« Le Roi Georges de Podiebrad, épisode de l’Histoire de Bohême/02 » : différence entre les versions

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Nouvelle page : II. La lutte du roi de Bohême et du saint-siège <center>I</center> La Bohême avait élu son roi; ce n’était que la moitié de sa tâche. Ce roi, désigné aux vœux de la pa...
 
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Quelques semaines après, le pape, ayant à envoyer un bref au roi de Bohême, l’appelait ''mon cher fils le roi George'', et l’empereur, attaqué par son propre frère au milieu de ses états, se hâtait d’appeler au secours l’armée des Bohémiens. Courir aux armes, délivrer l’empereur, faire un traité avec lui, ce fut le premier acte de George en dehors de ses frontières. L’empereur, il est vrai, ne le reconnaissait pas encore officiellement comme roi de Bohême, mais il renonçait pour lui-même à la couronne de Ladislas, et déclarait que les autres princes autrichiens, Albert et Sigismond, n’y avaient aucun droit. La cause était à demi gagnée.
 
Restaient encore les princes de l’empire, surtout ces terribles voisins de Podiebrad, ducs de Saxe et margraves de Brandebourg, dont l’orgueil féodal, irrité par des espérances déçues, ne paraissait guère disposé à-fléchir. Heureusement pour le roi George, de graves événemens vinrent lui prêter main-forte. Quelques semaines après le couronnement de Prague, tous les princes allemands étaient en guerre les uns avec les autres pour une affaire de succession qui menaçait l’équilibre des territoires, et le roi de Bohême, étranger à toutes ces querelles, devenait par la force des choses l’arbitre des combattans. Ce parvenu qu’on méprisait hier, on recherche aujourd’hui son alliance. Le duc Albert de Saxe, son orgueilleux ennemi de la veille, est heureux de s’unir à lui en épousant sa fille. Le 11 novembre 1459, de grandes fêtes s’ouvrirent à Égra; le roi et la reine de Bohême s’y étaient rendus avec leurs enfans, accompagnés des plus hauts barons, des plus nobles dames et de trois mille cavaliers; les deux ducs de Saxe Albert et Guillaume, les deux margraves de Brandebourg Albert-Achille et Frédéric, le duc Otto de Bavière, l’archevêque de Magdebourg, sans compter tout un cortège de seigneurs, y étaient venus de leur côté avec trois mille cavaliers allemands. Quel était le but de ce rendez-vous solennel? Pourquoi tous ces princes, les chefs les plus altiers de la féodalité impériale, venaient-ils saluer George de Podiebrad dans une petite ville de Bohême? On célébrait les fiançailles de la fille de George avec le duc Albert de Saxe, et les fiançailles de son fils avec la fille du duc Guillaume. La fille de George n’avait que dix ans; elle fut fiancée au duc Albert par l’archevêque de Magdebourg et conduite aussitôt dans sa nouvelle famille. L’Allemagne connaît son nom et ses vertus. Le souverain qui règne aujourd’hui sur la Saxe descend de cette princesse Zdéna, la fille de George, qui aurait pu mourir ignorée dans quelque château de Bohême, mais qui, portée sur un trône par une révolution, y a fait monter avec elle la religion, la charité, la grâce, et est devenue l’aïeule vénérée de l’une des premières maisons royales de l’Europe <ref> (1) On peut consulter sur ce point le curieux ouvrage de M. F.-A. de Langenn: ''Herzog Albrecht der Beherzte, Stammvater des königl. Hanses Sachsen''. Leipzig 1838.</ref>. En même temps que la fille de George quittait son père et sa mère pour achever son éducation à Dresde, la fille du duc Guillaume de Saxe, Catherine, âgée de six ans, se séparait aussi de sa famille pour aller résider à Prague auprès de la reine de Bohême. Catherine était fiancée au plus jeune des fils du roi George, au prince Hynek, qui n’avait alors que sept ans; elle devint si vite et si complètement tchèque, dit M. Palacky, que, cinq années après, âgée de onze ans à peine, elle avait oublié la langue allemande.
 
