« L’Administration locale en France et en Angleterre/02 » : différence entre les versions

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Nouvelle page : II. De l’esprit des races <center>L’esprit individualiste et l’esprit centraliste</center> <center>I</center> Il n’est personne, ayant entrevu seulement l’Angleterre et ...
 
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Ainsi une race sociable est une race qui a besoin d’être gouvernée, qui se prête, qui s’expose par cela même à une foule d’interventions et de médiations officielles, lesquelles ne sont pas de trop dans cette mêlée où elle se plaît. Que si en outre elle a l’esprit philosophique, par là encore elle aboutit et conclut à un certain luxe de gouvernement. Elle y aboutit en ce sens que, la pensée étant chez elle un attribut dominant plutôt que la volonté, l’état pourrait bien avoir à suppléer par son action à quelque inertie nationale. Elle y conclut d’un autre côté en ce sens qu’elle érigera sur une base de raison théorique l’étendue et la vigilance du gouvernement. En effet, la première chose que va découvrir cet esprit en s’appliquant aux lois, qui sont, comme dit Montesquieu, les rapports essentiels des choses, c’est la justice. Il concevra la justice comme la règle de tous les rapports humains ; il la proposera comme fin essentielle aux sociétés, bien plutôt que le déploiement individuel. Son grand souci sera de mettre la justice partout. Or il n’y a que l’état pour imposer cette observance. L’individu a une autre mission, je dirai presque une mission contraire, où s’emploient, où s’épuisent presque tous ses organes, qui est de se conserver lui-même. Dans la physiologie des sociétés, on n’aperçoit que l’état qui puisse passer pour l’organe du droit.
 
Il vous semble peut-être que cet appétit de justice n’est pas un trait de caractère à distinguer une nation, que toutes les nations professent la justice, et que c’est un programme, que c’est même, dans une certaine mesure, un aliment commun à toutes les sociétés. Cette objection exagère quelque chose de vrai. En effet, l’humanité est une : c’est pourquoi elle nous apparaît partout en société, partout avec des gouvernemens pour garder le lien social, la loi morale; mais la loi morale peut être entendue d’une manière plus ou moins complète, en conséquence de quoi le lien social peut être plus ou moins étroit. Ceci tient à ce que sous le fond de l’unité humaine il y a des variétés : d’abord celle des individus, qui se voit avec les yeux de la tête; puis une autre, moins évidente, que vous pouvez contester dans une foule de cas et de personnes, certaine toutefois, saillante, éclatante dès que vous embrassez du regard l’ensemble des choses, la suite des temps, la moyenne des hommes. Cette variété est celle des races. Comment y aurait-il des nations, c’est-à-dire des groupes distincts, indépendans et même volontiers hostiles, s’il n’y avait pour répartir ainsi les hommes des qualités non moins distinctes, par où tantôt ils s’attirent, tantôt ils se repoussent? Puisque l’homme est libre (vous admettez, je suppose, le libre arbitre), pourquoi, à la différence du règne animal et du règne végétal parqués chacun en sa région, l’homme ne choisirait-il pas sa localité, sa région morale? C’est l’observation des naturalistes que les êtres sont d’autant moins assujettis aux influences physiques, extérieures, qu’ils sont plus intelligens <ref>(1) Pritchard, ''Histoire naturelle de l’Homme'', t. Ier, p. 81. </ref>. On peut supposer dès lors que la plus intelligente des espèces obéit, dans la constitution des sociétés, à des répulsions et à des affinités de l’ordre intellectuel et volontaire; à ce compte, les races feraient les nations.
 
