« L’Administration locale en France et en Angleterre/01 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Zoé (discussion | contributions)
Nouvelle page : I. Le comté, le bourg et la paroisse en Angleterre. Le gouvernement belge, à propos de ses octrois, qu’il voulait réformer, a fait étudier le système des taxes locales en Ang...
 
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
Ligne 1 :
I. Le comté, le bourg et la paroisse en Angleterre.
 
Le gouvernement belge, à propos de ses octrois, qu’il voulait réformer, a fait étudier le système des taxes locales en Angleterre : — une mission qu’il a confiée à deux fonctionnaires éminens, intelligens surtout. Ceux-ci, à propos de taxes locales, ont exposé ou pour mieux dire ont révélé dans un rapport, qui est un gros et excellent livre, toute l’administration anglaise et même une infinité de choses par-delà l’administration <ref> (1) ''Rapport déposé à la chambre des représentons de Belgique sur les taxes locales du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande'', 1860.</ref>. A vrai dire, ils ne pouvaient moins faire. Parler d’impôt, c’est parler de tout, si l’on considère que ce sujet comprend non-seulement l’assiette, mais l’emploi des taxes, c’est-à-dire les dépenses d’un peuple, lesquelles, encore plus que sa littérature, sont une expression de lui-même. Peu importe que l’on ait en vue seulement l’impôt local : on ne peut dire où finit le local sans dire par cela même où commence le général, et l’on est ainsi conduit à tracer un tableau complet des choses de finances qui ne va pas sans quelque aperçu de la société tout entière. Le fait est qu’une société n’a pas un trait de mœurs, pas un besoin, pas un penchant dont il n’y ait quelque trace dans ses budgets. On voit l’estime qu’elle fait des choses par le prix qu’elle y met, par ce qu’elle y applique de force et d’argent sous le nom de ''services publics''. Une nation ne peut s’empêcher de mettre son âme et même d’écrire un peu son histoire dans ses lois de finances. Qu’un de nos budgets seulement surnage au prochain déluge, et l’avenir y lira couramment tout ce que nous sommes, sans le microscope de ses érudits.
 
En attendant, c’est une lumière, s’il en fut, que le document belge dont nous allons rendre compte. ''Il est probable'', me disait un Anglais fort entendu, M. Stuart Mill, ''que nous n’avons pas un livre pareil dans notre propre langue''. Les analogies, les contrastes les plus inattendus failliront sûrement de cette étude: on ne l’aborde qu’en vue des rapports à saisir. Avant tout, il faut décrire à fond, quoi qu’il en coûte de soin et de patience, c’est-à-dire connaître et faire connaître.
 
Vous pourriez en peu de lignes esquisser le tableau de l’administration française, une hiérarchie si bien liée, une symétrie de si belle apparence ! Quelques coups de crayon suffiraient à la simplicité de ces grandes lignes; mais le modèle britannique qui pose devant vous exige d’autres façons. Le plus laconique allongerait ses monosyllabes à poursuivre cette variété sinueuse et luxuriante qui s’étale ou plutôt qui se hérisse dans le gouvernement local de la Grande-Bretagne. Ceci tout d’abord est un jugement sur l’objet de votre description. Tant de choses qui se disputent votre attention, qui éprouvent votre analyse, ont un nom qui leur est commun : c’est la vie même que vous avez devant vous, la vie avec des caractères de phénomène et d’exception chez un grand peuple tout pétri de besoins, de volontés, d’ardeurs sanguines et musculaires; mais, encore une fois, ne jugeons pas, ne préjugeons pas surtout, et tachons de laisser la parole aux choses.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) ''Rapport déposé à la chambre des représentons de Belgique sur les taxes locales du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande'', 1860.</small><br />
 
 
Ligne 91 ⟶ 87 :
<center>II</center>
 
C’est peu de chose que les bourgs ou corporations. Quelles que soient leurs attributions, ces localités figurent comme une exception clair-semée sur la carte de l’Angleterre et du pays de Galles. Quand lord John Russell présentait au parlement le bill de réforme municipale, il n’en comptait pas plus de cent quatre-vingt-trois, avec une population de deux millions d’habitans <ref> (12) Voyez ''Annual Register'', 1835, page 242.</ref>. A cet égard, le bourg est moins que le comté : c’est autre chose surtout. Là, rien ne ressemble aux pouvoirs du comté, confus et souverains comme nous les avons vus entre les mains des juges de paix : tout se divise, quelquefois pour s’étendre et se détailler, mais eh général pour se borner.
 
