible de l'avoir trouvée si remplie de son idée, il était néanmoins très affligé de lui avoir vu un mouvement si naturel de le fuir.
 
— « Car, enfin, elle m’aime, diſçait-il ; elle m’aime, je n’en ſaurais douter ; les plus grands engagements & les plus grandes faveurs ne ſont pas des marques ſi aſſurées que celles que j’en ay eues. Cependant je ſuis traité avec la meſme rigueur que ſi j’étais haï ; j’ai eſpéré au temps, je n’en dois plus rien attendre ; je la vois toujours ſe défendre également contre moy & contre elle-meſme. Si je n’étais point aimé, je ſongerais à plaire ; mais je plais, on m’aime, & on me le cache. Que puis-je donc eſpérer, & quel changement dois-je attendre dans ma deſtinée ? Quoi ! je ſerai aimé de la plus aimable perſonne du monde, & je n’aurai cet excès d’amour que donnent les premières certitudes d’eſtre aimé, que pour mieux ſentir la douleur d’eſtre maltraité ! Laiſſez-moi voir que vous m’aimez, belle princeſſe, s’écria-t-il, laiſſez-moi voir vos ſentiments ; pourvu que je les connaiſſe par vous une fois en ma vie, je conſens que vous repreniez pour toujours ces rigueurs dont vous m’accablez. Regardez-moi du moins avec ces meſmes yeux dont je vous ay vue cette nuit regarder mon portroit ; pouvez-vous l’avoir regardé avec tant de douceur, & m’avoir fui moi-meſme ſi cruellement ? Que craignez-vous ? Pourquoy mon amour vous eſt-il ſi redoutable ? Vous m’aimez, vous me le cachez inutilement ; vous-meſme m’en avez donné des marques involontaires. Je ſais mon bonheur ; laiſſez-m’en jouir, & ceſſez de me rendre malheureux. Eſt-il poſſible, reprenait-il, que je ſoys aimé de madame de Clèves, & que je ſoys malheureux ? Qu’elle étoit belle cette nuit ! Comment ai-je pu réſiſter à l’envie de me jeter à ſes pieds ? Si je l’avais fait, je l’aurais peut-eſtre empeſchée de me fuir, mon reſpect l’auroit raſſurée ; mais peut-eſtre elle ne m’a pas reconnu ; je m’afflige plus que je ne dois, & la vue d’un homme, à une heure ſi extraordinaire, l’a effrayée. »
La passion n'a jamais été si tendre et si violente qu'elle l'était alors en ce prince. Il s'en alla sous des saules, le long d'un petit ruisseau qui coulait derrière la maison où il était caché. Il s'éloigna le plus qu'il lui fut possible, pour n'être vu ni entendu de personne ; il s'abandonna aux transports de son amour, et son cœur en fut tellement pressé qu'il fut contraint de laisser couler quelques larmes ; mais ces larmes n'étaient pas de celles que la douleur seule fait répandre, elles étaient mêlées de douceur et de ce charme qui ne se trouve que dans l'amour.
 
Ces meſmes penſées occupèrent tout le jour monſieur de Nemours ; il attendit la nuit avec impatience ; & quand elle fut venue, il reprit le chemin de Coulommiers. Le gentilhomme de monſieur de Clèves, qui s’étoit déguiſé afin d’eſtre moins remarqué, le ſuivit juſqu’au lieu où il l’avoit ſuivi le ſoyr d’auparavant, & le vit entrer dans le meſme jardin. Ce prince connut bientoſt que madame de Clèves n’avoit pas voulu haſarder qu’il eſſayat encore de la voir ; toutes les portes étaient fermées. Il tourna de tous les coſtez pour découvrir s’il ne verroit point de lumières ; mais ce fut inutilement.
Il se mit à repasser toutes les actions de madame de Clèves depuis qu'il en était amoureux ; quelle rigueur honnête et modeste elle avait toujours eue pour lui, quoiqu'elle l'aimât.
 
Madame de Clèves s’étant doutée que monſieur de Nemours pourroit revenir, étoit demeurée dans ſa chambre ; elle avoit appréhendé de n’avoir pas toujours la force de le fuir, & elle n’avoit pas voulu ſe mettre au haſard de luy parler d’une manière ſi peu conforme à la conduite qu’elle avoit eue juſqu’alors.
— « Car, enfin, elle m'aime, disait-il ; elle m'aime, je n'en saurais douter ; les plus grands engagements et les plus grandes faveurs ne sont pas des marques si assurées que celles que j'en ai eues. Cependant je suis traité avec la même rigueur que si j'étais haï ; j'ai espéré au temps, je n'en dois plus rien attendre ; je la vois toujours se défendre également contre moi et contre elle-même. Si je n'étais point aimé, je songerais à plaire ; mais je plais, on m'aime, et on me le cache. Que puis-je donc espérer, et quel changement dois-je attendre dans ma destinée ? Quoi ! je serai aimé de la plus aimable personne du monde, et je n'aurai cet excès d'amour que donnent les premières certitudes d'être aimé, que pour mieux sentir la douleur d'être maltraité ! Laissez-moi voir que vous m'aimez, belle princesse, s'écria-t-il, laissez-moi voir vos sentiments ; pourvu que je les connaisse par vous une fois en ma vie, je consens que vous repreniez pour toujours ces rigueurs dont vous m'accablez. Regardez-moi du moins avec ces mêmes yeux dont je vous ai vue cette nuit regarder mon portrait ; pouvez-vous l'avoir regardé avec tant de douceur, et m'avoir fui moi-même si cruellement ? Que craignez-vous ? Pourquoi mon amour vous est-il si redoutable ? Vous m'aimez, vous me le cachez inutilement ; vous-même m'en avez donné des marques involontaires. Je sais mon bonheur ; laissez-m'en jouir, et cessez de me rendre malheureux. Est-il possible, reprenait-il, que je sois aimé de madame de Clèves, et que je sois malheureux ? Qu'elle était belle cette nuit ! Comment ai-je pu résister à l'envie de me jeter à ses pieds ? Si je l'avais fait, je l'aurais peut-être empêchée de me fuir, mon respect l'aurait rassurée ; mais peut-être elle ne m'a pas reconnu ; je m'afflige plus que je ne dois, et la vue d'un homme, à une heure si extraordinaire, l'a effrayée. »
 
Quoique monſieur de Nemours n’eût aucune eſpérance de la voir, il ne put ſe réſoudre à ſortir ſi toſt d’un lieu où elle étoit ſi ſouvent. Il paſſa la nuit entière dans le jardin, & trouva quelque conſolation à voir du moins les meſmes objets qu’elle voyoit tous les jours. Le ſoleil étoit levé devant qu’il penſat à ſe retirer ; mais enfin la crainte d’eſtre découvert l’obligea à s’en aller.
Ces mêmes pensées occupèrent tout le jour monsieur de Nemours ; il attendit la nuit avec impatience ; et quand elle fut venue, il reprit le chemin de Coulommiers. Le gentilhomme de monsieur de Clèves, qui s'était déguisé afin d'être moins remarqué, le suivit jusqu'au lieu où il l'avait suivi le soir d'auparavant, et le vit entrer dans le même jardin. Ce prince connut bientôt que madame de Clèves n'avait pas voulu hasarder qu'il essayât encore de la voir ; toutes les portes étaient fermées. Il tourna de tous les côtés pour découvrir s'il ne verrait point de lumières ; mais ce fut inutilement.
 
Il luy fut impoſſible de s’éloigner ſans voir madame de Clèves ; & il alla chez madame de Mercœur, qui étoit alors dans cette maiſon qu’elle avoit proche de Coulommiers. Elle fut extreſmement ſurpriſe de l’arrivée de ſon frère. Il inventa une cauſe de ſon voyage, aſſez vraiſemblable pour la tromper, & enfin il conduiſit ſi habilement ſon deſſein, qu’il l’obligea à luy propoſer d’elle-meſme d’aller chez madame de Clèves. Cette propoſition fut exécutée dès le meſme jour, & monſieur de Nemours dit à ſa sœur qu’il la quitteroit à Coulommiers, pour s’en retourner en diligence trouver le roi. Il fit ce deſſein de la quitter à Coulommiers, dans la penſée de l’en laiſſer partir la première ; & il crut avoir trouvé un moyen infaillible de parler à madame de Clèves.
Madame de Clèves s'étant doutée que monsieur de Nemours pourrait revenir, était demeurée dans sa chambre ; elle avait appréhendé de n'avoir pas toujours la force de le fuir, et elle n'avait pas voulu se mettre au hasard de lui parler d'une manière si peu conforme à la conduite qu'elle avait eue jusqu'alors.
 
Comme ils arrivèrent, elle ſe promenoit dans une grande allée qui borde le parterre. La vue de monſieur de Nemours ne luy cauſa pas un médiocre trouble, & ne luy laiſſa plus douter que ce ne fût luy qu’elle avoit vu la nuit précédente. Cette certitude luy donna quelque mouvement de colère, par la hardieſſe & l’imprudence qu’elle trouvoit dans ce qu’il avoit entrepris. Ce prince remarqua une impreſſion de froideur ſur ſon viſage qui luy donna une ſenſible douleur. La converſation fut de choſes indifférentes ; & néanmoins, il trouva l’art d’y faire paraître tant d’eſprit, tant de complaiſance & tant d’admiration pour madame de Clèves, qu’il diſſipa malgré elle une partie de la froideur qu’elle avoit eue d’abord.
Quoique monsieur de Nemours n'eût aucune espérance de la voir, il ne put se résoudre à sortir si tôt d'un lieu où elle était si souvent. Il passa la nuit entière dans le jardin, et trouva quelque consolation à voir du moins les mêmes objets qu'elle voyait tous les jours. Le soleil était levé devant qu'il pensât à se retirer ; mais enfin la crainte d'être découvert l'obligea à s'en aller.
 
Lorſqu’il ſe ſentit raſſuré de ſa première crainte, il témoigna une extreſme curioſité d’aller voir le pavillon de la foreſt. Il en parla comme du plus agréable lieu du monde & en fit meſme une deſcription ſi particulière, que madame de Mercœur luy dit qu’il falloit qu’il y eût été pluſieurs fois pour en connaître ſi bien toutes les beautez.
Il lui fut impossible de s'éloigner sans voir madame de Clèves ; et il alla chez madame de Mercœur, qui était alors dans cette maison qu'elle avait proche de Coulommiers. Elle fut extrêmement surprise de l'arrivée de son frère. Il inventa une cause de son voyage, assez vraisemblable pour la tromper, et enfin il conduisit si habilement son dessein, qu'il l'obligea à lui proposer d'elle-même d'aller chez madame de Clèves. Cette proposition fut exécutée dès le même jour, et monsieur de Nemours dit à sa sœur qu'il la quitterait à Coulommiers, pour s'en retourner en diligence trouver le roi. Il fit ce dessein de la quitter à Coulommiers, dans la pensée de l'en laisser partir la première ; et il crut avoir trouvé un moyen infaillible de parler à madame de Clèves.
 
— Je ne crois pourtant pas, reprit madame de Clèves, que monſieur de Nemours y ait jamais entré ; c’eſt un lieu qui n’eſt achevé que depuis peu.
Comme ils arrivèrent, elle se promenait dans une grande allée qui borde le parterre. La vue de monsieur de Nemours ne lui causa pas un médiocre trouble, et ne lui laissa plus douter que ce ne fût lui qu'elle avait vu la nuit précédente. Cette certitude lui donna quelque mouvement de colère, par la hardiesse et l'imprudence qu'elle trouvait dans ce qu'il avait entrepris. Ce prince remarqua une impression de froideur sur son visage qui lui donna une sensible douleur. La conversation fut de choses indifférentes ; et néanmoins, il trouva l'art d'y faire paraître tant d'esprit, tant de complaisance et tant d'admiration pour madame de Clèves, qu'il dissipa malgré elle une partie de la froideur qu'elle avait eue d'abord.
 
— Il n’y a pas longtemps auſſi que j’y ay été, reprit monſieur de Nemours en la regardant, & je ne ſais ſi je ne dois point eſtre bien aiſe que vous ayez oublié de m’y avoir vu.
Lorsqu'il se sentit rassuré de sa première crainte, il témoigna une extrême curiosité d'aller voir le pavillon de la forêt. Il en parla comme du plus agréable lieu du monde et en fit même une description si particulière, que madame de Mercœur lui dit qu'il fallait qu'il y eût été plusieurs fois pour en connaître si bien toutes les beautés.
 
Madame de Mercœur, qui regardoit la beauté des jardins, n’avoit point d’attention à ce que diſçait ſon frère. Madame de Clèves rougit, & baiſſant les yeux ſans regarder monſieur de Nemours : — Je ne me ſouviens point, luy dit-elle, de vous y avoir vu ; & ſi vous y avez été, c’eſt ſans que je l’aie ſu.
— Je ne crois pourtant pas, reprit madame de Clèves, que monsieur de Nemours y ait jamais entré ; c'est un lieu qui n'est achevé que depuis peu.
 
— Il n'yeſt avrai, pas longtemps aussi que j'y ai étéMadame, repritrépliqua monsieurmonſieur de Nemours, enque laj’y regardant,ay etété jeſans nevos saisordres, si& jej’y neay doispaſſé pointles êtreplus biendoux aise& queles vousplus ayezcruels oubliémoments de m'y avoirma vuvie.
 