Vous déplaît-il de voir là quelque combinaison, quelque préméditation humaine? Qu’à cela ne tienne ! On peut imaginer autre chose. On peut supposer que la Providence a diversifié l’homme selon les régions, comme la faune et la flore, semant çà et là su , le théâtre que nous traversons dès qualités de sol et d’atmosphère, des accidens de géographie auxquels sont attachés un certain tour d’esprit et de mœurs, une certaine fatalité d’institutions. Tels milieux, tels êtres; c’est ainsi que l’entendent Montesquieu et Humboldt.
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Tout cet individualisme peut tenir en quatre mots : aversion de la discipline, goût de l’isolement. Et ceci n’est pas une excentricité, mais la prédominance chez cette race d’un goût ou si vous aimez mieux d’un dégoût naturel. Si l’homme est un ''animal politique'', c’est-à-dire sociable, il n’est pas moins vrai d’ajouter qu’il est un animal solitaire; les deux choses se mêlent en lui. J’ai lu cette inscription à la Grande-Chartreuse, sur la porte d’une cellule : ''e bcata solitudo ! sola beatitudo''! Vous vous avancez beaucoup, mon révérend. Non, la solitude n’est pas notre seul bonheur. Rappelez-vous donc comme vous allez à vos frères les jours de ''spatiament'', comme vous employez aux conversations les plus continues et les moins écoutées ces deux heures par semaine où la parole vous est rendue! Mais tenez, sans aller plus loin, auriez-vous mis sur la porte de votre cellule un latin si agréable, n’était quelque souvenir du monde? D’un autre côté, je rends hommage à votre pénétration : vous êtes pour une bonne moitié dans le vrai. Chacun de nous est chartreux à ses heures, encore plus fatigué de son prochain que de lui-même, avec un besoin intermittent, mais impérieux de sécession et de repli. Il y a des momens où l’homme rejette violemment son semblable : tel est ce dégoût qu’il devient quelquefois un appétit de destruction personnelle. Retrouvant l’homme au fond de nous-mêmes, l’homme qui nous est un objet d’horreur et de mépris, nous finissons par nous haïr nous-mêmes et par nous fuir d’une fuite qui nous emporte jusqu’au néant. Il n’est pas clair que ceci soit un paradoxe ni même une hyperbole : il est fort avéré au contraire que l’Anglais n’a pas son pareil pour le suicide comme pour l’isolement. Au fond, qu’est-ce que ce besoin de solitude plus ou moins prononcé selon les races? Le besoin de liberté sous une de ses formes les plus impérieuses, à telles enseignes que les peuples les plus libres sont ceux que vous voyez le plus épris de la vie domestique, les gardiens les plus jaloux de leur foyer contre l’œil du fisc et de la police. Si les dieux lares existaient, les Anglais les eussent découverts. Ils ont bien inventé la religion du chez soi, ''home, sweet home'', ainsi qu’ils l’appellent. Rien n’est plus conforme au génie individualiste de cette race, la famille, le foyer étant encore plus que la propriété un appendice et une extension de l’individu.
 
 
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<small>(1) Pritchard, ''Histoire naturelle de l’Homme'', t. Ier, p. 81. </small><br />
 
 
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Rien n’étonne les étrangers civilisés comme notre justice administrative, un régime d’apparences bizarres où l’état veut des juges à lui, des juges de sa main et demeurant sous sa main, pour vider ses procès avec les particuliers, et surtout pour reconnaître ce contentieux, pour le reprendre à la justice ordinaire Voilà qui semble énorme. Est-ce que le droit des individus ne va pas périr à coup sûr et toujours devant cette illusion de tribunal? Cette appréhension est fort naturelle, il ne tient qu’à vous de croire que l’état est son propre juge à lui-même; mais d’un autre côté-vous plairait-il de laisser juger l’état avec cette conséquence de voir intercepter l’impôt qu’il demande, le conscrit qu’il appelle, la route qu’il veut ouvrir, de voir périr à l’application les lois qui l’ont armé et crédité pour le bien public? Il est admis de tous que l’administratif et le judiciaire doivent demeurer soigneusement distincts; mais, si cette limite n’est pas gardée par l’administration elle-même, l’état va tomber en tutelle de magistrats, ce qui promet certaines entreprises. Sous prétexte des droits privés dont ils sont gardiens, vous les verrez entraver tous les services publics, attirant à eux des questions dont ils ne sont pas juges, et les traitant soit avec une complaisance acquise à l’intérêt individuel, soit avec une entente fausse et bornée de l’intérêt général.
 