Au milieu des fêtes des fiançailles, tandis que les souverains de la Bohême et de la Saxe échangeaient ainsi leurs enfans, d’autres affaires furent réglées, d’autres alliances conclues entre le roi George et plusieurs princes d’Allemagne. Devenu ainsi le pacificateur de l’empire, le roi George n’eût pas été digne de sa fortune, s’il n’eût point senti s’accroître son ambition. Il y avait d’ailleurs bien des regards dirigés vers lui du sein de l’anarchie germanique; certains personnages très influens le croyaient appelé à faire en Allemagne ce qu’il avait fait en Bohême; on lui disait de ne pas s’arrêter en chemin, on le conjurait de se porter médiateur, non pas seulement aujourd’hui, mais toujours, non pas accidentellement, mais d’une manière perpétuelle et constante, entre ces princes dont les rivalités détruisaient l’empire. Qui donc pouvait mieux que le roi George rallier les forces de la Germanie, accomplir l’unité, organiser le chaos? Le saint-empire romain tombait en ruine; qui donc, si ce n’est lui, était assez fort pour le relever?
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George fit un accueil enthousiaste aux idées de Martin Mayr. Les négociations relatives à cette affaire remplirent l’année 1460, sans aboutir à aucun résultat. Accepté par les uns, tenu en suspicion par les autres à cause de cette puissance même qui avait séduit Martin Mayr, le roi de Bohême ne devint pas roi des Romains. Qu’importe? cette candidature, si sérieusement discutée, attestait assez haut le rang qu’il s’était conquis en Allemagne, et si l’on songe à toutes les hostilités qui se dressaient contre lui des le lendemain de son couronnement, il est impossible de ne pas admirer ce mélange de sagesse et de vigueur, d’esprit patriotique et de vastes pensées, qui caractérisa tout d’abord la politique du glorieux parvenu. Qu’on ait reconnu ou non le titre que souhaitait pour lui la haute diplomatie européenne, George de Podiebrad était en réalité, à la fin de l’année 1460, le pacificateur de l’Allemagne et le coadjuteur de l’empire.
 
 
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<small> (1) On peut consulter sur ce point le curieux ouvrage de M. F.-A. de Langenn: ''Herzog Albrecht der Beherzte, Stammvater des königl. Hanses Sachsen''. Leipzig 1838.</small><br />
 
 
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Cette influence si habilement acquise en Allemagne avait pourtant ses inconvéniens en Bohême. Le parti catholique s’était empressé d’applaudir à l’ambition du roi George et de l’encourager dans cette voie; plus le roi devait être mêlé aux affaires de l’Allemagne, plus aussi on avait lieu d’espérer qu’il abandonnerait peu à peu les hussites et leur archevêque, maître Rokycana. Les hussites comprirent le danger, et déjà grondaient les murmures. Une fermentation extraordinaire ne tarda pas à éclater; il fallut sévir contre ces esprits exaltés qui ne manquent à aucune révolution, et qui ont surtout beau jeu quand une révolution semble mise en péril. Aux taborites dispersés et détruits avait succédé une secte moins fanatique, mais très dévouée à sa foi j et d’où est sortie plus tard cette communauté des ''frères de Bohême'' qui jouera un rôle si important dans l’histoire religieuse de l’Allemagne. Il y avait dans ce parti des savans et des gens du peuple, des maîtres de l’université de Prague et de pauvres ouvriers. On chassa les savans, on jeta les ouvriers en prison. Les plus opiniâtres furent soumis à des traitemens cruels. Un gentilhomme devenu moine, et, comme Bossuet l’a dit de saint François d’Assise, amateur désespéré de la pauvreté, était un des principaux chefs du mouvement; il se faisait appeler seulement « frère Grégoire, » et, sans aucun désir de domination personnelle, il exerçait un ascendant extraordinaire sur les âmes pieuses. On prétend qu’il fut mis à la torture. Il échappa cependant au supplice, et ce fut lui qui organisa dans la suite la communauté des ''frères de Bohême''. Le roi George, en frappant les nouvelles sectes comme il avait frappé les taborites, était fidèle à son serment. Il se peut aussi que ces rigueurs, si surprenantes de la part d’un tel homme, fussent le résultat d’un calcul : il était sur le point d’entamer des négociations définitives pour le maintien des ''compactats'' du concile de Bâle, et il voulait prouver à la cour de Rome que les hussites eux-mêmes savaient réprimer l’hérésie. La Bohême cependant n’était pas disposée à comprendre sa politique. Que ce fût un loyal désir d’exécuter ses engagemens ou un moyen de se concilier le saint-siège en faveur du culte national, les esprits alarmés y voyaient autre chose. Au moment même où l’on persécutait les exaltés, l’évêque de Breslau, croyant le moment propice, s’en vint prêcher dans la cathédrale de Prague contre l’usage de la coupe. Aussitôt la ville entière se souleva, et l’évêque fut chassé. « Nous sommes trahis! criaient des milliers de voix. George veut devenir roi des Romains, coadjuteur de l’empire, et, pour gagner la confiance des Allemands, il sacrifie les intérêts de la Bohême. Que nous sert d’avoir pris un Bohémien pour notre roi, si ce Bohémien ne songe qu’à se faire Allemand?» La trahison semblait si manifeste, l’irritation générale était si vive, que maître Rokycana lui-même, l’archevêque élu des hussites, l’ami, le champion, l’ancien compagnon d’armes du roi, commença des prédications contre lui. Averti par cette explosion populaire, le roi George comprit la faute qu’il avait commise. Il renonça pour toujours à la direction des affaires d’Allemagne, et resta roi de Bohême. Martin Mayr, l’auteur du plan qui venait d’échouer, fut obligé de quitter la cour de Prague; son départ avait presque l’importance d’une révolution ministérielle dans un gouvernement libre : il annonçait tout un changement de politique.
 