Tout d’abord c’est l’administratif et le judiciaire qui ne tiennent plus dans la même main. L’administration passe tout entière à des représentans élus. Quant à la justice, il est rare qu’un bourg soit constitué avec cette plénitude suprême qu’on voit dans le comté. En général, il relève du comté pour la haute justice. Ce n’est pas qu’il n’ait aussi ses juges de paix, mais avec quel déchet de personnes et d’attributions! Ici, ce magistrat, comme juge proprement dit, a pour toute compétence de statuer sur les contraventions de simple police. Comme officier de police judiciaire, il est borné par le ''coroner'', officier municipal et salarié, qui, lui aussi, fait des enquêtes, des instructions, etc. Il n’a plus la grande fonction judiciaire des ''sessions trimestrielles'', qui n’existe pas dans les bourgs ou qui est dévolue au ''recorder'', un magistrat salarié par la corporation et nommé par la couronne parmi les avocats de quelque pratique. Enfin ce juge de paix, déjà si réduit, devient méconnaissable quand on songe qu’il reçoit quelquefois un traitement de la commune, et qu’il peut être pris partout, sans la moindre condition de rang ni de fortune.
Ligne 111 ⟶ 107 :
Deux choses toutes modernes ont créé ces pouvoirs en ce qu’ils ont de hardi et de compréhensif. L’une est le développement des villes, où plus de contact engendre plus d’occasions de nuire et plus de disciplines nécessaires; l’autre est le développement des idées de comfort, de propreté, de décence, chaque jour plus exigeantes et plus raffinées, lesquelles rencontrent bien sur leur chemin l’aversion innée des Anglais pour le règlement, mais ne laissent pas que d’en triompher par une aversion acquise et encore plus forte, celle du nauséabond, du scandaleux, de l’immonde, du saugrenu. On voit ici clans tout son jour une des lois les plus frappantes du monde moral, savoir le progrès de la puissance publique parallèle au progrès de la société. Il y a en effet un progrès de la société en tout ceci, et même un progrès de quelque valeur morale, une certaine addition aux codes et aux commandemens les plus connus. Il s’agit de ne pas infecter son prochain, de ne pas le dégoûter moralement, de ne pas l’empoisonner, soit quand il respire, soit surtout quand il croit être logé et nourri. Il s’agit même de lui procurer l’espace, le jour, l’air, les récréations de la vue et de l’esprit. Un budget où apparaissent de tels articles de dépense n’accuse pas moins qu’un respect croissant de soi-même et d’autrui, un plus haut sentiment parmi les hommes de ce qu’ils valent et de ce qu’ils se doivent les uns aux autres. On peut même croire, mais en y allant avec infiniment de circonspection, que plus de décence signifié plus de moralité, et que le soin des dehors suppose la qualité, la réalité du fond.
 
La preuve au surplus que ce progrès moral n’est pas la fantaisie de quelques-uns, c’est qu’il est défrayé par tous, et chèrement. Le montant des taxes municipales directes perçues à Liverpool s’élève à 21 pour 100 du revenu imposable, ce qui ne dispense pas l’habitant de Liverpool de payer sa part de l’''income-tax'' et des ''assessed taxes'', c’est-à-dire des taxes sur les maisons, les domestiques, les chevaux, les armoiries, etc. <ref> (23) Page 104 du document belge déjà cité.</ref>. Rien ne montre l’empire d’un besoin, la puissance d’une idée progressive comme les sacrifices d’argent qu’elle sait obtenir; c’est à cette épreuve qu’on voit les convictions. La foi qui contribue est une foi sincère.
 
