« Littérature anglaise de high life » : différence entre les versions

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<center>The New Timon, a romance of London</center>
 
Peut-être ne se rend-on pas assez compte du travail qui s'accomplit à l'heure qu'il est en Angleterre, travail profond, mais peu apparent, que l'on surprend partout et qui touche à toutes choses, à la religion, à la politique, à la société, à la littérature. En France, nous faisons un grand vacarme autour de ce que nous prétendons renverser; en Angleterre, on pourra bien ne laisser que fort peu de choses debout, mais c'est à peine si l'on entendra le bruit sourd des coups sous lesquels s'écrouleront les institutions séculaires. Nos voisins se mettent à l'oeuvre en conscience et sans charlatanisme. L'établissement du ''free trade'' et l'organisation du puseyisme sont, pour qui les comprend bien, deux phénomènes après lesquels tout ce qui pourra arriver aura perdu le droit de nous surprendre, et pourtant il ne s'est trouvé personne pour dire : Réveillez-vous, une nouvelle ère va s'ouvrir! Qu'on se figure la même chose arrivant en France; dans quel chaos de systèmes, de théories et de prédictions il faudrait se débattre! Ce que représente en Angleterre le ''free trade'' pour l'état, le puseyisme pour l'église, l'esprit d'analyse le représente pour la morale et pour la littérature. C'est un élément nouveau, tout aussi fatal à certaines fictions sociales, à certains préjugés antiques, que le rappel des ''corn-laws'' peut l'être au système protectioniste. Sans rien analyser, le moyen de causer? Là où la moitié des sujets sont défendus, le moyen, s'il vous plaît, d'écrire? De là cette disette proverbiale de causeurs, qui se laisse remarquer dans les salons de Londres; de là ce déluge de livres superficiels, trop nuls même peur être absurdes, dont les trois royaumes sont inondés depuis bientôt cinquante ans. L'Anglais a pour lui-même un peu de ce saint respect que professent les Chinois pour le céleste empereur, et il se garderait bien de jeter un regard indiscret sur les sublimes mystères de sa conscience. De ce point de vue, l'analyse lui semble une chose impertinente, ''improper'', une profanation évidemment choquante. Et au fait comment le peuple protestant par excellence, le peuple dont l'immense orgueil a toujours maintenu l'hérésie, et qui n'a jamais pu comprendre la confession, comment ce peuple admettrait-il l'esprit d'examen dans la conversation et dans les écrits? Croit-on par hasard que Byron ait été forcé de chercher un asile sur les bords de la Brenta, parce que les amours du ''Corsaire'' ou de ''Don Juan'' avaient scandalisé les prudes filles de la Grande-Bretagne-? S'il en était ainsi, combien d'autres, Moore en tête, se seraient trouvés mis au ban de cette société, qui tout au contraire les entourait de prévenances et de fêtes ! Non, le seul tort du poète de ''Lara'' consiste à avoir trop arraché de masques, trop découvert de plaies, et trop prouvé non-seulement que ce qu'on nomme la bonne société est partout fort mauvaise, mais encore qu'en Angleterre elle ne vaut pas mieux qu'ailleurs. Son crime a été l'esprit d'analyse porté à un très haut degré, et voilà précisément pourquoi nous disons qu'à l'heure qu'il est un grand travail se fait en Angleterre; c'est que Byron, s'il s'y présentait aujourd'hui, serait non-seulement possible, mais deviendrait l'objet de l'enthousiasme national. On a dit avec raison que certains écrits de romanciers célèbres, et chez nous fort goûtés du public, ne sauraient exister à Londres; mais croit-on, pour cela, que la lèpre sociale y soit moins hideuse, la corruption moins profonde : Nous ne le pensons pas. La nation anglaise ressemble, à cet égard, à certains gouvernemens absolus qui ne publient que leurs victoires, et ne constatent jamais leurs défaites; on veut bien ne se passer d'aucun des charmans petits vices dont on jouit à l'étranger, mais ce sera, comme les hypocrites de Molière, « à petit bruit; » on se permettra tout, mais à condition de n'en parler point, et, dans ce pays où les comtesses épousent des jardiniers (1)<ref> En 1767, la comtesse de R..., pairesse d'Angleterre de son propre chef, épousa un garçon jardinier qui un jour avait risqué sa place pour lui couper une fleur précieuse appartenant à son maître.</ref>, nul n'oserait écrire ''Ruy-Blas''.
 
