« Lettre à Rossini à propos d’Othello » : différence entre les versions

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Mais voyez un peu comme on se trompe, et comme bien souvent nos plus flatteuses conjonctures portent à faux! Ces soins minutieux, fort louables d’ailleurs, dans la mise en scène d’une oeuvre conçue selon les conditions du genre qu’on exploite aujourd’hui à l’Opéra, devaient ici parfaitement manquer leur effet; et ces pompeux décors, cette couleur locale, ces costumes de mandarin avec leur raideur empesée, tout ce solennel fatras, cet attirail gourmé se rencontrant avec le sans-gêne de votre musique et le train inégal dont elle va, devaient produire à la longue les plus singulières, tranchons le mot, les plus dérisoires discordances.
 
De cet honnête libretto, sans prétention comme sans malice, on a voulu faire absolument une comédie héroïque à la manière des poèmes de M. Scribe. A force de manipulations et de ravaudages, à force de lambeaux pris à Shakespeare et grotesquement entrelardés dans le récitatif, on s’est imaginé qu’on allait donner une raison d’être aux scènes incohérentes de la pièce italienne qui se joue, comme tous les libretti du monde, on ne sait où, en plein air, dans le vestibule d’un palais, dans une alcôve. Je vous donne à penser quelle confusion devait résulter d’un pareil amalgame. On prétend que La Fontaine, étant assis un jour au parterre du théâtre, oublia que la pièce qu’on représentait était de lui, et se mit à déblatérer sans façon contre l’auteur. Je gage qu’ici, cher maître, la même histoire vous fût arrivée. Comment, en effet, reconnaître votre musique à ce point défigurée, je ne dis pas seulement par l’exécution, qui cependant n’y va pas de main morte, mais encore par les accessoires compliqués d’un maladroit système de mise en scène qu’elle ne comportera jamais? A vrai dire, cette représentation de votre chef-d’oeuvre d’autrefois sur le théâtre de l’Opéra d’aujourd’hui me paraît une mystification dans laquelle chacun devait trouver son compte. Et d’abord, à commencer par le commencement, que vous semble de la situation de M. Habeneck et de son orchestre, réduits à jouer avec tout le sérieux imaginable, et comme ils feraient pour une symphonie de Beethoven ou l’ouverture, de ''Guillaume Tell'' l’espèce d’improvisation qu’il vous a plu jadis de mettre en tête de cette partition d’''Otello'', laquelle improvisation, soit dit entre nous, est bien l’une des plus médiocres fantaisies qui vous aient jamais passé par la cervelle, et pourrait tout aussi bien servir d’introduction au ''Noces de Gamache'', par exemple, qu’à la terrible complainte des amours du More de Venise. Mais attention ! la toile se lève. Ici commence le caractère, et du premier coup d’oeil le système musical en vigueur à l’Académie royale nous apparaît incarné dans la personne de deux hallebardiers gigantesques placés en sentinelle, et pertuisane au poing, sur les degrés du fauteuil ducal. Au lever du rideau, la scène est vide. Peu à peu cependant des groupes se forment; on va et vient, on se salue, on s’aborde, et, sous prétexte d’avoir l’air de parler de chose et d’autre, on montre au public ses habits neufs. Exorde pittoresque s’il en fut : on ne saurait être en vérité plus vénitien que cela, et Canaletti a trouvé son maître. Reste à savoir si tout cet appareil inventé après coup à répondre au ton général de l’ouvrage, et si cette couleur locale, prétentieuse et gourmée, ne semblera point ridiculement déplacée quand il s’agira d’entonner le ''viva Otello'' traditionnel et de se ranger en espalier, les ténors avec les ténors, les basses avec les basses, pour ne pas manquer les reprises, de la fameuse ''aria di bravura col pertichini''. Vous dirai-je qu’à l’Opéra le père de Desdemona se nomme Brabantio? Un patricien de la sérénissime