« Sir William Hamilton » : différence entre les versions

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Ce n’est pas l’Ecosse qui a commencé la réputation de William Hamilton. M. Brandis en Allemagne l’avait proclamé le grand maître. de la philosophie péripatéticienne, et M. Cousin en France un des premiers critiques philosophiques de l’Europe, qu’il était à peine connu dans sa patrie, et qu’on lui disputait ses titres à une chaire de logique dans l’université d’Edimbourg. Ses disciples les plus touchés de son mérite et de sa gloire ne datent sa prise de possession définitive du rang qui lui appartient dans l’opinion de ses compatriotes que de l’époque où il publia son édition des œuvres de Reid. Il y a de cela quatorze ans, il en avait cinquante-huit, et depuis dix-sept ans il avait donné le premier écrit qui l’a fait connaître au monde philosophique. Diverses causes ont pu contribuer à la lenteur avec laquelle ce nom est sorti de l’obscurité pour n’y jamais rentrer. La première est sans doute le caractère de Hamilton, plus amoureux de l’étude que de la composition, plus captivé par le travail de la pensée que par le besoin de la propager, et qui garda longtemps le secret sur ses recherches avant d’en révéler au monde la direction et l’originalité; mais il faut peut-être tenir plus de compte encore de l’état général des esprits en Ecosse au temps où il commença d’écrire. La philosophie n’était pas populaire dans le pays de Hume et de Reid; elle y était tombée dans l’oubli ou du moins l’abandon, fort dédaignée et légèrement suspectée par la théologie, ou plutôt par cette ardeur dogmatique qui en prenait le nom, et qui, poussant à la croyance plus qu’au savoir, ne souffrait autour d’elle ni diversion ni résistance. Peut-être le mauvais renom de David Hume, de qui date le mouvement de la pensée spéculative en Ecosse et en Allemagne, s’étendait-il aux recherches entreprises pour le combattre et compromettait-il jusqu’à ses adversaires. Si depuis lors les choses ont changé, — trop peu changé encore peut-être, — c’est à sir William Hamilton qu’on le doit. Et lui-même il n’a pas caché l’appui que lui a prêté la France pour réveiller son pays d’une ingrate indifférence aux études et aux hommes qui, dans l’ordre intellectuel, lui avaient fait le plus d’honneur. Le suffrage de la France a beaucoup fait pour la renommée de Reid et pour l’autorité de Hamilton lui-même.
 
Sa vie, comme celle de tous ces Écossais recommandables par la science, fut simple, studieuse, uniforme. Nulle part plus qu’en ce pays l’existence des philosophes n’est philosophique. Nous avons ailleurs insisté sur le caractère particulier de cet heureux pays destiné à rester lui-même en faisant partie d’un grand empire, à conserver son rang dans l’humanité sans se mêler des affaires du monde, à figurer dignement dans l’histoire de l’esprit humain sans tenir aucune place dans l’histoire politique (1)<ref> Voyez la ''Revue des Deux Mondes'' du 1er avril 1856.</ref>. Hamilton a pour son compte accepté ces conditions; il n’a point fait exception à la loi commune, et n’a rien demandé ni obtenu de plus qu’une vie paisible et retirée, une inaction laborieuse, l’indépendance sans bruit, la dignité sans éclat, l’indifférence aux passions et aux vanités du vulgaire. Et que pourrait-on désirer davantage? Quelle autre destinée est plus faite pour le sage? Qu’importe donc qu’un grand intérêt biographique ne s’attache pas à ce que nous pourrons dire de sa personne, si en le disant nous trouvons occasion de rendre hommage une fois de plus à ces héros modestes de la médiocrité, en réparant envers eux l’injustice oublieuse d’un siècle épris du plaisir, du bruit et de la fortune?
 
William Hamilton était né à Glasgow le 8 mars 1788 d’une branche de la famille historique de ce nom. On sait qu’en Ecosse la communauté de nom suffit pour établir la communauté de tribu; mais de plus une descendance bien constatée rattache le philosophe à sir Robert Hamilton le covenantaire, qui commandait les insurgés puritains au pont de Bothwell. On a trouvé même dans la polémique du descendant quelque chose de la résolution, de l’indépendance et de l’énergie de l’indomptable guerrier, encore cité comme un confesseur parmi les sectateurs un peu radoucis de la foi des caméroniens. Quoi qu’il en soit, le titre de baronet, que Hamilton porta pendant une grande partie de sa vie, avait ''dormi'' un temps, suivant l’expression consacrée, lorsqu’il justifia de son droit à le reprendre, en se faisant reconnaître pour le vingt-quatrième héritier par les mâles de sir John Fitz-Gilbert de Hamilton de Rossavon et Fingalton, qui florissait vers 1330, et qui fut le second fils de l’auteur de la maison de Hamilton. On montre encore près du champ de bataille de Prestonpan les mines du manoir féodal qui donna son nom au premier baronet créé en 1673. Le dernier a laissé un autre monument, qui n’est pas en ruines, et qui s’appelle ''la philosophie du conditionnel''.
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::Comme en fait Hamilton, comme en fait la nature.
 
