« L’Outrage du 4 janvier 1642, Histoire d’un coup d’état avorté » : différence entre les versions
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<center>Histoire d’un coup d’état avorté</center>
Une des curiosités historiques du règne de Charles Ier est l’influence, décisive à certains momens, qu’exerça sur la destinée du monarque anglais le ressentiment du puissant ministre qui gouvernait alors la France. Richelieu contribua pour sa bonne part, — sans l’avoir prévue ni désirée, — à la catastrophe qui ébranla jusque dans ses racines la dynastie des Stuarts, et, après avoir conduit l’un d’eux sur l’échafaud, prépara l’exil définitif de ses successeurs. Il y contribua de deux manières : indirectement par son exemple, directement par les menées secrètes de sa politique. Charles Ier succomba pour avoir voulu imiter et pour avoir osé affronter le terrible cardinal. Sans tenir compte de circonstances essentiellement différentes, il lui parut beau de procéder contre les dissidens des trois royaumes à la façon de Richelieu contre l’église réformée de France; puis il crut pouvoir mettre sa politique extérieure en opposition directe avec celle que suivait Richelieu, débarrassé des protestans et s’acharnant contre la maison d’Autriche <ref> Entre autres motifs qui poussèrent Charles Ier dans cette voie périlleuse, il faut compter son désir de faire restituer à son neveu (
La seconde pouvait être évitée. En 1637, tandis que Hampden plaidait encore devant les douze grands-juges son fameux procès pour refus du ''ship money'', et quelques mois après les premiers symptômes de ces mouvemens anti-épiscopaux d’Ecosse qui, aboutissant au fameux ''covenant'', donnèrent le signal de la révolution. Richelieu parut oublier ses anciens griefs contre le roi d’Angleterre, Il ne semblait plus se souvenir des secours apportés jadis par Buckingham aux protestans de La Rochelle, ni de l’opposition menaçante qui plus tard (1634) avait fait échouer ce fameux plan de partage en vertu duquel la France et la Hollande se distribuaient les Pays-Bas espagnols
Ces préliminaires historiques avaient pour but de préparer le lecteur à bien comprendre, — malgré le silence que gardent sur ce point la plupart de nos historiens, — le rôle joué dans une des phases les plus importantes de la révolution d’Angleterre par les agens de la politique du cardinal à Londres, et notamment par un de nos compatriotes jusqu’ici parfaitement inconnu. Le capitaine Hercule Langres était, dans les derniers mois de 1641, attaché d’une manière plus ou moins ostensible à l’envoyé français à Londres, M. de Montreuil. Homme de ressources, — nous le verrons bien, — homme d’esprit aussi, et, selon la mode du temps, fort empressé à «faire sa cour aux dames,» il avait noué des relations épistolaires avec une personne dont le nom est arrivé jusqu’à nous pour avoir figuré dans un incident du règne de Charles Ier, fort antérieur à ceux dont nous venons de parler.
Lorsqu’au mois de juin 1625 la fille d’Henri IV, sœur de Louis XIII, alla prendre place sur le trône d’Angleterre, elle y mena une suite assez nombreuse, composée en grande partie de dames d’atours, de pages et de vingt-neuf ecclésiastiques, dont plusieurs moines (théatins), à la tête desquels se pavanait un jeune évêque, ambitieux et remuant. Peu à peu cette cohue, qui grossissait chaque jour, envahit le palais de White-Hall, et par ses déportemens indiscrets, ses allures légères, ses bravades papistes, devint un sujet de scandale et de plaintes universelles. Le roi Charles, d’humeur assez débonnaire, — et d’ailleurs astreint, en sa qualité de jeune mari, à beaucoup de complaisance. — supporta durant quelques mois, outre la dépense toujours croissante que lui occasionnait la ''maison'' française d’Henriette-Marie, l’impopularité qui résultait pour lui de la tolérance témoignée à des étrangers si peu retenus dans leurs propos, si compromettans par leurs démarches irréfléchies. Il finit pourtant par se lasser de voir pulluler autour de lui et de sa jeune femme cet entourage de prêtres intrigans et de femmes évaporées ; peut-être aussi lui sembla-t-il dur de solder, à raison de 6,000 francs (soit 240 liv. sterl.) par jour, cette bande de serviteurs exigeans et mécontens. Lorsqu’ils eurent mis sa patience à bout, il chargea le duc de Buckingham, alors à Paris, d’annoncer à la reine-mère qu’il ne supporterait pas plus longtemps ces ennuis domestiques
C’est à cette dame, si bien vengée seize ans auparavant, que, dans les premiers jours de 1642, le capitaine Hercule Langres adressa, en un style souvent incorrect, une relation des graves événemens qui venaient de se passer. Aussi avons-nous pris la liberté de rectifier plus d’une fois le procédé du narrateur et même de combler de nombreuses lacunes signalées à notre attention par les chroniqueurs du temps et les historiens qui ont, de nos jours, résumé, classé, éclairé l’un par l’autre les innombrables documens relatifs à l’épisode si curieux que nous voulons remettre en lumière. Le dernier surtout, M. John Forster, l’un des plus savans et des plus brillans ''reviewers'' de la presse anglaise
===I. — La lutte===
Le grand intérêt que vous prenez au pays où nous sommes, et particulièrement à l’illustre princesse auprès de qui vous avez passé vos plus belles années, vous ayant portée, madame, à requérir de moi le récit des notables événemens qui viennent de s’accomplir, je croirais manquer à mon devoir si je ne vous en envoyais le récit sincère. Il n’est point mal à propos, approchant, comme vous le faites chaque jour, certains personnages ''éminens''
Je ne vous ennuierai point du récit des événemens qui ont marqué les vingt derniers mois. Vous savez peut-être aussi bien que moi comment le roi d’Angleterre donna brusquement congé (15 mai 1640) à son parlement, qui semblait disposé à lui refuser l’argent nécessaire pour reprendre la guerre contre les mécontens d’Ecosse. Ceux-ci, jusque-là incertains, en reçurent un grand encouragement, se croyant bien plus forts si le peuple anglais était avec eux. De leur côté, les ennemis du roi et des ministres ne négligèrent point cette occasion de faire tumulte, et furent assez faiblement réprimés. Suivit la seconde guerre écossaise, où lord Conway, à la tête des troupes royales, se laissa repousser par le général Leslie jusqu’aux frontières du comté d’York, après quoi nos ''covenanters'' écossais, tout vainqueurs qu’ils fussent, au lieu de pousser leur pointe, adressèrent au roi une de ces humbles suppliques auxquelles il n’est pas toujours sûr de faire un mauvais accueil. Le roi d’Angleterre, volontiers dissimulant, les ajourna, pour gagner du temps, devant les lords du pays, convoqués à York en grand conseil. Il comptait, par cette mesure inusitée, éviter la réunion d’un nouveau parlement; mais, à grand renfort de pétitions suscitées par M. Pym et ses amis, qui déployèrent en cette occasion une activité surprenante, on obtint qu’il céderait sur ce point comme il avait été contraint de céder sur bien d’autres, et dès la première séance du grand conseil il fut annoncé aux membres qui le composaient qu’un parlement serait réuni dans un court délai. En attendant, on traitait avec les Écossais, qui, moyennant qu’on les payât bien (et ce à raison de quelque chose comme 15,000 pistoles par semaine), consentaient à rester en paix dans leurs quartiers, vivant d’ailleurs à merci sur les riches comtés de Northumberland et de Durham.
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Si vous voulez bien ne pas oublier que nos agens d’Edimbourg n’étaient point étrangers à cette prise d’armes des presbytériens d’Ecosse, qui en définitive a mis le monarque anglais dans la nécessité de recourir une fois encore à ses turbulentes communes, peut-être trouverez-vous et trouvera-t-on avec vous que certaines gens ici n’ont pas mal employé leur temps et l’argent de sa majesté le roi de France. C’est ce que je vous prierai de faire remarquer, avec votre discernement des circonstances, à qui vous savez.
