« Poètes et romanciers modernes de la France/Charles Loyson, Jean Polonius, Aimé de Loy » : différence entre les versions

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Cependant la foule des survenans conquiert, possède de plus en plus le matériel et les formes de l'art. Le voile rajeuni de la muse est désormais dans presque toutes les mains; on se l'arrache; mais la muse elle-même, l'ame de cette muse ne s'est-elle pas déjà envolée plus loin sur quelque colline où elle attend? Au reste, ce que les recueils qui se publient sans relâche (quatre ou cinq peut-être chaque mois), contiennent d'agréables vers, de jets brillans, de broderies heureuses, est incalculable : autant vaudrait rechercher ce qui se joue chaque soir de gracieux et de charmant sur tous les pianos de Paris. Ce qu'il y a de vrais talens et d'avenirs cachés dans ces premières fleurs se dégagera avec le temps. Mais, si l'on voulait être juste pour tous et en toucher un mot seulement, on passerait sa vie à déguster des primevères et des roses. Évidemment la critique n'a plus rien à faire dans une telle quantité de débuts, et c'est au talent énergique et vrai à se déclarer lui-même. Il n'en était pas ainsi il y a quinze ou vingt ans; des vers bien inférieurs, comme facture, à ceux qu'on prodigue désormais, décelaient plus sûrement les poètes. Nous en rappellerons trois aujourd'hui, et tous les trois qui rentrent plus ou moins dans les premiers tons de Lamartine. L'un a été de peu son devancier; deux sont morts; le troisième est un étranger du Nord qui a chanté dans notre langue avec élégance. Nous parlerons de Charles Loyson, d'Aimé de Loy, de Jean Polonius.
 
Charles Loyson, né en 1791, à Château-Gontier, dans la Mayenne, fit ses études avec distinction au collège de Beaupréau. Il entra à l'École normale dans les premiers temps de la fondation, y fut contemporain et condisciple des Cousin, des Viguier, des Patin; il y devint maître comme eux. La littérature et la politique le disputèrent bientôt à l'université. Rédacteur aux ''Débats'' dès 1814, et attaché à la direction de la librairie, il quitta Paris dans les Cent-Jours. Y revenant à la seconde restauration, il fut placé au ministère de la justice, sans cesser de tenir à l'École normale. Une pièce de lui sur ''le Bonheur de l'Étude'' eut un accessit à l'Académie française; il la publia avec d'autres poésies en 1817. Un autre recueil (''Épîtres et Élégies'') parut en 1819. 11 concourut comme rédacteur aux ''Archives philosophiques, politiques et littéraires'' en 1817, et en 1819 au ''Lycée français'', recueil distingué et délicat de pure littérature <ref> J'emprunte la plupart de ces détails au ''Lycée'' même, qui contient (1tome V, page 63) un article nécrologique sur Loyson, dû à la plume amie de M. Patin.</ref>. Cependant une raison précoce, une maturité vigilante le plaçaient au premier rang du très petit nombre des publicistes sages en ces temps de passion et d'inexpérience. Son plus piquant et son plus solide écrit politique est intitulé : ''Guerre à qui la cherche, ou Petites Lettres sur quelques-uns de nos grands écrivains''; il tire à droite et à gauche, sur M. de Bonald d'une part, sur Benjamin-Constant de l'autre. Loyson suivait la ligne modérée de M. Royer-Collard, de M. de Serre, et, si jeune, il méritait leur confiance : on ose dire qu'il avait crédit sur eux. Non-seulement on l'écoutait, mais on lui demandait d'écouter. Il était consulté par ces hommes éminens sur les points difficiles. Son visage, quand on lui lisait quelque écrit, prenait alors quelque chose de grave et de singulièrement expressif, qui, presque avant de parler, donnait conseil. Les discours imprimés de M. de Serre ont passé par ses mains. M. Pasquier a gardé de lui un souvenir de sérieuse estime. Le 27 juin 1820, il mourut de la poitrine, à peine âgé de vingt-neuf ans.
 
