« Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps/07 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Zoé (discussion | contributions)
m Nouvelle page : VII. Le Barbier de Séville procès avec la Comédie-Française les auteurs et les acteurs au XVIIIe siècle <center>I – Les trois manuscrits du Barbier – La représentation et...
 
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 1 :
VII. Le Barbier de Séville procès avec la Comédie-Française les auteurs et les acteurs au XVIIIe siècle
 
 
<center>I – Les trois manuscrits du Barbier – La représentation et le compliment de clôture</center>
Ligne 6 ⟶ 5 :
Avec ''le Barbier de Séville'' Beaumarchais entre comme auteur dramatique dans la voie des grands succès et en même temps des grandes tribulations. Sa première comédie, avant de pouvoir se produire sur la scène, rencontra presque autant d'obstacles que la seconde, et subit diverses transformations dont il faut rendre compte.
 
Joué en février 1775, ''le Barbier'' avait, été composé en 1772 : c'était d'abord un opéra-comique dans le goût du temps, que l'auteur destinait aux ''comédiens'' dits ''italiens'', alors en possession de jouer ces sortes d'ouvrages (1)<ref> Ce qu'on appelait alors la Comédie-Italienne ne ressemblait ni à notre Théâtre-Italien ni à notre Opéra-Comique : c'était un théâtre mixte entre la Comédie-française et le théâtre de Nicolet. On y jouait tantôt des farces tirées du répertoire italien, tantôt des opéras-comiques beaucoup plus simplifiés que les nôtres, et qui en général sont plutôt des vaudevilles avec couplets que des compositions musicales bien compliquées. Voici du reste une affiche que j'extrais d'un numéro du ''Journal de Paris'' de 1770 qui prouvera, que même à cette époque la Comédie-Italienne alternait encore entre les farces dans le goût italien et l'opéra-comique. L'affiche est ainsi conçue: « Les comédiens italiens donneront aujourd'hui ''les Défis d’Arlequin et de Scapin'', comédie italienne; demain ''les Evènemens imprévus'' et ''Rose et Colas''. »</ref>. L’échec complet de son second drame des ''Deux Amis'' et le goût qu'il eut toujours pour les couplets jetaient Beaumarchais d'un extrême à l'autre, du genre larmoyant dans le genre chantant et bouffon. Ce qui faisait l'originalité du ''Barbier de Séville'' sous cette première forme, c'est que l'auteur des paroles était en même temps, sinon l'auteur, au moins l'arrangeur de la musique, On se rappelle que dans ses lettres de Madrid, à côte d'un dédain assez marqué pour le théâtre espagnol en général, Beaumarchais manifeste un enthousiasme très vif pour la musique espagnole, et particulièrement pour les intermèdes chantés connus sous le nom de ''tonadillas'' ou ''saynètes''. C'est le souvenir de ces tonadillas qui parait avoir donné naissance au ''Barbier de Séville''; il fut d'abord composé pour faire valoir des airs espagnols que Beaumarchais avait apportés de Madrid et qu'il arrangeait à la française. « Je fais, écrit-il à cette époque, des airs sur mes paroles et des paroles sur mes airs. » Soit que les airs espagnols de Beaumarchais n'aient point séduit les oreilles des acteurs de la Comédie-Italienne, soit qu'ils aient trouvé que la pièce sous cette forme ressemblait trop à l'opéra de Sedaine : ''On ne s'avise jamais de tout'', joué sur le même théâtre en 1761, toujours est-il que le ''Barbier de Séville'' opéra-comique fut refusé net par les comédiens italiens en 1772 (2)<ref> Le manuscrit du ''Barbier'' comédie contient plusieurs allusions à cet échec, allumions qui furent supprimées à la seconde représentation. Ainsi, dans un passage, Figaro disait : « J'ai fait un opéra-comique qui n'a eu qu'un ''quart de chute'' à Madrid. - Qu'entendez-vous par un ''quart de chute''? demandait Almaviva. - Monsieur, répondait Figaro, c'est que je ne suis tombé que devant le sénat comique du ''scénario''; ils m'ont épargné la chute entière en refusant de me jouer. » Et il débitait ensuite on des airs du ''Barbier'' opéra-comique :<br />
:: J'aime mieux être un bon barbier,<br />
:: Traînant ma poudreuse mandille<br />
:: Toul bon auteur de son métier <br />
:: Est souvent forcé de piller,<br />
:: Grapiller,<br />
:: Houspiller, etc.</ref>. Gudin, dans ses mémoires inédits, attribue ce refus à l'influence du principal acteur, Clairval, qui avait débuté dans la vie par l'état de barbier, et qui, après avoir représenté Figaro au naturel dans les boutiques de Paris, avait une antipathie invincible pour tout rôle qui lui rappelait sa première profession. Beaumarchais fut donc obligé de renoncer à faire jouer son opéra-comique. Je n'en ai retrouvé dans ses papiers que quelques lambeaux qui me portent à penser que ce n'est pas une grande perte, le talent poétique de l'auteur étant très inégal, produisant rarement deux bons couplets de suite, et son talent de musicien ne s'élevant pas non plus au-dessus d'un talent d'amateur. C'était à deux grands maîtres, Mozart et Rossini, qu'il était réservé d'ajouter le charme de la musique aux inspirations de Beaumarchais. Quant à lui, repoussé comme librettiste et arrangeur de musique espagnole, il prit le parti de transformer son opéra en une comédie pour le Théâtre-Français.
 
Le fait énoncé par Gudin, que l'auteur des paroles du ''Barbie''r était en même temps l'auteur de la musique, se trouve confirmé par un billet écrit, en date du 21 décembre 1772, par une cousine de Beaumarchais qui tenait sa maison après la mort de sa seconde femme. Elle rend compte à Julie absente de la transformation de l'opéra du ''Barbier'' en comédie, et nous donne ainsi la date précise de cette transformation : « Nous avons fait samedi, écrit-elle, un joli souper avec Préville (l'acteur de la Comédie-Française). Notre objet, ma Julie, était de lire notre pièce, qui a été trouvée d'un mérite supérieur pour le bon comique. Préville lui répond du plus grand succès. Il prend le rôle de Bartholo, Feuilly Figaro (3)<ref> La distribution des rôles indiquée ici fut modifiée à la représentation. Le rôle de Figaro fut créé non par Feuilly, niais par Préville, et le rôle de Bartholo, par Désossarts.</ref>, Mlle Doligny Rosine, Bellecourt le comte, don Basile, à notre choix, ''et nous allons rendre notre musique; le sacrifice en est fait. Ne nous en parle plus''. » Cette musique ''qu'on allait vendre'', et à laquelle Julie semble tenir beaucoup, était évidemment la musique espagnole importée et arrangée par Beaumarchais.
 
Accueilli au Théâtre-Français après avoir reçu l'approbation du censeur Marin, ''le Barbier de Séville'' allait être joué en février 1773, lorsque survient la querelle de l'auteur avec le duc de Chaulnes que nous avons déjà racontée (4)<ref> Voyez la livraison du 15 novembre 1852.</ref>. Beaumarchais est envoyé au For-l'Evêque, où il reste deux mois et demi, et la représentation du ''Barbier'' est forcément ajournée. Au sortir de prison l'auteur se préparait de nouveau à faire jouer sa pièce, lorsque tombe sur lui l'accusation criminelle intentée par le juge Goëzman : nouvel ajournement du ''Barbier de Séville''. Cependant, l'immense succès de ses mémoires contre Goëzman ayant rendu Beaumarchais très populaire, les comédiens français veulent profiter de cette circonstance. Ils sollicitent la permission de jouer la pièce, ils l'obtiennent; la représentation est annoncée pour le samedi 12 février 1774. «Toutes les loges, dit Grimm, étaient louées jusqu'à la cinquième représentation. » Alors arrive, le jeudi 10 février, un ordre supérieur qui fait cartonner les affiches et défend la représentation de la pièce. Ce jour même, 10 février, Beaumarchais publiait le dernier et le plus brillant de ses mémoires judiciaires. Comme on avait répandu le bruit que sa pièce était pleine d'allusions à son procès, il ajoute à la suite de son dernier mémoire une note où, après avoir annoncé au public la prohibition du ''Barbier de Séville'', il dément toutes les allusions qu'on lui prête et termine ainsi :
 
« Je supplie la cour de vouloir bien ordonner que le manuscrit de ma pièce, telle qu'elle a été consignée au dépôt de la police il y a plus d'un an, et telle qu'on allait la jouer, lui soit représenté, me soumettant à toute la rigueur des ordonnances, si, dans la contexture ou dans le style de l'ouvrage, il se trouve rien qui ait le plus léger rapport au malheureux procès que M. Goëzman m'a suscité, et qui soit contraire au profond respect dont je fais profession pour le parlement.
Ligne 18 ⟶ 23 :
Le fait est qu'à cette époque la comédie du ''Barbier'', composée avant le procès Goëzman, était complètement sevrée d'allusions à ce procès, et très différente sous plusieurs autres rapports du texte définitif. Quoiqu'elle n'eût sous cette première forme qu'un caractère simplement gai et n'offrit aucune généralité satirique, elle porta la peine de la réputation qu'on lui faisait d'avance, et Beaumarchais ne put obtenir qu'elle fût jouée. Bientôt les différentes missions dont nous avons parlé le conduisirent en Angleterre et en Allemagne, et il dut laisser de côté pour un temps sa comédie. Cependant il ne l'oubliait pas; les obstacles mêmes qu'elle rencontrait pour se produire le rendaient comme toujours plus obstiné à les surmonter. A son retour de Vienne, en décembre 1774, après cette captivité d'un mois qui lui donnait quelque droit à un dédommagement, il insista plus que jamais auprès de l'autorité pour la représentation de sa pièce. Les circonstances étaient favorables : le parlement Maupeou était mort depuis un mois, Louis XV n'existait plus; le manuscrit que présentait Beaumarchais était fort inoffensif; il obtint enfin la permission de faire jouer ''le Barbier''. Seulement, entre la permission obtenue et la représentation, il se mit à l'aise : on avait prohibé cette comédie pour cause de prétendues allusions qui n'y étaient pas, il se dédommagea de cette injuste prohibition en y insérant précisément toutes les allusions que l'autorité avait craint d'y trouver et qui n'y étaient pas. Il la renforça d'un grand nombre de généralités satiriques, d'une foule de quolibets plus ou moins audacieux. Il y ajouta beaucoup de longueurs, il l'augmenta d'un acte, il la surchargea enfin si complètement, qu'elle tomba à plat le jour de la première représentation.
 
Avant d'avoir pu comparer au manuscrit de la Comédie-Française le manuscrit du ''Barbier'' en cinq actes que j'ai entre les mains, et qui a servi à la première représentation, je croyais, comme on le croit généralement d'après la préface imprimée du ''Barbier'', que cette pièce avait été d'abord composée en cinq actes. C'est une erreur, le texte primitif était en quatre actes, comme le texte définitif, dont il diffère d'ailleurs beaucoup à d'autres égards. Le manuscrit du ''Barbier'' déposé aux archives de la Comédie-Française est précisément ce texte primitif dont la composition remonte à la fin de 1772; il n'est conforme ni à la pièce telle qu'elle a été jouée pour la première fois, ni à la pièce telle qu'elle a été imprimée, mais il est en quatre actes comme la pièce imprimée (5)<ref> Je dois la communication du manuscrit du Théâtre-Français, qu'il était important pour moi de pouvoir comparer au mien, à l'obligeance d'un des sociétaires de ce théâtre, M. Régnier, qui n'est pas seulement un artiste d'un talent distingué, mais qui est de plus un homme de savoir et de goût très versé dans l'histoire de la littérature dramatique, et prenant un intérêt aimable et complaisant à tous les travaux consciencieux.</small><br/>, et la date du manuscrit est fixée par la note suivante, écrite de la main de Beaumarchais sur le dernier feuillet :
 
« Je déclare que le présent ''manuscript {sic'') est parfaitement conforme à celui qui a été censuré de nouveau par M. Artaud, après l'avoir été, il y a plus d'un an, par le sieur Marin, et parfaitement conforme à celui qui est entre les mains de M. de Sartines, et sur lequel les comédiens français ont inutilement reçu déjà deux fois la permission de représenter la pièce. Je supplie monseigneur le prime de Conti de vouloir bien le conserver pour l'opposer à tout autre ''manuscript'' ou imprimé de cette pièce que l'on pourrait faire courir en y ajoutant pour me nuire des choses qui n'ont jamais été ni dans ma tête ni dans ma pièce, protestant que je désavoue tout ce qui ne sera pas exactement conforme au présent ''manuscript'',
 
«.CARON DE BEAUMARCHAIS.»
 