Mais avant de se parer des souvenirs héraldiques des Hamilton de Preston, le nôtre était le descendant d’une famille de médecins. Son aïeul et son père avaient été avec quelque réputation professeurs d’anatomie et de botanique à l’université de Glasgow. L’un d’eux avait assisté le célèbre docteur Cullen dans la fondation de l’école médicale de cette ville, et c’est peut-être à ce souvenir que nous devons une dissertation assez curieuse de Hamilton sur les révolutions de la médecine. Ayant perdu son père de bonne heure, il fut placé, suivant l’usage, auprès d’un ministre de l’Évangile. Le docteur Mid-Cader, qui vécut assez pour connaître dans leur maturité les talens de son élève, les avait pressentis de bonne heure, et dans une lettre qu’on a conservée, il se plaît à attester la pénétration et la force d’esprit ainsi que le caractère mâle et franc du jeune William, qui justifia toutes ses espérances par de notables succès à l’université de Glasgow, particulièrement dans les classes de philosophie, dont il remporta tous les premiers prix. Les mêmes succès l’attendaient au collège de Balliol de l’université d’Oxford, ou plutôt il s’y distingua d’une manière inaccoutumée en se soumettant de lui-même à des épreuves qui ne seront pas souvent renouvelées. Le fait mérite d’être raconté comme anecdote dans l’histoire de l’enseignement et de la philosophie. C’était en 1809 : on venait d’introduire un nouveau système d’examen; on obligeait les candidats, pour ce qu’on appelle les honneurs académiques, à professer et à répondre sur un certain nombre d’ouvrages d’histoire, de poésie et de science; les élèves les choisissaient eux-mêmes, et l’on n’exigeait pas qu’ils en multipliassent le nombre outre mesure. On pensait qu’il valait mieux prouver une connaissance approfondie de quelques-uns qu’une étude superficielle de beaucoup. Hamilton à vingt ans, non content de s’engager à répondre sur tous les classiques éminens de l’histoire, de la poésie et de l’éloquence, n’exclut du concours pour la partie scientifique aucun des monumens de la philosophie grecque et latine. Au lieu de prendre, selon l’usage, deux ou trois des ouvrages les plus connus d’Aristote et un ou deux dialogues de Platon, il prit tout Platon et tout Aristote, celui-ci avec ses premiers commentateurs, ainsi que les chefs du néo-platonisme, Plotin et Proclus, en y ajoutant tout ce que Diogène de Laërce et Stobée nous ont conservé de l’antiquité philosophique. Une telle prétention mit naturellement les examinateurs en défiance ; ils portèrent dans leur examen une attention particulière, et virent bientôt avec étonnement le confiant candidat soutenir sans chanceler un fardeau au moins quatre fois plus lourd que la charge imposée à ses compagnons d’études. Il eut à répondre sur la philosophie deux jours durant, chaque jour pendant six heures, et ne se montra que trop bien préparé à remplir toutes ses promesses, car lorsqu’il fut question du plus redoutable des écrits d’Aristote, ''la Métaphysique'', ses juges demandèrent grâce et déclinèrent l’honneur de l’interroger et même de l’entendre. Ce fut donc une épreuve universitaire sans exemple, et qu’on n’a point répétée. Elle eut pour témoins des condisciples de Hamilton dont on cite les lettres, et qui y ont consigné leur surprise, et leur admiration. Ils ne cachent pas que le candidat fut plus d’une fois obligé de s’arrêter devant l’incompétence de ses juges, et il avait lui-même gardé de cette expérience une médiocre idée du savoir philosophique de la docte université. Il s’en est montré le juge aussi sévère, quoique autrement sévère, que Locke, et peut-être faisait-il allusion à quelque souvenir personnel, lorsqu’il a écrit que de son temps un aspirant aux grades qui se serait pénétré à fond de la ''Logique'' d’Aristote aurait trouvé aussi peu d’appui chez son ''tuteur'' (2)<ref>Le tuteur est le répétiteur ou précepteur particulier d’un élève de l’université. </ref> que de faveur auprès des maîtres chargés de dispenser les honneurs académiques. Au reste, du temps même des écoles scolastiques, certains maîtres des universités étaient soupçonnés de répéter tout bas l’addition que saint Ambroise passait pour avoir faite aux litanies : « De la dialectique d’Aristote délivrez-nous, Seigneur! »
 
