« Ainsi parlait Zarathoustra (édition 1898) » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/7]]==
Lorsque Zarathoustra eut atteint sa trentième année, il quitta sa patrie et le lac de sa patrie et s'en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s'en lassa point durant dix années. Mais enfin son coeur se transforma, - et un matin, se levant avec l'aurore, il s'avança devant le soleil et lui parla ainsi:
 
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Mais nous t'attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t'en bénissions.
 
Voici! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l'abeille qui a amassé trop de miel. J'ai besoin de mains qui se tendent.
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Je voudrais donner et distribuer, jusqu'à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres, heureux de leur richesse.
 
Voilà pourquoi je dois descendre dans les profondeurs, comme tu fais le soir quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse!
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Zarathoustra descendit seul des montagnes, et il ne rencontra personne. Mais lorsqu'il arriva dans les bois, soudain se dressa devant lui un vieillard qui avait quitté sa sainte chaumière pour chercher des racines dans la fôret. Et ainsi parla le vieillard et il dit à Zarathoustra:
 
"Il ne m'est pas inconnu, ce voyageur; voilà
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bien des années qu'il passa par ici. Il s'appelait Zarathoustra, mais il s'est transformé.
 
Tu portais alors ta cendre à la montagne; veux-tu aujourd'hui porter ton feu dans la vallée? Ne crains-tu pas le châtiment des incendiaires?
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Et si tu veux donner, ne leur donne pas plus qu'une aumône, et attends qu'ils te la demandent!"
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"Non, répondit Zarathoustra, je ne fais pas l'aumône. Je ne suis pas assez pauvre pour cela."
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Lorsque Zarathoustra eut entendu ces paroles, il salua le saint et lui dit: "Qu'aurais-je à vous donner? Mais laissez-moi partir en hâte, afin que je ne vous prenne rien!" - Et c'est ainsi qu'ils se séparèrent l'un de l'autre, le vieillard et l'homme, riant comme rient deux petits garçons.
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Mais quand Zarathoustra fut seul, il parla ainsi à son coeur: "Serait-ce possible! Ce vieux saint dans sa forêt n'as pas encore entendu dire que Dieu est mort!"
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Vous avez tracé le chemin qui va du ver jusqu'à l'homme et il vous est resté beaucoup du ver de terre. Autrefois vous étiez singe et maintenant encore l'homme est plus singe qu'un singe.
 
Mais le plus sage d'entre vous n'est lui-même qu'une chose disparate, hybride fait d'une plante et
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d'un fantôme. Cependant vous ai-je dit de devenir fantôme ou plante?
 
Voici, je vous enseigne le Surhumain!
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Mais, vous aussi, mes frères, dites-moi: votre corps, qu'annonce-t-il de votre âme? Votre âme n'est-elle pas pauvreté, ordure et pitoyable contentement de soi-même?
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En vérité, l'homme est un fleuve impur. Il faut être devenu océan pour pouvoir, sans se salir, recevoir un fleuve impur.
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L'heure où vous dites: "Qu'importe ma pitié! La pitié n'est-elle pas la croix où l'on cloue celui qui aime les hommes? Mais ma pitié n'est pas une crucifixion."
 
Avez-vous déjà parlé ainsi? Avez-vous déjà crié ainsi? Hélas, que ne vous ai-je déjà entendus crier ainsi!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/14]]==
ainsi? Hélas, que ne vous ai-je déjà entendus crier ainsi!
 
Ce ne sont pas vos péchés - c'est votre contentement qui crie contre le ciel, c'est votre avarice, même dans vos péchés, qui crie contre le ciel!
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J'aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître, car ils passent au delà.
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J'aime les grands contempteurs, parce qu'ils sont les grands adorateurs, les flèches du désir vers l'autre rive.
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J'aime celui dont l'âme se dépense, celui qui ne veut pas qu'on lui dise merci et qui ne restitue point: car il donne toujours et ne veut point se conserver.
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J'aime celui qui a honte de voir le détomber en sa faveur et qui demande alors: suis-je donc un faux joueur? - car il veut périr.
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Voici, je suis un visionnaire de la foudre, une lourde goutte qui tombe de la nue: mais cette foudre s'appelle le Surhumain.
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Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
 
Malheur! Les temps sont proches où l'homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son
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désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer!
 