Non-seulement l'Anglais comme il faut ne veut pas qu'on l'analyse en tant qu'individu, mais il lui répugne même que la classe à laquelle il appartient devienne le sujet d'un examen trop profond. A cet égard, on ne saurait trop reconnaître les services rendus par M. Disraëli. L'auteur de ''Coningsby'' et sir Edward Bulwer ont les premiers appliqué la loupe aux vices et aux faiblesses aristocratiques; mais il reste encore beaucoup à faire, et jusqu'ici nous ne voyons personne qui semble vouloir, dans les sphères supérieures de la société, accepter le rôle qu'a joué Dickens dans les régions infimes. Et pourtant quel sujet plus fécond, quel champ plus vaste ouvert à l'observation et à la critique? Londres est peut-être la ville la plus curieuse et la moins connue du globe. On sait autant ce qui se passe dans le monde de Madrid ou de Saint-Pétersbourg que dans la société anglaise. Et comment l'empêcher? Les étrangers, les touristes qui auraient bonne envie de ne nous rien laisser ignorer sur le compte de nos voisins, ne les connaissent point assez, tandis que les Anglais eux-mêmes, auxquels ce n'est point la connaissance qui manque, n'osent pas raconter ce qu'ils savent. La plupart des gens qui s'occupent de l'Angleterre ont le tort d'émettre à chaque instant des jugemens absolus, et n'envisagent leur sujet que d'un côté, sans jamais saisir l'ensemble. Peut-être aussi serait-ce vouloir l'impossible, car, dans ce pays de contradictions s'il en fut, il n'y a pas de maxime générale basée sur l'apparence d'un défaut ou d'une qualité qui ne soit aussitôt démentie par une qualité ou un défaut contraire. Qu'une chose se laisse assez remarquer pour qu'on la convertisse en principe, en règle, on peut dès-lors affirmer que le principe diamétralement opposé existe avec une égale force. On dit que l'Angleterre est le seul pays où les traditions aristocratiques se soient conservées sérieusement. Cela est vrai; mais c'est aussi le seul pays où la mésalliance soit presque devenue un système, et où les comédiennes épousées par des grands seigneurs soient accueillies dans le monde et à la cour. L'Anglais a une réputation de raideur universelle, et pourtant où les charlatans du continent trouvent-ils les plus faciles et les plus nombreuses dupes? où les salons les plus brillans s'ouvrent-ils devant mille intrigans chassés de Paris, de Madrid ou de Vienne? Il n'existe point d'état démocratique où la valeur personnelle soit estimée d'un aussi haut prix qu'en Angleterre, et point d'aristocratie où les titres et les distinctions produisent un effet aussi prodigieux. Indépendance et servilité, abandon et raideur, tout se trouve au même degré chez ce peuple, le plus étrange de la terre. Casanier et vagabond, l'Anglais se croirait perdu sans son coin du feu, sans son ''home'', et en même temps il ne voudrait pas de la vie, s'il ne trouvait le moyen d'en passer la moitié à courir les pays les plus lointains. On n'en finirait pas si l'on voulait énumérer tous les contrastes qui, de l'autre côté du détroit, vous étonnent, vous choquent et vous étourdissent au point que vous finissez par tout mettre sur le compte de l'excentricité. Et, lorsqu'on veut donner une idée de ce peuple à ses voisins, comment concilier tant de choses? Où saisir le fil conducteur qui vous guide à travers ce labyrinthe? Il y a cent ans que Jean-Jacques a dépeint la société parisienne, et la peinture est si vraie encore, qu'à l'heure qu'il est on n'y pourrait changer une ligne; mais personne jusqu'ici n'a rempli le même rôle vis-à-vis de l'Angleterre, et cela pour une raison fort simple. Rousseau a pu dire, en parlant de paris : «''Il faut faire comme les autres''; c'est la première maxime de la sagesse du pays. ''Cela se fait, cela ne se fait pas''; voilà la décision suprême. » En Angleterre, où tout se fait, quelle est la chose dont on pourra dire : Cela ne se fait pas? Dans la sphère politique, des faits et point de principes; dans la sphère sociale, des individus et point de type national! On le voit, la tâche n'est pas facile; aussi ne s'en acquittera-t-on bien que lorsque les Anglais eux-mêmes s'en mêleront, et que l'esprit d'analyse aura triomphé du ''cent''. Du reste, le progrès qui se fait sentir à cet égard est si grand, que nous ne croyons pas le moment fort éloigné où l'Angleterre aura ses analystes hardis et ses moralistes indiscrets, tout comme la France, sa bavarde voisine. En attendant, voici un livre dont l'anonyme auteur a conçu, sur la capitale de la Grande-Bretagne, à peu près les mêmes idées que nous : « Londres ! s'écrie-t-il, je t'ouvre mon coeur de poète; que de richesses tu offres à tous ceux qui cherchent! A d'autres les plaines et les troupeaux; chacune de tes rues contient une idylle plus vaste! Là se découvre l'intarissable source de toute poésie, source de vie et de réalité : l'homme! » Et, en effet, l'auteur inconnu de ce ''roman de Londres'' a sondé avec une merveilleuse intelligence ces profondeurs poétiques que cachent presque toujours les agitations et les magnificences d'une grande ville.
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Nous ne parlerons pas de la dernière partie du ''New Timon'', parce que, à notre sens, le poème finit lorsque lord Arden retrouve sa fille, et que l'union de Lucy avec son amant est rompue. Que Morvale se laisse convertir aux saintes vérités de la morale chrétienne, qu'il abjure la vengeance, qu'il sauve la vie même à son ennemi, et qu'à la mort d'Arden il épouse Lucy, tout cela est une espèce de hors-d'oeuvre, et diminue au lieu d'augmenter l'intérêt que nous ont inspiré les personnages du drame. La mort ne saurait détruire un fait accompli. Arden dans son tombeau ne cesse pas pour cela d'avoir causé la ruine de Calantha, et, qu'il vive ou qu'il meure, Morvale ne saurait épouser la fille du bourreau de sa sœur. Dans la prochaine édition qu'il publiera de son oeuvre, l'auteur du ''New Timon'' fera bien de retrancher la quatrième partie. Il y a des situations qui ne doivent point être précisées, des caractères qui appellent le mystère, et qui, comme l'éclair, ne jettent de grandes lueurs qu'à la condition de se perdre aussitôt dans le nuage. La plume noire de Ravenswood surnageant sur les flots est un exemple sublime de ce vague dont s'entoure la fin de certains personnages poétiques. Quand Titus a entendu le dernier soupir de Bérénice, où va la reine exilée? Vers « l'Orient désert, » ou vers ce pays de rêves que nous aimons à peupler de tant d'ombres chéries? Si elle épouse Antiochus, que nous n'en sachions rien. Bérénice demeurera toujours pour nous le plus délicieux type de l'amour sacrifié au devoir. Notre nouveau Timon a cela de commun avec l'héroïne de Racine, qu'il ne succombe pas à une nécessité fatale, mais à un arrêt prononcé par lui-même, et que, juge inflexible dans sa propre cause, il condamne là où il pouvait absoudre. Une situation analogue se reproduit dans ''Corinne''. Si Bérénice voulait être moins héroïque, si Oswald consentait à oublier une promesse, Corinne ne mourrait pas, et le fils de Vespasien ne pleurerait pas la perte de la royale Syrienne; mais à qui s'intéresserait-on? Rien n'attache comme ces luttes entre le désir et la conscience, et ces triomphes du devoir sur l'inclination. Bien que parmi les spectateurs qui s'extasient à de si hautes leçons pas un ne fût capable de les suivre, la dignité humaine y trouve son compte, et l'orgueil humain applaudit. Un sacrifice incomplet, au contraire, nous laisse froids. Que Timon reprenne le chemin de la terre natale, que Lucy meure au fond de quelque verte vallée d'Angleterre, nos sympathies les accompagneront jusqu'au bout; mais, devant l'union de ces deux êtres que sépare une pensée de délicatesse et d'honneur, il ne nous reste qu'à détourner la tête : c'est une conclusion qui nous a désagréablement surpris. La vraisemblance n'y gagne rien, et la vérité poétique y perd tout.
 