« A Paris, le 8 mais 177'41774. »
 
Sur la première page du même manuscrit on lit encore ces mots écrits par Beaumarchais :
Ligne 47 ⟶ 52 :
Dans le manuscrit primitif, au dénotaient du ''Barbier'', Beaumarchais faisait intervenir seulement un notaire; dans le manuscrit retouché, Beaumarchais ajoute au notaire un juge, et, n'osant pas l'appeler par son nom, il l'appelle d'abord ''un homme de loi''; puis il rature le mot ''homme de loi'' et emploie le mot espagnol ''alcade'', qui rend son idée avec moins d'inconvéniens. Enfin il établit dans sa dernière scène un dialogue entre Figaro et l'alcade, où le premier berne le second avec une rare effronterie, cette partie de la scène fut jugée trop forte et contribua à la chute du ''Barbier'' à la première représentation. Beaumarchais la supprima à la seconde, et elle ne figure pas dans le texte imprimé du ''Barbier''; mais comme Beaumarchais n'aimait pas à perdre ce qu'il jugeait bon, il reproduisit ce passage, neuf ans plus tard, en l'adoucissant un peu, dans ''le Mariage de Figaro''. C'est celui où Figaro, reconnu par Brid’oison, lui demande insolemment des nouvelles de sa femme et de son fils: « Le cadet, qui est, dit-il, un bien joli enfant, je m'en vante. » La scène était d'abord dans ''le Barbier de Séville'', à la vérité elle y était plus forte encore, rendue avec une plus grande crudité d'expressions, mais c'était au fond toujours la même scène. Après avoir été sifflée en 1775, elle passa très bien en 1784.
 
La même observation s'applique à la tirade si connue du ''Mariage de Figaro'' sur ''goddam, le fond de la langue anglaise''. Cette tirade était aussi primitivement dans ''le Barbier de Séville'', Beaumarchais l'avait ajoutée, sur son second manuscrit, dans la scène de reconnaissance entre Figaro et Almaviva; elle fut également repoussée par le public en 1775, comme trop forcée, trop voisine de la charge. Beaumarchais la retira, mais pour la reporter intrépidement dans ''le Mariage'', où elle eut beaucoup de succès, et où elle est encore en possession d'amuser le parterre. Sous l'influence du ''Barbier de Séville'' même, et par d'autres causes plus générales, le goût public, de 1775 à 1784, s'était modifié; il était devenu de moins en moins difficile sur la distinction des genres et des tons <ref> La tirade sur ''goddam'' dans ''le Barbier de Séville'' se liait au reste de la scène de la manière suivante : Figaro racontait qu'il avait voyagé en Angleterre, et il débitait ensuite sa tirade. Almaviva lui répondait : « Avec une telle science, tu pouvais courir l'Europe entière. - FIGARO. Aussi pour m'en revenir ai-je traversé la France avec beaucoup d'agrément, car je sais aussi les mots principaux de ce pays-là. » Le terrain ici devenait scabreux. Beaumarchais, après avoir montré la difficulté, l'esquivait par ces mots d'Almaviva : « Fais-moi grâce de l'érudition, achève ton histoire. – FIGARO. De retour à Madrid ? je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires; j'ai fait deux drames. - ALMAVIVA. Miséricorde! - FIGARO. Est-ce le genre ou l'auteur que votre excellence dédaigne? - ALMAVIVA. J'entends dire trop de mal du genre pour qu'il n'y ait pas quelque bien à en penser. » Cette citation suffit pour que ceux qui ont présent à la mémoire le texte imprimé du ''Barbier'' reconnaissent que dans le texte de la première représentation Beaumarchais sa mettait lui-même en scène plus directement et bravait de plus près l'allusion. Dans un autre passage, le comte rappelant Figaro, Beaumarchais taisait répondre à ce dernier : ''Ques-a-co'' (6qu'est-ce que cela?) Cette allusion à son fameux portrait de Marin fut aussi jugée trop forte en 1775. Beaumarchais retira le ''ques-a-co'', mais il le replaça encore dans ''le Mariage''. </ref>.
 
Pour compléter cette comparaison des trois textes du ''Barbier de Séville'', après avoir parlé des passages que Beaumarchais renforçait sur le manuscrit primitif et de ceux qu'il ajournait, il nous faut dire un mot de ceux qu'il fut obligé de retrancher absolument après la première représentation. L'occasion d'étudier un auteur célèbre dans l'intimité de ses procédés de composition, dans ses ratures, dans ses variantes et dans ses brouillons, se présente rarement, et c'est peut-être le moyen le plus sûr de se faire une idée juste des qualités et des défauts de son esprit.
 
Avec son parti pris de restaurer l'ancienne jovialité gauloise, Beaumarchais ne craint pas d'outrer le comique jusqu'à la farce; mais comme il veut plaire également aux esprits raffinés, et comme d'ailleurs un auteur ne se soustrait jamais complètement aux influences de son époque, il en résulte que cet ennemi déclaré de la recherche et de l'affectation dans les idées et le langage est souvent prétentieux et maniéré. Ces deux défauts en sens contraire, la prétention et la trivialité, dont on trouve encore des traces dans la charmante comédie du ''Barbier'' telle que nous la possédons, étaient bien plus saillans dans le texte de la première représentation. Pour n'en citer qu'un exemple, au début de la pièce, Almaviva, en se promenant sous les fenêtres de Rosine, disait d'abord, comme dans le texte imprimé : « Suivre une femme à Séville, quand Madrid et la cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles! Eh! c'est cela même que je fuis! » Puis il ajoutait cette phrase métaphorique alambiquée et inégale : « Tous nos vallons sont pleins de myrte, chacun peut en cueillir aisément: un seul croît au loin sur le penchant du roc, il me plaît, non qu'il soit plus beau, mais moins de gens l'atteignent. » Ce ''myrte'' et ce ''roc'' n'ayant sans doute pas eu de succès à la première représentation, Beaumarchais y renonça, et le monologue d'Almaviva gagna à cette suppression de devenir beaucoup plus naturel et plus coulant. A coté de ces passages maniérés, le manuscrit de la première représentation du ''Barbier'' en contient beaucoup d'autres où l'auteur semblait s'être proposé pour but de pousser la grosse plaisanterie aussi loin qu'elle peut aller. C'est ainsi que, dans la scène de reconnaissance entre Almaviva et Figaro, Beaumarchais ajoute d'abord au manuscrit primitif un trait qui n'y était pas : - «Je ne te reconnaissais pas, dit Almaviva à Figaro, te voilà si gros et si gras! - Que voulez-vous, monseigneur? répond Figaro. C'est la misère. » Jusqu'ici la saillie était bonne, mais l'auteur la gâtait tout de suite en la forçant, car Figaro ajoutait ceci : «Sans compter que j'ai perdu tous mes pères et mères; de l'an passé je suis orphelin du dernier. » A une plaisanterie amusante succédait une charge grossière (7)<ref> C'est une chose un peu singulière que Beaumarchais, dont on connaît maintenant les excellentes qualités comme fils et comme frère, et qui se montrera plus tard le meilleur des pères, se soit laissé entraîner, par l'intention systématique de créer un type de ''gausseur'' universel, jusqu'à mettre dans la bouche de Figaro des railleries sur un ordre de sentimens que la comédie elle-même respecte d'ordinaire. Figaro n'est point méchant, mais il entre dans le plan de l’auteur qu'il ne prendra rien au sérieux, ni la paternité ni même la maternité. De là ces scènes vraiment choquantes de ''la Folle Journée'' entre Figaro, Marceline et Bartholo, que l'on supprime, je crois, maintenant à la représentation. Si l'on peut dire que Figaro offre des points de ressemblance avec Beaumarchais, ce n'est certainement pas de ce côté-là. </ref>. Plus loin, Figaro disait : «J'ai passé la nuit gaiement avec trois ou quatre buveurs de ''mes voisines''. »
 
L'intention de raviver, en même temps que l'ancien comique, l'ancien langage, celui de Rabelais, et aussi un peu celui du théâtre de la foire, est également très marquée dans le manuscrit de la première représentation. On sait que, dans le texte imprimé du ''Barbier'', Figaro, faisant à Almaviva le portrait du vieux tuteur qui veut épouser Rosine, le peint ainsi : « C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris-pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furète, et gronde, et geint tout à la fois. » Ce portrait, avec redoublement d'épithètes, où l'imitation de Rabelais est déjà sensible, n'est qu'un fragment du portrait beaucoup plus détaillé que contenait la pièce à la première représentation, et qui est ainsi conçu : « C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris-pommelé, rasé, rusé, blasé, frisqué et guerdonné comme amoureux en baptême, à la vérité; mais ridé, chassieux, jaloux, sottin, goutteux, marmiteux, qui tousse, et crache, et gronde, et geint tour à tour. Gravelle aux reins, perclus d'un bras et déferré des jambes; le pauvre écuyer! S'il verdoie encore par le chef, vous sentez que c'est comme la mousse ou le qui sur un arbre mort; quel attisement pour un tel feu! » Le portrait de Rosine était dans ce même ton rabelaisien, qui ne se retrouvait plus guère que sur les théâtres du boulevard. Il y avait aussi des scènes où la liberté du langage était poussée fort loin, notamment une scène où Basile, consulté par Bartholo sur son mariage avec Rosine, lui récitait avec des variantes le fameux quatrain de Pibrac sur les vieillards qui épousent de jeunes femmes. Toutes ces additions ayant considérablement allongé le manuscrit primitif déjà trop long, Beaumarchais avait été conduit à y ajouter un acte en coupant le troisième en deux; mais la coupure était des plus malheureuses, et l'on s'explique très bien qu'elle ait contribué à faire tomber sa pièce à la première représentation. Le quatrième acte commençait au milieu du troisième, au moment où Rosine vient de chanter l'ariette qu'on ne chante plus aujourd'hui :
Ligne 71 ⟶ 76 :
Dans ce malheureux acte supplémentaire, Beaumarchais avait trouvé le secret de gâter la meilleure scène de toute la pièce, celle où Basile voit Bartholo, complice involontaire de la supercherie dont il doit être la victime, s'accorder avec Almaviva, Rosine et Figaro pour lui imposer silence, et s'écrie : «Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? tout le monde est dans le secret. » L'effet de cette scène si neuve, si bien amenée, si bien dialoguée, était compromis par un prolongement inutile, où Beaumarchais continuait et forçait l'imbroglio après le départ de Basile.
 