Je vous le dis: il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis: vous portez en vous un chaos.
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Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poisons enfin, pour mourir agréablement.
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On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l'on veille à ce que la distraction ne débilite point.
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Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l'on appelle aussi "le prologue": car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. "Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, - s'écriaient-ils - rends-nous semblables à ces derniers hommes! Nous te tiendrons quitte du Surhumain!" Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra cependant devint triste et dit à son coeur:
 
"Ils
"Ils ne me comprennent pas: je ne suis pas la bouche qu'il faut à ces oreilles.
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"Ils ne me comprennent pas: je ne suis pas la bouche qu'il faut à ces oreilles.
 
Trop longtemps sans doute j'ai vécu dans les montagnes, j'ai trop écouté les ruisseaux et les arbres: je leur parle maintenant comme à des chevriers.
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Mais alors il advint quelque chose qui fit taire toutes les bouches et qui fixa tous les regards. Car pendant ce temps le danseur de corde s'était mis à l'ouvrage: il était sorti par une petite poterne et marchait sur la corde tendue entre deux tours, au-dessus de la place publique et de la foule. Comme il se trouvait juste à mi-chemin, la petite porte s'ouvrit encore une fois et un gars bariolé qui avait l'air d'un bouffon sauta dehors et suivit d'un pas rapide le premier. "En avant, boiteux, cria son horrible voix, en avant paresseux, sournois, visage blême! Que je ne te chatouille pas de mon talon! Que fais-tu là entre ces tours? C'est dans la tour que tu devrais être enfermé; tu barres la route à un meilleur que toi!" - Et à chaque mot il s'approchait davantage; mais quand il ne fut plus qu'à un
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pas du danseur de corde, il advint cette chose terrible qui fit taire toutes les bouches et qui fixa tous les regards: - le bouffon poussa un cri diabolique et sauta par-dessus celui qui lui barrait la route. Mais le danseur de corde, en voyant la victoire de son rival, perdit la tête et la corde; il jeta son balancier et, plus vite encore, s'élança dans l'abîme, comme un tourbillon de bras et de jambes. La place publique et la foule ressemblaient à la mer, quand la tempête s'élève. Tous s'enfuyaient en désordre et surtout à l'endroit où le corps allait s'abattre.
 
Zarathoustra cependant ne bougea pas et ce fut juste à côté de lui que tomba le corps, déchiré et brisé, mais vivant encore. Au bout d'un certain temps la conscience revint au blessé, et il vit Zarathoustra, agenouillé auprès de lui: "Que fais-tu là, dit-il enfin, je savais depuis longtemps que le diable me mettrait le pied en travers. Maintenant il me traîne en enfer: veux-tu l'en empêcher?"
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L'homme leva les yeux avec défiance. "Si tu dis vrai, répondit-il ensuite, je ne perds rien en perdant la vie. Je ne suis guère plus qu'une bête qu'on a fait danser avec des coups et de maigres nourritures."
 
"Non pas, dit Zarathoustra, tu as fait du danger ton métier, il n'y a là rien de méprisable. Maintenant
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ton métier te fait périr: c'est pourquoi je vais t'enterrer de mes mains."
 
Quand Zarathoustra eut dit cela, le moribond ne répondit plus; mais il remua la main, comme s'il cherchait la main de Zarathoustra pour le remercier.
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Mais je suis encore loin d'eux et mon esprit ne parle pas à leurs sens. Pour les hommes, je tiens encore le milieu entre un fou et un cadavre.
 
Sombre est la nuit, sombres sont les voies de
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Zarathoustra. Viens, compagnon rigide et glacé! Je te porte à l'endroit où je vais t'enterrer de mes mains."
 
 
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Après avoir dit ces choses, l'homme disparut; et Zarathoustra continua son chemin par les rues obscures.
 
