« Lettres intimes et entretiens familiers de M. Alexandre de Humboldt » : différence entre les versions

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On le voit, c’est Humboldt lui-même que nous défendons ici. On a publié dernièrement une note de l’illustre maître, qui, prévoyant sans doute l’abus qu’on pourrait faire un jour de ses moindres écrits, avait protesté d’avance contre la publication non autorisée de ses lettres, refusant ce droit de publication, même après sa mort, soit à ceux qui auraient reçu ces lettres directement de lui-même, soit à ceux qui en seraient devenus détenteurs à un titre quelconque. On prétend aujourd’hui qu’il y avait une exception particulière pour les lettres de sa correspondance avec Varnhagen. Laissons aux gens d’affaires ces querelles de procédure, mais maintenons à la critique le droit de juger les procédés. Que l’exception dont on parle soit authentique ou non, l’éditeur n’était pas dispensé d’avoir du goût. Si la publication de ces lettres diminue un peu, sans profit pour personne et sans intérêt pour l’histoire, la figure si respectée d’Alexandre de Humboldt, était-ce à une personne amie de livrer de tels documens à la foule avec une si singulière impatience?
 
Nous regrettons d’avoir à le dire, des motifs personnels et un peu mesquins paraissent avoir caché à l’éditeur responsable de cette publication tous les inconvéniens qui en devaient résulter pour une mémoire illustre. Mlle Ludmila Assing, fille de Mme Rosa-Maria Assing, laquelle était sœur de Varnhagen d’Ense, est une personne spirituelle, instruite, amie des arts, et qui, maniant le crayon avec grâce, a eu l’ambition de se faire un nom dans les lettres. Depuis la mort de sa mère, elle a quitté Hambourg, sa ville natale, et, vivant auprès de son oncle, dans la société la plus littéraire de Berlin, la pensée lui est venue de continuer les traditions de sa famille. A l’exemple de Varnhagen, c’est surtout l’histoire de la société allemande qui éveilla sa curiosité studieuse. Elle débuta en 1857 par un livre intitulé ''la Comtesse Élisa d’Ahlefeldt, l’Épouse d’Adolphe de Lützow, l’Amie de Charles Immermann'' (1)<ref>Voyez, sur ''la Comtesse d’Ahlefeldt'', la ''Revue'' du 15 avril 1858.</ref>. Mlle Assing avait eu entre les mains les documens les plus curieux sur un poétique et touchant épisode de l’histoire intellectuelle de son pays. On ne saurait dire qu’elle en ait habilement profité : ce livre est écrit sans art; mais le sujet est si attachant, les personnages sont si dignes de sympathie, leurs lettres inédites si pleines de dramatiques révélations, que la critique n’eut qu’à remercier l’auteur, sauf à refaire elle-même un tableau compromis par une plume novice. Le second ouvrage de Mlle Assing, loin de marquer un progrès, révélait malheureusement la faiblesse de son inspiration. L’auteur s’était proposé une étude sur une femme d’esprit, l’amie du poète Wieland, qui a joué un certain rôle dans la société du XVIIIe siècle ; malheureusement la destinée de Sophie Laroche est bien loin d’offrir le poétique intérêt qui s’attache aux aventures de la comtesse d’Ahlefeldt. Réduite à ses seules ressources, Mlle Assing écrivit un livre ennuyeux. J’ignore ce qu’en pensait Humboldt, mais on sait aujourd’hui ce qu’il en disait à Mlle Assing. Le bon vieillard, à l’occasion de ces deux livres, combla de si vifs éloges la nièce de son ami, que celle-ci ne put résister au désir d’initier le public à sa joie. S’il n’y avait ici un peu de vanité féminine, la correspondance de Humboldt et de Varnhagen aurait-elle vu le jour si promptement? Je livre cette pensée aux loyales méditations de l’éditeur. Pour nous, en un sujet si délicat, nous devions exposer les circonstances qui ont accompagné cette publication, afin d’en faire sortir, s’il est possible, la complète justification de l’auteur du ''Cosmos''. Notre conclusion la plus indulgente, c’est que Mlle Ludmila Assing n’a pas montré, il s’en faut bien, la prudence littéraire qu’on devait attendre d’une jeune femme élevée à l’école du discret Varnhagen. Pour le plaisir de publier trop tôt, et sans choix, un petit nombre de lettres intéressantes, n’a-t-elle pas nui à Humboldt, à Varnhagen, à elle-même? N’a-t-elle pas exposé Alexandre de Humboldt à être accusé d’ingratitude envers les princes ses bienfaiteurs? N’a-t-elle pas mis à nu, sans paraître s’en douter, toutes les petitesses d’esprit qui s’alliaient chez Varnhagen à un incontestable talent? Ce petit nombre de pages intéressantes que je signalais tout à l’heure, dégageons-les nous-mêmes; parmi les deux cent vingt-cinq lettres de ce recueil, choisissons celles dont l’histoire littéraire ou politique peut tirer quelque profit. Si les petites misères de deux esprits d’élite se révèlent à nous dans cette étude, Mlle Assing en sera seule responsable.
 