Cette critique faite, répétons-le bien, le ''New Timon'', dans ses trois premières parties, est non-seulement, comme l'annonce son titre, un ''roman de Londres'', mais encore un roman d'analyse philosophique des moins anglais et des plus distingués. Nous nous expliquons : il y a dans cet ouvrage une hardiesse de vue, une liberté d'examen, une disposition à toucher aux questions défendues, qui naguère encore eussent valu à son auteur l'ostracisme et l'anathème de la part de ses vertueux concitoyens. Voilà pour le fond. Quant aux accessoires, ils sont exclusivement anglais. La forme, le ton, la couleur, la mise en scène, tout cela est pris sur le fait, entre les Horse-Guards et Hyde-Park. Ceci nous mène droit à la question dont tout Londres s'est occupé, à savoir quel est l'auteur de ''Timon''? On a parlé de sir Edward Bulwer Lytton, on a nommé M. Smythe, quelques personnes ont opiné pour lord Howden (quoiqu'il soit question de lui dans le livre même), d'autres ont indiqué, lord John Manners, et tout le monde s'est perdu en conjectures plus ou moins absurdes. Certaines stances d'une grace aimable se laissent bien surprendre dans les premiers romans de sir Edward Lytton, notamment dans ''Paul Clifford''; mais, en fait de poème de longue haleine, nous ne connaissons guère de lui qu'une assez méchante épître en vers adressée à sa femme, et dans laquelle il s'intitulait ''l'enfant de génie à la chevelure d'or''. Il y a loin de là au ''New Timon''; en outre, ce dernier ouvrage nous paraît être d'au moins dix ans en avant des idées de sir Edward, et, par le temps où nous vivons, dix ans font époque. Quant à M. Smythe, autant vaudrait nommer l'auteur d’''Eothen''. Du reste, bien que les rapports qui peuvent exister entre le ''New Timon'' et l'auteur des ''Historie Fancies'' ne nous aient point frappé, nous soupçonnons cependant l'école à laquelle M. Smythe appartenait, il n'y a pas six mois, d'en savoir plus long que personne sur l'illustre anonyme. D'abord l'ordre d'idées est celui du parti dont M. Disraëli se prétend le chef, ensuite la phraséologie, celle qu'affecte la ''jeune Angleterre''. L'auteur de ''Coningsby'' ramène volontiers dans ses écrits une formule qui peut être du saxon très pur, mais qui ne hurle pas moins de se trouver dans la langue anglaise actuelle. Cette locution consiste à employer l'adjectif dans un sens absolu et à le transformer en substantif, ainsi que cela se pratique dans toutes les autres langues. L'Italien dit l’''infelice'', nous disons le ''malheureux''; mais jamais, depuis que l'Angleterre existe, on n'a pu dire ''the unhappy''. Cette liberté inouie (et qui, tout préjugé à part, blesse l'oreille), M. Disraëli l'a prise, et ''the religious, the houseless, the desolate'', sont des mots dont ''s'illustrent'' à chaque instant ses productions récentes. Nous l'avouons, la constante répétition de cette formule bizarre dans les pages du ''New Timon'' nous a frappé tout d'abord; puis, la complaisance avec laquelle le poète s'attache à parler de l'antique race orientale de son héros nous a paru aussi une circonstance fort suspecte; mais le portrait de sir Robert Peel n'est-il point là pour dérouter les plus habiles? Comment, en effet, supposer que l'auteur de ''Sybil'' puisse se résigner à n'injurier que si peu ''le personnage de Downing-Street'' (2)<ref> ''The gentleman in Downing-Street'', - titre d'un des chapitres de ''Sybil'' où M. Disraëli attaque avec le plus de violence sir Robert Peel. </ref>?
 