C’est donc à Oxford même que Hamilton avait posé les fondemens de cette érudition philosophique dont il a donné tant de preuves, et c’était déjà le témoignage d’une véritable originalité d’esprit. Rien assurément en 1812, année où il quittait l’université, ne l’avait obligé ou encouragé que lui-même à parcourir toute l’histoire de la philosophie d’Alexandre d’Aphrodise à Leibnitz, à tirer de la poussière des bibliothèques des collèges ces in-folios effrayans qu’on ne touchait plus, pour entrer en communication avec Averroès et Avicenne comme avec saint Thomas et Scot, comme avec Cardan et Vivès, et enfin à se rendre maître des doctrines modernes de cette philosophie du continent, toujours tenue à distance par le jaloux esprit de nationalité des écoles britanniques; singulière préparation pour un jeune homme qui se destinait à être avocat!
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Mais heureusement la maison du parlement, ce palais de justice d’Edimbourg, dont la fréquentation n’impose point aux stagiaires d’assujettissantes études, contient une belle et célèbre bibliothèque de cent quarante-huit mille imprimés et de deux mille manuscrits, où un esprit insatiable de lecture et de recherche pouvait étancher sa soif à chaque heure du jour. On dit que Hamilton pénétra dans les recoins les plus inconnus de ce trésor de savoir, et comme il avait un peu embarrassé les professeurs d’Oxford, il troublait quelquefois les bibliothécaires en leur demandant des livres dont ils avaient la garde, sans les avoir jamais vus ni entendu nommer. Dès cette époque, l’étendue et la singularité de son instruction le signalaient à la curiosité des amis des lettres. On me permettra d’emprunter au biographe de qui j’apprends tout ce que je raconte une citation d’un humoriste anglais peu connu parmi nous : c’est M. De Quincey, qui a mieux pris son parti d’être un mangeur d’opium que le pauvre Coleridge.
 
« Dans l’année 1814, dit-il, j’allai à Edimbourg pour la première fois; je venais rendre visite à Mra8 Wilson, la mère du professeur John Wilson (3)<ref> Le successeur de Dugald Stewart et de Brown dans la chaire de philosophie morale à l’université d’Edimbourg.</ref>. Celui-ci alors n’était pas professeur, ni ne songeait à le devenir, son intention étant de suivre le barreau écossais; je le connaissais depuis un peu plus de cinq ans. C’était Wordsworth, qui, résidant alors à Allan-Bank, sur le lac de Grasmere, m’avait mis en rapport avec lui, et depuis, en tout temps, je le suis allé voir souvent dans ce beau site d’Elleray, sur le Windermere, qui n’était pas à neuf milles de distance de mon cottage sur le Grasmere. Pendant ce voyage, Wilson me parla plusieurs fois de son ami Hamilton comme d’un homme spécialement distingué par un caractère mâle et élevé, et me le représenta incidemment comme un prodige d’érudition. En effet l’étendue de ses lectures passait pour merveilleuse, réellement effrayante, et même sous certains rapports suspecte, de sorte que certaines dames le regardaient comme mal sûr, car si l’arithmétique pouvait démontrer que tous les jours de sa vie pilés et pulvérisés en minimes globules de cinq ou huit minutes chacun, et passés dans un fil, ne formeraient pas quelque chose comme un chapelet correspondant dans ses gros et petits grains aux livres qu’il passait pour avoir étudiés et s’être rendus familiers, il devenait évident alors qu’il lui avait fallu un aide ''extra'', et que de manière ou autre il avait lu par procureur. Or, en pareil cas, nous savons tous de quel côté s’adresse un homme pour demander secours, et ''qui'' est-ce qu’il appelle lorsqu’il désire, comme le docteur Faust, lire plus de livres qu’il n’appartient à sa part de cette vie. J’espère sincèrement qu’il n’y avait nulle. vérité dans ces insinuations, car outre qu’il serait désagréable d’avoir un parasite du genre de Méphistophélès, s’attendant à recevoir un billet toutes les fois que vous donnez un petit bal, je ne pourrais, quant à moi, avoir aucune confiance dans son exactitude comme lecteur. La vérité cependant m’oblige à reconnaître qu’une fois sir William avait un gros chien dans la Great-King-Street d’Edimbourg, répondant très bien à la description du chien que Goethe, et du moins un de nos vieux dramatistes du règne d’Elisabeth, attribue au pauvre docteur Faust. A la vérité, ce ne pouvait être identiquement le même chien, figurant une première fois à Francfort pendant le XVe siècle, et puis à Edimbourg dans le XIXe...
 