Somme toute, je sais bien ce qui étonnera, ce qui choquera le plus un lecteur français à l’aspect de ce pouvoir municipal. On va me dire que j’ai déployé là une longue liste d’attributions, mais qu’apparemment je ne l’ai pas épuisée. Et les écoles! et le culte! et l’hôpital! et la route! et le théâtre! il n’y en a pas trace dans ce catalogue. Est-ce que les bourgs, les corporations de la Grande-Bretagne n’ont pas le droit et même l’obligation précise de pourvoir à ces services? Eh! mon Dieu, non; mais ne vous inquiétez pas de ces choses que les corporations peuvent négliger. Vous êtes en présence d’une société qui saura bien y pourvoir. Ces services se font d’eux-mêmes avec des ressources, tantôt qui leur appartiennent en propre, tantôt publiques, tantôt privées, qui en tout cas n’attendent rien des corporations.
Ligne 129 ⟶ 125 :
Ici peut-être est le vice de ces gouvernemens municipaux, vice qui fut parfaitement senti à la chambre des lords à l’époque où se discutait le bill de réforme municipale adopté en 1835. Le but de cette réforme était surtout d’augmenter le corps des électeurs; mais convenait-il de laisser intacts des pouvoirs dont la source était altérée? Était-il sage de confier les mêmes attributions aux représentans d’un corps qui n’était plus le même, où allaient abonder des élément nouveaux et inconnus, capable d’impulsions aveugles et démesurées? Dans cette défiance, voici ce que l’on fit : 1° la gestion des établissemens de bienfaisance ne fut pas confiée aux conseils municipaux ; 2° ces conseils ne purent aliéner les biens communaux qu’avec la permission de trois lords de la trésorerie. — On avait voulu faire infiniment plus. Au projet de loi ministériel, on avait ajouté ceci : que le quart du conseil municipal, l’état-major de ce conseil, serait nommé à vie. Élire dans ces conditions le maire et les ''aldermen'', n’était-ce pas dédoubler le pouvoir municipal, y créant une hiérarchie, une tradition, une élite pour la garantie de tous les intérêts et pour la saine expédition des affaires? Ce fut l’objet d’un amendement appuyé avec une rare insistance par ce qu’il y avait de plus considérable à la chambre des lords.
 
Le duc de Wellington, lord Wharncliffe et lord Ellenborough prétendirent « que, si cet amendement n’était pas adopté, les conseils municipaux deviendraient des anomalies dans la constitution. Ils auraient la pleine disposition des revenus du bourg, du patronage ecclésiastique, des fonds charitables, de tous les autres fonds de la communauté, et tout cela sans le moindre contrôle. Ils allaient posséder le pouvoir de déclarer crime ou ''nuisance'' ce que la loi n’avait pas déclaré tel, et, comme préposés au bien-être collectif, ils exerceraient, à ce titre singulièrement compréhensif, une autorité sans rivale; ils succéderaient aux différens corps créés par des actes locaux, et dont chacun avait un droit de taxation limité, tandis que ce droit dans les nouveaux conseils municipaux était sans limite aucune. Plus ces pouvoirs étaient considérables, plus il devenait nécessaire de les rendre indépendans jusqu’à un certain point du contrôle purement populaire. Autrement il y aurait là plus de démocratie que dans la chambre des communes elle-même. La chambre des communes avait à compter avec la chambre des lords et avec la couronne, qui la tenaient en échec; mais le conseil municipal d’un bourg n’avait à compter avec personne, ne subissait le contrôle de personae!... S’il était entendu qu’un corps d’''aldermen'', de membres à vie, n’était pas nécessaire dans un bourg, des membres à vie dans la chambre des lords paraîtraient tout aussi superflus : on allait à déraciner l’aristocratie et tout ce qui avait formé jusque-là le contre-poids du principe démocratique <ref> (34) ''Annual Register'' 1835, pages 280 et suivantes.</ref>...» Y avait-il dans ces appréhensions quelque chose d’outré, d’inexact? D’ici il est malaisé de le savoir au juste. Toujours est-il que cet amendement, adopté par les lords à une forte majorité, fut modifié par la chambre des communes, en ce sens que le quart du conseil municipal, au lieu de tenir ses pouvoirs à vie, les tiendrait pour six ans seulement, le conseil se renouvelant d’ailleurs d’année en année. Les bourgs obtenaient ainsi une souveraineté qui, à l’égard de certains, objets, n’avait ni contrôle ni tempérament.
 