Au moment où George de Podiebrad, élu roi de Bohême, avait dû prêter serment de fidélité à l’église catholique, le saint-siège était occupé par un vieux prêtre espagnol, Alphonse Borgia, dont il y aurait peu de chose à dire, s’il n’avait eu le malheur de frayer la route à son neveu Alexandre. Il est impossible de prononcer ce nom sans se rappeler les hideuses souillures du trône de saint Pierre. L’oncle d’Alexandre VI était pourtant un souverain respectable, et s’il songea un peu trop à enrichir sa famille, il montra en général beaucoup de modération et de sagesse dans son gouvernement. Ni Calixte III (tel était le nom d’Alphonse Borgia comme souverain pontife), ni son prédécesseur Nicolas V, n’avaient continué la politique altière d’Eugène IV. Maintes questions que ce dernier, en vrai patricien de Venise, avait prétendu résoudre par la violence ou la ruse, étaient demeurées pendantes au moment de sa mort; telle était la question des ''compactats''. Les concessions accordées aux hussites par le concile de Bâle et promulguées à Iglau d’une manière si solennelle étaient-elles respectées par la cour de Rome ou reniées à jamais? Personne ne le savait exactement. Si Eugène IV avait décrété l’annulation de tous les actes du concile de Bâle, de son côté, on l’a vu, le concile de Bâle avait déposé Eugène IV ; or, à la date où nous sommes, le concile, bien que dispersé depuis longtemps, avait encore des partisans nombreux, soit parmi les théologiens allemands, soit dans notre église gallicane et à l’université de Paris. Les deux successeurs d’Eugène IV évitèrent donc de se prononcer, et peut-être était-ce le meilleur moyen d’effacer le souvenir d’une période scandaleuse, car enfin comment toucher à ces questions sans rappeler au monde chrétien ces deux papes et ces deux conciles se jetant tour à tour l’anathème? Lorsque Calixte III, acceptant de Podiebrad un serment assez vague, feignait d’ignorer le serment très explicite par lequel le nouveau roi de Bohême Rengageait devant son peuple à maintenir la décision du concile, le vieux pontife obéissait à une inspiration très sage et presque à un scrupule de conscience. Bientôt cependant allait venir un pape moins scrupuleux. Ce fin diplomate, ce brillant et ingénieux prélat, Æneas Sylvius Piccolomini, si longtemps mêlé aux affaires des hussites et qui avait eu de si curieuses conférences à Prague avec George de Podiebrad, est élu pape sous le nom de Pie II l’année même où George de Podiebrad est élu roi de Bohême <ref>(12) L’élection de Pie II eut lieu le 14 août 1458. George de Podiebrad, élu roi le 2 mars, avait prêté serment le 6 mai devant les légats de Calixte III. </ref>. Le roi George et le pape Pie II, le chef des hussites assis sur le trône de Sigismond et l’ancien secrétaire du concile de Bâle assis sur le trône d’Eugène IV, voilà certes un rapprochement extraordinaire, et si l’on songe que ces deux hommes, issus du même parti, associés du moins à la même œuvre de conciliation chrétienne, vont se livrer une lutte à mort et inaugurer la bataille séculaire qui se termine aujourd’hui sous nos yeux, ne faut-il pas dire que c’est là une des plus tragiques péripéties de la tragédie hussite?
 
Æneas Sylvius Piccolomini, des l’âge de vingt-six ans, assistait aux premiers travaux du concile de Bâle comme secrétaire du cardinal Capranica. Le parti qui voulait limiter le pouvoir papal, en le soumettant à l’autorité de l’église, n’avait pas de plus intrépide soldat que ce jeune docteur. Il attaquait les abus de la cour romaine avec l’impétuosité d’un tribun. Quand le concile de Bâle eut déposé Eugène IV et donné la tiare au prince Amédée de Savoie, Æneas Sylvius accepta un poste de confiance auprès du nouveau pape. On ne pouvait pas être plus engagé dans l’opposition; mais bientôt le parti du concile n’ayant plus de centre, plus de chefs, et au contraire l’ardent Vénitien Eugène IV redoublant de vigueur et d’audace, le secrétaire de Félix V ne tarda pas à capituler. Diplomate au service d’Eugène IV, évêque sous Nicolas V, cardinal sous Calixte III, il devint surtout le grand homme d’affaires de l’église romaine en Allemagne, en Bohême, en Hongrie, en Moravie, dans toute l’Europe centrale et orientale. Louer l’esprit, le talent, la sagacité, le brillant savoir, la plume vive et alerte d’Æneas Sylvius Piccolomini, serait un soin superflu; ses écrits sont là pour nous dire les dons qu’il avait reçus, dons variés, précieux, et qu’il développa en tous sens par l’action comme par l’étude. Son tableau de l’Allemagne au XVe siècle, ses récits de la guerre des hussites, son histoire de l’empereur Frédéric III pendant la période où il le servit comme ministre et ambassadeur, ses lettres surtout, ses messages, ses relations diplomatiques, toutes ces pages rédigées d’une plume si fine et pleines de documens si précieux pour l’histoire du temps, nous montrent le spirituel négociateur sur le théâtre de son infatigable activité. Æneas Sylvius Piccolomini est un des plus savans personnages de cette renaissance si féconde en érudits illustres; on ne vit pas sa renommée pâlir’ à côté des Grecs ingénieux que le pape Nicolas V accueillait magnifiquement en Italie après la prise de Constantinople. C’est à ce moment-là même que le vieux pontife le nomma cardinal. Toutefois, s’il est impossible de ne pas admirer l’esprit de Sylvius, que dire des rôles si différens qu’il a joués dans les luttes politiques et religieuses du XVe siècle ? Notre vieille université de Paris, espèce de concile permanent au milieu des désordres de la chrétienté, jugeait sans ménagement sa versatilité. Le pieux historien de cette grande école est l’interprète fidèle des sentimens de ses ancêtres quand il écrit ces lignes à propos de l’avènement de Pie II : «Tout le monde sait quelle étonnante différence s’est trouvée entre Æneas Sylvius et le pape Pie II. Æneas Sylvius, secrétaire du concile de Bâle, prit part à tout ce que cette sainte et généreuse assemblée fit de plus vigoureux contre la cour de Rome. Le même homme devenu pape agit avec emportement contre la pragmatique sanction, formée des décrets de ce concile. Il n’est point de mon sujet de discuter ces démarches si contradictoires et leurs motifs. J’observerai seulement qu’il lui aurait mieux convenu de garder au moins quelque modération à l’égard de ceux qui continuaient à penser comme il avait pensé lui-même, et que son zèle amer contre ses anciens sentimens n’était pas propre à lui faire honneur <ref>(23) Crevier, ''Histoire de l’Université de Paris'', tome VI. </ref>
 