république de Venise, aussi étoffé que l’est M. Levasseur ou M. Serda, pouvait-il raisonnablement s’appeler Elmiro? Dans tous les cas, c’est se donner de la couleur locale à bon marché; un nom de plus ou de moins ne fait rien à l’affaire, et je n’insisterais pas sur de pareils détails, si cette voie où l’on s’est engagé à plaisir n’aboutissait par momens à d’incroyables extravagances. En voici une entre autres dont vous rirez bien. A coup sûr, vous n’avez point oublié la Malibran et l’impression immense qu’elle produisait dans cette entrée du second acte où votre génie a versé le pathétique à si large mesure. S’il me fallait décrire exactement le costume qu’elle portait dans cette scène, j’avoue que je ne le pourrais guère; mais ce que je sais, c’est qu’elle y était inspirée et sublime. Elle venait là suppliante, éperdue, passionnée, en épouse qui se hâte d’accourir pour conjurer un grand malheur; et quand elle se présentait au More, les cheveux en désordre, le front haut et résolu, les yeux en larmes, c’était un effet véritablement héroïque. Or, il paraît que les poètes romantiques en train d’''illustrer'' votre ''Otello'' pour la scène, française auront changé tout cela. Au fait, cette Malibran était une écervelée qui ne savait ni composer un rôle, ni se mettre. Et que deviendrait-on, bon Dieu! si, dans la Venise des ''poètes'', dans la Venise des doges et du Rialto, des lagunes, des gondoles et des barcaroles, une fille de sang patricien pouvait ainsi se rendre à visage découvert dans le palais d’un homme, cet homme fût-il cent fois More et cent fois son mari? A nous donc la couleur locale! Vite un domino sur votre blanche épaule, ô Desdemona! et sur vos yeux un loup de satin noir! C’est pourtant ainsi que les choses se passent; c’est ainsi affublée que Mme Stoltz entre en scène dans ce passage immortalisé par les souvenirs de la Pasta et de la Malibran. Et maintenant, cher maître, répondez : eussiez-vous jamais reconnu votre Desdemona en cette échappée du bal masqué? Non, certes; vous l’eussiez bien plutôt prise pour l’héroïne d’une ballade de M. Alfred de Musset, mise en musique par feu Monpou. Il va sans dire que la situation, de grandiose et de sublime qu’elle était, tourne immédiatement au comique, ''desinit in piscem''. Ceci, remarquez-vous, passe la plaisanterie. En effet, on a multiplié si fort les coups de théâtre de ce genre, que votre musique a fini par se trouver comme dépaysée au milieu de tant de belles et magnifiques innovations. J’en suis au désespoir pour vous, cher maître; mais je vous dois la vérité : dès la quatrième scène, vous n’étiez plus à la hauteur de tout ce romantisme. Du reste, l’observation n’a échappé à personne, et le lendemain le feuilleton s’écriait que vous n’aviez jamais compris Shakespeare, et qu’il y avait là un drame bien autrement pathétique, bien autrement élégiaque et sublime, dont vous ne vous étiez seulement pas douté. Qui le conteste ? Il y a ving-huit ans (1)<ref> ''Otello'' est de 1816, l’année de ''Torvaldo e Dorliska'' et du ''Barbiere'', lequel fut écrit, comme on sait, en treize jours. </ref>, pouviez-vous donc songer à Shakespeare lorsque vous écriviez, sans vous occuper du lendemain, cette partition d’''Otello'' que l’espace d’une saison italienne devait voir naître et mourir? Pour vous, jeune homme de génie en proie à cette fièvre d’un lyrisme qui déborde, il s’agissait bien en vérité de Desdemona, d’Iago et du More; il s’agissait d’un ténor, d’une basse et d’une prima donna, voilà tout. Est-ce qu’on discute à cet âge où l’on chante; à cet âge où, pour me servir de l’expression de je ne sais plus quel grand compositeur de l’école française, on mettrait ''le Moniteur'' en musique (2)<ref> Non pas le ''Moniteur'', la ''Gazette de Hollande'', ce qui revient à peu près au même. On connaît l’aventure.