Assurément cela est mauvais en soi, mais avec moins de malfaisance qu’on ne pourrait croire. En effet, ces corporations ne sont souveraines qu’à une condition, qui est de n’avoir besoin pour leurs affaires ni d’impôt, ni d’emprunt, ni d’expropriation, ni de pénalité, ni même de souscription. Il n’y a pas de pays civilisé où l’on se passe pour ces entreprises du concours de la loi. Ce n’est pas la Grande-Bretagne qui mettrait en oubli un pareil principe : il y est reconnu et organisé comme nulle part. Si quelqu’une de ces ressources est nécessaire à un bourg, il doit se pourvoir devant le parlement pour en obtenir une autorisation, ce qui est la matière des ''private bills'', nous dirions des lois d’intérêt local. Ici apparaît le contrôle exercé sur les pouvoirs locaux, la protection accordée aux minorités et aux individus. Vous remarquerez que, pour cette partie de ses attributions, le parlement a des comités faits comme des tribunaux, et tout un code de procédure. Il procède tout à la fois comme législateur et comme juge, gardien sans doute des principes et des intérêts généraux qui pourraient être méconnus par la prétention autonomique d’un bourg, mais en même temps arbitre des intérêts privés. De là une série de précautions pour avertir et convoquer ces intérêts : publicité des journaux, affiches aux églises, dépôt chez les juges de paix et même quelquefois notification personnelle aux intéressés. Quand il s’agit par exemple d’établir un cimetière, ''avis doit en être donné à tous propriétaires et locataires des maisons d’habitation situées dans un rayon de trois cents yards'' (mètres) ''de l’enceinte du cimetière projeté'' <ref> (45) Voyez ''Treatise upon the law, privileges, proceedings and usages of Parliament'', by Erskine May, p. 390.</ref>.
 
Le fait est qu’en matière de bills privés le parlement ouvre une enquête et même une audience où toutes les oppositions peuvent se faire entendre, où tous les griefs ont la parole, et l’affaire locale peut être purgée ainsi de ce qu’elle avait d’inique, de blessant ou même simplement d’incommode pour certaines minorités. Il faut avouer qu’à cet égard les précautions sont bien prises. « La nomination, la constitution et la procédure des ''comités pour les bills privés'' sont réglées de façon à ce que les intérêts de toutes les parties obtiennent la considération réfléchie et impartiale qui leur est due. Les membres de ces comités qui se trouvent sur la liste du président de la chambre des communes représentent les intérêts de leurs commettons et sont reconnus pour avoir un intérêt local; mais les membres désignés parle comité de ''sélection'' n’ont aucun rapport avec les localités dont il s’agit dans le bill; ils sont là pour mettre ordre à tout parti-pris et à toute mauvaise pratique dont pourraient s’aviser les membres localement intéressés <ref> (56) Ibid., p. 411.</ref>
 
Il est permis de croire qu’une affaire locale est presque toujours sujette par quelque endroit à être vérifiée et contredite en parlement. Cela est d’autant plus probable que la simple ''souscription'' est une de ces circonstances qui veulent l’autorisation parlementaire, et que l’''emprunt'' en est une autre, même quand il n’est pas à charge d’impôt, même quand il peut être défrayé par les revenus existons <ref> (67) Ibid., p. 393.</ref>. Cependant toute une série d’affaires, et des plus considérables, demeure en dehors de tout contrôle et se décide souverainement dans les localités, celle des ''ateliers insalubres'', où la commune, se bornant soit à défendre, soit à permettre un acte, ne relève d’aucune autorité.
 
Tel est en Angleterre l’état des choses qu’il faut comparer sommairement aux principes du sujet. L’intervention de l’état dans les affaires d’une localité peut être ''politique, arbitrale'' ou ''tutélaire'' : — ''politique'', pour tenir les localités soumises aux lois générales et à l’intérêt général, les empêchant par exemple d’asseoir l’impôt à leur manière qui serait peut-être inique, ou de se surcharger d’impôts, par où elles deviendraient incapables de payer les taxes dues à l’état; — ''arbitrale'', pour la protection des minorités, pour la juste répartition du bien-être communal; — ''tutélaire'', pour protéger la commune contre elle-même, contre l’ineptie et la prodigalité dont on la croit susceptible. ''Tutélaire'' est le mot propre : ce régime est bien celui qu’on applique aux mineurs pour les préserver d’eux-mêmes.
 
