« Mouvement des peuples slaves » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 27 :
L’organisation primitive des Slaves offre un spectacle unique, qui ne peut s’expliquer que par leur religion. Ils adoraient un dieu suprême et rémunérateur, croyaient à l’immortalité de l’ame, et reconnaissaient un esprit déchu, dieu noir qui combattait le dieu blanc. Du reste, ils n’avaient pas l’idée d’une révélation; ils n’ont point eu de prophètes, et aucun messie ne les a visités. La simplicité de cette religion prouve la haute antiquité des Slaves; ces peuples se sont constitués avant la crise qui a produit les mythologies, ils conservèrent pures les traditions de l’âge patriarcal. Ils en avaient surtout retenu les rites domestiques et agricoles. Dans leurs fêtes, ils célébraient les esprits des aïeux et les divinités des champs. La vie de famille et les travaux de la campagne étaient, jusque dans leurs moindres détails, réglés avec une rigueur liturgique. Repas, vêtemens, habitation, labour, semailles et moisson, heures, journées, saisons, rien n’était indifférent, tout avait un sens mystique.
 
Les Slaves ne pouvaient avoir de prêtres; un sacerdoce suppose une révélation. Ils n’avaient non plus ni seigneurs, ni rois. Certains hommes étaient, chez les ancien, élevés au-dessus du peuple, parce qu’on les croyait issus des dieux, et les Slaves n’avaient pas de mythologie. Ils étaient, à cause de leur dogme, tous égaux et frères, et chacun égal à tous. Dans leurs assemblées générales, dans les assises du jury (1)<ref> Les Saxons et les Anglais se disputent l’honneur d’avoir créé le jury. Des deux côtés, on a tort. Le jury est une institution slave, que les Saxons ont adoptée très anciennement, et transportée en Angleterre. </ref>, et plus tard dans les diètes polonaises, le consentement unanime était nécessaire; on ne pouvait prendre une décision dès qu’une voix s’y opposait. C’est là un principe essentiel du droit slave.
 
Lorsqu’un village comptait plusieurs familles de plus de sept membres, et qu’une année fertile donnait double ou quadruple récolte, il fondait une colonie. Les vieillards déterminaient, d’après les anciennes coutumes, le départ, la route, le terme du voyage. Arrivés sur leurs nouvelles terres, les émigrans attelaient un boeuf blanc et un boeuf noir, et le sillon tracé était la limite légale. La colonie s’appelait ''swoboda'' ou ''sloboda'' (liberté). Il s’y trouvait un bois sacré pour les cérémonies religieuses, les assises du jury, et la discussion des affaires publiques. En cas d’invasion, on coupait des rameaux, des arbres sacrés et on les envoyait aux voisins, qui accouraient à ce signal. A côté du bois, une enceinte fortifiée servait de refuge contre les attaques imprévues. Une troisième place correspondait au mont Palatin de Rome; c’était là que s’offraient les sacrifices; là aussi plus tard on exécuta les criminels et on brûla les cadavres. On réservait une terre communale, que tous les colons devaient cultiver. Les récoltes s’emmagasinaient dans des greniers publics et servaient à défrayer les hommes qui formaient la milice et à nourrir le peuple dans les temps de famine. Le reste du territoire se partageait en lots égaux; chaque ménage en recevait un plutôt en usufruit qu’en propriété; il ne pouvait ni le vendre, ni l’aliéner, ni l’augmenter. Chaque ménage se bâtissait aussi une maison de bois. Les vieillards désignaient le jour et l’heure où on devait abattre l’arbre; toujours cet arbre avait la même grandeur, et la maison, la même dimension. L’avidité de l’homme était contenue ainsi dans de justes bornes (2)<ref> Il est resté quelque chose de cet esprit. Les Slaves n’ont pas le jaloux et cupide égoïsme de la propriété, qui est une des plaies de notre Occident. On ne voit ni haies ni murs dans les campagnes; les propriétés ne sont séparées que par une bande de gazon. Ce serait un grand crime à l’homme d’y toucher; mais les animaux peuvent en manger l’herbe, et, quand les blés sont battus, les vaches broutent à la file l’étroite limite. On craint si fort d’entamer du soc ce ruban vert, que presque partout il s’est beaucoup élargi. Les terres sont en jachère tous les deux ans; elles deviennent alors communes, et chacun peut y faire pâturer librement son bétail. Les paysans observent encore les anciens rites dans la construction de leurs maisons. Si l’un d’eux, opprimé par son seigneur, s’enfuit, pas un de ses voisins ne voudra s’emparer de sa propriété; coutume d’une haute moralité qui abolit toute idée de confiscation et empêche de profiter du malheur de son prochain. Les procès sont très rares, et l’hospitalité est sans bornes. </ref>. Les Slaves voyaient d’ailleurs un péché dans la propriété; ils ne s’appropriaient jamais rien sans des rites expiatoires afin que cette impiété ne leur attirât pas malheur. Le mariage était également une souillure à leurs yeux; ils en croyaient le premier fruit frappé de malédiction, et mettaient même à mort les premiers-nés de certains animaux domestiques. Les Serbes appellent encore aujourd’hui l’aîné le premier fils du péché. Le cadet, comme le plus pur, avait la meilleure part des bénédictions paternelles; à la mort du père, il succédait à ses droits sur le domaine de famille, et, si ses frères étaient trop nombreux pour rester avec lui, ils allaient former un nouvel établissement.
 