- Rameau se vantait un jour au foyer de l’Opéra de pouvoir mettre toute chose en musique. « Même la ''Gazette de Hollande'', observa l’incrédule Quinault. - Oui certes, et j’en fais le pari. - Je le tiens.» - Le lendemain le poète d’''Armide'' apporte au chantre de ''Castor et Pollux'' le ''Journal de Harlem'', où se trouvaient entre autres motifs d’inspiration pour un compositeur, des tarifs de fromages et la liste des décès de la veille. Rameau s’assied au clavecin, et en moins d’une heure trouve dans tout cet amalgame de ''premiers Harlem'', de nouvelles et d’annonces, une telle musique et de tels effets, que Quinault reconnaît avoir perdu sa gageure. – Mais tout ceci ne vaut pas l’histoire du chevalier d’Alayrac, qui, dans sa joie d’avoir été décoré par l’empereur, lui proposait de mettre en musique le code civil. </ref>? Ce libretto, tout décousu qu’il est, vous paraissait sublime; vous le teniez de Barbaja; vous étiez sûr qu’une fois la partition écrite, une vaillante compagnie de chanteurs (3)<ref> La Colbrand, Davide et Nozzari.</ref> l’exécuterait aussitôt ; et, je le demande, quand on a vingt ans, du génie et le diable au corps, en faut-il davantage pour s’inspirer ? Dites, cher maître, à cette époque, saviez-vous seulement qu’un grand poète du nom de Shakespeare eût jamais existé ? Pourquoi vouloir toujours confondre la période du lyrisme et celle de la critique ? Aujourd’hui, s’il vous prenait fantaisie d’écrire un ''Otello'', sans aucun doute les choses se passeraient autrement. Au point de maturité où vous en êtes venu, l’oeuvre se formulerait complète et normale, plus grandiose en ses contours, plus reliée en ses partie, plus ''shakespearienne'' enfin, puisqu’on a dit le mot. Mais ce troisième acte, si coloré, si profond, si embaumé de toutes les langueurs, de toutes les mélancolies de l’amour italien, cette inspiration sortie toute d’un trait, ce fragment qui vaut à lui seul dix chefs-d’oeuvre, parlez, maître, le retouveriez-vous maintenant? Non. Que les choses restent ce qu’elle sont; et, pour obéir aux équivoques prétentions d’une poétique néguleuse, ne nous exposons pas à dénaturer ce qui est sublime.
 
Aussi bien, peut-être conviendrait-il de s’expliquer sur ces termes de comparaison toujours plus ou moins hyperbliques, et qui ne servent qu’à fausser le jugement. Fort souvent il m’est arrivé, au sortir d’une représentation du chef-d’oeuvre de Mozart, d’entendre des gens soutenir que Molière n’avait rien compris au type de ''Don Juan''; aujourd’hui la même chose est dite de vous à propos du ''Mort de Venise''. Ainsi, de ce que tel poète ne sera emparé en maître d’un sujet, il s’ensuivra que le musicien auquel ce sujet vient échoir deux ou trois cents ans plus tard devra nécessairement s’inspirer du poète, au risque de passer, s’il ne le fait, pour un esprit étroit et médiocre aux yeux de la critique de son temps! Mais, sans discuter ici tout ce qu’il y a de vague dans cette expression et jusqu’à quel point la poésie peut s’inspirer de la musique, la musique de la peinture, et ainsi de suite, ce qui nous mènerait trop loin, ne serait-ce point la proclamer le despotisme du génie? N’y a-t-il donc pas deux façons d’envisager une idée? Pour moi, je tiens que le ''Don Juan'' de Molière est une admirable invention, ce qui ne m’empêche pas à coup sûr de trouver celui de Mozart l’un des chefs-d’oeuvre de l’esprit humain, et cependant quoi de plus distinct que ces deux pièces, bien autrement éloignées l’une de l’autre que votre ''Otello'' ne l’est du ''More de Venise''! car vous avez, vous, votre troisième acte jeté là comme un pont sublime entre le vieux Will et vous, ce troisième acte où, malgré qu’on en dise, vous avez été shakespearien, et dans la plus puissante et la plus noble acception du mot, sans vous en douter, comme il faut l’être.
