« De la poésie lyrique en Allemagne - M. Edouard Moerike » : différence entre les versions

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{{journal|La poésie lyrique en Allemagne, Edouard Moerick|[[Auteur:Henri Blaze de Bury|Henri Blaze]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.11, 1845}}
 
<center> Edouard Moerike’s Gedichte (1)<ref> Un vol. in-18. Stuttgard et Tubingen, chez Cotta. - Paris, chez Klincksieck.</centerref>
 
 
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On sait de quel ordre d'idées naquit, vers les premières années du siècle, le mouvement romantique en Allemagne; l'étude des anciens, jointe à l'esprit critique du protestantisme, avait, sinon complètement détruit, du moins fort compromis ce que j'appellerai l'élément naïf dans la poésie. Les esprits éminens de l'époque, Tieck et Novalis à leur tète, sentirent qu'il fallait réagir, et soudain à l'antiquité on opposa le moyen-âge, à l'art réel et qui a conscience de sa force et de sa beauté l'art qui s'ignore, l'art populaire, l'art naïf. Ce fut alors l'époque des fabliaux et des légendes, l'ère du merveilleux. Les caractères humains, agissant dans un but humain et conséquent, disparurent; la nature devint un théâtre d'illusions et de fantasmagories, de scènes occultes représentées par des ombres insaisissables défilant au demi-jour d’un mystérieux crépuscule et trottant sans pesanteur au gré de leurs aspirations infinies; en un mot, le monde poétique ne fut pour un moment qu'une immense nuit de Walpürgis où la fantaisie mena sa ronde au clair de lune avec les fées, se roula dans le cristal des sources avec l'ondine et les naïades, et dans la flamme vive avec la salamandre. Que de muses charmantes ce réveil d'une mythologie si féconde attira ! et parmi celles qui s'attardèrent autour du merveilleux miroir, combien se laissèrent aller à prendre le reflet pour l'image, le moyen-âge de convention et de théorie pour le véritable, pour le moyen-âge de fait! Je ne parle pas de Tieck, qui devait, après les temps de délire, aborder par ses nouvelles un monde plus positif, d'où l'on aurait tort cependant de conclure qu'il soit homme à se faire faute, même aujourd'hui, d'une libre escapade au pays des anciens rêves. Je parle encore moins d'Uhland, esprit méthodique et sage, dont l'inspiration, en cette sphère du moyen-âge qu'elle hante volontiers, a toujours choisi la zone plus éclairée, le fond lumineux dont le profil humain se détache. Mais n'est-il pas permis de penser que des natures délicates comme l'étaient Novalis, par exemple, et ce Wackenroeder, qui se rêvait le contemporain de Raphaël, que de pareilles natures, disons-nous, durent, par l'effet de leur illuminisme, se croire pour un moment au sein même de cette existence dont le seul mirage les enivrait! A ce point de vue, tous deux sont morts à temps; au moment où l'auteur des ''Méditations d'un Solitaire cloîtré'' et le chantre aimé de ''Henri d'Ofterdingen'' quittèrent le monde, l'illusion de leur vie était en pleine efflorescence. Ce qu'il serait advenu s'ils eussent survécu à l'heure enthousiaste, on l'ignore. Peut-être auraient-ils persisté, au risque de passer pour retardataires aux yeux de la génération nouvelle; peut-être aussi se fussent-ils jetés à corps perdu dans les tendances humanitaires et le socialisme, ainsi qu'il arrive à Bettina. Trop souvent, de nos jours, le socialisme n'est qu'un romantisme qui grisonne. Toujours est-il qu'il y avait chez certains des coryphées du mouvement rétrospectif en Allemagne un élément naïf qui, même encore aujourd'hui, se perpétue. De là toute une filiation de muses gracieuses et discrètes, la plupart ignorées du monde et cultivant le germe transmis dans un coin de la Souabe ou de la Thuringe, de la Silésie ou de la Marche. Ne vous est-il jamais arrivé, en parcourant les galeries d'un château, de remarquer parmi les portraits de famille la figure élégante et douce d'un jeune homme dont l'expression mélancolique vous indique d'avance la fin prématurée? Vous descendez au jardin, et, voyant des enfans s'ébattre sur les pelouses, il vous semble reconnaître en eux quelque chose de l'air et des traits de l'aïeul adolescent. Ainsi, dans ces physionomies romantiques qui se détachent, non sans charme, sur le fond du tableau contemporain, je crois surprendre un peu du son de voix et du profil de Novalis. Pour ceux-là, nous l'avouons, les évènemens n'ont pas marché; il s'agit bien, en vérité, de tendances industrielles et de libéralisme! que leur importe l'ère constitutionnelle qui date de juillet? Parlez-leur de la source vive au fond du bois et du monde merveilleux qui l'habite, parlez-leur des rapports de l'esprit avec la nature, de cette harmonie élémentaire que le christianisme a rompue. Le poète donne à la nature un oeil spirituel pour qu'elle voie, il lui donne une bouche pour qu'elle parle, il remet l'être humain en communauté avec le soleil et la terre, avec les plantes et les bois, et souffle en nous ce sentiment d'épouvante sacrée que l'aspect du beau inspire au sage de Platon.
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L'épigramme dans le goût antique, et telle du reste que Goethe l'a restaurée, se montre aussi par moment aiguisée tant bien que mal et voulant mordre, mais plus volontiers sentimentale, comme dans ce sixain que le poète adresse à sa mère.
 