Plus d'une fois, au milieu de ces pages, il nous a semblé entendre autour de nous le brouhaha de Londres. Par-dessus l'épaule de la pâle et languissante Calantha, assise à la croisée d'une de ces jolies maisons (peut-être celle de l'auteur de ''Coninsgby'') d'où l'on découvre la Serpentine, nous voyons se dérouler le flot fashionable, foule brillante et bariolée, presse tumultueuse, joyeux pêle-mêle, bruyante cohue d'équipages et de piétons, d'amazones et de cavaliers, qui, de cinq heures à sept, tous les jours, pendant la saison, se précipite et se rue entre Apsley-House et Cumberland-Gate avec une force et une vitesse auprès desquelles notre promenade des Champs-Élysées semblerait une procession funèbre. Que de belles jeunes filles que l'on a rencontrées la veille au ''thé dansant'' de Holderness-House ou dans une loge à l'Opéra, au concert de lady Wilton, ou au bal de la duchesse de Sutherland! Lady Ailesbury à la flottante chevelure guide elle-même l'attelage microscopique de son poney-phaéton; plus loin, lady Seymour, l'indolente reine (3)<ref> Lady Seymour, petite-fille de Sheridan, portait au ''tournament'' d’Eglington le nom de ''Reine de Beauté''. </ref>, se réveille au trot d'un gentil cheval alezan. Au milieu de ce groupe rieur, lord John Manners, excellent jeune homme, beau garçon par-dessus le marché, dont la ''jeune Angleterre'' a voulu à toute force faire un homme d'état, raconte l'histoire d'un dîner fait à Greenwich; un peu plus loin s'avance, les rênes pendantes et au petit galop de son cheval, celui que dans Londres on appelle le ''vieux beau'', et que les Français s'étonneraient fort de voir désigné sous ce titre, - le duc de Wellington, « le chapeau cloué sur son front austère, sa taille raide, serrée sous les boutons de sa redingote; au dedans, du fer éprouvé par le feu, la forteresse d'un esprit inflexible. Loin de lui la richesse de certaines natures exubérantes, cette sève vitale qui déborde et nourrit l'herbe vénéneuse comme la fleur! Ses passions même obéissent à son gré; vertus et défauts sont soumis à la même discipline. S'il bout dans ses veines un sang chaleureux, du moins la raison le domine, et, s'il donne carrière à ses plaisirs jusqu'à une certaine limite, la folie lui est chose inconnue. Ne voyant jamais faux tant que l'horizon est étroit, il ne voit jamais juste si on en recule les bornes. Envisageant tout à travers d'anciennes habitudes, l'état pour lui est un camp, le monde entier une manoeuvre. Pourtant, en le comparant avec d'autres conquérans, combien ses défauts sont peu nombreux, et que son ame est pure ! Sa lèvre est froide à la vérité, mais elle ne s'est jamais ouverte à un sourire trompeur; son coeur, s'il est dur, n'est point inhumain; nulle perfidie n'est venue en aide à son ambition, nul crime n'a souillé sa gloire. L'éternel ''moi'' n'a point été sa seule règle; il s'est élevé sans un seul artifice que pût condamner l'honneur, et, s'il laisse derrière lui le nom d'un héros, ce sera en même temps celui d'un homme. »
 