Il s’agit d’opter entre deux maux. Or ce choix est fait : il est de l’assemblée constituante à sa meilleure époque. Il ne lui vint point à l’esprit que les tribunaux ordinaires pussent toucher sous aucun prétexte aux lois d’où dépendent les services publics. Elle sentit bien que ces juges du gouvernement seraient le gouvernement lui-même. Elle estima que la souveraineté serait déplacée du coup. Celui-là en effet est supérieur à tout et maître de la loi qui peut la défaire en l’appliquant, la rouer d’interprétations, la réduire à néant, ou tout au moins la dénaturer comme bon lui semble. Cela n’est pas à craindre du pouvoir exécutif, responsable comme il est de l’exécution des lois envers la nation qui les a faites, et même responsable de tout, y compris l’abus des lois contre les citoyens : ce n’est pas impunément qu’il prévariquerait; mais le moyen de mettre à la raison des juges indépendans, souverains, tels enfin qu’il les faut pour rendre bonne justice aux citoyens dans leurs débats privés? Ce serait chose grave partout ailleurs que la souveraineté et pour ainsi dire l’impunité des juges. Entre particuliers, le pire jugement n’est après tout qu’une lésion particulière. Tout autre est la portée des jugemens où l’état est partie, c’est-à-dire où la société est intéressée en quelque endroit vital : finances, armée, travaux publics. Voilà le côté à garantir avant tout. Je le répète, c’est l’assemblée constituante, où apparurent toutes les grandes idées, qui créa parmi nous ce prétendu scandale de la justice administrative. Le grand point, à ses yeux, était que les juges demeurassent hermétiquement étrangers aux affaires d’état. Aussi décide-t-elle que « les fonctions judiciaires seront distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives, que les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions <ref>(12) Loi des 16-24 août 1790, titre II, article 13. </ref>
 
Ce n’est pas tout : les administrations des départemens eurent à connaître du contentieux des contributions directes et des travaux publics <ref> (23) Loi des 7-11 septembre 1790. </ref>. Il n’est question pour cela ni des tribunaux ordinaires, ni même d’un tribunal administratif; l’administration se juge elle-même. Il y avait bien une autorité pour statuer sur les recours des particuliers : c’était déjà le conseil d’état, mais qui se composait uniquement alors du roi et des ministres <ref> (34) Loi du 25 mai 1791, article 15.</ref>. Enfin voici la fameuse matière des conflits toute tranchée des cette époque par une loi déclarant que « les réclamations d’incompétence à l’égard des corps administratifs devaient être portées au roi, chef de l’administration générale, et n’étaient dans aucun cas du ressort des tribunaux <ref> (45) Loi du 14 octobre 1790. </ref>
 
L’esprit de l’assemblée constituante n’est pas douteux. Ce n’était pas l’époque où, ayant reconnu un principe, on lui marchandait les satisfactions; on allait volontiers au fond des questions et même jusqu’au bout des choses. Le principe qui sépare l’administratif et le judiciaire une fois reconnu, ce principe fut consacré dès lors dans toute sa rigueur, à rencontre surtout du judiciaire. Si profonde à cet égard était la défiance de l’illustre assemblée, qu’il lui plut d’attirer à elle et de juger elle-même dans ses comités, plutôt que de les laisser aux juges ordinaires, certaines matières spéciales relatives à la liquidation des dettes de l’état, à la trésorerie, à l’apurement des comptes. Elle eût mieux fait sans douté de créer pour cela quelque justice particulière; mais on peut croire qu’il y avait urgence, et son inspiration fut saine de se préférer elle-même pour cet office aux tribunaux ordinaires : c’était un juste sentiment du lien étroit qui unit le contentieux des services publics à l’exécution même de ces services et à toute la marche du gouvernement. C’était comprendre comme il faut qu’on ne peut charger de ce contentieux des autorités étrangères à l’action et à l’esprit de gouvernement.
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Nous disions tout à l’heure que la route est en France affaire et dépense d’état. Il en est de même de l’église, de l’école, de la justice, toutes choses qui constituent ailleurs ou qui constituaient autrefois parmi nous une dépense pour le croyant, le plaideur, le père de famille, une industrie et un métier pour le prêtre, le juge, l’instituteur. Il n’y a pas de société pareille à la nôtre pour défrayer l’individu, pour s’imposer comme siennes tant de charges considérées ailleurs comme des charges privées. Si l’on tient à discerner ce qu’il y a au fond de ces pratiques, on ne peut se défendre d’y voir ceci : que chacun paie l’impôt selon ses facultés, et ''dans certains cas'' en profite selon ses besoins. Or ceci n’est autre chose que le communisme, dont le trait saillant est la considération unique des besoins comme base des droits, ou du moins la prééminence donnée aux besoins sur les œuvres et sur les mérites. Voilà ce qu’on démêle en rapprochant les règles bien connues qui concernent l’assiette de l’impôt des règles moins remarquées qui déterminent l’emploi de ce même impôt.
 