Or en Angleterre le gouvernement central pratique pleinement la première de ces interventions : il pratique même la seconde, mais pas du tout la troisième. Il ne croit pas avoir charge des intérêts particuliers, encore que ces intérêts soient ceux d’une commune ou d’une compagnie. En ce qui regarde une compagnie, le doute peut s’élever, puisque je vois qu’une compagnie de chemins de fer doit établir le ''rapport de son revenu avec ses charges annuelles'' : à cet égard, les ''comités'' parlementaires sont liés par des règles formelles, et ne peuvent accorder un bill d’autorisation que sur cette preuve préalablement faite <ref> (78) ''Treatise'', etc., by Erskine May, p. 420, § 18.</ref>; mais il en est tout autrement pour les localités : en ce qui les regarde, il n’y a pas trace de cette sollicitude. Le pouvoir central ne croit pas savoir les affaires de la commune mieux que la commune elle-même. Il n’essaie pas de lui remontrer que telle dépense est inutile ou excessive, que tel projet de construction est mal conçu, dispendieux, plein de conséquences nuisibles. Encore moins lui impose-t-il ses plans et ses vues d’après l’autorité de certains corps réputés infaillibles dès qu’il s’agit de remuer la pierre ou le sol. Bref, il n’y a en Angleterre ni cette ingérence ni les moyens de cette ingérence, qui sont parmi nous le conseil général des ponts et chaussées et le conseil général des bâtimens civils. Voilà une différence capitale entre le procédé français et le procédé britannique, qui toutefois n’est pas la seule : chez nous l’intervention centrale est confiée au pouvoir exécutif; chez nos voisins, elle appartient au parlement. On peut applaudir à cette dernière solution en ce qu’elle ôte au gouvernement un principe d’influence sujet à des abus politiques. Toutefois il faut penser à une chose : si cette influence et ses abus profitaient à quelqu’un des partis dont se compose le parlement, l’avantage serait médiocre... Rien n’établit et même rien n’insinue que tel soit parmi nos voisins l’abus des majorités parlementaires.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Voyez ''Annual Register'', 1835, page 242.</small><br />
<small> (2) Page 104 du document belge déjà cité.</small><br />
<small> (3) ''Annual Register'' 1835, pages 280 et suivantes.</small><br />
<small> (4) Voyez ''Treatise upon the law, privileges, proceedings and usages of Parliament'', by Erskine May, p. 390.</small><br />
<small> (5) Ibid., p. 411.</small><br />
<small> (6) Ibid., p. 393.</small><br />
<small> (7) ''Treatise'', etc., by Erskine May, p. 420, § 18.</small><br />
 
 
Ligne 160 ⟶ 146 :
Cette localité est de toutes la moins bien partagée. Elle n’a de pouvoir que pour ce qui regarde l’église (et encore l’église en tant qu’édifice à entretenir), le pavage, l’éclairage, les cimetières. Les paroisses sont assujetties à l’entretien des routes qui ne sont pas des routes à péage, et elles ne peuvent en construire que dans la limite d’un maximum de dépense fixé par le parlement; à cet égard, leurs attributions ne sont que devoirs et charges. En outre elles sont assistées et même dominées partout, soit par les juges de paix, soit par les inspecteurs des pauvres. Elles rendent leurs comptes pour la dépense des routes et de l’éclairage au juge de paix. C’est encore ce magistrat qui arrête le rôle de certaines taxes paroissiales; c’est l’inspecteur des pauvres qui en opère le recouvrement.
 
La paroisse n’est pas un être civil, si ce n’est dans la personne de ses marguilliers et pour le fait de l’église. Ici toutefois vient se placer un détail fort instructif et des plus inattendus. La paroisse a le droit de demander une taxe d’église, qui est immémoriale sous le nom de ''church rate'' ; mais les paroissiens ont le droit de la refuser, et voici que maintenant ils usent de ce droit, comme une race qui n’aurait pas le moindre sentiment de la tradition. « La taxe ne peut être levée lorsque la majorité du ''vestry'' refuse son vote aux propositions des marguilliers, et tel est depuis longtemps le cas dans beaucoup de paroisses <ref> (19) Document belge, p. 126.</ref>.» Il est même question d’interdire la demande de cet impôt dans les paroisses. Une société, ''liberation society'', s’est formée à cette fin avec de fort mauvaises intentions, même contre les dîmes, et tout récemment une loi née de cette ''agitation'' pour abolir expressément ''la taxe d’église'' n’a échoué qu’à une voix de majorité : grande société où le sentiment religieux est tellement assuré de lui-même, qu’il ne supporte pas l’idée d’un impôt, d’une contrainte,... à moins peut-être qu’il ne vous plaise d’entendre la chose autrement, et de voir là un effet d’indifférence, de rationalisme, d’aversion, d’économie! Il faut penser à tout.
 
