« Robert et Horace Walpole » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m liens vers l'espace auteur
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 14 :
Après avoir ainsi amusé sa vie, il fallut mourir; les papiers testamentaires du collecteur renfermaient la note suivante : « On trouvera dans ma bibliothèque de Strawberry-Hill deux malles ou boîtes en ébénisterie, une grande marquée A et une petite marquée B. Je désire qu'aussitôt après ma mort, mes exécuteurs testamentaires lient fortement et cachètent avec de la cire la grande boîte marquée A, qui doit être remise aux mains de l'honorable Hugues Conway Seymour, et gardée par lui sans être ouverte ou décachetée jusqu'à l'époque où l’un des fils de lady Waldegrave, devenu lord Waldegrave, aura vingt-cinq ans; alors seulement la boîte et tout ce qu'elle contient seront remis à ce dernier comme sa propriété. Je prie en outre l'honorable Hugues Conway Seymour de signer et de donner à lady Waldegrave, au moment où la boîte en question lui sera remise, la promesse de ne point ouvrir ou décacheter cette boîte, et de la remettre au représentant de la famille Waldegrave, lorsque ce dernier atteindra sa vingt-cinquième année. La clé de cette boîte est sur une des tablettes du cabinet vert, au château de Strawberry-Hill; je désire qu'elle reste entre les mains de Laure, lady Waldegrave, jusqu'au moment où son fils deviendra propriétaire de la boîte. »
 
Dans la boite A se trouvait déposée toute l'histoire anglaise du XVIIIe siècle. Grace à ces précautions minutieusement caractéristiques, lord Holland, un des hommes de notre temps les plus dignes d'estime par leurs lumières et leurs qualités morales, est devenu, en 1822, l'éditeur de la première partie de ces mémoires posthumes, embrassant les dix dernières années du règne de George II (1)<ref> ''Memoirs of the last ten years'', etc. London, in-4°, 1828. </ref>.
 
La suite de ces mémoires vient de paraître (2)<ref> ''Memoirs of the reign of George the III'', 1845. </ref>, un peu tard assurément, mais la vérité de l'histoire n'arrive jamais trop tard. Il faut y joindre les ''Réminiscences'' du même Horace, ses délicieuses lettres, toutes semées de faits et de portraits, ses catalogues même avec la curieuse malignité de leurs notes, si l'on veut poursuivre dans son détail l'histoire secrète des règnes hanovriens, de ce que les Anglais appellent ''l'ère géorgienne (georgian era''). Comment ces tristes rois se sont-ils maintenus avec tant de succès, au milieu de tant de mépris? Quel a été le secret de leur force? Quelles ont été la valeur et l'oeuvre de leurs ministres et de leurs généraux, depuis Marlborough jusqu'au second Pitt? Si toutes ces questions ne sont pas doctrinalement résolues par Horace, s'il n'a pas cette prétention systématique dont le propre est de séduire les esprits frivoles et de leur imposer une loi qui les contente, même avec le mensonge, on trouve éparses dans tout ce qu'il a écrit des lumières bien plus importantes, des données certaines et neuves sur les caractères, les faits, les mobiles, les ressorts cachés du règne des trois George.
 