La correspondance d’Alexandre de Humboldt avec Varnhagen d’Ense, qui commence le 25 septembre 1827, est assez peu active dans les premières années. La principale occasion des lettres qu’ils échangent, ce sont les écrits de Varnhagen et le grand ouvrage que Humboldt prépare avec un soin religieux. Depuis la publication de ses ''Monwnens biographiques'' en 1824, Varnhagen s’était placé à un rang élevé parmi les écrivains de l’Allemagne; au moment où la génération des maîtres s’effaçait de plus en plus, lorsque Goethe, à Weimar, représentait seul cette période glorieuse, Varnhagen, témoin de cet âge évanoui, ami des philosophes et des poètes, maintenait encore cette tradition, que ses souvenirs allaient faire revivre. Un rapprochement tout naturel devait s’établir entre le savant et l’homme de lettres. En recherchant l’amitié de Varnhagen, Alexandre de Humboldt, avec sa finesse consommée, s’adressait à la fois à l’écrivain habile et à l’historien de l’esprit germanique pendant le demi-siècle qui venait de s’écouler. Quand il lui demandait conseil pour ses écrits, n’était-ce pas une manière de fournir des notes à un futur panégyriste? Les éloges assurément ne pouvaient manquer à un tel homme; mais tous les éloges n’ont pas le même prix, et ce n’était pas chose indifférente pour Humboldt d’avoir sa place assurée dans la galerie de Varnhagen. Les premiers billets des deux amis sont donc spécialement littéraires. C’était l’année où Humboldt faisait un cours sur la physique du globe et y traçait l’ébauche de son ''Cosmos''. A cette époque décisive de sa carrière, l’appui de Varnhagen, le dévouement de l’homme qu’il appelait sans cesse l’unique soutien des lettres allemandes, était pour lui, si je l’ose dire, une nécessité de situation. Et quoi de plus facile à conquérir que ce dévouement? Humboldt était un si grand personnage, et Varnhagen, sincère admirateur du talent, avait encore à cette date un faible si marqué pour les gens de cour, qu’un seul mot du glorieux chambellan devait remplir son cœur d’une double joie. Je ne veux pas dire que l’amitié de Humboldt et de Varnhagen n’ait eu d’autre mobile que la vanité; j’indique simplement des nuances qui, en Allemagne, n’ont échappé à personne. L’amitié complète viendra plus tard, grâce à une véritable communauté de sentimens ; elle viendra surtout lorsque Varnhagen, privé de ses fonctions diplomatiques, se rapprochera des libéraux, tendra même la main aux démocrates, et donnera librement carrière à ses rancunes. En 1827, Humboldt n’est pas encore pour Varnhagen le confident des amères pensées; c’est un savant illustre, le frère d’un ancien ministre, l’ami du prince royal, et lorsque ce personnage si haut placé écrit d’affectueux billets au mari de Rachel, celui-ci, diplomate fidèle à l’étiquette, lui répond toujours en style de chancellerie. Il en prend si bien l’habitude, notez ce point, que, trente ans après, il le traitera encore d’excellence, et n’omettra aucune des formules de cérémonie, au moment même où Humboldt, devenu sincèrement son ami, lui confiera familièrement ses pensées les plus secrètes.
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Pour nous, en ces délicates questions, sommes-nous parvenu à garder la mesure du vrai? Avons-nous su extraire de ce volume les seules pages qui méritassent d’être conservées? Avons-nous réussi à montrer les petitesses de l’homme sans diminuer les titres du savant? Est-il bien clair pour tous que Mlle Assing, sans intention mauvaise, par vanité, par une activité brouillonne, incapable de résister à sa démangeaison d’écrire et de paraître, a failli compromettre le grand nom dont elle a ainsi abusé? Nous ne voulions rien de plus, notre tâche est finie. Et maintenant oublions ce triste épisode, jetons au feu les deux tiers de ces lettres si maladroitement rassemblées; surtout, pour effacer les impressions fâcheuses, relisons bien vite le second volume du ''Cosmos'' et les ''Tableaux de la Nature''.
 
 
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<small> (1) Voyez, sur ''la Comtesse d’Ahlefeldt'', la ''Revue'' du 15 avril 1858.</small><br />
 
 
SAINT-RENE TAILLANDIER.
 
<references>