Si l’université de Paris jugeait ainsi Pie II, on devine l’opinion qui régnait en Bohême. George de Podiebrad, à l’époque où il était lieutenant du royaume, avait eu avec Æneas Sylvius, évêque de Sienne, une conférence célèbre que ce dernier lui-même a racontée longuement dans ses lettres. Æneas Sylvius s’y était montré à la fois théologien et diplomate ; George, avouant son ignorance théologique, avait parlé au nom du bon sens politique avec une loyauté simple et hardie.» Trois choses nous séparent, avait dit l’évêque de Sienne : les ''compactats'' dont vous réclamez en vain l’exécution, puisque l’église romaine n’en veut plus, les confiscations de biens ecclésiastiques accomplies par vous sur plusieurs points de la Bohême, enfin votre entêtement à réclamer pour archevêque de Prague ce Rokycana, que le pape, sachez-le bien, ne reconnaîtra jamais.» Sur la question des biens confisqués et même sur celle de l’archevêque de Prague, le vice-roi ne voyait pas de difficultés insurmontables; quant aux compactats, il avait répondu sans hésiter : «Les ''compactats'' violés, c’est la guerre, la guerre à outrance. Plus de paix, plus de trêve possible. Une fois que nous aurons pris les armes, vous aurez beau nous rappeler les traités qui ont terminé nos anciennes luttes, nous ne les reconnaîtrons plus. Quels traités invoquer après avoir porté la main sur le pacte fondamental? Vous nous croyez peu nombreux ; détrompez-vous. Il y a dans les contrées voisines bien des peuples dont les sentimens sont les nôtres, et qui n’attendent pour se lever que l’heure où nous serons entrés en campagne. Vous savez ce qui s’est passé naguère : si le pape est sage, il ne nous forcera pas, en nous disputant les libertés que nous avons conquises, à en conquérir de plus grandes. On ne refuse guère à la puissance des armes ce qu’on est souvent tenté de refuser au bon droit. Peut-être certaines gens vous bercent-ils de brillantes espérances : ils mettront sur pied des armées formidables, ils vous conduiront triomphans en Bohême, ils sauront vous frayer une route jusqu’à nous, le fer et le feu à la main... Ah! croyez-moi, je connais les habitudes et les forces de nos voisins; si j’avais à conseiller le saint-père, je le supplierais de ne pas toucher aux ''compactats''.» Ainsi parle Podiebrad dans les dépêches d’Æneas Sylvius; que serait-ce si nous avions quelque récit de cet entretien composé par Podiebrad lui-même? Il n’eût pas dissimulé sans doute son antipathie pour le négociateur : quoi! l’homme qui lui opposait durement le ''veto'' de l’église romaine, l’homme qui foulait aux pieds un des actes les plus solennels du concile de Bâle, c’était celui qui avait pris une part si ardente à l’opposition de l’illustre assemblée! C’était l’adversaire d’Eugène IV, le secrétaire du concile, le secrétaire de Félix V! Un tel souvenir devait révolter l’âme loyale de George, et il eut besoin de sa prudence consommée pour n’en rien laisser paraître sur son visage. Quant à Æneas Sylvius, quoique la modération du vice-roi lui eût inspiré, dit-on, certaines espérances pour l’avenir, combien de fois, après son exaltation au pontificat suprême, a-t-il dû méditer les fermes paroles qu’on vient de lire!
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Quel contraste! l’ambassade du roi de France vient se soumettre, l’ambassade du peuple tchèque vient réclamer son droit. L’ambassade de Louis XI apporte une déclaration hypocrite, car Louis XI rit sous cape en courbant la tête, et ces privilèges qu’il restitue au pape, il espère bien en profiter tout seul. L’ambassade du roi George, loyalement, la tête haute, demande la consécration de la paix religieuse en Bohême et invoque la liberté de sa foi. Les uns sont des prélats politiques, les autres sont des chrétiens. Le 10 mars 1462, les envoyés du roi George arrivèrent à Rome par une triste journée de pluie; le 13, les envoyés de Louis XI y firent leur entrée avec pompe par un splendide soleil. Admis aussitôt auprès du pape, ils parurent le surlendemain devant la plus solennelle assemblée de cardinaux, de prélats, de docteurs, et renoncèrent dans toutes les formes aux libertés de leur église. A la suite de cette déclaration, il y eut des réjouissances à Rome pendant trois jours. La populace fêta aussi à sa manière cette défaite de l’église gallicane : on lui livra le texte de la pragmatique sanction, et elle le traîna insolemment par les rues de la ville.
 