Du procès et de la mort de lord Strafford, à quoi s’employa, dès qu’il fut établi (novembre 1640), le parlement nouveau, je n’ai pas à vous entretenir longuement. Cette tragédie (mai 1641) a fait assez de bruit, et les lettres de la cour d’Angleterre, où vous avez des amis, vous ont tenue au courant d’une si lamentable histoire. Vous vous serez peut-être étonnée que le roi Charles Ier, à qui l’habile ministre avait rendu tant et de si grands services, ait pu se résoudre à le livrer au ressentiment de ces anciens collègues en compagnie desquels il avait combattu la prérogative royale, qu’il avait ensuite abandonnés pour passer au service du prince, et qui s’étaient promis de lui faire payer cher sa trahison. Il serait un peu long de vous dire là-dessus tout ce qui peut servir à expliquer cette faiblesse étrange, la plus grande qu’eût commise encore le roi d’Angleterre, celle qui doit peser le plus à sa conscience et porter le plus de préjudice à son autorité. Ce sang versé lui fait des serviteurs méfians et des ennemis qui se sentent à jamais sous le coup de sa vengeance. Les uns désormais n’oseront plus en sa faveur rien tenter qui les expose au courroux du parlement; les autres ne croiront jamais qu’il puisse, de bonne foi, leur pardonner l’étrange violence qu’ils lui ont faite. C’est la pensée de plusieurs d’entre eux, je le sais à n’en pas douter. En particulier, c’est celle de M. Pym, le principal adversaire de l’infortuné qu’ils appellent encore, après l’avoir fait périr, «le grand apostat,» et celui de tous les parlementaires qui a le plus de hardiesse, de talent et d’autorité, à telles enseignes qu’en maint pamphlet, rimé ou non, le « roi Pym» est opposé au roi Charles <ref> ::........How you frown<br/>
:: If we but say, king Pym wears Charles’s crown.<br/> ( :: They fight for the king, but they mean for king Pym.<br/> (''New Diurnall''.)</br/> On pourrait multiplier à l’infini de pareilles citations puisées dans les satires royalistes.</ref>, comme si le véritable prince était l’homme en qui la majorité du parlement a mis toute sa confiance. M. Pym est un ancien commis supérieur aux finances (ce qu’ils appellent un ''clerc de l’échiquier''), très versé dans la connaissance des lois et des usages parlementaires; c’est aussi un homme de résolution et d’une merveilleuse activité. Il n’a nulle bigoterie, et les rigides de son parti l’accusent de faire trop grande part à l’esprit mondain. Ils lui reprochent d’aimer la bonne chère et de se plaire dans le commerce des dames. Je vous garantis cependant qu’il a trop d’affaires sur les bras pour accorder beaucoup d’heures à de plus doux passe-temps. Si le trépas du feu lieutenant d’Irlande a surpris et affligé ici nombre d’honnêtes gens, vous devez penser en quel état cette catastrophe soudaine a mis une personne qui était attachée à mylord Strafford depuis plusieurs années, et qui, jusqu’à ses derniers momens, lui a donné les marques de la plus vive tendresse. Vous aviez entendu parler, sans nul doute, de ces relations, que votre ''grande amie''
Comme à l’ordinaire, on la vit hanter le palais de White-Hall, où, elle porta le même air gracieux et les mêmes flatteries que devant. En même temps, il est vrai, cette extraordinaire personne, qui avait en vain, durant le procès de son ami, essayé de fléchir la terrible haine de M. Pym contre le plus redoutable adversaire des communes, continua de voir, et fréquemment, le principal auteur de la ruine de mylord Strafford, si bien que la médisance publique s’empara de leurs rapports, et ce fut une rumeur générale que M. Pym avait succédé au ministre déchu dans les bonnes grâces de la volage comtesse. Tenez pour certain (pour autant que ces sortes de choses admettent de certitude) que ce furent là de vains propos. La comtesse, que ceux qui la connaissent le mieux, dans les portraits qu’ils tracent d’elle, représentent «jouant avec l’amour comme avec un enfant,» n’aurait pas, à l’âge où elle est, après vingt ans de mariage et un veuvage de cinq années, accepté comme soupirant un muguet de l’espèce de M. Pym, gros homme grisonnant, à face pleine et rubiconde, espèce de bœuf parlementaire, embesogné de jurisprudence et de politique. Lui-même, encore que ses ennemis aient quelque droit de lui reprocher sa courtoisie envers les dames et son penchant aux plaisirs qu’elles donnent, ne se fût pas volontiers enchaîné aux pieds de cette Omphale aristocratique, au risque d’y perdre la virile ténacité qu’il porte dans les affaires d’état. Le fait est néanmoins que la comtesse, à partir du jour où elle ne fit plus retentir la ville de ses griefs, changea subitement d’habitudes. Elle fréquenta non plus les assemblées et les bals, mais les chapelles où se réunissent les presbytériens de Londres; elle y est toujours assidue, et repaît ses oreilles, encore hier caressées par les madrigaux de ses poètes familiers, MM. Davenant, Suckling et leurs pareils, de fastidieux sermons, qu’elle écoute avec la plus religieuse attention, prenant même des notes au crayon sur son livre d’heures afin de mieux retenir les saintes paroles.
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Je ne me chargerais pas volontiers, madame, de vous expliquer une si bizarre métamorphose, et n’aurais Là-dessus que de simples conjectures à vous proposer. Votre perspicacité n’a guère besoin qu’on lui vienne en aide, et démêlera sans doute les sentimens qui ont fait agir la belle et remuante Carlisle. Le mot de l’énigme, si je le savais, je me garderais bien de vous le donner d’avance. A plus forte raison, me bornant à croire que je l’ai deviné, vous laisserai-je le plaisir de le chercher à votre tour.
Quel qu’il puisse être, vous avez assez connu, — ne fût-ce qu’en lisant notre ''Mercure français'', où un illustre personnage
Après avoir été en fort mauvais état, ses affaires d’Ecosse semblaient prendre un tour plus favorable. M. de Montrose et bon nombre d’autres, jadis ses ennemis, commençaient à se raviser et tendaient à se séparer du fameux ''covenant'' en formant une ligue à part. Une correspondance secrète qu’ils avaient avec le roi ayant été découverte au mois de juin 1641, il y eut grande émotion parmi les presbytériens, qui firent arrêter et emprisonner les quatre principaux chefs de cette nouvelle ligue au château d’Edimbourg. Leur procès allait s’instruire, et le roi, dont tout l’espoir était maintenant dans la désunion des deux parlemens d’Angleterre et d’Ecosse, voulait saisir cette occasion de pratiquer quelques intelligences dans ce dernier, en intercédant pour sauver ses partisans compromis; mais si c’était là peut-être sa principale visée, il avait un autre dessein, moins public, qui était de saisir les fils d’une conspiration ourdie, lui disait-on, entre quelques-uns des chefs du parti populaire anglais et ceux des Écossais qui dès lors avaient en vue non-seulement l’abolition de l’épiscopat, mais le renversement de l’autorité royale, ou la séparation de l’Ecosse d’avec l’Angleterre, et le don volontaire de l’Ecosse à la France. Vous devez savoir qu’il en a été fortement question.
Dans la correspondance établie entre les chefs du parti parlementaire anglais et les ''covenanters'' d’Ecosse, certaines gens promettaient au roi d’Angleterre qu’il trouverait les preuves légales d’un crime de haute trahison. Il y avait en effet des lettres où les ''covenanters'' étaient invités à faire marcher leur armée en Angleterre (pareil appel à l’invasion étrangère
Le séjour du roi dans Edimbourg portait également ombrage aux presbytériens de ce pays et aux gens du parlement anglais. Vous comprendrez ceci, madame, en vous représentant l’Ecosse comme une femme dont deux prétendans rivaux se disputent les faveurs. Le roi Charles y a des serviteurs zélés et sait bien qu’il pourrait, surtout parmi les montagnards, y réunir une armée fidèle à sa race. Le parlement d’un autre côté, qui a déjà expérimenté les avantages d’une alliance avec le ''covenant'', serait fort marri si le fanatisme religieux de ces gens qui font la guerre aux évêques ne venait en aide à ceux qui volontiers prendraient les armes pour le maintien de ce qu’ils appellent «les libertés de la nation.» C’est donc, entre les deux, à qui gagnera l’appui de ce pays pauvre, mais puissant par la valeur militaire de ses habitans et le curieux entêtement religieux du bas peuple. Quant aux principaux parmi les ''covenanters'', une fois qu’ils eurent tiré du roi toutes les largesses par lesquelles, en même temps que par son apparente docilité, il espérait les mettre dans son parti, sa présence leur devint gênante. Peut-être est-ce là ce qu’il faut conclure de cette peur subite qu’affectèrent de prendre trois des plus grands seigneurs du parti, le marquis de Hamilton, son frère le comte de Lanark et le comte d’Argyle, qui, le 12 octobre dernier au matin, se sauvèrent tout soudainement, comme gens menacés dans leur vie. M. de Montrose (encore prisonnier au château, notez ce point-ci,) les avait, prétendaient-ils, vilainement dénoncés, et le roi, sur l’offre qu’il avait faite de les convaincre de trahison envers sa personne, devait les mander auprès de lui pour les faire enlever ou tuer, selon qu’il jugerait à propos. Fondée ou feinte (car nous ne savons encore ici à quoi nous en tenir)
Les affaires, médiocrement pacifiées dans le pays turbulent où il venait de séjourner, prenaient en Irlande une tournure singulière. En cherchant à y faire des enrôlemens secrets pour sa cause sous prétexte de lever des hommes pour l’armée espagnole, le roi Charles avait déchaîné sur le pays tout entier le parti des «anciens Irlandais.» Le complot ourdi par ses ordres pour s’emparer du château de Dublin avait échoué, et les principaux conspirateurs royalistes s’étaient enfuis, appelant aux armes les catholiques irlandais, qui, se livrant d’ailleurs à toute sorte de pillages, attaquèrent immédiatement sur tous les points les garnisons anglaises. Les lords-justiciers d’Irlande, chargés du gouvernement depuis la mort de mylord Strafford, se tinrent prudemment enfermés dans la ville de Dublin, réclamant et attendant les secours que le parlement d’Angleterre leur pourrait envoyer. Du roi, ils n’en espéraient guère, les rebelles irlandais étant incités à guerroyer par les deux émissaires de sa majesté, les comtes d’Antrim et d’Ormond, le dernier nommé commandant des troupes d’Irlande peu de jours avant que sa majesté ne partît d’Edimbourg pour s’en revenir à Londres. Quant au parlement, qui s’était donné sans trop de prudence six semaines de repos, il se trouvait en une passe difficile. Refuser des troupes au roi pour dompter les rebelles irlandais, c’était, comme on dit vulgairement, montrer le bout de l’oreille; en accorder sans précaution, c’était se mettre en grand péril, puisque, une fois réunies, ces troupes pouvaient être employées à ruiner son autorité. D’un autre côté, comment éviter une grave inconséquence? Le parlement venait d’appuyer les Ecossais dans leur résistance à l’épiscopat, que le roi voulait leur imposer, et aux catholiques d’Irlande il irait, à force ouverte, disputer leur croyance! Défendre la liberté religieuse dans un pays et en même temps écraser dans un autre pays cette même liberté, ne voilà-t-il pas une étrange contradiction? Ainsi pourtant le voulait la nécessité politique, les catholiques irlandais étant au fond pour la royauté absolue, tandis que les presbytériens écossais, en même temps qu’ils combattaient pour la liberté de conscience, réclamaient aussi les privilèges de la nation, quelques-uns d’entre eux inclinant même déjà vers une république. L’Ecosse à peu près satisfaite, l’Irlande se révoltant au nom du roi, dont les chefs des rebelles disaient hautement avoir des lettres, les affaires du monarque reprenaient donc un aspect des plus favorables. Ceci se sentait de loin, et les royalistes d’ici montraient une contenance joyeuse, tandis que les autres étaient en grand souci de ce qui allait se passer. Votre ''grande amie'', reprenant le courage qui lui avait un peu failli depuis le départ de madame sa mère, ne voulut point manquer cette occasion de montrer qu’après tout le roi pouvait compter encore sur cette bonne Cité de Londres, où on lui avait, en ces derniers temps, suscité de si grands embarras, et nous croyons savoir qu’elle s’entendit à ce sujet avec le sieur Gournay, lord-maire, bon royaliste et courageux, à qui la chevalerie fut promise, si les choses se passaient au gré de leurs majestés. Il arrangea tout selon leur désir, sans tenir compte du ressentiment des communes, qu’il doit aujourd’hui se repentir d’avoir encouru, car elles lui ont déjà ôté sa mairie, et il est en ce moment prisonnier à la Tour.