C'est avec cette physionomie, chargée, outrée, embrouillée, que ''le Barbier de Séville'' se présenta pour la première fois devant le public le 23 février 1775. Le retentissement des ''Mémoires'' contre Goëzman était encore dans toute sa force. Les obstacles qui arrêtaient depuis deux ans la représentation de la pièce avaient redoublé la curiosité. Beaumarchais était déjà en possession du privilège d'exercer sur la foule une puissance d'attraction inouïe; il y eut à sa première comédie une affluence de spectateurs qui ne devait être dépassée qu'à la seconde. «Jamais, dit Grimm au sujet du ''Barbier'', jamais première représentation n'attira plus de monde. - On ne pouvait, dit de son côté La Harpe dans sa ''Correspondance'', on ne pouvait paraître dans un moment plus marqué de faveur populaire, ni attirer un plus grand concours (8)<ref> Je vois en effet dans les registres de la Comédie-Française que la recette de la première représentation du ''Barbier'' fut de 3,367 livres, chiffre énorme pour le temps, surtout si l'on considère que ce chiffre fourni par Ia Comédie dans ses comptes avec Beaumarchais ne comprend guère que la recette de la porte. Il est encore bien inférieur aux recettes fabuleuses du ''Mariage de Figaro''; mais il dépasse déjà la recette de plusieurs des plus célèbres tragédies de Voltaire, notamment de ''Mérope'', dont la première représentation ne produisit que 3,270 livres.</ref>. »
 
L'effet produit sur ce nombreux auditoire fut un effet de déception très marquée : on s'attendait à un chef-d'œuvre. « Il est toujours difficile, écrit La Harpe à cette époque, de répondre à une grande attente. La pièce a paru un peu ''farce'', les longueurs ont ennuyé, les mauvaises plaisanteries ont dégoûté, les mauvaises mœurs ont révolté (9)<ref> La Harpe, ''Correspondance littéraire'', t. Ier, p. 99. </ref>. » Cette première impression de La Harpe, quand on la compare à celle que produit la lecture du manuscrit du ''Barbier'' tel qu'il fut d'abord représenté, semble assez exacte <ref> Grimm, que nous avons vu sévère jusqu'au dédain pour les drames de Beaumarchais, apparemment séduit par le talent et le racées des ''Mémoires'' contre Goëzman, se montre plus indulgent que La Harpe pour ''le Barbier'', non pas tel que nous l'avons aujourd'hui, mais avant qu'il eût été expurgé et remanié par l'auteur. Au moment où la pièce fut interdite une première fois, en février 1774, Grimm, en regrettant cette interdiction, annonce qu'il a lu le manuscrit. « Cette pièce, dit-il, est non-seulement pleine de gaieté et de verve, mais le rôle de la petite fille est d'une candeur et d’un intérêt charmant. Il y a des nuances de délicatesse et d'honnêteté dans le rôle du comte et dans celui de Rosine qui sont vraiment précieuses, et que notre parterre est bien loin de pouvoir sentir et apprécier. » Si ce jugement est de Grimm (10car dans la ''Correspondance'' publiée sous son nom on n'est pas toujours bien sûr que ce soit lui qui parle), si ce jugement est de lui, il est un peu bizarre, non pas qu’il ne puisse trouver de la candeur dans le rôle de Rosine, mais il y a certainement d'autres nuances aussi marquées, et ce ne sent pas précisément les nuances de ''délicatesse'' et d’''honnêteté'' qui pouvaient empêcher d'apprécier ''le Barbier de Séville''. A la vérité, Grimm parlait ainsi d’après le manuscrit primitif en quatre actes, qui vaut mieux que la pièce en cinq actes; mais le premier comme le second diffèrent notablement de la pièce imprimée, et lui sont de beaucoup inférieurs. Après l'échec de la première représentation, Grimm, toujours bienveillant pour Beaumarchais, s'en prend d'abord à l'auditoire. « Une assemblée si nombreuse et si pressée, dit-il, risque toujours d'être tumultueuse, et le mérite de la pièce, consistant surtout dans la finesse des ressorts qui lient l'intrigue, avait besoin, pour être senti, d'un auditoire plus tranquille. » Il s'en prend ensuite au jeu des acteurs, « qui n'avait pas, dit-il, l'ensemble et la rapidité qu'exige une comédie de ce genre; » enfin il fait assez équitablement la part de Beaumarchais, « qui avait eu, dit-il, la sottise de vouloir faire cinq actes d'un sujet qui n'en pouvait fournir que trois on quatre. » Et après avoir signalé la suppression d'un acte, le retranchement de scènes inutiles, de mois déplacés et d'un mauvais ton, il constate le succès de la pièce ainsi remaniée.</ref>. Beaumarchais avait trop compté sur sa popularité; il avait abusé en tous sens de sa verve, encombré sa pièce de scènes inutiles, de plaisanteries souvent grossières, qui en gâtaient tout l'agrément, et qui lui donnaient parfois les allures d'une parade. L'échec fut complet. L'auteur s'est plu à constater lui-même, ce fait, dans la préface du ''Barbier'', avec l'aisance d'un homme qui vient de faire un tour de force, et qui, du jour au lendemain, a transformé une chute en un triomphe. « Vous eussiez vu, dit-il, les faibles amis du ''Barbier'' se disperser, se cacher le visage, ou s'enfuir; les femmes, toujours si braves quand elles protègent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'aux panaches et baissant des yeux confus, les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma pièce Les uns lorgnaient à gauche en me sentant passer à droite, et ne faisaient plus semblant de me voir. Ah! Dieu! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire : Et comment avez-vous produit en nous cette illusion? car, il faut en convenir, mon ami, votre pièce est la plus grande platitude du monde. »
 
En écrivant cette spirituelle préface du ''Barbier'' remanié, qu'il intitule bravement ''comédie représentée et tombée'', Beaumarchais s'amuse aux dépens de la critique et un peu aussi aux dépens du public. Comme beaucoup d'autres enfans gâtés de la renommée, c'est surtout là où il s'est trompé qu'il tient à prouver qu'il a eu raison. Au lieu d'avouer la transformation qui est la véritable cause du succès définitif de sa pièce, il affirme avec un aplomb étourdissant qu'il n'y a presque rien changé, et que « ''le Barbier enterré'', dit-il, le vendredi est exactement le même qui s'est relevé triomphalement le dimanche. » C'est tout au plus s'il reconnaît que, « ne pouvant se soutenir en cinq actes, il s'est mis en quatre pour ramener le public. » La vérité est que tout ce qui fait aujourd'hui l'agrément du ''Barbier'', tel que nous l'avons, se trouvait bien dans la pièce à la première représentation, mais s'y trouvait mélangé à une quantité énorme de défauts qui expliquent parfaitement la sévérité du public. Beaumarchais plaçait mal son amour-propre : il voulait faire passer pour l'effet d'une cabale ou d'un caprice du parterre ce qui n'avait été qu'un acte de justice, et il ne songeait point à faire valoir son véritable mérite, mérite rare et dont il y a, je crois, peu d'exemples au théâtre. Il n'est pas commun, en effet, devoir un auteur dramatique ramasser une pièce justement tombée, et en vingt-quatre heures, du jour au lendemain, lui faire subir une véritable métamorphose, refondre deux actes en un, transposer des scènes, faire disparaître tout ce qui est louche ou confus dans les situations et dans l'intrigue, supprimer toutes les longueurs, élaguer ou relever tout ce qui est trivial ou plat dans le dialogue, et transformer ainsi, presque à la minute, un ouvrage médiocre en une production charmante, pleine de mouvement et de verve, où l'intérêt va toujours croissant, et dont La Harpe dit avec raison, dans son ''Cours de littérature'', que c'est le ''mieux conçu'' et le ''mieux fait'' des ouvrages dramatiques de Beaumarchais. ''Le Barbier'' est en effet mieux ''composé'' que ''le Mariage de Figaro'', dont les deux derniers actes renferment beaucoup de longueurs, et ne se soutiennent que par des jeux de scène et des jeux d'esprit.
Ligne 87 ⟶ 92 :
Quoi qu'il en soit, ''le Barbier'', tombé à la première représentation, relevé et rajusté par l'auteur, eut un plein succès à la seconde. On y reconnut une restauration originale de l'ancienne comédie d'intrigue, rajeunie, agrandie, renouvelée, et les sifflets de la veille se changèrent en applaudissemens. « J'étais hier, écrit le 27 février 1775 Mme Du Déffant, j'étais hier à la comédie de Beaumarchais, qu'on représentait pour la seconde fois; à la première, elle fut sifflée; pour hier, elle eut un succès extravagant; elle fut portée aux nues; elle fut applaudie à tout rompre: » Nous devons avouer que Mme Du Deffant ajoute : « Rien ne peut être plus ridicule; cette pièce est détestable... Ce Beaumarchais, dont les ''Mémoires'' sont si jolis, est déplorable dans sa pièce du ''Barbier de Séville''. » Le jugement de Mme Du Deffant ne fut pas ratifié par le public. Du reste, le goût dédaigneux et blasé de la spirituelle correspondante d'Horace Walpole n'était pas très apte à apprécier un genre de comique aussi franc, aussi dégourdi que celui du ''Barbier'', et Beaumarchais pouvait se consoler de n'être point apprécié par elle, car dans la lettre qui suit celle que nous venons de citer, elle ajoute encore ceci : «''L’''Orphée'' de M. Gluck, ''le Barbier de Séville'' de M. de Beaumarchais, m'avaient été extrêmement vantés; on m'a forcée à les voir, ils m'ont ennuyée à la mort. » On voit qu'il n'était vraiment pas facile d'intéresser Mme Du Deffant. Le parterre, qui n'avait point, comme elle, la maladie de l'ennui, se montra beaucoup moins rétif, et, à partir de la seconde représentation, ''le Barbier'' ne cessa d'attirer la foule jusqu'à la clôture de la saison d'hiver, c'est-à-dire jusqu'au 29 mars 1775.
 