Sa renommée littéraire a souffert, dans le temps, de ses qualités politiques; sa modération lui avait fait bien de vifs ennemis. Attaché à un pouvoir qui luttait pour la conservation contre des partis extrêmes, il avait vu, lui qui le servait avec zèle, ses patriotiques intentions méconnues de plusieurs. Cette fièvre même de la mort qu'il portait dans son sein, et qui lui faisait craindre (contradiction naturelle et si fréquente) de ne pas assurer à temps sa rapide existence, pouvait sembler aux indifférens de l'avidité. La mémoire fidèle de ses amis et la lecture de ses poésies touchantes ont suffi pour nous le faire apprécier et aimer. Comme poète, Charles Loyson est juste un intermédiaire entre Millevoye et Lamartine, mais beaucoup plus rapproché de ce dernier par l'élévation et le spiritualisme habituel des sentimens. Les épîtres à M. Royer-Collard, à M. Maine de Biran, sont déjà des méditations ébauchées et mieux qu'ébauchées :
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::Exhalait en beaux vers ses chagrines humeurs;
::Je le sais; mais tout change, et, de nos jours, pour cause
::L'''ultrà Sauromatas'' se serait dit en prose <smallref>(2) Ces deux vers sont volontiers cités, sans qu'on sache de qui. Il en est parfois ainsi avec Loyson. On sait de ses vers; on en a la vague réminiscence dans l'oreille, comme de vers de Jean-Baptiste Rousseau ou de quelque autre ''ancien''. Ainsi encore, par exemple<br /small><br /poem>
::L'''ultrà Sauromatas'' se serait dit en prose (2);
<small> Celui qui dès sa naissance </small><br />
<small> Fut soumis à la puissance </small><br />
<small> Du Dieu du sacré vallon,</small><br />
<small> Des combats fuyant la gloire, </small><br />
<small> Aux fastes de la victoire </small><br />
<small> N'ira point graver son nom.</small><br />
<small> A la voix de la Fortune,</small><br />
<small> Il n'ira point de Neptune </small><br />
<small> Tenter les gouffres mouvans, </small><br />
<small> Ni, sur la foi des étoiles, </small><br />
<small> Livrer d'intrépides voiles </small><br />
<small> A l'inconstance des vents...<br /small><br /poem>
<small> C'est de lui. Toute cette ode, qui a pour titre: ''les Goûts du Poète'', reste charmante de ton, de sobriété, de sens ferme et doux; c'est de la bonne poésie du temps de Chaulieu, d'il y a vingt-cinq ans ou d'il y a un siècle.</smallref><br; />
 
::Sinon tu pourrais bien voir au Palais-Royal
::Un pamphlet rouge ou blanc éclipser Juvénal.
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::Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.
 
Charles Loyson vit paraître les vers d'André Chénier et ceux de Lamartine; on a les jugemens qu'il en porta. Il fit, dans le ''Lycée'', quatre articles sur Chénier (3)<ref> Tome II, 1819.</ref>; le premier est un petit chef-d'œuvre de grace, de critique émue et ornée. L'écrivain nous y raconte ce qu'il appelle son château en Espagne, son rêve à la façon d'Horace, de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre : une maisonnette couverte en tuiles, avec la façade blanche et les contrevents verts, la source auprès, et au-dessus le bois de quelques arpens, et ''paulum silvœ''. «Ce dernier point est pour moi, dit-il, de première nécessité; je n'y tiens pas moins que le favori de Mécène : encore veux-je qu'il soit enclos, non pas d'un fossé seulement ou d'une haie vive, mais d'un bon mur de hauteur avec des portes solides et bien fermées. L'autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l'âge d'or, je le sais; mais celle-ci me convient davantage, et d'ailleurs je suis d'avis qu'on ne peut plus trouver l'âge d'or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s'occupe du dedans; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n'oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines; c'est alors qu'il exécute un projet favori, et dont nul ne s'est avisé encore. Dans l'endroit le plus retiré des bocages, il consacre un petit bouquet de cyprès, de bouleaux et d'arbres verts, aux jeunes écrivains morts avant le temps. Le détail d'exécution est à ravir. Une urne cinéraire, placée sur un tertre de gazon, porte le nom de Tibulle, et sur l'écorce du bouleau voisin on lit ces deux vers de Domitius Marsus :
 
::Te quoque Virgilio comitem non aequa, Tibulle,
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::Moi qui brave le crime et combats pour la loi.
 