Comme la paroisse ne peut rien en fait de police, de milice, de prisons, comme elle n’a plus l’administration souveraine des pauvres, comme elle n’a jamais eu les registres de l’état civil, on voit qu’elle est manifestement au plus bas de l’échelle parmi les pouvoirs locaux, non-seulement de l’Angleterre, mais du continent. Qu’est-ce qu’un marguillier anglais comparé à un maire français, lequel a le droit de requérir la force armée, de marier les gens, d’ordonner des arrestations en cas de flagrant délit, de prendre des mesures et des arrêtés de police? Celui-ci a les mains étroitement liées, pour peu qu’il soit question de finances; mais s’il ne s’agit que de maintenir l’ordre, dans un cas de fête publique par exemple, il peut mettre le feu à la commune le plus légalement du monde, avec les règlemens qu’il aie droit de faire sur les illuminations, les feux d’artifice, l’emplacement des tentes et des baraques... Notre commune n’approche pas du comté, mais elle a des pouvoirs qui la mettent fort au-dessus de la ''paroisse''.
Ligne 187 ⟶ 173 :
 
Chose étrange, toutes ces libéralités eurent les fruits qu’on s’en promettait, un certain apaisement, une certaine renaissance d’ordre et même de prospérité, où l’Irlande semble se rattachera la métropole. Rien n’est moins sûr pour les gouvernemens que de réparer une injustice : leurs concessions ont souvent pour effet de créer plus de forces qu’elles n’éteignent de colères parmi leurs ennemis. Il y a maint exemple de gouvernemens menacés et ébranlés par l’opinion qui tombèrent en y déférant, qui s’achevèrent par des concessions. Mais le bienfait de l’Angleterre ne fut pas perdu, sans qu’il faille oublier toutefois une catastrophe qui vint tout précipiter, tout dénouer en Irlande : il s’agit de la disette qui ravagea ce pays en 1846. Les pauvres, à bout de vie ou plutôt d’agonie, moururent jusqu’à concurrence d’un million de personnes. Les propriétaires, perdus de dettes immémoriales, virent enfin arriver pour eux l’heure de l’éviction. Cela eut lieu en vertu de cette loi (''incumbered estates act'') à laquelle on faisait allusion tout à l’heure, qui fit main-basse en ce pays sur toute féodalité. Le gouvernement anglais, qui ne se ménageait pas, prenant à sa solde jusqu’à cinq cent mille ouvriers, dépensant jusqu’à 250 millions en un an, ne fit pas plus de façon avec les titres et avec les dynasties qui croyaient posséder à jamais le territoire d’Irlande. Il obtint une loi contre les propriétaires obérés; il institua une procédure sommaire contre leurs propriétés; il appela à cette vente, à cette expropriation, quiconque avait du capital, du savoir et de l’expérience agricole, ou même simplement de la hardiesse, de la spéculation. A cet appel, il fut répondu de partout, d’Ecosse principalement, et le vieil écheveau du moyen âge qui enlaçait la terre d’Irlande fut tranché du coup. Cette liquidation peut se raconter ainsi : mort des pauvres, ruine des riches, avènement des Écossais. A toute rigueur, on pourrait croire que les Irlandais sont destinés au même sort que les ''Peaux-Rouges'' des États-Unis : éviction, disparition graduelle.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) Document belge, p. 126.</small><br />
 
 
Ligne 223 ⟶ 205 :
Quant à nous, Français, nous serions fort en peine de mettre de l’aristocratie dans les localités, n’en ayant nulle part. Ce n’est pas que la matière aristocratique nous fasse défaut en chair et en noms; mais il y manque ce qui seul pourrait en faire un élément politique, je veux dire cette force d’opinion et de respect, née de l’histoire, lentement élaborée pendant le cours des âges au service de ces grands intérêts humains : ordre, liberté, progrès... Il n’en faut pas moins pour élever une caste au sommet d’une société, pour l’ériger en arbitre suprême, en pouvoir universel et modérateur.
 
