« La Hongrie » : différence entre les versions

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Les bateaux du Danube sont beaux, mais dans leur aménagement on a trop sacrifié les voyageurs aux marchandises : le pont est encombré, et les ballots envahissent trop souvent les premières places. On pourrait aussi mettre plus d'activité dans le service et réduire facilement à dix les treize jours employés pour le trajet de Vienne à Constantinople. Malgré ces reproches mérités, il faut le reconnaître, l'entreprise, toujours surveillée par M. de Széchényi, marche bien, et son succès n'est plus douteux. Le commerce de la Hongrie est en plein progrès, et c'était là le but qu'on voulait atteindre. Déjà les exportations des produits du sol excèdent de treize millions le montant des importations. L'Autriche, de son côté, acquiert une voie prompte et facile pour ses rapports avec Bukarest et les principautés riveraines.
 
L'Europe entière est intéressée aux grands travaux qui ont pour but d'aplanir les difficultés qui entravent la navigation du Danube. Le projet d'un canal de jonction du Rhin à ce fleuve a acquis une plus grande importance que jamais. Hommes civilisés de l'Occident, nous devons répondre à l'appel de ceux que nous avons trop l'habitude de traiter en sauvages. Le roi de Bavière, en 1825, résolut d'exécuter la pensée de Charlemagne et d'opérer la réunion du Danube au Rhin par le Mein. Les travaux, commencés avec assez de lenteur, sont aujourd'hui poussés avec une activité funeste à la France. Trop absorbés par nos luttes politiques, nous nous épuisons en vaines paroles, et nos voisins profitent de nos travers. Nous n'y pensons pas assez; il s'agit cependant de tout le commerce de transit de l'Allemagne qui nous échappera, si nous n'y prenons garde. Notre système de canalisation, dû à Louis XIV et à l'empereur, vient admirablement aider l'heureuse disposition de nos quatre grandes rivières qui, déjà mises en rapport avec le Rhin, seraient rattachées au Danube par un canal percé entre ces deux fleuves. On avait parlé d'un canal de Kehl à Ulm; ce plan nous serait de tous le plus avantageux, il serait de plus facile à exécuter. Mais j'abandonne ce sujet qui n'est pas le mien (1)<ref> M. Michel Chevalier a traité cette question d'une manière remarquable dans son curieux ouvrage : ''les Intérêts matériels de la France'', pag. 154 et suiv.</ref>, pour revenir à la Hongrie.
 
 
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Durant les deux ou trois années, où, sur les demandes du parlement et de l'assemblée des notables, la convocation des états-généraux devint en France un objet d'espoir pour le plus grand nombre, de crainte pour quelques privilégiés, une foule de brochures ignorées aujourd'hui parurent sur toutes les questions du moment; il en fût de même en Hongrie. Les réformateurs et les amis du passé préludèrent par leurs écrits à la lutte dont la diète devait être l'arène. Les magnats nourris de la lecture des économistes et des philosophes du XVIIIe siècle, les jeunes nobles élevés dans les universités étrangères, les légistes et les bourgeois des villes, composaient un parti dont les principes et les vœux furent soutenus avec talent par M. de Széchényi. On ne lira pas, je crois, sans intérêt, quelques fragmens d'un ouvrage publié par le comte à la fin de 1830. Le passage que nous allons citer offre un tableau vivement tracé de l'esprit public de la Hongrie :
 
« Chacun veut améliorer, chacun désire voir s'élever un bel édifice, mais chacun prétend poser la première pierre sans s'inquiéter des autres ouvriers. - Ah! dit l'un, quand donc sera percée la chaussée de Fiume?- Ne vaudrait-il pas mieux jeter un pont entre Pesth et Bude? répond un autre. - Ayons un théâtre et des pièces en hongrois, ou la langue se perdra, et la nationalité avec elle (2)<ref> Ce vœu a été rempli; j'ai vu représenter à Pesth ''la Christine'' de M. Alex. Dumas, traduite en hongrois.</ref>. - Si nos magnats, s'écrie-t-on d'un autre côté, n'allaient point manger leurs revenus et se corrompre à l'étranger? Mais ces grands seigneurs croiraient compromettre leur dignité en se coudoyant aux assemblées des comitats avec la pauvre noblesse ! D'autres regrettent les costumes de nos pères. Où sont leurs pesantes armures? - Malheureuse Hongrie, murmurent ces amans du passé, tout en chantant l'air de la bataille de ''Mohacz'', le jour de cette ''défaite'' fut le dernier de ta gloire! - Ayons de belles rues, des trottoirs et des réverbères; tel est le cri d'une autre opinion. Que Pesth soit bien éclairée, le reste se fera. N'oublions pas les promenades et plantons le quai du Danube. - Il y a aussi des esprits positifs. C'est le papier-monnaie qui nous ruine, disent-ils, il nous faudrait de beaux ducats frappés avec notre or de Kremnitz. Mais où sont ces ducats? Que de nobles Hongrois ont oublié leur couleur ! - Non, réplique un autre, non, ce n'est pas cela; or ou papier, qu'importe? Nous serions à notre aise sans les impôts... l'impôt sur le sel surtout, mes amis! Ah! chers amis, qu'il y aurait de choses à dire sur le sel ! C'est l'administration étrangère qui nous appauvrit; les douanes, les monopoles, que sais-je encore? Tels sont nos véritables maux! Savez-vous quel est notre ennemi? c'est notre maître ! »
 