On sait qu'il était d'usage autrefois de fermer chaque année les théâtres et spécialement le Théâtre-Français pendant trois semaines, à partir de la Passion jusqu'après la Quasimodo. Il était d'usage aussi au Théâtre-Français qu'à la dernière représentation qui précédait cette clôture, un des acteurs vint sur la scène adresser au public un beau discours qu'on appelait le ''compliment de clôture'' (11)<ref> Ces discours adressés chaque année au public étaient quelquefois assez étranges. Grimm en cite un où l'acteur Florence disait au parterre : « Messieurs, le goût se conserve parmi vous comme les prêtresses de Vesta conservaient le feu sacré. » Le parterre, qui n'était pas composé de vestales, rit beaucoup de la comparaison. Après 89, les acteurs profitaient quelquefois de l'occasion pour débiter des tirades politiques et patriotiques.</ref>. Beaumarchais, amateur de l'innovation en toutes choses, eut l'idée de remplacer ce discours ordinairement majestueux par une sorte de proverbe en un acte qui fut joué, avec les costumes du ''Barbier'', aux représentations de clôture de 1775 et de 1776. Ce compliment dialogué ne se trouve plus dans les archives de la Comédie-Française, mais il a été conservé dans les papiers de Beaumarchais, écrit tout entier de sa main et copié en double avec une feuille contenant la distribution des rôles. Je ne m'explique pas comment Gudin n'a pas fait figurer ce travail dans l'édition désœuvrés de son ami; il a sans doute échappé à ses recherches, car ce n'est rien moins qu'une petite comédie en un acte dont l'idée est assez originale et dont le dialogue offre toutes les qualités de l'auteur du ''Barbier de Séville''. Ne pouvant reproduire ici en entier ce petit proverbe, joué, mais resté inédit, nous le ferons du moins connaître par des citations assez nombreuses. Voici d'abord ce qui me parait lui avoir donné naissance. En introduisant au Théâtre-Français une pièce d'un comique aussi haut en couleur que ''le Barbier'', Beaumarchais avait voulu briser les entraves un peu étroites dans lesquelles on enfermait alors ce théâtre, auquel on interdisait, au nom du ''bon ton'' et de la ''bonne compagnie'', toute pièce rappelant plus ou moins l'ancienne comédie d'intrigue. On permettait bien aux farces ingénieuses de Molière, comme ''les Fourberies de Scapin'' ou ''Pourceaugnac'', de reparaître de temps en temps sur la scène, parce qu'elles étaient de Molière, et qu'après tout, ces farces charmantes ayant amusé Louis XIV et sa cour, on n'osait pas se déclarer plus difficile que le grand roi; mais il était interdit aux auteurs vivans de marcher, même de loin, sur les traces du maître. Et comme le Théâtre-Français avait seul le droit de jouer la comédie proprement dite, il n'y avait presque pas de nuances intermédiaires entre les farces grossières du boulevard et le genre de comédie qui florissait alors, genre un peu froid, guindé et maniéré, sans être plus moral quant au fond des idées et des situations. On a vu avec quelle impétuosité déréglée Beaumarchais avait d'abord tenté d'abolir cette scrupuleuse distinction des genres par une comédie beaucoup trop chargée, dont les défauts avaient justement choqué le public, et comment, après l'avoir considérablement retouchée, il l'avait fait accepter et triompher, bien qu'elle offrit encore des nuances très fortes, dépendant cela ne suffisait pas à l'auteur du ''Barbier''; il ne lui suffisait pas de restaurer au Théâtre-Français un peu de la vive gaieté d'autrefois et de faire applaudir à outrance par le parterre les éternuemens de Dugazon dans le rôle du vieux valet La Jeunesse. Il voulait plus encore : il voulait non-seulement qu'on rit à gorge déployée; mais qu'on chantât sur le théâtre de MM. les comédiens ordinaires du roi. Ceci était énorme et essentiellement contraire, disait-on, à la dignité de la Comédie-Française. Néanmoins, comme Beaumarchais ne renonçait pas facilement à ce qu'il voulait, on avait essayé, pour lui plaire, de chanter à la première représentation les airs qu'il avait placés dans ''le Barbier''; mais, soit que les acteurs s'acquittassent mal de ce labeur inaccoutumé, soit que le public ne goûtât pas cette innovation, tous les airs avaient été impitoyablement siffles (12)<ref> Excepté le couplet grotesque chanté par Bartholo au troisième acte, qui fut conservé.</ref>, et il avait fallu les supprimer à la reprise de la pièce. Il en était un cependant auquel Beaumarchais tenait beaucoup, c'était le fameux air de Rosine au troisième acte : ''Quand dans la plaine'', etc. L'aimable actrice qui avait créé le rôle de Rosine, Mlle Doligny <ref> C'était la même actrice qui huit ans auparavant avait créé le rôle d'Eugénie. Beaumarchais lui réservait le rôle de la comtesse Almaviva dans ''le Mariage de Figaro'', lorsqu'elle se retira du théâtre en 1788, laissant le souvenir d'un talent plein d'agrément et (13ce qui était rare alors, sans être devenu très commun aujourd'hui) le souvenir d’une moralité irréprochable, confirma par tous les témoignages contemporains. On sait que c'est pour avoir opposé un peu brutalement la sagesse de Mlle Doligny aux légèretés de Mlle Clairon que l'austère Fréron fut envoyé en 1765 au For-l'Évêque. Beaumarchais avait beaucoup d'estime et d'affection pour Mlle Doligny, dont j'ai retrouvé quelques lettres. Ces lettres sont d'un ton distingué, et confirment très bien l'idée qui est restée d'elle. Le ton de Beaumarchais est d'un ami affectueux, enjoué et sans aucune nuance de galanterie. Cette charmante actrice épousa un littérateur estimable, M. Dudoyer. </ref>, peu habituée à chanter en public et encore moins habituée à être sifflée, refusait absolument de recommencer l'expérience, et Beaumarchais avait dû se résigner au sacrifice de son air; mais en toutes choses il ne se résignait jamais que provisoirement. Aux approches de la représentation de clôture, il proposa aux comédiens de rédiger pour eux, sous forme de scènes, un compliment de clôture original et amusant, mais à une condition, c'est qu'on chanterait son fameux air intercalé dans le compliment en question, qui devait être joué par tous les acteurs du ''Barbier''. Comme Mlle Doligny se refusait toujours à le chanter et comme Beaumarchais aurait craint de la blesser en faisant figurer dans sa petite pièce une autre Rosine, il y supprima le rôle de Rosine et le remplaça par l'intervention en personne d'une autre actrice plus hardie et qui chantait très bien, Mlle Luzzi (14)<ref> Mlle Luzzi était en 1775, une fort jolie soubrette douée de talens très variés, car en même temps qu'elle jouait la comédie fort agréablement, elle chantait et dansait au besoin. Un jour même qu'on manquait de tragédiennes, elle joua avec Lekain dans ''Tancrède'' le rôle d'Aménaïde, s'en tira très bien et eut beaucoup de succès.</ref>.
 
Pour comprendre cette petite comédie, qui fait suite au ''Barbier'', il faut donc se figurer que nous sommes arrivés à la représentation de clôture du 29 mars 1775. On vient de jouer ''le Barbier'' pour la treizième fois. Au moment où le public s'attend à voir, suivant l'usage ordinaire, arriver sur la scène en habit de ville un des acteurs chargés de lui dire adieu en termes solennels au nom de la Comédie-Française, la toile se lève, et le gros Desessarts, avec le costume du rôle de Bartholo qu'il vient de jouer, apparaît dans l'attitude du désespoir.
Ligne 95 ⟶ 100 :
BARTHOLO (Desessarts), seul, se promenant un papier à la main. - La toile se lève. Il parle à la coulisse.
 
Rougeau! Renard (15)<ref> Ce sont sans doute les deux machinistes du théâtre.</ref>! ne lovez pas la toile encore, mes amis, je ne suis pas prêt... Diable d'homme aussi, qui nous promet un compliment pour la clôture, qui nous tient le bec à l'eau jusqu'au dernier jour, et, quand on doit le prononcer, il faut que je le fasse, moi... « Messieurs, si votre indulgence ne rassurait pas un peu mon génie alarmé... » Je ne ferai jamais ce compliment-
là... « Messieurs, votre critique et vos applaudissemens nous sont également utiles, en ce que... » La peste soit de l'homme! « Messieurs... pour bien rendre ce que je sens, il faudrait... il faudrait... » Ah ! pour bien faire, il faudrait que ce compliment eût quelque rapport à l'habit dans lequel je dois le débiter; voyons : « Messieurs, de même que les médecins entreprennent tous les malades, mais ne guérissent pas toutes les maladies... » Qu'une bonne fièvre putride eût pu le saisir au collet, auteur de chien, perfide auteur!... « entreprennent tous les malades, mais ne guérissent pas toutes les maladies... de même les comédiens hasardent toutes les pièces nouvelles, sans être sûrs que la réussite... » Ah! je sue à grosses gouttes et je ne fais rien qui vaille... « Messieurs... messieurs...»
 
Ligne 217 ⟶ 222 :
FIGARO. - Fi donc! trembler! Mauvais calcul, mademoiselle...
 
Mlle LUZZI. - Eh bien! vous n'achevez pas votre petit calembour : la peur du mal et le mal de la peur (16)<ref> Allusion à un jeu de mots du ''Barbier de Séville'': « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. » </ref>?
 
FIGARO. - Ah! vous appelez cela un calembour?
Ligne 256 ⟶ 261 :
 
::Quand dans la plaine
::L'amour ramène, etc. (17)<ref> On doit supposer naturellement que Mlle Luzzi fut applaudie à outrance par le public. </ref>.
 
LE COMTE. - Fort joli, d'honneur.
Ligne 264 ⟶ 269 :
BARTHOLO. - Eh! allez au diable avec votre morceau charmant. Je ne sais ce que je fais, moi; voilà que j'ai lardé mon compliment d'agneaux, de chiens et de chalumeaux... Don Basile, à cette heure...
 
La scène avec Basile n'est qu'une variante de la scène de mystification du ''Barbier''. Basile est censé ignorer que c'est le jour de la clôture, et il veut annoncer au public la pièce qu'on jouera demain. Figaro le mystifie de son mieux, et chacun lui répète le fameux mot : ''Allez vous coucher'' (18)<ref> Cet ''allez vous coucher'' de la scène de mystification du ''Barbier'' avait eu un tel succès, que le bruit en était parvenu jusqu'à Voltaire et l'inquiétait. Voici pourquoi : le père d’''Irène'', dans la tragédie de ce nom, qu'il composait alors, se nommait d'abord Basile. Voltaire écrit à ce sujet à M. d'Argental : « M. de Villette prétend que le nom de Basile est très dangereux depuis qu'il y a un Basile dans ''le Barbier de Séville''. Il dit que le parterre crie quelquefois : ''Basile, allez vous coucher'', et qu'il ne faut avec les welches qu'une pareille plaisanterie pour faire tomber la meilleure pièce du monde. Je crois que M. de Villette a raison; il n'y aura qu'à faire mettre Léonce au lieu de Basile par le copiste de la Comédie. Heureusement le nom de Basile ne se trouve jamais à la fin d'un vers, et Léonce peut suppléer partout. Voilà, je crois, le seul embarras que cette pièce pourrait donner. » </ref>. Après que Basile s'est retiré, Bartholo continue à se démener, mais son compliment n'avance guère. Il s'adresse enfin à Figaro et au comte :
 
BARTHOLO. - Enfin, puisque vous voilà, si vous étiez que de moi tous les deux, qu'est-ce que vous diriez?
Ligne 300 ⟶ 305 :
BARTHOLO. - Ce maraud-là fait si bien, qu'il a toujours raison.
 
UN ACTEUR DE LA PETITE PIECE (19)<ref> C'est la pièce qu'on devait jouer pour terminer le spectacle. </ref>. - Avez-vous donc juré de nous faire coucher ici avec votre compliment, que vous ne ferez point, à force de le faire ? Le public s'impatiente.
 
BARTHOLO. - Dame! un moment, c'est pour lui que nous travaillons.
Ligne 315 ⟶ 320 :
 