Deux colombes sous un saule pleureur figurent les ''Baisers'' de Jean Second, mort avant sa vingt-cinquième année. On voit l'idée; elle est suivie et variée jusqu'au bout. Malfilâtre et Gilbert n'y sont omis; on y salue leurs marbres. Une corbeille de fleurs renversée offre l'emblème de la destinée de Millevoye, tombé de la veille. Chatterton, qui s'est tué, n'a qu'un rocher nu. André Chénier, à son tour, se rencontre et tient l'une des places les plus belles. Ainsi Loyson pressentait lui-même sa fin, et peuplait d'avance d'un groupe chéri le bosquet secret de son Élysée. Au centre, on remarque un petit édifice d'architecture grecque, avec une colonnade circulaire. Le ruisseau tourne autour, et on y entre par un pont de bois non travaillé : c'est une bibliothèque. Elle renferme les meilleurs écrits de ceux à qui le lieu est dédié : le choix a été fait sévèrement; Loyson avoue, et nous devons avouer avec lui, qu'il retranche plus d'une pièce à Chénier (4)<ref> En même temps que Loyson regrettait que l'éditeur d'André Chénier eût trop grossi le volume, Étienne Becquet, le même que nous avons vu mourir voisin des Ménades, mais qui, je le crains, n'aura point sa place au bosquet, exprimait dans les Débats, et bien plus vivement, les mêmes reproches. Je ne rappelle ces critiques que parce qu'elles font honneur aujourd'hui au goût, si hardi pour lors, de M. Delatouche. </ref>. Voici l'inscription qu'il place au fronton du temple :
 
::Dormez sous ce paisible ombrage,
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Les trois articles suivans sont employés à l'examen des poésies de Chénier; l'admiration y domine, sauf dans le second qui traite du rhythme, de l'enjambement, de la césure, et qui est tout sévère. Le critique, qui sait très bien se prendre aux vers les plus hasardeux du classique novateur, nous semble pourtant méconnaître le principe et le droit d'une tentative qui reste légitime dans de certaines mesures, mais dont nous-même avons peut-être, hélas! abusé. «Ce n'est plus un violon qu'a votre Apollon, me disait quelqu'un, c'est un rebec. »
 
Charles Loyson salua la venue de Lamartine d'un applaudissement sympathique où se mêlèrent tout d'abord les conseils prudens (5)<ref> ''Lycée'', tom.IV, pag. 51.</ref> «''Ederâ crescentem ornate poetam'', s'écrie-t-il en commençant; voici quelque chose d'assez rare à annoncer aujourd'hui : ce sont des vers d'un poète. » Et il insiste sur cette haute qualification si souvent usurpée, puis il ajoute : « C'est là ce qui distingue proprement l'auteur de cet ouvrage : il est poète, voilà le principe de toutes ses qualités, et une excuse qui manque rarement à ses défauts. Il n'est point littérateur, il n'est point écrivain, il n'est point philosophe, bien qu'il ait beaucoup de ce qu'il faut pour être tout cela ensemble; mais il est poète; il dit ce qu'il éprouve et l'inspire en le disant. Il possède le secret ou l'instinct de cette puissante sympathie, qui est le lien incompréhensible du commerce des ames. » Parmi les reproches qu'il se permet de lui adresser, il lui trouve un peu trop de ce vague qui plaît dans la poésie, qui en forme un des caractères essentiels, ''mais qui doit en être l'ame, et non le corps'' : est-il possible de mieux dire?
 