A la porte de la ville il rencontra les fossoyeurs: ils éclairèrent sa figure de leur flambeau, reconnurent Zarathoustra et se moquèrent beaucoup de lui. "Zarathoustra emporte le chien mort: bravo, Zarathoustra s'est fait fossoyeur! Car nous avons
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les mains trop propres pour ce gibier. Zarathoustra veut-il donc voler sa pâture au diable? Allons! Bon appétit! Pourvu que le diable ne soit pas plus habile voleur que Zarathoustra! - il les volera tous deux, il les mangera tous deux!" Et ils riaient entre eux en rapprochant leurs têtes.
 
Zarathoustra ne répondit pas un mot et passa son chemin. Lorsqu'il eut marché pendant deux heures, le long des bois et des marécages, il avait tellement entendu hurler des loups affamés que la faim s'était emparée de lui. Aussi s'arrêta-t-il à une maison isolée, où brûlait une lumière.
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"Un vivant et un mort, dit Zarathoustra. Donnez-moi à manger et à boire, j'ai oublié de le faire pendant le jour. Qui donne à manger aux affamés réconforte sa propre âme: ainsi parle la sagesse."
 
Le vieux se retire, mais il revint aussitôt, et offrit à Zarathoustra du pain et du vin: "C'est une méchante contrée pour ceux qui ont faim, dit-
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il; c'est pourquoi j'habite ici. Hommes et bêtes viennent à moi, le solitaire. Mais invite aussi ton compagnon à manger et à boire, il est plus fatigué que toi." Zarathoustra répondit: "Mon compagnon est mort, je l'y déciderais difficilement."
 
"Cela m'est égal, dit le vieux en grognant; qui frappe à ma porte doit prendre ce que je lui offre. Mangez et portez-vous bien!"
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Zarathoustra dormit longtemps et non seulement l'aurore passa sur son visage, mais encore le matin. Enfin ses yeux s'ouvrirent et avec étonnement Zarathoustra jeta un regard sur la forêt et dans le silence, avec étonnement il regarda en lui-même. Puis il se leva à la hâte, comme un matelot qui tout à coup voit la terre, et il poussa un cri d'allégresse:
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car il avait découvert une vérité nouvelle. Et il parla à son coeur et il lui dit:
 
Mes yeux se sont ouverts: J'ai besoin de compagnons, de compagnons vivants, - non point de compagnons morts et de cadavres que je porte avec moi où je veux.
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Voyez les fidèles de toutes les croyances! Qui haïssent-ils le plus? Celui qui brise leurs tables des valeurs, le destructeur, le criminel: - mais c'est celui-là le créateur.
 
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres, des troupeaux ou des
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croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles.
 
Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur, des moissonneurs qui moissonnent avec lui: car chez lui tout est mûr pour la moisson. Mais il lui manque les cent faucilles: aussi, plein de colère, arrache-t-il les épis.
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Je ne dois être ni berger, ni fossoyeur. Jamais plus je ne parlerai au peuple; pour la dernière fois j'ai parlé à un mort.
 
Je veux me joindre aux créateurs, à ceux qui moissonnent et chôment: je leur montrerai l'arc-en-ciel et tous les échelons qui mènent au Surhumain.
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Je chanterai mon chant aux solitaires et à ceux qui sont deux dans la solitude; et quiconque a des oreilles pour les choses inouïes, je lui alourdirai le coeur de ma félicité.
 
Je marche vers mon but, je suis ma route; je sauterai par-dessus les hésitants et les retardataires. Ainsi ma marche sera le déclin!
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J'ai rencontré plus de dangers parmi les hommes que parmi les animaux. Zarathoustra suit des voies dangereuses. Que mes animaux me conduisent!"
 
Lorsque Zarathoustra eut ainsi parlé, il se souvint des paroles du saint dans la forêt, il soupira et dit à son coeur:
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des paroles du saint dans la forêt, il soupira et dit à son coeur:
 
Il faut que je sois plus sage! Que je sois rusé du fond du coeur, comme mon serpent.
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Je vais vous dire trois métamorphoses de l'esprit: comment l'esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant.
 
Il est maint fardeau pesant pour l'esprit, pour l'esprit patient et vigoureux en qui domine le respect: sa vigueur réclame le fardeau
=== no match ===
pesant, le plus pesant.
 
Qu'y a-t-il de plus pesant! ainsi interroge l'esprit robuste. Dites-le, ô héros, afin que je le charge sur moi et que ma force se réjouisse.