Sous certains rapports, le portrait est bien touché; mais nous avouons que, pour notre part, nous aurions trouvé encore autre chose à dire des rares qualités de cet homme loyal et dépourvu de vaine gloire, qui, parlant un jour de l'arrivée de l'empereur à l'armée d'Espagne, s'écriait avec la plus noble franchise : « J'aurais mieux aimé voir arriver n'importe lequel de ses maréchaux avec dix mille hommes de plus, que Napoléon avec dix mille hommes de moins. » L'auteur de ''Timon'' a choisi aussi la position la moins favorable au duc. A la chambre des lords, avec son gilet blanc et son habit bleu, ou dans la grande galerie d'Apsley-blouse, lorsque, le cordon d'azur sur la poitrine et la jarretière au genou, il reçoit quelque membre de la famille royale, ou adresse un mot aimable à quelque belle cantatrice, on comprend à merveille que le ''iron duke'' ait pu être surnommé ''the old beau''; mais, à cheval, son dos voûté et son attitude affaissée trahissent l'âge et la fatigue.
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Autre chose est de sir Robert Peel. Le premier lord de la trésorerie n'est jamais mieux à son avantage que sur une bonne monture bien solide. Sans oser prétendre, comme une grande dame de Londres, qu'il a « l'air d'un ''gentleman farmer'' allant négocier la vente de ses blés à la ville voisine, » nous admettons volontiers que le cheval complète sa physionomie de ''country gentleman''. «Sir Robert, dit ''Timon'', ne galope guère; solidement assis, il promène partout son regard circonspecte le trot prudent de la bête trahit l'esprit prudent du maître, et ce n'est pas sans cause, car, quelque vigoureuse que soit la monture, elle s'est abattue plus d'une fois sous le poids d'un pareil cavalier. » Ceci, soit dit en passant, est fort significatif, et sent son protectioniste d'une lieue.
 