J'ai noté les mérites, le sens précoce, les vers élevés ou touchans de Loyson : j'omets ce qui chez lui est pure bagatelle, bouts rimés et madrigaux; car il en a, et la mode le voulait ou du moins le souffrait encore. Son premier recueil de 1817 offre en tête une image du ''poète mourant'', où les assistans portent des bottes à retroussis. C'est un poète de la restauration, avons-nous dit, mais des trois ou quatre premières années de la restauration, ne l'oublions pas. Ses poésies d'essai, dédiées à Louis XVIII, dont la ''critique auguste'' lui avait fait faire dans la dédicace une grave correction (''faveurs'' au lieu de ''bienfaits''!), devaient plaire au monarque gourmet par plus d'un endroit (6)<ref> Ainsi certain quatrain ''à M. le duc d'Escars, premier maître d'hôtel du Roi, qui avait envoyé du vin de Bordeaux à l'auteur''. Je suis sûr que ce quatrain-là fut servi au déjeûner du roi.</ref>. - Chose singulière! l'École normale a donné deux poètes morts de bonne heure, qui ont comme ouvert et fermé la restauration, l'un la servant, l'autre la combattant, mais modérés tous deux, Loyson et Farcy.
 
Jean Polonius, à qui nous passons maintenant, n'est pas un précurseur de Lamartine, il l'a suivi et peut servir très distinctement à représenter la quantité d'esprits distingués, d'ames nobles et sensibles qui le rappellent avec pureté dans leurs accens. Les premières ''Poésies'' de Jean Polonius parurent en 1827, les secondes en 1829 (7)<ref> Sous ce titre : ''Empédocle, vision poétique'', suivie d'autres poésies.</ref>. Un poème intitulé Erostrate (8)<ref> Chez Charles Gosselin, 1840.</ref>, comme celui de M. Auguste Barbier, avec lequel il n'a d'ailleurs que peu de rapports, vient d'apprendre au public le vrai nom de l'auteur jusqu'ici pseudonyme. Polonius n'est autre que M. X. Labinsky, long-temps attaché à la légation russe à Londres et aujourd'hui à la chancellerie de Saint-Pétersbourg. Ses premières poésies attirèrent l'attention dans le moment; un peu antérieures, par la date de leur publication, à l'éclat de la seconde école romantique de 1828, on les trouva pures, sensibles, élégantes; on ne les jugea pas d'abord trop pâles de style et de couleur. C'est l'amour qui inspire et remplit ces premiers chants de Polonius; ils rentrent presque tous dans l'élégie. Plus de Parny, plus même de Millevoye : les deux ou trois petites et adorables élégies de Lamartine : ''Oui, l'Anio murmure encore, etc., etc.; Lorsque seul avec toi pensive et recueillie, etc., etc''.; semblent ici donner le ton; mais, si le poète profite des nouvelles cordes toutes trouvées de cette lyre, il n'y fait entendre, on le sent, que les propres et vraies émotions de son cœur. Ce gracieux recueil se peut relire quand on aime la douce poésie et qu'on est en veine tendre; mais je cherche vainement à en rien détacher ici pour le faire saillir. Les étrangers qui écrivent dans notre langue, même quand ils y réussissent le mieux, sont dans une position difficile; le comble de leur gloire, par rapport au style, est de faire oublier qu'ils sont étrangers; avec M. Labinsky on l'oublie complètement; mais, en parlant si bien la langue d'alentour, ont-ils la leur propre, comme il sied aux poètes et à tous écrivains originaux? Jean Polonius chante, comme un naturel, dans la dernière langue poétique courante, qui était alors celle de Lamartine; mais il ne la refrappe pas pour son compte, il ne la réinvente pas.
 