Mais l’élément communiste que nous venons de constater en certaines applications de détail est visible dans les œuvres les plus considérables et les plus suivies. Par exemple, qu’est-ce que notre régime financier, si ce n’est un régime centralisé? Et en fait de finance qu’est-ce que centralisation, si ce n’est communisme? Jugez-en plutôt. C’a été depuis soixante ans l’effort constant de nos financiers de créer, pour tout ce qui compose la fortune publique, non-seulement la publicité des recettes et des dépenses, mais encore l’uniformité d’administration et l’unité de caisse. De là une série de lois où se poursuit et se développe cette pensée. Les unes prescrivent l’annexion au budget de l’état des budgets particuliers de la Légion d’honneur, de l’université, etc. ; les autres, non contentes de cette annexion, c’est-à-dire de cette publicité, soumettent les budgets de ces établissemens à toutes les règles qui concernent les crédits supplémentaires et le règlement définitif de chaque budget, ne s’en tiennent pas à ces fins de publicité et d’uniformité, mais transportent à l’état la fortune particulière des mêmes établissemens, et les font passer du régime de services dotés au régime de ''services crédités''. Ainsi furent traités les invalides de la guerre, la caisse du sceau, la chambre des pairs, la caisse de vétérance, etc. Ces divers établissemens virent, d’une part, leurs rentes annulées, les droits et les produits divers qui se percevaient à leur profit comptés en recette par le trésor, de l’autre des crédits portés au budget pour l’exécution des services qu’ils accomplissaient naguère avec leurs ressources particulières <ref>(56) Voyez article 4 du budget des dépenses de 1830, loi du 2 août 1829, — article 50 du budget des recettes de 1832, loi du 21 avril 1832, — article 19 de la loi du 24 août 1833 portant règlement définitif de l’exercice de 1830, — article 17 de la loi du 9 juillet 1836 portant règlement définitif de l’exercice 1833. </ref>.
 
Faire apparaître en un seul document toute la fortune publique, la faire gérer par une seule méthode, la faire tenir dans une seule caisse, c’est de la centralisation au plus haut degré. Et l’esprit, s’il vous plaît, la conséquence finale de ces mesures si bien avisées? Serait-ce là simplement un progrès de méthode, une amélioration de mécanisme? Non pas, vraiment. Ces innovations touchent au fond des choses par un point capital où reparaît le communisme, et qui consiste en ceci : que l’état, réglant les dépenses des établissemens dont le budget se publie et se confond avec le sien, considère non leurs recettes, mais ''leurs besoins''. Tel est le fait promis ou exprimé par cette centralisation. En voulez-vous la preuve? Vous l’obtenez en comparant l’allocation de crédit dont jouissent ces établissemens au montant de leur dotation primitive. Pour la Légion d’honneur par exemple, les crédits alloués en 1862 excèdent de 8 millions au moins le montant de ce qui était sa dotation. Quant à l’université, qu’est-ce que la rente de 400,000 francs, qu’est-ce que le produit des droits à elle propres, qui étaient toute la donation impériale, auprès du chiffre sans cesse grossissant de son budget, qui dépasse aujourd’hui 15 millions?
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Nous avons vu tout à l’heure le rôle du fonds commun ; or le fonds commun est en grande estime auprès de nos financiers : c’est le procédé dont ils usent le plus volontiers. Fonds de non-valeurs, fonds des pensions et indemnités des administrations centrales, fonds des chancelleries consulaires, fonds du cadastre, tout cela est au régime du ''fonds commun''. Il est vrai que tout cela n’est guère important, si l’on regarde à la colonne des chiffres. Il y a un sens toutefois à cette abolition des caisses particulières, à cette réprobation des recettes profitables seulement, soit aux localités, soit aux individus qui les fournissent. Il y a là une entente de l’équité, qui est d’attribuer à chacun, non la part que lui fait le hasard des circonstances, mais celle que réclament ses besoins. Ajoutons qu’en certaines rencontres la pensée intime du ''fonds commun'' se dégage et s’exprime le plus nettement du monde.
 
