« L’Altaï, son histoire naturelle, ses mines et ses habitants » : différence entre les versions

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{{journal|L'Altai son histoire naturelle, ses mines et ses habitants|[[Auteur:Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau|A. de Quatrefages]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.11 1845}}
 
<center> Voyage scientifique dans l’Altaï oriental et les parties adjacentes des frontières de Chine, par M. Pierre de Tchihatcheff (1)<ref> Un vol. in-4°, chez Gide, rue des Petits Augustins.</ref></center>
 
<center>Rapport sur la partie géologique de cet ouvrage, par MM. A. Brogniart, Duprenoy, Elie de Beaumont</center>
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En parlant des productions animales de la Sibérie et de l'Altaï, nous devons une mention particulière aux cousins, à ces insectes si justement désignés par l'épithète de sanguinaires. En pénétrant dans les régions boréales, le voyageur pourrait se croire à l'abri de leurs morsures. Il n'en est rien. Les cousins sont un des fléaux des vallées de l'Altaï. Dès que la température s'adoucit, aux premiers jours d'un printemps bien tardif, ils envahissent l'air par myriades, et attaquent l'homme avec fureur, comme s'ils voulaient profiter d'une proie que le ciel leur envoie si rarement. Souvent M. de Tchihatcheff se vit assailli par leurs essaims affamés, alors même que la neige et la glace craquaient encore sous ses pieds. Au reste, ces parasites, émules des mousquites des pays chauds, pénètrent jusqu'aux latitudes les plus froides. L'amiral Wrangel nous apprend qu'à Nijni-Kolimsk, trois degrés au-delà du cercle polaire, pendant les deux mois que dure l'absence des fortes gelées et qu'on y appelle l'été, le ciel est obscurci par des nuées de cousins. On ne parvient à se garantir de leurs attaques qu'en vivant au milieu d'une fumée suffocante. Triste destinée de l'homme du nord, qui rencontre auprès du pôle presque tous les fléaux des pays chauds sans la moindre compensation! Dans ces régions désolées règnent comme sur les bords du Nil les ophthalmies, le typhus, les épizooties; mais il y manque la brise du soir, si douce après une journée brûlante, les acacias avec leurs fleurs embaumées, les dattiers avec leurs fruits. Dans ces déserts de glace, il n'existe point d'oasis.
 
 
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<small> (1) Un vol. in-4°, chez Gide, rue des Petits Augustins.</small><br />
 
 
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Débarrasser la société des criminels et des gens sans aveu, remplacer par la déportation la peine de mort, si terrible, parce qu'elle est sans remède, la peine de la prison, si lourde pour l'état; ramener par le travail des hommes égarés à des idées de droiture et de moralité; créer ainsi des colonies utiles, et semer au milieu de régions désertes les germes de populations pleines d'avenir, c'est là une belle pensée. Deux peuples ont essayé de résoudre ce problème, la Russie et l'Angleterre, et si nous comparons les résultats obtenus, il faudra bien le reconnaître, l'avantage reste à la première. Nous avons vu avec quelle facilité on maintient le bon ordre en Sibérie dans les circonstances les plus propres à réveiller les passions mauvaises. Ce résultat s'explique sans peine par 'les effets de l'organisation juste et sage dont nous venons d'esquisser les principaux traits. Le tableau que présentent les colonies pénitentiaires de la Nouvelle-Hollande est bien différent.
 
Jetons avec M. Dupetit-Thouars (1)<ref> ''Voyage autour du monde sur la frégate La Vénus, pendant les années 1836, 1837, 1838 et 1839'', par Abel Dupetit-Thouars; Paris, 1841. </ref> un coup d'oeil sur l'état moral de ces contrées pendant la période de vingt-six ans écoulée de 1810 à 1836. Il résulte de documens officiels publiés par ordre du conseil de la colonie que, dans les huit premières années de cette période, le nombre des condamnations en cour criminelle a été au chiffre total de la population dans le rapport de 1 à 370. Pendant les trois années suivantes, ce rapport n'a guère varié; mais de 1821 à 1825, la proportion a été de 1 à 223; enfin de 1831 à 1835, cette proportion s'est élevée au point que le chiffre des condamnations est à celui de la population comme 1 est à 120. Il ne s'agit ici que des condamnations pour causes criminelles. D'après M. Bannister, ancien attorney général, le nombre total des condamnations prononcées par les cours de justice, en 1825, a été de 6,000 sur une population de 16,000 ''convicts'' (déportés). En 1835, le chiffre des condamnations s'est élevé à 22,000 sur une population de 28,000 ''convicts'', et dans ce nombre ne figurent pas les actions au criminel.
 
