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figure héroïque. L’aînée avait aussi sa chimère ; elle voyait dans l’azur un fournisseur, quelque bon gros munitionnaire bien riche, un mari splendidement bête, un million fait homme, ou bien, un préfet ; les réceptions de la préfecture, un huissier d’antichambre chaîne au cou, les bals officiels, les harangues de la mairie, être « madame la préfète », cela tourbillonnait dans son imagination. Les deux sœurs s’égaraient ainsi, chacune dans son rêve, à l’époque où elles étaient jeunes filles. Toutes deux avaient des ailes, l’une comme un ange, l’autre comme une oie.
figure héroïque. L’aînée avait aussi sa chimère ; elle voyait
dans l’azur un fournisseur, quelque bon gros munitionnaire
bien riche, un mari splendidement bête, un million fait
homme, ou bien, un préfet ; les réceptions de la préfecture,
un huissier d’antichambre chaîne au cou, les bals officiels,
les harangues de la mairie, être « madame la préfète »,
cela tourbillonnait dans son imagination. Les deux sœurs
s’égaraient ainsi, chacune dans son rêve, à l’époque où elles
étaient jeunes filles. Toutes deux avaient des ailes, l’une
comme un ange, l’autre comme une oie.


Aucune ambition ne se réalise pleinement, ici-bas du moins. Aucun paradis ne devient terrestre à l’époque où nous sommes. La cadette avait épousé l’homme de ses songes, mais elle était morte. L’aînée ne s’était pas mariée.
Aucune ambition ne se réalise pleinement, ici-bas du
moins. Aucun paradis ne devient terrestre à l’époque où
nous sommes. La cadette avait épousé l’homme de ses
songes, mais elle était morte. L’aînée ne s’était pas mariée.


Au moment où elle fait son entrée dans l’histoire que nous racontons, c’était une vieille vertu, une prude incombustible, un des nez les plus pointus et un des esprits les plus obtus qu’on pût voir. Détail caractéristique : en dehors de la famille étroite, personne n’avait jamais su son petit nom. On l’appelait '''mademoiselle Gillenormand l’aînée''.
Au moment où elle fait son entrée dans l’histoire que
nous racontons, c’était une vieille vertu, une prude incombustible,
un des nez les plus pointus et un des esprits les
plus obtus qu’on pût voir. Détail caractéristique : en
dehors de la famille étroite, personne n’avait jamais su
son petit nom. On l’appelait '''mademoiselle Gillenormand''
''l’aînée''.


En fait de cant, mademoiselle Gillenormand l’aînée eût rendu des points à une miss. C’était la pudeur poussée au noir. Elle avait un souvenir affreux dans sa vie ; un jour, un homme avait vu sa jarretière.
En fait de cant, mademoiselle Gillenormand l’aînée eût
rendu des points à une miss. C’était la pudeur poussée au
noir. Elle avait un souvenir affreux dans sa vie ; un jour,
un homme avait vu sa jarretière.


L’âge n’avait fait qu’accroître cette pudeur impitoyable. Sa guimpe n’était jamais assez opaque, et ne montait jamais assez haut. Elle multipliait les agrafes et les épingles là où personne ne songeait à regarder. Le propre de la {{tiret|pru|derie}}
L’âge n’avait fait qu’accroître cette pudeur impitoyable.
Sa guimpe n’était jamais assez opaque, et ne montait jamais
assez haut. Elle multipliait les agrafes et les épingles là
où personne ne songeait à regarder. Le propre de la {{tiret|pru|derie}}