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Vous rappellerai-je sa pose inimitable et son intelligence de la situation dans la scène du ''saule'', ainsi, que ce grand secret qu’elle possédait de se draper magnifiquement à deux reprises sur sa couche, une fois pour le sommeil, l’autre pour la mort; tantôt la tête appuyée sur son bras, de manière à laisser, voir au public sa main, qu’elle avait très belle, tandis que l’autre bras descendait mollement sur sa hanche; tantôt échevelée, la tête et les bras pendant hors du lit, où reposait le reste de son corps? Mais tout cela, il faut l’avoir vu et entendu, et de pareilles choses, si elles pouvaient se décrire, cesseraient d’être ce qu’elles sont.
 
Quel, dommage que de tant de poésie d’inspiration et de style il ne reste plus rien ! Qui parle aujourd’hui de la Pasta? Oh! l’art du comédien, misère et néant ! et que l’indifférence du lendemain lui fait payer cher les trésors et les couronnes de la veille ! Il meurt, une poignée de terre, et tout est dit, quelquefois même l’oubli, pour s’emparer de sa personne, n’attend pas que la mort le lui livre. Dernièrement, aux funérailles de Seydelmann, cet autre enfant de la muse tragique que l’Allemagne ne remplacera pas, le seul acteur qui ait jamais su rendre dans ses mille nuances insaisissables cette immense figure du Méphistophélès de Goethe, aux funérailles de Seydelmann, le prêtre catholique qui assistait à la cérémonie, après avoir accompli les devoirs de son ministère et au moment de s’éloigner, prit une poignée de terre qu’il jeta sur le cercueil en signe d’adieu. Aussitôt tous les amis de Seydelmann en font autant l’un après l’autre, et ce bruit sourd et creux fut le dernier applaudissement qui salua le grand artiste. C’est effrayant comme ce siècle oublie vite et froidement, et vous voulez qu’on se souvienne d’un comédien! Je déteste les lieux-communs mais cependant, il faut bien le dire, le comédien écrit son souvenir sur le sable que le vent disperse, sur le flot qui va s’effaçant de lui-même, et quelques années ont suffi pour faire passer chez nous à l’état de mythe et de légende les noms les plus glorieux au théâtre et les plus aimés. - ''Ici, cher maître, vous, froncez le sourcil, et j’entends votre voix m’interrompre pour s’écrier, avec amertume: «La gloire du virtuose est-elle donc la seule qui, passe, et celle du maëtro vit-elle plus long-temps ? Prenons mon exemple. Depuis quinze ans que j’ai quitté la scène, combien ne s’en est-il pas élevé de ces idoles éclatantes aux pieds desquelles fument les mille encensoirs dont je m’enivrai ! Comme je remplaçai jadis, Paisiello, Zingarelli, Fioravanti, Salieri, Pavesi, Generali, Coccia, Nicolini, Paër, et ''tutti quanti'', d’autres sont venus qui m’ont remplacé, moi. J’étais seul, ils sont plusieurs; tantôt c’est le génie, tantôt sa monnaie; qu’importe au public, qui demande avant tout des sensations nouvelles, et veut, comme don Juan, se divertir pour son argent ? Ma royauté, d’autres l’ont eue, qui seront remplacés à leur tour; quant à l’engouement populaire, je me flatte de n’avoir jamais donné dans cette plaisanterie. Il fut un temps, j’en conviens, où l’on n’entendait partout dans les rues de Naples et de Milan, de Bologne et de Florence, que ''Di tunti palpiti'' et ''Languir per una bella''; mais depuis, si j’ai bonne mémoire, on a aussi beaucoup chanté Bellini, et quant à ce qu’on chante aujourd’hui, je l’ignore, m’étant arrêté à ''Casta dica''. » A cela je n’ai rien à répondre, sinon que la postérité ne s’est ouverte vous que parce que vous l’avez bien voulu. Aussi, pour vos amis d’autrefois, qui savent à quoi s’en tenir sur les résolutions de votre esprit, rien n’est curieux comme de voir tant de braves gens se démener à tout propos à cette fin de mettre le public dans