« Poètes et romanciers modernes de la France/Charles-Hubert Millevoye » : différence entre les versions

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Quand on cherche, dans la poésie de la fin du XVIIIe siècle et dans celle de l'empire, des talens qui annoncent à quelque degré ceux de notre temps et qui y préparent, on trouve Le Brun et André Chénier, comme visant déjà, l'un à l'élévation et au grandiose lyrique, l'autre à l'exquis de l'art; on trouve aussi (pour ne parler que des poètes. en vers), dans les tons, encore timides, de, l'élégie mélancolique et de la méditation rêveuse, Fontanes et Millevoye. Le poète du ''Jour des Morts'' et celui de ''la Chute des Feuilles'' sont des précurseurs de Lamartine, comme Le Brun l'est pour Victor Hugo dans l'ode, comme l'est André Chénier pour tout un côté de l'école de l'art. Ce rôle de précurseur, en relevant par la précocité ce que le talent peut avoir eu de hasardeux ou d'incomplet, offre toujours, dans l'histoire littéraire, quelque chose qui attache. S'il se rencontre surtout dans une nature aimable, facile, qui n'a en rien l'ambition de ce rôle et qui ignore absolument qu'elle le remplit; s'il se produit en œuvres légères, courtes, inachevées, mais sorties et senties du cœur; s'il se termine en une brève jeunesse, il devient tout-à-fait intéressant. C'est là le sort de Millevoye; c'est la pensée que son nom harmonieux suggère. Entre Delille qui finit et Lamartine qui préludes entre ces deux grands règnes de poètes, dans l'intervalle, une pâle et douce étoile un moment a brillé; c'est lui.
 
Le Brun qui avait (il n'est pas besoin de le dire) bien autrement de force et de nerf que Millevoye, mais qui était, à quelques égards aussi, simple précurseur d'un art éclatant, Le Brun tente des voies ardues, heurte à toutes les portes de l'Olympe lyrique, et, après plus de bruit que de gloire, meurt, corrigeant et recorrigeant des odes qui n'ont à aucun temps triomphé. IIIl y a dans cette destinée quelque chose de toujours ''à côté'', pour ainsi dire, et qui ne satisfait pas. Fontanes, connu par des débuts poétiques purs et touchans, s'en retire bientôt, s'endort dans la paresse, et s'éclipse dans les dignités c'est là une fin non poétique, assez discordante, et que l'imagination n'admet pas. André Chénier, lui, nature gracieuse et studieuse, mais énergique pourtant et passionnée, vaincu violemment et intercepté avant l'heure, a son harmonie à la fois délicate et grande. Millevoye, en son moindre genre, a la sienne également. Chez lui, l'accord est parfait entre le moment de la venue, le talent et la vie. Il chante, il s'égaie, il soupire, et, dans son gémissement, s'en va, un soir, au vent d'automne, comme une de ces feuilles dont la chute est l'objet de sa plus douce plainte; il incline la tête, comme fait la marguerite coupée par la charrue, ou le pavot surchargé par la pluie. De tous les jeunes poètes qui ne meurent, ni de désespoir, ni de fièvre chaude, ni par le couteau, mais doucement et par un simple effet de lassitude naturelle, comme des fleurs dont c'était le terme marqué, Millevoye nous semble le plus aimé, le plus en vue, et celui qui restera.
 
Il y a mieux. En nous tous, pour peu que nous soyons poètes, et si nous ne le sommes pourtant pas décidément, il existe ou il a existé une certaine fleur de sentimens, de désirs, une certaine rêverie première, qui bientôt s'en va dans les travaux prosaïques, et qui expire dans l'occupation de la vie. Il se trouve, en un mot, dans les trois quarts des hommes, comme un poète qui meurt jeune, tandis que l'homme survit. Millevoye est au dehors comme le type personnifié de ce poète jeune qui ne devait pas vivre, et qui meurt, à trente ans plus ou moins, en chacun de nous.
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::Priant tout haut qu'il revienne vainqueur,
::Priant tout bas qu'il revienne fidèle (1).<ref> Tibulle avait dit, Elégie première, livre II :<br/>
<small>Vos celebrem cantate Deum, pecorique vocate<br/small>
<small>Voce, palàm pecori, clam sibi quisque vocet.</smallref>
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Il y a loin de là à ''la Neige'', qui est le même sujet traité par M. de Vigny dans un tout autre style, dans un goût rare et, je crois, plus durable, mais qui a aussi sa teinte particulière de 1824.
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Si l'on pouvait apporter de la précision dans de semblables aperçus, je m'exprimerais ainsi : pour les sentimens naturels, pour la rêverie, pour l'amour filial, pour la mélodie, pour les instincts du goût, l'ame, le talent de Millevoye est comme la légère esquisse, encore épicurienne, dont le génie de Lamartine est l'exemplaire platonique et chrétien.
 
En refaisant ''le Poète mourant'' dans de grandes proportions lyriques et avec le souffle religieux de l'hymne, l'auteur des secondes ''Méditations'' semble avoir pris soin lui-même de manifester toute notre idée et de consommer la comparaison. Si glorieuse qu'elle soit pour lui, disons seulement que l'un n'y éteint pas entièrement l'autre. ''Le Poète mourant'' de Millevoye, à distance du chantre merveilleux, garde son accent, garde son timide et plus terrestre parfum; églantier de nos climats, venu avant l'oranger d’Italie. <ref> Nous retrouvons ce rapport de Millevoye à Lamartine délicatement exprimé dans une page du roman de ''Madame de Mably'', par M. Saint-Valry (2tom. I, 315).</ref>.
 
Millevoye a donné, sous le titre de ''Dizains'' et de ''Huitains'', une certaine quantité d'épigrammes d'un tour heureux, d'une pensée fine ou tendre. Le huitain du ''Phénix'' et de la ''Colombe'' est pour le sentiment une petite élégie. Il a fait quelques épigrammes proprement dites, sans fiel; de ce nombre une épitaphe qui pourrait bien avoir trait à Suard. Ç'aurait été, au reste, sa seule inimitié littéraire, et elle ne paraît pas avoir été bien vive, pas plus vive que son objet.
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Son souvenir est resté intéressant et cher; ce qui a suivi de brillant ne l'a pas effacé. Toutes les fois qu'on a à parler des derniers éclats harmonieux d'une voix puissante qui s'éteint, on rappelle le chant du cygne, a dit Buffon. Toutes les fois qu'on aura à parler des premiers accords doucement expirans, signal d'un chant plus mélodieux, et comme de la fauvette des bois ou du rouge gorge au printemps avant le rossignol, le nom de Millevoye se présentera. Il est venu, il a fleuri aux premières brises; mais l'hiver recommençant l'a interrompu. Il a sa place assurée pourtant dans l'histoire de la poésie française, et sa ''Chute des Feuilles'' en marque un moment.
 
 
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<small>(1) Tibulle avait dit, Elégie première, livre II :</small>
 
<small>Vos celebrem cantate Deum, pecorique vocate</small>
 
<small>Voce, palàm pecori, clam sibi quisque vocet.</small>
 
<small>(2) Nous retrouvons ce rapport de Millevoye à Lamartine délicatement exprimé dans une page du roman de ''Madame de Mably'', par M. Saint-Valry (tom. I, 315).</small>
 
 
 
SAINTE-BEUVE.
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