On sait que nos lois de finances ont créé un fonds pour le dédommagement du contribuable qui justifie d’une perte de revenu; cela s’appelle le ''fonds de non-valeur'', lequel se compose de centimes additionnels payés parles départemens au prorata de leurs facultés contributives. Or, il faut le remarquer, ce fonds ainsi lait profite aux départemens, non pas selon la part qu’ils y ont fournie, mais selon la gravité des sinistres qu’ils ont essuyés : destination qui, nonobstant quelques doutes et quelques résistances, lui fut expressément maintenue au budget de 1847, Il fut bien entendu que le» fonds de non-valeur (ce sont les paroles mêmes du rapporteur) est une association générale de bienfaisance, ayant pour objet d’exonérer de leur impôt ceux qui perdent leur revenu <ref> (67) Voyez le rapport de M. Magne sur le budget des recettes do 1847, p. 10 et suiv. </ref>
Le fonds commun, principe s’il en fut, ainsi qu’on vient de le voir, fait quelquefois fonction d’expédient. On l’applique en passant aussi bien qu’à titre normal et permanent : ainsi vous le retrouvez dans la loi sur l’indemnité des émigrés ; mais l’application la plus saillante qu’on en fait à ce titre est en matière de travaux publics, et remonte à certaines lois de 1839 et de 1841, Il s’agissait alors de faire de nouvelles routes, de creuser des canaux, d’améliorer nos ports, de perfectionner la navigation fluviale. Il faut voir comment procéda le gouvernement : s’adressa-t-il par hasard aux localités intéressées? Pas le moins du monde. Ces travaux s’exécutèrent aux dépens de la communauté tout entière; les fonds en furent faits au budget général de l’état. Or comment dénier le caractère de fonds commun à l’impôt qui, en fin de compte, soldait ces dépenses, à cette cotisation de tous pour subvenir à des améliorations, à des besoins plus ou moins locaux, plus ou moins collectifs? Si Ton nous dit que tous ces travaux avaient caractère de travaux publics et répondaient à des nécessités générales, qu’à bon droit dès lors l’état en fit son affaire, nous n’aurons garde d’en disconvenir; mais, notons-le bien, ailleurs on en juge autrement.
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Qu’est-ce que viendrait faire la logique dans les choses sociales? La société n’est pas la science pour suivre partout où ils mènent, pour appliquer à outrance les principes qui la constituent. Comme ces principes sont divers, mais également nécessaires, il n’y a pas de science sociale, mais un art social, qui est de les faire vivre ensemble, émoussés les uns par les autres. Il est consolant, il est encourageant de penser combien l’on peut émettre de principes détestables et ineptes qui ne tirent pas à conséquence. Voyez ''la loi des pauvres'', telle que nos voisins l’ont pratiquée si longtemps. C’était le droit à la paresse, dont ce pays toutefois n’a été ni énervé ni ruiné. Cette loi des pauvres, pour le dire en passant, est le communisme des Anglais, quelque chose, il faut croire, qui a sa place dans toute société : seulement chez eux le communisme est cantonné, concentré dans cette mesure, tandis que chez nous il se détaille et se répand un peu partout. A ce titre, il n’est pas plus alarmant ici que de l’autre côté de la Manche, il est même moins dispendieux ; mais, comme il apparaît à chaque pas, il marque nos institutions d’un caractère très prononcé, très visible : on croit y apercevoir une façon toute particulière d’entendre la société.
 