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Le 25 novembre 1641, jour de la rentrée du roi dans sa capitale, fut, je puis vous l’assurer, une fête comme vous n’en avez guère vu. Toutes les maisons étaient tendues de tapisseries, les rues pleines d’une foule joyeuse qui criait à tue-tête : ''Long live king Charles''! Plus de cinq cents bourgeois de la Cité, dans leurs plus riches costumes, formaient la cavalcade d’honneur qui escortait sa majesté, montée sur un admirable alezan. À Moorgate, sous une tente des plus magnifiques, elle fut haranguée par le lord-maire, et lui répondit de bonnes paroles, qui étaient répétées de toutes parts avec mille bénédictions. Le gala royal, donné à Guild-Hall, fut de la plus grande richesse. Les journées étant très courtes au mois de novembre, sa majesté, qui s’en revint sur les quatre heures en son palais de White-Hall, parcourut les rues, toujours à cheval, à la clarté de mille torches. La populace, pour qui l’on avait percé maint tonneau de ''claret'' dans Corn-Hill, Cheapside et Fleet-Street, poussait des clameurs à fendre la nue. Si jamais prince put se croire adoré de ses sujets, ce fut bien Charles d’Angleterre à ce moment de son règne. Je me souviens pourtant que, ce jour-là même, milady Carlisle, qui me vit passer de son balcon, me parut avoir les yeux bien brillans et les lèvres bien serrées, et comme je lui montrais White-Hall fort illuminé, elle, du doigt, m’indiqua Westminster, ce que je compris le lendemain seulement, lorsqu’un de nos gens me vint dire que le parlement y avait débattu toute la journée et toute la nuit, non sans beaucoup d’opposition, une ''remontrance'' au roi, dans laquelle tout son règne est passé en revue depuis qu’il a pris le sceptre et la couronne, l’état du royaume peint sous les couleurs les plus sombres, et les réformes à faire indiquées à côté des réformes déjà obtenues.
Quatre jours plus tard, à savoir le 29° de novembre, M. Sydney Bere, qui venait d’être nommé sous-secrétaire d’état, s’expliquait, dans une lettre qui nous fut vendue, sur les grands dissentimens qui existaient entre les deux chambres, et même au sein des communes, relativement à la publication de la remontrance, que les uns voulaient faire imprimer, les autres non. Le roi, qui avait été informé par l’évêque Williams
Onze voix seulement de majorité firent passer, le 1er décembre, la fameuse remontrance. Le même jour, les deux chambres adoptèrent une résolution contre toute tolérance du culte catholique en Irlande ou dans toute autre partie des domaines du roi d’Angleterre. Si elles étaient d’accord sur ce point, il s’en faut qu’elles marchassent du même pas dans d’autres voies. Ainsi les communes contestaient au roi la prérogative de ''presser'' des soldats pour l’armée; le roi défendait ce privilège, exercé sans conteste par tous ses ancêtres. Les lords, en cette délicate question, inclinaient pour maintenir au roi sa prérogative, fondée sur une constante pratique; pourtant ils étaient quelque peu effrayés du ton menaçant que les communes avaient pris vis-à-vis d’eux : ce que voyant, sa majesté intervint assez gauchement, comme dans le procès de mylord Strafford, et offrit de ratifier le ''bill'' pour la levée des troupes, sous réserve de ses droits royaux, remettant à d’autres temps la discussion du principe constitutionnel.
Grâce à la remontrance, qui commença de circuler vers le 22 décembre, et aussi grâce à tous ces débats durant lesquels l’autorité royale était mise en soupçon chaque jour avec plus de hardiesse, l’effet passager de la rentrée du roi et le souvenir de sa réception triomphante s’étaient rapidement affaiblis. Profitant du répit qu’il leur avait laissé, malgré le dessein qu’il avait déjà formé de les perdre, — dessein dont nous verrons éclater les preuves, — ses adversaires étaient désormais en mesure de lui tenir tête, et leur popularité renaissante ne pouvait manquer de leur servir de bouclier à l’heure du péril. Ce n’était pas à nous autres, agens de la politique française, qui les avions aidés et soutenus en de moins favorables circonstances, de les abandonner quand l’ascendant paraissait leur revenir, et je vous avouerai sans détour que nos relations, déjà fréquentes avec les principaux du parlement, devinrent de plus en plus intimes; mais nous avions aussi des amis de l’autre côté, et vous savez assez qu’aucune démarche de sa majesté le roi d’Angleterre ne reste longtemps cachée aux envoyés du roi de France. Nous commençâmes donc, tout des premiers, à noter quelques mesures qui donnaient à prévoir de ce côté des résolutions violentes. Un des postes les plus importans en temps de crise, à savoir la lieutenance de la Tour de Londres, était aux mains du sieur Balfour, Écossais, fort ami du parlement, et qui le fit bien voir, il y a quelques mois, en refusant les sommes énormes qu’on lui proposait, avec la main d’une des filles mêmes de mylord Strafford, s’il voulait favoriser l’évasion de ce prisonnier. Nous eûmes vent, dès le 22 décembre au soir, jour de deuil et de jeûne officiels ordonnés pour l’apaisement des troubles d’Irlande, que le roi venait de nommer à la place du sieur William Balfour un officier d’aventure, le colonel Thomas Lunsford, homme de sac et de corde, ruiné, perdu de dettes, quoique issu d’une ancienne et honnête famille. Il venait de l’armée du nord, où il avait été fort compromis dans cette conjuration militaire que je vous ai rappelée plus haut. Un pareil choix en disait long, et avait de quoi faire réfléchir les citoyens de Londres, qui appellent eux-mêmes «la bride» cette forteresse, au moyen de laquelle on les tient en respect. Il n’est donc pas étonnant qu’il causât des ombrages au parlement, dont quelques membres se pouvaient dire intérieurement qu’ils seraient bientôt sous la garde d’un si infâme geôlier. Aussi, dès le 24 décembre, y eut-il une protestation des communes, une adresse votée à l’unanimité pour le renvoi du nouveau lieutenant, et une invitation au connétable de la Tour, le comte de Newport, qu’il eût à se loger provisoirement en cette forteresse et à prendre le commandement de la garnison ; mais quand les deux membres envoyés pour notifier à ce gentilhomme le vœu de la chambre furent arrivés auprès de lui, il leur apprit, à leur grand étonnement, que, pour certaines paroles déloyales qu’il était accusé d’avoir tenues pendant le séjour du roi en Ecosse, la charge de connétable venait de lui être ôtée
Toutefois, sur les représentations du lord-maire Gournay, qui, mieux que tout autre, pouvait juger l’effet de ces mesures sur l’esprit des citoyens de Londres, le roi avait cru nécessaire de révoquer le colonel Lunsford, en la place duquel fut mis sir John Biron, et cela dès le 25 décembre. De même, le 29, le roi allait déclarer aux communes qu’il n’avait jamais cru à l’accusation portée contre le comte de Newport et n’y voulait donner aucune suite ; mais pour l’un comme pour l’autre de ces démentis qu’il se donnait ainsi à lui-même, il était déjà trop tard. Dans les foules répandues par la ville à l’occasion des fêtes de Noël, mille rumeurs menaçantes avaient circulé, et bien des gens de partis contraires s’étaient insultés les uns les autres. Là, pour la première fois, j’ai ouï les partisans du roi appeler «têtes-rondes» (à cause de leurs cheveux ras) ceux qui tiennent pour le parlement, et ceux-ci riposter par le mot de «cavalier,» qui, pris dans notre langue, est comme une accusation d’être Français et catholique, — autant dire partisan de la reine et du pape, — plutôt que bon Anglais et bon protestant. Les choses allèrent ainsi s’échauffant jusqu’au 27 décembre, où, pour la première fois dans ces tumultes populaires, le sang allait couler.
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Vous avez vu ce qui s’était passé sur les degrés de Westminster, et comme quoi messeigneurs les évêques y avaient été honnis et conspués par la populace. Le plus remuant de ces prélats, Williams, le nouvel archevêque d’York, vit dans cet accident, assez peu important au fond, l’occasion de jeter un nouveau brandon de discorde dans le parlement, et ce au profit de sa majesté, dont il a besoin de se faire bien venir après une longue disgrâce suivie d’un retour de faveur. Le lendemain du jour où il avait eu sa robe déchirée par quelques croquans (c’est-à-dire le 28 décembre), le débat de la chambre des lords s’étant un peu prolongé, on apporta des torchères, et comme il faisait déjà nuit, les cris de ''no bishops ! no bishops''! (plus d’évêques!) se firent entendre un peu plus haut dans les environs du palais. Soit qu’il fût d’accord avec l’archevêque Williams, soit de son propre mouvement et par manière de raillerie, lord Hertford (qui vient d’être fait marquis, et a reçu maintes autres preuves de la faveur royale) s’approcha du banc des évêques et dit à leurs seigneuries ecclésiastiques qu’elles couraient vraiment de grands dangers, les exhortant à prendre quelques mesures de sûreté. Leurs mines s’allongèrent incontinent, et plusieurs se hâtèrent de lui demander : «Que voulez-vous dire? que faut-il faire?» Sur quoi le marquis, gardant à peine son sérieux, leur conseilla de demeurer tout le reste de la nuit dans l’enceinte du parlement, «car, ajouta-t-il, ces gens du dehors vous guettent au passage. Ils viendront avec des torches visiter les carrosses, et vous ne leur sauriez échapper.» Alors quelques prélats se levèrent, et, s’adressant à l’assemblée, demandèrent qu’on prît des mesures pour les garantir de la fureur populaire. Cette motion fut reçue avec des sourires moqueurs par plusieurs des lords à qui elle était proposée. Il y en eut pourtant (lord Manchester entre autres) qui offrirent de prendre sous leur protection l’archevêque et sa compagnie, qu’ils reconduiraient chez eux. Ce qui fut dit fut fait, et chacun en somme put rentrer fort paisiblement chez soi; quelques prélats même ne jugèrent pas à propos de se faire ainsi escorter, et se bornèrent à sortir quelques minutes plus tard que le reste des lords.