Aux diverses époques, les hommes du Nord ont eu cette facilité merveilleuse à se produire dans notre langue, mais toujours jusqu'à l'originalité exclusivement. Lorsqu'il y a un on deux ans, le prince Metcherski publia ses ingénieuses poésies, tout empreintes du cachet romantique le plus récent, je ne sais quel critique en tira grand parti contre la façon moderne, et affirma qu'on n'aurait pas si aisément contrefait la muse classique; c'est une sottise. Du temps de Voltaire et de La Harpe, le comte de Schouwaloff était passé maître sur la double colline d'alors, et avait ses brevets signés et datés de Ferney et autres lieux. Ses descendans aujourd'hui ne réussissent pas moins spirituellement dans les genres de M. Hugo ou de M. de Musset.
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Je veux voir, même au milieu des langueurs élégiaques, ce ''pedes vestis defluxit ad imos'', cette beauté soudaine du vers qui s'enlève, et ces larges plis déroulés.
 
Aimé De Loy a eu également plus de sensibilité que de style; il est de cette première génération de poètes modernes, qui n'a pas dépassé la première manière de Lamartine, et, sa plus grande gloire, il l'a certainement atteinte le jour où une pièce de vers, signée de ses initiales A. D. L., put être attribuée par quelques-uns à l'illustre poète. Aimé De Loy, né en 1798, est mort en 1834. Sa vie, la plus errante et la plus diverse qu'on puisse imaginer, n'apparaît que par lambeaux déchirés dans ses vers que de pieux amis viennent enfin de recueillir (9)<ref> ''Feuilles aux Vents''; imprimé à Lyon, chez M. Boitel, avec une dédicace de Mme Desbordes-Valmore.</ref>. Sorti d'un village des Vosges aux frontières de la Franche-Comté, il se réclama toujours de cette dernière province, par amour sans doute des poètes qui en sont l'honneur, par souvenir surtout de Nodier et des muses voyageuses. Il fit de bonnes études je ne sais où ni comment, mais il était plein de grec et de latin, d'Horace et de Philétas, si Philétas il y a; au reste, toute sa vie ne semble qu'une longue école buissonnière. M. Marmier, M. Couturier, ses biographes (10)<ref> M. Couturier en tête du volume, et M. Marmier dans la ''Revue de Paris'', 29 mars 1835.</ref>, nous en disent là-dessus moins encore qu'ils n'en savent; l'aventure de Goldsmith, qui parcourut une fois la Touraine sans argent, en jouant de la flûte de village en village, n'est qu'un des accidens les plus ordinaires de la destinée de De Loy. Il paraît n'avoir conçu de bonne heure la vie que comme un pèlerinage; partout où il sentait un poète, il y allait; partout où il trouvait un Mécène, il y séjournait. Aussi, dans ses vers, que de Mécènes! Il croyait naïvement que le poète est un oiseau voyageur qui n'a qu'à becqueter à droite et à gauche, partout où le portent ses ailes. Il a repris et réalisé de nouveau au XIXe siècle l'existence du troubadour allant de château en château, et payant son gîte d'une chanson. Rousseau, voyageant à pied, était boudeur encore, un misanthrope altier et réformateur du monde; il y avait pourtant du Jean-Jacques piéton dans De Loy, ce ''fantassin de poésie''; mais c'était surtout, et plus simplement, un troubadour décousu. Il allait donc sans songer au lendemain, quand un jour, à vingt-un ans, il se maria; comme La Fontaine, il ne semble pas s'en être long-temps souvenu. On s'en ressouvient aujourd'hui pour lui, et ce volume que l'amitié publie est le seul héritage de ses deux filles. Comme il avait commencé jeune ses courses, les grands astres de la littérature présente n'étaient pas encore tous levés : mais De Loy n'était pas si difficile, il allait visiter le Gardon de Florian, en attendant les autres stations depuis consacrées. L'épisode le plus mémorable de sa vie fut sans contredit son voyage au Brésil; las du ménage et du petit magasin où il avait essayé de se confiner, le voilà tout d'un coup dans la baie de Rio-Janeiro. C'était en 1822; don Pedro, empereur constitutionnel , accueillit De Loy, le fit rédacteur officiel de ses projets libéraux. Outre le journal qu'il rédigeait, De Loy chantait l'impératrice; il devint commandeur de l'ordre du Christ, il était gentilhomme de la chambre; mais laissons-le dire, et faisons-nous à sa manière courante, quelque peu négligée, mais bien facile et mélodieuse :
 