 
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<small>(1) L’élection de Pie II eut lieu le 14 août 1458. George de Podiebrad, élu roi le 2 mars, avait prêté serment le 6 mai devant les légats de Calixte III. </small><br />
<small>(2) Crevier, ''Histoire de l’Université de Paris'', tome VI. </small><br />
 
 
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Les représentants de la nation vinrent en grand nombre, non-seulement de la Bohême, mais de tous les pays de la couronne; la Moravie, la Silésie, la haute et basse Lusace y avaient leurs députés. Des évêques catholiques, les évêques de Breslau, d’Olmütz, d’autres encore, accompagnés des principaux dignitaires de l’église, prieurs d’abbayes et doyens de chapitres, s’étaient rendus à l’appel, car le roi George, dans sa loyale impartialité, avait convoqué même ses ennemis. La première séance publique s’ouvrit le 12 août à onze heures du matin. Le roi présidait en personne; à ses côtés étaient assis la reine Jeanne et ses fils. Il voulait que ce fût comme une grande assemblée de famille. La séance ouverte, le roi prit la parole; il rappela brièvement tout ce qu’il avait fait pour l’honneur, la paix et la prospérité du pays ; il ajouta que pour couronner son œuvre, et sur le conseil de ses plus fidèles amis, il avait envoyé une ambassade au pape, espérant que cette démarche dissiperait les préventions de Rome, espérant qu’elle consoliderait la restauration politique et religieuse d’un état longtemps dévasté par la tempête, mais ardemment chrétien. L’ambassade était revenue, et avec quelle réponse! les représentans de la Bohême allaient l’entendre. Alors le sire de Kostka fit une sorte d’introduction en quelques mots, puis le chancelier Procope de Rabstein et maître Koranda lurent le journal qu’ils avaient rédigé des travaux de la mission. Pas un détail n’y manquait, la lecture dura plusieurs heures. Reprenant ensuite son discours, le roi exprima noblement la douleur qu’il ressentait à titre de roi et de chrétien. La première pensée qui s’offrait à lui, c’était le souvenir de la longue anarchie qui avait désolé la Bohême; cette anarchie heureusement vaincue grâce à la loi de concorde votée à Bâle par les plus hauts représentans de l’église, le pape voulait-il donc la déchaîner de nouveau en détruisant l’œuvre de ses supérieurs? On lui reprochait, à lui George de Podiebrad, d’avoir manqué au serment qu’il avait prêté en recevant la couronne; quel était donc ce serment? Il en lut le texte à haute voix et s’écria : «Vous l’entendez, nous avons juré d’extirper de ce royaume les hérésies et les sectes. Or, vous le savez, nous n’aimons ni les hérétiques ni les sectaires : nous les avons frappés et dispersés; mais la communion sous les deux espèces est-elle une hérésie ? Est-ce une hérésie, la cène instituée par le Sauveur? Est-ce une hérésie, la foi consacrée par un concile œcuménique? Élevé dans cette foi des notre enfance, fidèle à nos religieuses pratiques comme simple membre de la noblesse, puis comme lieutenant du royaume, nous n’y avons pas renoncé en montant sur le trône; pouvait-on croire que sous ce nom de sectes et d’hérésies le roi George comprenait la religion de sa patrie et la sienne? Si quelqu’un au monde a jamais pensé que, pour obtenir la consécration de mon pouvoir, j’étais capable de renier ma foi et mon Dieu, c’est une étrange erreur, une erreur que rien de ma part n’a pu autoriser; je n’en suis pas responsable. Or, pour qu’il n’y ait plus nul doute à cet égard, sachez tous que nous resterons éternellement fidèles à la communion sous les deux espèces, je dis nous tous, moi, le roi, ma femme assise à mes côtés et tous mes chers fils qui m’entourent, et non-seulement nous resterons fidèles à notre foi jusqu’à la dernière heure, mais, s’il faut y sacrifier notre couronne et notre vie même, nous sommes prêts.»
 