Quelques-uns de ceux qui s’en étaient allés avec l’archevêque Williams passèrent la nuit dans sa maison, où ils élaborèrent de concert une assez étrange pétition au roi. Ils y disaient «qu’à raison des tumultes qui depuis trois journées assiégeaient Westminster, ils étaient empêchés de prendre librement leurs places aux séances, qu’ils n’entendaient plus assister aux délibérations jusqu’à ce que sa majesté les eût mis à l’abri de pareils dangers et de pareilles insultes, et qu’en conséquence les soussignés protestaient contre toutes lois, ordonnances, résolutions quelconques et déterminations qui seraient débattues et votées en leur absence, ''comme étant en elles-mêmes nulles et de nul effet''.» Le lendemain, ils convoquèrent leurs collègues, et, sous l’influence de Williams, onze autres évêques joignirent leur signature à la sienne. L’un d’eux (Hall) a soutenu depuis qu’ils étaient convenus d’en délibérer encore avant de remettre cette pétition; mais à peine Williams eut-il en main les précieuses signatures que le jour suivant, de bon matin, il porta la pétition à White-Hall. Là, tout à point et par une assez étrange coïncidence, le ''lord keeper''
Ce même jour, et tandis que les lords expédiaient la besogne de messeigneurs les évêques, M. Pym, — après avoir demandé à l’improviste que les portes des communes fussent fermées, qu’aucun membre ne pût quitter l’assemblée, que même on fît vider les salles extérieures par toute personne non attachée au service de la chambre et clore les fenêtres pour que nul papier ne pût être jeté dans la rue, — M. Pym, dis-je, prononça un discours où il laissa entrevoir, sans les dévoiler entièrement, les dangers qui menaçaient soit quelques membres du parlement, soit le parlement lui-même. Son objet (qu’il eut soin de tenir longtemps en suspens) était de faire inviter les citoyens à former une garde pour veiller à la sûreté de la chambre. Il est à croire que les gens chargés de lui faire accepter l’emploi dont il n’avait pas voulu s’étaient laissés aller à quelques demi-confidences sur les périls prochains que courraient les parlementaires obstinés dans leur résistance à l’autorité du monarque. M. Pym se garda bien toutefois de laisser paraître qu’il sût le moindre détail des attaques préméditées contre la chambre. Il ne parla qu’en termes généraux de la lutte engagée, des militaires assemblés à White-Hall, et des extrémités auxquelles il fallait s’attendre. Pourtant il demandait que les milices municipales (''trained bands'') fussent convoquées à l’heure même, comme s’il s’agissait d’une résistance immédiate. Fort peu d’orateurs secondèrent sa motion; un bien plus grand nombre la combattirent; quelques-uns proposèrent de s’ajourner et de se rendre à Guild-Hall, où l’on délibérerait sous la protection immédiate de l’autorité municipale
Le 1er janvier de la présente année 1642, qui était un samedi, la chambre se donna le congé d’usage, mais non sans avoir nommé un comité pour recevoir la réponse de sa majesté à la pétition de la veille, si tant est qu’il en fût fait une. A White-Hall cependant, le conseil siégeait avec le roi. Mylord Falkland y parut comme membre du conseil privé, en attendant que sa nomination de secrétaire d’état fût signée, et il y prêta serment, ainsi que sir John Colepeper, pour qui l’on donna ordre de préparer les lettres patentes qui le nommaient chancelier de l’échiquier ''sa vie durant'' : ces derniers mots étaient ajoutés contre l’usage, et aussi contre le droit constitutionnel d’Angleterre, pour apprendre aux communes que le roi n’entendait plus se laisser enlever ses ministres par le bon plaisir de messieurs les députés. Le dimanche 2 janvier, les affaires publiques demeurèrent en suspens; mais j’eus pour ma part une visite suffisamment importante, celle d’un sieur Fleury, notre compatriote, lequel, récemment attaché à cette nouvelle garde assemblée autour du roi, me tenait au courant de ce qui se passait à White-Hall. Déjà, depuis trois semaines, il m’avait donné plusieurs informations utiles, et ce jour-là il m’annonça que «le four chauffait» plus que jamais. Lord Digby ne quittait plus le roi, qu’il excitait contre ses rebelles communes, et le mot d’ordre dans les rangs de cette troupe armée, qu’il passait fréquemment en revue dans les cours de White-Hall, était «qu’il en fallait finir avec ces bavards, ces usurpateurs, détrôner le roi Pym, et rendre le trône au roi Charles.» Ayant fait part de ces détails à M. de Montreuil, nous jugeâmes bon d’en informer aussi nos amis du parlement. Un d’eux vint le soir, le manteau sur le nez, nous remercier en leur nom, et quand il sortit, je m’avisai de dire à M. de Montreuil : «Que pensez-vous de tout ceci, monsieur l’envoyé?... Ne trouvez-vous pas étrange le rôle que nous jouons? Il est bon à Londres; mais à Paris, si nous nous mêlions dans le même sens des affaires entre le parlement et le roi notre maître, ne croyez-vous pas que Mgr le cardinal nous ferait pendre tous les deux en moins de temps qu’il n’en met à lire son office? — Vraiment, me répondit-il en riant, un homme de sa trempe n’y manquerait guère, et je vous en réponds... Mais son éminence et le roi d’Angleterre sont d’une humeur fort différente... Au surplus, ajouta son excellence d’un air plus grave, ne nous y fions pas trop, et gardons de nous laisser prendre, comme on dit, la main au sac.»
===II. — L’outrage===
Le lundi 3 janvier, le tonnerre qui s’amassait à l’horizon, dans les nuages, commença d’éclater. Les communes écoutaient avec assez de mécontentement la réponse du roi, par laquelle sa majesté leur refusait la garde urbaine avec le lord Essex pour commandant, mais leur promettait (bonne plaisanterie!) d’être elle-même au besoin leur protecteur contre tout péril. Cependant un de leurs membres, sir Edward Herbert, aujourd’hui ''attorney general'' et siégeant chez les lards
Aux communes, le débat s’était ouvert par un discours de M. Pym sur la réponse du roi, qu’il trouvait peu satisfaisante. Il proposait (et on la vota) une requête aux autorités de la ville «pour qu’elles eussent à permettre que des compagnies de milices vinssent garder les deux chambres du parlement, et qu’on garnît fortement de ces mêmes milices les rues et murailles de la Cité.» Tout d’un coup, pendant un autre discours dans le même sens, MM. Pym et Denzil Hollis furent appelés à la porte de la salle par quelques-uns de leurs gens, et une grande agitation s’établit, les députés parlant à haute voix de ce qui venait de se passer chez les lords. M. Pym, revenu à sa place, attendit que l’autre orateur, un moment interrompu, finît sa harangue, et alors, d’une voix un peu émue, à l’ébahissement de l’assistance qui l’écoutait avec avidité, il annonça que son domicile avait été violé, ses armoires et caisses mises sous les scellés, ainsi que sa chambre à coucher et son cabinet : «Autant en est arrivé, ajouta-t-il, chez M. Denzil Hollis et chez M. Hampden, ainsi que peuvent vous le déclarer ces deux honorables personnages ici présens.»
Aucun débat ne suivit cette dénonciation. Il y eut dans l’assemblée comme un seul mouvement pour déclarer que le privilège parlementaire était violé, et ordonner immédiatement que «si n’importe quelle personne, sans en avoir prévenu la chambre et obtenu ses instructions à cet égard, tentait d’arrêter ou de détenir un membre des communes, il était licite, en vertu de la protestation votée pour garantir les privilèges du parlement <ref> Protestation solennellement rédigée et signée par tous les membres des communes le soir même du jour où Strafford avait été exécuté (
Restait à transmettre aux lords la décision prise. Les trois commissaires désignés à cet effet allaient partir, quand on annonça que le sergent d’armes du roi, le sieur Francis, était, masse en mains, à la porte des communes et demandait à remettre un message de sa majesté au ''speaker'' de la chambre. L’émotion de l’assemblée se peut concevoir; mais elle ne lui fit pas oublier le maintien de ses droits et le soin de sa dignité, même en ces momens de crise. Pour admettre le sieur Francis, on exigea qu’il déposât sa masse, conformément à l’étiquette. Ce fut donc dépouillé de ses insignes d’autorité qu’il parut à la barre, au milieu d’un profond silence, pour requérir, au nom du roi, que «M. le ''speaker'' lui délivrât cinq ''gentlemen'', membres de la chambre des communes, lesquels, lui étant désignés, il avait ordre d’arrêter au nom de sa majesté comme prévenus de haute trahison. — Leurs noms, ajouta-t-il, sont: Denzil Hollis, sir Arthur Haslerig, John Pym, John Hampden et William Strode.»
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Je vous puis assurer, madame, que jamais assignation donnée par une aimable et belle personne ne m’a aussi peu que celle-ci bercé de décevantes espérances. Il n’y avait pas à se méprendre sur ce qu’entendait la déesse, et la flamme de son regard n’était point allumée aux autels de Cupidon. Elle m’apparut ce soir-là sous les traits de la furie Erynnis, à laquelle j’ai entendu certains royalistes comparer milady depuis qu’elle est en rapports quotidiens avec leurs adversaires du parlement. Que diraient-ils si on appelait ainsi, dans le parti contraire, sa majesté la reine, qui elle aussi, ce soir-là, poussait à la guerre, stimulée qu’elle était par ses propres craintes? Depuis que les communes, en s’opposant en juillet dernier à son départ pour Spa, l’ont proclamée suspecte de vouloir ourdir à l’étranger des trames contre les libertés de l’Angleterre, cette princesse s’est regardée comme en péril chez ce peuple implacable. En combattant contre les gens du parlement, elle estime qu’elle défend sa vie, et pour cela tous les moyens sont bons, même les mauvais. On croit donc que c’est principalement à elle qu’il faut attribuer le parti pris par le roi d’accuser les six membres du parlement. Pour autant que nous ayons pu pénétrer le secret de cette nuit mémorable, où l’on délibéra les mesures violentes qui allaient suivre, on y tint conseil fort longtemps, et la reine en était. Il y eut aussi force allées et venues en sens divers, le chevalier Killigrew ayant passé la nuit à courir les ''innes of court'', où il colportait imprimés les articles de trahison, avec force exhortations aux jeunes ''gentlemen'' de venir le matin à White-Hall, où sa majesté les appelait. Ils y étaient déjà venus quelquefois pendant ces tumultes, et on les y traitait bien, le couvert étant toujours mis pour eux. Killigrew n’était pas, nous l’avons su depuis, le seul messager qui, cette nuit-là, circulât pour le roi. Vous avez vu que la chambre des communes avait fait passer aux autorités municipales l’ordre de lui envoyer des milices pour la protéger. Sa majesté, ayant eu connaissance de cette mesure, voulut en détruire l’effet, et, de concert avec le secrétaire Nicholas, dressa dans la soirée du 3 un ''counter-warrant'' pour l’exécution duquel il s’en rapportait au bon vouloir du lord-maire Gournay. Ce magistrat était chargé par le contre-ordre en question de convoquer les ''trained bands'' de la Cité, non pour les communes, mais pour le service du roi, «lesquelles milices municipales, bien armées et pourvues, supprimeraient tous désordres tumultueux, disperseraient les groupes assemblés sur la voie publique, et, dans le cas où les citoyens refuseraient d’obéir, feraient feu sur les rebelles...» Cette pièce, remise au messager Latche (je sais son nom pour l’avoir vu et questionné), devait être portée au lord-maire le soir même, et, s’il se pouvait, avant l’arrivée des envoyés de la chambre des communes; mais, pour une raison ou l’autre, quand cet homme arriva chez le lord-maire, à passé minuit, il y avait été devancé par MM. Venn et Pennington. Le lord-maire était étendu sur l’oreiller municipal, et ce fut à grand’peine qu’on put arriver jusqu’à lui. La cédule royale lui fut remise; mais il déclara qu’il l’ouvrirait seulement le lendemain, en présence de ses ''sheriffs'', convoqués à cet effet. En revanche, il donna copie au messager royal de l’ordre émané des communes, et lui dit que les deux députée par lesquels cet ordre avait été apporté manifestaient de grandes craintes, mais en termes couverts et mystérieux. De tout ceci le messager rendit compte par lettre à sir Edward Nicholas, après être allé s’assurer, du côté de la Tour, que rien ne bougeait.