vos confidences et de l’avertir que vous vous occupez décidément d’un nouveau chef-d’oeuvre. Astrologues bizarres, ces gens-là semblent n’avoir autre chose à faire que de tenir leur lorgnette braquée sur la constellation de votre génie. Le croirez-vous, cher maître? ils vous voient du matin au soir assis au pupitre et croquant des notes ni plus ni moins qu’un lauréat émérite de l’Institut; puis, à la première occasion, ils se répandent dans la ville et vont racontant partout la bonne nouvelle, et que vous destinez cette merveille à notre Académie royale de musique. En vrais prophètes qui ne doutent de rien, ils en disent même au besoin le titre. Tantôt c’est un ''Hamlet'', tantôt un ''Roméo''; vous voyez que les sujets shakespeariens ne vous peuvent manquer. Je me trompe, dernièrement ils parlaient d’une ''Jeanne d’Arc, Guillaume Tell'' les ayant sans doute avertis que le souffle de Schiller vous était bon. Mais ce que vous n’imagineriez jamais, c’est l’impatience qui les prend à l’idée que vous persistez dans l’inaction et ne tenez point compte de réaliser leurs prophéties. Il faut les entendre alors vous reprocher votre oisiveté, votre indolence, et vous démontrer en belles oraisons que le génie est un don du ciel dont nous devons un compte exact à l’humanité, et que nul n’a le droit d’enfouir sous le boisseau la plus légère étincelle du feu divin. Ainsi, vous aurez usé vingt ans de votre vie (5)<ref> A commencer, en 1810, par ''il Cambiale di Matrimonio'', et à finir, en 1829, par ''Guillaume Tell''. Si maintenant on nous demandait de combler l’espace qui s’étend entre ces deux dates, nous dirions pour épuiser la glorieuse nomenclature: en 1811, ''l’Equivoco stravagante''. - En 1812, ''Demetrio e Polibio, l’Inganno felice, Ciro in Babilonia, la Scala di Seta; la Pietra del Paragone, l’Occasione fa il ladro''. - En 1813, ''il Figlio per azzardo, Tancredi, l’Italiana in Algeri''. - En 1814, ''Aureliano in Palmira, il Turco in Italia''. - En 1815, ''Elisabetta, Siqismondo''. - En 1816, ''Torvaldo e Dorliska, il Barbiere di Siviglia'', la ''Gazetta, Otello''. - En 1817, la Cenerentola, la Gazza ladra, Armida''. - En 1818, Adelaïde di Borgogna, Mose in Egitto, Ricciardo e Zoraïde''. - En 1819, ''Ermione, Odoardo e Cristina, la Donna del Lago''. - En 1820, ''Bianca e Faliero, Maometto secondo''. - En 1821, ''Matilde di Sabran''. - En 1822, ''Zelmira''. - En 1823, ''Semiramide''. - En 1825, ''il Viaggio a Reims''. - En 1826, ''le Siége de Corinthe''. - En 1827, ''Moïse''. - En 1828, ''le Comte Ory''.> </ref> dans le travail, écrit trente partitions parmi lesquelles on nommerait au moins douze chefs-d’oeuvre, tout cela pour qu’un barbouilleur de papier, à qui manque le sujet de son feuilleton du lendemain, vienne vous contester la faculté de vous reposer à cinquante ans, et faire servir vos précieux loisirs de texte à son homélie! Écrire! et pourquoi? Quel mobile vous reste? Qui vous tentera désormais? Est-ce la gloire ou la fortune? La gloire? vous en savez le dernier mot et le néant. La fortune ? quand vous aurez agrandi votre coffre-fort, étendu vos domaines, enrichi, de trésors sans nombre votre palais de marbre de Bologne, dites, en souffrirez-vous moins du mal physique qui vous tourmente, et cet estomac (6)<ref> «Après ne rien faire, nous disait-il un jour, je ne sais pas, pour moi, de plus précieuse occupation que de manger, manger comme il faut s’entend. Ce que l’amour est pour le coeur, l’appétit l’est pour l’estomac; ''l’estomac est le maître de chapelle qui gouverne et active le grand orchestre de nos passions''; l’estomac vide me représente le basson ou la petite flûte grognant le mécontentement ou glapissant l’envie; l’estomac plein, au contraire, c’est le triangle du plaisir ou les timballes de la joie. Quant à l’amour, je