« Les Œuvres poétiques de M. Bertaut » : différence entre les versions

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<poem>
STANCES SUR LA FORTUNE
 
La fureur du demon qui depuis tant d’annees
Arme d’un vain effort la main des destinees
Contre nostre grand prince, et poursuit sa valeur,
N’ayant peu ny par force és perils de la guerre,
Ny par trahison en paix l’accabler sur la terre,
Luy tend dessus les eaux un filet de malheur.
Au soir comme il traverse avec sa chere espouse
Le fleuve, dont Paris ses campagnes arrouse,
Ce malheur les y fait tout d’un coup abismer :
Si bien qu’en mesme temps on voit tomber en l’onde
Les soleils de la France, et le soleil du monde,
Les uns dedans un fleuve, et l’autre dans la mer.
Un million de cris et de voix gemissantes
S’éleve la dessus des bouches pallissantes
De ceux qui pensent voir
=== no match ===
qu’en ce mesme accident
Petit avec le roy le sceptre de la France,
Que pour elle est esteint tout astre d’esperance,
Et que ce soir en est l’eternel occident.
Mais le celeste bras qui soustient cet empire,
Par le secours des siens aussi-tost l’en retire,
Tel qu’on voit le soleil au poinct de son coucher,
Sous le cercle du ciel qui tient son nom de l’ourse,
Ressortir hors des flots, et reprendre sa course
Aussi-tost que son pied commence a les toucher.
Seule dedans les eaux reste comme abysmee
Sa royale Junon, sa moitié plus aymee,
Dont il crie, et s’afflige, et s’espand en sanglots,
Et transi, ne croit pas estre à sec au rivage,
Cependant qu’exposee aux malheurs du naufrage,
La pluspart de soy-mesme est encor sous les flots.
Et certes à bon droit ressentoit-il pour elle
Ces legitimes soins d’amitié mutuelle,
Dont les cœurs plus constans se laissent consumer :
Car elle en fin sauvee eut de luy ce soin mesme,
N’ouvrant point tant à l’air sa bouche moite et blesme,
Pour aller respirant, comme pour le nommer.
Il faudroit voir ces doigts fameux par tout le monde
Qui peignirent Venus naissante hors de l’onde,
Peindre ceste Junon qu’on en tiroit aussi :
Car comme nul pinceau n’eut onc tant de courage
Que d’oser achever un si penible ouvrage,
Nul aussi n’oseroit commencer cestuy-cy.
Les graces appuyant ceste grande princesse
L’essuyoient, la servoient ainsi que leur maistresse :
L’amour (mais l’amour chaste) épreignoit ses cheveux,
Et mesme en cet effroy, la faisoit voir si belle,
Qu’elle combloit tous ceux qui se tournoient vers elle,
D’amour et de pitié, de larmes et de feux.
Heureux est vostre sort, ames vrayment loyales,
Qui tirastes des flots ces deux perles royales,
Et qui de les sauver avez receu l’honneur,
Si d’évident peril guarantir les couronnes,
Et si d’un grand estat relevant les colomnes,
Sauver le salut mesme est ou gloire ou bon-heur.
Et vous plus élevez, à qui ceste fortune
Se rendit avec eux également commune,
Et vous fist voir ensemble exposez et sauvez,
Princes, et vous princesse, ardants à son service,
Qui n’estimeriez pas un heur mais un supplice,
(s’ils y fussent peris) que vous voir preservez.
Vantez-vous que de grace, et non pas par envie,
Le ciel voyant le sort attenter à leur vie,
Pour courre leur fortune a voulu vous choisir :
Dressez-en un trophee au temple de memoire,
Et que vostre peril se convertisse en gloire,
Ainsi que vostre peur s’est changee en plaisir.
La France en cependant payra la digne offrande
Des vœux que le devoir sans parler luy demande,
Pour tesmoings eternels de son juste soucy,
Faisant graver ces vers aux bases de l’ouvrage :
" pour l’empire françois guaranty du naufrage,
Que tout vœu se prosterne aux pieds de cestuy-cy. "
 