Cette petite comédie inédite - faisant suite à la comédie du ''Barbier'' - nous a paru digne d'être connue du public. Le plan en est ingénieux, et il fallait de l'adresse pour conserver ainsi à chacun des personnages du ''Barbier'' le caractère qu'il a dans la pièce, tout en le faisant parler comme acteur. On vient de voir comment Beaumarchais a résolu cette difficulté. Il allait bientôt se trouver aux prises avec une difficulté plus grande, celle de mettre à la raison ces mêmes acteurs pour lesquels il écrivait des ''complimens de clôture''. Sa destinée voulait qu'il ne sortît d'un procès que pour tomber dans un autre, et que tout dans sa vie, jusqu'au ''Barbier de Séville'', le plus gai des imbroglios, devint matière à procès.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Ce qu'on appelait alors la Comédie-Italienne ne ressemblait ni à notre Théâtre-Italien ni à notre Opéra-Comique : c'était un théâtre mixte entre la Comédie-française et le théâtre de Nicolet. On y jouait tantôt des farces tirées du répertoire italien, tantôt des opéras-comiques beaucoup plus simplifiés que les nôtres, et qui en général sont plutôt des vaudevilles avec couplets que des compositions musicales bien compliquées. Voici du reste une affiche que j'extrais d'un numéro du ''Journal de Paris'' de 1770 qui prouvera, que même à cette époque la Comédie-Italienne alternait encore entre les farces dans le goût italien et l'opéra-comique. L'affiche est ainsi conçue: « Les comédiens italiens donneront aujourd'hui ''les Défis d’Arlequin et de Scapin'', comédie italienne; demain ''les Evènemens imprévus'' et ''Rose et Colas''. »</small><br />
<small> (2) Le manuscrit du ''Barbier'' comédie contient plusieurs allusions à cet échec, allumions qui furent supprimées à la seconde représentation. Ainsi, dans un passage, Figaro disait : « J'ai fait un opéra-comique qui n'a eu qu'un ''quart de chute'' à Madrid. - Qu'entendez-vous par un ''quart de chute''? demandait Almaviva. - Monsieur, répondait Figaro, c'est que je ne suis tombé que devant le sénat comique du ''scénario''; ils m'ont épargné la chute entière en refusant de me jouer. » Et il débitait ensuite on des airs du ''Barbier'' opéra-comique :</small><br />
::<small> J'aime mieux être un bon barbier,</small><br />
::<small> Traînant ma poudreuse mandille</small><br />
::<small> Toul bon auteur de son métier </small><br />
::<small> Est souvent forcé de piller,</small><br />
::<small> Grapiller,</small><br />
::<small> Houspiller, etc.</small><br />
<small> (3) La distribution des rôles indiquée ici fut modifiée à la représentation. Le rôle de Figaro fut créé non par Feuilly, niais par Préville, et le rôle de Bartholo, par Désossarts.</small><br />
<small> (4) Voyez la livraison du 15 novembre 1852.</small><br />
<small> (5) Je dois la communication du manuscrit du Théâtre-Français, qu'il était important pour moi de pouvoir comparer au mien, à l'obligeance d'un des sociétaires de ce théâtre, M. Régnier, qui n'est pas seulement un artiste d'un talent distingué, mais qui est de plus un homme de savoir et de goût très versé dans l'histoire de la littérature dramatique, et prenant un intérêt aimable et complaisant à tous les travaux consciencieux.</small><br/>
<small>(6) La tirade sur ''goddam'' dans ''le Barbier de Séville'' se liait au reste de la scène de la manière suivante : Figaro racontait qu'il avait voyagé en Angleterre, et il débitait ensuite sa tirade. Almaviva lui répondait : « Avec une telle science, tu pouvais courir l'Europe entière. - FIGARO. Aussi pour m'en revenir ai-je traversé la France avec beaucoup d'agrément, car je sais aussi les mots principaux de ce pays-là. » Le terrain ici devenait scabreux. Beaumarchais, après avoir montré la difficulté, l'esquivait par ces mots d'Almaviva : « Fais-moi grâce de l'érudition, achève ton histoire. – FIGARO. De retour à Madrid ? je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires; j'ai fait deux drames. - ALMAVIVA. Miséricorde! - FIGARO. Est-ce le genre ou l'auteur que votre excellence dédaigne? - ALMAVIVA. J'entends dire trop de mal du genre pour qu'il n'y ait pas quelque bien à en penser. » Cette citation suffit pour que ceux qui ont présent à la mémoire le texte imprimé du ''Barbier'' reconnaissent que dans le texte de la première représentation Beaumarchais sa mettait lui-même en scène plus directement et bravait de plus près l'allusion. Dans un autre passage, le comte rappelant Figaro, Beaumarchais taisait répondre à ce dernier : ''Ques-a-co'' (qu'est-ce que cela?) Cette allusion à son fameux portrait de Marin fut aussi jugée trop forte en 1775. Beaumarchais retira le ''ques-a-co'', mais il le replaça encore dans ''le Mariage''. </small><br />
<small>(7) C'est une chose un peu singulière que Beaumarchais, dont on connaît maintenant les excellentes qualités comme fils et comme frère, et qui se montrera plus tard le meilleur des pères, se soit laissé entraîner, par l'intention systématique de créer un type de ''gausseur'' universel, jusqu'à mettre dans la bouche de Figaro des railleries sur un ordre de sentimens que la comédie elle-même respecte d'ordinaire. Figaro n'est point méchant, mais il entre dans le plan de l’auteur qu'il ne prendra rien au sérieux, ni la paternité ni même la maternité. De là ces scènes vraiment choquantes de ''la Folle Journée'' entre Figaro, Marceline et Bartholo, que l'on supprime, je crois, maintenant à la représentation. Si l'on peut dire que Figaro offre des points de ressemblance avec Beaumarchais, ce n'est certainement pas de ce côté-là. </small><br />
<small> (8) Je vois en effet dans les registres de la Comédie-Française que la recette de la première représentation du ''Barbier'' fut de 3,367 livres, chiffre énorme pour le temps, surtout si l'on considère que ce chiffre fourni par Ia Comédie dans ses comptes avec Beaumarchais ne comprend guère que la recette de la porte. Il est encore bien inférieur aux recettes fabuleuses du ''Mariage de Figaro''; mais il dépasse déjà la recette de plusieurs des plus célèbres tragédies de Voltaire, notamment de ''Mérope'', dont la première représentation ne produisit que 3,270 livres.</small><br />
<small> (9) La Harpe, ''Correspondance littéraire'', t. Ier, p. 99. </small><br />
<small> (10) Grimm, que nous avons vu sévère jusqu'au dédain pour les drames de Beaumarchais, apparemment séduit par le talent et le racées des ''Mémoires'' contre Goëzman, se montre plus indulgent que La Harpe pour ''le Barbier'', non pas tel que nous l'avons aujourd'hui, mais avant qu'il eût été expurgé et remanié par l'auteur. Au moment où la pièce fut interdite une première fois, en février 1774, Grimm, en regrettant cette interdiction, annonce qu'il a lu le manuscrit. « Cette pièce, dit-il, est non-seulement pleine de gaieté et de verve, mais le rôle de la petite fille est d'une candeur et d’un intérêt charmant. Il y a des nuances de délicatesse et d'honnêteté dans le rôle du comte et dans celui de Rosine qui sont vraiment précieuses, et que notre parterre est bien loin de pouvoir sentir et apprécier. » Si ce jugement est de Grimm (car dans la ''Correspondance'' publiée sous son nom on n'est pas toujours bien sûr que ce soit lui qui parle), si ce jugement est de lui, il est un peu bizarre, non pas qu’il ne puisse trouver de la candeur dans le rôle de Rosine, mais il y a certainement d'autres nuances aussi marquées, et ce ne sent pas précisément les nuances de ''délicatesse'' et d’''honnêteté'' qui pouvaient empêcher d'apprécier ''le Barbier de Séville''. A la vérité, Grimm parlait ainsi d’après le manuscrit primitif en quatre actes, qui vaut mieux que la pièce en cinq actes; mais le premier comme le second diffèrent notablement de la pièce imprimée, et lui sont de beaucoup inférieurs. Après l'échec de la première représentation, Grimm, toujours bienveillant pour Beaumarchais, s'en prend d'abord à l'auditoire. « Une assemblée si nombreuse et si pressée, dit-il, risque toujours d'être tumultueuse, et le mérite de la pièce, consistant surtout dans la finesse des ressorts qui lient l'intrigue, avait besoin, pour être senti, d'un auditoire plus tranquille. » Il s'en prend ensuite au jeu des acteurs, « qui n'avait pas, dit-il, l'ensemble et la rapidité qu'exige une comédie de ce genre; » enfin il fait assez équitablement la part de Beaumarchais, « qui avait eu, dit-il, la sottise de vouloir faire cinq actes d'un sujet qui n'en pouvait fournir que trois on quatre. » Et après avoir signalé la suppression d'un acte, le retranchement de scènes inutiles, de mois déplacés et d'un mauvais ton, il constate le succès de la pièce ainsi remaniée.</small><br />
<small> (11) Ces discours adressés chaque année au public étaient quelquefois assez étranges. Grimm en cite un où l'acteur Florence disait au parterre : « Messieurs, le goût se conserve parmi vous comme les prêtresses de Vesta conservaient le feu sacré. » Le parterre, qui n'était pas composé de vestales, rit beaucoup de la comparaison. Après 89, les acteurs profitaient quelquefois de l'occasion pour débiter des tirades politiques et patriotiques.</small><br />
<small> (12) Excepté le couplet grotesque chanté par Bartholo au troisième acte, qui fut conservé.</small><br />
<small>(13) C'était la même actrice qui huit ans auparavant avait créé le rôle d'Eugénie. Beaumarchais lui réservait le rôle de la comtesse Almaviva dans ''le Mariage de Figaro'', lorsqu'elle se retira du théâtre en 1788, laissant le souvenir d'un talent plein d'agrément et (ce qui était rare alors, sans être devenu très commun aujourd'hui) le souvenir d’une moralité irréprochable, confirma par tous les témoignages contemporains. On sait que c'est pour avoir opposé un peu brutalement la sagesse de Mlle Doligny aux légèretés de Mlle Clairon que l'austère Fréron fut envoyé en 1765 au For-l'Évêque. Beaumarchais avait beaucoup d'estime et d'affection pour Mlle Doligny, dont j'ai retrouvé quelques lettres. Ces lettres sont d'un ton distingué, et confirment très bien l'idée qui est restée d'elle. Le ton de Beaumarchais est d'un ami affectueux, enjoué et sans aucune nuance de galanterie. Cette charmante actrice épousa un littérateur estimable, M. Dudoyer. </small><br />
<small> (14) Mlle Luzzi était en 1775, une fort jolie soubrette douée de talens très variés, car en même temps qu'elle jouait la comédie fort agréablement, elle chantait et dansait au besoin. Un jour même qu'on manquait de tragédiennes, elle joua avec Lekain dans ''Tancrède'' le rôle d'Aménaïde, s'en tira très bien et eut beaucoup de succès.</small><br />
<small> (15) Ce sont sans doute les deux machinistes du théâtre.</small><br />
<small>(16) Allusion à un jeu de mots du ''Barbier de Séville'': « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. » </small><br />
<small>(17) On doit supposer naturellement que Mlle Luzzi fut applaudie à outrance par le public. </small><br />
<small> (18) Cet ''allez vous coucher'' de la scène de mystification du ''Barbier'' avait eu un tel succès, que le bruit en était parvenu jusqu'à Voltaire et l'inquiétait. Voici pourquoi : le père d’''Irène'', dans la tragédie de ce nom, qu'il composait alors, se nommait d'abord Basile. Voltaire écrit à ce sujet à M. d'Argental : « M. de Villette prétend que le nom de Basile est très dangereux depuis qu'il y a un Basile dans ''le Barbier de Séville''. Il dit que le parterre crie quelquefois : ''Basile, allez vous coucher'', et qu'il ne faut avec les welches qu'une pareille plaisanterie pour faire tomber la meilleure pièce du monde. Je crois que M. de Villette a raison; il n'y aura qu'à faire mettre Léonce au lieu de Basile par le copiste de la Comédie. Heureusement le nom de Basile ne se trouve jamais à la fin d'un vers, et Léonce peut suppléer partout. Voilà, je crois, le seul embarras que cette pièce pourrait donner. » </small><br />
<small>(19) C'est la pièce qu'on devait jouer pour terminer le spectacle. </small><br />
 
 
Ligne 349 ⟶ 326 :
Durant les trente premières représentations du ''Barbier de Séville'', Beaumarchais vécut dans les meilleurs termes avec les acteurs de la Comédie-Française; c'était entre eux et lui un échange de billets doux :
 
« Tant qu'il vous plaira, messieurs, leur écrit Beaumarchais, de donner ''le Barbier de Séville'', je l'endurerai avec résignation. Et puissiez-vous crever de monde, car je suis l'ami de vos succès et l’amant des miens!... Si le public est content, si vous l'êtes, je le serai aussi. Je voudrais bien pouvoir en dire autant du ''Journal de Bouillon'' (1)<ref> Allusion aux critiques d'une feuille à laquelle Beaumarchais répond avec détail dans la préface du ''Barbier''. </ref>; mais vous aurez beau faire valoir la pièce, la jouer comme des anges, il faut vous détacher de ce suffrage; on ne peut pas plaire à tout le monde.
 
« Je suis, messieurs, avec reconnaissance, votre très humble, etc. »
Ligne 363 ⟶ 340 :
« Paris, ce mercredi 20 décembre 1775.
 
« En m'écrivant, messieurs, qu'on vous demandait ''le Barbier de Séville'' pour samedi prochain, vous avez oublié d'ajouter que ce même jour on donnait à la cour ''le Connétable de Bourbon'' (2)<ref> Tragédie de Guibert, l'auteur de ''la Tactique''.</ref>. Comme c'est la seconde fois que pareille demande, accompagnée de pareil oubli, a manqué de faire courir à ce pauvre diable de ''Barbier'' le danger d'une représentation équivoque, ou de tomber (critique à part) ''dans les règles'' (3)<ref> Double allusion à une phrase de Beaumarchais dans son mémoire contre Mme Goëzman et à une disposition particulière des anciens règlemens du Théâtre-Français. </ref>, j’ai l'honneur de vous rappeler que, sur pareille remarque, la première fois, toute la Comédie convint que, sans tirer à conséquence, il était possible que j'eusse raison ce jour-là, et la pièce ne fut pas jouée le jour du ''Connétable''. Je vous prie donc, messieurs, qu'il en soit ainsi dans cette seconde occasion. Autant j'aurai de reconnaissance toutes les fois qu'en un bon jour de bonne saison la Comédie fera l'honneur à ma pièce de la glisser au répertoire, autant je croirais avoir à m'en plaindre, si elle ne se souvenait jamais du ''Barbier'' que pour lui faire boucher un trou, dans lequel il courrait le hasard de s'engloutir tout vivant au grand détriment de son existence et de mes intérêts.
 