Ainsi les Slaves couvrirent peu à peu de vastes contrés de leurs petites colonies. Ce n’était pas une conquête à main armée; c’était un progrès lent, continuel, une invasion pacifique des terres labourables. Ces camps agricoles n’étaient point unis par des intérêts communs; ils n’avaient d’autres rapports que ceux de bon voisinage. Les premiers Slaves ne surent point former d’états, ils ne se liguèrent jamais pour de grandes expéditions, ils n’élevèrent pas de monumens, ils ne composèrent point de vastes poèmes. Tout entiers aux soins de leurs champs, ils bornaient leur pensée aux limites d’un village; mais chez aucun autre peuple les villages n’eurent d’aussi belles institutions. De l’Oder au Volga, entre les tribus guerrières de la Germanie et les farouches nomades des steppes, cette partie du Nord offrait une sorte d’idylle sociale: un peuple paysan, juste, bon, paisible, en cultivait les plaines. Dans l’enceinte de la ''sloboda'' se cachait une vie fraternelle et heureuse. Les Slaves, libres, joyeux, insoucians, mêlaient leurs travaux de chants et de danses. On ne voyait parmi eux ni riches, ni pauvres; ils avaient peu de besoins, ignoraient l’ambition, et exerçaient la plus cordiale hospitalité. Quand ils allaient travailler, ils laissaient leurs maisons ouvertes pour que le voyageur pût y trouver asile et nourriture, et l’étranger qui traversait leurs campagnes était charmé de cette vie facile et gaie, de ces moeurs douces et sympathiques, de cet accueil bienveillant.
Ligne 48 :
 
Voilà donc cinq langues, cinq littératures, cinq peuples différens; mais on peut simplifier l’histoire slave. L’évènement principal en est l’antagonisme de la Russie et de la Pologne. Elles se sont disputé le sceptre de l’Europe orientale, et ont entraîné dans leur querelle les Slaves de la Bohême, du Danube et des steppes. On n’a pas encore compris ce qu’a d’implacable ce combat à outrance, cette Thébaïde séculaire. La Russie et la Pologne ne sont pas seulement deux états: ce sont deux pôles d’un même monde, deux idées contraires lancées au milieu des peuples slaves, qui gravitent tantôt vers l’une, tantôt vers l’autre. Cette dualité a des racines profondes; elle agissait déjà sans doute secrètement à l’époque d’unité confuse, où l’on ne voyait que communes partout semblables; car, aussitôt après, la langue se divise brusquement en deux dialectes, qui donnent naissance chacun à de nombreux idiomes. Chacun de ces dialectes a été déterminé et fixé par les idées politiques, morales et religieuses dont les Russes et les Polonais sont les représentans. Ainsi partout, dans la langue, dans l’alphabet même, comme dans la religion et le gouvernement, se manifeste l’hostilité qui partage le monde slave. Ce sont les causes de cette inimitié profonde, c’est ce secret de la Russie et de la Pologne qu’il nous faut pénétrer.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small>(1) Les Saxons et les Anglais se disputent l’honneur d’avoir créé le jury. Des deux côtés, on a tort. Le jury est une institution slave, que les Saxons ont adoptée très anciennement, et transportée en Angleterre. </small><br />
<small>(2) Il est resté quelque chose de cet esprit. Les Slaves n’ont pas le jaloux et cupide égoïsme de la propriété, qui est une des plaies de notre Occident. On ne voit ni haies ni murs dans les campagnes; les propriétés ne sont séparées que par une bande de gazon. Ce serait un grand crime à l’homme d’y toucher; mais les animaux peuvent en manger l’herbe, et, quand les blés sont battus, les vaches broutent à la file l’étroite limite. On craint si fort d’entamer du soc ce ruban vert, que presque partout il s’est beaucoup élargi. Les terres sont en jachère tous les deux ans; elles deviennent alors communes, et chacun peut y faire pâturer librement son bétail. Les paysans observent encore les anciens rites dans la construction de leurs maisons. Si l’un d’eux, opprimé par son seigneur, s’enfuit, pas un de ses voisins ne voudra s’emparer de sa propriété; coutume d’une haute moralité qui abolit toute idée de confiscation et empêche de profiter du malheur de son prochain. Les procès sont très rares, et l’hospitalité est sans bornes. </small><br />
 