N'est-ce pas là le spirituel croquis d'une de ces réunions d'excellens politiques qui, pour chasser les ennuis d'une longue soirée d'hiver, devisent des choses de l'état, sans donner plus de suite à leurs idées qu'à leurs discours?
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L'agriculture, délivrée de ses entraves, est destinée à fleurir dans ces belles contrées trop long-temps désolées par un système oppressif. Mais à quoi servirait d'activer la production, si la consommation n'augmentait point dans le même rapport? La Hongrie peut exporter beaucoup de denrées et de matières premières, mais elle est privée de voies de communication. L'assiette des impôts se lie essentiellement à la propriété industrielle d'un pays. Les nobles hongrois ont enfin senti que leur privilège de ne point contribuer aux charges directes de l'état, lorsqu'ils acquittaient sans murmure les droits exigés par la régie et la gabelle, leur était plus nuisible qu'utile, et qu'il n'y a point de honte à payer lorsqu'on surveille l'emploi de son argent. Il a été question plus haut du péage général établi sur le pont de Pesth; on a vu que l'auteur de cette proposition voulait poser un principe; une conséquence assez importante en a été déduite à la même diète. Tous les possesseurs nobles ou non nobles de terres autres que celles qui ont été originairement concédées par le roi, devront (art. 2) acquitter l'impôt foncier, et la Hongrie aura des routes.
 
Les merveilles de l'industrie, les admirables spéculations du génie français fécondées par la patiente et laborieuse Angleterre, l'emploi de la vapeur comme force locomotive, ont vivement frappé tous les esprits. Malgré les prospectus dictés par le charlatanisme, malgré les revers inséparables de toute entreprise à son début, les peuples semblent comprendre qu'il y a dans ces grandes découvertes comme un lien mystérieux qui doit unir plus étroitement les sociétés modernes. Les Hongrois ont partagé cette préoccupation générale, et dans leur dernière diète, lorsqu'ils avaient à peine quelques chemins frayés dans tout leur pays, ils ont pensé à le doter d'un réseau de ''rail-ways''. Si l'on songe que la Hongrie est riche en mines de fer et de houille, qu'elle offre une surface plane dans presque toute son étendue, et qu'enfin elle serait obligée de supporter de grandes dépenses pour établir un système complet de routes ordinaires, on ne trouvera peut-être plus cette idée trop folle ou trop ambitieuse. Si l'on eût dit, il y a vingt ans, que bientôt des bateaux à vapeur sillonneraient le Danube, qui n'eût traité le prophète de visionnaire? L'article 25 (3)<ref> Toutes les dispositions législatives décrétées par la dicte et sanctionnées par le roi sont appelées ''articles''.</ref> promet de grands avantages aux compagnies qui voudront tenter la fortune et établir des chemins de fer sur les treize lignes qui doivent parcourir le royaume en tous sens. Tous les habitans, magnats ou roturiers, seront soumis aux péages; les expropriations nécessaires seront faites sans distinction sur tous les terrains.
 
Une autre réforme utile doit être signalée. Les nobles contractaient fréquemment des emprunts, alléguant pour prétexte l'éclat de leurs noms qu'ils avaient à soutenir; et si, comme leurs ancêtres, ils n'assommaient pas les créanciers assez hardis pour parler de leurs titres, du moins ils les payaient rarement. Le privilège de ne pouvoir jamais être arrêté, même pour dettes commerciales, dans un pays où la contrainte par corps est malheureusement de droit commun, portait atteinte au crédit. Cet abus a disparu; l'article 18 autorise l'arrestation des nobles pour fait de lettres de change.
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J'ai peu de choses à dire de Semlin. Comme Belgrade, son antique rivale, cette ville a perdu beaucoup de son importance. Malgré ses remparts de gazon et les marais assez profonds qui l'avoisinent, elle ne peut plus compter au nombre des places fortes. Sa position l'appelle à jouer désormais un rôle plus pacifique; elle est l'entrepôt naturel du commerce du Bannat et de la Servie avec la Hongrie et l'Autriche. Un négociant de Semlin a épousé depuis peu la fille du prince Milosch.
 
 
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<small>(1) M. Michel Chevalier a traité cette question d'une manière remarquable dans son curieux ouvrage : ''les Intérêts matériels de la France'', pag. 154 et suiv.</small>
 
<small>(2) Ce vœu a été rempli; j'ai vu représenter à Pesth ''la Christine'' de M. Alex. Dumas, traduite en hongrois.</small>
 
<small>(3) Toutes les dispositions législatives décrétées par la dicte et sanctionnées par le roi sont appelées ''articles''.</small>
 
 
ÉDOUARD THOUVENEL.
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