« Tous les nons jours, excepté le samedi 23 décembre I775, jour du ''Connétable'' à Versailles, vous me ferez le plus grand plaisir de satisfaire avec ''le Barbier'' la curiosité du petit nombre de ses amateurs. Pour ce jour seulement, il vous sera bien aise de leur faire goûter la solidité de mes excuses, reconnue par toute la Comédie elle-même.
Ligne 383 ⟶ 360 :
La société des auteurs dramatiques, aujourd'hui si puissante, si fortement organisée et qu'on accuse quelquefois, à tort ou à raison, d'avoir remplacé l'ancienne tyrannie des directeurs de théâtres et des acteurs par une tyrannie en sens inverse, la société des auteurs dramatiques ne connaît peut-être pas bien exactement tout ce qu'elle doit à l’homme qui le premier a réuni en corps des écrivains jusque-là isolés, et qui le premier a lutté avec énergie pour leur assurer les droits dont ils jouissent. Pour faire comprendre toutes les résistances que Beaumarchais eut à surmonter, il faut d'abord exposer ce qu'était le droit d'auteur avant la révolution et tracer ensuite le tableau de cette lutte avec des documens nouveaux, qui nous permettront de peindre au naturel les personnes et les choses.
 
Aux débuts de l'art dramatique en France comme, partout, la composition d'une pièce de théâtre n'avait aucune importance; la pièce n'existait en quelque sorte que par la représentation. Au moyen âge, les auteurs des mystères ou sotties travaillaient ''gratis'' ou pour le plus mince salaire, ou faisaient eux-mêmes partie des acteurs. L'auteur dramatique le plus fécond du commencement du XVIIe siècle, Hardy, est indiqué par plusieurs écrivains comme ayant le premier tiré un produit de ses pièces (4)<ref> Cette opinion, reproduite par M. Guizot dans son étude sur ''Corneille'', n'est peut-être pas d'une exactitude incontestable. Entre autres objections, on en trouverait une dans la première édition des comédies de Pierre Larivey, antérieur de plus de vingt ans à Hardy, et qui, dans un sonnet placé à la suite de la préface, se fait plaindre par un ami de ne pas retirer autant d'argent de ses pièces que ''Térence le Carthageois'', ce qui semble indiquer qu'il en retirait un peu.</ref>; mais ce produit était bien mince, si l'on en juge par le propos suivant de la comédienne Beaupré, rapporté par Ménage, au sujet du tort que Corneille faisait aux acteurs en introduisant une hausse dans le prix des ouvrages de théâtre: « M. Corneille, dit Mlle Beaupré, nous a fait un grand tort : nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois écus, que l'on nous faisait en une nuit. On y était accoutumé, et nous gagnions beaucoup; présentement les pièces de M. Corneille nous coûtent beaucoup, et nous gagnons peu de chose. »
 
Les productions tragiques ou comiques de Hardy se payaient donc trois écus la pièce. Ce n'était pas bien cher, mais il faut dire aussi qu'elles ne valaient guère mieux (5)<ref> L'auteur espagnol contemporain de Hardy, Lope de Vega, qui passe pour avoir composé comme lui huit cents pièces de théâtre, recevait pour chacune cinq cents réaux, c'est-à-dire environ cent trente francs. C'était un peu plus de trois écus; mais c'était bien loin encore d'égaler ce que produit aujourd'hui le répertoire d'un vaudevilliste.</ref>. A dater de Corneille, si les comédiens commencèrent à payer un peu plus cher les ouvrages de théâtre, néanmoins c'était toujours un prix fixe débattu entre l'auteur et les acteurs, prix très minime encore et qui n'empêchait pas le grand Corneille de mourir de faim ou à peu près et d'être obligé de recourir à l'affligeante industrie des dédicaces au plus offrant (6)<ref> C'est ainsi que pour mille pistoles un agioteur de l'époque, le ''traitant'' Montauron, acheta l'honneur de se voir comparé à Auguste et de passer à la postérité en même temps que la tragédie de ''Cinna''. C'est triste; mais d'un autre côté ce Montauron faisait grandement les choses : dix mille francs pour une dédicace! Richelieu avait reculé devant ce prix, et il n'y a pas beaucoup de traitans de nos jours qui paieraient dix mille francs l'honneur de passer à la postérité, dont ils ne se soucient guère.</ref>. Quinault fut, à ce qu'il paraît, le premier auteur dramatique dont une pièce fut achetée par les comédiens en 1653, non plus à prix fixe, mais avec le droit de toucher le neuvième de la recette qu'elle produirait. Cette convention, acceptée par Quinault, fut bientôt généralement adoptée pour tous les autres auteurs, et sanctionnée en 1697 par un règlement de l'autorité royale. Ce règlement donnait aux auteurs le neuvième de la recette pour les pièces en cinq actes, le douzième pour les pièces en trois actes, sauf le prélèvement des frais journaliers du théâtre, fixés à 500 livres pendant l'hiver et à 300 livres pendant l'été. Il statuait très équitablement que lorsque, deux fois de suite, ce chiffre de recette de 500 et de 300 livres ne serait pas atteint, les comédiens auraient la faculté de retirer la pièce; mais il n'était pas dit qu'en cas de reprise heureuse, l'auteur perdrait tous ses droits sur son ouvrage.
 
Ce premier règlement fut en vigueur jusqu'en 1757. A cette époque, les comédiens français, très endettés, obtinrent du roi, non-seulement une somme destinée à payer leurs dettes, mais la faculté de vendre à vie des entrées au spectacle qui ne figuraient point dans le compte fourni à l'auteur. Ils obtinrent de plus la faculté de confisquer une pièce à leur profit aussitôt que la recette en serait tombée une seule fois, non plus au-dessous de 500 livres pendant l'hiver et de 300 livres pendant l'été, mais au-dessous de 1,200 livres l'hiver et de 800 livres l'été. Ils parvinrent enfin à faire passer en habitude de ne plus guère compter aux auteurs que la recette casuelle faite à la porte, de supprimer presque tous les autres élémens de la recette, abonnemens et loges; de leur faire supporter sur ce produit casuel des frais journaliers évalués arbitrairement et une retenue d'un quart pour le quart, des pauvres, qu'ils payaient à l'année moyennant une somme fixe trois fois moindre. Grâce à ces ingénieux calculs, quand la pièce était confisquée par eux comme n'ayant pas fait 1,200 livres de recette, elle en avait fait en réalité plus de 2,000, et quand elle dépassait le chiffre de 1,200 liv., le neuvième de l'auteur était rogné de plus de moitié. Quelquefois même les comptes fournis par la Comédie étaient empreints d'une originalité piquante. C'est ainsi qu'en 1776 un auteur du temps, Lonvay de la Saussaye, ayant fait représenter aux Français une comédie en trois actes, intitulée ''la Journée lacédémonienne'', et demandant sa part sur la recette, on lui envoya un compte par lequel, après avoir constaté que sa pièce avait produit 12,000 liv. en cinq représentations, sous prétexte qu'il y avait eu des frais extraordinaires, les comédiens concluaient ainsi : « Partant, pour son droit acquis du douzième de la recette des ''cinq'' représentations de sa pièce, l'auteur ''redoit'' la somme de 101 livres 8 sous 8 deniers à la Comédie. »
Ligne 448 ⟶ 425 :
« M. le maréchal de Duras, écrit La Harpe, m'a déjà fait l'honneur, monsieur, de me communiquer, et même avec beaucoup de détail, les nouveaux arrangemens qu'il projette, et qui tendent tous à la perfection du théâtre et à la satisfaction des auteurs. Je n'en suis pas moins disposé à conférer avec vous et avec ceux qui comme vous, monsieur, ont contribué à enrichir notre théâtre, sur nos communs intérêts et sur les moyens d'améliorer et d'assurer le sort des écrivains dramatiques.
 
« IL entre dans mon plan de vie, nécessité par des occupations pressantes, de ne jamais dîner hors de chez moi (7)<ref> Le dîner était alors un repas qui se prenait dans l'après-midi. </ref> ; mais j'aurai l'honneur de me rendre chez vous dans l'après-dînée. Je dois vous prévenir que si par hasard M. Sauvigny (8)<ref> Le chevalier de Sauvigny auteur des ''Illinois'' et de ''Gabrielle d'Estrées''. </ref> devait s'y trouver ou bien M. Dorat, je ne m'y trouverais pas. Vous connaissez trop le monde pour m'aboucher avec mes ennemis déclarés.
 
« J'ai l'honneur d'être avec la considération la plus distinguée, monsieur, votre, etc.
Ligne 478 ⟶ 455 :
Il fallut se passer de La Harpe, au moins pour cette première séance, car je vois par une autre lettre de lui qu'à la séance suivante, où Beaumarchais lui sacrifia sans doute ce jour-là Dorat et Sauvigny, l'irascible académicien accepte l'invitation pour l'après-dînée et écrit d'un ton plus joyeux :
 
« Votre nouvelle invitation me faisant présumer que les obstacles qui m'éloignaient ne subsistent plus, je me rendrai chez vous bien volontiers sur les cinq heures. Ce n'est pas que je renonce au plaisir de me trouver le verre à la main (9)<ref> Il y a dans le ''Cours de Littérature'' de La Harpe une certaine physionomie magistrale qui nous fait trouver piquant ce passage un peu bachique représentant La Harpe et Beaumarchais le ''verre à la main''. </ref> avec un homme aussi aimable que vous, monsieur; mais vous êtes de trop bonne compagnie pour ne pas souper, et je vous avoue que c'est mon repas de préférence; ainsi je vous dirai comme Horace :
 
::Arcesse vel imperium fer.
Ligne 488 ⟶ 465 :
Si Beaumarchais a fort à faire pour calmer les querelles de quelques auteurs, il n'est pas moins embarrassé pour vaincre l'insouciance de plusieurs autres. C'est ainsi qu'il tiendrait beaucoup à la coopération de Collé. Le spirituel auteur de ''Dupuis et Desrouais'' et de ''la Partie de Chasse d'Henri IV'' a eu des démêlés assez vifs avec les comédiens français, et il pourrait très utilement servir la cause commune. Malheureusement Collé est devenu vieux, il n'aspire qu'au repos et ne veut plus se mêler de rien; voici sa réponse à Beaumarchais :
 
« Je n'ai reçu, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 juin que le 9 juillet au soir, à ma campagne, où je suis inamoviblement jusqu'à la fin d'octobre. L'adresse mise au Palais-Royal, où je ne demeure pas, et la maladresse des suisses de Mgr le duc d'Orléans (10)<ref> Collé était secrétaire et lecteur du duc d'Orléans. </ref> l'ont sans doute empêchée de me parvenir plus tôt, quoique je dusse l'avoir le lendemain. Je ne m'apesantis sur ces détails que pour ne point passer pour un impertinent aux yeux de l'auteur du charmant ''Barbier'' dont je me suis déclaré le plus zélé partisan. Je n'en manque pas une représentation.
 
« Quant à l'objet de votre lettre, monsieur, je vous avouerai, avec ma franchise ordinaire, que si j'avais été à Paris, je n'en aurais pas eu davantage l'honneur de me trouver à votre assemblée de MM. les auteurs dramatiques. Je suis vieux et dégoûté jusqu'à la nausée de cette chère troupe royale. Dieu nous en envoie une autre! Depuis trois ans, je ne vois ni comédiens ni comédiennes.
Ligne 517 ⟶ 494 :
Le fondateur du drame bourgeois, l'auteur du ''Père de Famille'', Diderot, serait également une précieuse recrue pour cette bataille. Beaumarchais invoque son concours; mais, comme Collé, Diderot est vieux et ne demande qu'à vivre en paix.
 