« Un matin j’étais assis seul après mon de jeuner, lorsque Wilson entra tout à coup avec son ami. Sir William était si parfaitement exempt de toute ostentation de savoir, qu’à moins que les hasards de la conversation ne fournissent une occasion si naturelle d’en faire preuve, qu’il y aurait eu affectation à l’éviter, vous auriez bien pu ne vous douter aucunement qu’un extraordinaire ''scolar'' fût devant vous. A cette première entrevue, je ne remarquai rien qui provoquât une attention spéciale, hormis une expression non commune d’obligeance et de cordialité dans son abord. Il y avait aussi un air de dignité et une forte confiance en lui-même répandue dans toute sa manière, mais trop tranquille et trop dénuée d’affectation pour qu’on pût douter qu’elle ne s’exhalât spontanément de sa nature, cependant trop peu présomptueuse pour mortifier les prétentions d’autrui. Les hommes de génie et les hommes distingués pour leurs talens, qui choquaient tout le monde, particulièrement moi, si nerveusement susceptible, faisaient l’horreur et le désespoir des gens, en tâchant sans relâche et presque avec humeur de prendre la part dominante dans la conversation. J’en ai connu qui s’emparaient réellement à peu près de la conversation tout entière, sans s’apercevoir distinctement de ce qu’ils faisaient... Chez sir William Hamilton, d’ailleurs, il y avait une apparente négligence, peu soucieuse de prendre une part considérable ou nulle à l’entretien. Il est possible que, comme représentant d’une ancienne famille, il ait secrètement senti sa position dans la vie beaucoup moins dans le sens des avantages qu’elle offrait que des obligations et des gênes qu’elle imposait. Et en somme ma conclusion fut que j’avais rarement vu une personne qui manifestât moins d’estime pour soi-même sous aucune des formes ordinaires qui révèlent ce sentiment, soit orgueil, soit vanité, soit enflure arrogante, soit glaciale réserve. »
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La faculté des avocats avait le patronage d’une chaire d’histoire universelle, et l’année suivante les avocats dédommagèrent leur confrère en la lui offrant. Il l’accepta, et autour de cette chaire assez négligée, dont le maigre enseignement n’entrait pas dans le cours régulier des études, il sut réunir un auditoire attentif par quelques leçons relatives à l’histoire des nations classiques de l’antiquité et à l’influence de leur civilisation sur la nôtre. Il poursuivait en même temps des études très sérieuses sur le système nerveux et sur la physiologie en général. Il portait dans les recherches de l’anatomie comparée son exactitude habituelle, et il fut ainsi conduit à s’occuper de la phrénologie, qui dans ce moment produisait en Ecosse une certaine sensation. Il attaqua cette douteuse science dans deux mémoires lus à la Société royale d’Edimbourg (1826), et contribua à arrêter les progrès de cette vogue changeante que la phrénologie paraît destinée à reprendre de temps en temps et à reperdre aussitôt.
 
On a déjà raconté dans ce recueil comment le professeur Napier, à qui nous devons un excellent écrit sur l’influence de Bacon, ayant succédé à Jeffrey dans la direction de la ''Revue d’Edimbourg'', proposa à sir William Hamilton d’y travailler, et lui demanda même un article sur les travaux philosophiques de M. Cousin, dont la renommée parvenait enfin en Angleterre. Hamilton hésita; il faisait la plus haute estime de M. Cousin, et il n’était pas de son avis. Il voulait bien le réfuter, mais il était pour lui contre ses adversaires. Il écrivit sous l’empire de cette double pensée, et se montra ce qu’il est resté toujours, son admirateur et son critique. En paraissant, l’article devenu célèbre sur ''la philosophie de l’inconditionnel'' fit événement dans le monde philosophique. C’était le signal très inattendu d’une renaissance de la métaphysique en Ecosse. M. Cousin accueillit cette bonne nouvelle avec la joie la plus franche. Jamais flatteuse adhésion ne lui a fait plus de plaisir que cette critique si intelligente, car il lui était plus doux d’être compris que d’être loué. Avec un empressement de curiosité et de bienveillance, il chercha à connaître l’auteur ignoré de ce brillant coup d’essai. Des fragmens de lettres qu’on a publiés prouvent avec quel cordial intérêt il apprenait l’existence d’un juge aussi compétent de ses travaux, et saluait par des éloges motivés le nom que nous connûmes alors pour la première fois, car ce morceau, dont Hamilton a dit lui-même «que naturellement les raisonnemens ne furent pas compris autour de lui, et plus naturellement encore, furent déclarés pendant un temps incompréhensibles, » eut un sort beaucoup meilleur parmi nous, et fixa l’attention de la tribu, alors nombreuse en France, qui se consacrait au service de la philosophie. « Cet article, dit M. Cousin (4)<ref> Dans une lettre que je traduis sur la version anglaise.</ref>, n’est nullement aisé à entendre. Lorsqu’une fois on en a compris le sens, on le trouve parfaitement bon et correct; mais le style en est très condensé : chaque mot est gros d’une idée. La justesse des vues, la connaissance étendue des systèmes philosophiques et la profondeur de pensée qu’il atteste, ne peuvent être appréciées que par ceux qui sont du métier. Bref, c’est un article écrit pour un petit nombre d’esprits seulement en Europe, tandis que pour la multitude sa force même et son mérite le rendront obscur. La concision d’expression de sir W. Hamilton, jointe à la difficulté qu’éprouve le commun des lecteurs à le comprendre, a conduit plusieurs personnes à le regarder avec défiance, comme un partisan des systèmes germaniques, et qui aurait perverti l’exacte et circonspecte philosophie de l’école écossaise; mais cette idée est entièrement erronée. Sir William a en effet étudié attentivement la métaphysique allemande; mais le résultat en a été seulement un accroissement d’attachement pour la philosophie de l’Ecosse. » C’est ainsi que, malgré leurs dissentimens sur le fond des choses, s’établit entre les deux maîtres de la science un noble commerce d’estime, de bienveillance et d’admiration qui les honore, et la philosophie avec eux.
 