Madame de Clèves entendoit trop bien tout ce que diſçait ce prince, mais elle n’y répondit point ; elle ſongea à empeſcher madame de Mercœur d’aller dans ce cabinet, parce que le portroit de monſieur de Nemours y était, & qu’elle ne vouloit pas qu’elle l’y vît. Elle fit ſi bien que le temps ſe paſſa inſenſiblement, & madame de Mercœur parla de s’en retourner. Mais quand madame de Clèves vit que monſieur de Nemours & ſa sœur ne s’en allaient pas enſemble, elle jugea bien à quoy elle alloit eſtre expoſée ; elle ſe trouva dans le meſme embarras où elle s’étoit trouvée à Paris & elle prit auſſi le meſme parti. La crainte que cette viſite ne fût encore une confirmation des ſoupçons qu’avoit ſon mari ne contribua pas peu à la déterminer ; & pour éviter que monſieur de Nemours ne demeurat ſeul avec elle, elle dit à madame de Mercœur qu’elle l’alloit conduire juſqu’au bord de la foreſt, & elle ordonna que ſon carroſſe la ſuivît. La douleur qu’eut ce prince de trouver toujours cette meſme continuation des rigueurs en madame de Clèves fut ſi violente qu’il en palit dans le meſme moment. Madame de Mercœur luy demanda s’il ſe trouvoit mal ; mais il regarda madame de Clèves, ſans que perſonne s’en aperçût, & il luy fit juger par ſes regards qu’il n’avoit d’autre mal que ſon déſeſpoir. Cependant il fallut qu’il les laiſſat partir ſans oſer les ſuivre, & après ce qu’il avoit dit, il ne pouvoit plus retourner avec ſa sœur ; ainſi, il revint à Paris, & en partit le lendemain.
Madame de Mercœur, qui regardait la beauté des jardins, n'avait point d'attention à ce que disait son frère. Madame de Clèves rougit, et baissant les yeux sans regarder monsieur de Nemours : — Je ne me souviens point, lui dit-elle, de vous y avoir vu ; et si vous y avez été, c'est sans que je l'aie su.
 
Le gentilhomme de monſieur de Clèves l’avoit toujours obſervé : il revint auſſi à Paris, et, comme il vit monſieur de Nemours parti pour Chambord, il prit la poſte afin d’y arriver devant luy, & de rendre compte de ſon voyage. Son maître attendoit ſon retour, comme ce qui alloit décider du malheur de toute ſa vie.
— Il est vrai, Madame, répliqua monsieur de Nemours, que j'y ai été sans vos ordres, et j'y ai passé les plus doux et les plus cruels moments de ma vie.
 
Sitoſt qu’il le vit, il jugea, par ſon viſage & par ſon ſilence, qu’il n’avoit que des choſes facheuſes à luy apprendre. Il demeura quelque temps ſaiſi d’affliction, la teſte baiſſée ſans pouvoir parler ; enfin, il luy fit ſigne de la main de ſe retirer : — Allez, dit-il, je vois ce que vous avez à me dire ; mais je n’ai pas la force de l’écouter.
Madame de Clèves entendait trop bien tout ce que disait ce prince, mais elle n'y répondit point ; elle songea à empêcher madame de Mercœur d'aller dans ce cabinet, parce que le portrait de monsieur de Nemours y était, et qu'elle ne voulait pas qu'elle l'y vît. Elle fit si bien que le temps se passa insensiblement, et madame de Mercœur parla de s'en retourner. Mais quand madame de Clèves vit que monsieur de Nemours et sa sœur ne s'en allaient pas ensemble, elle jugea bien à quoi elle allait être exposée ; elle se trouva dans le même embarras où elle s'était trouvée à Paris et elle prit aussi le même parti. La crainte que cette visite ne fût encore une confirmation des soupçons qu'avait son mari ne contribua pas peu à la déterminer ; et pour éviter que monsieur de Nemours ne demeurât seul avec elle, elle dit à madame de Mercœur qu'elle l'allait conduire jusqu'au bord de la forêt, et elle ordonna que son carrosse la suivît. La douleur qu'eut ce prince de trouver toujours cette même continuation des rigueurs en madame de Clèves fut si violente qu'il en pâlit dans le même moment. Madame de Mercœur lui demanda s'il se trouvait mal ; mais il regarda madame de Clèves, sans que personne s'en aperçût, et il lui fit juger par ses regards qu'il n'avait d'autre mal que son désespoir. Cependant il fallut qu'il les laissât partir sans oser les suivre, et après ce qu'il avait dit, il ne pouvait plus retourner avec sa sœur ; ainsi, il revint à Paris, et en partit le lendemain.
 
— Je n’ai rien à vous apprendre, répondit le gentilhomme, ſur quoy on puiſſe faire de jugement aſſuré. Il eſt vrai que monſieur de Nemours a entré deux nuits de ſuite dans le jardin de la foreſt, & qu’il a été le jour d’après à Coulommiers avec madame de Mercœur.
Le gentilhomme de monsieur de Clèves l'avait toujours observé : il revint aussi à Paris, et, comme il vit monsieur de Nemours parti pour Chambord, il prit la poste afin d'y arriver devant lui, et de rendre compte de son voyage. Son maître attendait son retour, comme ce qui allait décider du malheur de toute sa vie.
 
— C’eſt aſſez, répliqua monſieur de Clèves, c’eſt aſſez, en luy faiſant encore ſigne de ſe retirer, & je n’ai pas beſoin d’un plus grand éclairciſſement.
Sitôt qu'il le vit, il jugea, par son visage et par son silence, qu'il n'avait que des choses fâcheuses à lui apprendre. Il demeura quelque temps saisi d'affliction, la tête baissée sans pouvoir parler ; enfin, il lui fit signe de la main de se retirer : — Allez, dit-il, je vois ce que vous avez à me dire ; mais je n'ai pas la force de l'écouter.
 
Le gentilhomme fut contraint de laiſſer ſon maître abandonné à ſon déſeſpoir. Il n’y en a peut-eſtre jamais eu un plus violent, & peu d’hommes d’un auſſi grand courage & d’un cœur auſſi paſſionné que monſieur de Clèves ont reſſenti en meſme temps la douleur que cauſe l’infidélité d’une maîtreſſe & la honte d’eſtre trompé par une femme.
— Je n'ai rien à vous apprendre, répondit le gentilhomme, sur quoi on puisse faire de jugement assuré. Il est vrai que monsieur de Nemours a entré deux nuits de suite dans le jardin de la forêt, et qu'il a été le jour d'après à Coulommiers avec madame de Mercœur.
 
Monſieur de Clèves ne put réſiſter à l’accablement où il ſe trouva. La fièvre luy prit dès la nuit meſme, & avec de ſi grands accidents, que dès ce moment ſa maladie parut tres-dangereuſe. On en donna avis à madame de Clèves ; elle vint en diligence. Quand elle arriva, il étoit encore plus mal, elle luy trouva quelque choſe de ſi froid & de ſi glacé pour elle, qu’elle en fut extreſmement ſurpriſe & affligée. Il luy parut meſme qu’il recevoit avec peine les ſervices qu’elle luy rendoit ; mais enfin, elle penſa que c’étoit peut-eſtre un effect de ſa maladie.
— C'est assez, répliqua monsieur de Clèves, c'est assez, en lui faisant encore signe de se retirer, et je n'ai pas besoin d'un plus grand éclaircissement.
 
D’abord qu’elle fut à Blois, où la cour étoit alors, monſieur de Nemours ne put s’empeſcher d’avoir de la joie de ſavoir qu’elle étoit dans le meſme lieu que luy. Il eſſaya de la voir, & alla tous les jours chez monſieur de Clèves, ſur le prétexte de ſavoir de ſes nouvelles ; mais ce fut inutilement. Elle ne ſortoit point de la chambre de ſon mari, & avoit une douleur violente de l’état où elle le voyait. Monſieur de Nemours étoit déſeſpéré qu’elle fût ſi affligée ; il jugeoit aiſément combien cette affliction renouveloit l’amitié qu’elle avoit pour monſieur de Clèves, & combien cette amitié faiſçait une diverſion dangereuſe à la paſſion qu’elle avoit dans le cœur. Ce ſentiment luy donna un chagrin mortel pendant quelque temps ; mais l’extrémité du mal de monſieur de Clèves luy ouvrit de nouvelles eſpérances. Il vit que madame de Clèves ſeroit peut-eſtre en liberté de ſuivre ſon inclination, & qu’il pourroit trouver dans l’avenir une ſuite de bonheur & de plaiſirs durables. Il ne pouvoit ſoutenir cette penſée, tant elle luy donnoit de trouble & de tranſports, & il en éloignoit ſon eſprit par la crainte de ſe trouver trop malheureux, s’il venoit à perdre ſes eſpérances.
Le gentilhomme fut contraint de laisser son maître abandonné à son désespoir. Il n'y en a peut-être jamais eu un plus violent, et peu d'hommes d'un aussi grand courage et d'un cœur aussi passionné que monsieur de Clèves ont ressenti en même temps la douleur que cause l'infidélité d'une maîtresse et la honte d'être trompé par une femme.
 
Cependant monſieur de Clèves étoit preſque abandonné des médecins. Un des derniers jours de ſon mal, après avoir paſſé une nuit tres-facheuſe, il dit ſur le matin qu’il vouloit repoſer. Madame de Clèves demeura ſeule dans ſa chambre ; il luy parut qu’au lieu de repoſer, il avoit beaucoup d’inquiétude. Elle s’approcha & ſe vint mettre à genoux devant ſon lit le viſage tout couvert de larmes. Monſieur de Clèves avoit réſolu de ne luy point témoigner le violent chagrin qu’il avoit contre elle ; mais les ſoyns qu’elle luy rendait, & ſon affliction, qui luy paraiſſçait quelquefois véritable, & qu’il regardoit auſſi quelquefois comme des marques de diſſimulation & de perfidie, luy cauſaient des ſentiments ſi oppoſez & ſi douloureux, qu’il ne les put renfermer en luy-meſme.
Monsieur de Clèves ne put résister à l'accablement où il se trouva. La fièvre lui prit dès la nuit même, et avec de si grands accidents, que dès ce moment sa maladie parut très dangereuse. On en donna avis à madame de Clèves ; elle vint en diligence. Quand elle arriva, il était encore plus mal, elle lui trouva quelque chose de si froid et de si glacé pour elle, qu'elle en fut extrêmement surprise et affligée. Il lui parut même qu'il recevait avec peine les services qu'elle lui rendait ; mais enfin, elle pensa que c'était peut-être un effet de sa maladie.
 
— Vous verſez bien des pleurs, Madame, luy dit-il, pour une mort que vous cauſez, & qui ne vous peut donner la douleur que vous faites paraître. Je ne ſuis plus en état de vous faire des reproches, continua-t-il avec une voix affaiblie par la maladie & par la douleur ; mais je meurs du cruel déplaiſir que vous m’avez donné. Fallait-il qu’une action auſſi extraordinaire que celle que vous aviez faite de me parler à Coulommiers eût ſi peu de ſuite ? Pourquoy m’éclairer ſur la paſſion que vous aviez pour monſieur de Nemours, ſi votre vertu n’avoit pas plus d’étendue pour y réſiſter ? Je vous aimais juſqu’à eſtre bien aiſe d’eſtre trompé, je l’avoue à ma honte ; j’ai regretté ce faux repos dont vous m’avez tiré. Que ne me laiſſiez-vous dans cet aveuglement tranquille dont jouiſſent tant de maris ? J’euſſe, peut-eſtre, ignoré toute ma vie que vous aimiez monſieur de Nemours. Je mourrai, ajouta-t-il ; mais ſachez que vous me rendez la mort agréable, & qu’après m’avoir oſté l’eſtime & la tendreſſe que j’avais pour vous, la vie me feroit horreur. Que ferais-je de la vie, reprit-il, pour la paſſer avec une perſonne que j’ai tant aimée, & dont j’ai été ſi cruellement trompé, ou pour vivre ſéparé de cette meſme perſonne, & en venir à un éclat & à des violences ſi oppoſées à mon humeur & à la paſſion que j’avais pour vous ? Elle a été au-delà de ce que vous en avez vu, Madame ; je vous en ay caché la plus grande partie, par la crainte de vous importuner, ou de perdre quelque choſe de votre eſtime, par des manières qui ne convenaient pas à un mari. Enfin je méritais votre cœur ; encore une fois, je meurs ſans regret, puiſque je n’ai pu l’avoir, & que je ne puis plus le déſirer. Adieu, Madame, vous regretterez quelque jour un homme qui vous aimoit d’une paſſion véritable & légitime. Vous ſentirez le chagrin que trouvent les perſonnes raiſonnables dans ces engagements, & vous connaîtrez la différence d’eſtre aimée comme je vous aimais, à l’eſtre par des gens qui, en vous témoignant de l’amour, ne cherchent que l’honneur de vous ſéduire. Mais ma mort vous laiſſera en liberté, ajouta-t-il, & vous pourrez rendre monſieur de Nemours heureux, ſans qu’il vous en coûte des crimes. Qu’importe, reprit-il, ce qui arrivera quand je ne ſerai plus, & faut-il que j’aie la faibleſſe d’y jeter les yeux !
D'abord qu'elle fut à Blois, où la cour était alors, monsieur de Nemours ne put s'empêcher d'avoir de la joie de savoir qu'elle était dans le même lieu que lui. Il essaya de la voir, et alla tous les jours chez monsieur de Clèves, sur le prétexte de savoir de ses nouvelles ; mais ce fut inutilement. Elle ne sortait point de la chambre de son mari, et avait une douleur violente de l'état où elle le voyait. Monsieur de Nemours était désespéré qu'elle fût si affligée ; il jugeait aisément combien cette affliction renouvelait l'amitié qu'elle avait pour monsieur de Clèves, et combien cette amitié faisait une diversion dangereuse à la passion qu'elle avait dans le cœur. Ce sentiment lui donna un chagrin mortel pendant quelque temps ; mais l'extrémité du mal de monsieur de Clèves lui ouvrit de nouvelles espérances. Il vit que madame de Clèves serait peut-être en liberté de suivre son inclination, et qu'il pourrait trouver dans l'avenir une suite de bonheur et de plaisirs durables. Il ne pouvait soutenir cette pensée, tant elle lui donnait de trouble et de transports, et il en éloignait son esprit par la crainte de se trouver trop malheureux, s'il venait à perdre ses espérances.
 
Madame de Clèves étoit ſi éloignée de s’imaginer que ſon mari pût avoir des ſoupçons contre elle, qu’elle écouta toutes ces paroles ſans les comprendre, & ſans avoir d’autre idée, ſinon qu’il luy reprochoit ſon inclination pour monſieur de Nemours ; enfin, ſortant tout d’un coup de ſon aveuglement : — Moi, des crimes ! s’écria-t-elle ; la penſée meſme m’en eſt inconnue. La vertu la plus auſtère ne peut inſpirer d’autre conduite que celle que j’ai eue ; & je n’ai jamais foit d’action dont je n’euſſe ſouhaité que vous euſſiez été témoin.
Cependant monsieur de Clèves était presque abandonné des médecins. Un des derniers jours de son mal, après avoir passé une nuit très fâcheuse, il dit sur le matin qu'il voulait reposer. Madame de Clèves demeura seule dans sa chambre ; il lui parut qu'au lieu de reposer, il avait beaucoup d'inquiétude. Elle s'approcha et se vint mettre à genoux devant son lit le visage tout couvert de larmes. Monsieur de Clèves avait résolu de ne lui point témoigner le violent chagrin qu'il avait contre elle ; mais les soins qu'elle lui rendait, et son affliction, qui lui paraissait quelquefois véritable, et qu'il regardait aussi quelquefois comme des marques de dissimulation et de perfidie, lui causaient des sentiments si opposés et si douloureux, qu'il ne les put renfermer en lui-même.
 