Le roi avait prononcé ces paroles avec une si vive émotion, que l’assemblée presque tout entière ne put retenir ses larmes <ref> (14) ''Ad cujus professionem fere tota synodus, aut pro majori parte, prœ fletu effudit lacrymas'', comme dit le greffier, témoin de ces grandes scènes.</ref>. On agita ensuite la question de savoir si les ''compactats'', malgré le décret du pape, devaient toujours être considérés comme la loi fondamentale du royaume. Le roi fit lire aux états le récit officiel des négociations des hussites avec le concile de Bâle, le texte authentique des ''compactats'', les confirmations scellées du sceau des rois ses prédécesseurs, Sigismond, Albert, Ladislas, et après avoir ainsi confronté le décret de Pie II avec les titres imposans du droit public de la Bohême, il demanda que chacun des assistans répondit à cette question : «Si quelqu’un, au sujet des ''compactats'', attaqué le roi ou le royaume, soit l’outrage à la bouche, soit les armes à la main, êtes-vous prêt à le défendre?» La séance fut suspendue quelque temps pour que l’assemblée pût délibérer. Les députés, comme on devait s’y attendre, se divisèrent en deux groupes. Les véritables représentans du pays, les députés hussites, s’empressèrent de parler les premiers; Kostka, leur interprète, remercia le roi, la reine, leurs enfans, de cette généreuse profession de foi qui allait enflammer la Bohême, et déclara au milieu des acclamations de ses amis qu’ils étaient tous résolus à donner leurs biens et leur sang pour la défense du trône. Les catholiques ne pouvaient tenir ce langage; ils avaient deux maîtres à servir, le roi et le souverain pontife. C’étaient presque tous des membres de la haute noblesse, seigneurs et barons; leur chef, Zdének de Sternberg, promit au roi l’assistance de ses amis en tout ce qui ne serait pas contraire aux instructions du saint-siège. On comprend que le roi n’ait pas été satisfait d’une telle réponse. Il n’y avait pas de concordat au XVe siècle, le pape s’attribuait le droit de régenter tous les états chrétiens; dans une lutte entre Pie II et le roi George, les catholiques n’avaient pas de mesure pour discerner le juste de l’injuste, ils ne pouvaient plus obéir qu’à un seul maître, et ce maître était un souverain italien. Le roi, tout mécontent qu’il était, dit aux évêques et aux barons qu’il se fiait à leur loyauté, à leur patriotisme,. qu’il voulait le respect des consciences, et ne souffrirait pas que la paix publique fut jamais troublée par des questions religieuses.
 