Nous ne pouvons citer tous les articles, peu nombreux cependant, dont Hamilton enrichit la ''Revue d’Edimbourg''. Deux seulement intéressent la philosophie, l’un sur la perception, l’autre sur la logique. Dans le premier, écrit à propos de la traduction de Reid par Jouffroy (1830), il s’attacha à défendre, en la rectifiant, la théorie de la perception contre Brown, qu’il convainquit assez sévèrement d’une subtilité sophistique qui inventait l’erreur pour la réfuter. Dans le second, en félicitant l’université d’Oxford d’un retour à l’étude de la logique, attesté par les travaux des Whately, des Hampden, des Lewis (5)<ref> Le premier est aujourd’hui archevêque de Dublin, le second est évêque de Hereford, le troisième est ministre secrétaire d’état pour les affaires de l’Inde. Ils ont commencé par écrire sur la ''logique''.</ref>, il décrit avec un peu de rancune l’abandon où cette science était tombée, rien d’important n’ayant paru depuis les ''Elémens'' d’Aldrich, publiés en 1692, et dans une critique attentive des nouveaux essais qu’il annonce, il se montre à la fois consommé dans l’histoire et la théorie de l’art puissant qui a dominé pendant plusieurs siècles la philosophie tout entière (1833). Ses preuves étaient donc faites, lorsque la vacance de la chaire de logique et de métaphysique, par la retraite volontaire du professeur Ritchie, au commencement de 1836, vint lui ouvrir une candidature naturelle dans l’université. C’est alors que les témoignages imposans du patriarche de l’histoire de la philosophie grecque, M. Brandis, et du maître éloquent qui guidait alors toute l’école française, l’œuvre de sa pensée et de sa parole, recommandèrent le savant candidat qu’appuyaient également le roi de la critique, lord Jeffrey, et cet ancien rival, le professeur Wilson, noblement supérieur à tout souvenir de lutte et de parti. De telles autorités ne touchaient que faiblement le conseil municipal de la nouvelle Athènes. Les passions politiques ne jouaient pourtant plus aucun rôle : la réforme avait dissous les partis ; mais la religion avait hérité de la politique; la religion, cela veut dire en certains pays l’esprit ecclésiastique et en Ecosse l’esprit de secte, ce qui signifie l’esprit de la secte dominante et des sectes militantes. Il faut lire dans un essai de M. Baynes, à qui nous ferons de nombreux emprunts (6)<ref>''Sir William Hamilton'', by T. S. Baynes, ''Edinburgh Essays'', 1857. </ref>, la description piquante des débats et des manœuvres qui signalèrent l’élection de Hamilton. Il n’appartenait pas à ces ardentes congrégations qui ont déclaré la guerre au libre arbitre, il n’était pas du parti évangélique, ni même de la portion de l’église établie que ce parti consentait à regarder comme encore ''amie de la religion''; il était chrétien et modéré. Le censeur de Schelling fut donc accusé d’être enclin au panthéisme germanique. Tandis qu’il avait à lutter contre un phrénologiste fort connu, George Combe, qui promettait, s’il était élu, ''de ménager les vieilles superstitions'', on lui opposait M. Isaac Taylor, qui a écrit sur les matières religieuses avec un succès réel, et qu’un esprit élevé, mais vague, et un style éloquent avec un peu de déclamation qualifiaient incomplètement pour enseigner la logique avec rigueur et la métaphysique avec précision. Les discussions du conseil de ville, publiées comme toutes choses en ce pays, sont un curieux spécimen des préjugés et des subtilités du plus sincère fanatisme. On dit que l’excès même de l’ardente opposition qu’on fit à sir William finit par tourner en sa faveur, et au second tour de scrutin, il fut nommé à dix-huit voix contre quatorze. Les suffrages de quatre bourgeois de la cité sauvèrent la philosophie écossaise.
 
II n’y avait pas alors deux ans que le nouvel élu, discutant dans la ''Revue d’Edimbourg'' les propositions d’une commission d’enquête pour la réforme des universités écossaises, avait, des trois modes de nomination des titulaires aux chaires établies, par la couronne, par les professeurs, par les villes, consenti à regarder le troisième comme relativement le meilleur, en exprimant l’espoir que les magistrats municipaux, reconnaissant leur évidente incapacité pour l’acquittement de cette fonction, s’en démettraient aux mains d’un bureau permanent, très peu nombreux et spécialement chargé de veiller au bien et au progrès de l’enseignement. ''Mais, hélas''! ces mots entre crochets sont la seule addition que Hamilton ait faite au texte de son article, en le réimprimant en 1851 ; dans ses annotations ainsi que dans l’appendice ajouté à une seconde édition, il soulagea son cœur sur les élections académiques de la municipalité d’Edimbourg, il constata que malgré la réforme légale de la corporation, on n’avait profité de l’abolition des ''tests'' que pour établir la prépondérance avouée de l’esprit de secte dans toute nomination universitaire. « Ainsi, dit-il, dans ses derniers actes, le patronage académique d’Edimbourg a fini par atteindre le point le plus bas de son déclin. Les partis religieux concourent à présent avec les corrupteurs séculiers pour gagner l’incompétent électeur à la violation de ses devoirs. » En aucune occasion du reste, sir William ne s’est montré un juge fort indulgent du savoir et de l’esprit des gens d’église. Sa foi était au-dessus du soupçon, l’orthodoxie parfaite est un des caractères de sa philosophie; mais l’inflexible logicien faisait peu d’estime des controverses théologiques. Une fois même il poussa l’audace jusqu’à peu ménager le docteur Luther, ce qui lui attira une réfutation, assez forte, je l’avoue, dans sa prolixité, de l’archidiacre Julius Hare. Laissons la théologie.
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Ce mérite de Hamilton est un des mérites de son livre. Nous en signalerons un autre : c’est la simplicité, la lucidité et la solidité de l’exposition. Quoiqu’il s’adressât surtout à de jeunes auditeurs, il n’a évité aucune des grandes questions qui rentraient dans son sujet. Les théories profondes et subtiles qui se trouvaient sur son chemin, il n’a cherché ni à les écarter ni à les amoindrir, et il a su donner à la science toute la facilité qu’elle comporte, sans la rendre futile ou superficielle. Sa manière d’écrire même n’est pas devenue brillante ni fort animée, mais elle a pris plus d’aisance et d’agrément. Il s’est un peu départi de cette gravité et de cette brièveté qui rendent l’accès de ses premiers écrits difficile pour les lecteurs ordinaires, et qui semblent toujours supposer qu’on n’a pas un instant à perdre et qu’on entend à demi-mot. Le ton de ses leçons est moins tendu que celui de ses autres ouvrages, et je suis persuadé qu’elles seraient lues aisément, comme un traité élémentaire, par quiconque voudrait y apporter l’intelligence et l’attention nécessaires à ces sortes d’études.
 