Ainsi, bien loin de s'améliorer pendant la période dont nous parlons, la population de la Nouvelle-Hollande s'est de plus en plus gangrenée. Les causes de cette démoralisation croissante, signalées avec raison par M. Dupetit-Thouars, sont multiples. Nous mettrons en première ligne avec lui l'absence de toute organisation parmi les ''convicts'', et l'introduction prématurée du jury, qui, en soumettant les criminels au jugement d'hommes qui partagent tous leurs sentimens, leur assure l'impunité. Le célèbre marin à qui nous empruntons ces détails cite à ce sujet un fait révoltant qui s'est passé à Sidney sous ses yeux. Une douzaine de ''convicts'' employés comme domestiques sur les frontières de la colonie se réunirent un jour pour traquer quelques indigènes inoffensifs qui, sur la foi des traités, habitaient le voisinage. Ils les chassèrent, et les ayant réunis dans une hutte au nombre de vingt-huit, hommes et femmes, ils les lièrent avec des cordes et les traînèrent dans les bois. Là ils allumèrent un grand feu, et y précipitèrent ces malheureux, qu'ils retenaient avec des branches d'arbre au milieu des flammes, tirant à coups de fusil et de pistolet sur ceux qui cherchaient à échapper au supplice. Cet épouvantable crime fut connu. Ses auteurs comparurent devant la cour criminelle. L'attentat fut prouvé; cependant après un quart d'heure de délibération, le jury rapporta un verdict de non culpabilité. Les assassins furent relâchés.
 
Nous trouvons indiquée dans l'ouvrage que vient de publier le capitaine Wilkes (2)<ref> ''Narrative of the United-States exploring Expedition during the years 1838, 1839, 1840, 1841 and 1842'', by Charles Wilkes; London, 1845.</ref> une autre cause bien grave de corruption pour les ''convicts'' de la Nouvelle-Hollande : c'est l'absence de toute classification parmi les condamnés. Qu'ils soient conduits en Australie pour un crime ou pour une faute légère, un sort pareil les attend. Cette confusion, contraire aux principes les plus élémentaires de la justice, a pour résultat inévitable de mettre en contact les hommes les plus pervers avec ceux qui n'étaient qu'égarés, de donner aux funestes conseils des premiers une autorité que la loi semble sanctionner d'avance.
 
Dans quelque catégorie que le déporté russe doive être classé à son arrivée en Sibérie, la loi défend expressément de séparer les mères et les enfans de leurs maris et pères, à moins que les premiers n'aient manifesté officiellement le désir de ne point partager le sort de l'exilé. A Sidney, il n'en est pas ainsi. A peine débarqués, les ''convicts'' sont soumis à un véritable triage, et le capitaine Wilkes nous apprend que presque toujours les personnes mariées, données comme ouvriers aux habitans du pays, se voient séparées brusquement. D'ordinaire les enfans à la mamelle sont transportés au dépôt de Paramatta, tandis que les mères, entraînées chez leurs maîtres, les perdent de vue pour des mois, pour des années entières, et souvent pour toujours. Les scènes qui accompagnent ces actes de violence, dit le capitaine Wilkes, sont déchirantes; on peut comprendre, mais non pas exprimer le désespoir de ces pauvres créatures. Cette conduite est aussi immorale qu'inhu¬maine. Détruire l'esprit de famille chez des êtres déjà vicieux, n'est-ce pas briser le dernier lien qui les attache à la vertu? N'est-ce pas les pousser de vive force à lutter contre des lois qui se jouent des plus intimes affections? Ici surtout, au point de vue de la régénération des ''convicts'' comme au point de vue des intérêts matériels des colonies, l'Angleterre, on en conviendra, est bien au-dessous de la Russie.
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Eh bien! qu'il en soit ainsi. Un des braves de la Pologne, s'adressant à ses compatriotes dans un de ces anniversaires où ils se réunissaient pour parler de leurs frères morts, le disait avec raison : Peut-être, aveugle instrument de la Providence, Nicolas prépare-t-il l'avenir; peut-être, en croyant servir sa vengeance et assurer le trône, des tsars, ménage-t-il à son empire ses plus redoutables ennemis. Dans les steppes de la Sibérie, sur les rives du Yeniseï, dans les vallées de l'Altaï et des Sayanes, les Polonais rencontreront les Cosaques, qui, eux aussi, eurent leurs jours de lutte, qui, eux aussi, firent trembler l'aigle moscovite dans son aire glacée. Encore quelques années, quelques siècles peut-être, car que sont les siècles dans la vie des nations? -leurs enfans se reconnaîtront pour frères; ils tendront la main aux fiers descendans de la race turque civilisés par le contact des Européens, aux paysans russes émancipés par le travail. De ces familles croisées naîtra une race énergique et intelligente, qui n'aura pas connu le servage, qui, fidèle au souvenir de ses pères, conservera comme un talisman le mot sacré de liberté. Ce peuple sera fort, car, en remuant la terre pour ensemencer ses champs, il en tirera de l'or et du fer, ces deux grands élémens de la puissance; et quelque jour la Sibérie, vengeant la Pologne, brisera ce colosse informe qui, un pied sur l'Europe, l'autre sur l'Amérique, se croit inattaquable dans ses remparts de neige et rêve la conquête du monde.
 
 
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<small>(1) ''Voyage autour du monde sur la frégate La Vénus, pendant les années 1836, 1837, 1838 et 1839'', par Abel Dupetit-Thouars; Paris, 1841. </small><br />
<small> (2) ''Narrative of the United-States exploring Expedition during the years 1838, 1839, 1840, 1841 and 1842'', by Charles Wilkes; London, 1845.</small><br />
 
 
A. DE QUATREFAGES.
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