Cette âme vraiment royale, et qui pratiquait si bien les devoirs de sa royauté, n’était pas disposée à la laisser avilir. On le vit clairement à la seconde séance, où le légat du pape fut entendu. Ce légat était un de ces docteurs, théologiens ou légistes, qui se mettaient au service des divers gouvernemens, et formaient, nous l’avons vu, la libre diplomatie du XVe siècle. Il était Dalmate de naissance et ardemment catholique; George, qui n’était pas un chef de secte, mais un roi, s’était fait représenter par lui auprès de Pie II. Fantin de Valle, c’est son nom, occupait encore cette charge quand l’ambassade bohémienne était arrivée à Rome. Les envoyés du roi, craignant que leurs compatriotes ne les accusassent de faiblesse ou d’inhabileté, n’étaient pas fâchés de ramener un témoin qui pût certifier l’exactitude de leurs récits. Le pape, de son côté, n’avait pas cru possible, dans les circonstances présentes, de trouver un légat plus convenable que le théologien du roi George. C’est ainsi que le docteur Fantin de Valle, après avoir servi le roi de Bohême comme chargé d’affaires à Rome, revenait à Prague comme légat du pape. Au moment de le faire introduire dans la salle des états (13 août), le roi parla ainsi aux députés : «Nous allons l’entendre aujourd’hui en qualité d’ambassadeur du pape; demain, il comparaîtra comme notre chargé d’affaires. Quels que soient les discours qu’il tienne ici au nom du souverain pontife, je vous ordonne à tous de demeurer calmes et de ne pas l’interrompre.» Fantin fut introduit et traité de la même façon que les envoyés bohémiens au consistoire de Rome : il dut rester debout en présence du roi, comme les envoyés du roi étaient restés debout en présence du pape.
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Le long cortège, descendant des hauteurs du Hradschin, traversa le pont de la Moldau et se dirigea vers le palais du roi. Ils marchaient deux à deux, trois à trois, au milieu d’une population hostile, mais apaisée, car elle avait confiance dans son chef. Quand ils arrivèrent, les prêtres hussites, plus nombreux encore selon toute vraisemblance (les documens n’indiquent pas le chiffre), étaient déjà rassemblés dans la salle des états, sous la conduite de maître Rokycana, l’archevêque élu. Chacun ayant pris place, le roi parla ainsi : «Depuis que la grâce de Dieu m’a fait monter sur ce trône, j’ai consacré tous mes jours, toutes mes veilles, à maintenir au dehors l’honneur du royaume et sa tranquillité au dedans. Vous au contraire, prêtres des deux églises, vous ne cessez de vous quereller, vous vous injuriez les uns les autres, vous vous traitez réciproquement d’hérétiques, de sectaires, vous refusez la sépulture aux morts et l’entrée des temples aux vivans. Ce n’est pas tout : il en est parmi vous qui se déshonorent en fréquentant des femmes de mauvaise vie, en se livrant au jeu, en se souillant de débauches que j’aurais honte de nommer. Si vous ne vous amendez vous-mêmes, je serai obligé de prendre des mesures pour que l’honnêteté publique ne reçoive pas d’atteintes. En outre nous vous ordonnons à tous, membres des deux clergés, d’observer religieusement les ''compactats'' que le concile de Bâle a donnés à ce royaume pour y établir la paix. Quiconque osera les violer n’échappera point à ma colère. Je ne souffrirai pas que vos dissensions nuisent à la prospérité du royaume.» Le doyen du chapitre catholique et l’archevêque hussite répondirent brièvement, chacun au nom de son troupeau. Tous deux commencèrent par rendre grâce au roi des biens dont il avait comblé la patrie. Rokycana soutint que les reproches formulés par le roi ne pouvaient s’adresser aux prêtres hussites, qu’aucun d’eux n’avait violé, les ''compactats'', qu’aucune infraction aux bonnes mœurs n’était restée impunie. Le doyen Hilaire de Leitmeritz prononça aussi quelques mots pour la justification de ses frères, et sans s’expliquer sur la valeur des ''compactats'', protesta, de son amour pour la paix. Après ce colloque, le roi fit connaître le sujet de sa querelle avec le saint-père, exposa les motifs de L’emprisonnement de Fantin, et défendit que personne intervînt en sa faveur. On remarqua beaucoup un des incidens de la séance. Rokycana s’étant plaint de la désobéissance d’un de ses prêtres: «Maître, dit le roi d’un ton sévère, tu veux toujours que tout le monde t’obéisse, et toi, tu n’obéis à personne. » Craignant sans doute que les chefs du clergé hussite, animés par la lutte et confians dans l’énergie du roi, ne se crussent dispensés de l’équité, il voulait montrer que, s’il était résolu à maintenir l’église nationale, il était avant tout le grand justicier de la Bohême, le protecteur du droit commun.
 
 
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<small> (1) ''Ad cujus professionem fere tota synodus, aut pro majori parte, prœ fletu effudit lacrymas'', comme dit le greffier, témoin de ces grandes scènes.</small><br />
 
 
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Le journal de l’ambassade, rédigé par un des secrétaires nommé Jaroslaw et mis en lumière par M. Palacky, est un curieux tableau de l’époque. Quand les envoyés traversent l’Allemagne et la France, le contraste des peuples est vivement accusé. Pour l’homme du peuple, dans les. contrées allemandes, le Bohémien est toujours l’hérétique abominable dont on se détourne avec horreur. Les Français, qui se rappellent Ziska et les fanatiques du Tabor, sont tout étonnés de voir des Bohémiens si nobles, si graves, des chrétiens et non pas des démons d’enfer. Les Bohémiens au contraire sont surpris et scandalisés de la légèreté des mœurs, surtout dans le clergé, du nombre et de l’impudence des femmes de mauvaise vie. Héritiers d’une révolution terrible, ils en ont gardé, la haute sévérité morale en y ajoutant ce qui manquait à leurs pères, la modération dans la force. Ce doublé trait de caractère est peint avec candeur dans le récit détaillé de Jaroslaw. Les ambassadeurs, par ordre du roi, s’étaient arrêtés dans les cours de Stuttgart, de Bade, où ils avaient reçu un accueil très cordial. A Strasbourg, ''les fiers bourgeois de la ville'', comme dit Jaroslaw, leur avaient donné une garde de cent hommes pour les protéger dans les défilés des Vosges contre les brigandages du comte Hans d’Ebersbourg. A Bar-le-Duc, ils passèrent deux jours (13 et 14 juin) chez le roi René, qui les traita magnifiquement. Ils arrivent enfin à Amiens, et s’informent de la résidence du roi Louis XI, qui chassait alors dans les forêts de la Picardie, tout en combinant son autre chasse, son âpre et juste chasse aux tyrannies féodales. Le roi leur donne rendez-vous d’abord à Abbeville, puis bientôt au village de Dompierre, et c’est là qu’il les reçoit dans un petit château-fort environné de marais.
 