La France n’a pas eu cette fortune d’une noblesse ainsi faite et inspirée. Telle a été parmi nous la malice et la fatalité des choses que cette classe, après une carrière immémoriale d’apathie politique, se réveilla aux environs de 89 avec des aspirations libérales, avec une ferveur libérale qui ne le cédaient à aucunes, ses ''cahiers'' en font foi,... mais trop tard, mais perdue irrévocablement dans l’affection du peuple et, qui pis est, dans l’estime de la royauté. C’est une histoire et surtout une philosophie de l’histoire bien connue. Tout a été dit sur ce sujet, avec la plus haute autorité d’esprit et de position, dans des livres fameux ou qui méritent de l’être <ref> (110) ''Histoire de la Civilisation'', par M. Guizot. — ''De l’Ancien Régime'', par M. de Tocqueville. — ''Recherches sur l’origine de l’Impôt'', par M. Potherat de Thou.</ref>. On ne voit pas la nécessité d’aggraver ce lieu commun ; seulement voici une opinion, quelque chose de suprême où brille la clairvoyance des dernières heures, qui vaut la peine d’être rapportée.» Certains beaux esprits de nos jours ont entrepris de réhabiliter l’ancien régime... Je le juge non par ce que j’en imagine, mais par les sentimens qu’il a inspirés à ceux qui l’ont subi et détruit. Je vois dans tout le cours de cette révolution si oppressive et si cruelle la haine de l’ancien régime surpasser toujours dans le cœur des Français toutes les autres haines, et s’y enraciner tellement, qu’elle survit à son objet même, et de passion momentanée devient une sorte d’instinct permanent. Je remarque que durant les plus périlleuses vicissitudes des soixante dernières années, la crainte du retour de l’ancien régime a toujours étouffé dans ces esprits mobiles et inquiets toutes les autres craintes. Cela me suffît. Pour moi, l’épreuve est faite <ref>(211) ''Œuvres et Correspondance inédites d’Alexis de Tocqueville'', t. Ier, p. 287. </ref>
 
Si du moins cette noblesse impopulaire eût été quelque chose d’imposant et de considérable aux yeux du monarque ! mais nous savons bien ce qui en est. Cette expérience a été faite de nos jours et en des conditions tout à fait dignes de mémoire. Quoi de plus sénatorial que la chambre des pairs sous la restauration, où se rencontrait toute grandeur d’extraction et de services? Quoi de plus grave et de plus élevé que la façon dont elle comprit son rôle, dont elle manifesta son pouvoir modérateur? Jamais peut-être il ne s’était dépensé en France tant d’esprit et de sagesse politique. Peine perdue! on ne tint compte de ses résistances, qui étaient des avertissemens, et cela se comprend bien. Est-ce qu’on s’arrête aux protestations d’une caste, fût-elle devenue un pouvoir public, quand on est le roi de France, ce roi qui ne meurt pas, et qu’on la voit à ses pieds depuis quatre cents ans, quand on a des ancêtres comme Louis XI, qui fit couper les oreilles à un gentilhomme pour délit de chasse, ou comme François Ier, qui spolia un connétable de Bourbon, ou comme Louis XIV faisant abjurer à volonté les Turenne, les Rohan?... Il paraît que peuple et roi avaient chacun leurs raisons pour faire peu d’état de l’aristocratie. Ils eussent bien fait chacun d’en user tout autrement, de la ménager, de l’inventer même au besoin, ne fût-ce que pour l’interposer entre eux; mais il y a des ruines qu’on ne relève pas.
Ligne 244 ⟶ 226 :
 
 
<references/>
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small> (1) ''Histoire de la Civilisation'', par M. Guizot. — ''De l’Ancien Régime'', par M. de Tocqueville. — ''Recherches sur l’origine de l’Impôt'', par M. Potherat de Thou.</small><br />
<small>(2) ''Œuvres et Correspondance inédites d’Alexis de Tocqueville'', t. Ier, p. 287. </small><br />