Dès le matin du 4 janvier, milady Carlisle arriva chez la reine, par qui elle fut bien accueillie, et qui semblait triomphante. Le roi y vint peu après l’arrivée de milady, et, prenant la reine à part dans un cabinet voisin, y conversa quelque temps avec elle à voix trop basse pour qu’on entendît ce qu’ils se disaient. Il semblerait qu’au moment décisif le cœur manquât à ce prince pour entreprendre ce qui avait été résolu dans le conseil de la nuit, car tout à coup la reine, emportée par la passion, changea de ton-: — Allez, poltron! l’entendit-on s’écrier, en français mêlé d’anglais, à son royal époux,... allez!.,. ''Pull these vogues out by the ears'' <ref> ''Go, pull these rogues out by the ears''!... Tirez de là ces drôles par les oreilles!... — C’est le texte même de cette apostrophe historique, tel que le donne M. Forster d’après un manuscrit de sir William Coke, conservé par Archetil Grey (
Peu après cette boutade furieuse, n’entendant plus de bruit dans le cabinet, milady Carlisle gratta doucement à la porte, et comme on ne lui interdisait pas d’entrer, elle s’y glissa presqu’inaperçue. La reine y était seule, assise, le front dans ses mains. Elle n’adressa d’abord aucune réponse aux questions de la comtesse, qui se mit alors à lui parler de choses indifférentes sans tenir compte de l’espèce de distraction où elle voyait sa majesté. Après un certain temps, — peut-être trois quarts d’heure, m’a dit la comtesse, — sa majesté se leva de son siège, et regardant à l’horloge : — Tenez, lui dit-elle, la joie m’étouffe!... Réjouissez-vous comme moi!... Le roi désormais est roi pour tout de bon. Pym et ses alliés doivent être maintenant sous bonne garde...
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Pendant que ces choses se passaient, la chambre des communes avait tenu sa séance du matin, où M. Pym répondit, article par article, aux charges de trahison, et son éloquence souleva, m’a-t-on dit, des cris et des applaudissemens dans l’assemblée, surtout quand il déclara «que c’était trahison de lever une armée pour contraindre aucun parlement à décréter des lois autrement que par volonté libre et franc vote.» Mêmes clameurs et même approbation quand, après avoir, en apparence, terminé sa harangue, il vint près de la table du clerc et demanda au ''speaker'', en toute déférence, «s’il était ou non constitutionnel que sa majesté apportât elle-même en cette chambre des articles de trahison, et si ce n’était point porter une atteinte au privilège que d’occuper les en tours et les portes de cette assemblée avec des gens armés, pendant que cesdits articles de trahison seraient lus à la chambre.» Vous voyez, madame, que M. Pym était assez bien averti, et qu’il prenait d’avance ses précautions. MM. Hollis, Haselrig et Strode furent entendus après lui, tous protestant à l’envi de leur innocence, et M. Hampden parla le dernier. Son discours roula principalement sur l’espèce d’obéissance qu’on doit au prince, limitée par la religion et les lois fondamentales du royaume. Cet homme, très doux à l’ordinaire, prit tout à coup ce jour-là un ton sévère qui étonna les membres royalistes et fut noté de tout le monde. On peut bien dire que l’accusation de trahison, souverainement injuste à leurs yeux, les a changés, lui et M. Pym, jusqu’alors simples défenseurs de la constitution, en ennemis résolus de la royauté. Ce n’est qu’à ce moment, je le crois, qu’ils ont tiré l’épée contre elle, et jeté bien loin le fourreau. Or ce ne sont pas là des ennemis méprisables : l’un, M. Pym, supérieur par son activité merveilleuse, sa connaissance des choses passées et des subtilités légales, la confiance qu’il inspire à raison des persécutions dont il fut l’objet (en 1614) et de son rôle important au fameux parlement de 1620 ; — l’autre, véritable modèle du gentilhomme anglais, calme, réservé, maître de lui, discret, et pourtant remarquablement persuasif, habile, avec une force latente de desseins et de volonté que rien au monde ne peut faire plier ; — tous deux désormais unis dans une commune persécution et un danger commun, amis à toujours et comptant l’un sur l’autre, de manière à ne faire pour ainsi dire qu’un seul homme. Dans le privé, M. Hampden me semble diriger M. Pym. M. Pym, à la chambre des communes, est tout autrement puissant : c’est lui qui mène.
Le jour en question, dès que les cinq membres accusés eurent parlé, il fut décidé qu’on demanderait une conférence à la chambre des lords pour lui dénoncer un «instrument de scandale» publié tout récemment, et dont il fallait rechercher les véritables auteurs et publicateurs, «afin de leur infliger le châtiment par eux mérité, comme aussi pour préserver la chose publique contre de pareilles personnes.» L’''instrument scandaleux'' n’était autre chose, s’il vous plaît, que les articles d’accusation présentés au nom du roi par son ''attorney général''. Les communes, dans la même conférence, voulaient appeler l’attention des lords sur la force armée réunie au palais de White-Hall, ce qui constituait une violation du privilège et une atteinte à la liberté des délibérations du parlement. Tout ceci fut réglé au milieu d’un calme profond en apparence, mais qui cachait, n’en doutez pas, une grande anxiété, car on savait déjà par mainte et mainte rumeur qu’il y avait affluence de gens armés du côté de White-Hall, que trente ou quarante canonniers avaient été introduits la veille au soir, sur les dix heures, dans l’enceinte de la Tour, que les ''hamlet-men'', à qui d’ordinaire la garde de cette forteresse était confiée, n’avaient point reçu d’armes, et qu’au contraire les gens des évêques
La motion débattue était : «attendu l’intention présumée où l’on est d’enlever de force cinq membres des communes, ''ordre'' leur soit donné, pour éviter tout tumulte, de s’absenter de la séance.» On y substitua tout aussitôt celle-ci : «attendu, etc.,... ''congé'' soit donné auxdits membres de s’absenter;» ce qui fut voté sans débat. M. Denzil Hollis, sir Arthur Haselrig, M. Pym et M. Hampden, gens d’âge mûr et chefs de famille, sortirent tout incontinent de la salle des séances. M. William Strode au contraire, jeune et célibataire, se prit à dire fort haut «qu’il était innocent et le ferait bien voir, dût-il sceller sa parole avec son sang.» — «Partez! partez!» lui criait-on vainement de toutes parts, jusqu’au moment où l’un de ses plus chauds amis, sir Walter Earle, le prit au corps et l’entraîna de force vers une grande barque qu’on s’était procurée à la hâte, et qui les attendait au bas des degrés de Westminster.