DU CONTENTEMENT QUE L’ON REÇOIT
 
Mon esprit honoré de vostre obeïssance,
Ne doit point se douloir de sa captivité :
Vostre service estoit la fin de ma naissance,
Et la fin d’un chacun est la felicité :
Mon ame est de vos laqs si doucement pressee,
Qu’il n’est point de tourment que je n’y trouve doux :
Et ne m’estime heureux que lors que ma pensee,
Me ravit hors de moy, pour aller vivre en vous.
Aussi la beauté mesme en vous seule reserre,
Pour la gloire d’amour, les delices des dieux :
Mon ame vit en moy comme l’on vit en terre,
Mais elle vit en vous comme l’on vit és cieux.
C’est pourquoy benissant la cause de ma prise,
Et l’heure où me perdant je cessay d’estre mien,
Je ne regrette point ma premiere franchise,
Puis que ma servitude est ma gloire et mon bien.
À qui dois-je plustost consacrer mon service,
Qu’à ce divin esprit de graces revestu ;
Dont le servage apprend à mespriser le vice,
Et qu’on ne peut l’aymer qu’en aymant la vertu.
Je vante ma desfaite ainsi qu’une victoire,
Quand je voy ce bel oeil, cet astre de mon heur,
Dédaigner tous les cœurs immolez à sa gloire,
S’ils ne luy sont offerts sur l’autel de l’honneur.
J’en adore la grace immortelle et mortelle,
Qui rend d’un seul regard mille esprits enchantez,
Et fors qu’en un miroir dont la glace est fidelle,
Ne voit rien en ce monde approcher ses beautez.
Puis je dis tout ravy, c’est en vain que j’espere
Les loyers proposez aux desirs d’un amant :
Il ne faut reputer ma peine pour salaire,
Et penser que le fruict s’en recueille en semant.
L’honneur de la servir paye assez mes services,
Si les contentements que la gloire produict
Meritent qu’on prefere aux plus rares delices
La peine et les travaux dont l’honneur est le fruict.
Et bien suis-je honoré de vous servir, madame,
Esclave de ces mains dont la beauté me prit,
Puisque je suis un corps de qui vous estes l’ame :
Et que le corps s’honore en servant à l’esprit.
Mais que dis-je, ô beauté, que Venus mesme envie,
Vous n’estes point mon ame, et je m’en vante à tort :
L’ame cherit le corps, et luy donne la vie,
Et vous par vos rigueurs vous me donnez la mort.
Je faux, il paroist bien que par vous je respire,
Mais comme en un flambeau que l’on renverse en bas :
La cire esteint le feu, bien qu’il vive de cire,
Ainsi de vous me vient la vie et le trespas.
Or faictes que je meure, ou faictes que je vive,
Jamais vostre beauté ne mourra dedans moy,
Mon cœur ne peut changer pour change qui m’arrive,
Le sort n’a point d’empire à l’endroit de ma foy.
Si je vy conservé par l’heur de vostre grace,
Vous m’entendrez chanter vostre juste pitié :
Si par vostre rigueur l’Acheron j’outrepasse,
Mourant j’orray vanter ma constante amitié.
Bien voudrois-je (et mes vœux soient exempts de blaspheme)
Oüir plustost vanter apres tant de tourment,
Vostre juste pitié que ma fermeté mesme :
Et plustost vivre heureux, que mourir constamment.
Aussi verray-je point qu’à la fin il vous plaise
Desarmer vostre sein de sa dure rigueur,
Et permettre en m’aymant qu’il saute de ma braise
Quelque ardente estincelle en vostre jeune cœur.
Si tant d’heur m’arrivoit, une secrette gloire,
De mes travaux passez adouciroit le fiel,
Et mon esprit alors auroit sujet de croire,
Qu’il se boit du nectar ailleurs que dans le ciel.
Mais quoy ! C’est souhaitter d’une ardeur impudente,
Ce qu’à peine les dieux oseroient desirer,
Et ne cognoistre pas qu’il faut en ceste attente,
Meriter davantage, ou bien moins esperer.
C’est bien assez que Dieu, d’un oeil doux et propice,
Regarde la victime, et le cœur qui se plaint,
Sans que bruslant encore au feu du sacrifice,
Mesme offrande consume et l’offrande et le saint.
Aussi (mon doux espoir) tout ce que je demande,
Lors que de mes souhaits j’importune les dieux :
C’est que mon cœur ardant soit trouvé digne offrande,
De vous sa vive idole, et du feu de vos yeux.
Encore est-ce un souhait impossible en nature :
Car pour offrir un cœur aux flames de vostre oeil,
Digne de sa lumiere et si saincte et si pure,
Il faudroit un phoenix comme vous un soleil.
 