— Euſſiez-vous ſouhaité, répliqua monſieur de Clèves, en la regardant avec dédain, que je l’euſſe été des nuits que vous avez paſſées avec monſieur de Nemours ? Ah ! Madame, eſt-ce de vous dont je parle, quand je parle d’une femme qui a paſſé des nuits avec un homme ?
— Vous versez bien des pleurs, Madame, lui dit-il, pour une mort que vous causez, et qui ne vous peut donner la douleur que vous faites paraître. Je ne suis plus en état de vous faire des reproches, continua-t-il avec une voix affaiblie par la maladie et par la douleur ; mais je meurs du cruel déplaisir que vous m'avez donné. Fallait-il qu'une action aussi extraordinaire que celle que vous aviez faite de me parler à Coulommiers eût si peu de suite ? Pourquoi m'éclairer sur la passion que vous aviez pour monsieur de Nemours, si votre vertu n'avait pas plus d'étendue pour y résister ? Je vous aimais jusqu'à être bien aise d'être trompé, je l'avoue à ma honte ; j'ai regretté ce faux repos dont vous m'avez tiré. Que ne me laissiez-vous dans cet aveuglement tranquille dont jouissent tant de maris ? J'eusse, peut-être, ignoré toute ma vie que vous aimiez monsieur de Nemours. Je mourrai, ajouta-t-il ; mais sachez que vous me rendez la mort agréable, et qu'après m'avoir ôté l'estime et la tendresse que j'avais pour vous, la vie me ferait horreur. Que ferais-je de la vie, reprit-il, pour la passer avec une personne que j'ai tant aimée, et dont j'ai été si cruellement trompé, ou pour vivre séparé de cette même personne, et en venir à un éclat et à des violences si opposées à mon humeur et à la passion que j'avais pour vous ? Elle a été au-delà de ce que vous en avez vu, Madame ; je vous en ai caché la plus grande partie, par la crainte de vous importuner, ou de perdre quelque chose de votre estime, par des manières qui ne convenaient pas à un mari. Enfin je méritais votre cœur ; encore une fois, je meurs sans regret, puisque je n'ai pu l'avoir, et que je ne puis plus le désirer. Adieu, Madame, vous regretterez quelque jour un homme qui vous aimait d'une passion véritable et légitime. Vous sentirez le chagrin que trouvent les personnes raisonnables dans ces engagements, et vous connaîtrez la différence d'être aimée comme je vous aimais, à l'être par des gens qui, en vous témoignant de l'amour, ne cherchent que l'honneur de vous séduire. Mais ma mort vous laissera en liberté, ajouta-t-il, et vous pourrez rendre monsieur de Nemours heureux, sans qu'il vous en coûte des crimes. Qu'importe, reprit-il, ce qui arrivera quand je ne serai plus, et faut-il que j'aie la faiblesse d'y jeter les yeux !
 
— Non, Monſieur, reprit-elle ; non, ce n’eſt pas de moy dont vous parlez. Je n’ai jamais paſſé ni de nuits ni de moments avec monſieur de Nemours. Il ne m’a jamais vue en particulier ; je ne l’ai jamais ſouffert, ni écouté, & j’en ferais tous les ſerments…
Madame de Clèves était si éloignée de s'imaginer que son mari pût avoir des soupçons contre elle, qu'elle écouta toutes ces paroles sans les comprendre, et sans avoir d'autre idée, sinon qu'il lui reprochait son inclination pour monsieur de Nemours ; enfin, sortant tout d'un coup de son aveuglement : — Moi, des crimes ! s'écria-t-elle ; la pensée même m'en est inconnue. La vertu la plus austère ne peut inspirer d'autre conduite que celle que j'ai eue ; et je n'ai jamais fait d'action dont je n'eusse souhaité que vous eussiez été témoin.
 
— N’en dites pas davantage, interrompit monſieur de Clèves ; de faux ſerments ou un aveu me feraient peut-eſtre une égale peine.
— Eussiez-vous souhaité, répliqua monsieur de Clèves, en la regardant avec dédain, que je l'eusse été des nuits que vous avez passées avec monsieur de Nemours ? Ah ! Madame, est-ce de vous dont je parle, quand je parle d'une femme qui a passé des nuits avec un homme ?
 
Madame de Clèves ne pouvoit répondre ; ſes larmes & ſa douleur luy oſtaient la parole ; enfin, faiſant un effort : — Regardez-moi du moins ; écoutez-moi, luy dit-elle. S’il n’y alloit que de mon intéreſt, je ſouffrirais ces reproches ; mais il y va de votre vie. Écoutez-moi, pour l’amour de vous-meſme : il eſt impoſſible qu’avec tant de vérité, je ne vous perſuade mon innocence.
— Non, Monsieur, reprit-elle ; non, ce n'est pas de moi dont vous parlez. Je n'ai jamais passé ni de nuits ni de moments avec monsieur de Nemours. Il ne m'a jamais vue en particulier ; je ne l'ai jamais souffert, ni écouté, et j'en ferais tous les serments...
 
— Plût à Dieu que vous me la puiſſiez perſuader ! s’écria-t-il ; mais que me pouvez-vous dire ? Monſieur de Nemours n’a-t-il pas été à Coulommiers avec ſa sœur ? Et n’avait-il pas paſſé les deux nuits précédentes avec vous dans le jardin de la foreſt ?
— N'en dites pas davantage, interrompit monsieur de Clèves ; de faux serments ou un aveu me feraient peut-être une égale peine.
 
— Si c’eſt là mon crime, répliqua-t-elle, il m’eſt aiſé de me juſtifier. Je ne vous demande point de me croire ; mais croyez tous vos domeſtiques, & ſachez ſi j’allai dans le jardin de la foreſt la veille que monſieur de Nemours vint à Coulommiers, & ſi je n’en ſortis pas le ſoyr d’auparavant deux heures plus toſt que je n’avais accoutumé.
Madame de Clèves ne pouvait répondre ; ses larmes et sa douleur lui ôtaient la parole ; enfin, faisant un effort : — Regardez-moi du moins ; écoutez-moi, lui dit-elle. S'il n'y allait que de mon intérêt, je souffrirais ces reproches ; mais il y va de votre vie. Écoutez-moi, pour l'amour de vous-même : il est impossible qu'avec tant de vérité, je ne vous persuade mon innocence.
 
Elle luy conta enſuite comme elle avoit cru voir quelqu’un dans ce jardin. Elle luy avoua qu’elle avoit cru que c’étoit monſieur de Nemours. Elle luy parla avec tant d’aſſurance, & la vérité ſe perſuade ſi aiſément lors meſme qu’elle n’eſt pas vraiſemblable, que monſieur de Clèves fut preſque convaincu de ſon innocence.
— Plût à Dieu que vous me la puissiez persuader ! s'écria-t-il ; mais que me pouvez-vous dire ? Monsieur de Nemours n'a-t-il pas été à Coulommiers avec sa sœur ? Et n'avait-il pas passé les deux nuits précédentes avec vous dans le jardin de la forêt ?
 
— Je ne ſais, luy dit-il, ſi je me dois laiſſer aller à vous croire. Je me ſens ſi proche de la mort, que je ne veux rien voir de ce qui me pourroit faire regretter la vie. Vous m’avez éclairci trop tard ; mais ce me ſera toujours un ſoulagement d’emporter la penſée que vous eſtes digne de l’eſtime que j’aie eue pour vous. Je vous prie que je puiſſe encore avoir la conſolation de croire que ma mémoire vous ſera chère, & que, s’il eût dépendu de vous, vous euſſiez eu pour moy les ſentiments que vous avez pour un autre.
— Si c'est là mon crime, répliqua-t-elle, il m'est aisé de me justifier. Je ne vous demande point de me croire ; mais croyez tous vos domestiques, et sachez si j'allai dans le jardin de la forêt la veille que monsieur de Nemours vint à Coulommiers, et si je n'en sortis pas le soir d'auparavant deux heures plus tôt que je n'avais accoutumé.
 
Il voulut continuer ; mais une faibleſſe luy oſta la parole. Madame de Clèves fit venir les médecins ; ils le trouvèrent preſque ſans vie. Il languit néanmoins encore quelques jours, & mourut enfin avec une conſtance admirable.
Elle lui conta ensuite comme elle avait cru voir quelqu'un dans ce jardin. Elle lui avoua qu'elle avait cru que c'était monsieur de Nemours. Elle lui parla avec tant d'assurance, et la vérité se persuade si aisément lors même qu'elle n'est pas vraisemblable, que monsieur de Clèves fut presque convaincu de son innocence.
 
Madame de Clèves demeura dans une affliction ſi violente, qu’elle perdit quaſi l’uſage de la raiſon. La reine la vint voir avec ſoyn, & la mena dans un couvent, ſans qu’elle sût où on la conduiſçait. Ses belles-sœurs la ramenèrent à Paris, qu’elle n’étoit pas encore en état de ſentir diſtinctement ſa douleur. Quand elle commença d’avoir la force de l’enviſager, & qu’elle vit quel mari elle avoit perdu, qu’elle conſidéra qu’elle étoit la cauſe de ſa mort, & que c’étoit par la paſſion qu’elle avoit eue pour un autre qu’elle en étoit cauſe, l’horreur qu’elle eut pour elle-meſme & pour monſieur de Nemours ne ſe peut repréſenter.
— Je ne sais, lui dit-il, si je me dois laisser aller à vous croire. Je me sens si proche de la mort, que je ne veux rien voir de ce qui me pourrait faire regretter la vie. Vous m'avez éclairci trop tard ; mais ce me sera toujours un soulagement d'emporter la pensée que vous êtes digne de l'estime que j'aie eue pour vous. Je vous prie que je puisse encore avoir la consolation de croire que ma mémoire vous sera chère, et que, s'il eût dépendu de vous, vous eussiez eu pour moi les sentiments que vous avez pour un autre.
 
Ce prince n’oſa dans ces commencements luy rendre d’autres ſoyns que ceux que luy ordonnoit la bienſéance. Il connaiſſçait aſſez madame de Clèves, pour croire qu’un plus grand empreſſement luy ſeroit déſagréable ; mais ce qu’il apprit enſuite luy fit bien voir qu’il devoit avoir longtemps la meſme conduite.
Il voulut continuer ; mais une faiblesse lui ôta la parole. Madame de Clèves fit venir les médecins ; ils le trouvèrent presque sans vie. Il languit néanmoins encore quelques jours, et mourut enfin avec une constance admirable.
 
Un écuyer qu’il avoit luy conta que le gentilhomme de monſieur de Clèves, qui étoit ſon ami intime, luy avoit dit, dans ſa douleur de la perte de ſon maître, que le voyage de monſieur de Nemours à Coulommiers étoit cauſe de ſa mort. Monſieur de Nemours fut extreſmement ſurpris de ce diſcours ; mais après y avoir foit réflexion, il devina une partie de la vérité, & il jugea bien quels ſeraient d’abord les ſentiments de madame de Clèves & quel éloignement elle auroit de luy, ſi elle croyoit que le mal de ſon mari eût été cauſé par la jalouſie. Il crut qu’il ne falloit pas meſme la faire ſitoſt ſouvenir de ſon nom ; & il ſuivit cette conduite, quelque pénible qu’elle luy parût.
Madame de Clèves demeura dans une affliction si violente, qu'elle perdit quasi l'usage de la raison. La reine la vint voir avec soin, et la mena dans un couvent, sans qu'elle sût où on la conduisait. Ses belles-sœurs la ramenèrent à Paris, qu'elle n'était pas encore en état de sentir distinctement sa douleur. Quand elle commença d'avoir la force de l'envisager, et qu'elle vit quel mari elle avait perdu, qu'elle considéra qu'elle était la cause de sa mort, et que c'était par la passion qu'elle avait eue pour un autre qu'elle en était cause, l'horreur qu'elle eut pour elle-même et pour monsieur de Nemours ne se peut représenter.
 
Il fit un voyage à Paris, & ne put s’empeſcher néanmoins d’aller à ſa porte pour apprendre de ſes nouvelles. On luy dit que perſonne ne la voyait, & qu’elle avoit meſme défendu qu’on luy rendît compte de ceux qui l’iraient chercher. Peut-eſtre que ces ordres ſi exacts étaient donnez en vue de ce prince, & pour ne point entendre parler de luy. Monſieur de Nemours étoit trop amoureux pour pouvoir vivre ſi abſolument privé de la vue de madame de Clèves. Il réſolut de trouver des moyens, quelque difficyles qu’ils puſſent eſtre, de ſortir d’un état qui luy paraiſſçait ſi inſupportable.
Ce prince n'osa dans ces commencements lui rendre d'autres soins que ceux que lui ordonnait la bienséance. Il connaissait assez madame de Clèves, pour croire qu'un plus grand empressement lui serait désagréable ; mais ce qu'il apprit ensuite lui fit bien voir qu'il devait avoir longtemps la même conduite.
 
La douleur de cette princeſſe paſſçait les bornes de la raiſon. Ce mari mourant, & mourant à cauſe d’elle & avec tant de tendreſſe pour elle, ne luy ſortoit point de l’eſprit. Elle repaſſçait inceſſamment tout ce qu’elle luy devait, & elle ſe faiſçait un crime de n’avoir pas eu de la paſſion pour luy, comme ſi c’eût été une choſe qui eût été en ſon pouvoir. Elle ne trouvoit de conſolation qu’à penſer qu’elle le regrettoit autant qu’il méritoit d’eſtre regretté, & qu’elle ne feroit dans le reſte de ſa vie que ce qu’il auroit été bien aiſe qu’elle eût foit s’il avoit vécu.
Un écuyer qu'il avait lui conta que le gentilhomme de monsieur de Clèves, qui était son ami intime, lui avait dit, dans sa douleur de la perte de son maître, que le voyage de monsieur de Nemours à Coulommiers était cause de sa mort. Monsieur de Nemours fut extrêmement surpris de ce discours ; mais après y avoir fait réflexion, il devina une partie de la vérité, et il jugea bien quels seraient d'abord les sentiments de madame de Clèves et quel éloignement elle aurait de lui, si elle croyait que le mal de son mari eût été causé par la jalousie. Il crut qu'il ne fallait pas même la faire sitôt souvenir de son nom ; et il suivit cette conduite, quelque pénible qu'elle lui parût.
 