Mais qu’y trouvera ce lecteur attentif et intelligent? Il faut bien le lui dire sans entreprendre une complète analyse de l’ouvrage. Hamilton était professeur de logique et de métaphysique. Ce double titre semblerait être d’ancienne date, car, s’il était possible autrefois d’associer ensemble ces deux sciences à cause de certains rapports qui unissent la logique et la métaphysique d’Aristote, il serait étrange aujourd’hui d’aller choisir dans le vaste champ de la philosophie, pour en faire l’objet exclusif d’un cours unique, d’une part la science formelle des lois de la pensée considérée dans son activité propre et dans son travail sur ses connaissances, en dehors de ses moyens de connaître et des acquisitions de l’expérience, de l’autre la science de l’être en lui-même, autant que la raison peut le concevoir à l’aide de ses propres principes et des notions qu’elle doit à l’observation. Il y a entre ces deux sciences des lacunes qui ne peuvent être comblées que par la science même de l’esprit humain, et en général il est devenu impossible, sans ce préalable obligé, de philosopher en aucune chose. Personne n’est plus de cet avis qu’un Écossais, personne n’en était plus que Hamilton. On sait que, dans l’usage, le mot de métaphysique devient quelquefois le nom de toute la philosophie, comme le mot de géométrie le nom de toutes les mathématiques. On peut très pertinemment appeler Laplace un grand géomètre, quoique je ne sois pas sûr qu’il ait dans sa vie écrit deux pages de géométrie proprement dite. Qu’on soit donc averti que, dans ces deux volumes intitulés ''Leçons de Métaphysique'', il n’est pas question de métaphysique, ou il ne s’en rencontre qu’incidemment, et quand le sujet le requiert. Hamilton a usé de la latitude de la dénomination de métaphysique pour enseigner ce que, dans une autre chaire, avaient enseigné Stewart et Brown, et enseignaient encore Wilson et M. Macdougall. Ce n’est pas qu’il eût exclu de son cadre la métaphysique proprement dite : il devait un jour comprendre dans son cours, avec la psychologie, l’ontologie, ce qui est le nom de guerre de la métaphysique; mais ce jour n’est jamais venu : il s’est borné à la science des phénomènes de la pensée et à celle de ses lois. La première est l’objet des deux volumes qui paraissent; la seconde, ou la logique, le sera des deux qu’il reste à publier. Dans ceux même qui nous sont livrés, n’espérons pas trouver tout ce que nous aurions droit d’attendre. L’auteur a partagé son sujet ou plutôt l’âme humaine en trois divisions empruntées à Kant : la connaissance, le sentiment, l’action (7)<ref>Les facultés cognitives, sensitives ou sensibles, et ''conatives''. </ref>. La dernière partie, qui devait comprendre la morale ou du moins tout ce qui s’y rapporte dans les phénomènes de l’âme, n’a jamais été traitée; la seconde ne l’a été qu’assez succinctement dans six leçons. La première en contient quarante, et c’est un traité de la connaissance. Après tout, ce n’est pas moins que le sujet de la ''Critique de la Raison pure''.
 
Malgré le haut prix de cet ouvrage, il ne faut cependant pas nous dissimuler que nous n’avons pas la pensée dernière et l’œuvre définitive de sir William Hamilton. On citerait des questions qu’il a plus copieusement traitées dans ses ''Discussions de philosophie'' et dans les dissertations annexées à son édition de Reid. S’il a fait des découvertes, elles sont là. Par des motifs difficiles à deviner, dont sa santé est probablement un, dont son goût pour les fragmens et sa répugnance à finir est un autre, Hamilton, nommé professeur il y a vingt-quatre ans, a écrit pendant les deux premières années de son cours chacune de ses leçons la veille du jour où il devait la faire; depuis lors, c’est-à-dire depuis 1838, il a répété le même cours sans y faire de changemens notables, et c’est celui qu’on imprime. C’est donc bien un cours, ce n’est pas un livre. C’est un cours excellent; c’est un livre imparfait qui a des parties éminentes.
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Cependant, cela dit, comme Reid, qui, après avoir pris ses précautions contre le dogmatisme philosophique, s’abandonne aux croyances du dogmatisme naturel, Hamilton n’engendre plus aucun doute sur la réalité de l’objet de la conscience et de l’objet de la perception. Ici il est bien du parti de la philosophie du sens commun.
 