le tiens pour la prima donna par excellence, pour la diva, chantant dans le cerveau ses cavatines dont l’oreille s’enivre et qui ravissent le coeur. Manger et aimer, chanter et digérer, tels sont, à vrai dire, les quatre actes de cet opéra-bouffe qu’on appelle la vie, et qui s’évanouit comme la mousse d’une bouteille de champagne; Qui la laisse échapper sans en avoir joui est un maître fou. » N’aimez-vous pas la profession philosophique, et le sensualisme musical n’aurait-il pas trouvé son Épicure? Puisque nous sommes en veine de citations, donnons encore ici le fragment d’une lettre qu’il écrivait de Rome à la Colbrand pour annoncer le succès du ''Barbiere'' à la célèbre cantatrice, qui depuis fut sa femme. « Mon ''Barbier'' gagne de jour en jour, et le drôle sait si bien, ensorceler son monde, qu’à l’heure qu’il est, les plus acharnés adversaires de la nouvelle école se déclarent pour lui. Le soir, on n’entend dans les rues que la sénérade d’Almaviva; l’air de Figaro: ''Largo i factotum'', est le cheval de bataille de tous les barytons, et les fillettes, qui ne s’endorment qu’en soupirant: ''Una voce poco fâ'', se réveillent avec: ''Lindore mio sarà''. Mais ce qui va vous intéresser bien autrement que mon opéra, chère Angélique, c’est la découverte que je viens de faire, d’une nouvelle salade dont je me hâte de vous envoyer la recette. Prenez de l’huile de Provence, de la moutarde anglaise, du vinaigre de France, un peu de citron, du poivre et du sel, battez et mêlez le tout, puis jetez-y quelques truffes, que vous aurez soin de couper à menus morceaux. Les truffes donnent à ce condiment une sorte de nimbe fait pour plonger un gourmand dans l’extase. Le cardinal secrétaire d’état, dont j’ai fait la connaissance ces jours derniers, m’a donné pour cette découverte sa bénédiction apostolique. Mais je reviens à mon ''Barbier'', etc. » - La truffe, disait-il un jour au comte Gallenberg, est le Mozart des champignons. En effet, je ne connais à don Juan d’autre terme de comparaison que la truffe; l’un et l’autre ont cela de commun, que, plus on en jouit, et plus on y trouve de charmes. » </ref>, que vous appeliez jadis si spirituellement le maître de chapelle dirigeant l’orchestre de la vie, en recouvrera-t-il sa vigueur? Quant aux ovations, et aux apothéoses, je vous soupçonne d’être un peur blasé sur ce chapitre, Ô Rembrandt de la musique! et à ceux qui croiraient vous séduire par l’espoir de nouveaux triomphes et la perspective entrevue de vos vanités satisfaites, vous pourriez leur répondre par l’histoire de ce ballet du théâtre Carcano qui s’intitulait : ''Il ritorno d’Orfeo del inferno ossia la gloria del celebre maestro Rossini'', et dans lequel on voyait Orphée évoquer Euridice du sein du Ténare en lui jouant sur la flûte la romance du ''saule''. Du reste, ces sortes de flatteries ne vous ont jamais trop tourné la tête, que je sache. Votre prédilection s’est de tout temps montrée pour les choses positives (7)<ref> Je rappellerai à ce sujet une anecdote que je tiens du marquis de Louvois, et qui peint l’homme. En 1819, l’académie de Pesaro, sa ville natale, non contente d’avoir déjà le buste en marbre du jeune maître, lui vota une statue en pied de grandeur naturelle, qu’on devait élever sur la place de l’hôtel-de-ville, afin, disait le protocole municipal, que les gens de la campagne qui viennent les mardi et vendredi de chaque semaine au marché puissent au moins contempler et admirer leur glorieux compatriote. - Et combien coûtera cette plaisanterie? demanda Rossini à l’orateur de la députation. - Mais environ douze mille francs, que le conseil vient de voter. - Écoutez, monsieur, je vais vous faire une proposition: donnez-moi la moitié de cette somme, et je m’engage à me poster deux fois par semaine, à heure fixe, sur la