 
Ligne 200 ⟶ 195 :
C’est après le démembrement accompli par l’Autriche, la Russie et la Prusse, que pour la première fois un bourgeois apparaît dans l’histoire de Pologne, nous voulons parler du cordonnier Kilinski. Cet homme simple exerçait une grande influence sur les chefs d’ateliers et les ouvriers, qui le savaient patriote. Lors des troubles de Varsovie, il fut mandé devant Repnin. Le prince, que chacun craignait, s’étonna de voir cet artisan se présenter à lui d’un air calme et fier. Il crut que Kilinski ignorait à qui il parlait; il entr’ouvrit son manteau, et, montrant tous ses ordres: « Regarde, dit-il, bourgeois, et tremble. - Monseigneur, répond Kilinski, je vois chaque nuit au ciel d’innombrables étoiles, et je ne tremble pas. » Quand éclata l’insurrection de Kosciusko, Kilinski fit une confession générale de ses péchés, communia avec larmes, et prit, ensuite congé de ses enfans et de sa femme, l’oeil sec et le coeur ferme. Il montra la plus grande valeur. Il a laissé des mémoires où respire sa belle ame; il cherche à atténuer ses faits d’armes; on ne surprend en lui ni haine ni esprit de vengeance; il regrette de verser le sang; il aurait seulement voulu, comme il le dit avec bonhomie, effrayer les ennemis pour les faire fuir.
 
Dans la dernière insurrection, ce furent les paysans qui se battirent le mieux. Ils accouraient de toutes parts. Un jour, on en renvoya quinze mille faute d’armes à leur donner. S’il s’était trouvé un homme pour diriger leur élan, il se fût fait des miracles. Les paysans ont pris rang dans la nation par l’enthousiasme qu’ils montrèrent alors. Les autres classes apprennent à les aimer et à les estimer depuis les services qu’ils ont rendus, et comprennent qu’ils feront désormais la plus grande force de la Pologne. Une ancienne prophétie populaire annonce qu’un jour les paysans seront rois, et ils croient eux-mêmes que cette promesse se réalisera bientôt. Lorsque Chlopicki fut élu généralissime, ils virent dans son nom (1)<ref> ''Chlop'', paysan : ''chlopicki'', paysanesque, si l’on ose ainsi dire. </ref> un heureux présage pour eux, et disaient dans leur joie naïve qu’un des leurs était enfin à la tête de la nation.
 
Ainsi la Pologne a fait depuis le démembrement un progrès important. Au lieu de n’être qu’une aristocratie dégénérée, elle est devenue une nation. Elle n’a jamais eu autant de génie, ni plus de vertu. On peut prévoir qu’elle se relèvera. Un peuple condamné à périr est toujours un peuple épuisé, et l’épreuve est salutaire quand elle ne brise pas. L’empereur de Russie semble n’être pas rassuré. Ses rigueurs redoublées trahissent des craintes. La Pologne frémit, et il sait qu’il n’a pas de plus dangereuse ennemie. Lorsqu’en 1830 arriva à Saint-Pétersbourg la nouvelle de l’insurrection, Nicolas disparut un jour entier. Ses courtisans inquiets ne pouvaient le trouver. On le découvrit enfin dans la chapelle du palais; il y avait passé plusieurs heures, seul, à genoux.
Ligne 224 ⟶ 219 :
On comprend, de ce point de vue, pourquoi les Slaves se sont tenus jusqu’à ce jour à l’écart. Leur temps n’était pas venu. Ils devaient attendre que l’humanité fût mûre pour le progrès qui va s’accomplir. Ces longs siècles pourtant n’ont pas été perdus. Les Slaves ont été exercés par beaucoup de souffrances. Aucune race n’a été ainsi flagellée. D’abord de fréquens esclavages, puis l’invasion mongole, le deuil inconsolable des Serbes, la catastrophe des Bohêmes, le martyre de la Pologne, le joug qu’appesantit sur la Russie un cruel despotisme: que de douleurs! quelles rudes expériences! Ils vont enfin recueillir les fruits de cette sévère éducation. Les peuples du Midi ont commencé l’histoire de l’Europe; les Germains ont apparu avec le christianisme; l’époque qui s’ouvre est marquée par l’avènement des Slaves.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small>(1) ''Chlop'', paysan : ''chlopicki'', paysanesque, si l’on ose ainsi dire. </small><br />
 
A. LEBRE.
<references/>
</div>