STANCES
 
Non, je n’ignore plus que vers ce beau visage,
Nul n’y va curieux, qui n’en revienne amant.
Maudit soit le sçavoir puis que l’apprentissage
À mon cœur embrazé couste si cherement.
Mais pourquoy dis-je mal de ceste cognoissance,
Qui douce a mon tourment en gloire converty ?
L’amour ne me doit pas pardonner ceste offence,
Si je ne me repens de m’estre repenty.
C’est ores, mais trop tard, que mes peines secrettes,
Démentent en effect tant de vaines raisons,
Puis que tous ses regards sont autant de conquestes,
Et que tous mes efforts sont autant de prisons.
Je juray vainement de me pouvoir defendre,
Et tasche encor en vain de me pouvoir sauver :
Car elle a trop bien sceu le moyen de me prendre,
Pour ignorer celuy de me bien conserver.
Maintenant je promets de respandre à ma flame,
Un deluge de pleurs, ne pouvant faire mieux,
Et si je suis menteur au despens de mon ame,
Je seray veritable aux despens de mes yeux.
Que donc le chastiment soit digne de l’offence,
Mes yeux, pleurez beaucoup, vous avez beaucoup veu,
Et maintenant dans l’eau faictes la penitence,
Puis que vous avez faict le peché dans le feu.
 
POUR DES NYMPHES
 
Ces nymphes hostesses des bois,
Bravant les amoureuses loix,
Et ce feu dont l’ame est éprise,
Ne le cognoissent nullement,
Ou le cognoissent seulement,
Comme on cognoist ce qu’on méprise.
Le soing de leur jeune fierté,
C’est de garder leur liberté,
S’orner de beautez perdurables,
Nourrir de vertueux desirs,
S’esbattre en des chastes plaisirs,
Et sans aymer se rendre aymables.
Avec ces armes et ces arts,
Leurs esprits surmontent les dards
De ce tyran qui tout surmonte :
Et jettant sa puissance à bas,
Font que la fin de leurs combats,
C’est tousjours sa fuitte, et sa honte.
Le sort donc les guidant icy,
Où tout se range à sa mercy,
Elles luy declarent la guerre,
Afin de faire voir aux dieux,
Que ce qui les vainc dans les cieux,
Des nymphes le battent en terre.
Car on les verra le dompter,
Et puis soubs vos pieds en jetter,
Les traicts empoisonnez de charmes,
Pour marque, ô Cesar des Cesars,
Qu’Amour aussi bien comme Mars,
Vous voit triompher de ses armes.
Un seul mal repugne à leurs vœux,
C’est qu’il prend vie és mesmes feux,
Dont sans fin leur regard éclaire :
Et que la beauté l’animant,
Leurs yeux vont eux-mesmes armant
Celuy qu’elles veulent desfaire.
Car pour luy donner le trespas,
Il leur faudroit priver d’appas
La beauté sa mere nourrice :
Autrement on ne sçauroit voir,
Ny qu’il soit jamais sans pouvoir,
Ny qu’elles soient sans exercice.
 
AMOUR VAINCU DE CES NYMPHES
 
Victorieux du ciel, de la terre, et de l’onde,
Je pensois mettre aux fers, où j’ay mis tout le monde,
Dix nymphes qu’en un bois par hazard j’ay treuvé :
Mais les fléches qu’en vain je leur ay décochees,
S’estant contre leur sein par malheur rebouchees,
Elles m’ont à la fin moy-mesme captivé.
Captif, chargé de fers, et tourmenté par elles,
J’ay demandé secours aux puissances mortelles,
Aux dieux, au ciel, en terre, en ceste grande court,
Mais ceux que je fais plaindre ont à dédain mes larmes,
Et de ceux que je rends bien-heureux par mes armes :
Chacun me plaint assez, mais nul ne me secourt.
Ô dieux, hostes du ciel, ô bourgeois de la terre,
Souffrirez-vous qu’ainsi pour jamais on enferre,
Celuy qui rangeoit tout aux loix de son pouvoir ?
Vos cœurs me lairront-ils perir en servitude ?
Verray-je ou par rigueur, ou par ingratitude,
Es uns la pitié morte, és autres le devoir ?
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