Si l'on veut établir dans ces curieux et excellens débris un ordre que l'écrivain lui-même n'a jamais cherché, on verra se dresser sur le premier plan une figure toujours présente à notre Horace, alors même qu'il veut cacher sa préoccupation. Robert, le père d'Horace, le célèbre ou plutôt le fameux ministre, est comme l'ame des ''Réminiscences''; il reparaît souvent dans la correspondance et se retrouve jusque dans cette portion des mémoires où il est question de ses successeurs, sacrifiés sans exception à son ombre irritée. Telle est la clé qu'il faut tenir en feuilletant les dix ou onze volumes qui contiennent les piquantes indiscrétions d'Horace; elle ouvre à la fois la politique anglaise du XVIIIe siècle et le vrai caractère de Robert Walpole, trop excusé par son fils, trop décrié de son vivant comme après sa mort.
Ligne 22 :
C'est assurément une énigme intéressante que ce ministre d'état qui, de 1715 à 1742, dirigea l'Angleterre, fonda le crédit financier du pays, et laissa la plus détestable réputation du monde. Sur son compte, l'histoire s'accorde; d'après le bruit public, c'était un coquin. Comment croire que le personnage qui guida cette difficile époque ait été si méprisable? Le vice peut bien entrer pour quelque chose dans l'influence exercée sur les hommes, mais non pour tout. On ne les dirige point exclusivement parce que l'on est vicieux; il faut encore être habile, ferme, courageux et même fidèle à ses amitiés; il faut surtout donner prise à l'espérance, et ne pas la tromper toujours; il faut grouper les égoïsmes, servir les intérêts, avoir enfin certaines parties de l'honnête homme, si on ne les a pas toutes. Comment donc penser que ce ministre qui gouverna un quart de siècle, qui régla le mouvement de transition si dangereux entre l'établissement nouveau de Guillaume III et la lutte avec l'Amérique, correspondit exactement avec le type bas et infâme que les contemporains nous ont légué? Ce qui est certain, c'est qu'il a donné aux finances de son pays une excellente impulsion; il a organisé la paix, il a préparé la guerre. Ce qui est clair aussi, c'est sa constante adhérence aux doctrines de Guillaume et de Marlborough. Dans une époque diffamée, où Alberoni représente l'Espagne, et Dubois la France, pourquoi donc cet homme parvint-il à être plus diffamé que tout le monde et à se soutenir plus long-temps que personne?
 
J'aime à consulter sur ce problème son propre fils, ou plutôt celui qui se croyait son fils, Horace, qui n'avait pas avec le ministre le moindre trait de ressemblance, et qui, dans son amour pour Robert, avait atteint le plus haut degré d'enthousiasme dont son ame fût susceptible. Les contemporains ne pensaient pas que le fils appartînt au père; ils expliquaient la délicatesse exquise d'Horace par la liaison intime de Carr, lord Hervey, et de lady Walpole; ils retrouvaient chez Horace l'affectation, la manière, la coquetterie, l'efféminé, le faux, qui, chez les Hervey, étaient un héritage fidèlement transmis. Ils remarquaient le peu de soin et d'amour que le ministre avait montré à son fils pendant le cours de ses études. Plus tard, ils ne manquèrent pas d'observer combien le fils s'intéressait peu à la ''sale politique''; c'est ainsi qu'il la nommait (3)<ref> ''Dirty politics''. Letters to H. Mann, 1738. </ref>.
 
Malgré tout cela, et peut-être à cause de la diversité tranchée des caractères et des humeurs, depuis le moment où Horace sortit d'Éton jusqu'à sa mort, il ne se passa guère de journées dont il ne mît de côté quelques minutes pour expliquer et justifier les actes de l'homme dont il portait le nom. Même en écrivant de la critique, des catalogues, des lettres confidentielles, des biographies, c'est toujours Robert qu'il a en vue; cette nature rusée et belliqueuse de l'homme politique exerce comme une fascination sur l'homme du monde. Partout, chez lui de page en page, vous retrouvez le ministre Robert.
Ligne 79 :
Ces manèges, ces fraudes, ces intrigues, avaient occupé l'année 1720. Ce fut en 1721 que Walpole remplaça Sunderland, et que le pouvoir, si bien gagné par la résistance, le refus, la persévérance de Robert, lui arriva enfin. Maître du whiggisme, qu'il pétrissait et dont il disposait à son gré, premier ministre du trône protestant et de la bourgeoisie aristocratique, il commença son rôle, qui consista non pas à payer des consciences et à solder des vénalités, mais d'abord à calmer la terreur panique des capitalistes, ensuite à protéger le commerce, à rassurer les capitaux, à rallier des intérêts autour du parti whig. Le roi, qui ne savait, comme le dit un jour Shippen dans les communes, ni la langue ni la constitution de l'Angleterre, laissait agir Robert, qui le mena par ses craintes et ses intérêts. « Il ne parlait pas anglais, je ne parlais ni français ni allemand; je remis mon latin à neuf comme je pus, disait Robert à son fils, et nous gouvernâmes l'Angleterre avec du latin de cuisine. »
 