À l’heure même où le dernier des cinq membres quittait ainsi la salle, le roi Charles et ses ''reformados''
A l’entrée du roi, tous les membres s’étaient levés, tête nue. Le roi aussi avait retiré son chapeau, et tout en s’avançant vers le fauteuil du président, il saluait à droite et à gauche avec grande courtoisie. Il regardait cependant du côté où M. Pym se tenait assis d’ordinaire, et paraissait chercher, parmi toutes ces figures graves et muettes, à démêler les traits abhorrés de ce redoutable adversaire. Le ''speaker'' attendait, debout devant son fauteuil; mais il fit un ou deux pas pour venir au-devant de sa majesté, qui s’approchait, et celle-ci, parlant la première : «Monsieur le ''speaker'', lui dit-elle, force m’est, pour quelques momens, de vous emprunter votre siège.» Pourtant elle ne s’assit pas, mais, demeurant debout sur les degrés, elle regarda un temps, sans rien ajouter, les têtes pressées à ses pieds ; puis elle prononça les paroles suivantes, écrites à la volée par un jeune secrétaire-assistant, M. Rushworth. Vous pouvez être certaine qu’elles ont été fidèlement consignées au papier, car le roi les a revues le soir même, et avant qu’on ne les envoyât à l’imprimeur, il y a corrigé de sa main certaines inexactitudes
«Messieurs, dit le roi, je suis peiné d’avoir à vous visiter en de si fâcheuses circonstances. Hier je dépêchai un sergent d’armes pour appréhender, sur de graves motifs, des gens qui, par mes ordres, étaient accusés de haute trahison. A cette occasion, j’attendais, non pas un message, mais d’être obéi. Et j’ai à vous déclarer que s’il ne fut ou ne sera jamais roi d’Angleterre plus soigneux de vos privilèges et désireux de les maintenir par toute sa puissance que je ne le fus ou ne le serai, encore devez-vous bien savoir que, dans le cas de trahison, personne ne peut réclamer de privilège. Et c’est pourquoi je suis venu m’assurer si les personnes accusées sont ici
« ... Car je dois vous dire, messieurs, qu’aussi longtemps que ces personnes accusées par moi, non de légers délits, mais de trahison, siégeront ici, je ne puis espérer que la chambre soit dans la bonne voie, ce que je souhaite de grand cœur. C’est pourquoi je suis venu vous dire qu’il me les faut, en quelque endroit que j’aie à les découvrir
«... C’est bien. Puisque, je le vois, les oiseaux sont envolés
Vous n’aurez point de peine, connaissant la physionomie et l’accent de sa majesté, à vous faire idée de la lenteur, de l’hésitation, de l’embarras avec lesquels fut prononcé ce discours, qu’on écoutait dans le silence le plus absolu. Encore ne vois-je pas, dans le récit du clerc de la chambre, ce dont j’ai parfaite souvenance : c’est qu’après avoir demandé M. Pym, sa majesté, un peu décontenancée, s’enquit encore de M. Hollis. Et comme on ne répondait pas plus à cette question qu’à l’autre, elle se tourna vers le ''speaker'', lui ordonnant de parler. Alors il y eut un moment de grande inquiétude, car ce M. Lenthal est un homme timide, très-déférent aux volontés royales, et qui récemment encore demandait à être déchargé de son office, qu’il trouvait trop difficile et dangereux. Pourtant cet homme si peu résolu trouva dans la crise présente des paroles qu’on n’eût jamais attendues de lui. S’agenouillant devant le roi : — Sire, lui dit-il, que votre majesté me pardonne; mais ici je ne puis ni voir ni parler, si ce n’est par ordre de la chambre. — C’est bon, c’est bon, et peu importe, répondit le roi; mes yeux, je pense, valent ceux d’un autre. — Et c’est après un long regard jeté de tous côtés qu’il reprit, comme vous l’avez vu, sa harangue. Dès qu’elle fut close, comme personne ne faisait mine de bouger ni de parler, le roi, d’un air mécontent, descendit les degrés et s’en alla, suivi du prince-électeur. A mi-route du fauteuil à la porte, il s’arrêta et reprit encore : «J’attends que vous m’envoyiez ces hommes!... Sans cela, sans cela,... je prendrai moi-même des mesures pour les trouver. Leur trahison est abominable, et telle que vous me remercierez tous de l’avoir découverte.»
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Le silence pourtant n’était plus le même, et les membres du parlement s’enhardissaient peu à peu. Plusieurs murmuraient assez haut pour qu’il arrivât aux oreilles royales le mot de ''privilège! privilège''! Les ''reformados'', de leur côté, faisaient entendre des exclamations de désappointement. On voyait que la partie manquée leur tenait assez à cœur pour qu’ils eussent volontiers, au premier signal, fait voir le jour à leurs rapières et déchargé leurs pistolets en la salle. Nul doute qu’il ne fût arrivé quelque malheur, si, les cinq membres étant présens, on eût refusé au roi de les lui laisser emmener. Je ne crois même pas, tant quelques-uns de ces matamores étaient échauffés, qu’ils eussent attendu l’ordre du roi; ils se fussent jetés sur l’assemblée, et le roi lui-même ainsi que son neveu eussent peut-être, dans la bagarre, couru de véritables dangers. Pourtant ils s’éloignèrent sans coup férir, laissant force gens bien étonnés d’en être quittes à si bon marché. J’en connais de cette assemblée qui, le jour même, firent leur testament, pensant bien que la bataille si rudement engagée ne se terminerait point sans quelque carnage. Le roi parti, M. Lenthal donna ordre de fermer les portes, et demanda à la chambre s’il fallait qu’il présentât son rapport sur les paroles de sa majesté. — Point! point! s’écria un des membres (sir John Hotham), nous les avons entendues suffisamment. — D’autres opinèrent confusément qu’il se fallait ajourner au lendemain à une heure de relevée. On en tomba d’accord sans débat, et à trois heures et demie dans l’après-midi, le 4 janvier, la salle des communes était vide. Quant aux cinq membres accusés, on les croyait au fond de la Cité, cachés dans quelque maison amie; même on nommait la rue, — Coleman-street, — et force gens y passèrent la nuit sous les armes d’après cette idée qu’on s’était faite. La pure vérité, c’est qu’ils étaient revenus dans la soirée en l’enceinte de Westminster, où ils se doutaient bien qu’on ne les chercherait point, sans compter que, les y soupçonnant, on y eût peut-être regardé à deux fois avant de violer cette résidence du parlement. Le roi cependant avait fort à faire de recevoir les reproches de votre ''grande amie'', comme aussi de résister aux offres empressées de celui qui principalement lui avait conseillé son entreprise; c’est de lord George Digby que je veux parler. Vous n’êtes pas sans connaître, au moins de nom, ce personnage qui, de l’Espagne, où son enfance s’est écoulée tout entière, a conservé les airs capitans et les penchans catholiques. Instruit d’ailleurs, bon philosophe et théologien, orateur disert, versé dans la plupart des langues qu’on parle sur le continent, il a été fameux de bonne heure par ses amours et par ses duels, sa galanterie et sa bravoure. Pour avoir châtié par l’épée, dans l’intérieur même de la résidence royale, un rival que la faveur de cour avait rendu insolent, il fut envoyé en prison et disgracié pour un temps, ce qui, joint aux griefs de son père, le comte de Bristol, le jeta dans l’opposition. Cependant, s’il avait tous les dons qui gagnent le cœur des dames et l’admiration des hommes, il semble être dans sa destinée de voir ses plus grands admirateurs, ses amis les plus chauds, le prendre ensuite en haine et lui en vouloir des sentimens favorables qu’il leur avait surpris. Certaine inconstance de caractère, servie par une subtilité d’esprit trop raffinée, ne le laisse jamais dans la même voie, et le réconcilie avec des inconséquences qui le font souvent accuser de perfidie. Il est hasardeux, s’éblouit de ses conceptions les plus hardies, ne tient assez de compte ni des difficultés de l’exécution, ni de la gravité des conséquences. Bref, c’est bien là le pire conseiller que puisse avoir un prince aussi facilement entraîné aux partis extrêmes que facilement découragé quand il s’agit de les soutenir jusqu’au bout. On lui attribue, je vous l’ai dit, la plus grande part dans ce qui se passa le 4 janvier; or il paraît certain que, — sans s’arrêter à la non-réussite de l’entreprise concertée pour se saisir en plein parlement des cinq accusés, et sans s’embarrasser du démenti qu’il se donnait à lui-même après l’attitude qu’il avait prise, — il se faisait fort, accompagné du colonel Lunsford et de quelques coupe-jarrets pareils, de les aller arracher à l’asile où ils se dérobaient, en attendant un moment plus favorable, aux premières atteintes de la colère royale. On va jusqu’à prétendre, — la chose n’est pas absolument impossible, — que, dans l’écrit par lequel il proposait cette mesure désespérée, il s’engageait à les amener vivans aux pieds de sa majesté, ou à les laisser morts sur la place, s’il ne pouvait les tirer de leur refuge.
Toutefois l’heure des grandes audaces était passée. Le roi d’Angleterre d’ailleurs, il faut lui rendre cette justice, ne pouvait envisager qu’avec effroi une mission pareille, confiée à un homme si résolu, et qu’arrêtent si peu les scrupules ordinaires. Enfin les honnêtes gens de la cour, s’il en consulta quelques-uns, durent le prémunir contre des résolutions qui pouvaient amener immédiatement les plus hasardeux conflits. M. Hyde par exemple, qui est l’écrivain juré du monarque, et le fournit privément de tous les renseignemens et avis propres à le guider dans le labyrinthe politique, aura certainement plaidé, en cette occasion, la cause de la prudence. Bref, de manière ou d’autre, l’audacieuse proposition de lord Digby demeura non avenue, et il n’y fut donné aucune suite. Maintenant que certaines indiscrétions l’ont à peu près rendue publique, je ne doute pas qu’elle ne vaille à l’auteur, si le parlement triomphe, un prompt exil, et dans ce cas je pense qu’en Espagne ou en France mylord Digby se fera remarquer. Les gens de ce caractère ne sont jamais longtemps ''sub rosâ''
Ne voulant pas recourir aux expédiens de ce téméraire, sa majesté ne se résignait cependant pas à regarder la partie comme absolument perdue. Il pensait que les cinq membres accusés essaieraient de quitter le royaume (à quoi ils ne songeaient vraiment pas), et dans la soirée du 4 janvier une proclamation fut lancée, défendant de leur donner retraite, comme aussi aux gardiens des ports de souffrir l’embarquement de leurs personnes. Le même soir, sir Richard Gournay, le lord-maire, manda par lettre circulaire à tous les ''aldermen'' de doubler partout les gardes et faire circuler leurs hommes, dûment armés de mousquets et de hallebardes, dans tous les endroits où quelque désordre pourrait se produire ; la garde de chaque poste devait être renouvelée chaque matin et chaque soir. Or, comme la Cité de Londres est généralement en opposition avec la cour, notamment lorsqu’il y a lutte entre celle-ci et le parlement, la bonne volonté du lord-maire fut plutôt nuisible qu’utile au monarque. Les boutiques, fermées dans la journée du 4 janvier à la première nouvelle de la démarche tentée par le roi, ne se rouvrirent point le soir, et les hommes armés qui gardaient les fortifications et les portes criaient de temps en temps, donnant à chacun de fausses alertes, que les «cavaliers» venaient, que «le roi était à leur tête et voulait brûler la Cité.» On croyait aussi au désarmement des ''citizens'' opéré sur ''warrant'' royal, au moyen de visites domiciliaires. Ces soupçons étaient fortifiés par une proclamation du lord-maire, qui se plaignait «des amas d’armes faits par diverses personnes de basse condition, lesquelles avaient chez elles jusqu’à vingt, trente, et même quarante mousquets à la fois, avec des munitions proportionnées.» La même proclamation parlait encore de six pièces de canon appartenant à la direction de l’artillerie, et que des citoyens officieux avaient transportées à Leaden-Hall, «Il fallait veiller, disait ce magistrat, qu’elles ne servissent à autre chose qu’à la défense de la Cité, si besoin était.» — En somme, l’alarme était grande chez tout le monde.