«Vous voilà donc, monsieur, écrit Diderot, à la tête d'une ''insurgence'' (11)<ref> Allusion à ce qu'on appelait alors l’''insurgence'' des Américains, dont Beaumarchais se mêlait avec la même vivacité et au même moment que de l’''insurgence'' des auteurs.</ref> des poètes dramatiques contre les comédiens. Vous pavez quel est votre objet et quelle sera votre marche; vous avez un comité, des syndics, des assemblées et des délibérations. Je n'ai participé à aucune de ces choses, et il me serait impossible de participer à celles qui suivront. Je passe ma vie à la campagne, presque aussi étranger aux affaires de la ville qu'oublié de ses habitans. Permettez que je m'en tienne à faire des vœux pour votre succès. Tandis que vous combattrez, je tiendrai mes bras élevés vers le ciel sur la montagne de Meudon. Puissent les littérateurs qui se livreront au théâtre vous devoir leur indépendance! mais, à vous parler vrai, je crains bien qu'il ne soit plus difficile de venir à bout d'une troupe de comédiens que d'un parlement. Le ridicule n'aura pas ici la même force. N'importe, votre tentative n'en sera ni moins juste ni moins honnête. Je vous salue et vous embrasse. Vous connaissez depuis longtemps les sentimens d'estime avec lesquels je suis, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
 
DIDEROT.
Ligne 525 ⟶ 502 :
A côté des auteurs dramatiques insoucians, et qui se contentent de faire des vœux pour le succès de l'entreprise, se trouvent les auteurs dramatiques à grands sentimens, ceux dont les pièces n'ont jamais produit qu'une très petite recette, qui sont bien casés d'ailleurs, et qui craignent qu'on ne compromette l'honneur des lettres en paraissant combattre pour des questions d'argent. A la tête de cette catégorie se présente Bret, écrivain estimable, mais dont les pièces produisaient peu, qui est censeur, rédacteur de la ''Gazette de France'', qui consent cependant à faire partie de la société, mais avec des réserves. D'autres auteurs sont entravés dans leur bon vouloir pour la nouvelle association par des causes bien différentes, et qui semblent annoncer un assez grand besoin de ce ''vil métal'' dont Bret ne veut pas qu’on s'occupe trop. Par exemple, Poinsinet de Sivry, le cousin du petit Poinsinet, l'auteur de ''Briséis'' et de quelques autres pièces tombées, ne demanderait pas mieux que de se rendre à la première réunion des auteurs dramatiques, mais il en est empêché par un obstacle qu'il va nous faire connaître lui-même d'une manière assez gaie :
 
«Un obstacle invincible m'empêche, monsieur, écrit-il à Beaumarchais, de me rendra à votre invitation. Rappelez-vous, Je vous prie, que vous avez eu affaire à un juge corrompu; eh bien! monsieur, j'ai eu affaire, moi, à un fripon d'huissier qui m'a soufflé toute assignation, toute signification de procédure, au moyen de quoi je me trouve, contre toute espèce de justice, détenu prisonnier au For-Lévêque (12)<ref> Cette prison était à la fois une sorte de prison d'état pour les bourgeois et une maison de détention pour dettes.</ref> pour une dette consulaire que je prouve avoir payée, et j'ai résolu de rester là jusqu'à ce que je sois parvenu à faire pendre cet huissier. Recevant votre lettre ce matin à dix heures, il ne me reste pas assez de temps jusqu'à l'heure du dîner pour faire faire et parfaire le procès à cet honnête homme. Ces huissiers ont la vie dure, et sont, dit-on, très longs à pendre; ainsi, monsieur, trouvez bon que je remette la partie du dîner à une autre fois.
 
« Eh quoi! monsieur, avez-vous donc entrepris d'être toute votre vie en procès avec de jolies femmes, et comptez-vous avoir aussi bon marché d'une troupe d'actrices que d'une mince conseillère? Je me suis trouvé une fois en ma vie dans cette mêlée-là, et si je suis encore existant, c'est qu'il y a un Dieu pour les pauvres auteurs dramatiques, comme pour les fiacres et les ivrognes. Mais parlons sérieusement, puisqu'il s'agit des intérêts de nos confrères les gens de lettres.
Ligne 587 ⟶ 564 :
Les comédiens, au contraire, marchaient au combat parfaitement unis. Non contens de payer des avocats habiles et éloquens, et de tirer parti de l'influence plus puissante encore du personnel féminin de la corporation, que Gudin compare au bataillon de Catherine de Médicis dispersant avec des caresses l'armée de Henri IV, les comédiens se procuraient des défenseurs dans les rangs même des auteurs dramatiques. C'est ainsi qu'ils avaient reçu et joué une très mauvaise tragédie de ''Nadir'', par Dubuisson, à la condition que cet auteur se prononcerait contre ses confrères. Ce Dubuisson avait publié sa pièce avec une préface très injurieuse pour la société des auteurs, et, ce qui était plus grave, un homme de goût, mais qui n'avait guère que du goût, ce qui le rendait volontiers un peu jaloux de ceux qui avaient quelque chose de plus, Suard, alors censeur, s'était en quelque sorte associé à l'attaque de Dubuisson en approuvant sa préface et sa pièce. De là grande rumeur parmi les auteurs dramatiques. Les lettres pleuvent chez Beaumarchais. La Harpe demande qu'on délibère sur les moyens de faire justice de l’''incroyable préface'' de l’''incroyable tragédie de Nadir'' et de la malhonnêteté du censeur; Sedaine et Marmontel ne sont pas moins furieux; Gudin, dans sa colère, appelle Dubuisson, qui est créole, ''un caraïbe'', et Suard un ennemi des lettres. Beaumarchais rédige, au nom de la société, une plainte au ministre Amelot, pour demander, soit l'interdiction de l'ouvrage de Dubuisson et le désaveu de Suard, soit la permission pour la société de répondre par un mémoire public. Le ministre Amelot ordonne le silence et promet de joindre l'incident au fond du procès. Marmontel s'indigne :
 
« J'apprends, mon cher collègue, écrit-il à Beaumarchais, que notre plainte est éludée, et qu'on nous a répondu que cet incident serait jugé avec le fond du procès, ce qui veut dire, en bon français, qu'on se moque de nous. C'est le cas de faire un mémoire où soient mises dans tout leur jour l'insolence de l'auteur de la préface et la malhonnêteté de l'approbateur ; c'est le moment de montrer de la vigueur, faites un bon mémoire; votre courage m'est connu, ainsi que votre éloquence; Je recommande notre honneur à votre énergie et à votre activité; voyez les ministres, et dites-leur qu'une assemblée de dix-sept personnes (13)<ref> Ils n'étaient plus que dix-sept par la retraite des dissidens. </ref> qui ont de l'âme ne se laissent pas livrer au mépris et à l'insulte impunément.
 
« Je vous embrasse de tout mon cœur.
Ligne 595 ⟶ 572 :
Quand il s'agit de faire écrire, parler et combattre Beaumarchais, Marmontel est toujours plein d'ardeur ; mais lorsque son actif collègue a besoin de lui, il est toujours à la campagne ou retenu par quelque affaire, et si Beaumarchais se plaint de son inaction, il se tire d'affaire assez spirituellement, à en juger par cette lettre :
 
« La raison, l'exacte justice, appuyées de votre éloquence et de votre excellente judiciaire, n'ont pas besoin de mon secours, et je me rappelle, à ce propos, un conte de mon Limosin (14)<ref> On sait que Marmontel était Limousin. Je vois dans plusieurs de ses lettres que, non content de mettre toujours Beaumarchais en avant dans les affaires communes, il tire parti de son crédit auprès de M. de Maurepas pour ses affaires personnelles et l'emploie à solliciter pour lui. Je cite ce fait parce que Marmontel a laissé sous le titre de ''Mémoires d'un Père'' des souvenirs intéressans sur le XVIIIe siècle, bien qu’ils contiennent certains détails que les pères n'ont pas coutume de conter à leurs enfans. Or, dans ses ''Mémoires'', Marmontel paraît avoir oublié jusqu'à l'existence de Beaumarchais, je crois qu’il n'en dit pas un mot; cependant je trouve ici la preuve qu'il le connaissait très bien et l'utilisait de son mieux.</ref> : Un curé grand chasseur disait la messe, et comme il en était au ''Lavabo'', il entendit l'aboi des chiens qui avaient fait partir le lièvre; il demanda au clerc : Briffaut y est-il? - Oui, monsieur le curé. - En ce cas-là, le lièvre est f... : ''lavabo inter innocentes manus meas'', etc. »
 
C'est Beaumarchais qui est Briffaut, c'est la Comédie-Française qui est le lièvre; mais ce lièvre n'est pas facile à prendre, et tandis que Marmontel s'en lave les mains, Beaumarchais, qui est cent fois plus occupé que lui, qui court sans cesse d'un bout de la France à l'autre, est obligé de porter seul tout le poids du combat. S'il demande du secours à Saurin, le bonhomme allègue ses infirmités, il ne peut pas sortir, il prend des remèdes. Quant à Sedaine, il est plus actif, mais c'est un peu la mouche du coche. Il trouve toujours qu'on ne va pas assez vite; sa spécialité dans la lutte, c'est de recueillir tous les bruits, tous les commérages, même les plus désagréables pour Beaumarchais, et de lui en faire hommage avec une bonhomie assez divertissante. Je n'en citerai qu'un exemple, parce qu'il produit une explosion de colère assez rare chez l'auteur du ''Barbier de Séville'' qui se fâchait très difficilement. Ici la patience lui manque tout à fait, et cela se conçoit. Après trois ans de luttes fatigantes et stériles, il y avait eu, en avril 1780, entre les auteurs et les comédiens une apparence de réconciliation; on avait semblé enfin s'entendre sur un règlement. Auteurs, acteurs et actrices avaient dîné tous ensemble chez Beaumarchais, et le lendemain Gerbier, avec l'assentiment du duc de Duras, avait fait transformer en un arrêt du conseil le règlement convenu, mais après l'avoir très notablement altéré au préjudice des auteurs; et tandis que Beaumarchais s'occupait de parer ce coup de Jarnac, on avait dit qu'il s'entendait avec Gerbier et les comédiens pour duper les auteurs. Et Sedaine ne manque pas, comme c'était son habitude, de transmettre charitablement à son ami cette agréable rumeur :
Ligne 649 ⟶ 626 :
« Nous ne devons plus espérer que des ouvrages médiocres, si l'on ne pourvoit pas à ce qu'un chef-d'œuvre agréé du public suffise à faire vivre un temps l'homme modeste qui l'a créé.
 
« Cette impossibilité bien sentie de trouver un moyen de subsister dans un travail si plein d'attraits pour moi est ce qui m'a fait reléguer de tous temps dans la classe de mes amusemens une occupation exigeant l'emploi de toutes les facultés de l'homme qui veut dignement la remplir. D'où il est résulté que, sentant vivement le but, j'ai pu moins l'atteindre que d'autres qui s'y consacraient tout entiers, et suis resté fort en arrière (15)<ref> Ce ton de modestie sincère est assez rare chez Beaumarchais pour valoir la peine d'être signalé; c'est dans sa vieillesse qu'il parlait ainsi de lui-même, reconnaissant avec une parfaite justesse d'esprit ce qui avait manqué à son talent. </ref>.
 
«C'est donc moins comme auteur dramatique que comme adjudant des auteurs et comme amant d'un si bel art, que j'ose joindre, citoyen ministre, cette lettre à la demande très-instante des littérateurs qui réclament avec tant de droit, près de vous, l'exécution des lois qui les concernent; nous espérons tous que vous engagerez d'un mot les gens de goût de vos bureaux à vous remettre sous les yeux les pièces qui vous sont transmises par le citoyen Framery (16)<ref> C'était le premier agent de la société des auteurs dramatiques.</ref>.
 