place du marché, de manière à ce que mes compatriotes puissent jouir amplement de ma présence et se donner du grand homme tout leur saoûl. - Notez que j’omets ici la crudité toute rabelaisienne de l’expression''. Que durent penser de leur ''cygne'', après cela, les bons habitans de Pesaro? </ref>, rebutant l’idéal non sans quelque cynisme peut-être, de sorte que, chassé de votre vie, il n’avait rien de mieux à faire que de se réfugier dans vos chefs-d’oeuvre. Que vous manque-t-il encore, à vous que les honneurs vont chercher jusque dans votre exil? Dernièrement Frédéric-Guillaume IV ne vous adressait-il pas le diplôme de chevalier de l’ordre du mérite de Prusse? Il est vrai que vous partagez cette distinction avec M. Liszt. Désormais l’heure de la philosophie a sonné pour vous. Retiré à Bologne depuis 1838, loin des passions, loin de ce gouffre du théâtre autour duquel gravitent encore dans les angoisses du succès tant de nobles intelligences qui pourraient Vivre heureuses, ''procul a Jove, procul a fulmine'', vous contemplez nos misères d’en haut, vous faites votre macaroni vous-même, et lorsque d’aventure la digestion se présente bien, le sourire sur les lèvres, la main dans le gousset, vous vous prenez à méditer sur les grandeurs humaines, ô sublime sceptique, et dites avec le roi Salomon : Tout est vain sous le soleil
 
 
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<small>(1) ''Otello'' est de 1816, l’année de ''Torvaldo e Dorliska'' et du ''Barbiere'', lequel fut écrit, comme on sait, en treize jours. </small><br />
<small> (2) Non pas le ''Moniteur'', la ''Gazette de Hollande'', ce qui revient à peu près au même. On connaît l’aventure.- Rameau se vantait un jour au foyer de l’Opéra de pouvoir mettre toute chose en musique. « Même la ''Gazette de Hollande'', observa l’incrédule Quinault. - Oui certes, et j’en fais le pari. - Je le tiens.» - Le lendemain le poète d’''Armide'' apporte au chantre de ''Castor et Pollux'' le ''Journal de Harlem'', où se trouvaient entre autres motifs d’inspiration pour un compositeur, des tarifs de fromages et la liste des décès de la veille. Rameau s’assied au clavecin, et en moins d’une heure trouve dans tout cet amalgame de ''premiers Harlem'', de nouvelles et d’annonces, une telle musique et de tels effets, que Quinault reconnaît avoir perdu sa gageure. – Mais tout ceci ne vaut pas l’histoire du chevalier d’Alayrac, qui, dans sa joie d’avoir été décoré par l’empereur, lui proposait de mettre en musique le code civil. </small><br />
<small> (4) La Colbrand, Davide et Nozzari.</small><br />
<small(5) A commencer, en 1810, par ''il Cambiale di Matrimonio'', et à finir, en 1829, par ''Guillaume Tell''. Si maintenant on nous demandait de combler l’espace qui s’étend entre ces deux dates, nous dirions pour épuiser la glorieuse nomenclature: en 1811, ''l’Equivoco stravagante''. - En 1812, ''Demetrio e Polibio, l’Inganno felice, Ciro in Babilonia, la Scala di Seta; la Pietra del Paragone, l’Occasione fa il ladro''. - En 1813, ''il Figlio per azzardo, Tancredi, l’Italiana in Algeri''. - En 1814, ''Aureliano in Palmira, il Turco in Italia''. - En 1815, ''Elisabetta, Siqismondo''. - En 1816, ''Torvaldo e Dorliska, il Barbiere di Siviglia'', la ''Gazetta, Otello''. - En 1817, la Cenerentola, la Gazza ladra, Armida''. - En 1818, Adelaïde di Borgogna, Mose in Egitto, Ricciardo e Zoraïde''. - En 1819, ''Ermione, Odoardo e Cristina, la Donna del Lago''. - En 1820, ''Bianca e Faliero, Maometto secondo''. - En 1821, ''Matilde di Sabran''. - En 1822, ''Zelmira''. - En 1823, ''Semiramide''. - En 1825, ''il Viaggio a Reims''. - En 1826, ''le Siége de Corinthe''. - En 1827, ''Moïse''. - En 1828, ''le Comte Ory''.> </small><br />