Elle avoit penſé pluſieurs fois comment il avoit ſu que monſieur de Nemours étoit venu à Coulommiers ; elle ne ſoupçonnoit pas ce prince de l’avoir conté, & il luy paraiſſçait meſme indifférent qu’il l’eût redit, tant elle ſe croyoit guérie & éloignée de la paſſion qu’elle avoit eue pour luy. Elle ſentoit néanmoins une douleur vive de s’imaginer qu’il étoit cauſe de la mort de ſon mari, & elle ſe ſouvenoit avec peine de la crainte que monſieur de Clèves luy avoit témoignée en mourant qu’elle ne l’épouſat ; mais toutes ces douleurs ſe confondaient dans celle de la perte de ſon mari, & elle croyoit n’en avoir point d’autre.
Il fit un voyage à Paris, et ne put s'empêcher néanmoins d'aller à sa porte pour apprendre de ses nouvelles. On lui dit que personne ne la voyait, et qu'elle avait même défendu qu'on lui rendît compte de ceux qui l'iraient chercher. Peut-être que ces ordres si exacts étaient donnés en vue de ce prince, et pour ne point entendre parler de lui. Monsieur de Nemours était trop amoureux pour pouvoir vivre si absolument privé de la vue de madame de Clèves. Il résolut de trouver des moyens, quelque difficiles qu'ils pussent être, de sortir d'un état qui lui paraissait si insupportable.
 
Après que pluſieurs mois furent paſſez, elle ſortit de cette violente affliction où elle était, & paſſa dans un état de triſteſſe & de langueur. Madame de Martigues fit un voyage à Paris, & la vit avec ſoyn pendant le ſéjour qu’elle y fit. Elle l’entretint de la cour & de tout ce qui s’y paſſçait ; & quoyque madame de Clèves ne parût pas y prendre intéreſt, madame de Martigues ne laiſſçait pas de luy en parler pour la divertir.
La douleur de cette princesse passait les bornes de la raison. Ce mari mourant, et mourant à cause d'elle et avec tant de tendresse pour elle, ne lui sortait point de l'esprit. Elle repassait incessamment tout ce qu'elle lui devait, et elle se faisait un crime de n'avoir pas eu de la passion pour lui, comme si c'eût été une chose qui eût été en son pouvoir. Elle ne trouvait de consolation qu'à penser qu'elle le regrettait autant qu'il méritait d'être regretté, et qu'elle ne ferait dans le reste de sa vie que ce qu'il aurait été bien aise qu'elle eût fait s'il avait vécu.
 
Elle luy conta des nouvelles du vidame, de monſieur de Guiſe, & de tous les autres qui étaient diſtinguez par leur perſonne ou par leur mérite.
Elle avait pensé plusieurs fois comment il avait su que monsieur de Nemours était venu à Coulommiers ; elle ne soupçonnait pas ce prince de l'avoir conté, et il lui paraissait même indifférent qu'il l'eût redit, tant elle se croyait guérie et éloignée de la passion qu'elle avait eue pour lui. Elle sentait néanmoins une douleur vive de s'imaginer qu'il était cause de la mort de son mari, et elle se souvenait avec peine de la crainte que monsieur de Clèves lui avait témoignée en mourant qu'elle ne l'épousât ; mais toutes ces douleurs se confondaient dans celle de la perte de son mari, et elle croyait n'en avoir point d'autre.
 
— Pour monſieur de Nemours, dit-elle, je ne ſais ſi les affaires ont pris dans ſon cœur la place de la galanterie ; mais il a bien moins de joie qu’il n’avoit accoutumé d’en avoir, il paraît fort retiré du commerce des femmes. Il foit ſouvent des voyages à Paris, & je crois meſme qu’il y eſt préſentement.
Après que plusieurs mois furent passés, elle sortit de cette violente affliction où elle était, et passa dans un état de tristesse et de langueur. Madame de Martigues fit un voyage à Paris, et la vit avec soin pendant le séjour qu'elle y fit. Elle l'entretint de la cour et de tout ce qui s'y passait ; et quoique madame de Clèves ne parût pas y prendre intérêt, madame de Martigues ne laissait pas de lui en parler pour la divertir.
 
Le nom de monſieur de Nemours ſurprit madame de Clèves & la fit rougir. Elle changea de diſcours, & madame de Martigues ne s’aperçut point de ſon trouble.
Elle lui conta des nouvelles du vidame, de monsieur de Guise, et de tous les autres qui étaient distingués par leur personne ou par leur mérite.
 
Le lendemain, cette princeſſe, qui cherchoit des occupations conformes à l’état où elle était, alla proche de chez elle voir un homme qui faiſçait des ouvrages de ſoye d’une façon particulière ; & elle y fut dans le deſſein d’en faire faire de ſemblables. Après qu’on les luy eut montrez, elle vit la porte d’une chambre où elle crut qu’il y en avoit encore ; elle dit qu’on la luy ouvrît. Le maître répondit qu’il n’en avoit pas la clef, & qu’elle étoit occupée par un homme qui y venoit quelquefois pendant le jour pour deſſiner de belles maiſons & des jardins que l’on voyoit de ſes feneſtres.
— Pour monsieur de Nemours, dit-elle, je ne sais si les affaires ont pris dans son cœur la place de la galanterie ; mais il a bien moins de joie qu'il n'avait accoutumé d'en avoir, il paraît fort retiré du commerce des femmes. Il fait souvent des voyages à Paris, et je crois même qu'il y est présentement.
 
— C’eſt l’homme du monde le mieux fait, ajouta-t-il ; il n’a guère la mine d’eſtre réduit à gagner ſa vie. Toutes les fois qu’il vient céans, je le vois toujours regarder les maiſons & les jardins ; mais je ne le vois jamais travailler.
Le nom de monsieur de Nemours surprit madame de Clèves et la fit rougir. Elle changea de discours, et madame de Martigues ne s'aperçut point de son trouble.
 
Madame de Clèves écoutoit ce diſcours avec une grande attention. Ce que luy avoit dit madame de Martigues, que monſieur de Nemours étoit quelquefois à Paris, ſe joignit dans ſon imagination à cet homme bien foit qui venoit proche de chez elle, & luy fit une idée de monſieur de Nemours, & de monſieur de Nemours appliqué à la voir, qui luy donna un trouble confus, dont elle ne ſavoit pas meſme la cauſe. Elle alla vers les feneſtres pour voir où elles donnaient ; elle trouva qu’elles voyaient tout ſon jardin & la face de ſon appartement. Et, lorſqu’elle fut dans ſa chambre, elle remarqua aiſément cette meſme feneſtre où l’on luy avoit dit que venoit cet homme. La penſée que c’étoit monſieur de Nemours changea entièrement la ſituation de ſon eſprit ; elle ne ſe trouva plus dans un certain triſte repos qu’elle commençait à goûter, elle ſe ſentit inquiète & agitée. Enfin ne pouvant demeurer avec elle-meſme, elle ſortit, & alla prendre l’air dans un jardin hors des faubourgs, où elle penſçait eſtre ſeule. Elle crut en y arrivant qu’elle ne s’étoit pas trompée ; elle ne vit aucune apparence qu’il y eût quelqu’un, & elle ſe promena aſſez longtemps.
Le lendemain, cette princesse, qui cherchait des occupations conformes à l'état où elle était, alla proche de chez elle voir un homme qui faisait des ouvrages de soie d'une façon particulière ; et elle y fut dans le dessein d'en faire faire de semblables. Après qu'on les lui eut montrés, elle vit la porte d'une chambre où elle crut qu'il y en avait encore ; elle dit qu'on la lui ouvrît. Le maître répondit qu'il n'en avait pas la clef, et qu'elle était occupée par un homme qui y venait quelquefois pendant le jour pour dessiner de belles maisons et des jardins que l'on voyait de ses fenêtres.
 
Après avoir traverſé un petit bois, elle aperçut, au bout d’une allée, dans l’endroit le plus reculé du jardin, une manière de cabinet ouvert de tous coſtez, où elle adreſſa ſes pas. Comme elle en fut proche, elle vit un homme couché ſur des bancs, qui paraiſſçait enſeveli dans une reſverie profonde, & elle reconnut que c’étoit monſieur de Nemours. Cette vue l’arreſta tout court. Mais ſes gens qui la ſuivaient firent quelque bruit, qui tira monſieur de Nemours de ſa reſverie. Sans regarder qui avoit cauſé le bruit qu’il avoit entendu, il ſe leva de ſa place pour éviter la compagnie qui venoit vers luy, & tourna dans une autre allée, en faiſant une révérence fort baſſe, qui l’empeſcha meſme de voir ceux qu’il ſaluait.
— C'est l'homme du monde le mieux fait, ajouta-t-il ; il n'a guère la mine d'être réduit à gagner sa vie. Toutes les fois qu'il vient céans, je le vois toujours regarder les maisons et les jardins ; mais je ne le vois jamais travailler.
 
S’il eût ſu ce qu’il évitait, avec quelle ardeur ſerait-il retourné ſur ſes pas ! Mais il continua à ſuivre l’allée, & madame de Clèves le vit ſortir par une porte de derrière où l’attendoit ſon carroſſe. Quel effect produiſit cette vue d’un moment dans le cœur de madame de Clèves ! Quelle paſſion endormie ſe ralluma dans ſon cœur, & avec quelle violence ! Elle s’alla aſſeoir dans le meſme endroit d’où venoit de ſortir monſieur de Nemours ; elle y demeura comme accablée. Ce prince ſe préſenta à ſon eſprit, aimable au-deſſus de tout ce qui étoit au monde, l’aimant depuis longtemps avec une paſſion pleine de reſpect juſqu’à ſa douleur, ſongeant à la voir ſans ſonger à en eſtre vu, quittant la cour, dont il faiſçait les délices, pour aller regarder les murailles qui la refermaient, pour venir reſver dans des lieux où il ne pouvoit prétendre de la rencontrer ; enfin un homme digne d’eſtre aimé par ſon ſeul attachement, & pour qui elle avoit une inclination ſi violente, qu’elle l’auroit aimé, quand il ne l’auroit pas aimée ; mais de plus, un homme d’une qualité élevée & convenable à la ſienne. Plus de devoir, plus de vertu qui s’oppoſaſſent à ſes ſentiments ; tous les obſtacles étaient levez, & il ne reſtoit de leur état paſſé que la paſſion de monſieur de Nemours pour elle, & que celle qu’elle avoit pour luy.
Madame de Clèves écoutait ce discours avec une grande attention. Ce que lui avait dit madame de Martigues, que monsieur de Nemours était quelquefois à Paris, se joignit dans son imagination à cet homme bien fait qui venait proche de chez elle, et lui fit une idée de monsieur de Nemours, et de monsieur de Nemours appliqué à la voir, qui lui donna un trouble confus, dont elle ne savait pas même la cause. Elle alla vers les fenêtres pour voir où elles donnaient ; elle trouva qu'elles voyaient tout son jardin et la face de son appartement. Et, lorsqu'elle fut dans sa chambre, elle remarqua aisément cette même fenêtre où l'on lui avait dit que venait cet homme. La pensée que c'était monsieur de Nemours changea entièrement la situation de son esprit ; elle ne se trouva plus dans un certain triste repos qu'elle commençait à goûter, elle se sentit inquiète et agitée. Enfin ne pouvant demeurer avec elle-même, elle sortit, et alla prendre l'air dans un jardin hors des faubourgs, où elle pensait être seule. Elle crut en y arrivant qu'elle ne s'était pas trompée ; elle ne vit aucune apparence qu'il y eût quelqu'un, et elle se promena assez longtemps.
 
Toutes ces idées furent nouvelles à cette princeſſe. L’affliction de la mort de monſieur de Clèves l’avoit aſſez occupée, pour avoir empeſché qu’elle n’y eût jeté les yeux. La préſence de monſieur de Nemours les amena en foule dans ſon eſprit ; mais, quand il en eut été pleinement rempli, & qu’elle ſe ſouvint auſſi que ce meſme homme, qu’elle regardoit comme pouvant l’épouſer, étoit celuy qu’elle avoit aimé du vivant de ſon mari, & qui étoit la cauſe de ſa mort, que meſme en mourant, il luy avoit témoigné de la crainte qu’elle ne l’épouſat, ſon auſtère vertu étoit ſi bleſſée de cette imagination, qu’elle ne trouvoit guère moins de crime à épouſer monſieur de Nemours qu’elle en avoit trouvé à l’aimer pendant la vie de ſon mari. Elle s’abandonna à ces réflexions ſi contraires à ſon bonheur ; elle les fortifia encore de pluſieurs raiſons qui regardaient ſon repos & les maux qu’elle prévoyoit en épouſant ce prince. Enfin, après avoir demeuré deux heures dans le lieu où elle était, elle s’en revint chez elle, perſuadée qu’elle devoit fuir ſa vue comme une choſe entièrement oppoſée à ſon devoir.
Après avoir traversé un petit bois, elle aperçut, au bout d'une allée, dans l'endroit le plus reculé du jardin, une manière de cabinet ouvert de tous côtés, où elle adressa ses pas. Comme elle en fut proche, elle vit un homme couché sur des bancs, qui paraissait enseveli dans une rêverie profonde, et elle reconnut que c'était monsieur de Nemours. Cette vue l'arrêta tout court. Mais ses gens qui la suivaient firent quelque bruit, qui tira monsieur de Nemours de sa rêverie. Sans regarder qui avait causé le bruit qu'il avait entendu, il se leva de sa place pour éviter la compagnie qui venait vers lui, et tourna dans une autre allée, en faisant une révérence fort basse, qui l'empêcha même de voir ceux qu'il saluait.
 