De sir Robert, la transition est toute naturelle à lord Stanley, dont les traits sont admirablement esquissés dans les lignes suivantes : «Chef brillant, puissant par boutades, franc, hautain, imprudent, Rupert (4)<ref> Allusion au caractère du prince Rupert, fils de l'électeur de Bohème, et allié de Charles Ier et de Charles II dans les guerres civiles d'Angleterre. </ref> parlementaire, la goutte et la fatigue ne peuvent détruire sa force juvénile, et, en dépit du temps, l'écolier d'Éton est là tout entier. Le premier dans la classe, le plus audacieux dans l'arène, il pioche comme Gladstone, il se bat comme Spring (5)<ref> Fameux boxeur anglais. </ref>; même au repas, ses goûts belliqueux animent tout, et l'ardeur de ses ''game cocks'' favoris est le symbole de la sienne (6)<ref> ''Game-cocks'', coqs-de-race. La maison de Derby a toujours eu du goût pour les combats de coqs, et c'est chez lord Stanley une sorte de passion héréditaire. </ref>. Voyez-le, à défaut d'adversaires, s'attaquer à ses amis; il arpente le terrain et frappe dans tous les sens, jusqu'à ce que, las à la fin de ses victoires sur ''Dan'' et ''Snob'' (7)<ref> O'Connell et Cobden.</ref>, il applique une chiquenaude sur le nez de Bob (8)<ref> Sir Robert Peel.</ref>.
 
::Plants a sly bruiser on the nose of Bob.
 
Ce digne Bob, trop son ami pour le gronder, propose d'ajourner le combat, et, espérant calmer la fougue de son condisciple, l'invite à passer sur les bancs de la haute école (9)<ref> Allusion à la pairie conférée à lord Stanley par sir Robert Peel.</ref>, Pourtant qui n'écoute, ravi, le pur saxon de son style, cette parole limpide qui décèle un coeur non moins pur, imprudent jusqu'à l'audace, mais répugnant à toute petitesse? »
 
Certes, les grands arbres du ''park'' voient passer tous les jours sous leurs ombrages bien d'autres figures historiques faites pour tenter le crayon : lord Lansdowne, lord Grey, lord Morpeth, le duc de Buckingham, le paresseux Melbourne, le spirituel Normanby, le redoutable Brougham, l'aimable Lyndhurst. - Il y aurait de quoi se composer une galerie. Et les femmes! - En Angleterre, les ''old ladies'' et les ''young - ladies'', les ''ladies'' enfin de tous les âges et de toutes les classes, s'intéressent infiniment plus à la politique et aux discussions parlementaires qu'en France. Que de fois nous avons vu à la chambre des lords la loge qui pour l'instant supplée à la galerie des pairesses, la petite loge de sir Augustus Clifford, garnie d'amazones attentives aux débats, et dont les chevaux et les grooms attendaient patiemment dans ''Palace-Yard''! Nous prévoyons tout le dédain que ceci doit exciter chez ces esprits chagrins qui font profession de n'admirer que la femme superficielle et futile, ''l'absolu féminin'', comme on dit en Allemagne; mais qu'ils se rassurent : les Anglaises ne s'occupent pas toutes de politique, et l'oisiveté élégante est presque autant en honneur à Londres qu'à Paris. Oh! si, quand le soleil jette ses rayons obliques sur l'arc de triomphe de Knightsbridge, vous voyez certaine calèche d'un goût exquis, mais sévère, prendre la route de Piccadilly à Berkeley-Square, vous pouvez bien jurer que, des deux femmes qui s'y trouvent, ni l'une ni l'autre ne se préoccupe du ''corn-bill''. Nous ne savons à quoi peut penser la belle Sarah, comtesse de Jersey, que Byron a comparée à Diane; mais à coup sûr la jeune ''lady Clem'' (autrement nommée lady Clémentina Villiers) pense à sa dernière valse ou à la prochaine réunion au palais de la reine. Blonde nymphe à la figure d'Ondine, que coiffent si bien les glaïeuls et le corail, pourquoi penserait-elle à autre chose qu'à sa beauté? pourquoi altérerait-elle la sérénité divine de son front au contact d'une pensée sérieuse? Qu'elle danse et rende amoureux tous les lords de l'Angleterre; les colibris ne peuvent être des aigles, ni les willis des Marie-Thérèse. Mais regardez ce coupé qui gagne le ''Park-Corner'' accompagné de quelques personnes à cheval. A qui ce port d'impératrice, ce front de Junon, cet oeil d'aigle, que tout le monde croit se rappeler, tant il a rayonné à travers l'histoire? C'est l'oeil fier et brillant de Canning dans la tête de sa fille, lady Clanricarde, l'héritière de son caractère et de son génie. Pour ceux-là, le but est indiqué; ils vont vers Westminster. Et cette jeune écuyère qui, entre son mari et son père, caracole à la portière de la marquise? Svelte créature à la taille souple et aux yeux bruns, dont le poignet délicat semble trop faible pour maintenir l'élan de son fougueux destrier, c'est la petite fille d'un des plus grands ministres que l'Angleterre ait jamais eus. Devant eux trottine le chef actuel des whigs, «le calme Johnny, qui fit verser le coche (10)<ref> Mot de lord Stanley à propos d'un des derniers bills proposés par lord Johooa Russell, et qui décidèrent de l'existence du cabinet whig. </ref>. » Le portrait de lord John Russell est d'une ressemblance vivante, quoique flatté en certains endroits.
 