« Eh quoi ! de tant de poésies, pas une qui te soit destinée, ô ma mère! Pour te chanter, crois-moi, je suis trop pauvre ou peut-être trop riche, car toi seule, en mon sein, es tout un poème encore ''inchanté'' (2)<ref> Ein noch ''ungesungenes Lied'' ruhst du mir im Busen. </ref>, un poème que nul ne sentirait et que je garde pour me consoler lorsque mon coeur attristé se détourne du monde, et, solitaire, contemple en lui la paix durable de son immortelle partie. »
 
Une autre fois le poète, traversant un cimetière de village, s'arrête devant une sépulture délabrée. Que d'abandon et de misère! C'est à peine si quelques vieillards du pays se souviennent du nom qui fut gravé sur cette dalle, et nul, à coup sûr, n'y soupçonne un sanctuaire. Là repose la mère de Schiller, du prince des lyriques souabes. Le passant attendri cueille sur la place une églantine, et la rose sauvage devient entre ses mains le sujet d'une élégie en douze vers qui serait peut-être la meilleure épitaphe à inscrire sur la pierre de celle qui mit au monde un immortel, si pendant qu'on élève des statues au fils on pouvait s'informer encore de l'endroit où gisent les ossemens de la mère.
 
Nous en avons dit assez sur M. Édouard Moerike pour qu'on ait une idée du caractère de cet aimable esprit. Nous n'osons croire cependant que les amateurs du haut goût en littérature s'accommodent jamais d'un régime si simple, à moins que ce ne soit par contraste à l'ordinaire du jour. On nous a tant saturé le palais de genièvre et d'arack, qu'il pourrait se faire peut-être qu'un peu d'eau pure et naturelle puisée à la source voisine eût son mérite parmi nous. Inutile d'ajouter que dans tout ceci nul sentiment réactionnaire ne nous anime. En feuilletant cette infinité de publications poétiques que le libraire Cotta édite sans relâche, et qui, chose étrange, se vendent toutes plus ou moins, tant est vivace aujourd'hui encore le goût des vers dans cette Allemagne de Mme la comtesse Hahn-Hahn et de M. de Sternberg, il nous a semblé surprendre chez l'auteur de ce mince volume un romantisme doucement élégiaque, une fraîcheur native, que nous avons essayé de faire apprécier. Ici rien de titanique, de byronien. La douleur humaine, quand elle se rencontre, n'est guère qu'un soupir, qu'une larme assez rapidement séchée. Quant au cri déchirant de la conscience moderne, à ces accens sublimes qui ne résonnent que sur les lyres immortelles, demandez-les aux chantres de ''Werther'' et de ''René'', de ''Childe-Harold'' et de ''Jocelyn''. La muse dont nous parlons garde modestement la plaine et l'ombre, et si l'envie lui prend de parcourir les régions de l'air, ce n'est pas sur les ailes d'un aigle qu'elle voyage, mais sur le nuage d'Arnim et de Brentano qui l'entraîne à la chasse des elfes et des fées. Nous savons très bien que la Muse peut avoir de nos jours à remplir de plus sérieuses missions, et qu'il ne s'agit pas pour elle uniquement désormais de soupirer quelque élégie oiseuse au clair de lune, ou d'insuffler à l'aide d'une sarbacane je ne sais quelles vaporeuses silhouettes que le vent emporte. La poésie éclaire de son flambeau les plus secrets recoins de la vie des peuples; la poésie chante l'épopée du coeur, et ne se lasse pas de redire d'âge en âge l'éternelle imprécation du Prométhée humain; la poésie explore toute profondeur, tout abîme, et, comme Jésus-Christ, comme Dante, ne reculera pas devant la descente aux enfers. Bien entendu cependant qu'en explorations si solennelles l'esprit d'en haut interviendra. A Jésus-Christ lui-même la légende donne un ange pour guide; Dante, comme on sait, eut Virgile. Or, pour peu qu'on ne soit pas bien sûr d'avoir quelque génie à ses côtés, j'imagine qu'on fera toujours mieux de restreindre sa sphère. En pareil cas, le plus prudent est encore de suivre le sentier de la fantaisie et de s'en aller rêver au bois voisin; là du moins, si l'on s'égare, on a bientôt retrouvé sa voie, et le pire qui puisse arriver, c'est d'avoir perdu quelques heures.
 
 
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<small>(1) Un vol. in-18. Stuttgard et Tubingen, chez Cotta. - Paris, chez Klincksieck.</small><br />
<small>(2) Ein noch ''ungesungenes Lied'' ruhst du mir im Busen. </small><br />
 
 
HENRI BLAZE.
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