Mais cette perſuaſion, qui étoit un effect de ſa raiſon & de ſa vertu, n’entraînoit pas ſon cœur. Il demeuroit attaché à monſieur de Nemours avec une violence qui la mettoit dans un état digne de compaſſion, & qui ne luy laiſſa plus de repos ; elle paſſa une des plus cruelles nuits qu’elle eût jamais paſſées. Le matin, ſon premier mouvement fut d’aller voir s’il n’y auroit perſonne à la feneſtre qui donnoit chez elle ; elle y alla, elle y vit monſieur de Nemours. Cette vue la ſurprit, & elle ſe retira avec une promptitude qui fit juger à ce prince qu’il avoit été reconnu. Il avoit ſouvent déſiré de l’eſtre, depuis que ſa paſſion luy avoit foit trouver ces moyens de voir madame de Clèves ; & lorſqu’il n’eſpéroit pas d’avoir ce plaiſir, il alloit reſver dans le meſme jardin où elle l’avoit trouvé.
S'il eût su ce qu'il évitait, avec quelle ardeur serait-il retourné sur ses pas ! Mais il continua à suivre l'allée, et madame de Clèves le vit sortir par une porte de derrière où l'attendait son carrosse. Quel effet produisit cette vue d'un moment dans le cœur de madame de Clèves ! Quelle passion endormie se ralluma dans son cœur, et avec quelle violence ! Elle s'alla asseoir dans le même endroit d'où venait de sortir monsieur de Nemours ; elle y demeura comme accablée. Ce prince se présenta à son esprit, aimable au-dessus de tout ce qui était au monde, l'aimant depuis longtemps avec une passion pleine de respect jusqu'à sa douleur, songeant à la voir sans songer à en être vu, quittant la cour, dont il faisait les délices, pour aller regarder les murailles qui la refermaient, pour venir rêver dans des lieux où il ne pouvait prétendre de la rencontrer ; enfin un homme digne d'être aimé par son seul attachement, et pour qui elle avait une inclination si violente, qu'elle l'aurait aimé, quand il ne l'aurait pas aimée ; mais de plus, un homme d'une qualité élevée et convenable à la sienne. Plus de devoir, plus de vertu qui s'opposassent à ses sentiments ; tous les obstacles étaient levés, et il ne restait de leur état passé que la passion de monsieur de Nemours pour elle, et que celle qu'elle avait pour lui.
 
Laſſé enfin d’un état ſi malheureux & ſi incertain, il réſolut de tenter quelque voie d’éclaircir ſa deſtinée.
Toutes ces idées furent nouvelles à cette princesse. L'affliction de la mort de monsieur de Clèves l'avait assez occupée, pour avoir empêché qu'elle n'y eût jeté les yeux. La présence de monsieur de Nemours les amena en foule dans son esprit ; mais, quand il en eut été pleinement rempli, et qu'elle se souvint aussi que ce même homme, qu'elle regardait comme pouvant l'épouser, était celui qu'elle avait aimé du vivant de son mari, et qui était la cause de sa mort, que même en mourant, il lui avait témoigné de la crainte qu'elle ne l'épousât, son austère vertu était si blessée de cette imagination, qu'elle ne trouvait guère moins de crime à épouser monsieur de Nemours qu'elle en avait trouvé à l'aimer pendant la vie de son mari. Elle s'abandonna à ces réflexions si contraires à son bonheur ; elle les fortifia encore de plusieurs raisons qui regardaient son repos et les maux qu'elle prévoyait en épousant ce prince. Enfin, après avoir demeuré deux heures dans le lieu où elle était, elle s'en revint chez elle, persuadée qu'elle devait fuir sa vue comme une chose entièrement opposée à son devoir.
 
— « Que veux-je attendre ? diſçait-il ; il y a longtemps que je ſais que j’en ſuis aimé ; elle eſt libre, elle n’a plus de devoir à m’oppoſer. Pourquoy me réduire à la voir ſans en eſtre vu, & ſans luy parler ? Eſt-il poſſible que l’amour m’ait ſi abſolument oſté la raiſon & la hardieſſe, & qu’il m’ait rendu ſi différent de ce que j’ai été dans les autres paſſions de ma vie ? J’ai dû reſpecter la douleur de madame de Clèves ; mais je la reſpecte trop longtemps, & je luy donne le loiſir d’éteindre l’inclination qu’elle a pour moi. »
Mais cette persuasion, qui était un effet de sa raison et de sa vertu, n'entraînait pas son cœur. Il demeurait attaché à monsieur de Nemours avec une violence qui la mettait dans un état digne de compassion, et qui ne lui laissa plus de repos ; elle passa une des plus cruelles nuits qu'elle eût jamais passées. Le matin, son premier mouvement fut d'aller voir s'il n'y aurait personne à la fenêtre qui donnait chez elle ; elle y alla, elle y vit monsieur de Nemours. Cette vue la surprit, et elle se retira avec une promptitude qui fit juger à ce prince qu'il avait été reconnu. Il avait souvent désiré de l'être, depuis que sa passion lui avait fait trouver ces moyens de voir madame de Clèves ; et lorsqu'il n'espérait pas d'avoir ce plaisir, il allait rêver dans le même jardin où elle l'avait trouvé.
 
Après ces réflexions, il ſongea aux moyens dont il devoit ſe ſervir pour la voir. Il crut qu’il n’y avoit plus rien qui l’obligeat à cacher ſa paſſion au vidame de Chartres ; il réſolut de luy en parler, & de luy dire le deſſein qu’il avoit pour ſa nièce.
Lassé enfin d'un état si malheureux et si incertain, il résolut de tenter quelque voie d'éclaircir sa destinée.
 
Le vidame étoit alors à Paris : tout le monde y étoit venu donner ordre à ſon équipage & à ſes habits, pour ſuivre le roi, qui devoit conduire la reine d’Eſpagne. Monſieur de Nemours alla donc chez le vidame, & luy fit un aveu ſincère de tout ce qu’il luy avoit caché juſqu’alors, à la réſerve des ſentiments de madame de Clèves dont il ne voulut pas paraître inſtruit.
— « Que veux-je attendre ? disait-il ; il y a longtemps que je sais que j'en suis aimé ; elle est libre, elle n'a plus de devoir à m'opposer. Pourquoi me réduire à la voir sans en être vu, et sans lui parler ? Est-il possible que l'amour m'ait si absolument ôté la raison et la hardiesse, et qu'il m'ait rendu si différent de ce que j'ai été dans les autres passions de ma vie ? J'ai dû respecter la douleur de madame de Clèves ; mais je la respecte trop longtemps, et je lui donne le loisir d'éteindre l'inclination qu'elle a pour moi. »
 
Le vidame reçut tout ce qu’il luy dit avec beaucoup de joie, & l’aſſura que ſans ſavoir ſes ſentiments, il avoit ſouvent penſé, depuis que madame de Clèves étoit veuve, qu’elle étoit la ſeule perſonne digne de luy. Monſieur de Nemours le pria de luy donner les moyens de luy parler, & de ſavoir quelles étaient ſes diſpoſitions.
Après ces réflexions, il songea aux moyens dont il devait se servir pour la voir. Il crut qu'il n'y avait plus rien qui l'obligeât à cacher sa passion au vidame de Chartres ; il résolut de lui en parler, et de lui dire le dessein qu'il avait pour sa nièce.
 
Le vidame luy propoſa de le mener chez elle ; mais monſieur de Nemours crut qu’elle en ſeroit choquée parce qu’elle ne voyoit encore perſonne. Ils trouvèrent qu’il falloit que monſieur le vidame la priat de venir chez luy, ſur quelque prétexte, & que monſieur de Nemours y vînt par un eſcalier dérobé, afin de n’eſtre vu de perſonne. Cela s’exécuta comme ils l’avaient réſolu : madame de Clèves vint ; le vidame l’alla recevoir, & la conduiſit dans un grand cabinet, au bout de ſon appartement. Quelque temps après, monſieur de Nemours entra, comme ſi le haſard l’eût conduit. Madame de Clèves fut extreſmement ſurpriſe de le voir : elle rougit, & eſſaya de cacher ſa rougeur. Le vidame parla d’abord de choſes différentes, & ſortit, ſuppoſant qu’il avoit quelque ordre à donner. Il dit à madame de Clèves qu’il la prioit de faire les honneurs de chez luy, & qu’il alloit rentrer dans un moment.
Le vidame était alors à Paris : tout le monde y était venu donner ordre à son équipage et à ses habits, pour suivre le roi, qui devait conduire la reine d'Espagne. Monsieur de Nemours alla donc chez le vidame, et lui fit un aveu sincère de tout ce qu'il lui avait caché jusqu'alors, à la réserve des sentiments de madame de Clèves dont il ne voulut pas paraître instruit.
 
L’on ne peut exprimer ce que ſentirent monſieur de Nemours & madame de Clèves, de ſe trouver ſeuls & en état de ſe parler pour la première fois. Ils demeurèrent quelque temps ſans rien dire ; enfin, monſieur de Nemours rompant le ſilence : — Pardonnerez-vous à monſieur de Chartres, Madame, luy dit-il, de m’avoir donné l’occaſion de vous voir, & de vous entretenir, que vous m’avez toujours ſi cruellement oſtée ?
Le vidame reçut tout ce qu'il lui dit avec beaucoup de joie, et l'assura que sans savoir ses sentiments, il avait souvent pensé, depuis que madame de Clèves était veuve, qu'elle était la seule personne digne de lui. Monsieur de Nemours le pria de lui donner les moyens de lui parler, et de savoir quelles étaient ses dispositions.
 
— Je ne luy dois pas pardonner, répondit-elle, d’avoir oublié l’état où je ſuis, & à quoy il expoſe ma réputation.
Le vidame lui proposa de le mener chez elle ; mais monsieur de Nemours crut qu'elle en serait choquée parce qu'elle ne voyait encore personne. Ils trouvèrent qu'il fallait que monsieur le vidame la priât de venir chez lui, sur quelque prétexte, et que monsieur de Nemours y vînt par un escalier dérobé, afin de n'être vu de personne. Cela s'exécuta comme ils l'avaient résolu : madame de Clèves vint ; le vidame l'alla recevoir, et la conduisit dans un grand cabinet, au bout de son appartement. Quelque temps après, monsieur de Nemours entra, comme si le hasard l'eût conduit. Madame de Clèves fut extrêmement surprise de le voir : elle rougit, et essaya de cacher sa rougeur. Le vidame parla d'abord de choses différentes, et sortit, supposant qu'il avait quelque ordre à donner. Il dit à madame de Clèves qu'il la priait de faire les honneurs de chez lui, et qu'il allait rentrer dans un moment.
 
En prononçant ces paroles, elle voulut s’en aller ; & monſieur de Nemours, la retenant : — Ne craignez rien, Madame, répliqua-t-il, perſonne ne ſçait que je ſuis icy, & aucun haſard n’eſt à craindre. Écoutez-moi, Madame, écoutez-moi ; ſi ce n’eſt par bonté, que ce ſoyt du moins pour l’amour de vous-meſme, & pour vous délivrer des extravagances où m’emporteroit infailliblement une paſſion dont je ne ſuis plus le maître.
L'on ne peut exprimer ce que sentirent monsieur de Nemours et madame de Clèves, de se trouver seuls et en état de se parler pour la première fois. Ils demeurèrent quelque temps sans rien dire ; enfin, monsieur de Nemours rompant le silence : — Pardonnerez-vous à monsieur de Chartres, Madame, lui dit-il, de m'avoir donné l'occasion de vous voir, et de vous entretenir, que vous m'avez toujours si cruellement ôtée ?
 
Madame de Clèves céda pour la première fois au penchant qu’elle avoit pour monſieur de Nemours, & le regardant avec des yeux pleins de douceur & de charmes : — Mais qu’eſpérez-vous, luy dit-elle, de la complaiſance que vous me demandez ? Vous vous repentirez, peut-eſtre, de l’avoir obtenue, & je me repentirai infailliblement de vous l’avoir accordée. Vous méritez une deſtinée plus heureuſe que celle que vous avez eue juſqu’icy, & que celle que vous pouvez trouver à l’avenir, à moins que vous ne la cherchiez ailleurs !
— Je ne lui dois pas pardonner, répondit-elle, d'avoir oublié l'état où je suis, et à quoi il expose ma réputation.
 
— Moi, Madame, luy dit-il, chercher du bonheur ailleurs ! Et y en a-t-il d’autre que d’eſtre aimé de vous ? Quoique je ne vous aie jamais parlé, je ne ſaurais croire, Madame, que vous ignoriez ma paſſion, & que vous ne la connaiſſiez pour la plus véritable & la plus violente qui ſera jamais. A quelle épreuve a-t-elle été par des choſes qui vous ſont inconnues ? Et à quelle épreuve l’avez-vous miſe par vos rigueurs ?
En prononçant ces paroles, elle voulut s'en aller ; et monsieur de Nemours, la retenant : — Ne craignez rien, Madame, répliqua-t-il, personne ne sait que je suis ici, et aucun hasard n'est à craindre. Écoutez-moi, Madame, écoutez-moi ; si ce n'est par bonté, que ce soit du moins pour l'amour de vous-même, et pour vous délivrer des extravagances où m'emporterait infailliblement une passion dont je ne suis plus le maître.
 
— Puiſque vous voulez que je vous parle, & que je m’y réſous, répondit madame de Clèves en s’aſſeyant, je le ferai avec une ſincérité que vous trouverez malaiſément dans les perſonnes de mon ſexe. Je ne vous dirai point que je n’ai pas vu l’attachement que vous avez eu pour moy ; peut-eſtre ne me croiriez-vous pas quand je vous le dirais. Je vous avoue donc, non ſeulement que je l’ai vu, mais que je l’ai vu tel que vous pouvez ſouhaiter qu’il m’ait paru.
Madame de Clèves céda pour la première fois au penchant qu'elle avait pour monsieur de Nemours, et le regardant avec des yeux pleins de douceur et de charmes : — Mais qu'espérez-vous, lui dit-elle, de la complaisance que vous me demandez ? Vous vous repentirez, peut-être, de l'avoir obtenue, et je me repentirai infailliblement de vous l'avoir accordée. Vous méritez une destinée plus heureuse que celle que vous avez eue jusqu'ici, et que celle que vous pouvez trouver à l'avenir, à moins que vous ne la cherchiez ailleurs !
 