Ce n'était pas là le plus difficile. Il s'agissait de gouverner une nation qui méprisait et exécrait son roi, et un roi qui abhorrait et méprisait son peuple. « George Ier, écrit le comte de Broglie au roi de France (4)<ref> Juillet 1721. </ref>, ne reçoit ni Anglais ni Anglaises. Il déteste toute la nation, qui n'est pas en reste avec lui. Pas un des serviteurs qui approchent de sa personne n'est Anglais. Il regarde le pays comme une possession temporaire, dont il faut tirer parti tant qu'elle dure, mais non point comme un héritage appartenant à lui et à sa famille. Il ne veut pas se commettre le moins du monde avec son parlement, et abandonne à Walpole le soin de toutes ces choses. Il aime mieux que cette responsabilité tombe sur la tête du ministre que sur la sienne propre. » Quelques-unes des lettres contenues dans les derniers recueils de la vaste correspondance d'Horace Walpole représentent fort bien la bizarrerie de la situation. « Le roi, dit l'une d'elles, se grise de bière avec l'honorable Mât-de-Cocagne, pendant que Robert, à trois heures du matin, debout devant la chambre des communes, rejette les Stuarts à deux cents lieues. » Il lui fallait se démêler comme il pouvait, au milieu de cette cour vénale et allemande, où l'Éléphant et le Mât-de-Cocagne dominaient tour à tour, et où le roi ne valait pas mieux que ses subordonnés. Un comte Bernsdorf, un baron Bothemar, un Robethon, pillaient à qui mieux mieux, du consentement du roi lui-même. On jugera cette cour par une anecdote qu'Horace a insérée dans ses ''Réminiscences''. « Pourquoi me demandez-vous votre congé? disait George à un chef de cuisine qui voulait retourner dans son pays. - Sire, on vole trop ici. Dans votre électorat, nous étions si économes! -Bah! bah! reprit George, c'est l'argent des Anglais; je suis riche maintenant, et à même de suffire à ces dépenses. Vole comme les autres... Et, se reprenant avec de grands éclats de rire : Fais ta part bonne, va ! ne te gêne pas. »
 
On comprend qu'un ministre dont les premières armes se sont faites en tel lieu, n'ait pas pu garder, et surtout n'ait point semblé garder une pureté immaculée; le renom de Socrate n'y eût pas résisté. Il s'en embarrassait assez peu, il faut en convenir. Il sentait que toute sa puissance serait dans l'obéissance de son parti, et il commença la double manoeuvre qui lui réussit vingt ans de suite : flatter le roi et se faire obéir des siens.
Ligne 160 :
 
Telles sont les grandes masses qu'Horace Walpole n'a pas indiquées, qui résultent de l'histoire secrète et microscopique dont il a donné les détails trop épigrammatiques de temps à autre, mais si piquans. « La postérité que j'amuserai, dit Horace dans une de ses lettres à Horace Mann, me condamnera tout en satisfaisant sa curiosité. » Pas du tout; c'est peut-être la meilleure action de sa vie. On lui sait gré d’avoir laissé des révélations neuves sur la partie la plus inconnue et la plus secrète des annales britanniques, les règnes de ces souverains nuls qui ont présidé à de magnifiques destinées, George Ier, George II et George III. Ne proscrivez pas l'histoire secrète, ne flétrissez pas cet honnête sentiment qui met en verve la plume de Saint-Simon et le stylet de Tacite. Pendant une nuit d'été, quand Néron tuait sa mère, Tacite écrivait. Plus tard, Bysance admirait sur le théâtre public l'actrice nue qui devait être son impératrice, et qui gagna le trône à la révélation de ses dons naturels; tout le monde se taisait, même les évêques, et Procope, tapi sous ses rideaux, écrivait. Dans un temps et un pays plus calmes et plus aimables, une maison de campagne ignorée cachait Saint-Simon, lorsque, pendant les dernières années de Louis XIV et sous la régence, il livrait à l'avenir le monarque et ses ministres, la ville et la cour, et traçait mille portraits burinés avec du feu. Accuser de tels peintres, c'est vouloir que la violence et la ruse, si aisément maîtresses du présent, étendent leur pouvoir sur l'avenir. Bénissez donc cette intervention de la sagacité honnête, afin que Chamillard ne passe pas définitivement pour un bon ministre, et Tartufe pour un honnête homme.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small>(1) ''Memoirs of the last ten years'', etc. London, in-4°, 1828. </small><br />
<small> (2) ''Memoirs of the reign of George the III'', 1845. </small><br />
<small>(3) ''Dirty politics''. Letters to H. Mann, 1738. </small><br />
<small>(4) Juillet 1721. </small><br />
 
 
PHILARÈTE CHASLES.
<references/>
</div>