«Je partage, citoyen ministre, la gratitude respectueuse des signataires
Ligne 660 ⟶ 637 :
Depuis la date de cette lettre, messidor an 5, les choses sont bien changées; le droit des auteurs dramatiques n'est plus contesté : des règlemens équitables assurent leur participation dans les produits de leurs ouvrages. Au Théâtre-Français notamment, il n'y a plus ni ''cote mal taillée'' ni ''pièce tombée dans les règles'' et confisquée par les comédiens, ni soustractions d'abonnemens, ni dissimulation de recettes, ni prélèvemens de frais variables et arbitrairement fixés; et quoique le tarif du droit des auteurs soit en apparence inférieur à celui de l'ancien régime, il est beaucoup plus considérable en réalité, car il se compose du douzième brut de la recette, sans exception ni déduction, pour les pièces en cinq actes, du dix-huitième pour trois actes, et du vingt-quatrième pour un acte. En province, les droits des auteurs ne sont pas moins respectés qu'à Paris. Une société nombreuse et influente, qui a succédé aux essais d'association tentés et soutenus par Beaumarchais, étend partout son action et sa surveillance. Cette société récolte pour Paris plus de 800,000 francs de droits d'auteurs, et 200,000 francs pour la province, sans préjudice d'autres produits divers qu'on estime à 5 ou 000,000 francs par an; elle défend les droits de ses adhérens, réprime et fait punir toutes les fraudes commises à leur préjudice, vient en aide à leurs veuves ou à leurs enfans, et les soutient dans leur détresse. C'est là le beau côté de la société des auteurs dramatiques; mais la médaille a son revers : on accuse cette corporation d'exercer un pouvoir qui va jusqu'à l'abus, d'usurper sur les théâtres une autorité despotique, de constituer une véritable coalition industrielle qui défend à ses adhérens, sous peine d'une amende de ''six mille francs'', de faire avec aucun théâtre des traités particuliers à des conditions inférieures à celles qu'elle impose, - si bien que tout directeur qui refuse de souscrire aux volontés de la commission dirigeante est mis par elle en interdit; on lui retire à la fois et à jour fixe, comme cela est arrivé il n'y a pas longtemps, toutes les pièces des auteurs qui font partie de la société, et on le place ainsi dans la nécessité de fermer son théâtre ou de céder.
 
Les théâtres ne se trouvent plus aujourd'hui en présence d'un auteur libre dans ses volontés, mais d'une corporation dont la volonté collective est irrésistible et immuable <ref> Voyez, entre autres études sur cette question, le travail de M. Vivien publié dans cette ''Revue'' (17livraison du 1er mai 1844), ''les Théâtres, leur situation comparée en Angleterre et en France''.</ref>. Il est vrai que le monopole des théâtres, c'est-à-dire la suppression de la concurrence des directeurs établie par la législation de 1791, entraînait assez naturellement comme conséquence la coalition des auteurs; mais il faut ajouter que cette coalition, en défendant à ses adhérens de travailler pour les théâtres à des conditions moindres que celles qu'elle a fixées, devrait peut-être joindre à cette prohibition une prohibition corrélative, c'est-à-dire défendre aux auteurs d'abuser parfois de leur situation pour rançonner les théâtres, se faire allouer, indépendamment du tarif convenu, des primes exorbitantes, des billets de faveur vendus par le ministère des chefs de claque, et constituant au profit de l'auteur une recette supplémentaire qui a dépassé quelquefois 50 francs par jour! – En un mot, la société des auteurs, qui interdit à ses membres d'accepter moins que le prix convenu, ne devrait-elle pas leur interdire aussi d'exiger plus et de se livrer à des spéculations qui paraissent peu conformes à la dignité des lettres? - Nous ne pouvons ici qu'indiquer ces questions ; si nous les posons, c'est uniquement afin de mettre en présence les faibles et difficiles commencemens de la société des auteurs dramatiques et l'état de prospérité dont elle jouit aujourd'hui. Ce contraste fait ressortir d'autant les services rendus par Beaumarchais, dont les efforts ont eu constamment pour but d'améliorer la situation des écrivains en général.
 
Resterait à se demander ce qu'il y a de bon et de mauvais dans cette hausse des produits littéraires au début de laquelle on rencontre l'action de Beaumarchais, comme on la rencontre à l'origine de plusieurs autres choses bonnes ou mauvaises de ce temps-ci. On a accusé parfois l'ardent avocat du ''droit d’auteur'' au XVIIIe siècle d'avoir contribué à développer l'industrialisme en littérature : il faut s'entendre. Beaumarchais n'a pas fait son siècle, il l'a trouvé tout fait, il a trouvé une société où l'amour du bien-être matériel, quoique moins développé qu'aujourd'hui, était déjà très fortement prononcé, où la richesse, qui de nos jours est tout, commençait à égaler et tendait à éclipser toutes les autres influences. Il a vu autour de lui des littérateurs pauvres, non par stoïcisme et par goût comme Rousseau (qui, sous ce rapport, est une exception au milieu de son temps), mais pauvres par ignorance des moyens de devenir plus riches, pauvres par suite d'une habitude invétérée de vivre mesquinement de pensions ministérielles ou de cadeaux obtenus de la munificence des grands, pauvres enfin par l'impossibilité de tirer un produit suffisant de leurs ouvrages, exploités sans habileté par les libraires ignorans ou confisqués par des acteurs rapaces et publiés sans aucune garantie contre tous les genres de spoliation. Dans cet état de choses, Beaumarchais qui, comme Voltaire, avait su devenir riche en dehors de la littérature, mais qui n'admettait pas, comme Voltaire, que l'homme de lettres qui n'est que cela fut nécessairement voué à la misère, Beaumarchais a pensé que sous la protection de lois plus justes, avec plus d'habileté dans les moyens de se mettre en rapport avec le public, la profession littéraire pourrait devenir une profession indépendante, se suffisant à elle-même, comme plusieurs autres, et capable d'assurer sinon l'opulence, au moins l'aisance à celui qui l'exerce avec probité et talent. Sous ce point de vue, Beaumarchais avait parfaitement raison ; il devançait son temps, il émettait une opinion hardie, devenue aujourd'hui une vérité incontestable, lorsqu'on 1780, il écrivait au duc de Duras ces lignes: « Il vaut mieux, suivant moi, qu'un homme de lettres vive honnêtement du fruit avoué de ses ouvrages que de courir après des places ou des pensions qu'il peut mendier longtemps sans les arracher. » Qui pourrait aujourd'hui méconnaître la justesse de cette opinion de Beaumarchais? Le régime où l'écrivain n'a d'autre maître que le public est en lui-même infiniment préférable à tous les autres, sans en excepter le protectorat si vanté de Louis XIV. Ce protectorat fastueux donnait 3,000 francs de pension à Chapelain, qualifié le ''plus grand poète français qui ait jamais été'', et supprimait la maigre pension de Corneille: il payait Benserade un tiers de plus que Molière, et il forçait Mézeray à demander bassement pardon d'avoir écrit suivant sa conscience, et à promettre de ''passer l'éponge'' sur la vérité, pour obtenir la restitution de ses gages d'historiographe. Très peu d'argent, partagé entre quelques hommes de génie et quelques médiocrités; en dehors de cette distribution, une foule de littérateurs affamés, de Collerets ''crottés jusqu'à l'échine''. non moins misérables et aussi peu scrupuleux que les derniers enfans perdus de la littérature contemporaine, - voilà, à tout prendre, ce qu'était la situation des gens de lettres sous Louis XIV.
Ligne 667 ⟶ 644 :
 
 
<references/>
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small>(1) Allusion aux critiques d'une feuille à laquelle Beaumarchais répond avec détail dans la préface du ''Barbier''. </small><br />
<small> (2) Tragédie de Guibert, l'auteur de ''la Tactique''.</small><br />
<small> (3) Double allusion à une phrase de Beaumarchais dans son mémoire contre Mme Goëzman et à une disposition particulière des anciens règlemens du Théâtre-Français. </small><br />
<small> (4) Cette opinion, reproduite par M. Guizot dans son étude sur ''Corneille'', n'est peut-être pas d'une exactitude incontestable. Entre autres objections, on en trouverait une dans la première édition des comédies de Pierre Larivey, antérieur de plus de vingt ans à Hardy, et qui, dans un sonnet placé à la suite de la préface, se fait plaindre par un ami de ne pas retirer autant d'argent de ses pièces que ''Térence le Carthageois'', ce qui semble indiquer qu'il en retirait un peu.</small><br />
<small> (5) L'auteur espagnol contemporain de Hardy, Lope de Vega, qui passe pour avoir composé comme lui huit cents pièces de théâtre, recevait pour chacune cinq cents réaux, c'est-à-dire environ cent trente francs. C'était un peu plus de trois écus; mais c'était bien loin encore d'égaler ce que produit aujourd'hui le répertoire d'un vaudevilliste.</small><br />
<small> (6) C'est ainsi que pour mille pistoles un agioteur de l'époque, le ''traitant'' Montauron, acheta l'honneur de se voir comparé à Auguste et de passer à la postérité en même temps que la tragédie de ''Cinna''. C'est triste; mais d'un autre côté ce Montauron faisait grandement les choses : dix mille francs pour une dédicace! Richelieu avait reculé devant ce prix, et il n'y a pas beaucoup de traitans de nos jours qui paieraient dix mille francs l'honneur de passer à la postérité, dont ils ne se soucient guère.</small><br />
<small>(7) Le dîner était alors un repas qui se prenait dans l'après-midi. </small><br />
<small> (8) Le chevalier de Sauvigny auteur des ''Illinois'' et de ''Gabrielle d'Estrées''. </small><br />
<small>(9) Il y a dans le ''Cours de Littérature'' de La Harpe une certaine physionomie magistrale qui nous fait trouver piquant ce passage un peu bachique représentant La Harpe et Beaumarchais le ''verre à la main''. </small><br />
<small>(10) Collé était secrétaire et lecteur du duc d'Orléans. </small><br />
<small> (11) Allusion à ce qu'on appelait alors l’''insurgence'' des Américains, dont Beaumarchais se mêlait avec la même vivacité et au même moment que de l’''insurgence'' des auteurs.</small><br />
<small> (12) Cette prison était à la fois une sorte de prison d'état pour les bourgeois et une maison de détention pour dettes.</small><br />
<small>(13) Ils n'étaient plus que dix-sept par la retraite des dissidens. </small><br />
<small> (14) On sait que Marmontel était Limousin. Je vois dans plusieurs de ses lettres que, non content de mettre toujours Beaumarchais en avant dans les affaires communes, il tire parti de son crédit auprès de M. de Maurepas pour ses affaires personnelles et l'emploie à solliciter pour lui. Je cite ce fait parce que Marmontel a laissé sous le titre de ''Mémoires d'un Père'' des souvenirs intéressans sur le XVIIIe siècle, bien qu’ils contiennent certains détails que les pères n'ont pas coutume de conter à leurs enfans. Or, dans ses ''Mémoires'', Marmontel paraît avoir oublié jusqu'à l'existence de Beaumarchais, je crois qu’il n'en dit pas un mot; cependant je trouve ici la preuve qu'il le connaissait très bien et l'utilisait de son mieux.</small><br />
<small>(15) Ce ton de modestie sincère est assez rare chez Beaumarchais pour valoir la peine d'être signalé; c'est dans sa vieillesse qu'il parlait ainsi de lui-même, reconnaissant avec une parfaite justesse d'esprit ce qui avait manqué à son talent. </small><br />
<small> (16) C'était le premier agent de la société des auteurs dramatiques.</small><br />
<small> (17) Voyez, entre autres études sur cette question, le travail de M. Vivien publié dans cette ''Revue'' (livraison du 1er mai 1844), ''les Théâtres, leur situation comparée en Angleterre et en France''.</small><br />