— Et ſi vous l’avez vu, Madame, interrompit-il, eſt-il poſſible que vous n’en ayez point été touchée ? Et oſerais-je vous demander s’il n’a foit aucune impreſſion dans votre cœur ?
— Moi, Madame, lui dit-il, chercher du bonheur ailleurs ! Et y en a-t-il d'autre que d'être aimé de vous ? Quoique je ne vous aie jamais parlé, je ne saurais croire, Madame, que vous ignoriez ma passion, et que vous ne la connaissiez pour la plus véritable et la plus violente qui sera jamais. A quelle épreuve a-t-elle été par des choses qui vous sont inconnues ? Et à quelle épreuve l'avez-vous mise par vos rigueurs ?
 
— Vous en avez dû juger par ma conduite, luy répliqua-t-elle ; mais je voudrais bien ſavoir ce que vous en avez penſé.
— Puisque vous voulez que je vous parle, et que je m'y résous, répondit madame de Clèves en s'asseyant, je le ferai avec une sincérité que vous trouverez malaisément dans les personnes de mon sexe. Je ne vous dirai point que je n'ai pas vu l'attachement que vous avez eu pour moi ; peut-être ne me croiriez-vous pas quand je vous le dirais. Je vous avoue donc, non seulement que je l'ai vu, mais que je l'ai vu tel que vous pouvez souhaiter qu'il m'ait paru.
 
— Il faudroit que je fuſſe dans un état plus heureux pour vous l’oſer dire, répondit-il ; & ma deſtinée a trop peu de rapport à ce que je vous dirais. Tout ce que je puis vous apprendre, Madame, c’eſt que j’ai ſouhaité ardemment que vous n’euſſiez pas avoué à monſieur de Clèves ce que vous me cachiez, & que vous luy euſſiez caché ce que vous m’euſſiez laiſſé voir.
— Et si vous l'avez vu, Madame, interrompit-il, est-il possible que vous n'en ayez point été touchée ? Et oserais-je vous demander s'il n'a fait aucune impression dans votre cœur ?
 
— Comment avez-vous pu découvrir, reprit-elle en rougiſſant, que j’aie avoué quelque choſe à monſieur de Clèves ?
— Vous en avez dû juger par ma conduite, lui répliqua-t-elle ; mais je voudrais bien savoir ce que vous en avez pensé.
 
— Je l’ai ſu par vous-meſme, Madame, répondit-il ; mais, pour me pardonner la hardieſſe que j’ai eue de vous écouter, ſouvenez-vous ſi j’ai abuſé de ce que j’ai entendu, ſi mes eſpérances en ont augmenté, & ſi j’ai eu plus de hardieſſe à vous parler.
— Il faudrait que je fusse dans un état plus heureux pour vous l'oser dire, répondit-il ; et ma destinée a trop peu de rapport à ce que je vous dirais. Tout ce que je puis vous apprendre, Madame, c'est que j'ai souhaité ardemment que vous n'eussiez pas avoué à monsieur de Clèves ce que vous me cachiez, et que vous lui eussiez caché ce que vous m'eussiez laissé voir.
 
Il commença à luy conter comme il avoit entendu ſa converſation avec monſieur de Clèves ; mais elle l’interrompit avant qu’il eût achevé.
— Comment avez-vous pu découvrir, reprit-elle en rougissant, que j'aie avoué quelque chose à monsieur de Clèves ?
 
— Ne m’en dites pas davantage, luy dit-elle ; je vois préſentement par où vous avez été ſi bien inſtruit. Vous ne me le parûtes déjà que trop chez madame la dauphine, qui avoit ſu cette aventure par ceux à qui vous l’aviez confiée.
— Je l'ai su par vous-même, Madame, répondit-il ; mais, pour me pardonner la hardiesse que j'ai eue de vous écouter, souvenez-vous si j'ai abusé de ce que j'ai entendu, si mes espérances en ont augmenté, et si j'ai eu plus de hardiesse à vous parler.
 
Monſieur de Nemours luy apprit alors de quelle ſorte la choſe étoit arrivée.
Il commença à lui conter comme il avait entendu sa conversation avec monsieur de Clèves ; mais elle l'interrompit avant qu'il eût achevé.
 
— Ne vous excuſez point, reprit-elle ; il y a longtemps que je vous ay pardonné, ſans que vous m’ayez dit de raiſon. Mais puiſque vous avez appris par moi-meſme ce que j’avais eu deſſein de vous cacher toute ma vie, je vous avoue que vous m’avez inſpiré des ſentiments qui m’étaient inconnus devant que de vous avoir vu, & dont j’avais meſme ſi peu d’idée, qu’ils me donnèrent d’abord une ſurpriſe qui augmentoit encore le trouble qui les ſuit toujours. Je vous fais cet aveu avec moins de honte, parce que je le fais dans un temps où je le puis faire ſans crime, & que vous avez vu que ma conduite n’a pas été réglée par mes ſentiments.
— Ne m'en dites pas davantage, lui dit-elle ; je vois présentement par où vous avez été si bien instruit. Vous ne me le parûtes déjà que trop chez madame la dauphine, qui avait su cette aventure par ceux à qui vous l'aviez confiée.
 
— Croyez-vous, Madame, luy dit monſieur de Nemours, en ſe jetant à ſes genoux, que je n’expire pas à vos pieds de joie & de tranſport ?
Monsieur de Nemours lui apprit alors de quelle sorte la chose était arrivée.
 
— Je ne vous apprends, luy répondit-elle en ſouriant, que ce que vous ne ſaviez déjà que trop.
— Ne vous excusez point, reprit-elle ; il y a longtemps que je vous ai pardonné, sans que vous m'ayez dit de raison. Mais puisque vous avez appris par moi-même ce que j'avais eu dessein de vous cacher toute ma vie, je vous avoue que vous m'avez inspiré des sentiments qui m'étaient inconnus devant que de vous avoir vu, et dont j'avais même si peu d'idée, qu'ils me donnèrent d'abord une surprise qui augmentait encore le trouble qui les suit toujours. Je vous fais cet aveu avec moins de honte, parce que je le fais dans un temps où je le puis faire sans crime, et que vous avez vu que ma conduite n'a pas été réglée par mes sentiments.
 
— Ah ! Madame, répliqua-t-il, quelle différence de le ſavoir par un effect du haſard, ou de l’apprendre par vous-meſme, & de voir que vous voulez bien que je le ſache !
— Croyez-vous, Madame, lui dit monsieur de Nemours, en se jetant à ses genoux, que je n'expire pas à vos pieds de joie et de transport ?
 
— Il eſt vrai, luy dit-elle, que je veux bien que vous le ſachiez, & que je trouve de la douceur à vous le dire. Je ne ſais meſme ſi je ne vous le dis point, plus pour l’amour de moy que pour l’amour de vous. Car enfin cet aveu n’aura point de ſuite, & je ſuivrai les règles auſtères que mon devoir m’impoſe.
— Je ne vous apprends, lui répondit-elle en souriant, que ce que vous ne saviez déjà que trop.
 
— Vous n’y ſongez pas, Madame, répondit monſieur de Nemours ; il n’y a plus de devoir qui vous lie, vous eſtes en liberté ; & ſi j’oſais, je vous dirais meſme qu’il dépend de vous de faire en ſorte que votre devoir vous oblige un jour à conſerver les ſentiments que vous avez pour moi.
— Ah ! Madame, répliqua-t-il, quelle différence de le savoir par un effet du hasard, ou de l'apprendre par vous-même, et de voir que vous voulez bien que je le sache !
 
— Mon devoir, répliqua-t-elle, me défend de penſer jamais à perſonne, & moins à vous qu’à qui que ce ſoyt au monde, par des raiſons qui vous ſont inconnues.
— Il est vrai, lui dit-elle, que je veux bien que vous le sachiez, et que je trouve de la douceur à vous le dire. Je ne sais même si je ne vous le dis point, plus pour l'amour de moi que pour l'amour de vous. Car enfin cet aveu n'aura point de suite, et je suivrai les règles austères que mon devoir m'impose.
 
— Elles ne me le ſont peut-eſtre pas, Madame, reprit-il ; mais ce ne ſont point de véritables raiſons. Je crois ſavoir que monſieur de Clèves m’a cru plus heureux que je n’étais, & qu’il s’eſt imaginé que vous aviez approuvé des extravagances que la paſſion m’a foit entreprendre ſans votre aveu.
— Vous n'y songez pas, Madame, répondit monsieur de Nemours ; il n'y a plus de devoir qui vous lie, vous êtes en liberté ; et si j'osais, je vous dirais même qu'il dépend de vous de faire en sorte que votre devoir vous oblige un jour à conserver les sentiments que vous avez pour moi.
 
— Ne parlons point de cette aventure, luy dit-elle, je n’en ſaurais ſoutenir la penſée ; elle me foit honte, & elle m’eſt auſſi trop douloureuſe par les ſuites qu’elle a eues. Il n’eſt que trop véritable que vous eſtes cauſe de la mort de monſieur de Clèves ; les ſoupçons que luy a donnez votre conduite inconſidérée luy ont coûté la vie, comme ſi vous la luy aviez oſtée de vos propres mains. Voyez ce que je devrais faire, ſi vous en étiez venus enſemble à ces extrémitez, & que le meſme malheur en fût arrivé. Je ſais bien que ce n’eſt pas la meſme choſe à l’égard du monde ; mais au mien il n’y a aucune différence, puiſque je ſais que c’eſt par vous qu’il eſt mort, & que c’eſt à cauſe de moi.
— Mon devoir, répliqua-t-elle, me défend de penser jamais à personne, et moins à vous qu'à qui que ce soit au monde, par des raisons qui vous sont inconnues.
 
— Ah ! Madame, luy dit monſieur de Nemours, quel fantoſme de devoir oppoſez-vous à mon bonheur ? Quoi ! Madame, une penſée vaine & ſans fondement vous empeſchera de rendre heureux un homme que vous ne haïſſez pas ? Quoi ! j’aurais pu concevoir l’eſpérance de paſſer ma vie avec vous ; ma deſtinée m’auroit conduit à aimer la plus eſtimable perſonne du monde ; j’aurais vu en elle tout ce qui peut faire une adorable maîtreſſe ; elle ne m’auroit pas haï, & je n’aurais trouvé dans ſa conduite que tout ce qui peut eſtre à déſirer dans une femme ? Car enfin, Madame, vous eſtes peut-eſtre la ſeule perſonne en qui ces deux choſes ſe ſoyent jamais trouvées au degré qu’elles ſont en vous. Tous ceux qui épouſent des maîtreſſes dont ils ſont aimez, tremblent en les épouſant, & regardent avec crainte, par rapport aux autres, la conduite qu’elles ont eue avec eux ; mais en vous, Madame, rien n’eſt à craindre, & on ne trouve que des ſujets d’admiration. N’aurais-je enviſagé, dis-je, une ſi grande félicyté, que pour vous y voir apporter vous-meſme des obſtacles ? Ah ! Madame, vous oubliez que vous m’avez diſtingué du reſte des hommes, ou plutoſt vous ne m’en avez jamais diſtingué : vous vous eſtes trompée, & je me ſuis flatté.
— Elles ne me le sont peut-être pas, Madame, reprit-il ; mais ce ne sont point de véritables raisons. Je crois savoir que monsieur de Clèves m'a cru plus heureux que je n'étais, et qu'il s'est imaginé que vous aviez approuvé des extravagances que la passion m'a fait entreprendre sans votre aveu.
 
— Vous ne vous eſtes point flatté, luy répondit-elle ; les raiſons de mon devoir ne me paraîtraient peut-eſtre pas ſi fortes ſans cette diſtinction dont vous vous doutez, & c’eſt elle qui me foit enviſager des malheurs à m’attacher à vous.
— Ne parlons point de cette aventure, lui dit-elle, je n'en saurais soutenir la pensée ; elle me fait honte, et elle m'est aussi trop douloureuse par les suites qu'elle a eues. Il n'est que trop véritable que vous êtes cause de la mort de monsieur de Clèves ; les soupçons que lui a donnés votre conduite inconsidérée lui ont coûté la vie, comme si vous la lui aviez ôtée de vos propres mains. Voyez ce que je devrais faire, si vous en étiez venus ensemble à ces extrémités, et que le même malheur en fût arrivé. Je sais bien que ce n'est pas la même chose à l'égard du monde ; mais au mien il n'y a aucune différence, puisque je sais que c'est par vous qu'il est mort, et que c'est à cause de moi.
 
— Je n’ai rien à répondre, Madame, reprit-il, quand vous me faites voir que vous craignez des malheurs ; mais je vous avoue qu’après tout ce que vous avez bien voulu me dire, je ne m’attendais pas à trouver une ſi cruelle raiſon.
— Ah ! Madame, lui dit monsieur de Nemours, quel fantôme de devoir opposez-vous à mon bonheur ? Quoi ! Madame, une pensée vaine et sans fondement vous empêchera de rendre heureux un homme que vous ne haïssez pas ? Quoi ! j'aurais pu concevoir l'espérance de passer ma vie avec vous ; ma destinée m'aurait conduit à aimer la plus estimable personne du monde ; j'aurais vu en elle tout ce qui peut faire une adorable maîtresse ; elle ne m'aurait pas haï, et je n'aurais trouvé dans sa conduite que tout ce qui peut être à désirer dans une femme ? Car enfin, Madame, vous êtes peut-être la seule personne en qui ces deux choses se soient jamais trouvées au degré qu'elles sont en vous. Tous ceux qui épousent des maîtresses dont ils sont aimés, tremblent en les épousant, et regardent avec crainte, par rapport aux autres, la conduite qu'elles ont eue avec eux ; mais en vous, Madame, rien n'est à craindre, et on ne trouve que des sujets d'admiration. N'aurais-je envisagé, dis-je, une si grande félicité, que pour vous y voir apporter vous-même des obstacles ? Ah ! Madame, vous oubliez que vous m'avez distingué du reste des hommes, ou plutôt vous ne m'en avez jamais distingué : vous vous êtes trompée, et je me suis flatté.
 
— Elle eſt ſi peu offenſante pour vous, reprit madame de Clèves, que j’ai meſme beaucoup de peine à vous l’apprendre.
— Vous ne vous êtes point flatté, lui répondit-elle ; les raisons de mon devoir ne me paraîtraient peut-être pas si fortes sans cette distinction dont vous vous doutez, et c'est elle qui me fait envisager des malheurs à m'attacher à vous.
 