Nous ne connaissons que parce que nous savons que nous connaissons. En français, on est obligé d’appeler conscience (8)<ref> Les Anglais ont, pour exprimer ce que nous exprimons ici, le mot ''consciousness''. Leur mot ''conscience'' signifie la conscience au sens moral, ou le discernement intime du bien et du mal.</ref> cette faculté ou plutôt ce fait qui n’est que par abstraction distinct de la connaissance, car il est en partie le fait de la connaissance même. C’est le fait par lequel le ''moi'' s’attribue tous les actes de connaissance externe ou interne qui se passent en lui. Ce n’est pas une faculté spéciale, comme l’ont cru Reid et Stewart; c’est la condition générale, c’est la forme constante de l’exercice ou même de l’existence de toutes nos facultés. La preuve, c’est qu’on ne peut, même dans l’abstraction, supposer la conscience en acte sans que cet acte soit en même temps celui de telle ou telle de nos facultés. La conscience vide n’est pas; elle est successivement la connaissance, le souvenir, la perception, etc., en tant que nous en avons conscience. Quand nous percevons une chose, il serait aussi exact de dire que nous en avons conscience; car dans l’acte de perception, l’objet perçu, la perception, et la conscience sont indivisibles. Ici Hamilton enchérit, s’il est possible, sur la doctrine caractéristique de l’école écossaise, en montrant que tout acte de connaissance proprement dite par nos facultés directes est un acte de connaissance immédiate, et que la réalité de l’objet connu et de l’acte de connaissance forment un tout solidaire qu’il faut accepter ou rejeter tout entier. Je n’aurais rien à objecter aux excellentes analyses psychologiques par lesquelles il justifie sa thèse, si, après s’être élevé si fortement contre la pensée d’ériger la conscience en faculté spéciale, après être allé jusqu’à dire que la conscience est une et indivisible, comprenant toutes les modifications, tous les phénomènes du sujet pensant, et qu’elle est à l’esprit ce que l’étendue est à la matière, il n’admettait plus tard que l’âme peut être modifiée sans en avoir conscience, et que l’expérience y fait saillir des effets dont la cause originaire lui échappe. Je ne conteste pas, je suis au contraire persuadé que certaines choses se passent en nous sans nous; mais s’il en est ainsi, s’il apparaît dans le ''moi'' des phénomènes qui supposent des connaissances qui n’ont laissé aucune trace, il faut admettre que nos facultés connues se sont exercées accidentellement à notre propre insu, que nous pouvons n’avoir pas toujours conscience de leurs actes, ou bien il faut supposer tout un ordre de facultés occultes, de facultés sans conscience, qui font leur œuvre concurremment avec les facultés de conscience, et ne se témoignent que de loin en loin par leurs résultats. Je crois que l’observation directe pourrait prouver que la conscience, comme élément de tout acte mental, est une quantité intensive très variable et qui peut tomber au-dessous de toute valeur appréciable, et conséquemment être comme si elle n’était pas. Cette considération ôterait toute importance à la question de savoir si la conscience est ou n’est pas une faculté spéciale, car les facultés ne sont que des abstractions, des suppositions. Tous les actes de notre être mental sont complexes. Lui seul, cet être, il est et il agit; et s’il peut agir parfois en telle sorte qu’il manque de la conscience de son action, il devient presque indifférent de considérer celle-ci comme une faculté spéciale, puisqu’elle peut s’effacer dans l’action de nos facultés connues, ou faire place à des puissances mystérieuses dont elle n’a aucune idée. Il me semble que le ''moi'', toujours en mouvement, comme parle Platon, conformément à toutes les lois de sa nature, n’imagine pas toujours autant qu’il perçoit, ne raisonne pas toujours autant qu’il se souvient, en un mot se manifeste inégalement dans ses diverses propriétés. Pourquoi donc aurait-il toujours une conscience également distincte de tous ses actes? Or c’est une loi du monde de l’expérience externe que les faits qui s’y passent peuvent, sans périr absolument, s’atténuer à ce point que pour nous la valeur en soit comme nulle. Tout minimum est ''sensiblement'' égal à zéro. N’en pourrait-il pas être de même dans le monde de l’expérience interne?
 