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A l’issue du discours royal, pas un mot ne fut prononcé tout d’abord; mais bientôt un cri s’éleva dans le conseil municipal, et c’était le même qu’avaient fait entendre les gens du peuple : ''Parliament!, Privileges of parliament'' !... D’autres répondaient, il est vrai : ''Dieu bénisse le roi''!... mais il y en avait au moins autant des premiers que des seconds. Le roi, voyant durer ce tumulte, frappa sur la table pour obtenir silence, et commanda qu’un des assistans parlât seul, si on avait quelque chose à lui faire entendre. Quelqu’un dit alors: — C’est le désir de cette cour que votre majesté prenne l’avis de son parlement. — Un autre conseiller riposta : — Ce n’est pas le désir de cette cour, mais votre désir, à vous qui parlez, — Et le roi, prenant la parole : — Qui donc ose dire que je ne prends pas l’avis de mon parlement?... Je prends et prendrai toujours son avis; mais je ne confonds pas le parlement avec quelques traîtres qui en sont... Ceux-ci, ajouta sa majesté, qui dans ce moment était tant soit peu hors d’elle, ceux-ci, je leur ferai leur procès... leur procès!... leur procès! entendez-vous?... Il y eut encore un silence, mais de nouveau, sur les derniers rangs, un homme se leva et dit à voix haute : — ''Les privilèges! les privilèges''! — Remarquez bien cet homme, arrêtez le ! fut-il crié de plusieurs endroits. Le roi au contraire, les apaisant du geste, reprit avec plus de calme : — Ce n’est pas moi qui violerai les privilèges du parlement; mais il n’est pas de privilège qui mette les traîtres à l’abri d’un procès,... d’un procès, reprit-il encore, après quoi il se départit pour aller dîner, non point chez le lord-maire, son partisan déclaré, mais chez celui des ''amdermen'' qui passe pour le plus enclin de tous à favoriser le parlement. Et chez cet homme, qui a nom Garrett, sa majesté fut magnifiquement traitée. Ensuite, sur les trois heures, elle s’en retourna vers White-Hall, le peuple criant toujours : ''Privilège ! privilège''! et le roi murmurant entre ses dents : «Procès,... procès aux traîtres!»
De retour au palais, son premier soin fut de rédiger de sa propre main <ref> Le ''brouillon'' de cette proclamation, de la main de Charles Ier, a été découvert dans ''le State Paper Office'' par M. Forster. Le ministre responsable (
Celles-ci pourtant s’étaient réunies dans la matinée du 5 janvier à Westminster. Portes closes, avec défense à aucun membre de s’absenter sans congé, et non sans avoir dépêché de tous côtés des subalternes chargés de guetter au dehors les mouvemens hostiles qui se pourraient tenter, elles délibéraient. On y comptait environ deux cent soixante membres, dont à peu près quatre-vingt-dix partisans du roi. Depuis les débats de la fameuse remontrance (au mois de décembre 1641), jamais cette minorité n’avait été si nombreuse. La première motion débattue fut de déclarer que, «par sa visite armée de la veille, aussi bien qu’en faisant saisir et mettre sous les scellés les papiers de certains députés, le roi d’Angleterre avait porté atteinte aux privilèges de la haute cour du parlement.» Cinq ou six royalistes essayèrent d’excuser la conduite du monarque; mais la chambre passa outre et nomma un comité pour rédiger un projet de déclaration dans le sens de la motion proposée. On s’attendait que ce travail prendrait un assez long temps, et l’on discutait l’opportunité de continuer les débats, quand M. Glyn et les autres du comité rentrèrent en séance au bout d’un quart d’heure à peine, rapportant une déclaration qui bien évidemment avait été composée d’avance. On suppose généralement qu’elle était l’œuvre de M. Pym lui-même, qui, du fond de sa mystérieuse retraite, ne cessait de diriger les événement. En vertu de la nouvelle déclaration que a les communes ne pouvaient plus ni siéger à Westminster en toute sécurité, ni délibérer des affaires publiques jusqu’à ce que leurs privilèges violés eussent été hautement revendiqués,» elles remettaient à six jours de là leur prochaine réunion, et ordonnaient qu’un certain nombre de leurs membres siégeraient en comité particulier à Guild-Hall. Le vote, régulièrement pris, donna cent soixante-dix voix pour ces conclusions et quatre-vingt-six contre ; mais bien que la majorité fût assez forte, vous le voyez, pour exclure les royalistes du comité dont elle obtenait la formation, plusieurs d’entre eux, et des plus notables, en firent partie, notamment les deux nouveaux secrétaires d’état, Falkland et Colepeper. Je noterai seulement que ni M. Hyde comme partisan du roi, ni M. Oliver Cromwell à titre d’ennemi de la cour, ne firent partie du ''select committee''. Il fut réglé d’ailleurs que tous les membres des communes qui voudraient officieusement assister aux délibérations de Guild-Hall seraient admis à y voter les mesures qu’on y proposerait, soit pour le maintien du privilège parlementaire, soit pour la sûreté du royaume. Avis de tout fut donné à la chambre des lords par un message spécial ; mais, avant que le messager fût de retour, une brusque panique avait dispersé l’assemblée. Il s’était répandu aux portes du palais, on ne sait comment, qu’un corps armé s’acheminait de ce côté, et des cris interrompirent un des membres qui proposait certaines résolutions relatives à l’Irlande. Celui-ci pourtant ne se troubla point, et voulut qu’on votât sa motion, ce qui à la vérité fut fait, mais sans observer toutes les formes, après quoi, un peu en désordre et s’ajournant au mardi 11, la chambre se sépara sur les quatre heures. J’ose penser que si sa majesté eût reçu à Guild-Hall et sur sa route plus d’encouragemens qu’elle n’en obtint, la fausse alarme qui mit fin aux débats de ce jour eût bien pu se transformer en quelque chose de beaucoup plus sérieux.
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Le roi, qui la ressentit vivement, y répondit, dès le lendemain matin, 8 janvier, par une nouvelle proclamation — c’était la troisième, — où, en réitérant l’accusation portée contre les cinq membres, il commandait à tous les magistrats et officiers publics de les appréhender au corps et de les conduire à la Tour. Chose étrange que cette vaine preuve d’obstination ait été donnée par sa majesté le jour même où elle confiait les sceaux à mylord Falkland, un des membres du comité par lequel venait d’être voté le rappel des cinq accusés dans le sein des communes! Une heure après que la proclamation royale eut été distribuée et affichée, la chambre basse se réunissait dans le même lieu que la veille, et, après avoir ordonné derechef aux cinq membres d’assister à la séance que le comité tiendrait le lundi suivant et où l’on réglerait la question du retour à Westminster, elle votait deux résolutions : la première déclarant «fausse, scandaleuse, illégale,» la proclamation du matin, — la seconde affirmant au contraire «que tous les actes des citoyens de Londres ou de tous autres pour la défense du parlement et de ses privilèges étaient conformes à leur devoir, et que quiconque voudrait les arrêter ou troubler pour de tels actes serait déclaré ennemi de la chose publique.» Puis, — comme durant le vote le bruit s’était répandu qu’un bateau chargé d’armes et arrivant de Berwick venait d’être signalé près de la Tour, — le comité manda devant lui le gouverneur (sir John Biron) et le lieutenant de l’artillerie, lesquels ayant été examinés, on décida que des mesures immédiates seraient prises pour assurer la garde de la forteresse, qui serait remise à un officier possédant la confiance de la Cité aussi bien que celle du parlement. L’officier choisi fut un capitaine du parc d’artillerie nommé Skippon. Il a servi quelque temps en Hollande : c’est un homme de mœurs réglées, et qui, d’abord simple soldat, s’est élevé au grade qu’il occupe par le seul fait de son mérite. Je le connais un peu, et vous prédis que, si les événemens lui donnent un rôle important, vous le verrez s’élever encore. Nommé par le comité sergent-major-général de la Cité de Londres, il a une véritable armée sous ses ordres. Quant à la charge en elle-même, elle est de création nouvelle, et personne n’eût pensé, il y a seulement quelques jours, que la chambre des communes pût disposer en faveur de qui bon lui semblerait, et sans le consentement du prince, d’une pareille autorité militaire; mais les nouveautés se suivent et pour ainsi dire s’engendrent l’une l’autre. Après avoir franchi ce pas, le comité, sans avoir encore conscience de tout le pouvoir que lui donnait l’assentiment populaire, mais agissant avec cette vigueur qu’on puise dans les dangers une fois affrontés, notifiait aux sheriffs de Londres et du Middlesex «qu’ils eussent à lever le ''posse comitatus'',» c’est-à-dire tous les citoyens en état de porter les armes pour la garde du roi et de son parlement, à l’occasion de la rentrée de ce dernier en ses salles de Westminster, solennellement annoncée pour le mardi 11. Au moment où, après ces décisions si graves, le comité allait s’ajourner, un message, à coup sûr inattendu, vint mettre sa constance à l’épreuve. Le roi faisait annoncer qu’il se proposait de venir, le lundi suivant, siéger au comité en compagnie de quelques membres de la chambre haute. C’était là sans doute une menace couverte, qui avait pour objet d’empêcher le retour des cinq membres accusés et d’annuler ainsi le vote qui les rappelait expressément; mais le message royal fut accueilli avec un calme et une courtoisie admirables. «Sa majesté n’avait qu’à venir, répondirent les organes du comité; elle aurait l’accueil dû à son rang, et pour lui montrer l’estime en laquelle sa visite était tenue, on ne marchanderait pas les préparatifs. En conséquence les capitaines des ''trained bands'' de la Cité, commis à la garde du parlement, recevraient ordre de veiller à ce que le roi et sa fidèle noblesse trouvassent les routes libres...» Si je vous disais maintenant, madame, que milady Carlisle inspira cette merveilleuse réponse (en faisant avertir sous main ses bons amis cachés dans Coleman-street de l’idée qu’on venait de suggérer au monarque), vous surprendrais-je plus que de raison?