 
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<small>(1) Loi des 16-24 août 1790, titre II, article 13. </small><br />
<small> (2) Loi des 7-11 septembre 1790. </small><br />
<small> (3) Loi du 25 mai 1791, article 15.</small><br />
<small> (4) Loi du 14 octobre 1790. </small><br />
<small>(5) Voyez article 4 du budget des dépenses de 1830, loi du 2 août 1829, — article 50 du budget des recettes de 1832, loi du 21 avril 1832, — article 19 de la loi du 24 août 1833 portant règlement définitif de l’exercice de 1830, — article 17 de la loi du 9 juillet 1836 portant règlement définitif de l’exercice 1833. </small><br />
<small> (6) Voyez le rapport de M. Magne sur le budget des recettes do 1847, p. 10 et suiv. </small><br />
 
 
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C’est ainsi que l’individualisme se tempère parmi les Anglais sous des accidens faits pour l’ennoblir et l’épurer. Il arrive d’ailleurs en ce pays que l’état y acquiert par la force et la conspiration des choses tous les pouvoirs dont il se soucie le moins, et que la société lui refuserait, si elle était libre d’en user ainsi. Cela tient à une loi qui s’applique partout, bien ou mal venue des peuples : nous retrouvons ici ce fait, un des plus généraux et des plus impérieux de l’histoire, que les attributions viennent à un gouvernement comme le progrès vient à une société. Rien ne se perfectionne dans les sociétés, en fait de politique, de morale ou de bien-être, qu’à la condition d’armer l’état, de développer et de détailler son personnage.
 
C’est fort bien fait à vous, peuple inventif et ardent, d’avoir de la monnaie de papier; mais laisserez-vous chacun battre cette monnaie comme bon lui semble ? Laisserez-vous payer en papier les artisans, les ouvriers, toutes les classes humbles et ignorantes, qui sont hors d’état de refuser ou d’apprécier cette monnaie? « Je reconnais, dit lord Liverpool, que le papier de circulation d’une valeur élevée peut être très convenable pour mener à bien beaucoup de branches de commerce dans un pays aussi riche que la Grande-Bretagne; mais il est un genre de papier auquel je m’oppose de toutes mes forces, c’est celui qui prétend remplacer le numéraire, particulièrement dans le paiement des ouvriers, des artisans, des matelots, du soldat, et dans le moindre commerce de détail <ref> (18) ''A Trealise on the coin of the realm'', p. 239.</ref>
 
Ainsi parlait cet homme d’état en 1819. Vingt-cinq ans après, sir Robert Peel réglementait les banques avec étonnement, avec indignation de ce que son pays eût supporté si longtemps les abus crians de leur liberté. Singulier peuple, pour le dire en passant, notre aîné, notre précurseur à ce point, qu’il corrigeait en 1844 les abus d’une chose dont nous avions à peine l’usage!
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On voit quel est le problème : il s’agit de constituer des pouvoirs publics, mais qui ne soient ni à base divine ni d’un seul homme. Dans le premier cas, c’en est fait de l’humanité; dans le second cas, il y va de l’honneur. Cela revient à dire que la liberté politique est tout, mettant l’homme sous l’empire du droit exprimé par des pouvoirs nationaux, et néanmoins le laissant en possession de tout son individualisme pour instituer et pour juger ces pouvoirs, ces organes du droit.
 
 
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<small> (1) ''A Trealise on the coin of the realm'', p. 239.</small><br />
 
 
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Telle est l’essence des pouvoirs locaux; or la race latine a tout ce qu’il faut pour en abuser, tandis qu’il n’est pas clair qu’elle porte comme un fruit naturel l’ardeur et l’audace des efforts privés, des entreprises individuelles. Dans ces données, l’état se relâchant, on peut prévoir une de ces deux choses, peut-être toutes les deux : inertie chez les individus, faute de stimulant officiel; excès parmi les autorités locales, faute de surveillance officielle. Encore une fois, ce qu’il nous faut, c’est la liberté politique, c’est-à-dire un gouvernement riche d’attributions, mais national en ses origines et en ses contrôles, où les faiblesses de la race trouvent leur renfort, ses travers leur discipline, ses rares qualités l’exercice politique et administratif, où enfin tout est debout, tout est sauf, y compris l’honneur.
 
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