<small>(6) «Après ne rien faire, nous disait-il un jour, je ne sais pas, pour moi, de plus précieuse occupation que de manger, manger comme il faut s’entend. Ce que l’amour est pour le coeur, l’appétit l’est pour l’estomac; ''l’estomac est le maître de chapelle qui gouverne et active le grand orchestre de nos passions''; l’estomac vide me représente le basson ou la petite flûte grognant le mécontentement ou glapissant l’envie; l’estomac plein, au contraire, c’est le triangle du plaisir ou les timballes de la joie. Quant à l’amour, je le tiens pour la prima donna par excellence, pour la diva, chantant dans le cerveau ses cavatines dont l’oreille s’enivre et qui ravissent le coeur. Manger et aimer, chanter et digérer, tels sont, à vrai dire, les quatre actes de cet opéra-bouffe qu’on appelle la vie, et qui s’évanouit comme la mousse d’une bouteille de champagne; Qui la laisse échapper sans en avoir joui est un maître fou. » N’aimez-vous pas la profession philosophique, et le sensualisme musical n’aurait-il pas trouvé son Épicure? Puisque nous sommes en veine de citations, donnons encore ici le fragment d’une lettre qu’il écrivait de Rome à la Colbrand pour annoncer le succès du ''Barbiere'' à la célèbre cantatrice, qui depuis fut sa femme. « Mon ''Barbier'' gagne de jour en jour, et le drôle sait si bien, ensorceler son monde, qu’à l’heure qu’il est, les plus acharnés adversaires de la nouvelle école se déclarent pour lui. Le soir, on n’entend dans les rues que la sénérade d’Almaviva; l’air de Figaro: ''Largo i factotum'', est le cheval de bataille de tous les barytons, et les fillettes, qui ne s’endorment qu’en soupirant: ''Una voce poco fâ'', se réveillent avec: ''Lindore mio sarà''. Mais ce qui va vous intéresser bien autrement que mon opéra, chère Angélique, c’est la découverte que je viens de faire, d’une nouvelle salade dont je me hâte de vous envoyer la recette. Prenez de l’huile de Provence, de la moutarde anglaise, du vinaigre de France, un peu de citron, du poivre et du sel, battez et mêlez le tout, puis jetez-y quelques truffes, que vous aurez soin de couper à menus morceaux. Les truffes donnent à ce condiment une sorte de nimbe fait pour plonger un gourmand dans l’extase. Le cardinal secrétaire d’état, dont j’ai fait la connaissance ces jours derniers, m’a donné pour cette découverte sa bénédiction apostolique. Mais je reviens à mon ''Barbier'', etc. » - La truffe, disait-il un jour au comte Gallenberg, est le Mozart des champignons. En effet, je ne connais à don Juan d’autre terme de comparaison que la truffe; l’un et l’autre ont cela de commun, que, plus on en jouit, et plus on y trouve de charmes. » </small><br />
<small> (1) Je rappellerai à ce sujet une anecdote que je tiens du marquis de Louvois, et qui peint l’homme. En 1819, l’académie de Pesaro, sa ville natale, non contente d’avoir déjà le buste en marbre du jeune maître, lui vota une statue en pied de grandeur naturelle, qu’on devait élever sur la place de l’hôtel-de-ville, afin, disait le protocole municipal, que les gens de la campagne qui viennent les mardi et vendredi de chaque semaine au marché puissent au moins contempler et admirer leur glorieux compatriote. - Et combien coûtera cette plaisanterie? demanda Rossini à l’orateur de la députation. - Mais environ douze mille francs, que le conseil vient de voter. - Écoutez, monsieur, je vais vous faire une proposition: donnez-moi la moitié de cette somme, et je m’engage à me poster deux fois par semaine, à heure fixe, sur la place du marché, de manière à ce que mes compatriotes puissent jouir amplement de ma présence et se donner du grand homme tout leur saoûl. - Notez que j’omets ici la crudité toute rabelaisienne de l’expression''. Que durent penser de leur ''cygne'', après cela, les bons habitans de Pesaro? </small><br />
 
 
H. W.
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