Je vis cette belle dame le dimanche, et, sans mentir, elle rayonnait. — N’avez-vous point remarqué, me disait-elle, des physionomies nouvelles dans notre bonne ville de Londres?... Et comme je convenais avoir rencontré en effet bon nombre de gens à cheval, ayant la mine assez provinciale : — Ce sont, me dit-elle, des francs-tenanciers du comté de Buckingham, des compatriotes de M. Hampden. On leur a fait signe, et les voici arrivés, au nombre de près de quatre mille, pour voir si on osera toucher à leur représentant. Il ferait beau voir maintenant que les ''reformados'' de White-Hall missent leurs épées à l’air!.. Sans compter, ajouta-t-elle, que nos ministres ont prêché ce matin sur le psaume 122... Lisez-le, ce psaume, et vous verrez de quoi il s’agit...» J’ouvris la bible qu’elle me tendait, et ce que je lus m’édifia complètement
On s’étouffait aux portes de ''Grocer’s-Hall'' le lendemain 10 janvier, et la besogne intérieure du comité se compliquait de mille incidens extérieurs. On lui dénonçait des manœuvres suspectes qui semblaient avoir pour objet de placer la Tour de Londres en des mains hostiles; puis se faisait admettre à grand bruit une députation de marins, maîtres de bâtimens, officiers, matelots, offrant de venir défendre le parlement du côté de la rivière, ce qui leur fut accordé sans peine, ainsi que la permission de pourvoir d’artillerie les bâtimens destinés à ce service <ref> Le roi Charles Ier, en apprenant cette démarche des marins, affecta de traiter avec dédain ces «rats d’eau» (
Désormais il n’y avait plus ni voile jeté sur la situation, ni doute sur le parti pris de résister ouvertement à l’autorité royale. M. Hampden, aussi câline que d’habitude, mais cette fois décidé à tout, fit admettre la pétition que venaient présenter ses constituans du Buckinghamshire, et dans laquelle ils promettaient de «mourir aux pieds du parlement,» s’il le fallait, plutôt que de souffrir une atteinte à sa liberté. Les deux derniers actes du comité siégeant à ''Grocers-Hall'' furent de remercier le lord-lieutenant d’Irlande, qui, à la demande de l’assemblée, avait mis en non-activité le capitaine Hide, un des officiers de White-Hall qui, le 4 janvier, avait montré le plus d’insolence, puis de chasser ignominieusement un messager que le gouverneur de la Tour, sir John Biron, avait cru pouvoir envoyer, au lieu de se présenter lui-même, pour s’enquérir des griefs qu’on avait contre lui, et dont il demandait à se justifier. Vous voyez à quel point l’autorité du parlement avait grandi dans ces journées, et en quelle altitude étaient devant lui les principaux agens du pouvoir royal.
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Vous savez avec quelle pompe a eu lieu, le 11 janvier, cette cérémonie. Sur l’un des bords de la Tamise étaient rangées les milices de la Cité, sur l’autre les ''trained bands'' de Southwark. Tous ces miliciens avaient, qui au chapeau, qui au bout de sa pique ou de sa hallebarde, des exemplaires de la ''protestation''. La rivière elle-même était comme couverte de chaloupes et de batelets armés d’où partaient sans cesse des volées de mousqueterie et des salves de canons. Les compagnies de la Cité avaient mis la plus vaste et la plus richement décorée de leurs ''barges'' à la disposition des cinq membres, qui s’embarquèrent au lieu dit « des ''Trois-Grues'' » pour rentrer à Westminster. Des applaudissemens comme j’en ai peu entendu de ma vie saluèrent ces personnages au moment où ils mirent le pied sur le rivage, au bas des degrés du palais. Le président et la chambre les attendaient debout, et, un instant après qu’ils eurent repris leurs sièges accoutumés, tous les cinq se levèrent. MM. Hampden, Hollis, Haselrig et Strode demeurèrent en silence, et la tête nue, pendant que M. Pym remerciait en leur nom tous les bons citoyens de Londres, ajoutant «qu’après les services rendus par la Cité au parlement, il était de l’honneur de la chambre de protéger désormais les ''citizens'' contre toutes les conséquences possibles du dévouement affectueux dont ils avaient fait preuve.» Ce langage habile consommait l’alliance récente de la capitale et du parlement, et constatait ce fait essentiel, que des abus du pouvoir royal on était garanti désormais par le pouvoir parlementaire, en état de faire respecter ses décisions. Ces nouveautés faisaient branler la tête aux vieillards, aux sages de la chambre, et scandalisaient particulièrement notre ami sir Simonds d’Ewes; mais les royalistes, si furieux qu’ils pussent être, ne se dissimulaient pas l’étendue de leur défaite, et j’entendis l’un d’eux (sir Edward Dering) dire que, «s’il pouvait honnêtement être Pym, il préférerait ce rôle à celui du roi Charles.»
Celui-ci s’était d’abord rendu à Hampton-Court. Là venaient encore jusqu’à lui les frémissemens de la capitale : les constituans de Hampden par exemple, les francs-tenanciers du Buckinghamshire, n’osèrent-ils pas lui porter une pétition semblable à celle qu’ils avaient déjà présentée à la chambre des communes, le propre jour de la rentrée à Westminster? Elle était à peine respectueuse dans la forme et très hardie au fond. Le roi la reçut pourtant avec assez de douceur, feinte ou sincère; mais, bien qu’il eût eu le temps de réfléchir à l’imprudence de l’accusation portée contre les cinq membres du parlement, il ne sut pas se résoudre à déclarer aux pétitionnaires qu’il n’y serait pas donné suite. Le roi leur répondit simplement : «J’aimerais mieux acquérir la preuve de l’innocence de votre délégué que le trouver coupable. En tout cas, je ne fais point remonter à ceux qui l’ont nommé la responsabilité des crimes qu’il a pu commettre.» Vous reconnaîtrez à ce langage le caractère de ce prince, tour à tour imprudent et timide, cédant sur les grands points, inflexible sur les petits scrupules. Les communes, huit jours après cette réponse aux électeurs de M. Hampden, ont fait demander à sa majesté les preuves qu’elle avait à fournir à l’appui de l’accusation portée contre les cinq députés. Le roi a répondu qu’il ne pouvait encore livrer à la publicité les faits dont il comptait se servir, mais qu’il procéderait, devant les juges ordinaires, dans les formes usitées. Neuf jours plus tard, nouvelle insistance des communes, à laquelle le roi vient de répondre en renonçant aux poursuites et en offrant un pardon général. La chambre, en s’autorisant de certains statuts, a déclaré là-dessus «que le roi ne pouvait se borner à innocenter ainsi personnellement les accusés, mais qu’il leur devait le nom des conseillers par l’avis desquels ils avaient été injustement poursuivis. «Comme il gardait le silence malgré cette sommation nouvelle, on a rendu un ''bill'' qui reconnaît les cinq membres bien et dûment acquittés, et un autre pour décréter d’accusation l’''attorney general'', sur qui pèse la responsabilité de l’accusation portée contre eux. Tout le monde ici pense que ce magistrat (sir Ed. Herbert) est en grand danger, et on se demande si, pour lui venir en aide, sa majesté ne cédera point
Dès ce moment l’Angleterre est en guerre civile. La reine se dispose, m’assure-t-on, à s’embarquer pour la Hollande, où elle emmène sa fille et va chercher à se procurer de l’argent en donnant pour gages les diamans de la couronne. La famille royale se trouve fort dépourvue. J’ai lu dans certaines dépêches confidentielles que ses serviteurs sont mal payés, et que le prince-électeur a manqué plus d’une fois des objets les plus nécessaires, de vin pour sa table, de bougies pour son cabinet. Le vide se fait autour du monarque. Mylord Essex et mylord Holland ont offert leurs démissions des grandes charges qu’ils occupaient (comme lord chambellan et premier gentilhomme de la chambre) pour venir vaquer ici à leur office parlementaire. Lady Carlisle n’a pas eu de peine à faire passer de ce côté son frère Northumberland. Warwick est aussi parmi les convertis. Vous voyez que la trahison est de mode en assez bon lieu.
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On a vainement, à plusieurs reprises, essayé de provoquer une démarche du parlement auprès du roi pour en venir à une réconciliation. Les chefs du mouvement ne se sentiraient plus en sûreté après de si grandes victoires, s’ils laissaient la moindre chance à un prince qui leur a marqué un mauvais vouloir si obstiné. Cédât-il aux conditions les plus dures, ils savent que ce serait à regret, et sans se croire lié par des promesses que la force lui aurait arrachées. M. Pym lui-même, qui, avant l’accusation portée contre lui, était simplement attaché au maintien des droits parlementaires, me semble à présent bien changé. Il en convient d’ailleurs, et voici ce qu’il disait l’autre jour devant moi chez milady Carlisle : «Quand j’ai vu qu’on en voulait à ma vie, et qu’on me proscrivait comme traître pour m’être dévoué corps et âme au service du pays, quand j’ai appris que, contre tout privilège, le roi lui-même, à la tête de gens armés, venait me chercher jusqu’au sein des communes, tandis que je n’avais jamais nourri une seule pensée hostile contre sa majesté, ni aucune intention préjudiciable à l’état, j’ai cru pouvoir prendre soin de ma vie et me réfugier sous la protection du parlement... Dieu maintenant protège la bonne cause!...» Milady Carlisle écoutait ce discours avec un air passablement ironique : — Je ne sais si Dieu les protégera, me dit-elle à demi-voix, comme je lui donnais la main pour passer dans un autre salon... Mais vous n’ignorez point que le diable s’est mêlé de leur affaire assez à propos pour eux. Qu’en dites-vous, monsieur le Français? — Que l’enfer doit être un lieu de délices, lui répondis-je en la regardant avec admiration. — Oui... comme la vengeance est une douce chose, repartit la belle comtesse, dont la physionomie était sombre à faire peur.
Voilà, madame, le récit que vous désiriez. Il vous dira où nous en sommes et convaincra, je pense, certaines personnes qu’elles n’ont à redouter d’ici aucun obstacle. Le roi d’Angleterre a beaucoup d’affaires, sur les bras, et il les a pour longtemps. Son éminence peut donc tout à son aise rudoyer les parlemens de France et faire tête aux Espagnols. Son plus redoutable ennemi est tombé, l’an dernier, dans les bois de la Marfée. On nous parle bien ici d’une conspiration qui s’ourdit à grand’peine, et qui, vu le nom et la qualité des personnages, me semble compromise d’avance. à la place de M. Le Grand
Tel est le récit du brave capitaine Hercule Langres. Strictement historique dans toutes les parties qui se peuvent vérifier, il porte en lui-même sa garantie de sincérité, et, le comparant aux récits de la même époque si savamment mis en œuvre par M. John Forster, nous n’y avons signalé aucune inexactitude de quelque importance. C’est ce qui nous a donné l’idée de le publier comme une curieuse annexe à toutes les histoires de la révolution d’Angleterre.
E.-D. FORGUES.▼
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▲E.-D. FORGUES.
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