« Fait pour commander s'il n'était trop orgueilleux pour plaire, sa renommée vous enflammerait, si ses manières ne vous glaçaient. Qu'il vous inspire de la haine ou de l'affection, peu lui importe. Il veut votre vote et se moque de votre estime. Pourtant le soleil est aussi nécessaire aux coeurs humains qu'aux blés, et un climat si froid est diabolique pour les votes. C'est ainsi que nous voyons les doctrines mûrir tous les jours, tandis que le parti brûlé par le givre s'étiole et s'éteint. Malheureux parti exténué! Nous lui avons dérobé son nourrisson le plus cher, et voilà que le ''free-trade'' pépie sur les genoux de Peel ! Mais voyez l'homme d'état lorsque ''ça chauffe'':
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Le ''New Timon'' a bien plutôt droit au nom de roman qu'à celui de poème; c'est un roman en vers, et, nous l'avons déjà dit, le vers en a souffert parfois. Le genre aussi offre des difficultés presque insurmontables. Byron avec ses corsaires et ses giaours, Scott avec ses maraudeurs et ses ménestrels, le fantastique Coleridge et l'oriental Moore ont tous eu le soin de placer leurs héros dans des milieux essentiellement poétiques. Nous répugnons à croire que le monde, si plein de conventions qu'il puisse être, soit une région inaccessible à la poésie, et que, des endroits consacrés au culte de l'élégance et du bon goût, l'idéal doive nécessairement être banni; mais on peut dire que la plupart des tentatives entreprises jusqu'ici pour marier la poésie et le roman ont avorté, si bien que, pour faire d'un des héros les plus glorieux du royaume de la fantaisie un personnage ridicule, il suffit de se l'imaginer aux prises avec les exigences de notre civilisation : transformez Lara en un gentleman du XIXe siècle, et vous aurez quelque chose comme Lugarto ou le comte de Monte-Christo. Cependant nous sommes de ceux qui ne croient pas la chose impossible, en Angleterre surtout, où la vie du monde, le ''high life'', est l'objet d'études spéciales. Que l'esprit d'analyse s'introduise une fois en Angleterre, que la liberté de discuter ''toute chose'' s'y établisse, et les élémens ne manqueront pas pour cette espèce de poème-roman dont le succès du ''New Timon'' semble avoir inauguré le règne.
 
 
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<small>(1) En 1767, la comtesse de R..., pairesse d'Angleterre de son propre chef, épousa un garçon jardinier qui un jour avait risqué sa place pour lui couper une fleur précieuse appartenant à son maître.</small><br />
<small>(2) ''The gentleman in Downing-Street'', - titre d'un des chapitres de ''Sybil'' où M. Disraëli attaque avec le plus de violence sir Robert Peel. </small><br />
<small>(3) Lady Seymour, petite-fille de Sheridan, portait au ''tournament'' d’Eglington le nom de ''Reine de Beauté''. </small><br />
<small>(4) Allusion au caractère du prince Rupert, fils de l'électeur de Bohème, et allié de Charles Ier et de Charles II dans les guerres civiles d'Angleterre. </small><br />
<small> (5) Fameux boxeur anglais. </small><br />
<small> (6) ''Game-cocks'', coqs-de-race. La maison de Derby a toujours eu du goût pour les combats de coqs, et c'est chez lord Stanley une sorte de passion héréditaire. </small><br />
<small> (7) O'Connell et Cobden.</small><br />
<small> (8) Sir Robert Peel.</small><br />
<small>(9) Allusion à la pairie conférée à lord Stanley par sir Robert Peel.</small><br />
<small>(10) Mot de lord Stanley à propos d'un des derniers bills proposés par lord Johooa Russell, et qui décidèrent de l'existence du cabinet whig. </small><br />
 
 
ARTHUR DUDLEY.
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