— Je n'ai rien à répondre, Madame, reprit-il, quand vous me faites voir que vous craignez des malheurs ; mais je vous avoue qu'après tout ce que vous avez bien voulu me dire, je ne m'attendais pas à trouver une si cruelle raison.
 
— Elle est si peu offensante pour vous, reprit madame de Clèves, que j'ai même beaucoup de peine à vous l'apprendre.
 
— Hélas ! Madame, répliqua-t-il, que pouvez-vous craindre qui me flatte trop, après ce que vous venez de me dire ?
 
— Je veux vous parler encore avec la mêmemeſme sincéritéſincérité que j'aij’ai déjà commencé, reprit-elle, et& je vais passerpaſſer par-dessusdeſſus toute la retenue et& toutes les délicatessesdélicateſſes que je devrais avoir dans une première conversationconverſation, mais je vous conjure de m'écouterm’écouter sansſans m'interromprem’interrompre.
 
— « Je crois devoir à votre attachement la faible récompenserécompenſe de ne vous cacher aucun de mes sentimentsſentiments, et& de vous les laisserlaiſſer voir tels qu'ilsqu’ils sontſont. Ce seraſera apparemment la seuleſeule fois de ma vie que je me donnerai la liberté de vous les faire paraître ; néanmoins je ne sauraisſaurais vous avouer, sansſans honte, que la certitude de n'êtren’eſtre plus aimée de vous, comme je le suisſuis, me paraît un siſi horrible malheur, que, quand je n'auraisn’aurais point des raisonsraiſons de devoir insurmontablesinſurmontables, je doute siſi je pourrais me résoudreréſoudre à m'exposerm’expoſer à ce malheur. Je saisſais que vous êteseſtes libre, que je le suisſuis, et& que les choseschoſes sontſont d'uned’une sorteſorte que le public n'auraitn’auroit peut-êtreeſtre pas sujetſujet de vous blâmerblamer, ni moimoy non plus, quand nous nous engagerions ensembleenſemble pour jamais. Mais les hommes conserventconſervent-ils de la passionpaſſion dans ces engagements éternels ? Dois-je espérereſpérer un miracle en ma faveur et& puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette passionpaſſion dont je ferais toute ma félicitéfélicyté ? MonsieurMonſieur de Clèves étaitétoit peut-êtreeſtre l'uniquel’unique homme du monde capable de conserverconſerver de l'amourl’amour dans le mariage. Ma destinéedeſtinée n'an’a pas voulu que j'aiej’aie pu profiter de ce bonheur ; peut-êtreeſtre aussiauſſi que saſa passionpaſſion n'avaitn’avoit subsistéſubſiſté que parce qu'ilqu’il n'enn’en auraitauroit pas trouvé en moi. Mais je n'auraisn’aurais pas le mêmemeſme moyen de conserverconſerver la vôtrevoſtre : je crois mêmemeſme que les obstaclesobſtacles ont faitfoit votre constanceconſtance. Vous en avez assezaſſez trouvé pour vous animer à vaincre ; et& mes actions involontaires, ou les choseschoſes que le hasardhaſard vous a apprisesappriſes, vous ont donné assezaſſez d'espéranced’eſpérance pour ne vous pas rebuter.
 
— Ah ! Madame, reprit monsieurmonſieur de Nemours, je ne sauraisſaurais garder le silenceſilence que vous m'imposezm’impoſez : vous me faites trop d'injusticed’injuſtice, et& vous me faites trop voir combien vous êteseſtes éloignée d'êtred’eſtre prévenue en ma faveur.
 
J'avoueJ’avoue, répondit-elle, que les passionspaſſions peuvent me conduire ; mais elles ne sauraientſauraient m'aveuglerm’aveugler. Rien ne me peut empêcherempeſcher de connaître que vous êteseſtes né avec toutes les dispositionsdiſpoſitions pour la galanterie, et& toutes les qualitésqualitez qui sontſont propres à y donner des succèsſuccès heureux. Vous avez déjà eu plusieurspluſieurs passionspaſſions, vous en auriez encore ; je ne ferais plus votre bonheur ; je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi. J'enJ’en aurais une douleur mortelle, et& je ne seraisſerais pas mêmemeſme assuréeaſſurée de n'avoirn’avoir point le malheur de la jalousiejalouſie. Je vous en aiay trop dit pour vous cacher que vous me l'avezl’avez faitfoit connaître, et& que je souffrisſouffris de siſi cruelles peines le soirſoyr que la reine me donna cette lettre de madame de Thémines, que l'onl’on disaitdiſçait qui s'adressaits’adreſſçait à vous, qu'ilqu’il m'enm’en esteſt demeuré une idée qui me faitfoit croire que c'estc’eſt le plus grand de tous les maux.
 
— « Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitentſouhaitent de vous attacher. Il y en a peu à qui vous ne plaisiezplaiſiez ; mon expérience me feraitferoit croire qu'ilqu’il n'yn’y en a point à qui vous ne puissiezpuiſſiez plaire. Je vous croirais toujours amoureux et& aimé, et& je ne me tromperais pas souventſouvent. Dans cet état néanmoins, je n'auraisn’aurais d'autred’autre parti à prendre que celuiceluy de la souffranceſouffrance ; je ne saisſais mêmemeſme siſi j'oseraisj’oſerais me plaindre. On faitfoit des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n'an’a à luiluy reprocher que de n'avoirn’avoir plus d'amourd’amour ? Quand je pourrais m'accoutumerm’accoutumer à cette sorteſorte de malheur, pourrais-je m'accoutumerm’accoutumer à celuiceluy de croire voir toujours monsieurmonſieur de Clèves vous accuseraccuſer de saſa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épouséépouſé et& me faire sentirſentir la différence de sonſon attachement au vôtrevoſtre ? Il esteſt impossibleimpoſſible, continua-t-elle, de passerpaſſer par-dessusdeſſus des raisonsraiſons siſi fortes : il faut que je demeure dans l'étatl’état où je suisſuis, et& dans les résolutionréſolution que j'aij’ai prisespriſes de n'enn’en sortirſortir jamais.
 
— Hé ! croyez-vous le pouvoir, Madame ? s'écrias’écria monsieurmonſieur de Nemours. PensezPenſez-vous que vos résolutionsréſolutions tiennent contre un homme qui vous adore, et& qui esteſt assezaſſez heureux pour vous plaire ? Il esteſt plus difficiledifficyle que vous ne pensezpenſez, Madame, de résisterréſiſter à ce qui nous plaît et& à ce qui nous aime. Vous l'avezl’avez faitfoit par une vertu austèreauſtère, qui n'an’a presquepreſque point d'exempled’exemple ; mais cette vertu ne s'opposes’oppoſe plus à vos sentimentsſentiments, et& j'espèrej’eſpère que vous les suivrezſuivrez malgré vous.
 
— Je saisſais bien qu'ilqu’il n'yn’y a rien de plus difficiledifficyle que ce que j'entreprendsj’entreprends, répliqua madame de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisonsraiſons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monsieurmonſieur de Clèves seraitſeroit faible, s'ils’il n'étaitn’étoit soutenuſoutenu par l'intérêtl’intéreſt de mon repos ; et& les raisonsraiſons de mon repos ont besoinbeſoin d'êtred’eſtre soutenuesſoutenues de celles de mon devoir. Mais quoiquequoyque je me défie de moi-mêmemeſme, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupulesſcrupules, et& je n'espèren’eſpère pas aussiauſſi de surmonterſurmonter l'inclinationl’inclination que j'aij’ai pour vous. Elle me rendra malheureusemalheureuſe, et& je me priverai de votre vue, quelque violence qu'ilqu’il m'enm’en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j'aij’ai surſur vous, de ne chercher aucune occasionoccaſion de me voir. Je suisſuis dans un état qui me faitfoit des crimes de tout ce qui pourraitpourroit êtreeſtre permis dans un autre temps, et& la seuleſeule bienséancebienſéance interdit tout commerce entre nous.
 
MonsieurMonſieur de Nemours seſe jeta à sesſes pieds, et& s'abandonnas’abandonna à tous les divers mouvementsmouvemens dont il étaitétoit agité. Il luiluy fit voir, et& par sesſes paroles et& par sesſes pleurs, la plus vive et& la plus tendre passionpaſſion dont un cœur ait jamais été touché. CeluiCeluy de madame de Clèves n'étaitn’étoit pas insensibleinſenſible, et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossisgroſſis par les larmes : — PourquoiPourquoy faut-il, s'écrias’écria-t-elle, que je vous puissepuiſſe accuseraccuſer de la mort de monsieurmonſieur de Clèves ? Que n'ain’ai-je commencé à vous connaître depuis que je suisſuis libre, ou pourquoipourquoy ne vous ai-je pas connu devant que d'êtred’eſtre engagée ? PourquoiPourquoy la destinéedeſtinée nous sépareſépare-t-elle par un obstacleobſtacle siſi invincible ?
 
— Il n'yn’y a point d'obstacled’obſtacle, Madame, reprit monsieurmonſieur de Nemours. Vous seuleſeule vous opposezoppoſez à mon bonheur ; vous seuleſeule vous imposezimpoſez une loi que la vertu et& la raisonraiſon ne vous sauraientſauraient imposerimpoſer.
 
— Il esteſt vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifieſacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsisteſubſiſte que dans mon imagination. Attendez ce que le temps pourra faire. MonsieurMonſieur de Clèves ne faitfoit encore que d'expirerd’expirer, et& cet objet funestefuneſte esteſt trop proche pour me laisserlaiſſer des vues claires et& distinctesdiſtinctes. Ayez cependant le plaisirplaiſir de vous êtreeſtre faitfoit aimer d'uned’une personneperſonne qui n'auraitn’auroit rien aimé, siſi elle ne vous avaitavoit jamais vu ; croyez que les sentimentsſentiments que j'aij’ai pour vous serontſeront éternels, et& qu'ilsqu’ils subsisterontſubſiſteront également, quoiquoy que je fassefaſſe. Adieu, luiluy dit-elle ; voicivoicy une conversationconverſation qui me faitfoit honte : rendez-en compte à monsieurmonſieur le vidame ; j'yj’y consensconſens, et& je vous en prie.
 
Elle sortitſortit en disantdiſant ces paroles, sansſans que monsieurmonſieur de Nemours pût la retenir. Elle trouva monsieurmonſieur le vidame dans la chambre la plus proche. Il la vit siſi troublée qu'ilqu’il n'osan’oſa luiluy parler, et& il la remit en sonſon carrossecarroſſe sansſans luiluy rien dire. Il revint trouver monsieurmonſieur de Nemours, qui étaitétoit siſi plein de joie, de tristessetriſteſſe, d'étonnementd’étonnement et& d'admirationd’admiration, enfin, de tous les sentimentsſentiments que peut donner une passionpaſſion pleine de crainte et& d'espéranced’eſpérance, qu'ilqu’il n'avaitn’avoit pas l'usagel’uſage de la raisonraiſon. Le vidame fut longtemps à obtenir qu'ilqu’il luiluy rendit compte de saſa conversationconverſation. Il le fit enfin ; et& monsieurmonſieur de Chartres, sansſans êtreeſtre amoureux, n'eutn’eut pas moins d'admirationd’admiration pour la vertu, l'espritl’eſprit et& le mérite de madame de Clèves, que monsieurmonſieur de Nemours en avaitavoit luiluy-mêmemeſme. Ils examinèrent ce que ce prince devaitdevoit espérereſpérer de saſa destinéedeſtinée ; et, quelques craintes que sonſon amour luiluy pût donner, il demeura d'accordd’accord avec monsieurmonſieur le vidame qu'ilqu’il étaitétoit impossibleimpoſſible que madame de Clèves demeurâtdemeurat dans les résolutionsréſolutions où elle était. Ils convinrent néanmoins qu'ilqu’il fallaitfalloit suivreſuivre sesſes ordres, de crainte que, siſi le public s'apercevaits’apercevoit de l'attachementl’attachement qu'ilqu’il avaitavoit pour elle, elle ne fit des déclarations et& ne prît engagements vers le monde, qu'ellequ’elle soutiendraitſoutiendroit dans la suiteſuite, par la peur qu'onqu’on ne crût qu'ellequ’elle l'eûtl’eût aimé du vivant de sonſon mari.
 
MonsieurMonſieur de Nemours seſe détermina à suivreſuivre le roi. C'étaitC’étoit un voyage dont il ne pouvaitpouvoit aussiauſſi bien seſe dispenserdiſpenſer, et& il résolutréſolut à s'ens’en aller, sansſans tenter mêmemeſme de revoir madame de Clèves du lieu où il l'avaitl’avoit vue quelquefois. Il pria monsieurmonſieur le vidame de luiluy parler. Que ne luiluy dit-il point pour luiluy dire ? Quel nombre infini de raisonsraiſons pour la persuaderperſuader de vaincre sesſes scrupulesſcrupules ! Enfin, une partie de la nuit étaitétoit passéepaſſée devant que monsieurmonſieur de Nemours songeâtſongeat à le laisserlaiſſer en repos.
 