::Me voici dans Rio, mon volontaire exil,
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::Mécène m'accueillit dans ses belles retraites;
::Et sous les bananiers, à mes regrets si chers,
::La fille des Césars (11)<ref> L'impératrice du Brésil était archiduchesse d'Autriche et sœur de Marie-Louise.</ref> m'a récité mes vers.
::Hélas! que de chagrins le rang suprême entraîne!
::Que de pleurs contenus dans les yeux d'une reine!
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Pardon, au milieu de cette période de l'école de l'''art'', d'avoir osé rappeler et recommander aujourd'hui quelques poésies que l'image triomphante ne couronne pas; mais il nous a semblé que même sous le règne des talens les plus radieux il y avait lieu, au moins pour le souvenir, à d'humbles et doux vers comme autrefois, à des vers nés de source; cela rafraîchit.
 
 
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<small>(1) J'emprunte la plupart de ces détails au ''Lycée'' même, qui contient (tome V, page 63) un article nécrologique sur Loyson, dû à la plume amie de M. Patin.</small><br />
<small>(2) Ces deux vers sont volontiers cités, sans qu'on sache de qui. Il en est parfois ainsi avec Loyson. On sait de ses vers; on en a la vague réminiscence dans l'oreille, comme de vers de Jean-Baptiste Rousseau ou de quelque autre ''ancien''. Ainsi encore, par exemple</small><br />
<small> Celui qui dès sa naissance </small><br />
<small> Fut soumis à la puissance </small><br />
<small> Du Dieu du sacré vallon,</small><br />
<small> Des combats fuyant la gloire, </small><br />
<small> Aux fastes de la victoire </small><br />
<small> N'ira point graver son nom.</small><br />
<small> A la voix de la Fortune,</small><br />
<small> Il n'ira point de Neptune </small><br />
<small> Tenter les gouffres mouvans, </small><br />
<small> Ni, sur la foi des étoiles, </small><br />
<small> Livrer d'intrépides voiles </small><br />
<small> A l'inconstance des vents...</small><br />
<small> C'est de lui. Toute cette ode, qui a pour titre: ''les Goûts du Poète'', reste charmante de ton, de sobriété, de sens ferme et doux; c'est de la bonne poésie du temps de Chaulieu, d'il y a vingt-cinq ans ou d'il y a un siècle.</small><br />
<small>(3) Tome II, 1819.</small><br />
<small>(4) En même temps que Loyson regrettait que l'éditeur d'André Chénier eût trop grossi le volume, Étienne Becquet, le même que nous avons vu mourir voisin des Ménades, mais qui, je le crains, n'aura point sa place au bosquet, exprimait dans les Débats, et bien plus vivement, les mêmes reproches. Je ne rappelle ces critiques que parce qu'elles font honneur aujourd'hui au goût, si hardi pour lors, de M. De¬latouche. </small><br />
<small>(5) ''Lycée'', tom.IV, pag. 51.</small><br />
<small>(6) Ainsi certain quatrain ''à M. le duc d'Escars, premier maître d'hôtel du Roi, qui avait envoyé du vin de Bordeaux à l'auteur''. Je suis sûr que ce quatrain-là fut servi au déjeûner du roi.</small><br />
<small>(7) Sous ce titre : ''Empédocle, vision poétique'', suivie d'autres poésies.</small><br />
<small> (8) Chez Charles Gosselin, 1840.</small><br />
<small>(9) ''Feuilles aux Vents''; imprimé à Lyon, chez M. Boitel, avec une dédicace de Mme Desbordes-Valmore.</small><br />
<small>(10) M. Couturier en tête du volume, et M. Marmier dans la ''Revue de Paris'', 29 mars 1835.</small><br />
<small>(11) L'impératrice du Brésil était archiduchesse d'Autriche et sœur de Marie-¬Louise.</small><br />
 
 
SAINTE-BEUVE
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