Quoi qu’il en soit de cette observation, il reste que sir W. Hamilton a, dans neuf leçons consécutives, tracé de la conscience un admirable tableau, qui peut être cité comme un modèle d’observation psychologique. L’acte de conscience que l’on appelle connaissance suppose divers moyens de connaître, et produit en nous des notions diversement obtenues; c’est ce qu’on exprime en disant qu’il y a plusieurs espèces de facultés cognitives. Les plus simples, les plus usuelles, les plus essentielles, en ce qu’elles nous mettent directement en rapport avec les existences, sont celles que Hamilton appelle ''présentatives'', parce qu’elles nous rendent immédiatement présente la réalité. Ce sont la perception et la conscience de soi (9)<ref> En français, on appelle cette ''self consciousness'' du nom plus général de conscience.</ref>, l’une qui nous révèle le dehors, l’autre le dedans. Dans les idées du savant professeur, la première pourrait aussi bien s’appeler la conscience du ''non-moi'', et la seconde la perception du moi; mais les deux précédentes appellations ont prévalu, et avec raison. C’est ici que Hamilton se montre vraiment Écossais. Tout en relevant certaines erreurs de Reid, tout en montrant qu’il a mal pris la pensée de plusieurs des philosophes qu’il condamne, et qu’il a obscurci ou affaibli la sienne, ne se faisant pas une juste idée de la connaissance immédiate, le disciple prouve parfaitement que le maître a bien établi ce qu’il a cru établir, qu’il l’a établi par d’excellentes raisons, exprimées sans une rigoureuse exactitude. En un mot, il rectifie et il confirme la théorie de Reid. Cette théorie, c’est le réalisme ou le dualisme naturel, ou la croyance du genre humain à la réalité de l’existence de ce qui sent et de ce qui est senti érigée en doctrine par l’observation et l’analyse. Je réunirai encore ces neuf leçons aux neuf précédentes pour en faire une théorie générale des fondemens de la connaissance qui, pour la solidité, la justesse, l’exactitude, la critique des systèmes et le choix des autorités, n’a pas peut-être de supérieure. Le réalisme naturel y devient, autant qu’il peut l’être, un réalisme scientifique. Il y a là une conciliation de l’esprit de Kant et de la doctrine de Reid qui me paraît devoir être regardée comme la base définitive de la philosophie écossaise.
 
Les trois classes de facultés qui suivent sont les facultés conservatives ou la mémoire, reproductives ou l’association et la réminiscence, représentatives ou l’imagination. Cette partie offre certainement des idées justes et plus d’une page remarquable, mais elle n’égale pas la précédente en perfection; elle est évidemment beaucoup moins travaillée. L’auteur s’est mis moins en frais de perspicacité et de rigueur. Il semble répéter la science plutôt que la faire lui-même. Le défaut d’originalité se laisse apercevoir, et l’esprit est moins satisfait. Les sept leçons suivantes, qui terminent la description des facultés cognitives, sont fort supérieures; elles traitent de deux classes de facultés qui, selon Hamilton, ne donnent pas la connaissance proprement dite, laquelle résulte du jeu et du concours de celles qui ont été précédemment analysées. Une fois cependant que celles-ci ont donné aux objets de la connaissance toutes les formes et, si j’ose ainsi parler, toutes les façons de l’esprit humain, il reste un nouveau travail à faire, un travail de combinaison et de séparation, qui a pour forme générale la comparaison. Les facultés qui se mettent à l’œuvre, et que l’auteur appelle élaboratives, sont celles qu’avant lui on appelait discursives; c’est l’abstraction, le jugement, le raisonnement. Elles constituent proprement la pensée, ou ce que Kant nommait l’entendement. La pensée ainsi considérée, et séparée des connaissances proprement dites, est une sorte de mécanisme abstrait, un système d’opérations qui a des lois formelles, et ces lois sont assez importantes pour être l’objet d’une science entière, la logique. On conçoit que, devant en faire le sujet de la seconde partie de son cours, Hamilton se soit borné ici à des généralités dans lesquelles il a su néanmoins introduire des vues neuves, dignes de l’homme qui a promis un nouveau progrès à cette science immuable, la logique.
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CHARLES DE REMUSAT.
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<small> (1) Voyez la ''Revue des Deux Mondes'' du 1er avril 1856.</small><br />
<small> (2) Le tuteur est le répétiteur ou précepteur particulier d’un élève de l’université. </small><br />
<small> (3) Le successeur de Dugald Stewart et de Brown dans la chaire de philosophie morale à l’université d’Edimbourg.</small><br />
<small> (4) Dans une lettre que je traduis sur la version anglaise.</small><br />
<small> (5) Le premier est aujourd’hui archevêque de Dublin, le second est évêque de Hereford, le troisième est ministre secrétaire d’état pour les affaires de l’Inde. Ils ont commencé par écrire sur la ''logique''.</small><br />
<small>(6) ''Sir William Hamilton'', by T. S. Baynes, ''Edinburgh Essays'', 1857. </small><br />
<small>(7) Les facultés cognitives, sensitives ou sensibles, et ''conatives''. </small><br />
<small> (8) Les Anglais ont, pour exprimer ce que nous exprimons ici, le mot ''consciousness''. Leur mot ''conscience'' signifie la conscience au sens moral, ou le discernement intime du bien et du mal.</small><br />
<small> (9) En français, on appelle cette ''self consciousness'' du nom plus général de conscience.</small><br />
 
<references>
 
CHARLES DE REMUSAT.