La première audience eut lieu le 30 juin en présence de la reine et de son frère le roi de Chypre. « Quand on nous présenta au roi Louis XI, écrit Jaroslaw, Albert Kostka lui adressa les complimens du roi George et déploya ses lettres de créance; Antoine de Marini lui fit ensuite les mêmes complimens de la part des rois de Pologne et de Hongrie, et produisit aussi ses titres d’ambassade. Le roi prit les lettres, en fit lui-même la lecture à ses conseillers, et invita les deux ambassadeurs à prendre place sur les sièges préparés pour eux. Ceux-ci refusant par respect, un des conseillers du roi leur dit que c’était l’usage de France, et que tout ambassadeur de prince souverain avait droit de s’asseoir pour lire son message; en même temps il les pria, au nom du roi, d’être aussi brefs que possible. Albert Kostka prit la parole le premier et exposa la demande de son maître.» Le roi de Bohême suppliait le roi de France, à titre de roi très chrétien et au nom de son dévouement à l’intérêt général, de convoquer au jour et au lieu par lui fixés un parlement de rois et de princes, pour qu’ils y vinssent en personne ou qu’ils s’y fissent représenter. L’auguste assemblée travaillerait à la gloire de Dieu, au bien de l’église universelle et à l’indépendance des états.» L’orateur développa ce thème dans un discours plein de belles pensées, de paroles heureuses, au dire de Jaroslaw, et qui ne dura pas moins d’une heure. Antoine de Marini confirma la harangue de son collègue par un tableau des pays qu’il venait de parcourir. Il rendit compte de ses missions en Pologne, en Bohême, en Hongrie, à Venise, à Rome; il parla des sympathies des Polonais, des Hongrois, mais surtout des Bohémiens et des Vénitiens pour la France; il raconta ses querelles avec certains évêques magyars, il fit connaître l’état moral de ces contrées et les lettres injurieuses que le pape y écrivait contre Louis XI; il conclut enfin à la nécessité d’un parlement de rois pour mettre fin à une théocratie plus turbulente que forte, et sauver la dignité de l’église en même temps que la liberté des peuples. Le roi avait écouté attentivement les deux orateurs : il répondit que, l’affaire étant de grande conséquence et méritant réflexion, il leur donnait rendez-vous dans Abbeville, où il irait bientôt les retrouver.
 
A Abbeville, avant le retour du roi, les ambassadeurs eurent plus d’une conférence avec ses conseillers, et ne tardèrent pas à voir leurs illusions s’évanouir. Bien que Louis XI fût au plus fort de sa guerre avec le saint-siège, bien qu’il n’hésitât point à confisquer le temporel de trois cardinaux, à saisir les impôts romains, à frapper le pape et ses amis à grands coups d’ordonnances, il avait près de lui des conseillers qui prétendaient ménager Home en haine des parlemens. Il les laissait faire, sauf à les désavouer. Sa politique était d’employer tour à tour le pape contre les parlemens et les parlemens contre le pape. Ses représentans aux conférences d’Abbeville étaient le chancelier Morvilliers, l’évêque La Balue et le patriarche de Jérusalem ; ils jetèrent les hauts cris quand les ambassadeurs bohémiens parlèrent d’annihiler le pouvoir politique du pape. On leur avait écrit non-seulement de Rome, mais de Prague, que le roi de Bohême était mis au ban de l’église, que ses envoyés étaient des hérétiques comme leur maître, et que ce serait une honte pour la France de s’allier à de tels mécréans. Il y eut des scènes presque violentes entre les trois conseillers de Louis XI et les deux Bohémiens. Il ne s’agissait même plus du parlement de rois, les conseillers juraient que toute alliance était impossible entre la France et la Bohême. Le roi pourtant fut d’un autre avis. Revenu dans Abbeville le 10 juillet, il emmena les ambassadeurs à Dieppe, puis à trois lieues du port, dans le petit château de Neuville. Là il fut décidé que Louis XI enverrait une ambassade à Prague après les fêtes de la Toussaint ; Albert Kostka reçut le titre de conseiller du roi de France, et un traité d’alliance fut conclu entre les deux pays: dans les termes mêmes que désiraient les ambassadeurs. Comme les évêques essayaient encore de s’y opposer : «Que cela vous fasse plaisir ou non, dit Louis XI, je veux être l’ami du roi de Bohême.» Ce traité, dont le texte original est aux archives de Vienne, porté que les deux rois, pour le bien et l’honneur des deux royaumes, de la sainte église et de toute la chrétienté, veulent être frères, amis, alliés, dans tous les temps à venir.» Il n’y est pas dit un mot de ce parlement des souverains de l’Europe qui était le principal objet de l’ambassade.
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Il n’y a pas de scène plus touchante dans l’histoire. Quarante ans après, Raphaël, tout jeune encore, chargé de dessiner des cartons pour le dôme de Sienne, y retraçait la vie d’Æneas Sylvius. La grandeur du pontife à demi mort se levant pour saluer les galères de Venise est un des premiers spectacles qui inspirèrent ce merveilleux génie. Comment ne pas oublier les fautes et les violences du prêtre en face de ce trépas héroïque? On aime à croire que Podiebrad, si magnanime lui-même, pleura son adversaire. Son émotion eût redoublé sans doute, s’il avait su quelles luttes bien autrement violentes, quelles luttes impies, féroces, anti-chrétiennes, allait lui susciter l’implacable successeur de Pie II.
 
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