Madame de Clèves n'étaitn’étoit pas en état d'end’en trouver : ce luiluy étaitétoit une chosechoſe siſi nouvelle d'êtred’eſtre sortieſortie de cette contrainte qu'ellequ’elle s'étaits’étoit imposéeimpoſée, d'avoird’avoir souffertſouffert, pour la première fois de saſa vie, qu'onqu’on luiluy dît qu'onqu’on étaitétoit amoureux d'elled’elle, et& d'avoird’avoir dit elle-mêmemeſme qu'ellequ’elle aimait, qu'ellequ’elle ne seſe connaissaitconnaiſſçait plus. Elle fut étonnée de ce qu'ellequ’elle avaitavoit faitfoit ; elle s'ens’en repentit ; elle en eut de la joie : tous sesſes sentimentsſentiments étaient pleins de trouble et& de passionpaſſion. Elle examina encore les raisonsraiſons de sonſon devoir qui s'opposaients’oppoſaient à sonſon bonheur ; elle sentitſentit de la douleur de les trouver siſi fortes, et& elle seſe repentit de les avoir siſi bien montrées à monsieurmonſieur de Nemours. Quoique la penséepenſée de l'épouserl’épouſer luiluy fût venue dans l'espritl’eſprit sitôtſitoſt qu'ellequ’elle l'avaitl’avoit revu dans ce jardin, elle ne luiluy avaitavoit pas faitfoit la mêmemeſme impressionimpreſſion que venaitvenoit de faire la conversationconverſation qu'ellequ’elle avaitavoit eue avec luiluy ; et& il y avaitavoit des moments où elle avaitavoit de la peine à comprendre qu'ellequ’elle pût êtreeſtre malheureusemalheureuſe en l'épousantl’épouſant. Elle eût bien voulu seſe pouvoir dire qu'ellequ’elle étaitétoit mal fondée, et& dans sesſes scrupulesſcrupules du passépaſſé, et& dans sesſes craintes de l'avenirl’avenir. La raisonraiſon et& sonſon devoir luiluy montraient, dans d'autresd’autres moments, des choseschoſes tout opposéesoppoſées, qui l'emportaientl’emportaient rapidement à la résolutionréſolution de ne seſe point remarier et& de ne voir jamais monsieurmonſieur de Nemours. Mais c'étaitc’étoit une résolutionréſolution bien violente à établir dans un cœur aussiauſſi touché que le sienſien, et& aussiauſſi nouvellement abandonné aux charmes de l'amourl’amour. Enfin, pour seſe donner quelque calme, elle pensapenſa qu'ilqu’il n'étaitn’étoit point encore nécessairenéceſſaire qu'ellequ’elle seſe fît la violence de prendre des résolutionsréſolutions ; la bienséancebienſéance luiluy donnaitdonnoit un temps considérableconſidérable à seſe déterminer ; mais elle résolutréſolut de demeurer ferme à n'avoirn’avoir aucun commerce avec monsieurmonſieur de Nemours. Le vidame la vint voir, et& servitſervit ce prince avec tout l'espritl’eſprit et& l'applicationl’application imaginables. Il ne la put faire changer surſur saſa conduite, ni surſur celle qu'ellequ’elle avaitavoit imposéeimpoſée à monsieurmonſieur de Nemours. Elle luiluy dit que sonſon desseindeſſein étaitétoit de demeurer dans l'étatl’état où elle seſe trouvaittrouvoit ; qu'ellequ’elle connaissaitconnaiſſçait que ce desseindeſſein étaitétoit difficiledifficyle à exécuter ; mais qu'ellequ’elle espéraiteſpéroit d'end’en avoir la force. Elle luiluy fit siſi bien voir à quel point elle étaitétoit touchée de l'opinionl’opinion que monsieurmonſieur de Nemours avaitavoit causécauſé la mort à sonſon mari, et& combien elle étaitétoit persuadéeperſuadée qu'ellequ’elle feraitferoit une action contre sonſon devoir en l'épousantl’épouſant, que le vidame craignit qu'ilqu’il ne fût malaisémalaiſé de luiluy ôteroſter cette impressionimpreſſion.
 
Il ne dit pas à ce prince ce qu'ilqu’il pensaitpenſçait, et& en luiluy rendant compte de saſa conversationconverſation, il luiluy laissalaiſſa toute l'espérancel’eſpérance que la raisonraiſon doit donner à un homme qui esteſt aimé.
 
Ils partirent le lendemain, et& allèrent joindre le roi. MonsieurMonſieur le vidame écrivit à madame de Clèves, à la prière de monsieurmonſieur de Nemours, pour luiluy parler de ce prince ; et, dans une secondeſeconde lettre qui suivitſuivit bientôtbientoſt la première, monsieurmonſieur de Nemours y mit quelques lignes de saſa main. Mais madame de Clèves, qui ne voulaitvouloit pas sortirſortir des règles qu'ellequ’elle s'étaits’étoit imposéesimpoſées, et& qui craignaitcraignoit les accidents qui peuvent arriver par les lettres, manda au vidame qu'ellequ’elle ne recevraitrecevroit plus les siennesſiennes, s'ils’il continuaitcontinuoit à luiluy parler de monsieurmonſieur de Nemours ; et& elle luiluy manda siſi fortement, que ce prince le pria mêmemeſme de ne le plus nommer.
 
La cour alla conduire la reine d'Espagned’Eſpagne jusqu'enjuſqu’en Poitou. Pendant cette absenceabſence, madame de Clèves demeura à elle-mêmemeſme, et, à mesuremeſure qu'ellequ’elle étaitétoit éloignée de monsieurmonſieur de Nemours et& de tout ce qui l'enl’en pouvaitpouvoit faire souvenirſouvenir, elle rappelaitrappeloit la mémoire de monsieurmonſieur de Clèves, qu'ellequ’elle seſe faisaitfaiſçait un honneur de conserverconſerver. Les raisonsraiſons qu'ellequ’elle avaitavoit de ne point épouserépouſer monsieurmonſieur de Nemours luiluy paraissaientparaiſſaient fortes du côtécoſté de sonſon devoir, et& insurmontablesinſurmontables du côtécoſté de sonſon repos. La fin de l'amourl’amour de ce prince, et& les maux de la jalousiejalouſie qu'ellequ’elle croyaitcroyoit infaillibles dans un mariage, luiluy montraient un malheur certain où elle s'allaits’alloit jeter ; mais elle voyaitvoyoit aussiauſſi qu'ellequ’elle entreprenaitentreprenoit une chosechoſe impossibleimpoſſible, que de résisterréſiſter en présencepréſence au plus aimable homme du monde, qu'ellequ’elle aimaitaimoit et& dont elle étaitétoit aimée, et& de luiluy résisterréſiſter surſur une chosechoſe qui ne choquaitchoquoit ni la vertu, ni la bienséancebienſéance. Elle jugea que l'absencel’abſence seuleſeule et& l'éloignementl’éloignement pouvaient luiluy donner quelque force ; elle trouva qu'ellequ’elle en avaitavoit besoinbeſoin, non seulementſeulement pour soutenirſoutenir la résolutionréſolution de ne seſe pas engager, mais mêmemeſme pour seſe défendre de voir monsieurmonſieur de Nemours ; et& elle résolutréſolut de faire un assezaſſez long voyage, pour passerpaſſer tout le temps que la bienséancebienſéance l'obligeaitl’obligeoit à vivre dans la retraite. De grandes terres qu'ellequ’elle avaitavoit vers les Pyrénées luiluy parurent le lieu le plus propre qu'ellequ’elle pût choisirchoiſir. Elle partit peu de jours avant que la cour revînt ; et, en partant, elle écrivit à monsieurmonſieur le vidame, pour le conjurer que l'onl’on ne songeâtſongeat point à avoir de sesſes nouvelles, ni à luiluy écrire.
 
MonsieurMonſieur de Nemours fut affligé de ce voyage, comme un autre l'auraitl’auroit été de la mort de saſa maîtressemaîtreſſe. La penséepenſée d'êtred’eſtre privé pour longtemps de la vue de madame de Clèves luiluy étaitétoit une douleur sensibleſenſible, et& surtoutſurtout dans un temps où il avaitavoit sentiſenti le plaisirplaiſir de la voir, et& de la voir touchée de saſa passionpaſſion. Cependant il ne pouvaitpouvoit faire autre chosechoſe que s'affligers’affliger, mais sonſon affliction augmenta considérablementconſidérablement. Madame de Clèves, dont l'espritl’eſprit avaitavoit été siſi agité, tomba dans une maladie violente sitôtſitoſt qu'ellequ’elle fut arrivée chez elle ; cette nouvelle vint à la cour. MonsieurMonſieur de Nemours étaitétoit inconsolableinconſolable ; saſa douleur allaitalloit au désespoirdéſeſpoir et& à l'extravagancel’extravagance. Le vidame eut beaucoup de peine à l'empêcherl’empeſcher de faire voir saſa passionpaſſion au public ; il en eut beaucoup aussiauſſi à le retenir, et& à luiluy ôteroſter le desseindeſſein d'allerd’aller luiluy-mêmemeſme apprendre de sesſes nouvelles. La parenté et& l'amitiél’amitié de monsieurmonſieur le vidame fut un prétexte à y envoyer plusieurspluſieurs courriers ; on sutſut enfin qu'ellequ’elle étaitétoit hors de cet extrêmeextreſme péril où elle avaitavoit été ; mais elle demeura dans une maladie de langueur, qui ne laissaitlaiſſçait guère d'espéranced’eſpérance de saſa vie.
 
Cette vue siſi longue et& siſi prochaine de la mort fit paraître à madame de Clèves les choseschoſes de cette vie de cet oeil siſi différent dont on les voit dans la santéſanté. La nécessiténéceſſité de mourir, dont elle seſe voyaitvoyoit siſi proche, l'accoutumal’accoutuma à seſe détacher de toutes choseschoſes, et& la longueur de saſa maladie luiluy en fit une habitude. Lorsqu'elleLorſqu’elle revint de cet état, elle trouva néanmoins que monsieurmonſieur de Nemours n'étaitn’étoit pas effacé de sonſon cœur, mais elle appela à sonſon secoursſecours, pour seſe défendre contre luiluy, toutes les raisonsraiſons qu'ellequ’elle croyaitcroyoit avoir pour ne l'épouserl’épouſer jamais. Il seſe passapaſſa un assezaſſez grand combat en elle-mêmemeſme. Enfin, elle surmontaſurmonta les restesreſtes de cette passionpaſſion qui étaitétoit affaiblie par les sentimentsſentiments que saſa maladie luiluy avaitavoit donnésdonnez. Les penséespenſées de la mort luiluy avaient reproché la mémoire de monsieurmonſieur de Clèves. Ce souvenirſouvenir, qui s'accordaits’accordoit à sonſon devoir, s'imprimas’imprima fortement dans sonſon cœur. Les passionspaſſions et& les engagements du monde luiluy parurent tels qu'ilsqu’ils paraissentparaiſſent aux personnesperſonnes qui ont des vues plus grandes et& plus éloignées. Sa santéſanté, qui demeura considérablementconſidérablement affaiblie, luiluy aida à conserverconſerver sesſes sentimentsſentiments ; mais comme elle connaissaitconnaiſſçait ce que peuvent les occasionsoccaſions surſur les résolutionsréſolutions les plus sagesſages, elle ne voulut pas s'exposers’expoſer à détruire les siennesſiennes, ni revenir dans les lieux où étaitétoit ce qu'ellequ’elle avaitavoit aimé. Elle seſe retira, surſur le prétexte de changer d'aird’air, dans une maisonmaiſon religieusereligieuſe, sansſans faire paraître un desseindeſſein arrêtéarreſté de renoncer à la cour.
 
A la première nouvelle qu'enqu’en eut monsieurmonſieur de Nemours, il sentitſentit le poids de cette retraite, et& il en vit l'importancel’importance. Il crut, dans ce moment, qu'ilqu’il n'avaitn’avoit plus rien à espérereſpérer ; la perte de sesſes espéranceseſpérances ne l'empêchal’empeſcha pas de mettre tout en usageuſage pour faire revenir madame de Clèves. Il fit écrire la reine, il fit écrire le vidame, il l'yl’y fit aller ; mais tout fut inutile. Le vidame la vit : elle ne luiluy dit point qu'ellequ’elle eût pris de résolutionréſolution. Il jugea néanmoins qu'ellequ’elle ne reviendraitreviendroit jamais. Enfin monsieurmonſieur de Nemours y alla luiluy-mêmemeſme, surſur le prétexte d'allerd’aller à des bains. Elle fut extrêmementextreſmement troublée et& surpriseſurpriſe d'apprendred’apprendre saſa venue. Elle luiluy fit dire par une personneperſonne de mérite qu'ellequ’elle aimaitaimoit et& qu'ellequ’elle avaitavoit alors auprès d'elled’elle, qu'ellequ’elle le priaitprioit de ne pas trouver étrange siſi elle ne s'exposaits’expoſçait point au péril de le voir, et& de détruire par saſa présencepréſence des sentimentsſentiments qu'ellequ’elle devaitdevoit conserverconſerver ; qu'ellequ’elle voulaitvouloit bien qu'ilqu’il sût, qu'ayantqu’ayant trouvé que sonſon devoir et& sonſon repos s'opposaients’oppoſaient au penchant qu'ellequ’elle avaitavoit d'êtred’eſtre à luiluy, les autres choseschoſes du monde luiluy avaient paru siſi indifférentes qu'ellequ’elle y avaitavoit renoncé pour jamais ; qu'ellequ’elle ne pensaitpenſçait plus qu'àqu’à celles de l'autrel’autre vie, et& qu'ilqu’il ne luiluy restaitreſtoit aucun sentimentſentiment que le désirdéſir de le voir dans les mêmesmeſmes dispositionsdiſpoſitions où elle était.
 
MonsieurMonſieur de Nemours pensapenſa expirer de douleur en présencepréſence de celle qui luiluy parlait. Il la pria vingt fois de retourner à madame de Clèves, afin de faire en sorteſorte qu'ilqu’il la vît ; mais cette personneperſonne luiluy dit que madame de Clèves luiluy avaitavoit non seulementſeulement défendu de luiluy aller redire aucune chosechoſe de saſa part, mais mêmemeſme de luiluy rendre compte de leur conversationconverſation. Il fallut enfin que ce prince repartît, aussiauſſi accablé de douleur que le pouvaitpouvoit êtreeſtre un homme qui perdaitperdoit toutes sortesſortes d'espérancesd’eſpérances de revoir jamais une personneperſonne qu'ilqu’il aimaitaimoit d'uned’une passionpaſſion la plus violente, la plus naturelle et& la mieux fondée qui ait jamais été. Néanmoins il ne seſe rebuta point encore, et& ii fit tout ce qu'ilqu’il put imaginer de capable de la faire changer de desseindeſſein. Enfin, des années entières s'étants’étant passéespaſſées, le temps et& l'absencel’abſence ralentirent saſa douleur et& éteignirent saſa passionpaſſion. Madame de Clèves vécut d'uned’une sorteſorte qui ne laissalaiſſa pas d'apparenced’apparence qu'ellequ’elle pût jamais revenir. Elle passaitpaſſçait une partie de l'annéel’année dans cette maisonmaiſon religieusereligieuſe, et& l'autrel’autre chez elle ; mais dans une retraite et& dans des occupations plus saintesſaintes que celles des couvents les plus austèresauſtères ; et& saſa vie, qui fut assezaſſez courte, laissalaiſſa des exemples de vertu inimitables.
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